Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Sophie Perron-Martin,

plaignante,

et

Symcor inc.,

intimée.

Dossier du Conseil : 30215-C

Référence neutre : 2014 CCRI 719

Le 2 avril 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (Code).

Représentants des parties au dossier
Mme Sophie Perron-Martin, en son propre nom;
Me Fany O’Bomsawin, pour Symcor inc.

I. Introduction

[1] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 8 novembre 2013, Mme Sophie Perron-Martin a déposé une plainte en vertu du paragraphe 133(1) du Code. Dans sa plainte, Mme Perron-Martin allègue que son ancien employeur, Symcor inc. (Symcor), l’a congédiée en violation de l’article 147 du Code.

[3] Dans le cadre de sa réponse, Symcor a soulevé une objection préliminaire à propos de la recevabilité de la plainte. Symcor allègue que Mme Perron-Martin n’a pas respecté le délai de 90 jours prévu au paragraphe 133(2) du Code pour le dépôt d’une plainte. Quant au bien-fondé de la plainte, Symcor nie que le congédiement de Mme Perron-Martin est lié à l’exercice d’un droit découlant de la partie II du Code.

[4] Le Conseil a décidé de rejeter la plainte de Mme Perron-Martin. Le Conseil ne siège pas en appel des décisions prises par des employeurs en vertu de leurs politiques internes en matière de harcèlement et de discrimination.

II. Chronologie des faits importants

[5] Dans leurs actes de procédure, les parties décrivent des plaintes de harcèlement impliquant Mme Perron-Martin chez Symcor. Ces plaintes ont été formulées au cours des années 2011 à 2013.

[6] Mme Perron-Martin a déposé certaines plaintes de harcèlement; d’autres plaintes ont été déposées contre elle.

[7] En conformité avec sa politique en matière de « Harcèlement et discrimination » (Politique en matière de harcèlement), Symcor a mené des enquêtes. Référence a été faite également à sa politique de « Traitement équitable garanti ».

[8] Mme Perron-Martin a déposé une plainte de harcèlement en octobre 2011. Elle décrit cette plainte dans son acte de procédure reçu le 8 novembre 2013 :

En octobre 2011, j’ai porté plainte, à mon directeur du temps, concernant l’attitude d’une employée à mon égard car je considérais être harcelée et traitée de façon inappropriée par elle. Cette plainte n’a pas été traitée et l’employée a continué son manège de plusieurs façons. (caractères gras ajoutés)

[9] Mme Perron-Martin a déposé une deuxième plainte en mai 2012, tel qu’il est décrit dans son acte de procédure :

En mai 2012, j’ai déposé une plainte de harcèlement auprès de mon directeur. Comme rien ne se produisait, le 25 juin 2012, j’ai déposé cette plainte aux ressources humaines de Montréal. Des rencontres et échanges ont été tenus à l’interne. Le résultat a été qu’il n’y avait pas de preuve de harcèlement contre moi. J’ai suivi toutes les étapes de la politique de traitement équitable de Symcor et ai adressé la même plainte, à la direction de Montréal, les ressources humaines de Toronto et la direction de Toronto.

(caractères gras ajoutés)

[10] En juin 2013, deux employés ont porté plainte contre Mme Perron-Martin. Tel qu’il est décrit dans l’acte de procédure de Mme Perron-Martin, ces plaintes ont mené à son congédiement le 17 juillet 2013.

Vers la mi-juin, Julie Griffin m’a convoquée pour m’aviser que deux employés avaient porté plainte contre moi. Elle m’a remis à ce moment le document liste des allégations. Pour moi, ces plaintes ne représentaient qu’un coup monté contre moi, une vengeance d’avoir voulu porter plainte pour le harcèlement dont j’étais victime. À tous les niveaux du dépôt de ma plainte, ils ont rejeté le fait que j’étais harcelée.

