Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Vicki Lacasse,

plaignante,

et

Alliance de la Fonction publique du Canada,

intimée,

et

Monnaie royale canadienne,

employeur.

Dossier du Conseil : 30521-C

Référence neutre : 2014 CCRI 739

Le 15 août 2014

 

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice‑président, ainsi que de Me Robert Monette et M. Norman Rivard, Membres.

Représentants des parties au dossier

Mme Vicki Lacasse, en son propre nom;

M. Jacek Janczur, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada;

Me George Vuicic, pour la Monnaie royale canadienne.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

I. Nature de la plainte

[1] Le 25 juin 2014, le Conseil a reçu de la part de Mme Vicki Lacasse une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ), dans laquelle elle allègue que son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC), a enfreint l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] Mme Lacasse était une employée temporaire à la Monnaie royale canadienne (la Monnaie) jusqu’à ce qu’elle soit congédiée le 17 août 2012. Dans sa plainte de manquement au DRJ, Mme Lacasse a demandé au Conseil de la réintégrer dans son poste à la Monnaie.

[3] L’AFPC a déposé un grief pour contester la décision de la Monnaie de congédier Mme Lacasse. Dans une décision rendue le 2 juin 2014, l’arbitre John Manwaring a rejeté le grief de Mme Lacasse.

[4] Le Conseil a examiné la plainte de Mme Lacasse et a conclu qu’elle n’a pas réussi à établir une preuve prima facie démontrant que l’AFPC a enfreint le Code.

[5] Voici les motifs du Conseil.

II. Devoir de représentation juste

[6] À la lumière du contenu de la plainte de Mme Lacasse, qui faisait référence au bien-fondé de la décision de l’arbitre, ainsi que de l’impression subjective de la plaignante à l’égard de la façon dont l’avocat de l’AFPC a défendu sa cause à l’arbitrage, le Conseil examinera d’abord certains principes clés liés au DRJ.

A. Délai pour le dépôt des plaintes de manquement au DRJ

[7] Les paragraphes 97(1) et (2) du Code prévoient un délai de 90 jours pour le dépôt d’une plainte :

97. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu aux paragraphes 24(4) ou 34(6), aux articles 37, 47.3, 50, 69, 87.5 ou 87.6, au paragraphe 87.7(2) ou aux articles 94 ou 95;

...

(2) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

(c’est nous qui soulignons)

[8] En vertu de l’alinéa 16m.1), le Conseil a le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai de 90 jours, mais il ne l’exerce que si un plaignant l’a convaincu de l’existence de circonstances exceptionnelles : voir Perron-Martin, 2014 CCRI 719.

B. Analyse de l’existence d’une preuve prima facie

[9] En raison du volume important de plaintes de manquement au DRJ, dans bon nombre desquelles les plaignants font une mauvaise interprétation du rôle du Conseil, le Conseil a adopté un processus d’analyse de l’existence d’une preuve prima facie. Le Conseil ne demandera pas au syndicat intimé, ni à l’employeur, de répondre à une plainte, à moins qu’il n’ait d’abord conclu que le plaignant a établi une preuve prima facie.

[10] Autrement dit, si les faits importants, tels qu’ils sont décrits dans la plainte, ne permettent pas de conclure à une violation du Code – même s’ils sont tenus pour avérés –, le Conseil rejettera la plainte sans demander au syndicat ou à l’employeur de présenter des observations.

[11] Le Conseil a expliqué son processus d’analyse de l’existence d’une preuve prima facie dans Browne, 2012 CCRI 648 (Browne 648) :

D – Analyse de l’existence d’une preuve suffisante à première vue [prima facie]

[20] Dans les affaires relatives à l’article 37, le Conseil procède à une analyse de l’existence d’une preuve suffisante à première vue lorsqu’il examine une nouvelle plainte. À moins que le plaignant n’établisse l’existence d’une preuve suffisante à première vue d’une violation du Code, le Conseil ne demandera pas au syndicat et, encore moins, à l’employeur de présenter une réponse. Ce processus a récemment été expliqué dans Crispo, 2010 CCRI 527 :

[12] Le Conseil se livre à une analyse de la preuve suffisante à première vue dans le cadre des nombreuses plaintes de manquement au devoir de représentation juste qu’il reçoit. Dans cette analyse, le Conseil tient pour avérés les faits importants allégués par un plaignant, et examine ensuite si ces faits importants peuvent être assimilables à une violation du Code.

