Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Section locale 213 de la Fraternité internationale des Teamsters,

requérante,

et

Kristoff Holdings ltée s/n Kristoff Trucking,

employeur.

Dossier du Conseil : 29938-C

Section locale 213 de la Fraternité internationale des Teamsters,

intimée,

et

Kristoff Holdings ltée s/n Kristoff Trucking,

employeur.

Dossier du Conseil : 29944-C

Référence neutre : 2014 CCRI 714

Le 19 février 2014

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de M. John Bowman et Me Richard Brabander, Membres. L’argumentation concernant la compétence du Conseil a été entendue par vidéoconférence le 26 septembre 2013.

Ont comparu
Me Bryan W. Savage, pour la section locale 213 de la Fraternité internationale des Teamsters;
Me Ryan Copeland, pour Kristoff Holdings ltée s/n Kristoff Trucking.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Richard Brabander, Membre.

I. Introduction

[1] La question préliminaire à trancher dans ces deux affaires est de savoir si les activités d’une entreprise de camionnage ayant son siège social en Colombie-Britannique (C.-B.) constituent une « entreprise fédérale » assujettie au Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code).

[2] Bien que le Conseil n’ait pas réuni les instances des deux dossiers distincts dont il a été saisi, il a décidé, aux termes de l’article 20 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), qu’il convenait de procéder à l’examen des observations des parties et d’entendre les plaidoiries finales sur la question de la compétence constitutionnelle dans les deux affaires en même temps. Il en a informé les parties dans son avis d’audience daté du 23 août 2013.

[3] La réponse à la question constitutionnelle de savoir si le Code régit les relations du travail des parties permettra au Conseil de poursuivre son enquête sur le bien-fondé des deux affaires ou d’y mettre fin.

[4] Seule la question préliminaire de la compétence a été abordée par les parties devant le Conseil lors de la vidéoconférence du 26 septembre 2013.

II. Nature des instances et question de compétence

[5] La question de la compétence constitutionnelle du Conseil découle d’une demande d’accréditation (la demande) et d’une plainte de pratique déloyale de travail (la plainte), qui ont toutes les deux été présentées au Conseil par la section locale 213 de la Fraternité internationale des Teamsters (la requérante) relativement à des employés de Kristoff Holdings ltée, faisant affaire sous la raison sociale Kristoff Trucking (Kristoff Trucking ou l’employeur).

[6] L’unique question sur laquelle portent les présents motifs de décision est de savoir si les activités de Kristoff Trucking constituent ou non une « entreprise fédérale » assujettie au Code.

[7] Le dossier factuel sur lequel les parties ont fondé leurs observations écrites et leurs argumentations orales, et sur lequel le Conseil s’appuie pour trancher cette question, regroupait toute la documentation pertinente contenue dans les volumineuses observations des deux parties.

[8] Ces faits n’ont pas été contestés pour l’essentiel, bien que l’importance à accorder à certains d’entre eux diffère pour chacune des parties; il a été convenu que ces faits étaient valables et appropriés aux fins de l’argumentation sur la compétence constitutionnelle du Conseil, et ils sont résumés ci après.

III. Contexte

[9] Le 9 avril 2013, la requérante a présenté une demande d’accréditation, en vertu de l’article 24 du Code, afin d’être accréditée agent négociateur d’une unité de négociation regroupant tous les employés de l’employeur en Colombie Britannique, à l’exclusion du personnel de bureau et de gestion. Selon la demande, l’unité proposée comptait environ 30 employés.

[10] Le 12 avril 2013, la requérante a déposé une plainte de pratique déloyale de travail en vertu du paragraphe 97(1) du Code, dans laquelle elle alléguait que l’employeur avait enfreint le paragraphe 94(1), les alinéas 94(3)a), b) et e) ainsi que le paragraphe 96.

[11] Le 17 avril 2013, l’employeur a contesté la demande par l’entremise de deux lettres envoyées par son procureur, dans lesquelles il faisait valoir que, comme son entreprise n’était pas une entreprise fédérale, elle n’était pas assujettie au Code, et que le Conseil n’avait pas la compétence constitutionnelle pour traiter la demande. Il a soulevé la même objection concernant la plainte.

[12] Sous réserve de cette position, l’employeur a aussi contesté la description de l’unité de négociation proposée, et il a fourni les documents et les renseignements demandés par le Conseil. Le 20 avril 2013, le Conseil a reçu la confirmation de l’employeur que celui ci s’était conformé à l’exigence d’afficher l’avis de la demande.

[13] Le 17 avril 2013, l’employeur a aussi fourni de nombreux renseignements dans une lettre distincte accompagnée de pièces jointes. La lettre comprenait des observations écrites à l’appui de son objection relativement à la compétence du Conseil, fondée « sur la prémisse que l’employeur n’est pas une entreprise fédérale et qu’il n’est donc pas assujetti au... Code » (traduction).

[14] Le 19 avril 2013, dans une lettre exposant une argumentation exhaustive qui était accompagnée d’un nombre considérable de documents supplémentaires, l’employeur a exprimé de nouveau son objection relativement à la compétence et, sous réserve de cette objection, a répondu à la plainte.

[15] Ces observations relativement complètes décrivaient dans le détail ce que l’employeur considérait comme son entreprise de camionnage et d’entreposage, les activités qu’il menait et son effectif. Elles englobaient aussi des documents liés à une demande que la requérante avait déjà présentée aux termes du Labour Relations Code de la Colombie Britannique afin de représenter essentiellement la même unité d’employés. La Commission des relations de travail de la Colombie Britannique (la Commission de la C.-B.) avait tenu une audience pour traiter cette demande, avait ordonné la tenue d’un scrutin de représentation et avait rejeté la demande le 15 février 2013, à la lumière du résultat de ce scrutin.

[16] Le 19 avril 2013, sous pli séparé, l’employeur a aussi fourni d’autres renseignements que le Conseil avait demandés concernant les employés à temps partiel et occasionnels que comptait son effectif.

[17] La requérante a répliqué à la réponse de l’employeur concernant sa plainte de pratique déloyale de travail le 24 avril 2013. Elle indiquait qu’elle répliquerait à l’objection de l’employeur relativement à la compétence dans sa prochaine réplique concernant la demande d’accréditation, et demandait que sa demande et sa plainte soient instruites en même temps par le Conseil.

[18] Le 26 avril 2013, la requérante a répliqué à la réponse de l’employeur concernant sa demande d’accréditation, fournissant au Conseil des observations écrites et des renseignements détaillés. Elle était d’avis que « l’employeur est une entreprise fédérale et relève donc de la compétence du Conseil » (traduction).

[19] Dans la partie de sa réplique portant sur la question de la compétence, la requérante a décrit le genre de travail qu’effectuait l’employeur et les modalités d’exécution liées aux tâches de camionnage pour ce qui est des chargements, des conteneurs, des matériaux et des destinations, résumant ce qu’elle comprenait de certaines caractéristiques pertinentes de l’entreprise. Elle a aussi mis en évidence certains aspects de certaines tâches qui avaient parfois nécessité des voyages à destination de deux endroits situés à l’extérieur de la province de la Colombie Britannique : Edmonton, en Alberta, et la mine Wolverine, exploitée par Yukon Zinc dans le Sud Est du Yukon.

[20] Le 8 mai 2013, par l’entremise d’une réplique supplémentaire, l’employeur a fourni d’autres précisions sur ses activités, et il a apporté plusieurs corrections aux renseignements qu’il avait initialement présentés au Conseil, tout particulièrement en ce qui a trait au travail qui avait nécessité que ses camionneurs se rendent à l’extérieur de la province. Les renseignements corrigés, qui sont pertinents au regard de la question de la compétence, n’ont pas été contestés. Ces renseignements sont résumés ci après, de même que les autres renseignements tirés des dossiers du Conseil qui revêtent de l’intérêt pour les présents motifs de décision.

[21] Le 26 septembre 2013, le Conseil a entendu les argumentations finales sur la compétence constitutionnelle, lesquelles se fondaient sur les faits pertinents au dossier, comme il avait été convenu durant une téléconférence de gestion de l’affaire tenue par le Conseil avec les parties le 3 juillet 2013.

IV. Les faits

[22] Voici un résumé des faits constitutionnels au dossier.

[23] Kristoff Trucking exploite une entreprise de camionnage et d’entreposage dont le siège social est à Port Edward, dans le Nord Ouest de la Colombie Britannique (C.-B.).

[24] À la date de la présentation de la demande, 43 personnes figuraient sur la feuille de paie de l’employeur, et certaines d’entre elles faisaient partie du personnel de bureau et de gestion.

[25] Les principales activités commerciales de l’employeur touchent principalement l’entreposage et l’expédition à l’échelle locale. Il possède un grand entrepôt et des parcs d’entreposage à Port Edward, ainsi que des parcs d’entreposage à Prince Rupert et à Kitimat, toutes ces municipalités étant situées en C.-B.

[26] L’employeur estime mener environ de 80 % à 85 % de ses activités à Port Edward, en C.-B., et dans les environs, la plupart étant liées à l’un de ses principaux clients, Quickload.

[27] L’employeur possède 24 camions-tracteurs, dont un seul, toujours en service à la date de l’audience, a été muni de permis d’exploitation mensuels ou trimestriels pour l’Alberta, une mesure prudente qui, selon l’employeur, a été prise « en raison de la nature incertaine et intermittente du travail extraprovincial dans cette province » (traduction). L’employeur a aussi obtenu les couvertures d’assurance mensuelles ou trimestrielles correspondantes pour utiliser ce camion en Alberta, mais aucune couverture n’a été en vigueur pendant environ une semaine, du 31 janvier 2013 au 8 février 2013.

