Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Contenu de la décision

 

 

Date :

2020-02-24

 

Dossier :

2018-04

 

 

 

 

Entre :

 

Agence des services frontaliers, appelante

 

Et

 

Alliance de la Fonction publique du Canada, intimée

 

 

Indexé sous : ASFC c. AFPC

 

 

Affaire :

Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction émise par une représentante déléguée par le ministre du Travail.

 

Décision :

L’instruction est confirmée.

 

Décision rendue par :

M. Jean-Pierre Aubre, agent d’appel

 

Langue de la décision :

Anglais

 

Pour l’appelante :

Me Spencer Shaw, Services juridiques du Conseil du Trésor, ministère de la Justice

 

Pour l’intimé :

Me Raphaëlle Laframboise-Carignan, Ravenlaw

 

 

Référence :

2020 TSSTC 2


MOTIFS DE LA DÉCISION

 

  • [1] Les motifs de la présente décision portent sur un appel interjeté par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (Code) à l’encontre d’une instruction émise à l’appelante le 29 décembre 2017 par Mme Fancy AM Smith, en qualité de représentante déléguée par le ministre du Travail (déléguée ministérielle). L’instruction en cause a été émise par cette dernière à l’issue de son enquête au sujet d’une plainte de violence dans le lieu de travail, déposée par Stanley Decayette, représenté dans la présente cause par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) qui y agit comme intimée.

  • [2] L’instruction se lit comme suit :

Le 30 octobre 2017, la représentante déléguée par le ministre du Travail soussignée a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par l’Agence des services frontaliers du Canada, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 1000, Airport Parkway, Ottawa (Ontario) K1V 9B4, ledit lieu étant parfois appelé Agence des services frontaliers du Canada.

Ladite représentante déléguée par le ministre du Travail est d’avis qu’une contravention à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été commise :

Alinéa 125(1)z.16) de la partie II du Code canadien du travail et paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail

L’employeur n’a pas nommé une personne compétente, impartiale et considérée comme impartiale par les parties en cause, pour enquêter sur un incident de violence dans le lieu de travail qui lui a été signalé le 23 août 2016.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin à la contravention le 12 janvier 2018 au plus tard.

De plus, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, dans les délais précisés par la représentante déléguée par le ministre du Travail, de prendre des mesures pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

Émise à Sudbury, le 29 décembre 2017.

 

(s) Fancy AM Smith

[...]

  • [3] Au cours de la conférence préparatoire, les deux parties ont convenu que la question dont le tribunal est saisi dans les présentes est de déterminer si l’employeur a nommé une personne compétente pour enquêter sur la plainte de violence dans le lieu de travail et non de savoir si les incidents de violence allégués dans le lieu de travail ont effectivement eu lieu.

  • [4] Le présent appel concerne une instruction émise à l’appelante en date du 29 décembre 2017 à l’égard d’une plainte de violence dans le lieu de travail déposé le 30 octobre 2017 par laquelle le plaignant (Stanley Decayette) a affirmé que la personne désignée à titre de « personne compétente » par l’appelante pour enquêter sur l’allégation de violence dans le lieu de travail n’était pas impartiale. Cette affaire tire son origine d’une première plainte de même nature concernant une violence dans le lieu de travail en lien avec un incident survenu le 26 août 2016 et signalé le 20 mars 2017 où un autre délégué ministériel (M. Lefort) a conclu que l’employeur avait manqué à son obligation de nommer une personne compétente pour enquêter au sujet de l’allégation de violence dans le lieu de travail, contrevenant ainsi à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (Règlement).

  • [5] Le 31 mai 2017, l’employeur a remis au délégué ministériel enquêtant sur la première plainte une promesse de conformité volontaire (PCV) pour la nomination d’une « personne compétente ». Selon le rapport d’enquête présenté en preuve dans la présente affaire, le délégué ministériel ayant enquêté sur la première plainte a indiqué à la déléguée ministérielle Smith que l’employeur (l’appelant dans les présentes) a soutenu qu’il a respecté la PCV en nommant une des trois personnes qu’il avait proposées au plaignant, M. Decayette, à titre de personne compétente pour enquêter sur la plainte.

  • [6] Le 30 octobre 2017, une deuxième plainte de violence dans le lieu de travail a été déposée par M. Decayette, cette dernière faisant l’objet du présent appel. Dans sa plainte, M. Decayette invoque comme motif qu’il ne considère pas comme impartiale la personne nommée par l’employeur à titre de personne compétente pour enquêter sur l’allégation de violence dans le lieu de travail.

  • [7] Le rapport de la déléguée ministérielle Smith, et la preuve présentée à l’audience établissent qu’à la suite de la remise de la PCV mentionnée ci-dessus, l’appelante a proposé au plaignant deux gestionnaires de la sécurité régionale provenant de différentes régions pouvant agir à titre de personnes compétentes, le tout conformément à la Politique sur la prévention de la violence en milieu de travail de l’ASFC qui définit les gestionnaires de la sécurité régionale comme étant des personnes compétentes. M. Decayette a refusé ces deux gestionnaires en invoquant leur manque d’impartialité, chacun étant directement employé à titre de gestionnaires de la sécurité régionale par l’ASFC et l’un deux n’étant pas, non plus, bilingue.Une troisième personne, qui n’était pas à l’emploi de l’ASFC, a également été proposée par l’appelante, mais M. Decayette l’a également refusée, au motif qu’elle n’était « pas impartiale ». M. Decayette a proposé à son employeur le nom d’une personne qui, selon lui, aurait été une personne compétente et impartiale, en vain, et ce, malgré que la proposition ait été effectuée une semaine après l’émission de l’instruction. M. Decayette a également indiqué qu’il était disposé à proposer à l’employeur d’autres personnes qui pouvaient agir à titre de personnes compétentes.

  • [8] Ayant proposé trois personnes pouvant agir comme personnes compétentes, lesquelles ont toutes été refusées par M. Decayette, l’appelante a tout de même choisi et nommé une des personnes proposées et refusées, Mme Sylvie Ouellette, qui, selon l’appelante, répondait à la définition de « personne compétente » aux termes du paragraphe 20.9(3) du Règlement, et a procédé à l’enquête concernant la plainte de violence sur le lieu de travail déposée initialement.

  • [9] Selon la déléguée ministérielle Smith, l’appelante a procédé ainsi en étant consciente que le Programme du travail, par l’intermédiaire de Mme Smith, pouvait ultimement déclarer une telle mesure prise par l’employeur « invalide » et, à la suite d’une suggestion par la déléguée ministérielle au sujet de cette violation potentielle, l’appelante a refusé de remettre une autre PCV qui l’engagerait à nommer une personne compétente qui serait considérée comme impartiale par les deux parties. L’employeur a justifié ce refus en maintenant qu’il était convaincu qu’il se conformait aux instructions précédemment émises par le Programme du travail (M. Lefort). Le rapport de la déléguée ministérielle Smith souligne que, en prenant une telle position, l’appelante était consciente que cela pouvait entraîner l’émission d’une instruction officielle. Cette instruction a effectivement été émise le 29 décembre 2017 et fait l’objet du présent appel.

  • [10] Le rapport d’enquête donne également un aperçu de la suite des événements relativement au respect de cette instruction par l’appelante. En réponse, l’employeur a affirmé qu’il était d’avis qu’il se conformait à l’instruction, puisqu’une personne compétente aux termes du Règlement avait été choisie et nommée. L’employeur a également soutenu que, même s'il ne croyait pas que les deux premières objections formulées par M. Decayette étaient raisonnables, l’ASFC avait tenté d’accommoder ce dernier en choisissant une personne qui n’était pas à son emploi, opinant à cet effet qu’il ne considérait pas comme rationnelles les objections fondées sur le fait que la personne proposée est employée de la fonction publique du Canada, puisque cela sous-entendrait la partialité d’office de tout employé de la fonction publique, ce qui empêcherait une telle personne d’enquêter sur une plainte de violence entre deux employés.

  • [11] Compte tenu de la position adoptée par l’employeur, la déléguée ministérielle a pris des mesures pour déterminer si l’employeur avait fait un effort raisonnable pour se conformer à l’instruction du 29 décembre 2017. Pour ce faire, elle a évalué le nombre de personnes compétentes proposées et le nombre de personnes parmi celles-ci qui n’étaient pas à l’emploi de l’appelante, ainsi que les motifs allégués par la partie qui s'oppose et tous les autres liens existant entre les personnes compétentes proposées et l’autre partie. Cela a permis de déterminer qu’un seul gestionnaire de sécurité nationale au sein de l’ASFC répondant de surcroît aux exigences linguistiques en cause (l’autre gestionnaire de sécurité nationale proposé ne répondait pas à ces exigences) avait été proposé comme personne compétente. Une deuxième personne compétente, refusée par M. Decayette sur la base de l’impartialité, a néanmoins été nommée (Mme Ouellette).

  • [12] De plus, la déléguée ministérielle a conclu que l’employeur a accordé peu ou pas d’importance à la nomination d’une personne compétente que le plaignant aurait reconnue comme impartiale et a accordé peu ou pas d’importance aux autres personnes compétentes qui auraient pu être suggérées par le plaignant. L’employeur demeurait ainsi convaincu que la personne choisie comme personne compétente avant l’émission de l’instruction répondait aux exigences du Règlement.

  • [13] Dans sa lettre du 13 mars 2018 communiquant sa décision finale qui faisait par ailleurs suite à l’émission de l’instruction du 29 décembre 2017, la déléguée ministérielle a conclu que le nombre restreint de personnes compétentes proposées par l’employeur, en plus du fait de refuser ou de ne pas tenir compte des propositions de personnes compétentes jugées acceptables par le plaignant, ne pouvaient pas l’amener à conclure que l’employeur avait pris toutes les mesures raisonnables (les « efforts raisonnables ») pour se conformer à l’instruction émise le 29 décembre 2017 et, par conséquent, l’employeur demeurait en violation de l’alinéa 125(1)z.16) du Code et du paragraphe 20.9(3) du Règlement. Cela dit, il est important de souligner qu’en informant les parties de ses conclusions, la déléguée ministérielle Smith a également indiqué qu’elle n’avait pas le pouvoir, en sa qualité de déléguée ministérielle, de trancher la question concernant l’impartialité d’une personne compétente ni de remettre en question une objection de la part d’une partie concernant la partialité ou non d’une personne compétente dans le cadre de l’application de la Partie XX du Règlement intitulée Prévention de la violence dans le lieu de travail.

  • [14] La question à trancher en l’espèce consiste à savoir s’il existait des motifs valables d’émettre l’instruction et, par conséquent, si l’appelante a nommé une personne compétente, qui est impartiale et qui est perçue comme telle par les personnes concernées, pour enquêter sur la plainte de violence dans le lieu de travail déposée par M. Decayette le 30 octobre 2017.

