Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

 

Référence :

Doug Doherty, 2012 TSSTC 36

 

 

 

 

Date :

2012-10-18

 

N° de dossier :

2012-01

 

Rendue à :

Ottawa

Entre :

 

 

 

Doug Doherty, appelant

 

 

 

Affaire :

Appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail à l'encontre d'une décision rendue par un agent de santé et de sécurité

 

Décision :

La décision d’absence de danger est annulée.

 

Décision rendue par :

M. Michael Wiwchar, agent d'appel

 

Langue de la décision :

Anglais

 

Pour l'appelant :

M. Dale McEachern, agent de sécurité, Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 508

 

 

 


MOTIFS DE DÉCISION

 

  • [1] La présente décision concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail (le « Code ») à l'encontre d'une décision rendue par M. Sultan Virani, agent de santé et de sécurité (AG. SS) auprès de Transports Canada - Sécurité maritime.

Contexte

 

  • [2] Le 26 décembre 2011, l'appelant, M. Doug Doherty, grutier à l'emploi de Tidal Transport and Trading Ltd, sortait de l'eau des billots qu'il chargeait dans la cale d'un navire, le MS Black Forrest, à Crofton, en Colombie-Britannique.

 

  • [3] Un peu avant 13 h, l'appelant s'est plaint que le moteur de la grue qu'il manœuvrait, la grue n° 4 sur le MS Black Forrest, s'arrêtait lorsque le levier de levage était tiré à fond, faisant ainsi que le chargement demeurait suspendu sans aucun courant pendant les quelques secondes qu'il fallait pour redémarrer la grue. Vers 13 h, l'appelant a exercé son droit prévu à l'article 128 du Code de refuser de travailler.

 

  • [4] L'AG. SS Virani est arrivé sur les lieux vers 14 h 30 le jour du refus pour mener son enquête. L'AG. SS Virani était accompagné par l'appelant, par M. Dale McEachern, agent de sécurité pour le Syndicat international des débardeurs et magasiniers, et par l'ingénieur en chef du navire.

 

  • [5] L'AG. SS Virani, M. McEachern et l'ingénieur en chef ont observé l'appelant pendant qu'il opérait la grue et ils ont noté qu'en effet, la grue s'arrêtait lorsque le levier de levage était tiré à fond avec un coup sec. L'ingénieur en chef a informé l'AG. SS Virani que le mouvement de levage de la grue doit être progressif, car un mouvement saccadé crée trop de pression sur le système hydraulique, ce qui peut amener les tuyaux hydrauliques à éclater, et comme il s'agit d'un mécanisme de sécurité, le courant de la grue sera coupé. L'appelant a alors continué à manœuvrer la grue, qui est demeurée opérationnelle jusqu'à ce que le levier de levage soit tiré vers l'arrière dans un mouvement saccadé. L'appelant a déclaré que le mouvement saccadé est un mode de fonctionnement normal.

 

  • [6] Ils se sont ensuite dirigés vers la grue 3, qui fonctionnait sans qu'aucun problème n'ait été signalé. L'AG. SS Virani a demandé à l'appelant de la faire fonctionner; le courant a également coupé lorsque le levier de levage a été tiré vers l'arrière dans un mouvement saccadé. Ils se sont ensuite dirigés vers la grue 2, où l'AG. SS Virani a demandé à l'opérateur s'il avait connu des problèmes similaires.L'opérateur a déclaré que les grues sur le MS Black Forrest arrêtaient lorsqu'un mouvement saccadé était appliqué au levier de levage, mais qu'elles ne présentaient aucun problème lorsqu'un mouvement progressif était appliqué.

 

  • [7] Selon les renseignements fournis par l'ingénieur en chef, les opérateurs des grues 2 et 3, et l'observation liée à la manœuvre de la grue 4, l'AG. SS Virani a conclu que la grue pouvait être manœuvrée en toute sécurité en appliquant un mouvement progressif et non un mouvement saccadé sur le levier de levage. Il a ensuite rendu une décision d'absence de danger le 26 décembre 2011.