[28] Kristoff Trucking possède 17 remorques, dont aucune n’est munie d’un permis pour l’Alberta. L’entreprise loue d’autres remorques au besoin, lesquelles sont munies d’un permis pour l’Alberta; elle en louait environ six à la date de l’audience. Le Conseil accepte comme explication non contestée à cet égard l’affirmation de l’employeur selon laquelle celui ci croit qu’il s’agit d’une pratique courante dans le milieu de la location de remorques en raison des lois fiscales qui sont favorables en Alberta. L’employeur a ajouté que, selon ce qu’il comprend, il est nécessaire d’avoir une certaine présence physique en Alberta pour munir une remorque d’un permis dans cette province.

[29] Aucun élément de preuve ne démontre que Kristoff Trucking avait acquis, loué ou contrôlé des installations quelconques en Alberta.

[30] Le client principal de l’employeur, Quickload, fournit aussi des remorques, que l’employeur attache à ses tracteurs pour l’exécution de nombreux travaux, et certaines, voire la totalité, de ces remorques sont munies de permis pour l’Alberta.

[31] Le seul camion muni d’un permis pour l’Alberta a déjà été aussi muni d’un permis pour le Yukon, mais ce permis a expiré en août 2013 et n’a pas été renouvelé. L’employeur a bien muni un deuxième camion d’un permis pour l’Alberta à compter de novembre 2012, mais le moteur de ce camion est tombé en panne en février 2013, et le permis a expiré le 31 août 2013. L’employeur a annulé les plaques d’immatriculation de la C.-B. de ce camion, mais il ne l’a pas fait pour celles de l’Alberta parce qu’il ne croit pas qu’il pourrait obtenir un remboursement s’il le faisait.

[32] Cependant, si l’employeur accepte d’exécuter un travail nécessitant un voyage à l’extérieur de la C.-B. avec un autre camion, il obtient les permis nécessaires de façon temporaire.

[33] L’employeur a malgré tout acheté un permis de transport pour véhicules surdimensionnés valide pour un an, du 7 février 2013 au 6 février 2014, en raison de son faible coût de 55 $ et du fait qu’il pouvait servir pour tous ses camions. Un permis de transport pour véhicules surdimensionnés permet l’utilisation de camions dont les dimensions dépassent les limites prescrites relativement à la taille des véhicules.

[34] Le travail extraprovincial effectué par l’employeur, dont la nature et l’étendue sont résumées de façon détaillée ci après, vise principalement deux groupes de clients : les entreprises Mammoet, dont le siège social est à Edmonton, en Alberta, et Yukon Zinc, qui exploite la mine Wolverine au Yukon.

[35] Comme on le verra ci après, les services de transport fournis par l’employeur à Mammoet se sont un peu accrus à la fin de 2012, avant de devenir moins fréquents et de prendre fin au début de 2013. Ces services englobaient le transport d’équipement à destination et en provenance d’Edmonton pour des projets réalisés à Prince Rupert et à Kitimat, en C.-B. Maintenant que l’équipement de Mammoet se trouve sur place et que la construction est en cours, l’employeur ne s’attend pas, pour le moment, à devoir fournir à ce client d’autres services de transport qui nécessiteraient le ramassage ou la livraison d’équipement en Alberta.

[36] Toutefois, l’arrêt des services fournis à ce client n’est peut être pas permanent. Comme l’a souligné la requérante, il est toujours possible que, à la fin de ces projets de construction d’ici quelques années, Mammoet fasse de nouveau appel aux services de l’employeur pour rapporter son équipement ou d’autres matériaux à Edmonton, ou ailleurs à l’extérieur de la C.-B., et que l’employeur accepte de le faire. L’employeur a reconnu qu’il était susceptible de signer un autre contrat avec Mammoet dans l’avenir pour le déplacement de l’équipement de construction, mais il a affirmé qu’aucun contrat n’était pour l’instant en vigueur à cet égard. Les services de transport qu’il fournissait à ce client ont pris fin au printemps de 2013.

[37] En 2012, jusqu’en novembre, l’employeur a transporté du ciment destiné à la mine Wolverine au Yukon, mais il ne l’a pas fait depuis, et il assurait ce transport à l’intérieur de la C.-B. uniquement, de Port Edward jusqu’à Stewart. Yukon Zinc, à l’aide de ses propres camions-tracteurs, transportait du minerai de plomb jusqu’à Stewart, puis utilisait elle même ces camions pour transporter le ciment de Stewart, en C.-B., jusqu’à ses installations de l’autre côté de la frontière provinciale, au Yukon.

[38] Quickload, le client principal de l’employeur, s’occupait de l’entreposage et du transbordement requis des matériaux. En tant qu’entrepreneur embauché par Yukon Zinc, Quickload donnait à son tour certains services de transport de matériaux en sous traitance à Kristoff Trucking. L’employeur avait déjà traversé la frontière pour se rendre jusqu’aux installations de Yukon Zinc pour livrer un réactif utilisé dans la mine et, à quatre occasions dans le cadre de ces voyages, il avait aussi rapporté du minerai de plomb sur le chemin du retour, de la mine jusqu’à Port Edward, en C.-B. Durant ces voyages, Kristoff Trucking transportait un conteneur de réactif minier de Port Edward, en C.-B., jusqu’à l’entrepôt de Quickload situé à cet endroit, où Quickload se chargeait soit de l’entreposer, soit de le transférer sur des remorques à fond plat, que Kristoff Trucking transportait ensuite jusqu’à la mine. Cette séquence a été renversée à quatre occasions, lorsque l’employeur a rapporté du minerai de plomb de la mine Wolverine, au Yukon, jusqu’à Port Edward, en C.-B.

[39] L’employeur a fourni au Conseil une liste de tous les voyages qu’il a effectués à l’extérieur de la province entre le 1er janvier 2012 et le 9 avril 2013, date à laquelle la demande a été présentée. Sur cette liste figurent la date de chaque voyage et le nom du client visé, les lieux de départ et de destination, le montant facturé, les heures et les salaires versés. Il est également indiqué si un chargement a été transporté ou non au retour.

[40] Au cours de cette période d’environ 15,3 mois, l’employeur a effectué 57 voyages transfrontaliers, et un chargement a été transporté au retour lors de 16 d’entre eux. L’employeur a calculé que ce travail extraprovincial comptait pour 5,62 % de son revenu d’entreprise, pour 2,72 % de sa masse salariale et pour 3,68 % de l’utilisation totale de ses camions pour la période correspondante.

[41] Selon cette liste, aucun voyage à l’extérieur de la province n’a été effectué pendant six des mois de la période visée (ou pendant sept d’entre eux, si on inclut la période du 1er au 9 avril 2013). Toujours selon cette liste, 1 voyage extraprovincial a été effectué en mars et en mai, 6 ont été effectués en juillet, 1 en octobre, 9 en novembre et 11 en décembre 2012, ainsi que 13 en janvier, 11 en février et 4 en mars 2013.

[42] Dans le résumé écrit de son argumentation présenté le 20 septembre 2013, l’employeur a informé le Conseil que, depuis le 1er juin 2013, il avait effectué 11 voyages extraprovinciaux supplémentaires, tous pour des entreprises de Yukon Zinc. Cependant, aucun élément de preuve ne démontre que ces 11 voyages effectués sur une période de quatre mois étaient prévus dans un calendrier quelconque, et le procureur a informé le Conseil que, à la date de l’audience, il était difficile de savoir si ce genre de travail serait encore effectué à l’avenir et à quelle fréquence, le cas échéant.

[43] Ainsi, l’employeur a effectué un total de 68 voyages extraprovinciaux du 1er janvier 2012 au 26 septembre 2013, soit la période de près de 21 mois ayant précédé l’audience du Conseil. Même si ces voyages n’ont pas eu lieu à intervalles réguliers pendant ces mois, on peut considérer que l’exécution de ce travail a nécessité une moyenne d’environ 3,24 voyages extraprovinciaux par mois tout au long de cette période.

[44] Selon l’ensemble des renseignements qui ont été fournis au Conseil, l’employeur traite divers matériaux pour différents clients. Il fournit des services de transport de conteneurs et d’équipement, des services de camionnage et de transport de matériaux bruts, ainsi que des services d’entreposage et de stockage. Aucun élément de preuve ne démontre que l’employeur transporte ou livre ses propres produits, marchandises ou matériaux.

[45] Sur son site Web, l’employeur annonce ses services de camionnage et de transport de la façon suivante :

Kristoff Trucking est devenue un chef de file dans le transport régional de marchandises par camion en C.-B. En combinant les nouvelles technologies dans le domaine du camionnage et du transport avec les valeurs traditionnelles que sont la prestation d’un service de qualité, le respect des délais de livraison et la satisfaction des besoins du client, Kristoff Trucking est devenue le transporteur de choix.

Offrant des services de transport routier local et interurbain partout en C.-B. et à l’échelle du Canada, Kristoff Trucking est l’entreprise sur laquelle vous pouvez compter pour tous vos besoins en matière de camionnage.