[13] L’analyse de la preuve suffisante à première vue soupèse les faits importants plutôt que les conclusions de droit. Le plaignant qui invoque une conclusion de droit en alléguant, par exemple, qu’une conduite donnée était arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi n’évite pas ainsi l’application de ce critère.

[14] Dans Blanchet c. Association des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 712, 2009 CAF 103, la Cour d’appel fédérale a appuyé le recours par le Conseil à l’analyse de la preuve suffisante à première vue et l’accent qu’il met sur les faits importants :

[17] En règle générale, lorsqu’un tribunal tient pour avérées les allégations, il s’agit d’allégations de fait. Cette règle ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de conclusions de droit : voir Lawrence v. The Queen, [1978] 2 C.F. 782 (1ière instance). La détermination des questions de droit appartient au tribunal et non aux parties : ibidem.

[18] Il est vrai que le Conseil, dans l’extrait cité, n’a pas spécifié qu’il faisait référence aux allégations de fait du demandeur. Mais la référence qui y est faite aux allégations du demandeur ne peut être autre chose qu’une référence à des allégations de fait. Car, s’il en était autrement, il suffirait pour un plaignant d’énoncer comme conclusion que la décision de son syndicat est arbitraire ou discriminatoire pour que le Conseil soit tenu de conclure à une violation, du moins une violation prima facie, de l’article 37 du Code et d’adjuger sur le bien-fondé de la plainte. Ainsi le processus de tamisage (screening) des plaintes serait relégué aux oubliettes du passé.

(c’est nous qui soulignons)

[21] Dans l’extrait ci-dessus, la citation de l’arrêt Blanchet, rendu par la CAF, fait ressortir qu’il n’est pas suffisant d’affirmer qu’il y a eu conduite arbitraire ou discriminatoire pour être dispensé de l’analyse de l’existence d’une preuve suffisante à première vue. Le Conseil ne tient pas pour avérées les conclusions de droit d’un plaignant, mais il analyse plutôt les faits importants pour déterminer si l’affaire s’appuie sur une preuve suffisante à première vue.

[22] Le Conseil se demandera donc, en l’espèce, si les faits importants allégués par Mme Browne permettent de conclure à première vue qu’il y a eu violation de l’article 37 du Code.

C. Autres principes liés au DRJ

[12] Plusieurs plaintes de manquement au DRJ visent à contester la décision d’un syndicat de ne pas renvoyer un grief à l’arbitrage. L’affaire qui nous occupe fait exception, en ce sens que Mme Lacasse a déposé sa plainte auprès du Conseil après avoir reçu une décision défavorable d’un arbitre de griefs qui avait confirmé la décision de la Monnaie de la congédier.

[13] Dans le cas d’une plainte de manquement au DRJ, c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve : Scott, 2014 CCRI 710, aux paragraphes 97 à 102. Autrement dit, c’est à Mme Lacasse qu’il appartenait de démontrer au Conseil qu’il y a eu violation du Code par l’AFPC, du moins en établissant une preuve prima facie.

[14] Dans Heitzmann, 2014 CCRI 737, le Conseil a souligné que son rôle n’est pas celui d’un tribunal d’appel général chargé d’examiner toutes les décisions des syndicats. Au contraire, l’article 37 établit très clairement le critère concernant la représentation d’un syndicat auquel un plaignant doit répondre afin d’établir qu’il y a eu violation prima facie du Code :

[80] De façon similaire, l’intention du Parlement n’était pas que le Conseil siège en appel des décisions d’un syndicat et porte un jugement sur la qualité ou le caractère raisonnable de sa représentation. Au contraire, l’article 37 précise clairement qu’il y a violation du Code uniquement lorsque la conduite d’un syndicat répond au critère exigeant pour être considérée comme « arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi ».