Contexte

Question en litige

Observations

Observations de l’appelante
  • [15] L’appelante, par l’entremise de son avocat, soumet ses observations en commençant par la première plainte déposée au Programme du travail par M. Decayette, cette dernière ne faisant pas l’objet du présent appel. Elle plaide alors que ce qui l’a menée à nommer une personne compétente (Mme Ouellette) qui n’était pas approuvée par M. Decayette, après que ce dernier ait refusé deux autres personnes compétentes proposées, pourrait être en lien avec certaines observations formulées par le délégué ministériel ayant enquêté sur la première plainte (M. Lefort). Lorsque les gestionnaires de sécurité nationale ont été nommés à titre de personnes compétentes dans le cadre de la Politique de prévention de la violence dans le lieu de travail applicable au moment des événements, une personne compétente pouvait « être un employé du lieu de travail ou un contractuel externe » et l’impartialité ou la personne impartiale pouvait désigner [traduction] « une personne qui n’est pas directement impliquée dans une situation particulière et qui est par conséquent en mesure de donner une opinion ou rendre une décision équitable à ce sujet ».

  • [16] Le délégué ministériel Lefort a par ailleurs souligné qu’une [traduction] « objection raisonnable à une proposition de PC [personne compétente] devrait être fondée sur la proximité et la familiarité avec [un plaignant] ou un agresseur présumé » et qu’il était essentiel pour le plaignant de [traduction] « s’assurer, au cours du processus de sélection, que l’approbation ou le rejet [motivé] [soit] consigné par écrit ».Ces arguments semblent avoir constitué le fondement la position de l’employeur selon laquelle le rejet des personnes proposées à titre de « personnes compétentes » par le plaignant aurait dû être basé sur des motifs raisonnables. Le plaignant Decayette ne partage pas cet avis, atténuant, lors de son témoignage, sa réaction initiale selon laquelle [traduction] « l’approbation et le rejet n’ont pas besoin d’être justifiés », pour dire simplement qu’il n’est pas nécessaire de justifier le rejet.

  • [17] L’appelante fait valoir donc que la nomination de Mme Ouellette à titre de personne compétente sans l’approbation de M. Decayette représentait un effort unilatéral de l’appelante pour respecter la PCV qu’elle avait fournie, puisque ce dernier avait rejeté de façon arbitraire chaque personne proposée, sans motif valable ou quelconque justification. La plainte du 30 octobre 2017 faisant l’objet du présent appel mettait en cause l’impartialité et les compétences de la même personne nommée et la déléguée ministérielle Smith a tranché la question sans tenir compte du caractère raisonnable des objections de M. Decayette concernant l’impartialité. Selon la déléguée ministérielle, toute objection par une partie, qu’elle soit ou non raisonnable, suffit à disqualifier une personne compétente proposée. Cette interprétation se fondait, selon elle, sur la décision du Tribunal dans Association des employeurs maritimes c. Syndicat des débardeurs (SCFP), section locale 375, 2016 TSSTC 14 (Association des employeurs maritimes).

  • [18] L’appelante est d’avis que la position de la déléguée ministérielle Smith et sa décision d’émettre une instruction sans connaître les motifs précis des multiples refus de M. Decayette allaient à l’encontre de ce qu’avait exprimé le délégué ministériel Lefort, qui avait traité la plainte dans sa forme initiale, et auraient mené aux conclusions de la déléguée ministérielle Smith selon lesquelles l’appelante n’avait pas déployé des efforts raisonnables pour respecter son obligation désignée à l’instruction.

  • [19] Compte tenu de ce qui précède, l’appelante présente trois arguments au soutien de sa thèse : premièrement, l’employeur a constamment fait preuve de bonne foi en tentant de choisir une personne qui conviendrait aux exigences afférentes à la « personne compétente » aux termes du Règlement, mais ces efforts ont systématiquement été contrecarrés par les actions de M. Decayette qui, en agissant de la sorte, a abusé de ses droits; deuxièmement, lorsqu’une partie s’oppose à la nomination d’une « personne compétente » en invoquant son impartialité, des motifs précis et logiques doivent être fournis, à défaut de quoi la partie devrait être présumée avoir renoncé à ses droits de s’opposer pour un tel motif; et troisièmement, en émettant son instruction, la déléguée ministérielle Smith est parvenue à des conclusions déraisonnables et a fondé celles-ci sur une interprétation erronée du Règlement.

  • [20] Pour ce qui est du premier argument, l’appelante a présenté en preuve lors de l’audience les mesures prises après l’émission de l’instruction par Mme Smith. Le soussigné a accepté la preuve sous réserve des représentations des parties concernant la recevabilité par le Tribunal. Bref, cette preuve visait à établir qu’en avril 2018, à la suite de l’émission de l’instruction et de la lettre de décision finale du 13 mars 2018 par la déléguée ministérielle, par laquelle elle concluait que l’employeur ne s’était pas conformé à l’instruction, les efforts de l’employeur pour trouver une personne compétente convenable ont été prises en charge par une personne différente (Lance Markell) qui, pendant quelques mois, a proposé plusieurs personnes (8) qui ne font pas partie du gouvernement (enquêteurs en emploi).

  • [21] Un tel changement aux propositions de personnes compétentes reflète le consentement de la part du comité en matière de santé et de sécurité de l’employeur à modifier sa politique de prévention de la violence et de ne plus nommer les gestionnaires de sécurité régionale pour agir comme personnes compétentes. Par conséquent, entre avril et novembre 2018, des enquêteurs externes ont été proposés par l’employeur à titre de personnes compétentes. Toutes ces personnes ont été refusées par M. Decayette, selon divers motifs :

Les efforts de bonne foi de l’employeur pour nommer une personne compétente
  • une personne compétente ne peut pas être une personne provenant de la même région ou être un employé ou un gestionnaire de l’ASFC;

  • une personne compétente doit être bilingue et ne doit pas avoir besoin de l’aide d’un autre enquêteur bilingue;

  • une personne compétente ne peut pas être un fonctionnaire, une personne à l’emploi du Conseil du Trésor, un ancien fonctionnaire dans un endroit où serait survenu un incident de harcèlement, ou encore une personne offrant des services de conseil au gouvernement;

  • une personne compétente ne peut pas être nommée sans que M. Decayette l’ait passée en entrevue afin de confirmer le contenu de son CV ou sans que l’employeur ait préalablement fourni des données statistiques concernant les enquêtes menées par cette personne et concernant le nombre d’enquêtes s’étant conclues respectivement en faveur de l’employeur et de l’employé.

  • [22] Enfin, l’appelante a soumis, dans le cadre de sa preuve ex post facto, que le soussigné devrait admettre le fait que M. Decayette a lui-même proposé trois personnes compétentes potentielles (Cantin, Douville et Hamelin), alors qu’il ressort de son admission à l’audition qu’il ne savait pas si certaines de ces personnes offraient des services d’enquête pour violence sur le lieu de travail et alors que, dans un cas, une personne proposée par M. Decayette ne correspondait même pas à l’un de ses propres critères, étant un ancien gestionnaire de la fonction publique ayant travaillé dans un endroit où est survenu un incident de violence et de harcèlement en milieu de travail. Bref, ces personnes proposées par M. Decayette ne répondaient pas à l’exigence qu’il avait formulée au soutien de son refus des personnes proposées par l’appelante.

  • [23] Dans le cadre de la preuve documentaire déposée conjointement par les parties, l’appelante a attiré l’attention du soussigné sur une lettre de l’employeur adressée à la déléguée ministérielle Smith et datée du 8 novembre 2018, où M. Markell souligne sa frustration face aux refus répétés et manifestement non fondés de M. Decayette. Concernant cette question particulière, l’appelante a finalement avisé le soussigné qu’à la veille de l’audience dans ce dossier, en juin 2019, M. Decayette avait enfin convenu de l’impartialité d’une des personnes compétentes proposées par l’appelante, cette personne ayant initialement été refusée par M. Decayette en décembre 2018.

  • [24] Les observations de l’appelante sur la recevabilité de cette preuve ex post facto portent sur trois motifs, notamment, que le Tribunal et, par conséquent, le soussigné, est maître de sa procédure, que la preuve est pertinente et, enfin, qu’un appel comme dans les présentes constitue par sa nature même un examen de novo de l’affaire. L’avocat de l’appelante cite d’abord les auteurs Macaulay, Sprague et Sossin dans Practice and Procedure Before Administrative Tribunals [1] , en faisant valoir que le législateur a accordé aux tribunaux administratifs une grande latitude lorsqu’il s’agit d’entendre et d’admettre des éléments de preuve, afin qu’ils ne soient pas paralysés par des objections et des démarches procédurales, rendant ainsi possible la tenue d’une audience moins formelle dans laquelle tous les aspects pertinents peuvent être présentés au tribunal pour un examen rapide.

  • [25] L’appelante fait aussi valoir que, selon les mêmes auteurs, les tribunaux peuvent ainsi agir sur la base de tout élément qui est logiquement probant, même si ce n’est pas une preuve admissible dans une cour de justice. L’appelante est d’avis qu’il est clair que le soussigné peut recevoir toute preuve qui serait logiquement probante dans le cadre des questions soulevées en appel, questions que formule l’appelante comme étant celles de savoir si l’employeur a déployé des efforts raisonnables et si les rejets systématiques des personnes compétentes proposées par M. Decayette entraînent une renonciation de ses droits.

  • [26] Quant au deuxième motif de recevabilité invoqué par l’appelante, cette dernière définit la preuve présentée à un tribunal comme toute information qui est pertinente et importante. Ainsi, pour être pertinente, l’information doit rendre plus ou moins probable un fait important et, afin d’être importante, l’information doit porter sur une question qui est en cause dans une affaire et peut établir directement ou indirectement des faits. L’avocat de l’appelante soumet à cet égard que le comportement de l’employeur et de M. Decayette à la suite de l’émission de l’instruction constitue une preuve logiquement probante de leur comportement avant l’instruction.

  • [27] Le troisième motif invoqué par l’appelante porte sur la nature de novo de l’audition et l’avocat de l’appelante s’appuie sur les propos de l’agent d’appel dans la décision Securitas Transport Aviation Security Ltd. c. Doyle, 2018 TSSTC 10 (Doyle), qui affirme que l’agent d’appel n’est « pas lié par les conclusions de faits ou les conclusions de la déléguée ministérielle et [qu’il peut] apprécier tous les éléments de preuve pertinents se rapportant aux circonstances qui prévalaient à l’époque de l’instruction, y compris des éléments de preuve qui n’étaient pas mis à la disposition de la déléguée ministérielle ou dont elle n’a pas tenu compte ».

  • [28] L’appelante est donc d’avis qu’il est clair que le soussigné peut examiner la preuve qui a été présentée après l’instruction, tant qu’elle est pertinente aux circonstances au moment de l’instruction et qu’elle n’est utilisée qu’à cette fin. L’appelante réitère que ce qui est demandé à l’agent d’appel est de déterminer si l’employé a déployé des efforts raisonnables pour nommer une personne compétente et si M. Decayette a rejeté ou non de façon systématique ou arbitraire l’impartialité du candidat proposé d’une manière qui constituait une renonciation aux droits de ce dernier, et par conséquent, si la preuve de ce que les parties ont fait à la suite de l’émission de l’instruction visée par l’appel peut être utilisée pour évaluer le comportement et la crédibilité des parties durant la période qui précède l’émission de l’instruction.