 

  • [8] Le 5 janvier 2012, l'employé a interjeté appel de la décision d'absence de danger de l'AG. SS Virani.

 

  • [9] Le 13 mars 2012, l'AG. SS Virani a communiqué avec le Tribunal pour fournir des renseignements supplémentaires concernant les grues à bord du MS Black Forrest. Il a déclaré que le navire était allé prendre un chargement à Port Alberni, en Colombie-Britannique, dans la dernière semaine de février et la grue avait connu le même problème que celui signalé par l'appelant le jour de son refus de travailler. La direction du navire a ensuite décidé de changer le filtre hydraulique de la grue, ce qui a mis fin aux interruptions dans le fonctionnement de la grue. Les filtres hydrauliques des autres grues à bord du navire ont également été remplacés.

 

  • [10] Le 21 mars 2012, j'ai reçu les arguments de l'appelant par voie d'observations écrites. Il n'y a pas d'intimé dans la présente cause.

 

  • [11] Le 12 juillet 2012, j'ai tenu une conférence téléphonique avec l'appelant et M. McEachern, représentant de l'appelant, afin d'obtenir des précisions sur la source du danger allégué par l'appelant le jour de son refus de travailler.

 

Question en litige

 

  • [12] La question en litige est de savoir si l’appelant était exposé à un danger tel que le définit le Code lorsqu’il a exercé son droit de refuser de travailler.

 

Observations de l'appelant

 

  • [13] Dans les observations écrites de l'appelant, on y explique que lorsqu'une grue s'arrête brusquement, cela soulève toujours une question de sécurité dont le degré peut varier en fonction de la procédure en cours et de l'emplacement du soulévateur. On y soutient que certains grutiers, comme l'appelant, arrivent à arrimer davantage de cargaisons que d'autres car leur expérience leur permet de manœuvrer plus rapidement la grue. Dans ces observations, on y énumère également certaines des procédures ou techniques normales qui exigent que les grues soient manœuvrées à leur pleine capacité lors du chargement de billots, ce qui comprend notamment :

 

· Marteler les chargements sur les billots existants pour combler les vides qui se forment en dessous afin que la surface soit plus sécuritaire et qu'il y ait une plus grande quantité par cale (hisser rapidement vers le haut puis ramener vers le bas avec ou sans pivotement).

· Regrouper un chargement en pontée en frappant les billots, en faisant pivoter les chargements et en les laissant tomber ou en les hissant rapidement par un mouvement saccadé des commandes.

· Faire pivoter et relâcher abruptement pour étendre la « portée de la flèche » vers le haut et vers le bas afin de placer la charge regroupée.

· Faire pivoter et relâcher abruptement pour faire pAg. SSer les charges regroupées dans les ailes d'une écoutille.

· De courts mouvements saccadés sont utilisés pour tirer les élingues de sorte que la charge ne bouge pas de sa position actuelle.

· Lorsque les élingues sont tirées, faire un mouvement de secousse pour faire « atterrir » les câbles de sorte qu'ils ne se balancent pas au vent hors contrôle.

· Placer la charge vers le bas, avec la flèche baissée, en hissant rapidement mais légèrement le palan, puis en abaissant celui-ci pour faire glisser davantage la charge.

· Une fois que les élingues (2) ont été relâchées du dessous de la charge regroupée, abaisser rapidement le câble de levage afin de faire « atterrir » les élingues pour immobiliser le mouvement de balancement. Le balancement au vent des élingues constitue l'une de nos principales préoccupations en matière de sécurité sur les chargements en pontée.

 

  • [14] L'appelant a fait valoir que ces mouvements sont effectués pour contrôler la charge de façon sécuritaire et conformément aux exigences requises pour le chargement de billots sur le navire. C'est la raison pour laquelle seules des grues montées sur des socles sont utilisées lors d'une telle manœuvre pour exécuter ces fonctions avec facilité.