Afin de répondre aux besoins du client, Kristoff Trucking offre les services suivants :

  • Une zone des services comprenant toute la C.-B. et l’ensemble du Canada
  • Le respect des délais de livraison en tout temps
  • Des camionneurs professionnels
  • Des prix concurrentiels
  • L’empotage et le dépotage des conteneurs
  • Des services flexibles
  • Un service de conteneurs
  • La location de châssis
  • Un service de camion frigorifique
  • Un service de remorques à fond plat
  • Service 24 heures et le même jour
  • Entreposage et stockage

(traduction)

[46] L’employeur ne détenait pas de contrats stables ou permanents pour la prestation de services de transport extraprovinciaux, que ce soit pendant la période visée par la liste des voyages extraprovinciaux mentionnée ci dessus, c’est à dire du 1er janvier 2012 au 9 avril 2013, ou à la date de l’audience du Conseil. Aucun élément de preuve ne démontre qu’il a déjà détenu des contrats permanents de cette nature.

[47] Bien qu’il ne détienne aucun contrat de longue durée pour des services de transport qu’il pourrait fournir à destination ou en provenance du Yukon, l’employeur a aussi indiqué que l’ampleur de ce genre de services dans l’avenir était inconnue à la date de l’audience. Il a ajouté qu’il lui arrive parfois de donner en sous traitance des services de camionnage extraprovinciaux à des propriétaires-exploitants ou à des entreprises de camionnage de plus grande taille, et que c’est ce qu’il avait fait pour environ 10 % des voyages extraprovinciaux énumérés dans la liste, et aussi pour Yukon Zinc depuis.

[48] L’employeur a aussi informé le Conseil qu’il lui était parfois arrivé de refuser des occasions de transport transfrontalier « parce qu’il n’en avait pas la capacité compte tenu de ses activités intraprovinciales » (traduction).

[49] À quelques autres occasions, plutôt rares, il a cependant pris les mesures nécessaires pour mettre plus d’un camion au service de ses clients le même jour pour répondre à leurs besoins de transport extraprovincial. À une ou deux reprises, il a eu trois ou quatre camions sur la route à l’extérieur de la C.-B. le même jour. Selon la description détaillée des voyages extraprovinciaux que l’employeur a fournie au Conseil, il semble avoir réussi, le 3 décembre 2012, à mettre 11 camions au service de deux de ses clients, dont 8 parcouraient les routes de la C.-B. et de l’Alberta, et 3 se rendaient de la C.-B. jusqu’au Territoire du Yukon.

[50] Le dossier ne donne aucune précision sur la question de savoir si ces occasions ont nécessité que l’employeur donne en sous traitance une partie ou la totalité de ce travail.

[51] Le centre d’exploitation de l’employeur est situé à Port Edward, en C.-B., sur la côte du Pacifique de l’Ouest canadien. Durant l’audience, le Conseil a été informé que le trajet routier séparant Port Edward et Edmonton, en Alberta, fait approximativement 1 440 kilomètres. Le Conseil a aussi été informé que, bien qu’il soit plus court, le trajet routier de Port Edward à la mine Wolverine, exploitée dans le Sud Est du Yukon par Yukon Zinc, nécessiterait un nombre d’heures de conduite semblable, compte tenu, notamment, des conditions routières et météorologiques.

[52] Deux des camions tracteurs de l’employeur sont munis de cabines couchettes. Le Conseil a été informé à l’audience que ces cabines n’ont pas nécessairement été acquises ou ne sont pas forcément utilisées pour le travail nécessitant des voyages transfrontaliers. Même si un voyage aller retour entre Port Edward et l’une ou l’autre des destinations transfrontalières susmentionnées nécessiterait apparemment au moins deux jours, et que l’employeur n’a apparemment aucune installation à l’extérieur de la C.-B., aucun détail sur l’hébergement des camionneurs chargés d’effectuer ces voyages n’a été fourni.

[53] En ce qui concerne l’extrait tiré du site Web de l’employeur qui est reproduit au paragraphe 45 ci dessus, aucun élément de preuve n’a été présenté au Conseil pour démontrer que l’employeur mène réellement des activités commerciales « dans tout le Canada » ou dans « l’ensemble du Canada » (traduction). Les seuls éléments de preuve démontrant que ses services de camionnage ont traversé la frontière provinciale de la C.-B. sont résumés ci dessus.

V. Position des parties

A. La requérante

[54] Pour faire valoir que Kristoff Trucking est une entreprise fédérale relevant de la compétence du Conseil, la requérante met l’accent sur les éléments suivants :

  • le nombre variable de voyages effectués à l’extérieur de la province au cours des mois à l’étude, tout en insistant sur le fait qu’un examen de la véritable nature de l’entreprise ne devrait pas consister uniquement en une évaluation de l’étendue de ces activités à un moment précis, et que le Conseil devrait faire une analyse qualitative plutôt que quantitative du travail extraprovincial effectué;
  • l’application récente par le Conseil, dans Stock Transportation ltée, 2013 CCRI 687 (Stock), du critère fonctionnel décrit par la Cour suprême du Canada (CSC) dans Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 C.S.C. 53 (Fastfrate), pour établir si une entreprise de transport au Canada relève des lois provinciales ou fédérales;
  • la nécessité de déterminer, compte tenu des faits de l’affaire, si les activités extraprovinciales de l’entreprise sont « régulières et continues » par opposition à « occasionnelles » et sur la nécessité d’examiner l’activité globale de l’entreprise ainsi que la nature et le caractère véritables de l’activité, citant Pioneer Truck Lines Ltd., 1999 CCRI 31 (Pioneer);
  • la nature générale plutôt que spécialisée des activités de camionnage quotidiennes ou habituelles de l’employeur et le fait qu’il transporte des conteneurs et divers matériaux pour différents clients, plutôt que de livrer ses propres marchandises;
  • la capacité apparente de l’employeur d’accroître à l’occasion le nombre de voyages transfrontaliers qu’il effectue pour répondre aux besoins extraprovinciaux de ses clients, soulignant que la détermination de la compétence constitutionnelle sur les relations du travail de l’employeur ne devrait pas être influencée par les caprices de sa clientèle;
  • le fait que l’employeur a enregistré 44 voyages transfrontaliers au cours d’une période de 4 mois seulement, soit les deux derniers mois de 2012 et les deux premiers mois de 2013;
  • le fait que la publicité du site Web de l’employeur annonce des services de transport dans tout le Canada et une zone de services comprenant l’ensemble du Canada;
  • le fait que l’employeur se présente comme une entreprise prête à servir ses clients au delà des limites de la C.-B., citant Pioneer, précitée, d’autant plus que, dans certains cas, l’acquisition de permis et de licences témoignant de cet état de préparation pourrait à elle seule permettre de conclure que les activités de l’entreprise s’étendent au delà des limites d’une province ou d’un territoire de façon « régulière et continue ».

[55] En ce qui concerne sa demande d’accréditation présentée en vertu des lois provinciales du travail de la C.-B. pour représenter essentiellement la même unité d’employés, dont l’instance s’est terminée tout juste avant la présentation de la demande au Conseil, la requérante a insisté devant nous sur le fait que la compétence du Conseil repose sur le droit législatif, et que « les [p]arties ne peuvent, par consentement mutuel, ni choisir de relever de la compétence du Conseil, ni choisir de ne pas en relever » (traduction), citant Allcap Baggage Services Inc. (1990), 79 di 181; et 7 CLRBR (2d) 274 (CCRT no 778) (Allcap).

[56] La requérante a résumé sa position sur ce point en affirmant que les parties, seules ou ensemble, ne peuvent ni refuser ni neutraliser l’applicabilité du droit relatif à la compétence constitutionnelle appropriée. Elle a ainsi répondu au sous entendu de la déclaration de l’employeur selon laquelle elle avait reconnu la compétence de la Commission de la C.-B., et que sa présente demande pouvait de ce fait en souffrir, être compromise ou même être écartée.

[57] En outre, pour expliquer qu’elle ne connaissait pas très bien auparavant l’étendue des activités extraprovinciales de l’employeur, la requérante avait indiqué dans sa plainte du 12 avril 2013 que ce n’est qu’après le rejet de sa demande par la Commission de la C.-B. que son agent syndical a compris que l’employeur « traversait la frontière de façon régulière et continue pour se rendre dans la province de l’Alberta et le Territoire du Yukon » (traduction). Selon le Conseil, cette observation constitue une affirmation indirecte de bonne foi, de la part de la requérante, bien que sa bonne foi n’ait pas été directement contestée en l’espèce.

[58] Le Conseil constate que, dans son argumentation, la requérante a présumé que les activités de transport de l’employeur étaient indivisibles, décrivant tous les faits comme étant conformes à une décision selon laquelle l’entreprise de l’employeur est assujettie aux lois fédérales.

[59] En résumé, le procureur de la requérante a affirmé de nouveau qu’aucun fait n’était contesté et que le critère des activités transfrontalières régulières et continues était rempli, ce qui fait en sorte que l’entreprise de l’employeur relève de la compétence fédérale.

[60] Reconnaissant que la compétence provinciale l’emporterait si l’application du critère fonctionnel ne permettait pas d’établir la compétence fédérale, la requérante a déclaré qu’il ne serait alors pas nécessaire que le Conseil se penche également sur la question de savoir si la réglementation provinciale des relations du travail de l’employeur porterait atteinte au contenu essentiel d’un chef de compétence fédérale aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867.

B. L’employeur

[61] L’employeur a attiré l’attention sur le fait que les relations du travail au Canada sont présumées être de compétence provinciale et qu’il incombait à la requérante d’écarter cette présomption.