  • [29] Dans la situation actuelle, l’appelante soutient que la preuve après mars 2018 (lettre de décision définitive confirmant le manquement au respect de l’instruction) a démontré que l’employeur continuait de bonne foi à présenter des candidats qui convenaient aux critères changeants de M. Decayette. Ces critères changeaient chaque fois qu’une personne compétente était proposée par l’employeur. L’avocat soutient que la preuve concernant les faits survenus après l’émission de l’instruction démontre qu’il est raisonnable de croire que M. Decayette avait adopté le même comportement en 2017 lors du rejet des candidats de l’employeur, et que l’employeur avait déployé des efforts raisonnables pour proposer des personnes compétentes en 2017. L’avocat est d’avis que la preuve en 2018 et en 2019 peut être utilisée pour évaluer les efforts et la crédibilité des parties en 2017. L’appelante est d’avis que ne pas accepter la preuve simplement en raison du fait qu’elle s’est produite après l’événement ne concorde pas avec la nature de novo de l’audience et la grande latitude accordée aux tribunaux pour remplir leur mission qui consiste à rechercher les faits.

  • [30] En ce qui concerne la législation qui régit la nomination d’une personne compétente, l’appelante remarque que, bien que la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. AFPC, 2015 CAF 273, ait indiqué que l’article 20.9 du Règlement n’est pas un « modèle de rédaction législative », elle décrit que la disposition porte sur le redressement et que « son but est d’offrir un redressement aux employés victimes de violence dans le lieu de travail, afin que l’employeur règle la situation de façon appropriée ».

  • [31] Ceci étant dit, l’appelante soutient qu’une interprétation appropriée des dispositions doit appliquer le principe utilisé par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. [1998], 1 R.C.S. 27 (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.) selon lequel les termes d’une loi ne peuvent être lus que « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur », même lorsque la loi est mal rédigée. L’appelante fait valoir que, selon l’intention et régime du Règlement, décrits par la Cour d’appel fédérale et consistant à obliger les employeurs à « affecter le temps et les ressources nécessaires à la gestion des facteurs qui contribuent à la violence dans le lieu de travail, notamment l’intimidation, les taquineries et les comportements injurieux ou agressifs, ainsi qu’à la prévention et la répression de la violence dans le lieu de travail », l’intention législative devrait correspondre aux limites qui devraient être imposées à une partie qui retarde le début d’une enquête.

  • [32] Dans le même ordre d’idées, l’appelante a fait référence à la décision précédemment citée du Tribunal, Association des employeurs maritimes, dans laquelle l’agent d’appel a indiqué relativement à l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement qu’il incombe à l’employeur de définir l’étendue des connaissances et de l’expérience de la personne compétente proposée (gardant le silence, toutefois, concernant l’évaluation de l’impartialité d’une personne compétente proposée) et dans le cas où une partie s’oppose, il revient au délégué ministériel ou à l’agent d’appel d’évaluer l’opposition (notant au même moment les mots de l’agent d’appel, de façon incidente, selon lesquels une application littérale des dispositions se traduisant par la non-obligation de fournir des raisons pourrait mener à un refus systémique, arbitraire ou capricieux d’une personne compétente qui pourrait être vue comme abusif ou discriminatoire), ouvrant ainsi la porte à une sanction appropriée telle qu’une mesure disciplinaire ou à une conclusion de renonciation à des droits.

  • [33] Sur ce point particulier de ses observations, l’appelante soutient qu’il est important qu’il y ait une limite à la capacité d’une partie de contrecarrer le début d’une enquête portant sur un incident de violence dans le lieu de travail. L’appelante est d’avis que le législateur ne pouvait pas avoir eu l’intention de donner à une partie la capacité de retarder une enquête pendant des années en raison du refus de reconnaître l’impartialité d’une quelconque personne autre que celles qu’elle a choisies.

  • [34] L’appelante réitère qu’elle pense que la violence dans le lieu de travail est un problème sérieux et que ce que le Règlement essaie de prévenir est important. Toutefois, l’appelante considère que le cas qui nous occupe illustre une erreur dans la façon dont le Règlement a été rédigé : ce dernier ne prévoit pas de résultat dans le cas où les parties ne s’entendent pas sur l’impartialité d’une personne proposée pour enquêter sur une plainte. Elle est d’avis que l’opinion formulée par la déléguée ministérielle Smith selon laquelle l’une ou l’autre des parties peut s’opposer à l’impartialité d’une personne compétente potentielle sans avoir à fournir de raisons est simplement inapplicable et devrait être écartée. Elle pense également que ce qui s’est passé dans la présente affaire, à savoir, un incident qui a eu lieu en 2016 ne devrait pas faire l’objet d’une enquête en 2019 et que ce n’est sûrement pas ce que le législateur avait prévu avec le présent cadre législatif.

  • [35] L’appelante est d’avis que les employeurs ont besoin d’indications sur ce qui devrait arriver lorsqu’une partie rejette de façon systématique et arbitraire des personnes afin que des délais tels que ceux dans la présente affaire soient évités. L’appelante note que même si M. Decayette a maintenant convenu de l’impartialité d’une personne compétente, le processus pourrait encore traîner, puisque les parties selon la partie XX du Règlement comprennent le demandeur, l’intimée et l’employeur, et l’intimée à la plainte doit encore accepter.

  • [36] L’appelante est donc d’avis que, pour veiller à ce que la nomination d’une personne compétente soit faite rapidement, l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement doit être interprété de façon à ce qu’une personne qui s’oppose à une nomination soit obligée de fournir des raisons précises et logiques à l’employeur pour justifier le fait qu’elle juge qu’une personne compétente proposée n’est pas impartiale. Le défaut de fournir des raisons entraînerait une renonciation au droit de s’opposer à l’impartialité. Cette interprétation e compatible avec ce qui est présenté par le délégué ministériel initial (M. Lefort), qui a reçu une PCV de l’employeur avant l’émission par la déléguée ministérielle Smith de l’instruction portée en appel, et qui a conseillé que [traduction] « l’approbation ou le rejet (avec raisons) » soit consigné et que [traduction] « l’employeur aborde toutes les objections raisonnables soulevées par les parties », où la déléguée ministérielle Smith est finalement arrivée à une autre décision quant à la fourniture de raisons sur les objections.

  • [37] Selon l’appelante, le libellé de l’alinéa 20.9(1)a) contient un élément objectif et un élément subjectif. Si l’on suit le libellé de la disposition, une personne compétente est une personne qui est d’abord impartiale, puis qui est considérée comme étant impartiale, toutes les autres exigences d’une personne compétente dans la disposition sont objectives. L’appelante soutient que la partie objective peut être analysée de façon objective et que la preuve démontre qu’il n’y avait aucun motif de croire que les trois personnes proposées initialement par l’employeur (Mmes Spence, Macdonald et Ouellette) n’étaient pas objectivement impartiales, puisqu’il a bien été précisé que les trois personnes ne connaissaient pas les parties, qu’elles avaient été retirées de la situation, qu’elles n’avaient aucun intérêt dans l’issue et que les inquiétudes de M. Decayette étaient spéculatives.

  • [38] Quant à l’aspect subjectif de la notion, l’appelante se reporte au libellé de l’agent d’appel Hamel dans Association des employeurs maritimes, selon lequel « le critère d’impartialité énoncé à l’alinéa a) évoque une notion subjective de l’impartialité et s’en remet à la perception des parties en cause [...] Le législateur a clairement privilégié une approche consensuelle sur la question de l’impartialité ». Il s’agirait d’une conclusion inévitable que de supposer que le législateur a voulu que le mécanisme fonctionne, qu’une personne compétente soit nommée et qu’une enquête soit tenue en temps utile, ce qui suppose en outre que les parties soient sincères lorsqu’elles s’opposent à l’impartialité d’une personne compétente proposée et que les raisons logiques au soutien de cette opposition soient communiquées à l’autre partie, à défaut de quoi il sera impossible de nommer une personne compétente appropriée et considérée comme impartiale et le mécanisme prévu par la loi ne pourrait pas atteindre ses objectifs.

  • [39] Quant aux deux exigences restantes relatives à une personne compétente, l’appelante les considère comme un critère objectif qui peut être mesuré et dont l’employeur a la responsabilité d’évaluer. Les objections doivent être évaluées par un délégué ministériel ou un agent d’appel. L’appelante soutient que la preuve établit que les qualifications des trois personnes proposées initialement ont démontré qu’elles avaient les connaissances, la formation et l’expérience relatives aux problèmes de violence dans le lieu de travail ainsi que le savoir relatif à la législation pertinente, ce qui rend les objections de M. Decayette quant aux qualifications complètement infondées. Dans l’ensemble, les observations de l’appelante sur ce point sont, sans égard au manque de clarté de la disposition applicable du Règlement, que le mécanisme créé par ce dernier doit être lu d’une façon qui ne déjoue pas son objectif, ce que fait exactement un délai de trois ans pour commencer l’enquête.

  • [40] Lorsqu’une plainte a été déposée auprès du Programme du travail par M. Decayette, l’employeur a fourni une PCV pour nommer une personne compétente et a essayé de le faire aux termes de la Politique sur la prévention de la violence en milieu de travail de l’ASFC qui définit une personne compétente comme un gestionnaire de la sécurité nationale. Comme l’a démontré la preuve, M. Decayette s’est opposé aux trois personnes compétentes proposées, à ce moment, ce qui a mené l’employeur à conclure que l’employé s’opposait systématiquement à toutes les personnes proposées et qu’il abusait de ses droits, et à décider de nommer une personne compétente (Mme Ouellette) qui répondait au critère original formulé par l’employé (ne vient pas de la même région que l’employé).

  • [41] La plainte subséquente au Programme du travail dans le cadre de laquelle la déléguée ministérielle Smith a été affectée à l’affaire a mené cette dernière à conclure que l’employeur n’avait pas déployé tous les efforts raisonnables pour nommer une personne compétente, et a rejeté la notion qu’une partie avait besoin de fournir des objections raisonnables à l’impartialité. Durant le reste de l’année 2018, l’employeur a proposé des personnes compétentes et l’employé s’est opposé à ces dernières selon ce que l’appelante décrit comme un critère changeant, tout en suggérant ses propres personnes qui ne répondaient pas à son propre critère établi, ce qui s’est soldé en juin 2019 par l’acception de M. Decayette d’une personne qu’il avait initialement rejetée en 2018. L’appelante est d’avis que les propres mots de M. Decayette, tels qu’ils sont tirés du rapport du délégué ministériel, confirment que ce dernier a toujours été d’avis que le rejet d’une personne compétente potentielle doit être justifié ou fondé sur des raisons valides ou logiques, démontrent l’arbitraire de son comportement et constituent un abus de droit.

  • [42] L’appelante soutient comme troisième argument dans ses observations que la déléguée ministérielle a tiré des conclusions déraisonnables et a mal interprété le Règlement. Selon l’allégation de conclusions déraisonnables, l’appelante soutient que la déléguée ministérielle Smith n’aurait pas pu fonder son instruction sur les faits qu’elle prétend avoir examinés. En effet, alors qu’elle indique dans son rapport qu’elle a évalué les efforts de l’employeur selon certains éléments et selon [traduction] « les raisons fournies par la partie qui s’oppose à une personne compétente et toute autre affiliation entre les personnes compétentes proposées [et] l’autre partie », la chronologie des courriels consignés dans le rapport de la déléguée ministérielle illustre clairement qu’elle n’a jamais tenu compte de ces critères finaux.