Suite au dépôt de ces plaintes contre moi, une intervenante externe m’a rencontrée afin de discuter de la situation. Je lui ai donné ma version complète des faits. Elle m’a remis copie de ma déclaration, faite le 26 juin 2013. J’ai donné des explications honnêtes à l’enquêteure (sic) et rien ne m’incriminait. Suite au dépôt du document de ma déclaration Julie Griffin a rédigé un sommaire appuyant les allégations qui me sont reprochées et dont j’ai reçu copie, par la poste suite à mon congédiement du 17 juillet dernier.

(caractères gras ajoutés)

[11] Par la suite, Mme Perron-Martin a déposé une plainte alléguant un congédiement sans cause juste et suffisante auprès de la Commission des normes du travail (Commission) du Québec. Dans une lettre en date du 23 août 2013, la Commission lui a indiqué qu’elle n’avait pas compétence, puisque Symcor était une entreprise de compétence fédérale.

[12] Le Conseil comprend, d’après l’acte de procédure de Mme Perron-Martin, qu’elle aurait ensuite déposé une plainte contre Symcor, en vertu de la partie III (normes du travail) du Code, alléguant un congédiement injuste.

[13] Mme Perron-Martin soutient que le 30 septembre 2013, elle a appris de l’inspecteur responsable de sa plainte de congédiement injuste l’existence du Conseil :

Ne connaissant pas l’existence du Conseil Canadien des relations Industrielles, celle-ci m’a été identifiée lors d’une rencontre avec l’inspecteur de la DCC du travail le 30 septembre 2013. L’inspecteur m’a recommandé de porter plainte également à votre organisme étant donné que selon lui, plusieurs articles du Code Canadien du Travail n’ont pas été respectés dans le processus menant à mon congédiement. Entre autres, lors des plaintes déposées contre moi juste avant mon congédiement les enquêtes ont été faites par des firmes externes à Symcor alors que lors de ma plainte, les enquêtes ont été menées par du de Symcor.

(sic)

[14] Le Conseil a reçu la plainte de Mme Perron-Martin le 8 novembre 2013.

III. Questions en litige

[15] Cette plainte soulève deux questions :

  1. La plainte est-elle recevable étant donné le délai de 90 jours prévu au paragraphe 133(2) du Code?
  2. Mme Perron-Martin a-t-elle démontré que Symcor a violé l’article 147 du Code?

IV. Analyse et décision

A. La plainte est-elle recevable étant donné le délai de 90 jours prévu au paragraphe 133(2) du Code?

[16] Symcor allègue que la plainte de Mme Perron-Martin a été déposée à l’extérieur du délai prescrit.

[17] Le Conseil accepte la proposition initiale de Symcor selon laquelle la plainte de Mme Perron-Martin a été déposée plus de 90 jours après la date de son congédiement. Symcor a congédié Mme Perron-Martin le 17 juillet 2013. Le Conseil n’a reçu sa plainte que le 8 novembre 2013, c’est-à-dire 114 jours après le congédiement.

[18] À première vue, la plainte de Mme Perron-Martin, déposée 114 jours après son congédiement, ne respecte pas le paragraphe 133(2) du Code :

133.(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(caractères gras ajoutés)

[19] À la page 2 de sa réplique, Mme Perron-Martin a expliqué ses efforts pour contester son congédiement :

Suite à mon congédiement, j’ai entrepris des recherches afin de pouvoir procéder au dépôt d’une plainte pour congédiement injuste et non justifié. J’ai consulté un avocat et c’est cet avocat qui m’a recommandé de porter plainte au Conseil du Travail du Canada. Toutes (sic) ces étapes, consultations, rendez-vous ont grugé beaucoup de temps. Lors d’une rencontre avec un enquêteur du CTC, j’ai eu des informations subséquentes qui m’ont fait comprendre qu’il y avait un recours possible au CCRI car mon cas pourrait relever de votre compétence.

