Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

 

Référence :

Banque Royale du Canada, 2012 TSSTC 5

 

 

 

 

Date :

2012-02-03

 

No dossier :

2011-39

 

Rendue à :

Ottawa

Entre :

 

 

Banque Royale du Canada, appelante

 

 

 

 

Affaire :

Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à l’encontre d’une instruction donnée par un agent de santé et de sécurité.

 

Décision :

L’instruction est confirmée.

 

Décision rendue par :

M. Michael McDermott, agent d’appel

 

Langue de la décision :

Anglais

 

Pour l’appelante :

M. Jordan D. Winch, avocat, Norton Rose OR LLP

 

 

 


MOTIFS DE DÉCISION

  • [1] Il s’agit d’un appel aux termes du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail (le Code) à l’égard d’une instruction émise par l’agent de santé et de sécurité Mishal Chopra, le 6 juillet 2011, aux termes du paragraphe 145(1) du Code.

 

Contexte

  • [2] Vers 7 h 45 environ le 14 juin 2011, Terrence J. O’Grady, Gestionnaire, Banque Royale du Canada (BRC), situé au 20, rue King ouest à Toronto, a été trouvé effondré dans les toilettes du 7e étage, apparemment inconscient. Des collègues ont tenté de le réanimer. Des auxiliaires médicaux et des policiers sont ensuite arrivés sur les lieux. M. O’Grady a été transporté au St. Michael’s Hospital dans l’heure qui a suivi l’accident survenu dans les locaux de l’employeur. Un médecin de l’hôpital a informé la police qu’il était décédé, probablement d’une crise cardiaque, et que le coroner en serait informé. Les membres de la direction de la Banque Royale qui se trouvaient sur le lieu de travail ont considéré que le décès était attribuable à des causes naturelles et n’était pas relié à un accident, à une maladie professionnelle ou à une autre situation comportant des risques liés au travail et ont estimé que l’obligation déclarative ne s’appliquait pas. Ils ont par la suite appris par l’entremise dusite Web de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) que l’employeur avait l’obligation d’avertir le Programme du travail de RHDCC dans les 24 heures de la survenance d’une situation comportant des risques, notamment, si elle a entraîné le décès d’un employé. La RBC a donc signalé le décès de l’employé au Programme du travail le 21 juin 2011, sept jours après ce triste événement.

 

  • [3] Après avoir effectué une enquête relativement au décès de M. O’Grady, l’agent de santé et de sécurité (Agent de SST) a conclu qu’il y avait eu contravention à l’alinéa 125(1)c) du Code et à l’alinéa 15.5a) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement). Il a ordonné à l’employeur, aux termes des alinéas 145(1)a) et 145(1)b) du Code, de cesser immédiatement cette contravention et de prendre des mesures pour éviter sa continuation ou sa répétition. L’instruction se fondait sur la conclusion de l’Agent de SST selon laquelle le décès de l’employé sur les lieux de travail n’avait pas été signalé comme l’exige le Code dans le délai de 24 heures précisé par le Règlement. L’instruction est rédigée comme suit :

 

[traduction] Le 24 juin 2011, l’agent de santé et de sécurité soussigné a ouvert une enquête dans le lieu de travail exploité par le Centre des services bancaires mondiaux de la Banque Royale du Canada, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, au 20, rue King ouest, 7e étage, Toronto (Ontario) M5H 1C4, ledit lieu de travail étant parfois appelé la Banque Royale du Canada.

Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis qu’une contravention à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail a été commise :

No./No : 1

Alinéa 125.(1)c) - Partie II, Code canadien du travail, alinéa 12.10(1)a) - Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

L’employeur doit faire rapport à un agent de santé et de sécurité, par téléphone, télex ou par télécopieur, de la date, de l’heure, du lieu et de la nature de tout accident, maladie professionnelle ou autre situation comportant des risques visés à l’article 15.4 le plus tôt possible dans les 24 heures après avoir pris connaissance de la situation, si celle-ci a entraîné l’une des conséquences suivantes :

a) le décès d’un employé;

Le décès d’un employé n’a pas été rapporté dans les 24 heures au Programme du travail.

Par conséquent, je vous ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin sur-le-champ à la contravention.