  • [43] Selon l’appelante, un courriel de la déléguée ministérielle à M. Decayette, daté du 22 décembre 2017, informait ce dernier qu’elle statuerait à l'encontre de l’employeur et émettrait une instruction, indiquant donc qu’elle avait tiré une conclusion sur les efforts de bonne foi de l’employeur. Le 28 décembre 2017, elle a envoyé un autre courriel à M. Decayette lui demandant particulièrement, dans le cadre de son enquête, les autres raisons justifiant ses objections relatives à l’impartialité ainsi que s’il y avait des [traduction] « affiliations sociales, professionnelles ou culturelles entre ce dernier et les personnes compétentes proposées », un courriel qui n’a reçu de réponse que le 5 janvier 2018, alors que l’instruction avait été émise le 29 décembre 2017.

  • [44] L’appelante soutient donc que la déléguée ministérielle Smith a rendu sa conclusion avant d’examiner la preuve sur laquelle elle allègue s’être fiée, et que la situation devrait être attribuée à sa compréhension erronée du Règlement selon laquelle une partie peut s’opposer à une impartialité sans fournir de raison, ce qui constitue en soi un motif pour annuler l’instruction. Ce qui précède démontre également la mauvaise compréhension de la déléguée ministérielle du Règlement. Selon l’appelante, la position prise par la déléguée ministérielle selon laquelle l’approbation ou le rejet par une partie d’une personne compétente sur l’impartialité n’a pas besoin d’être raisonnable rend le mécanisme réglementaire difficilement applicable et peut mener une partie à abuser de ses droits.

  • [45] L’appelante fait valoir que la position prise par la déléguée ministérielle semble avoir été adoptée selon les commentaires faits de façon incidente par l’agent d’appel Hamel dans Association des employeurs maritimes et lus comme étant l’état du droit. L’appelante soutient que la preuve qui a été déposée dans le cadre de cet appel a démontré une telle erreur, puisque M. Decayette modifiait constamment son critère pour justifier ses objections répétées aux personnes compétentes proposées qui n’avaient pas été choisies par lui tout en alléguant simultanément qu’il n’avait pas à fournir de critères, une approche illogique qui était partagée par la déléguée ministérielle Smith, mais étonnamment pas par le précédent délégué ministériel (M. Lefort) qui pensait que des raisons étaient nécessaires.

  • [46] En résumé, l’appelante est d’avis que, puisque la violence dans le lieu de travail est un problème sérieux et que le législateur a mis en place un mécanisme de réglementation pour régler ce problème, qui doit être interprété d’une façon qui ne va pas à l’encontre de son objet. Pour être une personne compétente, une personne doit être impartiale et être considérée comme telle. Même s’il y a un aspect subjectif à cette nomination, on ne doit pas en abuser d’une façon qui peut entraver une enquête sur la violence dans le lieu de travail, et le Règlement doit être interprété uniformément.

  • [47] À ce titre, l’appelante est d’avis que le présent appel doit être accueilli, puisque la conclusion tirée par la déléguée ministérielle n’est pas corroborée par la preuve et qu’elle est fondée sur une mauvaise interprétation du Règlement et la jurisprudence. La capacité de novo du Tribunal devrait permettre d’arriver à la conclusion que l’employeur a déployé des efforts de bonne foi pour nommer une personne compétente et que le plaignant, M. Decayette, a abusé de ses droits en rejetant de façon arbitraire toutes les personnes compétentes proposées par l’employeur sans motif logique ou cohérent.

Une partie devrait fournir des raisons logiques pour s’opposer à une impartialité.

La déléguée ministérielle Smith a tiré des conclusions déraisonnables et a mal interprété le Règlement.

Observations de l’intimée

  • [48] Les observations de l’intimée reposent sur une description des faits qui sous-tendent la présente affaire et qui, d’un point de vue général, ne diffèrent pas beaucoup de ceux sur lesquels reposent les observations de l’appelante. Toutefois, bien que les deux descriptions couvrent de façon générale les événements qui précèdent la première plainte, la première plainte en soi et son traitement par le délégué ministériel Lefort (y compris la PCV qui a été fournie, les trois personnes compétentes proposées et la deuxième plainte qui a finalement donné lieu à l’instruction de la déléguée ministérielle Smith qui est portée en appel, ainsi que ce qui a été décrit comme une lettre de décision finale par la déléguée ministérielle, datée du 13 mars 2018, et par conséquent, une période de trois mois après l’instruction qui a donné comme date limite de conformité le 12 janvier 2018), il y a une différence notable dans l’importance donnée par chaque partie à leur description.

  • [49] Dans sa description des faits, l’appelante a souligné les circonstances qui ont suivi l’émission de l’instruction qui se rapportait à la deuxième plainte, les nombreuses personnes compétentes proposées par l’employeur et les différentes raisons invoquées par M. Decayette pour les refuser, sans doute pour soutenir l’allégation d’obstruction systématique de l’appelante qui s’est soldée par un abus de droits et une renonciation à ceux-ci. Elle a également indiqué qu’elle souscrivait à la position du premier délégué ministériel (M. Lefort) qui adopte une interprétation différente de la loi. L’opinion de l’intimée divergeait concernant la question de savoir si l’incident initial entre M. Decayette et un autre employé avait été réglé avant la première plainte, qui sous-tend le changement finalement convenu et apporté à la politique sur la prévention de la violence dans le lieu de travail de l’employeur. Ce changement consistait à retirer la désignation restrictive de « gestionnaire de la sécurité régionale » de la définition de « personne compétente » en raison de la position de ce titre dans la hiérarchie de l’ASFC. L’intimée a souligné les raisons invoquées par M. Decayette pour refuser les trois premières personnes proposées comme des personnes compétentes à la suite de la remise de la PCV au délégué ministériel Lefort, le manque de considération accordée par l’employeur aux personnes proposées comme personne compétente par M. Decayette et les raisons invoquées par la déléguée ministérielle Smith au soutien de sa conclusion lorsqu’elle a émis l’instruction.

  • [50] À ce titre, concernant la première personne proposée (Mélanie Bussière) environ neuf mois après que M. Decayette eut initialement signalé l’incident et qu’il eut finalement porté plainte, ce dernier a expliqué lors de l’audience que, étant donné les rôles et responsabilités d’un gestionnaire de la sécurité régionale, comme Mme Bussière, qui faisait partie de la même région administrative que lui, il avait indiqué au directeur Steve MacNaughton, qui à ce moment était responsable du déroulement du processus de plainte, qu’il était raisonnable de présumer que la décision prise initialement par l’employeur de ne pas enquêter sur sa plainte avait été rendue en consultation avec d’autres représentants de l’ASFC dont les rôles et responsabilités étaient bien définis dans la politique de l’ASFC et qu’il croyait que les gestionnaires de la sécurité régionale, en particulier la gestionnaire (Bussière) qui était affectée à la Région du Nord de l’Ontario, auraient pu avoir été consultés relativement à la décision de ne pas enquêter, le menant ainsi à penser que Mme Bussière n’était pas impartiale.

  • [51] La deuxième personne (Mme Kimberley Spence MacDonald) proposée comme personne compétente par le directeur MacNaughton et dont le curriculum vitæ a été fourni à M. Decayette, était aussi une gestionnaire de la sécurité régionale, sauf qu’elle était affectée à une autre région.En outre, le manque de maîtrise du français de cette personne, la langue de prédilection de M. Decayette, et la demande de M. Decayette qu’une personne compétente bilingue soit choisie pour réaliser l’enquête, a mené le directeur à chercher une autre personne.

  • [52] La troisième personne proposée comme personne compétente a été présentée à M. Decayette le 25 septembre 2017, lorsque le profil d’une personne compétente, Mme Sylvie Ouellette, lui a été fourni. Mme Ouellette était gestionnaire des services de santé et sécurité au travail des Affaires autochtones et du Nord Canada et elle n’était donc pas embauchée par l’ASFC. L’avis de l’intimée est qu’en rejetant la personne du fait qu’il ne [traduction] « considérait pas l’enquêteuse proposée comme impartiale », M. Decayette n’a pas simplement rejeté cette personne sans motif, il en a fourni un par la suite le 21 octobre 2017 après avoir été informé le 19 octobre 2017 que l’employeur nommerait une personne [traduction] « en l’absence d’explication quant à son objection relative à l’impartialité ».

  • [53] À cet égard, à l’audience, M. Decayette a expliqué que les gestionnaires en santé et sécurité au travail de toute la fonction publique fédérale se réunissaient tous les ans pour discuter des plaintes en cours et partager des renseignements sur celles-ci et qu’il croyait que son cas avait fait l’objet de discussions pendant ces réunions, ce qui nuisait à l’impartialité de Mme Ouellette. Il a également ajouté, lors de son témoignage, vu son rôle de représentant syndical, et la relation acrimonieuse entre l’employeur et le syndicat sur des questions de violence dans le lieu de travail, un gestionnaire du gouvernement fédéral peut entretenir des idées préconçues qui teinteraient son enquête sur une plainte déposée par un représentant syndical.

  • [54] Même si dans ses observations, M. Decayette a fait une distinction entre le rejet des personnes proposées du fait qu’elles étaient des employées de la fonction publique ou qu’elles faisaient partie de la direction et le rejet en raison des expériences professionnelles particulières des personnes proposées et du poste qu’elles occupaient à l’ASFC et à la fonction publique, M. Decayette a écrit dans ses observations que c’est le 30 octobre 2017, après avoir fourni les explications susmentionnées, que le gestionnaire MacNaughton l’a informé que l’enquête serait malgré tout menée par Mme Ouellette, faisant fi du rejet de M. Decayette, ce qui a mené à la deuxième plainte de M. Decayette, et à l’instruction subséquente par la déléguée ministérielle Smith qui est au centre du présent appel.

  • [55] En ce qui concerne ladite instruction, en se fondant sur le témoignage de la déléguée ministérielle ainsi que sur celui de Lance Merkel, qui a finalement remplacé le gestionnaire MacNaughton pour traiter avec M. Decayette, et les efforts déployés pour nommer une personne compétente après l’instruction, l’intimée soutient que la déléguée ministérielle Smith a affirmé qu’elle s’est fiée aux renseignements fournis par les parties avant d’émettre son instruction, notamment les personnes compétentes proposées à M. Decayette, ses réflexions concernant ces personnes proposées et ses discussions avec l’ASFC à l’égard desdites personnes. Elle a conclu que même si trois personnes ont été proposées à M. Decayette, seulement deux d’entre elles étaient de vraies personnes compétentes puisque l’une (Mme MacDonald) ne répondait pas aux exigences linguistiques pour réaliser l’enquête dans deux langues.