[15] De même, une plainte de manquement au DRJ ne peut être utilisée comme contestation indirecte du bien-fondé d’une décision d’un arbitre de griefs. Les décisions rendues par les arbitres de griefs sont protégées par une clause privative à l’article 58 du Code :

58. (1) Les ordonnances ou décisions d’un conseil d’arbitrage ou d’un arbitre sont définitives et ne peuvent être ni contestées ni révisées par voie judiciaire.

(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire – notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto – visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre ou d’un conseil d’arbitrage exercée dans le cadre de la présente partie.

[16] C’est par le contrôle judiciaire qu’il faudrait contester la décision d’un arbitre. Or, c’est au syndicat de décider s’il convient ou non de demander un contrôle judiciaire.

[17] Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario dans Taucar v. University of Western Ontario, 2013 HRTO 597, confirmée par la Cour divisionnaire dans Taucar v. Human Rights Tribunal of Ontario, 2014 ONSC 1818, s’est prononcé sur l’importance de prévenir les contestations indirectes de décisions administratives :

[46] La deuxième raison pour laquelle le Tribunal a étendu aux décideurs quasi judiciaires la doctrine de l’immunité judiciaire est pour prévenir les contestations indirectes des décisions rendues par ces derniers. L’application de la doctrine de l’immunité des décideurs garantit que les décisions judiciaires ou quasi judiciaires rendues seront examinées suivant les moyens d’appel et de contrôle judiciaire appropriés, et non en intentant des procédures judiciaires contre les décideurs eux-mêmes. Si les parties sont insatisfaites des décisions rendues par les décideurs quasi judiciaires, elles peuvent porter ces décisions en appel ou demander un contrôle judiciaire, lorsque cela est possible, mais elles ne peuvent pas intenter des actions contre eux devant le Tribunal. Voir par exemple, Hazel, au para 98, et Bin Slama, au para 14.

(traduction)

[18] Pour des raisons similaires, une plainte de manquement au DRJ ne constitue pas une méthode appropriée pour contester le bien-fondé d’une décision arbitrale défavorable.

[19] Il est mentionné dans diverses décisions que, dans une plainte de manquement au DRJ, le rôle du Conseil ne comprend généralement pas l’examen de la façon dont un avocat a pu défendre une cause à l’arbitrage.

[20] Par exemple, dans Bomongo c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2010 CAF 126 (Bomongo), la Cour d’appel fédérale (la CAF) s’est prononcée sur le rôle limité que le Conseil devait jouer à cet égard :

[15] Devant nous, les demandeurs reprochent au Conseil de ne pas avoir tenu compte de faits et gestes qui, de fait, débordent le cadre de son mandat lors de l’analyse d’une plainte sous l’article 37. Par exemple, tel que déjà mentionné, ils remettent à nouveau en cause la conduite de la procureure du Syndicat en lui reprochant de ne pas s’être opposée à l’admissibilité d’une preuve devant l’arbitre alors que l’article 60 du Code confère à l’arbitre le pouvoir d’accepter toute preuve qu’à son appréciation il juge indiqué, qu’elle soit admissible ou non en justice. De toute façon, l’audition n’en était qu’à ses débuts et les preuves furent déposées sous réserve de leur admissibilité et de toute autre objection. Les demandeurs ont mal compris et interprété le déroulement des procédures dans leur phase initiale devant l’arbitre. On comprendra facilement que le Conseil ne peut s’immiscer à la légère dans la qualité de la représentation devant l’arbitre et dans la question de la compétence ou de la stratégie de la procureure du Syndicat.