En outre, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) du Code canadien du travail, partie II, et dans le délai prescrit par l’agente de santé et de sécurité, de prendre des mesures pour mettre fin à la contravention et éviter qu’elle se reproduise.

  • [4] Il n’y a pas d’intimé dans le présent appel. L’appelante a présenté des observations écrites et il n’y a pas eu d’audience. Après les discussions que la RBC a eues avec l’Agent de SST suite à l’émission de l’instruction, la RBC en a mis en œuvre les termes, sous toute réserve, en attendant le résultat de l’appel.

 

Question en litige

  • [5] Je dois décider si l’Agent de SST Chopra a commis une erreur en concluant que l’employeur avait commis une contravention à l’alinéa 125(1)c) du Code et à l’alinéa 15.5a) du RCSST et en donnant à l’employeur une instruction aux termes du paragraphe 145(1).

 

Observations de l’appelante

 

  • [6] Dans la lettre initiale introductive de l’appel, l’avocat de l’appelante énonce : [traduction] « La seule question en litige dans la présente affaire est une question d’interprétation législative ». La position de la RBC, qui est tout à fait conforme à son hypothèse initiale, est que le décès était dû à des causes naturelles non reliées au travail et que la position du Programme du travail selon laquelle ce type de décès est visé par l’expression « situation comportant des risques », dans le sens où elle est utilisée dans le Code et le Règlement, n’est pas étayée par le texte des dispositions législatives.

 

  • [7] L’appelante présente des arguments et cite de la jurisprudence sur le principe d’interprétation législative exposé par Elmer Driedger et cité, comme suit, dans deux arrêts de la Cour suprême du Canada :

 

[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur [1] .

Les autres décisions citées précisent cette jurisprudence et montrent que si celle-ci favorise une interprétation large et libérale des dispositions législatives, il faut néanmoins éviter les excès. Une citation d’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada fait ressortir l’idée principale :

Certes, la LCDP demeure considérée comme une loi quasi constitutionnelle qui appelle une interprétation large, libérale et téléologique en rapport avec cette nature particulière. Toutefois, on ne saurait substituer à l’analyse textuelle et contextuelle une interprétation libérale et téléologique dans le seul but de donner effet à une autre décision de principe que celle prise par le législateur [2] .

  • [8] Une autre décision citée est celle d’un agent d’appel dans l’affaire Air Canada et le SCFP où l’on trouve l’énoncé suivant : « L’objet de l’alinéa 125(1)c) du Code, interprété de concert avec l’énoncé de l’objet de l’article 122,1 de la loi, consiste à prévenir la survenance ou la répétition d’un accident ou d’un incident qui pourrait blesser un employé » [3] .

 

  • [9] À la lumière de la jurisprudence citée, l’appelante soutient qu’il faut interpréter le texte du Code et du Règlement en tenant compte de ce qui suit : (i) le sens ordinaire et grammatical des mots; (ii) l’esprit du Code et du Règlement ainsi que l’intention de leurs rédacteurs; (iii) l’objet du Code et du Règlement. Initialement, le libellé que l’appelante souhaitait voir interpréter selon ces critères était celui des dispositions suivantes du Code et du Règlement :

 

  • Le Code

(125(1)) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

[…] c) selon les modalités réglementaires, d’enquêter sur tous les accidents, toutes les maladies professionnelles et autres situations comportant des risques dont il a connaissance, de les enregistrer et de les signaler aux autorités désignées par les règlements.

 

  • le Règlement;

15.5 L’employeur doit faire rapport à un agent de santé et de sécurité, par téléphone, télex ou par télécopieur, de la date, de l’heure, du lieu et de la nature de tout accident, maladie professionnelle ou autre situation comportant des risques visés à l’article 15.4 le plus tôt possible dans les 24 heures après avoir pris connaissance de la situation, si celle-ci a entraîné l’une des conséquences suivantes;

a) le décès d’un employé;