[62] Il soutient que le Conseil devrait suivre les directives de la Cour suprême du Canada (CSC) dans NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 C.S.C. 45 (NIL/TU,O) et procéder à un examen en deux étapes de l’affaire dont il est saisi : la première étape est d’appliquer le critère fonctionnel pour examiner la nature, le fonctionnement et les activités habituelles de l’employeur afin de déterminer s’il constitue une entreprise fédérale puis, si la première étape n’est pas concluante, il convient de présumer de l’application de la réglementation provinciale, à moins que cela porte atteinte – une simple incidence ne suffit pas – au contenu essentiel du pouvoir fédéral à l’égard du transport interprovincial.

[63] Pour faire valoir sa position devant le Conseil, l’employeur a affirmé que, selon le partage constitutionnel des pouvoirs au Canada et de la jurisprudence ayant interprété ce partage, le camionnage n’est pas intrinsèquement de nature fédérale, contrairement à ce qu’on peut souvent dire du transport interprovincial ferroviaire ou aérien.

[64] En outre, l’employeur a souligné le fait que son centre d’exploitation se trouve à Port Edward, sur la côte ouest de la C.-B., et que ses activités se déroulent principalement à Port Edward, à Prince Rupert et à Kitimat et entre ces villes, qui sont toutes situées en C.-B.

[65] À son avis, le fait que certains de ses camions traversent parfois les frontières provinciales pour se rendre au Yukon ou en Alberta, dans la mesure limitée démontrée par les faits, ne devrait pas entraîner l’application de la réglementation fédérale en raison d’une conception selon laquelle ces événements secondaires revêtent une importance nationale.

[66] Selon l’employeur, le travail effectué à l’extérieur de la province est irrégulier et ne constitue qu’une infime partie de ses activités, et il n’est important ni en termes relatifs ni en termes absolus. L’employeur attribue l’augmentation temporaire de ce type de travail qu’il a connue avant le printemps de 2013 à deux projets, dont aucun ne prévoyait l’exécution par l’employeur d’un travail similaire dans un avenir rapproché.

[67] L’employeur a affirmé que la comparaison des chiffres relatifs au travail effectué à l’intérieur et à l’extérieur de la province (nombre de voyages extraprovinciaux, revenus générés, nombre de camions utilisés par jour et proportion de la masse salariale) ne devrait pas suffire à établir si le travail extraprovincial était régulier et continu, mais qu’elle mérite tout de même d’être prise en compte pour établir l’existence ou l’absence d’activités de camionnage transfrontalières régulières et continues.

[68] L’employeur a fait valoir que son entreprise s’occupe principalement et clairement de fournir des services à l’intérieur de la province de la C.-B. et qu’elle ne fournit pas de services de camionnage extraprovinciaux de façon régulière ou continue. Parmi plusieurs points soulevés devant le Conseil à l’appui de son objection relativement à la compétence, l’employeur a aussi mis l’accent sur les éléments suivants :

  • il exploite normalement et principalement une entreprise de camionnage provinciale, dont une infime partie des activités se déroule à l’extérieur de la C.-B.;
  • il n’a pas de contrat permanent pour ce genre de travail et n’en a jamais eu;
  • il n’est pas organisé ni équipé pour fournir de façon régulière des services de transport extraprovinciaux – il a précisé, à cet égard, qu’il a eu recours à la sous traitance pour une partie de ce travail et qu’il a refusé d’autres occasions de ce genre parce qu’il n’avait pas suffisamment de camions, étant donné qu’il se concentre principalement sur ses activités intraprovinciales;
  • ses activités de transport transfrontalières sont sporadiques et irrégulières – il a souligné, à cet égard, que le transport d’équipement d’Edmonton à Kitimat, dans le cadre des projets de Mammoet, est terminé;
  • à l’été, pendant la période de quatre mois allant du 1er juin 2013 au 26 septembre 2013, date à laquelle a eu lieu l’audience du Conseil, il a traversé la frontière nord de la C.-B. pour se rendre au Yukon 11 fois seulement;
  • tout travail extraprovincial qu’il choisit d’accepter est secondaire à ses activités principales qu’il mène en C.-B. et est exécuté seulement si cela est possible;
  • dans certains cas, il lui est arrivé de confier ce travail à d’autres, se décrivant alors comme un transitaire plutôt que comme une entreprise de transport.

VI. Le droit applicable

A. Dispositions législatives pertinentes

[69] La portée de la compétence du Conseil est établie par le Code. Les dispositions pertinentes du Code traduisent et respectent le partage des pouvoirs entre le Parlement du Canada et les provinces, tel qu’il est décrit dans la Loi constitutionnelle de 1867.

1. Le Code canadien du travail

[70] L’article 4 du Code renvoie expressément à sa Partie I intitulée « Relations du travail », en vertu de laquelle la présente instance a été introduite. L’article 4 du Code prévoit que la Partie I du Code ne s’applique qu’aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu’à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux ci :

4. La présente partie s’applique aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu’à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux-ci.

[71] L’article 2 du Code est un texte de définitions relativement détaillé, dont seule une partie s’applique directement en l’espèce. Il définit de façon non exhaustive ce qu’on entend par entreprises « fédérales ».

[72] Il y est d’abord précisé que, par « entreprises fédérales », on entend, en général, les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement. Après cet énoncé principal sont énumérés des exemples précis dans dix catégories d’entreprises, qui sont expressément incluses dans la définition, mais l’introduction de cette liste par l’adverbe « notamment » vient préciser que cette énumération ne restreint en rien la portée générale de l’article 2.

[73] Ainsi, la disposition dans son ensemble précise clairement que de nombreux ouvrages, installations et entreprises sont visés par le Code, et elle permet aussi de mieux comprendre, dans les situations plus obscures, ce qui devrait être inclus. Cette technique législative permet d’examiner le lien d’appartenance ou la similitude d’une installation, d’un ouvrage ou d’une entreprise avec l’un ou l’autre de ceux qui sont mentionnés dans la définition, afin de déterminer s’il s’agit ou non d’une entreprise fédérale.

[74] En ce qui concerne les deux affaires dont le Conseil est maintenant saisi, la partie pertinente de la définition est l’alinéa 2b), qui renvoie dans les termes suivants à certains types d’ouvrages et d’installations, notamment dans le domaine du transport :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« entreprises fédérales » Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

b) les installations ou ouvrages, entre autres, chemins de fer, canaux ou liaisons télégraphiques, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province, et les entreprises correspondantes;

2. La Loi constitutionnelle de 1867

[75] Il existe une similitude notable et rassurante entre de nombreuses expressions utilisées dans les dispositions du Code mentionnées ci dessus et la terminologie employée dans les dispositions relatives au partage constitutionnel des pouvoirs de la Loi constitutionnelle de 1867, soit les articles 91 à 95. Le sentiment qu’elles reposent toutes sur les principes fondamentaux de la Constitution et qu’elles y sont bien ancrées renforce le fait qu’elles constituent le fondement de la compétence du Conseil.

[76] Seules les quelques lignes du paragraphe 91(29) et de l’alinéa 92(10)a) qui présentent un intérêt en l’espèce sont reproduites ci après. Mais ce lien qui unit les deux dispositions du Code et le texte relatif au partage constitutionnel des pouvoirs au Canada illustre très clairement le principe fondamental selon lequel la portée du pouvoir constitutionnel du Conseil est issue et dépend, notamment en ce qui concerne son étendue et ses limitations, des dimensions constitutionnelles du pouvoir propre au Parlement de légiférer relativement à certains sujets ou chefs de compétence fédérale. Le principe juridique qui en découle est reconnu, c’est à dire que le pouvoir réglementaire du Conseil sur les relations du travail peut à cet égard égaler celui du Parlement, mais ne peut pas le dépasser. Cela constitue un élément déterminant pour les parties quant à l’issue de cette affaire.

[77] Aucune disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 ne fait expressément mention du sujet des relations du travail ou n’attribue de compétence à cet égard au gouvernement fédéral ou au gouvernement provincial. Comme les articles 2 et 4 du Code font référence aux entreprises fédérales, le Conseil doit déterminer, sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1867, la classification de l’entreprise dans le cadre de laquelle travaillent les employés que la requérante souhaite représenter.

[78] Les dispositions pertinentes sont libellées ainsi :

91. ... l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

29. Les catégories de sujets expressément exceptés dans l’énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

10. Les travaux et entreprises d’une nature locale, autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes :

a) Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au-delà des limites de la province;

13. La propriété et les droits civils dans la province;

[79] Comme il ressort de ces dispositions, la Constitution canadienne confie aux législatures provinciales la responsabilité à l’égard des travaux et entreprises d’une nature locale, et au Parlement fédéral la compétence à l’égard de toutes les matières tombant dans les catégories de sujets expressément exceptés des catégories de sujets assignés aux législatures des provinces, y compris le transport, les communications et d’autres entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces ou s’étendant au delà de la limite de la province, comme il est mentionné à l’alinéa 92(10)a).

[80] Dans ce partage des pouvoirs constitutionnels, on peut voir que le Parlement conserve le contrôle centralisé du transport interprovincial ou international et d’autres matières touchant directement le Canada dans son ensemble, soit parce qu’elles relient plusieurs provinces ou parce qu’elles s’étendent au delà des limites géographiques de l’une d’elles. Si ce n’est pas le cas de l’entreprise de transport en cause, le Parlement ne peut revendiquer aucun contrôle réglementaire.