(caractères gras ajoutés)

[20] L’article 156 du Code incorpore certains pouvoirs du Conseil qui se trouvent dans la partie I du Code :

156.(1) Par dérogation au paragraphe 14(1), le président ou un vice-président du Conseil ou un membre du Conseil nommé en vertu de l’alinéa 9(2)e) peut, dans le cadre de la présente partie, statuer sur une plainte présentée au Conseil. Ce faisant, il est :

a) investi des pouvoirs, droits et immunités conférés par la présente loi au Conseil, à l’exception du pouvoir de réglementation prévu par l’article 15;

b) assujetti à toutes les obligations et les restrictions que la présente loi impose au Conseil.

(2) Les dispositions correspondantes de la partie I s’appliquent aux ordonnances et décisions que rendent le Conseil ou l’un de ses membres dans le cadre de la présente partie ou aux procédures dont ils sont saisis sous le régime de celle-ci.

(caractères gras ajoutés)

[21] Parmi les pouvoirs du Conseil prévus à la partie I, on trouve l’alinéa 16m.1) :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

m.1) proroger les délais fixés par la présente partie pour la présentation d’une demande.

[22] La question qui s’impose dans les circonstances est celle de savoir si le Conseil devrait exercer son pouvoir discrétionnaire afin de « proroger les délais fixés… pour la présentation d’une demande ».

[23] Tel qu’il est décrit dans la décision Kerr, 2012 CCRI 631 (Kerr 631), le Conseil ne proroge habituellement pas les délais fixés :

[21] Le législateur exige manifestement du Conseil que les plaintes en matière de relations du travail, y compris celles provenant de plaignants inexpérimentés, mais aussi de syndicats et d’employeurs, soient déposées dans des délais relativement stricts. En effet, avant les modifications apportées au Code en 1999, lesquelles incluaient l’ajout de l’alinéa 16m.1), le Conseil n’avait pas le moindre pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais pour la présentation de demandes (voir l’arrêt Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan et autre, [1979] 1 R.C.S. 902).

[22] La nécessité d’un délai en matière de relations du travail n’est pas surprenante. Le législateur a fréquemment imposé des délais pour diverses procédures judiciaires. Compte tenu de l’adage qui dit que « des relations du travail différées constituent des relations du travail mises en échec » (traduction), le législateur, tout en accordant un nouveau pouvoir discrétionnaire au Conseil en 1999, a toujours maintenu le délai de 90 jours prévu par le Code pour le dépôt de diverses plaintes en matière de relations du travail.

[23] Le Conseil prend au sérieux la nécessité de traiter les plaintes en matière de relations du travail dans le délai prescrit. Le Conseil a récemment formulé des commentaires, dans la décision Torres, 2010 CCRI 526 (Torres 526), sur la manière dont il examinera les affaires qui portent sur une demande de prorogation de délai. Dans Torres 526, les plaignants avaient déposé leur plainte six mois après l’expiration du délai prescrit :

[19] Le Conseil ne dispensera pas systématiquement une partie de l’obligation de respecter le délai de 90 jours prévu pour déposer une plainte de pratique déloyale de travail. Le législateur a toujours souligné l’importance du fait que le Conseil devait être saisi sans délai des questions de relations de travail. Les éventuelles parties intimées ont le droit de savoir si elles doivent conserver les éléments de preuve et, par ailleurs, se préparer en vue d’une plainte déposée en vertu du Code.

[20] Il peut sembler inéquitable que des profanes aient à agir rapidement pour déposer des plaintes liées aux relations de travail, mais le paragraphe 97(2) s’applique pareillement aux syndicats et aux employeurs.

[21] Le Conseil n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 16m.1) de manière à rendre illusoire l’intention du législateur d’obliger les parties à déposer promptement leurs plaintes liées aux relations de travail.

[22] Néanmoins, le Conseil examinera la possibilité de proroger les délais dans des circonstances impérieuses, tel le cas où la santé d’un plaignant l’aurait empêché de déposer sa plainte en temps opportun (voir Galarneau, 2003 CCRI 239). En général, le Conseil examinera la longueur du délai ainsi que sa justification.