  • [10] L’employeur soutient ce qui suit : [traduction] « Le sens ordinaire des mots accident, maladie professionnelle et situation comportant des risques ne vise pas un décès de causes naturelles qui survient par hasard dans un lieu de travail ». Il prétend donc que la RBC [traduction] « n’était pas tenue de signaler le décès de l’employé aux termes de l’alinéa 15.5a) du Règlement ou de l’alinéa 125(1)c) du Code, étant donné que le décès ne découlait pas d’un accident, d’une maladie professionnelle ou d’une situation comportant des risques. Il découle en fait uniquement de causes naturelles. » Il soutient également que « l’alinéa 15.5a) du Règlement porte principalement sur les causes du décès d’un employé et non pas sur l’endroit où ce décès survient » et que « Ni le Code ni le Règlement n’imposent une obligation déclarative du seul fait qu’un décès est survenu dans un lieu de travail ». L’argument traite des trois éléments précisés ici, mais il mentionne également que l’Agent de SST n’a pas allégué qu’un accident ou une maladie professionnelle s’était produit dans la présente affaire et vise principalement à exclure le décès de l’employé de l’expression « autre situation comportant des risques » au sens du Code et du Règlement. La RBC soutient qu’il n’existait aucune situation de ce genre et qu’« aucune situation » ou événement n’est survenu et a entraîné le décès de l’employé. Le décès a été subit. En outre, le décès de l’employé ne découle pas d’une situation du lieu de travail qui « comportait des risques » au sens où cette expression est habituellement comprise. L’employé est décédé d’un état de santé préexistant qui n’était aucunement relié « à son travail ou à son lieu de travail ».

 

  • [11] Pour ce qui est de l’esprit du Règlement et de l’intention des rédacteurs, la RBC conteste à plusieurs reprises les conclusions de l’Agent de SST en déclarant que [traduction] « le décès de l’employé constituait, à lui seul, une ‘situation comportant des risques’ » et avec le fait que son rapport mentionne que « le Programme du travail estime que le décès sur un lieu de travail est le meilleur exemple d’une situation comportant des risques ». Il soutient qu’il y a lieu d’examiner l’alinéa 15.5a) à la lumière de l’article 15.4. Ce paragraphe du Règlement fait référence aux circonstances suivantes : « L’employeur qui prend conscience d’un accident, d’une maladie professionnelle ou d’une autre situation comportant des risques qui touchent un employé au travail » et précise les mesures que l’employeur doit prendre sans délai. La conclusion à laquelle arrive la RBC dans son argumentation est que « l’esprit du Règlement insiste donc sur le fait que ‘l’accident, la maladie professionnelle ou l’autre situation comportant des risques’ doit être relié au travail pour déclencher l’obligation de le rapporter ». Il soutient également que « l’économie de la partie II du Code montre que cette partie vise précisément les situations comportant des risques qui sont reliés à un emploi ou à un lieu de travail, et que le décès en question « n’était aucunement relié au travail ».

 

  • [12] Le deuxième argument qui figure dans les observations portant sur l’économie du Règlement et l’intention des rédacteurs mentionne que l’alinéa 15.5a) « prévoit expressément que l’employeur doit signaler une situation comportant des risques qui a entraîné le décès d’un employé ». Il soutient ensuite que si « le décès de l’employé est la situation comportant des risques, comme l’agent l’a déclaré, alors selon le Règlement, l’obligation de l’employeur consisterait à déclarer un décès qui entraîne ce même décès », un résultat que la RBC considère comme étant absurde et non voulu par les rédacteurs du Règlement.

 

  • [13] Pour ce qui est de l’objet du Code et du Règlement,RBC cite l’article 122.1, l’article qui expose l’objet de la façon suivante :

 

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

Il mentionne la décision de l’agent d’appel, précitée, au paragraphe 6 de l’affaire Air Canada et Syndicat canadien de la fonction publique, élément Air Canada, pour ce qui est de l’objet de l’alinéa 125(1)c) :

L’objet de l’alinéa 125(1)c) du Code, interprété de concert avec l’énoncé de l’objet de l’article 122.1 de la loi, consiste à prévenir la survenance ou la répétition d’un accident ou d’un incident qui pourrait blesser un employé.