[81] Compte tenu de ce partage des pouvoirs, les provinces se sont vu confier, dans les faits, des pouvoirs à l’égard de tout un éventail de travaux et d’entreprises d’une nature locale. En raison de la façon dont le partage des pouvoirs est établi et exprimé dans la Loi constitutionnelle de 1867, on présume que les relations du travail au Canada relèvent de la compétence provinciale, comme l’a d’abord tranché le Comité judiciaire du Conseil privé en 1925 dans Toronto Electric Commissioners v. Snider et al., [1925] 2 D.L.R. 5 (C.P.) (Snider).

[82] Étant donné qu’un très grand nombre d’entreprises locales n’ont pas d’incidences directes sur la nature fédérale et le cadre fédéral du pays, mais qu’elles représentent tout de même une grande proportion des activités commerciales et d’autres types d’activités au sein des provinces, les tribunaux et le Conseil ont souvent fait remarquer que, dans le domaine des relations du travail au Canada, la réglementation provinciale constitue la norme et le contrôle fédéral constitue l’exception.

[83] En outre, selon l’orientation qui se dégage de la jurisprudence récente à ce sujet, cette exception fédérale au contrôle provincial des relations du travail devrait être interprétée de façon restrictive et ne pas être simplement fondée sur des aspects accessoires ou secondaires des activités en question.

[84] En l’espèce, l’employeur a soulevé dès le départ une objection relativement à la compétence constitutionnelle du Conseil. Le Conseil suppose que les relations du travail relèvent des lois provinciales à moins que la compétence fédérale exceptionnelle ne soit démontrée. Il est conscient du fait que, non seulement la compétence fédérale est plus rare que la compétence provinciale, mais que le secteur du camionnage ne relève pas intrinsèquement de la réglementation fédérale en ce qui concerne les relations du travail. En examinant tous les éléments de preuve, le Conseil s’acquitte du rôle que lui confère la loi de manière à respecter le partage constitutionnel des pouvoirs, à s’acquitter convenablement de son devoir d’appliquer la ligne de conduite des tribunaux supérieurs et à rendre des décisions qui s’inscrivent dans la suite logique de ses décisions antérieures.

[85] S’il est possible de dire à juste titre qu’une entreprise de camionnage ou de transport est, dans son ensemble, fédérale parce qu’elle est véritablement de nature interprovinciale ou internationale, le Conseil n’hésitera pas à conclure en ce sens. Toutefois, comme il a été établi dans la jurisprudence, les relations du travail au Canada sont d’abord présumées relever des lois provinciales, à moins qu’il soit démontré, dans le cas de certains secteurs ou, plus précisément, de certaines entreprises fédérales, que les relations du travail en cause doivent être assujetties à la réglementation fédérale.

B. Décisions pertinentes

[86] Le Conseil a évalué très attentivement tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés, et il a dûment pris en considération la position des parties ainsi que tous les arguments présentés. Pour ce faire, et pour interpréter et appliquer la loi, le Conseil s’est fondé sur la jurisprudence, et il a prêté une attention particulière aux décisions invoquées par les procureurs.

[87] Les règles générales qu’il faut appliquer pour répondre à la question constitutionnelle soulevée en l’espèce ont été établies et précisées dans de nombreuses affaires au fil des ans, et elles sont résumées ci après pour des raisons de commodité.

[88] Comme on l’a mentionné, le Conseil judiciaire du Conseil privé a statué en 1925, dans Snider, précité, que, au Canada, la compétence provinciale à l’égard des relations du travail est présumée. Le Conseil judiciaire concluait que, en principe, les relations du travail et les conditions de travail font partie de la catégorie de sujets intitulée « La propriété et les droits civils dans la province », mentionnée au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui est reproduit ci dessus.

[89] Le principe fondamental a été résumé par la CSC dans Fastfrate, précité, de la façon suivante :

[27] Suivant le principe fondamental du partage des compétences en matière de relations de travail, les provinces ont compétence sur les industries qui relèvent de la compétence législative provinciale et le gouvernement fédéral a compétence sur celles qui relèvent de la compétence législative fédérale : voir Labour and Employment Law : Cases, Materials, and Commentary (7e éd. 2004), p. 85. Toutefois, comme il ressort clairement de la jurisprudence, la compétence fédérale a été interprétée de façon restrictive dans ce contexte. Dans Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] A.C. 396, le Comité judiciaire du Conseil privé a conclu que la compétence conférée aux provinces par le par. 92(13) sur la « propriété et les droits civils » dans les provinces s’étend aux relations de travail. Ce n’est que dans la mesure où les travaux ou entreprises sont qualifiés de fédéraux que la compétence provinciale est écartée.

[90] Depuis Snider, précité, pour déterminer si les relations du travail d’une entreprise sont de compétence fédérale, les tribunaux utilisent le « critère fonctionnel », qui consiste à examiner la nature, les activités habituelles et l’exploitation quotidienne de l’entreprise.

[91] La CSC a récemment résumé cette façon de faire dans NIL/TU,O, précité, dans l’opinion de la majorité de la Cour, au paragraphe 3 :

[3] Au cours des 85 dernières années, notre Cour a constamment retenu et appliqué un critère juridique distinct pour déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale. Ce cadre juridique, exposé de la manière la plus complète dans Northern Telecom Ltée. c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115 et Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d’Amérique, [1980] 1 R.C.S. 1031, et appliqué plus récemment dans Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, est employé peu importe le chef de compétence fédéral visé dans le cadre d’une affaire donnée. Ce critère requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Cet examen est appelé le « critère fonctionnel ». C’est uniquement si ce critère ne s’avère pas concluant pour déterminer si une entreprise donnée est « fédérale » que la Cour vérifiera ensuite si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au « contenu essentiel » du chef de compétence fédérale.

[92] Étant donné que la Loi constitutionnelle de 1867 ne confère pas expressément le pouvoir relatif à la réglementation des relations du travail à l’un ou l’autre des ordres de gouvernement, la Cour suprême du Canada a expliqué et décrit de nouveau dans de nombreuses décisions la marche à suivre pour tirer les conclusions voulues sur la question de savoir si les relations du travail d’une entité en particulier relèvent de la compétence fédérale.

[93] Le Conseil suit la ligne de conduite établie dans le jugement de la CSC dans Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115 (Northern Telecom), qui décrit les principes applicables. Ceux ci ont été récemment cités par la CSC dans NIL/TU,O, précité :

[13] Les principes qui sous-tendent l’approche déjà bien établie de notre Cour quant à la compétence à l’égard des relations de travail sont énoncés par le juge Dickson, rédigeant au nom d’une Cour unanime, dans Northern Telecom. Cette affaire traitait de la compétence sur les relations de travail d’une filiale d’une société de télécommunications elle-même incontestablement une « entreprise » fédérale visée à l’al. 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. En faisant sienne l’opinion majoritaire rédigée par le juge Beetz dans Construction Montcalm, le juge Dickson a décrit comme suit le lien entre le partage des compétences et les relations de travail :

(1) Les relations de travail comme telles et les termes d’un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.

(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s’il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.

(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l’application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s’il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.

(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l’exploitation d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s’il s’agit d’une entreprise, d’un service ou d’une affaire fédérale. [p. 132]

[14] Il a ensuite énoncé un « critère fonctionnel » servant à déterminer si une entité est « fédérale » et doit être assujettie au régime fédéral de relations de travail. Il importe de signaler que le juge Dickson n’a pas eu recours au « contenu essentiel » du chef de compétence sur les télécommunications pour déterminer, dans le cadre de l’analyse fonctionnelle, la nature des activités de la filiale :

(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation.

(6) Pour déterminer la nature de l’exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’« entreprise active », sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière. [Je souligne; p. 132.]

[94] Comme le décrivent les extraits suivants de la décision rendue par le Conseil dans Pioneer, précitée, le Conseil utilise un critère particulier dans le secteur du transport afin d’établir si l’entreprise relève de la compétence fédérale :

[15] Le Conseil a élaboré un test pour déterminer si une entreprise de transport relie une province à d’autres provinces ou s’étend au-delà des limites d’une province de façon à l’assujettir à la compétence fédérale. Il s’agit de déterminer si les activités extraprovinciales de l’entreprise sont « régulières et continues » par opposition à « occasionnelles » d’après une évaluation des faits de chaque espèce. Voici quelques-uns des précédents qui ont établi les principes directeurs à cet égard :

  • Attorney-General for Ontario et al. v. Winner et al., [1954] 4 D.L.R. 657 (C.P.)
  • Regina v. Toronto Magistrates, Ex Parte Tank Truck Transport Ltd., [1960] O.R. 497 (H.C.J.)
  • Regina v. Cooksville Magistrate’s Court, Ex parte Liquid Cargo Lines Ltd., [1965] 1 O.R. 84 (H.C.J.)
  • Re Ottawa-Carleton Regional Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 279 et al. (1983), 44 O.R. (2d) 560 (C.A.)

[16] Les principes décrits dans ces décisions peuvent être résumés de la façon suivante :

1. L’activité globale de l’entreprise détermine la compétence de laquelle elle relève. Il faut examiner « la nature et le caractère véritables » de l’activité. La question de savoir s’il existe une activité reliant toutes les autres activités dépend des faits de chaque espèce et « du but et de la portée » de la loi ou du règlement applicable (Attorney-General for Ontario et al. v. Winner et al., précité, aux pages 679-680).

2. L’entreprise qui relie la province à une autre province ou qui s’étend au-delà des limites de la province doit le faire de façon régulière et continue pour être assujettie à la compétence fédérale, peu importe que le travail extraprovincial soit plus important ou moins important que le travail intraprovincial. Les pourcentages ne sont pas un critère solide pour déterminer si une activité est « régulière et continue » (Regina v. Toronto Magistrates, Ex Parte Tank Truck Transport Ltd., précité, page 508).