[24] Dans l’arrêt Eduardo Buenaventura Jr. et autres c. Telecommunications Workers Union (TWU) et autres, 2012 CAF 69, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du Conseil de ne pas proroger le délai dans l’affaire Torres 526 :

[44] Le Conseil a aussi examiné explicitement l’importance du retard (9 mois) et sa cause. Il est arrivé à la conclusion que la cause principale était une croyance sincère mais erronée des plaignants selon laquelle le Conseil préférerait une seule plainte présentée par plusieurs plaignants et déposée en retard à une multitude de plaintes individuelles déposées à temps. Toutefois, le Conseil a noté qu’il avait suffisamment de moyens de procédure pour traiter un grand nombre de plaintes.

[45] Les plaignants ne laissent pas entendre que le Conseil a mal compris la cause du retard. Toutefois, ils soutiennent qu’il était déraisonnable pour le Conseil de ne pas accorder une attention spéciale au fait que les plaignants n’ont pas eu d’avocat pour la majeure partie de cette période de neuf mois. Ils soulignent que leur inexpérience relative entraînait des obstacles difficiles à surmonter, aussi bien pour rassembler les renseignements qui, croyaient-ils, auraient été nécessaires à étayer leur plainte que pour évaluer les procédures du Conseil et les voies par lesquelles une multitude de plaintes pouvait être gérée efficacement.

[46] Une décision est raisonnable si elle est suffisamment justifiée et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est ce qui ressort de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. À mon avis, le dossier ne dévoile pas que la décision du Conseil, c’est-à-dire de ne pas proroger le délai en l’espèce, était déraisonnable.

[47] Il est vrai que le Conseil n’a pas fait preuve de compassion relativement aux difficultés que devaient résoudre les plaignants alors qu’ils faisaient face à une situation qui leur était peu familière et qu’ils voulaient faire en sorte que leur plainte, une fois présentée, puisse être traitée efficacement. Toutefois, ces conditions difficiles ne donnaient aux plaignants aucun droit juridique leur permettant d’obtenir que le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. À mon avis, la décision du Conseil de refuser la prorogation de délai appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et était donc raisonnable. J’estime que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[25] Comme il a été souligné dans la décision Torres 526, outre le fait que le Code prévoit un délai pour le dépôt d’une plainte, les parties adverses devraient être en mesure de savoir si elles doivent conserver leurs éléments de preuve et se préparer en vue d’une procédure possible en matière de relations du travail. Une fois le délai de 90 jours écoulé, elles devraient pouvoir supposer que l’affaire est terminée.

[24] Nonobstant le principe général qui découle de la décision Kerr 631, précitée, le Conseil est d’avis que la plainte de Mme Perron-Martin représente un cas exceptionnel où il y a lieu de proroger le délai fixé de 90 jours. Plusieurs facteurs appuient cette décision.

[25] Premièrement, Mme Perron-Martin a toujours agi avec diligence suivant son congédiement. Elle a déposé plusieurs plaintes aux niveaux provincial et fédéral. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle une plaignante n’a rien fait pendant la période de 90 jours. Mme Perron-Martin a toujours voulu contester son congédiement.

[26] Deuxièmement, le droit constitutionnel est compliqué : la Cour suprême du Canada n’est pas toujours unanime dans ses décisions constitutionnelles. Le fait qu’un plaignant diligent n’a pas entamé sa démarche de contestation auprès de la compétence appropriée peut être un facteur pertinent pour le Conseil lorsqu’il doit déterminer s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Toutefois, cela ne signifie pas que le dépôt d’une plainte devant la mauvaise instance donne automatiquement droit à une prorogation des délais fixés par le Code.

[27] Troisièmement, et ceci est peut-être le facteur le plus important en l’espèce, le nombre de jours au-delà de ce délai de 90 jours est relativement faible. Si on compare le retard de 6 mois dont il est question dans la décision Kerr 631, précitée, et le retard de 24 jours dans le présent dossier (24 jours au-delà des 90 jours), l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par le Code s’avère approprié.