  • [14] L’appelante soutient que la partie II et le Règlement doivent être interprétés de façon large et libérale pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs canadiens, mais elle affirme que cette interprétation doit se fonder sur le texte et le contexte du Code et du Règlement. La RBC soutient ainsi que le texte et le contexte de l’alinéa 15.5a) déclenchent uniquement une obligation déclarative lorsque [traduction] « l’accident, la maladie professionnelle ou la situation comportant des risques a entraîné le décès d’un employé » et que ces termes « n’englobent pas un décès de causes naturelles ». La RBC conclut que « l’objet général de la partie II du Code et de l’alinéa 125(1)c) en particulier est d’éviter les accidents et les blessures qui sont reliés au travail d’un employé ». Elle ajoute toutefois que « le Code n’a pas pour but de prévenir le décès d’un employé qui est dû à des causes naturelles non reliées au travail ».

 

Analyse

  • [15] Dès le départ, je cite le paragraphe 141(4) du Code, étant donné qu’à mon avis il n’est pas possible de trancher le présent appel sans prendre en compte son libellé, son sens et sa pertinence. Il dispose :

 

141(4) L’agent fait enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail ou qui résulte de blessures subies dans les mêmes circonstances.

  • [16] Il ressort clairement du rapport de l’Agent de SST, et en particulier de son registre d’activités de la partie II, qu’il a pris en compte ce paragraphe pour rendre sa décision. Comme cela a été mentionné, ce paragraphe impose à l’Agent de SST l’obligation de faire « enquête sur tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail ». (Non souligné dans l’original.). Le sens grammatical et ordinaire des mots tout décès n’exclut pas à mon avis les décès découlant de causes naturelles et survenus sur un lieu de travail. L’appelante ne fait aucunement référence au paragraphe 141(4) dans ses arguments, mais ce paragraphe n’est pas non plus mentionné dans le texte de l’instruction. L’appelante était toutefois en possession du rapport de l’Agent de SST et des documents connexes lorsqu’elle a préparé ses arguments et elle savait que l’enquête sur le décès avait été entreprise aux termes de ce paragraphe du Code. RBC ne devrait donc pas être surprise du fait que l’agent d’appel prenne en compte le libellé de ce paragraphe pour trancher le présent appel. Il est évident qu’un Agent de SST doit prendre connaissance du fait qu’un décès s’est produit dans un lieu de travail s’il veut respecter l’obligation légale qui lui incombe de faire enquête sur ce décès.

 

  • [17] Je souscris à l’argument de l’appelante selon lequel la question en litige dans la présente affaire est une question d’interprétation législative. Il s’ensuit qu’un aspect important du présent appel est de savoir si l’expression « situations comportant des risques » englobe les circonstances qui existaient au moment des faits et qui ont entraîné la mort de l’employé et, si c’est le cas, s’il s’agissait d’une situation comportant des risques au sens de l’alinéa 125(1)c) du Code qui déclenchait pour l’employeur l’obligation de déclarer le décès aux termes de l’alinéa 15.5a) du Règlement. La thèse de l’appelante repose essentiellement sur l’argument selon lequel les termes de cette disposition, pris dans leur sens ordinaire et grammatical, dans le contexte de l’économie du Code et du Règlement et de leur objet, ne visent pas un décès attribuable à des causes naturelles, même s’il s’est produit dans un lieu de travail. L’Agent de SST a adopté un point de vue opposé, conforme à la politique du Programme du travail de RHDCC qui exige que soit rapporté le décès d’un employé sur le lieu de travail ou au travail. Voici le texte de cette politique qui se trouve à la rubrique 4 du Feuillet 7 RHDCC – Enquête et rapports sur les situations comportant des risques :

 

L’employeur doit faire rapport à un agent de santé et de sécurité, par téléphone ou par télécopieur, le plus tôt possible dans les 24 heures après avoir pris connaissance de cette situation à savoir : le décès d’un employé (même s’il semble découler de causes naturelles). (Non souligné dans l’original.)