 

  • [15] Il a également été soumis que le 26 décembre 2011, M. McEachern était présent à bord du MS Black Forrest lorsque la grue n° 4 fonctionnait anormalement en raison de la coupure de courant. Selon ses observations personnelles, le courant de la grue manœuvrée par l'appelant aurait coupé et celle-ci devait être redémarrée par le grutier. Une telle perte de courant exige du grutier qu'il neutralise ses commandes, puis, pour les démarrer de nouveau, qu'il se retourne pour les atteindre. Ce processus peut prendre de 8 à 12 secondes lorsqu'il est effectué rapidement.

 

  • [16] De l'avis de M. McEachern, la perte de contrôle sur une charge en raison d'une perte de courant de la grue représente un danger extrême, d'autant plus que les élingues battent au vent après avoir été tirées (les élingues mesurent 40 pieds de long, 1 pouce de diamètre avec des boutons aux extrémités). Il a ajouté que le risque de blessure augmente considérablement lorsque l'arrimage s'effectue sur le pont à proximité des travailleurs. Le risque est également important pour le grutier puisque la cabine de la grue est un espace fermé qui n'est équipé d'aucun type de protection à l'avant où se trouve la fenêtre.

 

  • [17] L'appelant a également soutenu que le guide d'entretien du navire ne mentionne pas la mise hors circuit de la grue comme faisant partie d'un fonctionnement normal lorsque les limites ne sont pas atteintes. Le guide indique simplement que, si, à tout moment, la grue ne fonctionne pas correctement ou si un bruit irrégulier est entendu, la grue doit être arrêtée et une enquête doit être menée pour en déterminer la cause. L'appelant ajoute que le navire ne fournissait pas de documents techniques décrivant la nécessité de manipuler doucement le levier de levage de la grue, et qu’il n'y a aucune indication non plus que les grues devaient être manipulées de cette manière.

 

  • [18] Le 26 décembre 2011, tandis que l'AG. SS Virani rédigeait la décision, l'appelant a fait valoir qu'ils pouvaient voir à travers la fenêtre de la cabine que le courant de la grue n° 4 coupait à plusieurs reprises pendant la rotation à bord du navire sans aucun mouvement du câble de levage ou « mouvement saccadé soudain » des leviers (la charge pivotait dans un mouvement régulier). Seules quelques manœuvres antérieures de la grue avaient donné ce résultat comme l'avait décrit le grutier lorsqu'il a été interrogé.

 

  • [19] Selon l'appelant, l'AG. SS Virani a recommandé au capitaine de vérifier toutes les grues et de les faire fonctionner de manière optimale. A-1 Marine, une entreprise d'entretien de navires, a été appelée au cours de cette soirée afin de corriger tout problème en vérifiant toutes les grues. Après un contrôle systémique, le technicien de A-1 Marine a déterminé que les grues ne fonctionnaient pas correctement, car les filtres hydrauliques étaient bouchés. Selon l'appelant, le filtre sur la grue n° 4 était totalement noir, ce qui signifiait qu'il était obstrué au plus haut point (comme l'a expliqué M. McEachern, plus le filtre hydraulique est sombre, plus il est contaminé). Les filtres hydrauliques sur les quatre grues ont ensuite été remplacés.

 

  • [20] L'appelant a fait valoir que les grues sont équipées d'un système de sécurité qui arrête la grue si le flux d'huile est limité et provoque une accumulation de chaleur avec des baisses de pression; c'est ce que le technicien a indiqué comme ayant été vérifié.

 

  • [21] De l'avis de M. McEachern, la décision de l'AG. SS Virani selon laquelle l'appelant manipulait la grue de manière anormalement brusque ne tient pas la route. Il a déclaré que l'appelant compte de nombreuses années d'expérience et est spécialisé dans le chargement de billots. Il connaît bien le type et les caractéristiques de ces grues. Selon l'appelant, la déclaration de l'ingénieur en chef selon laquelle les conduites hydrauliques allaient éclater avec ce type d'utilisation est trompeuse; si tel était le cas, toutes les conduites sur les navires chargeant des billots éclateraient, ce qui serait en soi un nouveau danger.