(c’est nous qui soulignons)

[21] Dans la décision Rousseau (1996), 102 di 17 (CCRT no 1173), rendue par le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT) siégeant en séance plénière, le prédécesseur du présent Conseil a décrit le rôle qu’il devait jouer dans de telles circonstances en employant le terme « circonspection ». Le Conseil a, au plus, un rôle très restreint en ce qui concerne la qualité de la représentation à l’arbitrage et il n’examinera le comportement du syndicat ou de son avocat que dans des circonstances exceptionnelles.

[22]  Dans Lucio Samperi (1982), 49 di 40; [1982] 2 Can LRBR 207; et 82 CLLC 16,172 (CCRT n° 376), le CCRT a formulé les commentaires suivants concernant le genre de circonstances rares qui pourraient inciter le Conseil à procéder à un tel examen :

La conduite humaine est trop hétérogène pour établir des règles absolues. Nous ne pouvons pas dire que le devoir de représentation juste ne peut nullement intervenir dans la procédure d’arbitrage. À l’extrême limite, un syndicat agissant de mauvaise foi pourrait jouer la comédie avec la collusion de l’employeur, ou encore le représentant ou l’avocat du syndicat pourrait se présenter en état d’ivresse. Dans ce domaine, chaque cas doit être considéré à la lumière des faits qui lui sont propres. Mais le Conseil ne se mettra pas, au nom du devoir de représentation juste, à examiner à la loupe le comportement d’un syndicat dans la procédure d’arbitrage.

(c’est nous qui soulignons; pages 51; 214-215; et 710)

III. Analyse et décision

A. Délai de 90 jours

[23] Le Code prévoit un délai de 90 jours (voir ci‑dessus) pour faire en sorte que toutes les parties, qu’elles soient employeurs, syndicats ou employés, soumettent leurs différends au Conseil sans tarder. Dans Kerr, 2012 CCRI 631, le Conseil a souligné qu’il ne proroge habituellement pas le délai de 90 jours :

[21] Le législateur exige manifestement du Conseil que les plaintes en matière de relations du travail, y compris celles provenant de plaignants inexpérimentés, mais aussi de syndicats et d’employeurs, soient déposées dans des délais relativement stricts. En effet, avant les modifications apportées au Code en 1999, lesquelles incluaient l’ajout de l’alinéa 16m.1), le Conseil n’avait pas le moindre pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais pour la présentation de demandes (voir l’arrêt Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan et autre, [1979] 1 R.C.S. 902).

[22] La nécessité d’un délai en matière de relations du travail n’est pas surprenante. Le législateur a fréquemment imposé des délais pour diverses procédures judiciaires. Compte tenu de l’adage qui dit que « des relations du travail différées constituent des relations du travail mises en échec » (traduction), le législateur, tout en accordant un nouveau pouvoir discrétionnaire au Conseil en 1999, a toujours maintenu le délai de 90 jours prévu par le Code pour le dépôt de diverses plaintes en matière de relations du travail.

...

[25] Comme il a été souligné dans la décision Torres 526, outre le fait que le Code prévoit un délai pour le dépôt d’une plainte, les parties adverses devraient être en mesure de savoir si elles doivent conserver leurs éléments de preuve et se préparer en vue d’une procédure possible en matière de relations du travail. Une fois le délai de 90 jours écoulé, elles devraient pouvoir supposer que l’affaire est terminée.

[24] Dans sa plainte, Mme Lacasse indique clairement qu’elle a fait part à l’AFPC de ses préoccupations concernant l’arbitrage bien avant de déposer sa plainte de manquement au DRJ le 25 juin 2014. Après son audience d’arbitrage d’octobre 2013, Mme Lacasse a envoyé à l’AFPC une lettre datée du 18 novembre 2013, dans laquelle elle exprimait sa déception quant à la qualité de la représentation qu’elle avait reçue à l’arbitrage (annexe 2 de la plainte).

[25] Le 8 janvier 2014, l’AFPC a envoyé une réponse détaillée à Mme Lacasse (annexe 3 de la plainte).