  • [18] Le Shorter Oxford Dictionary [4] définit « occurrence» (situation en français) comme étant [traduction] une chose qui se produit; arrive ou survient; un événement, un incident. Le même dictionnaire définit « hazardous» (risque en français) comme quelque chose de potentiellement dangereux. Un sens secondaire de « hazardous » est celui d’événement fortuit. Il y a bien eu une situation dans le sens que quelque chose s’est produit, est arrivé ou est survenu. Ce qui s’est produit constituait le risque le plus grave et finalement, définitif pour la vie de l’employé. Il est donc raisonnable de conclure qu’il y a eu une situation comportant des risques au sens grammatical et ordinaire de l’expression. C’est la deuxième partie de la question et le sens de l’expression« situations comportant des risques » utilisée dans le Code qui appelle une analyse plus rigoureuse.

 

  • [19] L’expression « situations comportant des risques » n’est pas définie dans le Code ni dans le Règlement. Elle comprend toutefois manifestement un accident ou une maladie professionnelle puisque, après avoir précisé les deux expressions, le libellé du paragraphe fait ensuite référence aux « autres situations comportant des risques » (non souligné dans l’original.) Cet ajout semble indiquer que les rédacteurs ou le législateur n’étaient pas convaincus du fait que les deux expressions précédentes incluraient toutes les situations susceptibles de comporter un risque et ont souhaité qu’elles incorporent d’autres circonstances non déterminées, dans le cadre de l’application de ces dispositions.

 

  • [20] Une des certitudes factuelles non contestées est qu’il y a eu décès. En outre, le décès de cet employé est survenu au moment où son emploi exigeait qu’il soit au travail et sur son lieu de travail. C’est la raison pour laquelle j’estime que ce n’est pas étendre abusivement le sens courant ou ordinaire de ces termes que de dire que le décès de l’employé s’est produit dans le lieu de travail, l’expression utilisée au paragraphe 141(4) du Code, et au travail, l’expression utilisée au paragraphe 15.4(1) du Règlement. Les deux expressions font partie de l’esprit du Code et du Règlement. À tout le moins, ces circonstances ont imposé à l’Agent de SST l’obligation de faire enquête sur le décès, tel que l’exige le paragraphe 141(4), pour reprendre ses termes « quelle que soit la cause soupçonnée ».

 

  • [21] L’obligation de faire enquête sur tout décès d’un employé survenu dans un lieu de travail donne à l’Agent de SST la possibilité de déterminer la cause de la mort et, selon les résultats de son enquête, celle d’envisager la prise de mesures préventives conformément à l’objet de la partie II tel que décrit à l’article 122.1 du Code. Pour qu’il puisse respecter l’obligation légale que lui impose le paragraphe 141(4), l’Agent de SST doit être informé du décès. Il n’est pas raisonnable de tenir pour acquis que les rédacteurs du Code avaient l’intention de laisser cet aspect au hasard, de s’en remettre à la possibilité que le décès figure dans les nouvelles publiées par les médias ou qu’il soit signalé par des informateurs bénévoles. En réalité, l’obligation générale de l’employeur qui découle de l’article 124, à savoir veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail, et l’obligation déclarative plus précise qu’impose à l’employeur l’alinéa 125(1)c), prévoit de confier à l’employeur la responsabilité d’informer le Programme du travail du décès, comme cela est mentionné sur le site Web de RHDCC dont l’existence a été portée à l’attention de l’employeur quelques jours après l’événement. Incidemment, le site Web est mentionné dans une circulaire interne de la RBC, datée de juin 2010, qui énonce sa politique en matière de déclaration des accidents et reprend étroitement la formulation de l’article 15.5 du Règlement. La circulaire interne, qui figure parmi les documents versés au dossier de l’Agent de SST, précise qu’il faut s’acquitter de l’obligation de rapporter le décès dans un délai de 24 heures et ne fait pas référence, en cas de décès, à l’expression « même si celui-ci semble découler de causes naturelles ».

 

  • [22] Jusqu’ici, j’ai conclu que le décès constituait une situation comportant des risques, selon les termes clairs de la disposition et que le décès de l’employé était survenu dans le lieu de travail, expression utilisée dans le Code, et au travail, expression utilisée dans le Règlement. De plus, le Code oblige expressément l’Agent de SST à faire enquête sur un décès et j’estime que cela entraîne une obligation correspondante, qui découle de l’esprit du Code, pour l’employeur, à savoir rapporter le décès au Programme du travail. Il reste toutefois à examiner la question de savoir si l’expression « situations comportant des risques » et plus précisément « autres situations comportant des risques », telle qu’elle figure dans le Code et le Règlement, s’applique aux circonstances qui sont survenues en l’espèce et ont entraîné le décès d’un employé au travail.