 

  • [22] En outre, M. McEachern a déclaré que le 22 février 2012, le surintendant par intérim du MS Black Forrest, M. J. Cross, a appelé pour l'aviser que le courant des grues du navire coupait à nouveau. Le grutier, M. S. Whitefield a confirmé qu'à cette époque, la grue n° 1 était la pire des quatre. Après avoir expliqué à M. Cross comment le problème avait été réglé en décembre 2011, M. Cross a affirmé qu'un technicien en réparation navale viendrait réparer les grues et il a convenu qu'il s'agissait d'un problème de sécurité légitime.

 

  • [23] M. McEachern a ajouté que plus tard ce jour-là, A-1 Marine a remplacé tous les filtres hydrauliques des grues. Le lendemain, M. Cross et les grutiers lui ont dit qu'une fois que les réparations avaient été effectuées, les grues fonctionnaient de manière acceptable sans qu'il y ait de mise hors circuit « radicale » comme le jour précédent.

 

  • [24] Au cours de notre conférence téléphonique du 12 juillet 2012, j'ai demandé à M. Doherty de préciser le genre de danger qui peut découler d'une mise hors circuit d'une grue. Il a expliqué que lorsque le courant de la grue coupait, la charge suspendue venait tout près de la cabine de la grue en se balançant dans un mouvement de pendule. Il a ajouté que dans les huit à dix secondes nécessaires pour redémarrer la grue, la charge peut pivoter jusqu'à 30 pieds dans chaque sens et peut même commencer à tourner au-dessus de l'eau, ce qui peut mettre en danger les signaleurs qui se trouvent sur l'eau et augmenter le risque de collision avec d'autres câbles ou objets autour du navire.

 

Analyse

 

  • [25] La question que je dois trancher en l'espèce est de savoir si, au moment du refus de travailler, l'appelant était exposé à un danger au sens où l’entend ce terme au paragraphe 122(1) du Code, qui se lit comme suit :

 

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

 

  • [26] Dans son refus initial de travailler et à nouveau dans ses observations, l'appelant a prétendu que la mise hors circuit de la grue représentait un danger pour lui-même et les autres travailleurs, car lorsqu'une grue perd son courant, le grutier perd le contrôle de la charge qui est suspendue aux élingues de la grue, ce qui peut entraîner une oscillation incontrôlable et la perte de la charge.

 

  • [27] Pendant qu'il menait son enquête, l'AG. SS Virani a interrogé l'ingénieur en chef du MS Black Forrest, qui lui a assuré que les grues pouvaient être exploitées en toute sécurité en appliquant un mouvement progressif sur le levier de levage. Cette information a également été corroborée par d'autres grutiers et en observant directement l'opération des grues.

 

  • [28] Au moment où l'AG. SS Virani rédigeait sa décision, lui et l'ingénieur en chef ne connaissaient pas le problème lié à l'obstruction du filtre hydraulique. De ce point de vue et avec les renseignements disponibles à la date où l'appelant a refusé de travailler, je peux comprendre comment il est venu à la conclusion que la question de la mise hors circuit de la grue était le résultat du mouvement de secousses utilisé par l'appelant pour faire fonctionner la grue, et que, par conséquent, le danger allégué pouvait être éliminé en utilisant un mouvement plus progressif sur le levier de levage.

 

  • [29] Cependant, à la lumière des renseignements relatifs aux filtres obstrués qui ont été fournis au Tribunal suite à la décision de l'AG. SS Virani, il est évident que la technique utilisée par l'appelant pour faire fonctionner la grue n'était pas la seule cause du risque allégué par lui-même, le 26 décembre 2011.

 

  • [30] Bien qu'il semble y avoir un débat sur la question de savoir si la technique employée par l'appelant lors de l'utilisation de la grue a été un facteur dans la mise hors circuit du courant, je suis d'avis que la preuve fournie au Tribunal établit clairement que les filtres hydrauliques obstrués ont joué un rôle plus important dans cette coupure de courant. En tenant compte du fait que le même problème avait été signalé par des opérateurs différents suivant le refus de travailler du 26 décembre 2011 par l'appelant, et que dans chaque cas, le problème semble avoir été résolu une fois que les filtres hydrauliques ont été remplacés, je conclus que ce problème était la cause principale de la coupure de courant de la grue.