[28] Pour ces motifs, le Conseil est prêt à trancher la plainte de Mme Perron-Martin sur le fond. Toutefois, le Conseil limite son analyse aux événements entourant le congédiement de Mme Perron-Martin le 17 juillet 2013. Les plaintes de harcèlement en 2011 et en 2012 ont été mentionnées précédemment seulement pour donner le contexte entourant le congédiement de Mme Perron-Martin.

B. Mme Perron-Martin a-t-elle démontré que Symcor a violé l’article 147 du Code?

[29] La compétence du Conseil en vertu de la partie II du Code est limitée. Il n’appartient pas au Conseil de déterminer si un employeur a congédié un employé pour cause juste et suffisante. Une telle compétence relève, dans le cas d’un employé non syndiqué, d’un arbitre agissant en conformité avec la partie III du Code (articles 240 à 246).

[30] Également, le Conseil ne siège pas en appel des décisions prises par des employeurs en vertu de leurs politiques internes en matière de harcèlement et de discrimination.

[31] L’article 147 établit l’interdiction générale en ce qui concerne les mesures disciplinaires imposées par un employeur :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[32] L’article 133 régit les plaintes découlant de mesures disciplinaires d’un employeur :

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[33] Dans la décision Paquet, 2013 CCRI 691 (Paquet 691), le Conseil a décrit les circonstances dans lesquelles un employé participe à un processus en matière de santé et de sécurité au travail pour l’application de l’article 147 du Code :

[54] Essentiellement, un employeur ne peut user de représailles envers un employé parce que celui-ci a participé à un processus prévu aux termes de la partie II. La participation de l’employé peut consister à avoir témoigné dans une poursuite ou à avoir fourni un renseignement dans une affaire visée à la partie II. Elle peut aussi consister à avoir observé les dispositions de la partie II ou à avoir cherché à les faire appliquer. Par souci de commodité, nous désignerons par « processus de la partie II » ces diverses activités prévues à l’article 147.

(caractères gras ajoutés)

[34] Toujours dans Paquet 691, précitée, le Conseil a décrit l’analyse qui s’impose dans une situation comme celle de Mme Perron-Martin :

[59] En résumé, le Conseil n’est pas chargé de l’application ou de l’interprétation de la plupart des dispositions de la partie II. Les allégations de non-conformité ou de violation relèvent d’un agent de santé et de sécurité…, si les parties ne parviennent pas à les résoudre elles-mêmes. Le Conseil n’a pas non plus à régler les différends découlant d’une convention collective, même si ceux-ci ont trait à des questions touchant la santé et la sécurité visées à la partie II. Le Code confie plutôt au Conseil le rôle de déterminer si un employeur a imposé ou a menacé d’imposer des mesures disciplinaires, y compris un congédiement, à un employé qui a participé à un processus de la partie II, selon la définition donnée précédemment.

[60] Cette interaction entre les articles 147 et 133 conduit à une analyse en trois étapes. Chaque étape doit être franchie avec succès pour que le Conseil puisse conclure à une violation du Code.

  1. Air Canada a-t-elle imposé ou menacé d’imposer des mesures disciplinaires?
  2. Les employées prenaient-elles part à un processus de la partie II?
  3. Un lien existait-il entre le processus de la partie II et les mesures disciplinaires imposées par Air Canada?
(caractères gras ajoutés)

[35] Le Conseil fera la même analyse tripartite pour la plainte de Mme Perron-Martin.

1. Symcor a-t-elle imposé des mesures disciplinaires à l’endroit de Mme Perron-Martin?

[36] Les parties ne contestent pas que Symcor a congédié Mme Perron-Martin. Ce premier critère ne soulève aucun débat.

2. Mme Perron-Martin prenait-elle part à un processus régi par la partie II du Code?

[37] Le processus en question chez Symcor était lié à sa Politique en matière de harcèlement.