[26] Malgré ses préoccupations, Mme Lacasse a attendu plus de six mois avant de déposer sa plainte de manquement au DRJ auprès du Conseil.

[27] Le délai prévu au Code n’est pas suspendu pendant qu’un arbitre rédige une décision. Le Conseil est convaincu que Mme Lacasse a eu, ou aurait dû avoir, connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte le 8 janvier 2014 au plus tard, lorsqu’elle a reçu la réponse détaillée de l’AFPC aux préoccupations qu’elle avait soulevées concernant l’arbitrage.

[28] Quoi qu’il en soit, même si la plainte de Mme Lacasse avait été déposée dans le délai prescrit, les faits importants qu’elle a allégués n’ont pas établi une preuve prima facie de violation du Code.

B. Charge d’un grief

[29] Un examen de la plainte de Mme Lacasse donne à penser que la plaignante n’a peut‑être pas tout à fait compris le principe bien connu en matière de relations du travail selon lequel l’agent négociateur accrédité, l’AFPC, avait la charge de son grief. Par exemple, à la page 5 de sa plainte, elle a laissé entendre que son allégation selon laquelle l’AFPC avait enfreint le Code trouvait appui dans l’explication fournie par l’avocat pour décrire son mandat :

À un moment donné pendant la procédure d’arbitrage, j’ai dit à l’avocat de l’AFPC : « Vous me représentez dans cette affaire. » Il m’a répondu directement : « Je ne vous représente pas, je représente le syndicat; je ne suis pas votre avocat. » Je tiens également à souligner qu’il n’a pas cru nécessaire de faire comparaître des témoins, alors que l’autre partie en a appelé un grand nombre.

(traduction)

[30] L’une des principales décisions que doit prendre un agent négociateur a trait à la question de savoir quelles affaires il convient de renvoyer à l’arbitrage. Un agent négociateur n’est pas tenu de prendre toutes les mesures qu’un membre de l’unité de négociation est susceptible de demander : Kasim, 2008 CCRI 432, au paragraphe 21 :

[21] Pour déterminer si un agent négociateur a rempli le devoir imposé par le Code, le Conseil examine le processus que l’agent a suivi lors de sa représentation d’un employé. Un agent négociateur ne peut être comparé à un avocat du secteur privé qui est obligé de suivre les instructions précises du client. Plutôt, dans pratiquement tous les cas, l’agent négociateur a la charge du grief et, bien qu’il doive communiquer avec l’employé en question, il conserve la discrétion de décider comment il traitera le grief.

C. Avocat à l’arbitrage

[31] Dans sa plainte, Mme Lacasse a donné divers exemples de situations dans lesquelles, à son avis, l’avocat de l’AFPC aurait dû défendre sa cause différemment. Elle a souligné, entre autres choses – et le Conseil insiste sur le fait qu’il ne s’agit là que des allégations non prouvées d’une seule partie –, que l’avocat aurait pu davantage interroger les témoins de la Monnaie, contester l’envergure des mesures disciplinaires progressives prises par la Monnaie, faire comparaître un témoin qu’elle avait proposé et prendre plus de temps pour préparer le dossier.

[32] Même si ces faits importants étaient tenus pour avérés, ils ne constituent qu’un simple différend à propos de la façon dont un avocat qualifié a défendu une affaire. La Cour d’appel fédérale dans Bomongo, précité, et le Conseil dans Browne 648, précitée, ont tous les deux mis l’accent sur le fait que le Conseil ne devrait pas s’immiscer dans les détails de la défense d’un grief par un avocat.

[33] La plainte de Mme Lacasse démontre cependant que l’AFPC a présenté un grief pour contester son congédiement et qu’elle s’est rendue jusqu’à l’arbitrage. L’AFPC a eu recours aux services d’un avocat pour préparer et défendre l’affaire de Mme Lacasse. L’audience qui a eu lieu devant un arbitre indépendant a duré quatre jours : les 17, 18, 24 et 25 octobre 2013.