 

  • [31] Sur ce point, je dois maintenant déterminer si la coupure de courant de la grue représentait en fait un danger pour l'appelant ou pour d'autres travailleurs. Afin de déterminer s'il y avait un danger, je dois analyser les circonstances et les événements qui se sont déroulés le 26 décembre 2011, le jour du refus de travailler de l'appelant.

 

L'appelant était-il exposé à un danger selon la définition prévue au Code lorsqu'il a exercé son droit de refuser de travailler?

  • [32] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans Verville et Canada [1] et Martin et Canada (Procureur général) [2] ont déterminé que pour conclure à l’existence d’un « danger » :

 

  • Il doit y avoir un risque, une situation ou une tâche susceptible de causer des blessures à une personne ou de la rendre malade, même si ses effets ne sont pas immédiats, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

 

  • La définition n’exige pas que le danger cause une blessure chaque fois que le risque, la situation ou la tâche se produit. La version anglaise « can reasonably be expected to cause » nous dit que le risque, la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.

 

  • Il n’est pas nécessaire d’établir avec précision à quel moment le risque, la situation ou la tâche surviendra, mais seulement que l’on constate dans quelles circonstances le risque, la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que de telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable.

 

  • [33] En outre, Madame la Juge Gauthier, dans la décision Verville (précitée), de la Cour fédérale, a mentionné que :

 

  • La perspective raisonnable de blessures ne peut reposer sur des hypothèses ou des conjectures, mais si un risque ou une situation est capable de surgir ou de se produire, il devrait être englobé dans la définition.

 

  • Il existe plus d'un moyen d'établir que l'on peut raisonnablement compter qu'une situation causera des blessures. Il n'est pas nécessaire que l'on apporte la preuve que quelqu’un a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d'expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l'expérience requise.

 

  • Cette supposition pourrait même être établie au moyen d'une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

 

  • [34] Pour déterminer s'il y avait un danger, le 26 décembre 2011, pour l'appelant ou pour les autres travailleurs, j'ai à me demander si le danger potentiel que constitue la mise hors circuit de la grue pendant le rangement des billots dans la cale du navire peut raisonnablement être susceptible de causer une blessure.

 

  • [35] Dans ses observations et au cours de la conférence téléphonique du 12 juillet 2012, l'appelant a soutenu que lorsque le courant de la grue était coupé, la charge suspendue se rapprochait de la cabine de la grue en se balançant de l'avant vers l'arrière. Durant le temps nécessaire pour redémarrer la grue, les élingues peuvent se balancer de manière incontrôlée, créant ainsi un risque de collision avec d'autres objets ou de changement subi de la direction de la charge d'une manière susceptible de provoquer sa chute.

 

  • [36] Même si aucun rapport officiel d'un précédent incident impliquant une blessure causée par une mise hors circuit d'une grue n'a été présenté au Tribunal, la Cour fédérale a établi dans la décision Vervillequ'il n'est pas nécessaire de démontrer que des blessures sont survenues dans le pAg. SSé dans les mêmes circonstances pour prouver que la situation peut raisonnablement être susceptible de causer des blessures. La Cour précise également qu'une supposition raisonnable qu'une blessure peut se produire peut être basée sur l'avis d'un témoin ordinaire possédant une expérience suffisante.

 

  • [37] En l'espèce, je suis convaincu que les opinions émises par M. Doherty et M. McEachern représentent une affirmation éclairée et crédible du danger créé par la perte de contrôle sur une charge lors de l'utilisation d'une grue sur un navire similaire au MS Black Forrest. Leur expérience combinée dans ce domaine de travail leur donne les titres de compétence suffisants pour déterminer quel type de risque dans ces circonstances peut raisonnablement constituer un problème de santé et de sécurité pour le grutier et toute autre personne sur les lieux du travail.