  • [56] L’intimée soutient que la déléguée ministérielle Smith a déclaré que dans le cadre de son enquête, elle s’était demandé si M. Decayette avait abusé de ses droits en refusant les trois personnes proposées, mais elle a conclu le contraire puisque l’employeur n’avait proposé que trois personnes dont l’une d’entre elles ne respectait pas les exigences linguistiques et que M. Decayette avait fourni des raisons pour refuser les trois. Elle a expliqué que, selon elle, c’est à la personne impliquée dans la plainte de déterminer si une personne est impartiale ou non et que ce n’est pas aux autres de décider si une personne proposée répond au critère d’impartialité.

  • [57] En ce qui concerne la période entre l’émission de l’instruction le 29 décembre 2017 et l’émission de la lettre définitive de détermination de la déléguée ministérielle le 13 mars 2018, l’intimée note que la déléguée ministérielle Smith a justifié l’émission de cette lettre par le fait que l’appelante n’avait pris aucune mesure depuis l’émission de l’instruction pour proposer d’autres personnes que les trois personnes qui avaient été refusées avant l’instruction et qu’elle n’avait pas tenu compte d’une personne proposée par M. Decayette (même si cette même personne avait été proposée par l’ASFC et nommée comme personne compétente dans d’autres affaires quelques mois plus tard). La déléguée ministérielle Smith en a alors conclu que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour se conformer à l’instruction qui avait été émise. Cette conclusion se distingue de celle concernant le respect de l’exigence du Code et du Règlement de nommer une personne considérée comme impartiale, ce qui aurait plutôt mené à l’émission d’une instruction.

  • [58] Comme il est indiqué ci-dessus, l’appelante a cherché à déposer en preuve le fait que certaines personnes compétentes ont été proposées pour approbation après l’émission de l’instruction et la conclusion par la déléguée ministérielle, dans une lettre définitive de détermination, que l’appelante ne s’était pas conformée à l’instruction. Les réponses détaillées de M. Decayette à ces propositions font partie du sommaire des observations de l’appelante et il n’est donc pas nécessaire de les répéter ici. Toutefois, dans ses observations, l’intimée indique que M. Decayette a été informé qu’une personne qu’il avait proposée ne serait pas prise en compte comme personne compétente puisque c’est à l’employeur que revenait la responsabilité de choisir la personne compétente, et que si M. Decayette soulevait des questions relativement à l’impartialité d’une personne compétente proposée, des raisons pour justifier ce refus devraient être fournies.

Personne compétente proposée – Mme Mélanie Bussière
Personne compétente proposée – Mme Kimberley Spence MacDonald

Nomination d’une personne compétente – Mme Sylvie Ouellette

Instruction émise par la déléguée ministérielle Smith

Les faits après l’instruction

  • [59] Relativement à la question préliminaire soulevée par l’appelante concernant l’admissibilité des éléments de preuve concernant des faits survenus après l’émission de instruction, l’intimée s’est opposée à tout élément de preuve obtenu après la lettre définitive de détermination du 13 mars 2018 susmentionnée, indiquant que ces éléments de preuve ne sont pas pertinents pour trancher l’appel, qui traite de l’instruction émise le 29 décembre 2017 par la déléguée ministérielle Smith, mais n’a étonnamment pas souligné le fait que ladite instruction imposait une date de conformité fixée au 12 janvier 2018. Relativement à cette question préliminaire, l’intimée soutient qu’il est clair, selon la jurisprudence du Tribunal, que des éléments de preuve concernant des faits survenus après l’émission d’une instruction ne peuvent pas être pris en compte par le Tribunal aux fins du présent appel puisque le litige présenté au Tribunal ne consiste pas à savoir si l’employeur s’est conformé à l’instruction après le fait, mais plutôt si l’instruction a été émise à juste titre.

  • [60] L’intimée soutient que le Tribunal a toujours reconnu qu’un élément de preuve admis doit être présenté pour répondre à une ou plusieurs questions qui sont essentielles à l’appel. La question dans la présente affaire est de déterminer si l’appelante a, en effet, contrevenu à l’alinéa 125(1)z.16) du Code et au paragraphe 20.9(3) du Règlement au moment de l’émission de l’instruction et si, par conséquent, l’instruction est bien fondée dans les circonstances qui ont mené à son émission. Comme il est indiqué ci-dessus, la position de l’intimée s’appuie sur la jurisprudence du Tribunal, en particulier la décision intitulée Ville d’Ottawa (OC Transpo) c. MacDuff, 2016 TSSTC 2 (MacDuff), qui défend le principe selon lequel la procédure d’appel établie par le Code prévoit qu’une enquête doit nécessairement se rapporter aux circonstances existant au moment où la décision (instruction) portée en appel, a été rendue et que, même si un agent d’appel peut examiner de nouveaux éléments de preuve qui peuvent ne pas avoir été rassemblés par un délégué ministériel, ces soi-disant nouveaux éléments de preuve, qu’ils remontent ou non à l’époque de la décision (instruction) ou qui surviennent après celle-ci, doivent se rapporter aux circonstances sur lesquelles la personne qui a pris la décision (instruction) a enquêté.

  • [61] Quant à l’objectif de l’appelante consistant à demander au Tribunal d’examiner un élément de preuve soumis après l’instruction pour démontrer que l’employeur a déployé des efforts raisonnables pour nommer une personne compétente après l’instruction, en d’autres mots, qu’il a déployé des efforts pour se conformer à l’instruction, l’intimée soutient que cet élément de preuve n’a pas été soumis à la déléguée ministérielle lorsque cette dernière a décidé d’émettre l’instruction portée en appel, et que, de ce fait, elle ne peut pas être prise en compte par le Tribunal pour trancher l’appel. Une fois de plus, la conclusion de l’intimée s’appuie sur la décision MacDuff.

  • [62] En outre, l’intimée est d’accord avec l’argument avancé par l’appelante selon lequel le Tribunal tient une audience de novo et qu’il a donc le droit d’examiner tous les éléments de preuves pertinents et importants. L’intimée soutient, toutefois, que conformément aux mots de l’agent d’appel dans la décision Doyle, il faut apprécier « tous les éléments de preuve pertinents se rapportant aux circonstances qui prévalaient à l’époque de l’instruction [soulignement ajouté], y compris des éléments de preuve qui n’étaient pas mis à la disposition de la déléguée ministérielle ou dont elle n’a pas tenu compte », et cela signifierait qu’en conséquence, les faits qui surviennent après l’émission d’une instruction ne pourraient pas être pertinents à l’époque de l’instruction et qu’ils vont, dans la présente affaire, bien au-delà de la compétence du Tribunal puisqu’ils ne font pas l’objet de l’appel.

  • [63] En recourant aux mots utilisés par la déléguée dans son instruction, l’intimée a réduit la question à régler à déterminer simplement si l’appelante a contrevenu au Code et à son Règlement en ne nommant pas une personne compétente qui était impartiale, et qui était considérée comme impartiale par les parties impliquées, pour enquêter sur un incident de violence dans le lieu de travail, et si l’instruction émise par la déléguée ministérielle le 29 décembre 2017 était bien fondée.

  • [64] Le libellé du Règlement énonçant l’obligation de nommer une « personne compétente » pour enquêter sur une allégation de violence dans le lieu de travail n’étant pas en cause, l’intimée soutient que l’insatisfaction de M. Decayette face à la tentative de l’employeur de résoudre l’incident entraîne l’obligation pour l’employeur en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement de nommer une personne compétente répondant au critère énoncé au paragraphe 20.9(1) du Règlement. Par conséquent, l’examen du libellé de l’instruction en cause doit se limiter à l’analyse de la condition d’impartialité imposée à l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement, soit l’impartialité des personnes sélectionnées par l’employeur pour mener une enquête sur la violence alléguée par M. Decayette.

  • [65] L’intimée soutient que le libellé utilisé dans le Règlement pour définir une « personne compétente », à savoir, une personne qui est impartiale et est considérée comme impartiale, introduit dans la définition deux critères, un critère objectif (est) et un critère subjectif (est considérée comme), qui ont été reconnus par le Tribunal dans sa jurisprudence. Le Tribunal a également confirmé que les deux aspects du critère doivent être respectés pour que la personne soit considérée comme une « personne compétente », et ce, dans les mots suivants dans Ressources naturelles Canada et IPFPC,2018 TSSTC 1 (Ressources naturelles Canada) :

L’instruction émise par la déléguée ministérielle Smith était bien fondée

[144] La conjonction de « est » et « est considérée » exprimée au présent signifie, d’après le soussigné, que bien que les parties à une plainte de violence dans le lieu de travail devant faire l’objet d’une enquête doivent percevoir (« est considérée ») la personne nommée comme impartiale, la perception étant une notion tout à fait subjective, cela signifie que différentes personnes peuvent comprendre le mot « impartiale » de différentes façons. En outre, comme la ou les personnes proposées pour être nommées pour faire enquête le seraient par une partie (l’employeur) qui n’est pas partie à la plainte, cette partie (l’employeur) doit se conformer à un critère plus rigoureux, soit celui de proposer la nomination d’une personne (ou de plusieurs personnes) qui « est » effectivement impartiale, de façon objective.

[soulignement ajouté]

  • [66] L’intimée soutient à l’égard du critère d’impartialité que dans la présente affaire, ce n’est pas l’impartialité objective des personnes proposées par l’employeur qui est en cause, mais plutôt le point de vue subjectif de M. Decayette, selon lequel les personnes proposées manquaient d’impartialité, et qu’il a été précisé par le Tribunal que la législation est claire et sans équivoque sur le fait que les deux parties doivent convenir que la personne proposée par l’employeur est impartiale afin que cette dernière soit nommée comme personne compétente. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, cela signifie que la personne proposée ne peut pas être nommée. À ce titre, l’intimée affirme que la position prise par le Tribunal dans Association des employeurs maritimes ne pourrait pas être plus claire concernant l’aspect subjectif du critère :

[54][…] Il me semble incontestable que le critère d’impartialité énoncé à l’alinéa a) évoque une notion subjective de l’impartialité et s’en remet à la perception des parties en cause. Le texte est clair et ne se prête à aucune interprétation, surtout lorsqu’on le compare à la formulation des exigences d’expérience, de formation et de connaissances.

[55] Le législateur a clairement privilégié une approche consensuelle sur la question de l’impartialité. En insérant les mots et est considérée comme telle par les parties après le mot impartiale, il a clairement exigé que les parties soient d’accord sur la question de l’impartialité de la personne proposée par l’employeur. La version anglaise de ce même alinéa est également claire [… is impartial and is seen by the parties to be impartial] et exige aussi que les parties considèrent la personne comme impartiale, sans réserve ou exception. À défaut d’un accord, la personne proposée ne peut tout simplement pas être nommée.

[56] On peut en conclure que le législateur considérait comme primordial que les parties soient d’accord sur l’impartialité de la personne désignée pour mener l’enquête dont les objectifs sont décrits aux paragraphes 20.9(3) et suivants du Règlement. Nul doute que l’objectif recherché par le législateur est d’assurer la crédibilité des recommandations que cette personne doit formuler au terme de son enquête et favoriser leur acceptation par toutes les parties en cause.