3. Il n’est pas nécessaire que les voyages à l’extérieur de la province soient déterminés à l’avance pour que l’activité soit considérée comme « continue et régulière ». Dans certains cas, lorsque le « requérant est toujours prêt à transporter de la marchandise à l’extérieur des limites de la province à la demande de n’importe quel de ses clients et que, à cette fin, il a fait le nécessaire pour obtenir les permis et les licences nécessaires auprès des administrations compétentes », cela suffira pour en faire une activité « régulière et continue » (Regina v. Cooksville Magistrate’s Court, Ex parte Liquid Cargo Lines Ltd., précité, pages 88-89; traduction)

4. Pour évaluer les faits afin d’établir s’il s’agit d’une activité « régulière et continue », il y a lieu de procéder à une analyse qualitative plutôt que quantitative (Re Ottawa-Carleton Regional Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 279 et al., précité, page 570).

[95] Le point soulevé ci dessus, selon lequel, pour que l’activité soit considérée comme « continue et régulière », les voyages à l’extérieur de la province n’ont pas, dans certains cas, à être déterminés à l’avance si l’exploitant est prêt et disposé à fournir le service sur demande, a aussi été repris dans la décision du Conseil Autocar Royal (9011-4216 Québec Inc.), 1999 CCRI 42 (Autocar) :

[49] L’employeur conteste la compétence du Conseil et nie qu’Odyssée et Autocar Royal ont respecté tous les critères énoncés à l’article 35 du Code. De plus, tout en admettant qu’il y a un contrôle en commun, l’employeur soutient qu’il y a une absence d’interconnexion entre les activités des deux entreprises, sauf en ce qui a trait aux voyages nolisés. Autocar Royal s’occupe principalement de transport touristique et Odyssée de transport interurbain. Les voyages nolisés ne représentent qu’une faible portion des activités des deux compagnies. De plus, l’employeur maintient que la seule activité visée par la demande est le transport nolisé. Selon l’employeur, il s’agit d’une demande de déclaration d’employeur unique partielle qui n’est pas recevable aux termes du Code.

[50] L’employeur conteste les allégations des Teamsters selon lesquelles il existe un mouvement de personnel entre les deux compagnies et nie également que l’acquisition d’Autocar Royal a eu pour effet l’érosion des droits des employés d’Odyssée. Il soutient qu’Odyssée, n’ayant jamais eu de permis pour effectuer des voyages dans la ville de Montréal, n’a pas perdu le travail dans ce territoire. Au contraire, se reportant aux 140 contrats qu’Autocar Royal a confiés à Odyssée, il soutient qu’Odyssée a tiré parti de l’acquisition d’Autocar Royal. En l’absence de preuve concernant l’érosion de l’unité de négociation, l’employeur maintient que le Conseil devrait rejeter la demande.

[52] En ce qui a trait à la question de compétence, le Conseil, dans de nombreuses affaires, a élaboré un test pour déterminer si une entreprise de transport relie des provinces ou s’étend au-delà des frontières provinciales au sens de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l’alinéa 2b) du Code qui définit une « entreprise fédérale ». En vertu de ce test, le Conseil doit déterminer si les activités extraprovinciales de l’entreprise se déroulent de façon régulière et continue ou de façon occasionnelle ou exceptionnelle.

[53] Il y a lieu de souligner, toutefois, que la notion d’activité « régulière et continue » ne signifie pas que le transport extraprovincial est assujetti à un horaire prédéterminé ou qu’il doit s’effectuer selon un tel horaire. Il suffit de conclure que l’exploitant est prêt et disposé à fournir le transport extraprovincial à la demande des clients. Il y a lieu également de préciser que le test n’est pas quantitatif; par conséquent, même lorsque la composante extraprovinciale d’une entreprise ne représente qu’un faible pourcentage de l’ensemble des activités, celles-ci peuvent néanmoins relever de la compétence fédérale si ce pourcentage satisfait au critère de l’activité « régulière et continue » (voir Re Ottawa-Carleton Regional Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 279 et al. (1983), 44 O.R. (2d) 560 (C.A.); Burns Foods (Transport) Ltd. (1990), 81 di 114 (CCRT no 809); et The Gray Line of Victoria Ltd. (1989), 77 di 169; et 5 CLRBR (2d) 226 (CCRT no 741)).

[54] En l’espèce, en plus de détenir les permis nécessaires pour l’Ontario et le Nouveau-Brunswick et de payer des milliers de dollars en assurance pour pouvoir se rendre aux États-Unis, Odyssée exploite également, selon la preuve documentaire, un service extraprovincial de transport nolisé puisqu’elle effectue régulièrement des voyages à divers endroits à l’extérieur du Québec. Depuis quelque temps, elle effectue entre 67 et 105 voyages nolisés par année, ce qui représente 1 ou 2 voyages par semaine en moyenne. En outre, ces voyages nolisés sont toujours organisés à la demande des clients. Compte tenu de sa jurisprudence, le Conseil estime que les activités extraprovinciales d’Odyssée satisfont au test établi et qu’elles suffisent pour assujettir l’entreprise à la compétence fédérale. Si Odyssée est une entreprise fédérale, il va de soi qu’Odyssée et Autocar Royal constituent deux entreprises de compétence fédérale.

[96] Comme l’indiquent aussi ces extraits, la quantité et la proportion que représente le travail extraprovincial, bien qu’il s’agisse là de facteurs à prendre en compte pour définir la nature des activités en question, ne constituent pas un critère solide pour déterminer la compétence en matière de relations du travail.

[97] Le Conseil évalue tous les renseignements et les facteurs pertinents dont il dispose, mais il a tendance à faire preuve de prudence lorsqu’il examine des pourcentages de ce genre, puisque ceux ci ne donnent qu’une indication générale de la nature régulière et continue des activités en cause. Si le pourcentage de ce travail était un facteur décisif en soi, la détermination de la compétence constitutionnelle reposerait alors sur la proportion que représente ce travail à tout moment, de même que sur la période examinée.

[98] C’est précisément la raison pour laquelle, lorsqu’il cherche à établir si la compétence fédérale s’applique, le Conseil examine la véritable nature de l’ensemble des activités commerciales ou de l’entreprise en cause pour trouver des preuves concluantes que ses activités extraprovinciales revêtent un caractère régulier et continu dans le cadre de ces activités commerciales. En outre, le Conseil tient compte du fait que l’avenir ne peut être facilement prédit en ce qui a trait aux changements qui pourraient survenir dans les activités de l’employeur.

[99] Par conséquent, un examen minutieux de la véritable nature de l’entreprise sur une période de temps raisonnable antérieure à la date de l’audience permettra d’établir si le travail extraprovincial est suffisamment régulier et continu pour constituer un critère solide qui permettra de conclure, si l’on peut raisonnablement penser qu’il ne découle pas seulement d’activités passagères, que la compétence fédérale exceptionnelle du Code devrait s’appliquer.

[100] Dans Pioneer, précitée, le Conseil s’est penché sur plusieurs affaires dans lesquelles a été examinée la signification de « régulier et continu » et qui soulevaient la question de savoir si, par exemple, on pouvait dire que les voyages extraprovinciaux avaient été effectués « fréquemment ». Dans sa conclusion, le Conseil a insisté sur l’importance de fonder sa décision sur les activités réelles de l’entreprise en cause, plutôt que d’accorder trop facilement une grande importance à ce que l’entreprise pouvait ou pourrait faire. Ce qui compte, c’est ce qu’elle fait en réalité.

[101] Le Conseil a reconnu, dans la décision rendue dans cette affaire, qu’il n’était pas nécessaire que les voyages à l’extérieur de la province soient déterminés à l’avance pour que l’activité soit considérée comme « régulière et continue », et que, dans certains cas, le fait que l’entreprise soit toujours prête à fournir ce service sur demande, avec les permis nécessaires déjà à sa disposition, peut suffire pour répondre au critère de l’aspect « régulier et continu ». Mais le Conseil a tout de même souligné que le seul fait que l’entreprise détienne des licences extraprovinciales, sans plus, ne permet pas en soi de déterminer si ce critère est rempli :

[42] En revanche, dans The Gray Line of Victoria Ltd. (1989), 77 di 169; et 5 CLRBR (2d) 226 (CCRT no 741), le Conseil a confirmé que le critère à appliquer était celui de l’aspect « régulier et continu » et, en outre, que les termes régulier et continu ne signifient pas nécessairement selon un horaire prédéterminé. Il a indiqué que cela pourrait bien signifier seulement que l’exploitant de l’entreprise était à un moment donné prêt et disposé à assurer les services extraprovinciaux; en d’autres termes, les clients avaient accès constamment et sans interruption à un service extraprovincial toutes les fois qu’ils en faisaient la demande. Toutefois, dans cette affaire, le Conseil a conclu que Gray Line n’était pas une entreprise fédérale parce que, d’après la preuve, les voyages extraprovinciaux étaient au mieux sporadiques et qu’ils n’étaient donc pas suffisants pour assujettir l’entreprise à la compétence fédérale.

[43] De même, dans Raynor Holdings & Investments Ltd. (1988), 73 di 104 (CCRT no 676), le Conseil a conclu que, dans les situations de faits où la décision pourrait aller dans un sens ou dans l’autre, le Conseil devrait se laisser guider par la présomption constitutionnelle que l’entreprise relève de la compétence provinciale.