 

  • [23] Je vais commencer par examiner la deuxième contestation de la décision de l’Agent de SST mentionnée au paragraphe 10 ci-dessus. L’argument de l’appelante est qu’aux termes de l’alinéa 15.5a) du Règlement, l’employeur est tenu de déclarer toute situation comportant des risques qui entraîne le décès d’un employé, mais si, comme le soutient l’Agent de SST, la situation comportant des risques est le décès lui-même, l’obligation de l’employeur consisterait alors à « rapporter un décès qui a entraîné ce même décès », une possibilité que la RBC considère absurde. Absurde ou non, j’estime que cette question découle de la formulation quelque peu ambiguë du registre des activités de la partie III de l’Agent de SST, qui est joint au rapport d’enquête et a été apparemment utilisé au cours des conversations avec les membres de la direction de la RBC lorsque ceux-ci ont été informés que « le Programme du travail considère que le décès au travail est le meilleur exemple d’une situation comportant des risques ». On pourrait soutenir que le décès est plutôt le résultat final d’une situation comportant des risques plutôt qu’une situation comportant elle-même des risques. Dans l’ensemble, il m’apparaît que ce débat sémantique n’est pas particulièrement éclairant dans le cadre du présent appel. Cela ne règle toujours pas la question de savoir si les circonstances qui ont entraîné le décès, la crise cardiaque au travail, constituent une situation comportant des risques au sens du Code et du Règlement.

 

  • [24] Un des principaux arguments de l’appelante est que le décès de l’employé résultait de causes naturelles, savoir « une maladie préexistante qui n’était aucunement reliée à son emploi ou à son lieu de travail ». Comme je l’ai déjà indiqué au paragraphe 20 ci-dessus, le décès est survenu à un moment où l’emploi du défunt l’obligeait à se trouver au travail et dans son lieu de travail. J’estime que, suivant le sens courant des expressions « dans le lieu de travail » et « au travail », que l’on retrouve au paragraphe 141(4) et l’esprit de l’objet du Code et du Règlement, il y avait un lien suffisant entre le décès et l’emploi du défunt. Je ne peux retenir l’argument contraire que propose l’appelante.

 

  • [25] Reste à considérer la question de l’état de santé antérieur de l’employé qui est, d’après les autorités compétentes, à l’origine de son décès ainsi que la question de savoir si celui-ci a eu pour effet de soustraire RBC à l’obligation déclarative qu’impose l’alinéa 15.5a) du Règlement. Le dossier indique qu’il n’y avait aucun signe permettant de conclure à un accident ni à acte suspect commis sur les lieux de l’accident où l’employé effondré a été découvert dans les locaux de RBC. Comme cela a déjà été noté au paragraphe 2 ci-dessus, dans l’heure qui a suivi, un médecin du St. Michael’s Hospital a informé la police du fait que le décès de l’employé était probablement dû à une crise cardiaque et que le coroner en serait informé. Un médecin du bureau du coroner s’est rendu à l’hôpital dans les trois heures suivant l’accident. Le représentant du coroner n’a trouvé aucune trace de manœuvre suspecte et a ordonné une autopsie pour déterminer la cause du décès. Il n’était pas déraisonnable d’estimer que l’employé, qui, on l’a appris par la suite, était traité pour l’hypertension et qui avait des antécédents cardiaques familiaux, avait eu une crise cardiaque. Le dossier n’est pas très précis au sujet du moment auquel a été effectuée l’autopsie, et en fait l’Agent de SST n’a pu consulter le rapport du coroner, mais a, par la suite, été informé par un assistant du bureau du coroner que le décès découlait d’un état pathologique. Le rapport de police mentionne que le médecin du bureau du coroner a conclu que la cause du décès était un arrêt cardiaque soudain même s’il semble que cette information ait été transmise à la police pendant que le défunt se trouvait encore à l’hôpital et à un moment où les résultats de l’autopsie n’étaient pas encore connus.