[soulignement ajouté]

  • [67] Étant donné l’obligation légale selon laquelle les deux parties doivent s’entendre sur l’impartialité de la personne désignée pour mener l’enquête, l’intimée soutient également, selon la décision du Tribunal dans Emploi et Développement social Canada c. Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada, 2018 TSSTC 11 (Emploi et Développement social Canada), qu’étant donné l’importance de ce critère, sans entente, la personne proposée pour agir en tant que personne compétente ne peut pas être considérée comme telle en vertu du Règlement, et que, selon la décision dans Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 TSSTC 5, une telle acceptation/entente doit être « claire, sans équivoque, éclairée et sans réserve pour qu’elle atteigne l’objectif visé par le législateur », ce qui mène clairement à la conclusion, la même qui a été tirée dans Association des employeurs maritimes qu’il suffit qu’une partie ne considère pas la personne proposée pour faire l’enquête comme étant impartiale, pour que cette personne ne puisse agir en tant que personne compétente, et que le refus de considérer une personne impartiale doit être motivé et justifié.

  • [68] Relativement à la position de l’appelante, une position que l’appelante cherche à fonder sur des éléments de preuve se rapportant à des événements ou à des actes qui se sont produits après l’instruction, et selon laquelle M. Decayette a systématiquement et abusivement refusé toutes les personnes proposées pour enquêter sur sa plainte, l’intimée prend acte des propos précédemment tenus par le Tribunal. Ce dernier affirme que le fait de ne pas exiger de raisons pour un refus pourrait entraîner des situations d’abus par un plaignant qui refuserait systématiquement une personne proposée d’une façon discriminatoire, sexiste, capricieuse ou arbitraire. Une telle approche abusive ou discriminatoire peut être perçue comme une violation du principe légal bien établi qu’une personne qui abuse de ses droits peut être punie au moyen de mesures disciplinaires ou cet abus peut être interprété comme une renonciation des droits conférés par le paragraphe 20.9(3) du Règlement. Malgré un tel avertissement du Tribunal, l’intimée soutient que le Tribunal a précisé que, même en de telles situations, les raisons fournies pour refuser une personne proposée ne devraient pas être examinées minutieusement aux fins de validité, et qu’elles ne doivent servir qu’à déterminer si le comportement de la partie qui a refusé la personne a été abusif.

  • [69] Retournant plus précisément aux faits de l’affaire, l’intimée formule certaines conclusions. Premièrement, concernant la nomination de Mme Sylvie Ouellette comme personne compétente par l’employeur, l’intimée soutient que l’ASFC n’a pas nommé une personne compétente qui répond au critère déterminatif prévu dans le Règlement, à savoir, « qui est considérée comme [impartiale] par les parties impliquées » pour enquêter sur un incident de violence dans le lieu de travail. L’intimée soutient à cet égard que M. Decayette a clairement indiqué qu’il n’avait pas accepté Mme Ouellette puisqu’il ne la considérait pas comme impartiale et qu’il avait clairement informé l’employeur des raisons de ce refus qui porte sur les activités professionnelles quotidiennes de la personne proposée ainsi que sur le manque de confiance de M. Decayette envers l’employeur, au vu du traitement de sa plainte. Par conséquent, lorsque l’ASFC a nommé Mme Ouellette, elle n’a pas nommé une personne compétente en vertu du paragraphe 20.9(1) et a contrevenu au paragraphe 20.9(3) du Règlement.

  • [70] Deuxièmement, l’intimée soutient que M. Decayette n’a pas agi de façon arbitraire ou abusive en refusant les trois personnes qui ont été proposées comme personnes compétentes puisqu’il a demandé et examiné leur curriculum vitæ, lorsqu’il lui a été fourni, qu’il a fourni des raisons claires pour justifier chaque refus et qu’il a indiqué que l’impartialité de ces personnes pouvait être remise en question. Dans chaque cas, M. Decayette a refusé les personnes proposées en raison du poste qu’elles occupaient à l’ASFC et au Conseil du Trésor et de son manque de confiance envers son employeur. Le refus a par la suite été appuyé par la décision de ne plus nommer de gestionnaires de la sécurité régionale comme personnes compétentes. La conclusion de l’intimée est que les raisons de M. Decayette pour refuser chacune des personnes proposées étaient fondées sur des considérations objectives se rapportant à chaque personne proposée.

  • [71] En outre, l’intimée soutient également que la loi et la jurisprudence sont claires : la perception qu’a une partie de l’impartialité d’une personne proposée est nécessairement subjective, et même si l’employeur a jugé que les raisons de M. Decayette étaient déraisonnables ou invalides, aucun élément de preuve ne démontre que M. Decayette a agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire. Même s’il y a consensus dans la jurisprudence du Tribunal à l’égard du fait que le refus de consentir à la nomination d’une personne n’a pas à être motivée ou justifiée, M. Decayette a fourni des raisons claires et logiques, selon lui, pour refuser la personne proposée. Comme autre élément sur cette question, l’intimée déclare que l’ASFC a fait preuve de mauvaise foi lorsqu’elle a refusé la personne proposée (Cantin) par M. Decayette en ne fournissant aucune réponse et en nommant cette même personne dans d’autres dossiers. L’intimée fait valoir que bien que ce soit l’employeur qui nomme une personne compétente, rien dans le Règlement n’indique que seul l’employeur est responsable de proposer des personnes comme personne compétente.

  • [72] Troisièmement, l’intimée conclut que l’instruction émise le 29 décembre 2017 par la déléguée ministérielle Smith était bien fondée, puisqu’aucun élément de preuve ne démontre que M. Decayette a abusé de ses droits en refusant les trois personnes proposées ou qu’il s’est opposé de façon systématique ou arbitraire aux personnes proposées au point de renoncer à ses droits. Au contraire, il a évalué chaque personne proposée avec diligence et a fourni à l’employeur des raisons claires pour justifier le fait qu’il ne pensait pas que ces personnes étaient impartiales. L’intimée est d’avis que, compte tenu de cet argument seulement, l’instruction est bien fondée, malgré le fait que dans une lettre définitive de détermination émise environ trois mois après l’instruction en soi, la déléguée ministérielle a réitéré les conclusions de l’instruction après avoir reçu des renseignements supplémentaires de l’ASFC et de M. Decayette.

  • [73] Finalement, relativement à l’observation de l’appelante selon laquelle un refus de considérer une personne impartiale doit être justifié par des raisons logiques, l’intimée soutient que rien dans le Règlement n’indique qu’une partie qui s’oppose à une personne proposée doit fournir des raisons pour s’opposer à l’impartialité de cette dernière. Elle remarque plutôt que la jurisprudence du Tribunal dans Association des employeurs maritimes confirme le contraire et indique que ce n’est pas nécessaire :

Réponse aux observations de l’appelante

[59][…] Ainsi, je ne souscris pas à la prétention de l’appelante selon laquelle un refus de considérer une personne impartiale doit être motivé et justifié : une telle approche ajoute selon moi une condition de fond au texte de loi, que je considère sans équivoque et ne se prêtant à aucune interprétation ou réserve.

  • [74] Cette conclusion est soutenue par la décision Emploi et Développement social Canada qui indique ce qui suit :

[139] […] Tout comme l’agent d’appel Hamel, je suis de plus d’avis qu’il ne m’appartient pas de décider si les raisons données par Mme A pour refuser, sur le critère de l’impartialité, les personnes proposées par son employeur sont valables. Selon ce que stipule l’alinéa 20.9(1)a), il incombe à l’employeur d’obtenir l’accord de chaque partie impliquée sur l’impartialité d’une personne « compétente » pour mener une enquête, au titre du paragraphe 20.9(3) sur les allégations de violence dans le lieu de travail.

  • [75] De plus, relativement à la subjectivité des raisons, l’intimée soutient qu’en plus de ne pas être obligé de fournir des raisons pour s’opposer à une personne proposée, ni le Tribunal ni l’employeur n’est en position pour évaluer si les raisons subjectives d’une partie pour s’opposer à l’impartialité d’une personne sont logiques, et par conséquent, le fait que l’employeur juge la ou les raisons du refus illogiques n’est pas pertinent à la détermination d’impartialité par la partie, étant donné l’élément subjectif d’une telle détermination.

  • [76] Finalement, l’intimée remarque que M. Decayette a lui-même proposé trois personnes qui n’ont pas été prises en compte par l’employeur ou qui ont été refusées par ce dernier. L’employeur était d’avis que la responsabilité de nommer une personne compétente revenait seulement à l’employeur qui, par conséquent, est le seul qui pouvait proposer des personnes, ce qui soutient l’allégation que c’est l’employeur qui a fait preuve de mauvaise foi et qui s’est comporté de façon arbitraire et non M. Decayette.

  • [77] Pour ces raisons, l’intimée demande que l’appel soit rejeté et que l’instruction émise par Mme Smith le 29 décembre 2017 soit confirmée.

  • [78] Réplique

  • [79] Dans sa brève réplique, l’appelante clarifie certains points concernant les termes utilisés pour décrire les deux agents des services frontaliers auxquels s’est opposé M. Decayette et qui sont au centre du dossier (armé ou non armé), et l’allégation que M. Decayette savait que la personne compétente potentielle, Mme Ouellette, était peut-être déjà au courant de sa plainte, allégation qu’elle qualifie comme étant spéculative, et l’exactitude de certaines dates, de certains délais ou commentaires sur une personne proposée (Cantin) suggérée par M. Decayette.

  • [80] En outre, l’appelante s’oppose à la prétention de l’intimée à l’effet qu’il n’y a rien dans le Règlement qui indique que seulement l’employeur est responsable de nommer une personne compétente (qui n’est pas le terme utilisé, mais plutôt « proposer »). Elle affirme que, même si le Règlement n’indique pas explicitement qui doit proposer une personne compétente, la jurisprudence semble suggérer que puisque l’employeur est obligé de nommer une personne compétente, et qu’il est chargé d’évaluer les connaissances et l’expérience de la personne compétente, cela signifie pratiquement que c’est l’employeur qui doit proposer des personnes compétentes, tel que stipulé dans Association des employeurs maritimes « [le législateur] a clairement exigé que les parties soient d’accord sur la question de l’impartialité de la personne proposée par l’employeur. »

  • [81] Finalement, en ce qui concerne l’allégation de l’intimée selon laquelle le Tribunal ne devrait pas tenir compte des éléments de preuve concernant des faits survenus après le 13 mars 2018, qui est la date de la lettre définitive de détermination de la déléguée ministérielle Smith dans laquelle cette dernière conclut que l’instruction n’a pas été respectée, l’appelante réitère que, comme il est indiqué dans Ressources naturelles Canada, le Tribunal peut recevoir des « éléments de preuve supplémentaires tant qu’ils sont pertinents à la question en litige [...] », soutenant que si le Tribunal accepte les observations de l’intimée, il devrait également ne pas tenir compte des éléments de preuve soumis après le 13 mars 2018 concernant l’entente de modifier la politique sur la prévention de la violence dans le lieu de travail de l’employeur le 20 avril 2018.