[44] Conformément à l’approche adoptée dans les affaires décrites ci-dessus, le Conseil doit tenir compte de ce que l’entreprise de Pioneer fait en réalité et non pas de ce qu’elle peut faire. Ainsi, les licences extraprovinciales n’ont aucune importance à moins qu’il soit également établi que ces licences ont été utilisées et que les voyages ont été effectués de façon régulière et continue. En date de l’audience, il n’y avait pas de contrat en vigueur pour effectuer du travail à l’extérieur de la province. Bien qu’il puisse (ou ne puisse pas) s’agir d’une simple coïncidence, c’est une indication de la nature des activités de l’entreprise qui a été décrite comme étant normalement et habituellement une entreprise de camionnage provinciale. La fréquence du travail extraprovincial est un indicateur « de la nature et du caractère véritables » de l’entreprise. Au mieux, l’activité extraprovinciale visée en l’espèce peut être décrite comme étant une activité irrégulière. Le Conseil tient à souligner qu’il ne considère pas la fréquence avec laquelle ce travail est effectué comme concluante, en ce sens que ce facteur est utilisé comme critère du pourcentage du travail effectué pour trancher la question de l’aspect « régulier et continu ». La fréquence est simplement considérée comme un indicateur général de la régularité et de la continuité.

[102] Dans Medalta Distribution Services Ltd., et Exalta Transport Corp. (1995), 98 di 6 (CCRT no 1117) (Exalta), une affaire touchant plusieurs entreprises connexes exploitées comme une seule entreprise de transport intégrée, le prédécesseur du présent Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), a conclu que 43 voyages transfrontaliers échelonnés sur une période de cinq mois ne constituaient pas une activité suffisamment régulière et continue pour écarter la présomption de la compétence provinciale sur les relations du travail, principalement parce que dans cette affaire la demande à l’égard de ces services était intermittente, ne nécessitant qu’un travail occasionnel au delà des limites de la province de l’Alberta.

[103] De façon similaire, dans The Gray Line of Victoria Ltd. (1989), 77 di 169; et 5 CLRBR (2d) 226 (CCRT n° 741) (Gray Line), le CCRT a statué que 29 voyages extraprovinciaux de toute sorte effectués sur une période de 18 mois étaient « sporadiques et sans horaire fixe », et n’étaient par conséquent pas réguliers et continus, et il a rejeté la demande d’accréditation du syndicat pour défaut de compétence.

[104] Dans Brinks Canada Ltd. v. Good, 2005 SKCA 20 (Brinks), la Cour d’appel de la Saskatchewan a examiné une série d’affaires portant sur cette question et a souligné ce qui suit :

[20] Ottawa-Carleton, maintenant l’arrêt faisant jurisprudence dans ce domaine, avait trait au service d’autobus exploité par la Commission de transport régional d’Ottawa Carleton [« O.C. Transpo »]. Le réseau de transport en commun couvrait principalement la municipalité régionale d’Ottawa Carleton, en Ontario, mais certains de ses autobus se rendaient à Hull, au Québec. Les autobus qui effectuaient les trajets interprovinciaux comptaient pour 0,5 % du kilométrage total parcouru par l’ensemble du réseau, et les passagers interprovinciaux représentaient de 2 % à 4 % du nombre total d’usagers. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la Cour divisionnaire avait commis une erreur en ne tenant pas compte du faible pourcentage des activités d’O.C. Transpo correspondant à la circulation interprovinciale et en tranchant l’affaire sur la foi des activités « habituelles et normales » d’OC Transpo. Le juge Cory (qui était alors juge de la Cour d’appel de l’Ontario) a affirmé ce qui suit aux pages 461-462:

La décision ne devrait pas être fondée sur un critère relatif au pourcentage des activités.

À mon avis, il n’est pas opportun d’avoir recours à la méthode quantitative. Pour trancher la question fondamentale de savoir si l’entreprise relie des provinces, il convient plutôt de se fonder sur le caractère ininterrompu et régulier des activités de liaison ou de l’activité extraprovinciale.

[21] Dans Ottawa-Carleton, le service extraprovincial était beaucoup moins important que le service offert à l’intérieur de l’Ontario mais, quoi qu’il en soit, les autobus d’OC Transpo traversaient à Hull 450 fois par jour et transportaient quotidiennement un total de 10 000 à 11 000 passagers. Les revenus découlant de ce service étaient de l’ordre de 2 000 000 $ par année.

[22] En examinant d’autres jugements rendus sur cette question, nous constatons que, dans les affaires où le service extraprovincial fourni par une entreprise par ailleurs provinciale était très négligeable en termes absolus, on tend à trouver des moyens pour éviter de décrire le service comme « régulier et continu » afin d’écarter une conclusion de compétence fédérale. Voir, par exemple : Zinck’s Bus Co. c. Canada, (1998), 152 F.T.R. 279.

[23] Dans l’ensemble, ces affaires semblent révéler une préoccupation sous jacente ou inexprimée selon laquelle, lorsqu’un service extraprovincial régulier et continu constitue une proportion très restreinte des activités d’une entreprise et que, mesuré en termes absolus, il est très négligeable, cela ne devrait pas avoir comme conséquence d’assujettir l’entreprise à la compétence fédérale. L’une des seules décisions qui traitent directement de ce point est Windsor Airline Limousine Services Ltd., [1999] O.L.R.D. 3905. Dans cette décision, la Commission des relations de travail de l’Ontario a cité, au paragr. 43, un extrait d’Ontario Taxi Assn., Local 1688 v. Windsor Airline Limousine Services Ltd., [1980] 2 O.L.R.B. Rep. 272, au paragr. 59 :

59. …Supposons qu’une petite entreprise de taxi comptant six véhicules mène ses activités dans la ville d’Ottawa. Elle transporte 200 passagers par jour. Tous ses déplacements quotidiens se font du côté ontarien de la rivière des Outaouais, sauf un. Dans le cadre d’un contrat établi au préalable, elle effectue un déplacement chaque jour jusqu’à la ville de Hull pour aller chercher un étudiant et le conduire à son école, dans la ville d’Ottawa. Elle fournit ce service de manière « continue » et « régulière ». Faut il présumer que cet unique voyage quotidien fait de cette entreprise de taxi une entreprise fédérale, dont les relations industrielles doivent être régies au même titre que celles des chemins de fer et des transporteurs aériens?

[24] Nous ne croyons pas que le critère relatif aux activités « continues et régulières » devrait s’appliquer de façon aussi rigide ou systématique et ainsi créer une situation où la nature constitutionnelle de l’entreprise ne tient pas compte des faits. Un volume insignifiant ou très petit d’activités extraprovinciales, même si cette activité est continue et régulière, ne permet tout simplement pas d’établir que l’entreprise dans son ensemble relève de la compétence fédérale lorsque cette activité représente une proportion très négligeable de l’activité globale de l’entreprise.

[25] Il est bien établi que l’activité extraprovinciale occasionnelle ne justifie pas la décision d’assujettir une entreprise à l’alinéa 92(10)a). Voir, par exemple : Agence Maritime c. Canada (Conseil des Relations Ouvrières), [1969] R.C.S. 851. Cela s’explique par le fait que, dans de telles circonstances, les activités extraprovinciales ne rendent pas compte de façon précise de la véritable nature constitutionnelle de l’entreprise. À notre avis, il est possible de tirer la même conclusion à propos des activités interprovinciales de Brinks en l’espèce, malgré le fait qu’elles sont « continues et régulières ». Ce service consiste en un déplacement une fois par semaine à un ou deux pâtés de maisons du côté albertain de Lloydminster, effectué dans le cadre d’un parcours qui dessert des clients qui se trouvent du côté saskatchewanais de cette ville frontière. En outre, le service fourni en Alberta ne constitue de toute évidence qu’une infime partie de l’activité globale de Brinks en Saskatchewan. Dans ces circonstances, les conséquences relatives au service fourni en Alberta ne sont pas suffisantes pour conclure que l’activité globale de Brinks en Saskatchewan est une entreprise visée par l’alinéa 92(10)a).

(traduction)

[105] Cet extrait expose une dimension du critère des activités régulières et continues que l’on peut définir comme une évaluation ou un examen global de l’ensemble des faits et des circonstances de chaque affaire, qui vise à ce que les conclusions tirées respectent le partage constitutionnel des pouvoirs en matière de relations du travail. Il nous rappelle en l’espèce de mettre en balance la preuve et l’importance de la décision. La décision d’écarter la présomption qu’une entreprise relève de la compétence provinciale en matière de relations du travail revêt une importance cruciale, puisqu’elle est au cœur de tout ce qui peut suivre dans le cadre du régime juridique applicable aux relations du travail des employés et des parties visés.

[106] Dans plusieurs affaires récentes, le Conseil a eu l’occasion d’appliquer le critère fonctionnel à diverses activités commerciales afin de déterminer si elles pouvaient relever de la compétence fédérale aux fins des relations du travail.

[107] Dans Schnitzer Steel BC, inc., 2012 CCRI 640 (Schnitzer Steel), le Conseil a conclu qu’il y avait lieu de qualifier l’entreprise de l’employeur d’entreprise de recyclage de ferraille plutôt que d’entreprise de transport interprovincial. Cependant, aux fins de la discussion, le Conseil s’est penché sur la question de savoir si 164 voyages extraprovinciaux saisonniers effectués pour quatre clients à l’intérieur d’une période d’un an pourraient transformer l’entreprise en une entreprise de transport interprovincial. Pendant trois mois consécutifs au cours de l’année examinée, aucun voyage de ce genre n’avait été effectué. Mais à d’autres moments pendant l’année, l’employeur avait effectué environ de 18 à 20 voyages par semaine entre la Colombie Britannique et l’Alberta, transportant son propre matériel, et il transportait aussi des biens pour des tiers lors de 5 à 10 de ces voyages interprovinciaux.