 

  • [26] Quelle que soit la conclusion du rapport du coroner ou le moment auquel celui-ci a été achevé, il demeure que la politique de RHDCC en matière d’enquêtes et de rapports à laquelle avaient accès les membres de la direction de la RBC par le truchement de la propre circulaire interne de l’employeur, exigeait néanmoins que l’employeur rapporte le décès dans les 24 heures après en avoir pris connaissance, c’est-à-dire après avoir pris connaissance du décès comme tel et non de sa cause.. Il s’agit donc de savoir si cette attente est justifiée par l’espritl’esprit et l’objet du Code et du Règlement. Pour répondre à la question, j’estime que la place particulière accordée au décès par le paragraphe 141(4) est un élément pertinent et je retiens l’interprétation que fait le Programme du travail de l’obligation de rapporter tout décès d’employé qui survient dans le lieu de travail ou pendant que l’employé était au travail, prévue par ce paragraphe, même si elle semble découler de causes naturelles.

 

  • [27] L’enquête obligatoire à laquelle doit procéder l’Agent de SST aux termes de ce paragraphe est un élément éclairant. C’est lui qui déclenche l’intervention de l’Agent de SST dans l’ensemble de circonstances ayant entraîné un décès dans le lieu de travail. L’esprit du Code et son objet imposent à l’Agent de SST l’obligation d’essayer de déterminer la cause du décès, de décider si elle soulève des préoccupations sur le plan de la santé et de la sécurité au travail, et si c’est le cas, de recommander des mesures correctives appropriées. Par exemple, le dossier indique que dans cette affaire l’Agent de SST a tenté de savoir s’il y avait des signes de stress dans le lieu de travail. Il n’en a pas trouvé, mais il était conforme à l’objet du Code qu’il envisage cette possibilité. L’agent de santé et de sécurité est un spécialiste et la mission légale qu’il assume en cas de décès d’un employé au travail ou dans le lieu de travail est distincte et indépendante de celle du personnel médical, de la police et du coroner dont les missions sont précisées par des dispositions législatives différentes. Bien évidemment, dans un cas comme celui-ci, il serait souhaitable que l’Agent de SST tienne compte de ce que font les autres autorités responsables et de leurs constatations. L’Agent de SST possède toutefois une expertise que les autres autorités ne possèdent pas nécessairement; en réalité, il arrive que ces autres autorités s’en remettent à cette expertise spécialisée lorsqu’elles s’acquittent de leurs propres fonctions et responsabilités. Ça ne semble pas avoir été le cas en l’espèce, mais l’obligation de procéder à une enquête est d’application générale et il n’y a pas de réserve indiquant que, si l’on soupçonne des causes naturelles, la disposition ne s’applique pas.

 

 

  • [29] Pour ce qui est des questions au sujet du sens des mots « au travail » tels qu’ils sont utilisés au paragraphe précédent, je considère qu’ils ont le même sens que l’expression « pendant que l’employé était au travail » utilisée au paragraphe 141(4). Selon cette dernière expression, il n’est pas nécessaire que l’outilleur-ajusteur utilise un tour ou que le pilote soit dans le poste de pilotage pour que l’on puisse dire qu’ils sont au travail; il n’était pas non plus nécessaire que le malheureux employé dont il s’agit ici ait exécuté une tâche figurant dans son énoncé de travail pour que l’on puisse dire qu’il se trouvait au travail ou dans son lieu de travail.

 

  • [30] L’instruction donnée à l’employeur était plus précisément fondée sur l’omission de rapporter le décès de l’employé dans le délai de 24 heures fixé par l’alinéa 15.5a) du Règlement et j’estime qu’il y a lieu de dire un mot des motifs pour lesquels cela me paraît être une conclusion valide. Comme cela a été noté au paragraphe 27 ci-dessus, je considère que l’expertise et le rôle de l’Agent de SST sont distincts de ceux des autres autorités susceptibles d’intervenir dans les cas de décès au travail. Lorsqu’il exerce son rôle d’enquête prévue par le Code, l’Agent de SST peut être amené à intervenir rapidement. Par exemple, l’alinéa 141(1) précise les pouvoirs d’un agent de santé et de sécurité. Ces pouvoirs comprennent, aux alinéas f) et g) du paragraphe, celui d’ordonner à l’employeur ou à toute personne de ne pas déranger tel endroit ou tel objet en attendant l’enquête. Si l’Agent de SST est rapidement informé qu’il y a eu un décès dans un lieu de travail, ces dispositions pourront recevoir elles aussi rapidement une application pratique. C’est la raison pour laquelle j’estime qu’il est conforme à l’esprit et à l’objet du Code et du Règlement d’imposer un délai aussi court que possible.