  • [82] Le paragraphe 146.1(1) du Code décrit le pouvoir d’un agent d’appel lorsqu’une instruction émise par un délégué ministériel est portée en appel. Il se lit comme suit :

Analyse

Éléments de preuve concernant des faits survenus après l’instruction

146.1(1) Saisi d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

  • [83] Une simple lecture de la disposition indique clairement que l’appel et, par conséquent, l’analyse de l’agent d’appel, doivent porter sur [traduction] « les circonstances ayant donné lieu [...] aux instructions [...] et sur la justification de celles-ci. » Ces mots simples servent donc à délimiter ce sur quoi l’appel et les éléments de preuve doivent porter aux fins d’une décision. Cela accroît la nécessité d’être et de demeurer attentif au libellé de l’instruction en soi qui est portée en appel, et même si cela a déjà été indiqué particulièrement au début de la présente décision, il est important de le répéter à cette étape, étant donné l’accent mis par les parties sur les éléments de preuve et les arguments qu’ils ont présentés.

  • [84] Cette instruction, ou plutôt les termes pertinents à l’appel et qui sont utilisés au paragraphe 20.9(3) du Règlement, se lit comme suit : « L’employeur n’a pas nommé une personne compétente impartiale et considérée comme impartiale par les parties en cause, pour enquêter sur un incident de violence dans le lieu de travail qui lui a été signalé le 23 août 2016 ». Il est important de noter qu’en fait, l’instruction ne parle pas d’efforts raisonnables à déployer pour nommer une personne compétente. La déléguée ministérielle a clairement conclu de ce texte que l’employeur n’avait pas, premièrement, nommé une personne compétente, deuxièmement, proposé une personne qui était impartiale et qui était considérée comme telle par les parties impliquées, l’utilisation du terme « impliquées » faisant la distinction entre les parties à la plainte et l’employeur, et troisièmement, indiqué que la personne nommée enquêterait sur un incident de violence dans le lieu de travail signalé à l’employeur le 23 août 2016. Par conséquent, il est manifeste que le critère d’impartialité prévu à l’alinéa 20.9(3)a) est l’objet de l’instruction.

  • [85] Un autre élément aussi important du libellé de l’instruction est la qualification par la déléguée ministérielle du défaut de nommer une personne compétente de « contravention » au Code (alinéa 125(1)z.16)) et au Règlement (paragraphe 20.9(3)), de sorte que l’employeur devait cesser, c.-à-d. se conformer à l’instruction, « au plus tard le 12 janvier 2018 ». J’insiste sur ces éléments de l’instruction, car au cours de la présentation par les parties de leur dossier, il semble que le débat portait plus sur des éléments qui se sont produits après l’émission de l’instruction que sur des éléments antérieurs à celle-ci. De plus, il est utile de répéter aux présentes les questions qui doivent être réellement tranchées dans la présente affaire : déterminer s’il y avait des raisons valides d’émettre l’instruction et si l’employeur avait nommé une personne qui était impartiale et qui était considérée comme telle par les parties à la plainte pour enquêter sur ladite plainte de violence dans le lieu de travail.

  • [86] Ce qui résulte de ce qui précède est l’importance de l’historique des principaux éléments de l’affaire en cause. À ce titre, le Programme du travail, et ultimement, la déléguée ministérielle Smith, a reçu une plainte de violence dans le lieu de travail le 30 octobre 2017, dans le cadre de laquelle, l’impartialité de la personne nommée comme personne compétente pour enquêter sur une plainte de violence dans le lieu de travail précédente (20 mars 2017) a été remise en question. Dans cette plainte précédente, il est soutenu que l’employeur n’a pas nommé une personne compétente pour enquêter sur la plainte. À la fin de l’enquête sur la plainte du 30 octobre 2017 par la déléguée ministérielle Smith, cette dernière a émis une instruction le 29 décembre 2017 qui ordonnait à l’appelante de cesser, au plus tard le 12 janvier 2018, de violer son obligation légale de nommer comme personne compétente une personne qui était impartiale et considérée comme telle pour enquêter sur la plainte originale.

  • [87] Le 13 mars 2018, dans une lettre aux parties, appelée ci-dessus une lettre définitive de détermination, la déléguée ministérielle Smith a conclu qu’à compter de cette date, elle était d’avis que l’employeur ne s’était pas conformé à l’instruction du 29 décembre 2017 et qu’il n’avait pas nommé comme personne compétente une personne qui était impartiale et qui était considérée comme telle. Les éléments de preuve démontrent qu’à compter d’avril 2018 jusqu’au moment de la présente audience, l’appelante a suggéré un certain nombre de personnes comme personne compétente qui ont toutes été refusées par M. Decayette pour les raisons susmentionnées. J’ai beaucoup insisté sur la chronologie en raison du contenu de la grande partie des éléments de preuve et du plaidoyer de l’appelante, et par conséquent, bien évidemment, de l’intimée, en traitant la question soulevée par l’appel.

  • [88] Bien que, comme il a été susmentionné, l’appelante ait fondé son dossier sur trois arguments, le principal argument étant l’allégation que tout au long du processus elle a démontré qu’elle avait déployé des efforts soutenus pour respecter ses obligations prévues par le Règlement, agissant d’abord selon l’interprétation de la législation par un représentant que la déléguée ministérielle, qui a par la suite été nommée dans la présente affaire, ne semble pas accepter, puis, lorsqu’elle a été prévenue de la conclusion probable de contravention et de l’émission d’une instruction par la déléguée ministérielle concernant sa nomination d’une personne compétente que M. Decayette n’avait pas acceptée, elle a gardé la personne qu’elle avait choisie et nommée. Après l’instruction, l’appelante a déployé des efforts qui, d’après elle, ont été contrecarrés, chaque fois, par la conduite systématique et abusive de M. Decayette qui devrait être considérée comme une renonciation à ses droits.

  • [89] L’appelante a consacré une grande partie de la période de trois ans ou plus à cette affaire, qui concerne un incident de violence dans le lieu de travail qui s’est produit le 23 août 2016, et qui a été entendue par le soussigné le 10 juin 2019. Cela justifierait, selon l’appelante et compte tenu du fait que le soussigné agit dans un processus de novo, que ce dernier tienne compte des éléments de preuve concernant des faits survenus après l’instruction, puisqu’il serait de l’intention du législateur d’offrir un recours efficace pour les employés qui ont subi de la violence dans le lieu de travail. Afin que l’employeur puisse traiter la situation de façon appropriée, cette intention du législateur était donc une considération nécessaire dans sa décision quant aux limites à imposer à une partie qui nuit à l’ouverture d’une enquête.

  • [90] Parallèlement, l’argument de l’appelante ne tient pas compte du manque de considération par l’employeur, dans le cadre de ce recours approprié, des personnes que M. Decayette a proposées comme personne compétente, sous le prétexte que seule l’appelante est responsable de nommer la personne compétente et de ce fait, la seule responsable de proposer des personnes. Un avis qui, selon le soussigné, n’a aucun fondement, puisque rien dans le Règlement n’indique que l’employeur est le seul responsable de proposer des personnes comme personnes compétentes, cette conclusion étant tirée lorsque tous les termes du Règlement sont lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire qui s’harmonise avec l’intention du Règlement.

  • [91] J’ajouterai, toutefois, compte tenu du fait que l’intimée fond son argument sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., que je doute que le noble souci d’atteindre efficacement l’objectif du texte, que l’appelante déduit des termes de cet arrêt, puisse justifier de passer outre la terminologie particulière de la législation et la pertinence ou l’existence de preuves factuelles, le tout considérant que la question au cœur de la présente affaire ne porte pas sur la conformité à une instruction, mais plutôt sur le défaut de se conformer aux exigences du Règlement.

  • [92] Ceci étant dit, sur la question d’admettre ce qui a été désigné comme les éléments de preuve concernant des faits survenus après l’instruction, il faut examiner d’abord examiner le libellé de la loi qui prévoit la procédure d’appel qui indique qu’une enquête doit être menée sur les circonstances et les raisons de l’émission de l’instruction, qui est considérée comme étant la conséquence de ces circonstances et raisons. Ceux-ci devraient donc précéder l’émission de l’instruction. L’appelante, comme il est indiqué ci-dessus, voudrait que le soussigné adopte une position différente pour invalider ladite instruction et considérer, aux fins de validation de ses actions, faits et circonstances qui ont suivi, pas seulement l’émission immédiate de l’instruction, mais également ce qui s’est passé après que la déléguée ministérielle eut conclu que l’employeur ne s’était pas conformé à l’instruction en soi.

  • [93] Le Tribunal, cependant, a toujours reconnu que les éléments de preuve qu’il acceptait et dont il est saisi doivent être présentés afin de trancher les questions centrales à l’appel, et ce, même si le Tribunal agit de novo. Cette position du Tribunal est bien établie dans sa jurisprudence et même si je ne propose pas de mener un examen général de cette position, je crois que les extraits suivants de la décision de mon collègue agent d’appel Hamel dans MacDuff décrivent bien l’état du droit sur ces questions, et je m’empresse de dire que je souscris à ses mots :

  • [47] Premièrement, le langage simple de l’article 146.1 établit une procédure d’appel relative aux circonstances ayant amené un agent de SST à tirer certaines conclusions et à émettre une instruction. L’enquête menée en vertu de cet article doit nécessairement se rapporter à ces circonstances et non à celles qui prévalent au moment de l’enquête, soit, dans notre cas, plus de deux ans plus tard (comme c'est le cas dans la présente affaire). Cela ne constituerait plus une procédure d’appel, mais une enquête indépendante sur de (sic) circonstances entièrement nouvelles. Selon moi, ce n’est pas ce qui est envisagé dans le Code.

 

  • [48] Le principe qui découle de la jurisprudence, tel que je le comprends, veut que l’agent d’appel n’est (sic) pas lié par les éléments de preuve recueillis par l’agent de SST ni par ses conclusions de faits. De nouveaux éléments de preuve peuvent remonter à l’époque du refus ou de l’instruction ou peuvent survenir après que l’instruction a été émise. Cela dit, le but de l’admission en preuve de nouveaux faits n’est pas de servir à rendre une décision sur les circonstances existant au moment de l’enquête de l’agent d’appel. Les « nouveaux » éléments de preuve doivent se rapporter aux circonstances sur lesquelles l’agent de SST a enquêté. Ils doivent servir à éclaircir les circonstances et le contexte factuel qui ont donné lieu à l’instruction.

 

  • [94] Ce qui découle de ce qui précède est que les éléments de preuve qui surviennent après l’instruction de la déléguée ministérielle ne se rapporteraient pas aux circonstances sur lesquelles l’enquête portait, puisque, de toute évidence, ces éléments de preuve n’existaient pas au moment où la déléguée ministérielle a émis son instruction. L’intention déclarée de l’appelante quant aux éléments de preuve soumis après l’instruction est de démontrer qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour nommer une personne compétente après l’émission de l’instruction et que l’attitude et la conduite de M. Decayette en contrecarrant de façon déraisonnable ses efforts l’ont empêché de nommer une telle personne, et de rétablir la situation en demandant au soussigné d’examiner cette conduite qui peut avoir transparu avant l’instruction lorsque M. Decayette s’est opposé à trois personnes proposées.