 

  • [38] Il convient également de mentionner que la prévention des accidents et des blessures qui peuvent en découler est ancrée dans l'objet préventif du Code, et ce grand principe doit m’orienter dans mon analyse. La disposition sur l'objet de la partie II du Code se trouve à l'article 122.1, qui se lit comme suit :

 

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

 

  • [39] Tel qu’il a été mentionné ci-dessus dans Vervilleet dans Martin, pour que quelque chose soit considéré comme un danger, il n’est pas nécessaire qu'elle cause une blessure chaque fois que le risque, la situation ou la tâche se produit, ni qu'elle se produise de manière fréquente. Il suffit que le danger soit susceptible de causer une blessure à tout moment.

 

  • [40] Je n'ai aucun doute que lorsqu'une perte de contrôle sur la grue se produit, il peut être raisonnable de s'attendre à ce qu'un danger pour le travailleur et d'autres personnes se produise. Dans les cas où un grutier a perdu le contrôle sur une charge de billots en suspension dans l'air qui peut pivoter jusqu'à 30 pieds dans chaque direction, même un incident mineur peut avoir des conséquences très graves, telles que le déplacement et la chute de la charge sur le pont ou sur l'eau, ou la collision des élingues avec d'autres objets sur le navire ou à proximité de celui-ci, ce qui peut causer des blessures très graves ou même la mort.

 

  • [41] Par conséquent, je conclus qu'au moment du refus de travailler de M. Doherty, il y avait un danger.

 

  • [42] Ayant conclu à l’existence d’un danger au moment du refus de travailler, j’examinerai maintenant la question de savoir si ce danger constituait une condition normale d’emploi et empêchait par conséquent l'appelant d’exercer son droit de refuser un travail dangereux en vertu du Code.

 

Le danger est-il une condition normale d’emploi?

 

  • [43] Je dois déterminer si au moment du refus de l'appelant, le danger auquel il était exposé était une condition normale d’emploi aux termes de l’alinéa 128(2)b) du Code et si, en conséquence, il lui était interdit d’exercer son droit de refuser un travail dangereux.

 

  • [44] Même si le Code ne définit pas ce qui constitue une « condition normale d’emploi », il expose les principes qui doivent guider l’employeur dans son intervention, la priorité à donner aux mesures à prendre pour protéger les employés, et l’obligation générale de l’employeur énoncée aux articles 122.1, 122.2 et 124 du Code. Ces dispositions prévoient :

 

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

 

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’Ag. SSurer la santé et la sécurité des employés.

124. Chaque employeur doit veiller à ce que la santé et la sécurité au travail de chaque personne qu'il emploie soient protégées.

 

  • [45] En outre, la Cour fédérale, dans P&O Ports Inc. et Western Stevedoring Co. Ltd. c. Le Syndicat International des débardeurs et des Magasiniers, Section Locale 500 [3] , a maintenu l’interprétation de l’agent d’appel dans ce dossier concernant un danger qui constituait une condition normale d’emploi. Tout comme la Cour, je suis tout à fait d’accord avec l’interprétation de cette notion par l’agent d’appel, qui est reproduite au paragraphe 46 comme suit :

 

[152] Je crois qu’avant qu’un employeur puisse affirmer qu’un danger est une condition de travail normale, il doit reconnaître chaque risque, existant et éventuel, et il doit, conformément au Code, mettre en place des mesures de sécurité visant à éliminer le danger, la situation ou l’activité; s’il ne peut l’éliminer, il doit élaborer des mesures visant à réduire et à contrôler le risque, la situation ou l’activité dans une mesure raisonnable de sécurité, et finalement, si le risque existant ou éventuel est toujours présent, il doit s’Ag. SSurer que ses employés sont munis de l’équipement, des vêtements, des appareils et du matériel de protection personnelle nécessaires pour les protéger contre le danger, la situation ou l’activité. Ces règles s’appliquent évidemment, dans la présente affaire, au risque de chute ainsi qu’au risque de trébucher ou de glisser sur les panneaux de cale.

 

[153] Une fois toutes ces mesures suivies et toutes les mesures de sécurité mises en place, le risque « résiduel » qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition de travail normale. Toutefois, si des changements sont apportés à une condition de travail normale, une nouvelle analyse de ce changement doit avoir lieu en conjonction avec les conditions de travail normales.