[38] Le Conseil est d’avis que les plaintes déposées en vertu d’une politique interne en matière de harcèlement ne constituent pas, règle générale, un processus en matière de santé et de sécurité au travail aux fins de la partie II du Code.

[39] La plupart des employeurs ont adopté des politiques pour éliminer le harcèlement et la discrimination au travail. Ces politiques sont adoptées par les employeurs de compétence fédérale afin de promouvoir les droits qui sont énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

[40] Afin de faciliter l’adoption d’une telle politique, la Commission canadienne des droits de la personne publie sur son site Web un gabarit pour une politique appropriée contre le harcèlement.

[41] Le Conseil est d’avis que Mme Perron-Martin, malgré sa participation à un processus régi par la Politique en matière de harcèlement chez Symcor, n’a jamais pris part par ce seul fait à un processus en matière de santé et de sécurité au travail en vertu de la partie II du Code.

[42] La partie II ne fait référence nulle part au concept de harcèlement. Dans des affaires antérieures, comme Grolla, 2011 CCRI 592, le Conseil a eu l’occasion d’examiner la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304) (Règlement) intitulée « Prévention de la violence dans le lieu de travail » (Partie XX).

[43] La Partie XX oblige les employeurs à élaborer une politique de prévention de la violence dans le lieu de travail (article 20.3). On y décrit la violence dans le lieu de travail comme suit :

20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.

(caractères gras ajoutés)

[44] Le Conseil constate premièrement que, dans la Partie XX, on n’utilise jamais le mot « harcèlement ». La Partie XX semble plutôt viser des situations de violence. Ce seul fait suggère au Conseil qu’une plainte de harcèlement déposée en vertu d’une politique interne d’un employeur ne constitue pas généralement un processus en matière de santé et de sécurité au travail.

[45] On pourrait un jour faire valoir qu’une plainte de harcèlement est régie, au moins en partie, par la Partie XX, mais cela n’est pas le cas dans la situation actuelle.

[46] La Partie XX vise la violence au travail. Elle n’a pas été adoptée pour viser expressément des allégations de harcèlement. Les cours civiles reconnaissent depuis longtemps que les études d’impact de la réglementation peuvent être prises en considération lors d’un processus d’interprétation d’un règlement : R. v. Boutcher, 2001 NFCA 33, au paragraphe 76.

[47] Le deuxième paragraphe du « Résumé de l’étude d’impact de la réglementation » figurant dans le Règlement a présenté cette analyse lors de l’adoption de la Partie XX :

On reconnaît que le Règlement sur le programme de prévention des risques pour les entreprises du Canada sous réglementation fédérale a donné lieu à l’élaboration et à la mise en place de mesures de prévention spécifiques visant à réduire ou à éliminer les risques dans le lieu de travail, notamment, dans certains cas, les risques liés à la violence au travail. Le Règlement sur la prévention de la violence dans le lieu de travail (sic) constitue un outil qui favorise la création de meilleurs programmes de prévention et de meilleures mesures d’exécution, propres au problème de la violence au travail.

[48] Dans une décision récente, Canadian Food Inspection Agency v. Public Service Alliance of Canada, 2014 OHSTC 1, une interprétation semblable de la Partie XX a été adoptée. Le tribunal fait la distinction entre certaines situations de harcèlement et la violence :

[60] Pour l’application aux faits en cause de la définition de violence dans le lieu de travail qui est énoncée dans le Règlement, j’ai été en mesure de conclure que les allégations de l’employé d’actes humiliants, irrespectueux et traduisant du favoritisme, adoptés par le superviseur à son endroit – par exemple des « gestes de la main, le fait de lever les yeux au ciel ou des paroles humiliantes » –, correspondent à la première partie de la définition énoncé à l’article 20.2, car ces actes constituent des « agissements », des « comportements » et des « gestes ». Selon moi, les faits allégués ne pourraient toutefois pas vraisemblablement causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé.