 

  • [31] J’ai accordé de l’importance à l’effet du paragraphe 141(4). La formulation littérale de cette disposition ne fait aucunement référence à une obligation déclarative. Cependant, comme cela a été expliqué au paragraphe 21 ci-dessus, je n’estime pas qu’il soit logique de s’attendre à ce que l’Agent de SST prenne connaissance d’un décès au travail par hasard, un décès sur lequel il a pour mission de faire une enquête. Le passage qui précède l’interprétation législative de Driedger citée au paragraphe 55 du jugement prononcé par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., est ainsi conçu :

 

Face à une disposition législative qui, interprétée littéralement, semble illogique, la Cour devrait se demander s’il est possible de l’interpréter d’une manière qui soit conforme au contexte et qui permette d’obtenir un résultat rationnel.

Je me pose une question semblable dans le présent appel et je conclus qu’il est à la fois conforme au contexte et à la logique d’appliquer les dispositions déclaratives du Code et du Règlement aux circonstances qui ont entraîné le décès d’un employé de la RBC dans son lieu de travail. J’estime qu’il est également conforme au contexte et à la logique d’inclure ces circonstances dans l’expression large et non définie « autres situations comportant des risques ».

 

  • [32] En résumé, je conviens avec l’appelante que la question en litige dans la présente affaire porte sur l’interprétation législative, mais j’arrive à la conclusion contraire au sujet de la validité de l’instruction contestée qui est, d’après moi, conforme à une interprétation libérale et téléologique du Code et du Règlement. Le fait que le décès de l’employé soit survenu dans les lieux de travail, pendant qu’il était au travail, constitue un lien suffisant avec son emploi pour ce qui est de la portée et du sens du Code. Je conclus que les termes utilisés dans la Loi, lorsqu’ils sont interprétés en tenant compte du contexte global, un contexte qui comprend le libellé du paragraphe 141(4) ainsi que celui des dispositions citées dans l’instruction, font qu’il est à la fois raisonnable et conforme à l’esprit, à l’intention et à l’objet du Code et du Règlement que l’Agent de SST ait considéré que les circonstances du décès de l’employé de la RBC dans le lieu de travail et au travail, soient visées par l’expression autres situations comportant des risques au sens du Code, et que cela ait déclenché une obligation déclarative pour l’employeur. Un tel rapport permet à l’Agent de SST d’assumer la responsabilité légale que lui confère le Code, à savoir faire enquête sur tous les décès d’employés survenus au travail. Je conclus également que l’esprit, l’objet et l’intention du Code étayent l’établissement d’un délai de 24 heures pour rapporter les décès, par le biais du Règlement et pour ainsi permettre à l’Agent de SST d’être informé du décès très rapidement, pour que celui-ci puisse ainsi exercer ses attributions légales, selon les besoins, de façon rapide et efficace. Je mentionne également en passant que la politique de RHDCC sur les rapports concernant les décès d’un employé dans le lieu de travail, tels que mentionnés dans le Feuillet 7, est conforme à l’esprit, à l’objet et à l’intention du Code et du Règlement.

 

Décision

  • [33] Pour les motifs qui précèdent, je confirme par les présentes l’instruction donnée par l’Agent de SST Chopra le 14 juin 2011.

 

 

Michael McDermott

Agent d’appel

 



[1] Canada (Procureur général) c JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610 au par. 55, et Bell Express Vu Limited Partnership c Rex, [2002] R.C.S. 559 au par. 26.

[2] Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au par. 62.

[3] Air Canada et Syndicat canadien de la fonction publique, élément Air Canada, 2009 TSSTC 23, au par. 182.

[4] Fifth Edition, 2002, Oxford University Press Inc., New York.

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