[34] Les efforts considérables déployés par l’AFPC pour représenter la plaignante expliquent pourquoi Mme Lacasse n’a pas été en mesure de s’acquitter du fardeau d’établir une preuve prima facie de violation du Code.

D. Bien-fondé de la décision arbitrale

[35] Aux pages 7 à 10 de sa plainte, Mme Lacasse résume les événements qui ont mené à sa suspension, puis à son congédiement. Peut‑être a-t-elle inclus ces renseignements dans sa plainte parce qu’elle demandait au Conseil, à titre de mesure de redressement, d’être réintégrée dans son emploi.

[36] La plainte de Mme Lacasse contenait différentes annexes, notamment l’annexe 5, intitulée « Réponse à la décision de l’arbitre » (traduction). Dans l’annexe 5, la plaignante a expliqué dans le détail pourquoi elle n’acceptait pas les conclusions de fait et de droit de l’arbitre. Selon les renseignements fournis à la page 6 de la plainte, il semble que Mme Lacasse ait envoyé cette « Réponse » (traduction) à l’arbitre.

[37] Dans le cadre d’une plainte de manquement au DRJ, le Conseil examine le processus suivi par le syndicat : Singh, 2012 CCRI 639, aux paragraphes 81 à 86. Comme il est expliqué ci‑dessus, l’AFPC a pris toutes les mesures qu’elle pouvait prendre, en vertu de la convention collective, pour que le congédiement de Mme Lacasse fasse l’objet d’une audience d’arbitrage complète. L’AFPC n’exerce bien entendu aucun contrôle sur le contenu de la décision de l’arbitre.

[38] Le Conseil n’examinera pas les conclusions de fait et de droit d’un arbitre de griefs. Non seulement un tel examen ne relève pas de la compétence du Conseil au regard du DRJ, qui vise principalement les actes du syndicat, mais il constituerait une contestation indirecte inadmissible d’une décision arbitrale : Taucar, précité.

IV. Résumé

[39] Le Conseil a examiné la plainte de Mme Lacasse.

[40] Dans sa lettre datée du 18 novembre 2013 (annexe 2), Mme Lacasse a fait part à l’AFPC de ses préoccupations à propos de la représentation qu’elle avait reçue à l’arbitrage. L’AFPC lui a répondu de façon très détaillée au moyen d’une lettre de trois pages datée du 8 janvier 2014.

[41] Mme Lacasse avait, ou aurait dû avoir, connaissance de la prétendue violation du Code par l’AFPC en janvier 2014. Elle n’a déposé sa plainte de manquement au DRJ que le 25 juin 2014. Ce n’est pas parce que Mme Lacasse a attendu de connaître la décision de l’arbitre qu’il faut suspendre le délai de 90 jours. Si Mme Lacasse estimait que l’AFPC avait enfreint le Code, elle aurait dû déposer sa plainte dans les 90 jours qui ont suivi la lettre de l’AFPC datée du 8 janvier 2014.

[42] Quoi qu’il en soit, l’analyse de l’existence d’une preuve prima facie effectuée par le Conseil a montré que, même si la plainte de Mme Lacasse avait été déposée à l’intérieur du délai prescrit, elle n’aurait pas permis de démontrer que l’AFPC a enfreint le Code.

[43] Lorsque le Conseil examine une plainte de manquement au DRJ, il se concentre sur le processus suivi par le syndicat. Dans le cadre du processus qu’elle a suivi, l’AFPC a notamment contesté le congédiement de Mme Lacasse devant un arbitre et a représenté la plaignante à l’audience, qui a duré quatre jours. Les doléances exposées par Mme Lacasse à propos de la façon dont sa cause a été défendue n’ont pas permis d’établir que l’AFPC a fait preuve d’une conduite arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi. Mme Lacasse ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer au Conseil que l’AFPC a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des droits qui lui sont reconnus par la convention collective.

[44] Le Conseil rejette la plainte.

[45] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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