[61] De plus, j’estime que la définition de violence dans le lieu de travail n’est pas censée s’appliquer à des situations comme celle qui nous occupe en l’espèce, dans laquelle les allégations d’un employé, si on les tient pour avérées, relèvent davantage d’une humiliation ou d’un manque de respect ressenti en conséquence de la conduite du superviseur. L’objet de la définition est de traiter des situations dans lesquelles un employé craint de subir un dommage ou un préjudice, ou de devenir malade, en raison des comportements adoptés par une autre personne dans le lieu de travail.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[49] Le tribunal a apporté plus de précisions sur cette distinction aux paragraphes 65 et 69 de sa décision :

[65] Au contraire, la partie XX ne s’applique pas si les allégations de l’employé ne sont pas liées à de la violence dans le lieu de travail, ou si les faits allégués n’en constituent pas. Dans de telles situations, l’employeur peut choisir de traiter le dossier selon d’autres mécanismes ou politiques mieux adaptés à la situation. En l’espèce, l’employeur a décidé d’appliquer sa Politique de prévention et de résolution du harcèlement dans le lieu de travail, afin qu’un examen initial de la plainte soit effectué par le directeur régional.

[69] J’estime que la seule question à trancher, en l’espèce, est celle de l’application de la définition de violence dans le lieu de travail énoncée à l’article 20.2. La seule question que je me suis posée est celle de savoir si les comportements, les gestes ou l’attitude du superviseur répondaient à la définition de violence dans le lieu de travail énoncée dans le Règlement. J’ai conclu que ce n’était pas le cas, étant donné que les agissements et les faits allégués ne pourraient vraisemblablement pas causer un dommage, un préjudice ou une maladie à l’employé. J’ai en outre conclu que rien n’empêchait l’employeur d’appliquer sa politique en matière de harcèlement pour donner suite aux allégations de l’employé.

(traduction; caractères gras ajoutés)

[50] Du point de vue du Conseil, Mme Perron-Martin a été impliquée dans des plaintes de harcèlement déposées en conformité avec la Politique en matière de harcèlement de Symcor. Symcor a fait enquête dans certains cas à l’interne et dans d’autres cas en engageant des experts de l’extérieur.

[51] Mme Perron-Martin avait le fardeau de démontrer qu’elle a pris part à un processus régi par la partie II. Sa référence aux plaintes de harcèlement déposées en vertu de la Politique en matière de harcèlement de Symcor ne fait pas en sorte qu’elle s’est acquittée de ce fardeau.

3. Existe-t-il un lien (« nexus ») entre un processus régi par la partie II et le congédiement de Mme Perron-Martin?

[52] Même si le Conseil avait tort à propos de sa conclusion relativement au deuxième critère de l’analyse, Mme Perron-Martin n’a pu démontrer qu’il existe un lien entre son congédiement et un présumé processus régi par la partie II.

[53] Tel qu’il est indiqué ci-dessus, le Conseil n’a aucune compétence pour siéger en appel des décisions découlant de plaintes de harcèlement ou de discrimination. De plus, Mme Perron-Martin semble avoir déjà contesté, en vertu de la partie III du Code, la question de savoir si Symcor avait une cause juste et suffisante pour la congédier.

[54] Symcor a décidé de congédier Mme Perron-Martin à la suite de certaines enquêtes menées dans le cadre de l’application de sa propre Politique en matière de harcèlement. Le congédiement se situe dans le contexte d’une série de conflits entre Mme Perron-Martin et certains de ses collègues. Le Conseil est satisfait que ce sont ces événements entre collègues qui ont mené au congédiement, plutôt qu’une participation à un processus régi par la partie II du Code.

[55] La question de savoir si ces événements donnaient à Symcor une cause juste et suffisante pour le congédiement de Mme Perron-Martin pourrait être débattue devant un arbitre.

[56] Le Conseil rejette donc la plainte de Mme Perron-Martin.

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