  • [95] Bien que ces éléments de preuve n’aient pas été soumis à la déléguée ministérielle avant qu’elle émette l’instruction et qu’ils n’aient donc pas été pris en compte par cette dernière, cet argument de l’appelante délaisse aussi certains éléments qui doivent être examinés. À ce titre, dans la suite d’événements qui ont mené à l’instruction, je dois tenir compte que la déléguée ministérielle avait averti l’appelante que la décision de l’appelante de garder la personne qu’elle avait nommée comme personne compétente et qui avait été refusée par une partie à la plainte puisque cette partie pensait que la personne nommée manquait d’impartialité, pourrait mener à l’émission de l’instruction. Plutôt que de fonder sa décision sur la position de l’éventuel émetteur de l’instruction concernant le sens à donner au libellé du Règlement, l’appelante s’est basée sur l’opinion d’un autre représentant (délégué ministériel Lefort) qui agissait dans l’affaire portant sur son obligation de nommer une personne compétente, mais qui n’a pas lui-même émis une instruction relativement à cette question. Il avait par ailleurs indiqué, selon le rapport et le témoignage de la déléguée ministérielle Smith, qu’en refusant une personne compétente proposée en fonction de l’impartialité, des motifs devaient être fournis par la partie qui refusait la personne proposée, une opinion que la déléguée ministérielle Smith ne partageait de toute évidence pas lorsqu’elle a demandé à l’employeur une PCV que ce dernier a refusé de fournir, puis en émettant l’instruction faisant l’objet du présent appel.

  • [96] Je dois aussi prendre en compte qu’après l’émission de l’instruction par la déléguée ministérielle, l’appelante, pendant un certain nombre de mois qui ont suivi, n’a pris aucune mesure, si la preuve fournie par l’appelante est pris en compte, pour se conformer à l’instruction, même si ce fait, en soi, n’est pas pertinent à la détermination actuelle de l’appel. J’ajouterai concernant ce qui précède que, en demandant que le Tribunal accepte de tenir compte de ces éléments de preuve soumis après l’instruction, l’employeur a assez facilement évité de mentionner, à la lumière de l’opinion exprimée par la déléguée ministérielle et de la situation qui a prétendument suivi l’émission de l’instruction, qu’il n’a pas senti le besoin de demander une suspension de l’instruction pendant qu’il continuait à déployer des efforts pour nommer une personne compétente.

  • [97] À cet égard, les mots suivants de l’agent d’appel Hamel dans MacDuff représentent également l’opinion du soussigné :

[52] En ce qui a trait à l’observation de l’appelante voulant que mon enquête serve à examiner la mesure dans laquelle l’employeur s’est conformé aux instructions, je répète que cela témoigne d’une mauvaise compréhension du processus d’appel. Dès qu’elle a été émise, une instruction est légalement exécutoire et doit être respectée même si elle est portée en appel, sauf si une suspension est obtenue en application du paragraphe 146(2) du Code. Les suspensions ne sont accordées qu’à titre exceptionnel, lorsque l’appelant répond à plusieurs critères passablement rigoureux. Dans à peu près tous les cas, l’employeur se sera conformé à l’instruction au moment où l’appel est entendu. L’argument voulant que le travail de l’agent d’appel consiste à examiner et à apprécier la question de savoir si l’employeur s’est conformé (ou dans la présente affaire « a essayé de se conformer ») à l’instruction transforme complètement la nature du processus d’appel, lequel sert à déterminer si l’instruction a été émise correctement au départ.

[soulignement ajouté]

  • [98] L’affaire dont le Tribunal est saisi consiste à savoir si l’instruction a été correctement émise au départ, et non de savoir si l’employeur s’est conformé ou a essayé de se conformer à l’instruction, ce qui aurait pu être le point de départ d’une question à trancher par la déléguée ministérielle Smith en évaluant si une autre disposition du Code avait été violée. Il ne s’agit pas, toutefois, d’une question que j’ai à trancher. Le fait que le Tribunal siège de novo ne change rien au fait que le Tribunal n’a le droit d’entendre que des éléments de preuve pertinents et importants. À cet égard, je reprends les mots utilisés par l’agent d’appel dans Doyle :

[63] Je dois effectuer l’examen de façon de novo, ce qui signifie que je ne suis pas lié par les conclusions de faits ou les conclusions de la déléguée ministérielle et que je peux apprécier tous les éléments de preuve pertinents se rapportant aux circonstances qui prévalaient à l’époque de l’instruction, y compris des éléments de preuve qui n’étaient pas mis à la disposition de la déléguée ministérielle ou dont elle n’a pas tenu compte (voir DP World (Canada) Inc. c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 500 et al., 2013 TSSTC 3; Ville d’Ottawa (OC Transpo) c. MacDuff, 2016 TSSTC 2).

[soulignement ajouté]

  • [99] Considérant tout ce qui précède, je conclus que les soi-disant éléments de preuve concernant des faits survenus après l’instruction, comme ils sont décrits précédemment, et qui visent à établir que M. Decayette a adopté une attitude systématique et abusive en manifestant ses refus, dépasse la portée de ce que le soussigné peut considérer en déterminant si l’instruction émise par la déléguée ministérielle Smith était fondée. Ma détermination se tourne donc sur les trois personnes proposées comme personne compétente avant l’émission de l’instruction, et essentiellement sur la nomination d’une personne, Mme Ouellette, et le fait que M. Decayette s’est opposé à ladite nomination en invoquant le critère de l’impartialité et, ayant été informé que l’employeur avait l’intention de nommer cette personne malgré tout, qu’il a formulé des raisons pour cette conclusion peu de temps après et avant d’être informé que l’enquête par cette personne compétente aurait lieu, malgré le refus.

  • [100] Les faits sont bien décrits ci-dessus par les deux parties ainsi que dans le résumé du contexte rédigé par le soussigné. La seule question qui est en cause dans la présente affaire porte sur le critère d’impartialité prévu à l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement, soit l’impartialité de la ou des personnes choisies par l’employeur pour enquêter sur l’allégation de violence dans le lieu de travail. Plus précisément, relativement aux aspects objectifs et subjectifs du critère, et à l’obligation qu’une personne proposée comme personne compétente doive remplir les deux critères, il faut mentionner, aux présentes, que l’impartialité objective des (trois) personnes proposées n’est pas remise en cause et que l’appel porte uniquement sur l’opinion subjective de M. Decayette selon laquelle les personnes proposées n’étaient pas impartiales, en particulier la personne nommée comme personne compétente avant l’instruction. L’intention claire et sans équivoque de la législation est que les deux parties à la plainte doivent convenir que la personne proposée par l’employeur est impartiale pour que cette personne soit nommée.

  • [101] Dans Association des employeurs maritimes, l’agent d’appel a expliqué l’aspect subjectif de la façon suivante :

Le critère d’impartialité prévu à l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement

[54] [...] le critère d’impartialité énoncé à l’alinéa a) évoque une notion subjective de l’impartialité et s’en remet à la perception des parties en cause. Le texte est clair et ne se prête à aucune interprétation, surtout lorsqu’on le compare à la formulation des exigences d’expérience, de formation et de connaissances.

  • [102] L’agent d’appel dans Ressources naturelles Canada a commenté cette notion de subjectivité, plus particulièrement l’utilisation des mots « est considérée comme telle » dans le Règlement, qui correspond à une « perception », une notion tout à fait subjective, signifiant que différentes personnes peuvent comprendre le mot « impartiale » de différentes façons. Cette proposition soutient la thèse selon laquelle, dans le cas où l’employeur propose des personnes, il doit se conformer à un critère d’impartialité objective plus rigoureux alors que les parties à la plainte n’ont pas à satisfaire à la même exigence en matière d’impartialité.

  • [103] J’appuie cette interprétation de l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement sur l’opinion exprimée par l’agent d’appel dans Association des employeurs maritimes : « il suffit qu’une partie ne considère pas la personne proposée pour faire l’enquête comme étant impartiale, pour que cette personne ne puisse agir aux termes de cet article ». Une telle considération négative n’équivaut pas à un manque réel d’impartialité. De plus, et d’une importance capitale pour la question à trancher, l’agent d’appel indique qu’il « ne souscrit pas à la prétention [...] selon laquelle un refus de considérer une personne impartiale doit être motivé et justifié » et que tirer une autre conclusion constituerait une approche qui « ajoute [...] une condition de fond au texte de loi, que je considère sans équivoque et ne se prêtant à aucune interprétation ou réserve ». Je partage entièrement l’opinion exprimée par l’agent d’appel dans cette décision.

  • [104] Dans l’affaire en cause, M. Decayette s’est d’abord opposé à deux autres personnes proposées avant d’indiquer qu’il refusait la personne (Mme Ouellette) que l’employeur avait choisi de nommer malgré le refus. Ce refus fait de toute évidence référence à l’alinéa a) du Règlement. Étant donné la décision de l’employeur de choisir tout de même cette personne, cela constituait une raison valide d’émettre l’instruction, en particulier dans les circonstances où il a été informé de ce qui se passerait.

  • [105] Il est vrai que dans Association des employeurs maritimes, comme le soutient l’intimée, l’agent d’appel a fourni la mise en garde suivante : l’application littérale du Règlement qui ferait en sorte qu’une partie ne soit pas obligée de justifier un refus pourrait mener à un abus si cette partie refuse systématiquement les personnes proposées par l’employeur de façon arbitraire ou capricieuse. Toutefois, il faut noter ici qu’avec l’exclusion de la preuve concernant des évènements qui sont survenus après l’instruction, il n’y a aucun fondement, selon moi, pour conclure selon la preuve déposée, qu’une telle conduitea eu lieudans le cadre de l’émission de l’instruction sous appel.

  • [106] Je suis toutefois d’accord avec mon collègue qu’une telle application littérale du Règlement pourrait permettre des abus du type qui, selon l’appelante, a été commis dans la présente affaire, et cet abus, s’il est établi et pertinent, pourrait être sanctionné par des mesures disciplinaires, ou interprété comme une renonciation aux droits conférés par le Règlement. Au risque de me répéter, je conclus que la preuve pertinente selon laquelle M. Decayette n’a pas consenti à la nomination de Mmes Bussière, Spence MacDonald et Ouellette, en fonction de l’impartialité, ne permet pas de conclure que le refus était systématique ou fondé sur des considérations abusives de la part de M. Decayette, qui serait considéré comme équivalent à un abus de ses droits.Ceci étant dit, je tire les conclusions suivantes :

  • L’appelante n’a pas nommé pour agir comme personne compétente une personne qui était considérée comme impartiale par au moins une partie impliquée dans la plainte.

  • La déléguée ministérielle Smith avait bien interprété le paragraphe 20.9(3) du Règlement dans les circonstances de la présente affaire et plus particulièrement, sa conclusion à l’effet qu’une partie impliquée dans la plainte n’a pas à fournir de raisons pour justifier son opposition à l’impartialité d’une personne proposée.

  • L’instruction émise par la déléguée ministérielle Smith le 29 décembre 2017 était bien fondée.

Décision

  • [107] Pour ces motifs, l’appel est rejeté et je confirme l’instruction émise le 29 décembre 2017 par Fancy AM Smith, représentante déléguée par le ministre du Travail.

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel



[1] Robert W. Macaulay, c.r., James L.H. Sprague et Lorne Sossin, Practice and Procedure before Administrative Tribunals, Toronto, Carswell, 2018, éd. feuilles mobiles, chapitre 17.1

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