 

[154] Aux fins de la présente instance, je conclus que les employeurs ont négligé, dans la mesure où la chose était raisonnablement possible, d'éliminer ou de contrôler le danger dans une mesure raisonnable de sécurité ou de s'Ag. SSurer que les employés étaient personnellement protégés contre le danger de chute des panneaux de cale.

 

  • [46] De même, et plus récemment, dans Canada c. V et al., la Cour fédérale a confirmé le raisonnement de ce Tribunal sur ce qui constitue une condition normale d’emploi dans le contexte des agents correctionnels qui doivent escorter des détenus. Dans E. V et autres c. Service correctionnel du Canada, [4] ce Tribunal a déclaré :

 

[302] Il y a aussi une autre distinction importante à faire entre ce danger et un danger qui constitue une condition normale d’emploi qui ne justifierait pas un refus de travail. Ce dernier danger présuppose que l’employeur a d’abord identifié la présence d’un danger lors d’escortes et que de ce fait, il a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger ses employés i.e. qu’il a identifié et contrôlé tous les facteurs qui ont une importante incidence négative sur la tâche de faire des escortes. À ce moment, rien de plus ne peut être fait par l’employeur pour protéger davantage les employés.

 

  • [47] Par conséquent, afin de déterminer si le danger lié à une mise hors circuit d'une grue à plusieurs reprises pendant le chargement des billots dans la cale du navire est une condition normale d'emploi, je dois prendre en considération les mesures prises par l'employeur pour atténuer ce danger.

 

  • [48] Sur ce point, aucune preuve ne m'a été fournie pour démontrer que l'employeur a pris des mesures suffisantes pour atténuer ce danger avant que l'AG. SS Virani ne rende sa décision. Au moment du refus de travail, l'ingénieur en chef du navire était d'avis que le problème découlait uniquement de l'utilisation d'une mauvaise technique par l'appelant pendant la manœuvre de la grue.

 

  • [49] Cependant, les éléments de preuve qui ont été fournis par l'appelant et par l'AG. SS Virani sur les questions concernant le système hydraulique des grues et les filtres encrassés, qui n'ont été révélés qu'après la décision d'absence de danger du 26 décembre 2011, établissent clairement que la technique employée par l'appelant n'était pas la cause de la mise hors circuit de la grue. À mon avis, cela prouve que le jour du refus de travailler, il y avait certaines mesures que l'employeur aurait pu prendre pour atténuer le danger, si une inspection adéquate des grues avait été menée.

 

  • [50] Par conséquent, je ne peux conclure que la mise hors circuit de la grue était un risque « résiduel » qui constitue une condition normale d'emploi.

 

  • [51] Avec tous ces éléments de preuve à l'esprit, je suis persuadé qu'un danger existait bel et bien le 26 décembre 2011, et que ce danger n'était pas le résultat de l'opération de la grue par l'appelant et des techniques qu'il a employés, mais d'un filtre hydraulique bouché sur la grue manœuvrée par l'appelant. En outre, je suis d'avis que le danger n'était pas une condition normale d'emploi.

 

  • [52] Ceci était dit, de toutes les preuves qui ont été recueillies dans la présente cause, il est évident que la cause sous-jacente du danger a depuis été identifiée et corrigée. De plus, j'estime que la preuve présentée montre que les filtres hydrauliques des grues sont maintenant correctement entretenus et que, par conséquent, le danger ne devrait pas se reproduire.

 

Décision

 

  • [53] Pour ces motifs, j’annule la décision d'absence de danger rendue le 26 décembre 2011 par l'AG. SS Virani. Par ailleurs, je ne donnerai pas à l'employeur l'instruction de prendre des mesures pour corriger le risque qui constituait un danger vu les circonstances de l’espèce, puisque MM. Doherty et McEachern m'ont assuré que, suivant la conférence téléphonique du 12 juillet 2012, les réparations appropriées avaient été apportées aux filtres hydrauliques des grues, ce qui a, par conséquent, éliminé le danger.

 

 

 

 

Michael Wiwchar

Agent d'appel


 



[1] 2004 CF 767.

[2] 2003 CF 1158 et 2005 CAF 156.

[3] 2008 CF 846.

[4] TSSTC-07-009.

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