[108] En appliquant le critère des activités « régulières et continues » à cette fin, et en utilisant une approche qualitative pour définir le travail extraprovincial effectué pour des tiers, le Conseil a conclu que ces voyages étaient sporadiques, restreints en nombre et effectués uniquement lorsque l’entreprise y trouvait un intérêt. Il a été déterminé que ces activités n’étaient ni régulières ni continues, et que la prestation de ces services n’était qu’occasionnelle.

[109] Dans Autobus Idéal inc., 2012 CCRI 642 (Idéal), une décision du Conseil qui n’a pas été unanime, le Conseil s’est intéressé à certaines activités de l’employeur qui, depuis le Québec, s’étendaient au delà de la frontière provinciale jusqu’en Ontario, par rapport aux activités plus habituelles de ce qui était par ailleurs une entreprise locale d’autobus scolaires. Afin de déterminer si le critère des activités « régulières et continues » était rempli, la majorité d’un banc du Conseil a estimé qu’elle pouvait s’appuyer en partie sur la série de mesures prises par l’employeur pour planifier et préparer bien à l’avance, puis pour effectuer, plus ou moins chaque mois, quelques excursions nolisées extraprovinciales. Ces excursions étaient très peu nombreuses, en proportion de l’ensemble des activités, mais l’employeur avait déterminé qu’elles étaient suffisantes pour justifier la présentation trimestrielle de ses demandes de remise de taxe sur le carburant pour la portion extraprovinciale de ses activités.

[110] Le résultat obtenu dans le contexte particulier de cette affaire quelque peu inusitée constitue un exemple rare, selon l’expérience du Conseil, de la façon dont une combinaison particulière de faits et de circonstances peut rappeler et traduire dans les faits la conjecture exposée dans Pioneer, précitée :

[16] …

3. … Dans certains cas, lorsque le « requérant est toujours prêt à transporter de la marchandise à l’extérieur des limites de la province à la demande de n’importe quel de ses clients et que, à cette fin, il a fait le nécessaire pour obtenir les permis et les licences nécessaires auprès des administrations compétentes », cela suffira pour en faire une activité « régulière et continue » ...

[111] Dans le contexte particulier de l’affaire Idéal, précitée, les éléments de preuve démontraient clairement que l’employeur avait planifié et préparé à l’avance ces excursions nolisées transfrontalières et qu’il avait pris des dispositions connexes en matière d’assurance. À cela s’ajoutaient d’autres facteurs tels que le fait que ces excursions étaient effectuées à la demande d’un client, que l’employeur répondait toujours à cette demande et que, en règle générale, des voyages extraprovinciaux avaient été effectués chaque mois au cours des deux années civiles précédentes. Cet exemple illustre dans quelle mesure un facteur – prendre des mesures concrètes pour planifier et préparer des voyages extraprovinciaux – qui, de façon générale, n’est qu’un facteur parmi tant d’autres, peut parfois revêtir une importance quelque peu inhabituelle.

[112] Au bout du compte, la majorité du banc du Conseil n’a pas été en mesure d’établir que les services de transport nolisé fournis par l’employeur en Ontario n’étaient qu’exceptionnels ou occasionnels. La majorité a plutôt conclu, sur le fondement de tous les éléments de preuve, considérés dans leur ensemble, que les faits de cette affaire étaient suffisamment révélateurs du caractère régulier et continu des activités extraprovinciales de l’entreprise pour assujettir cette dernière au Code.

[113] Il convient de souligner que, dans l’opinion qu’il a formulée, le membre dissident du banc a soulevé expressément la même préoccupation que la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Brinks, précité, c’est à dire une préoccupation « sous-jacente ou inexprimée » (traduction) dans les affaires qui nécessitent l’application du critère des activités « régulières et continues ». Cette préoccupation consiste à se demander si les conséquences d’une activité transfrontalière plutôt limitée peuvent légitimement être considérées comme suffisamment importantes pour permettre de conclure que, sur le plan constitutionnel, l’entreprise dans son ensemble est de nature fédérale.

[114] On pourrait raisonnablement penser que les différences entre Idéal, précitée, et la présente affaire diminuent la pertinence de cette décision à titre de texte de référence ou de précédent. Mais le fait d’appliquer un critère fonctionnel nécessitant l’examen de la régularité et de la continuité d’un aspect d’une entreprise de transport revient, en soi, à reconnaître que chaque affaire est différente. La façon dont le Conseil comprend les faits de la présente espèce et dont il applique à leur égard les principes énoncés découle d’un examen global et non sélectif de ses décisions antérieures et de celles des tribunaux. Chacune se distingue de la présente affaire sur le plan des faits et se voit accorder une importance plus ou moins grande. Mais elles présentent toutes un intérêt et, ensemble, elles guident le Conseil dans son évaluation.

[115] Il convient d’exposer ici plusieurs autres éléments de preuve présentés dans Idéal, précitée, pour montrer dans quelle mesure le contexte de chaque affaire peut être différent. L’employeur n’avait pas contesté le fait qu’il était assujetti au Code, en partie en raison des défis qu’il devait relever en matière de gestion et dont il est question dans la décision, et sans aucun doute en partie parce qu’un inspecteur de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, Direction du Travail (maintenant Emploi et Développement social Canada (EDSC)), avait déterminé que la Partie III du Code, qui traite des normes du travail, s’appliquait à l’entreprise et à ses employés, et que ses activités commerciales relevaient des lois fédérales. De plus, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) du Québec avait aussi déterminé que, du moins pour les deux années précédentes, l’employeur avait exploité une entreprise de transport interprovinciale ou internationale.

[116] Le Conseil a bien précisé que ces faits n’avaient pas influencé sa décision, et encore moins constitué un facteur déterminant au regard de son pouvoir d’appliquer le Code. Mais ils faisaient tout de même partie des circonstances bien réelles ayant une incidence sur les relations du travail des parties.

[117] À cet égard, les parties se rappelleront que, dans Allcap, précitée, la question de la compétence constitutionnelle du CCRT a été soulevée même si les parties croyaient que leurs relations du travail étaient régies aux termes de la Partie I du Code, après que des plaintes concernant le salaire minimum déposées en vertu de la Partie III du Code eurent été rejetées pour défaut de compétence. En concluant que le CCRT n’avait pas compétence parce que l’employeur en cause n’exploitait pas une entreprise fédérale, le prédécesseur du Conseil a précisé ce qui suit :

... la compétence constitutionnelle du Conseil ne dépend pas [des parties]. Lorsqu’il s’agit d’exercer un pouvoir en vertu du Code, celui-ci ne peut pas se tromper. …

(pages 184; et 277)

[118] Le Conseil souscrit toujours à cet énoncé de droit et le respecte.

[119] Il convient de noter que dans Autocar, précitée, un nombre assez considérable d’éléments de preuve appuyait aussi le fait que l’employeur était « prêt et disposé » à fournir le transport extraprovincial à la demande de ses clients. En outre, des répartiteurs attitrés coordonnaient l’attribution des voyages transfrontaliers sans qu’un horaire fût préétabli, et tous ces voyages étaient effectués conformément aux permis et couvertures d’assurance annuels réguliers des deux entreprises connexes visées, lesquelles desservaient chacune des régions géographiques désignées.

[120] La combinaison tout à fait particulière des facteurs dans cette affaire a permis au Conseil de conclure que, même si les deux entreprises ne constituaient pas un employeur unique, elles répondaient toutes les deux au critère des activités extraprovinciales « régulières et continues », ce qui les assujettissait toutes deux à la compétence fédérale aux fins des relations du travail.

[121] TNT Express (Canada) ltée, 2013 CCRI 670 (TNT), avait trait à une entreprise transitaire qui faisait aussi du travail extraprovincial dans une certaine mesure, en particulier lorsque d’autres dispositions à cet égard ne pouvaient être prises dans un délai raisonnable. Dans cette instance, le Conseil a conclu que l’employeur avait pris la « décision, sciemment à ce qu’il semble, de ne pas se livrer à des activités de transport interprovincial ou international », et que ses activités normales et habituelles étaient celles d’un transitaire.

[122] Le Conseil a déterminé que les voyages interprovinciaux, apparemment non prévus à l’horaire, effectués par l’employeur pour ramasser ou livrer des marchandises pouvaient plutôt être qualifiés de sporadiques ou d’occasionnels, et il a par conséquent conclu (au paragraphe 70 de sa décision) que ces voyages « ne suffisent pas pour que le statut de TNT passe de celui de transitaire, ou d’entreprise de transport intraprovincial, à celui d’entreprise de transport interprovincial ».

[123] Bien que le Conseil ait, au bout du compte, fondé sa décision sur une analyse qualitative assimilant les activités normales et habituelles de l’employeur à celles d’un transitaire, il convient tout de même de noter que la décision du Conseil dans TNT, précitée, n’a pas été influencée par la preuve de nature numérique relative aux voyages extraprovinciaux de l’entreprise.

[124] Le syndicat avait fait valoir qu’au moins 144 voyages transfrontaliers avaient été effectués en une seule année, et l’employeur avait reconnu qu’il y en avait eu au moins 68. Or, comme le Conseil a adopté une approche qualitative plutôt que quantitative, il a fondé sa conclusion sur la question de savoir si ces voyages constituaient des activités normales et habituelles, plutôt que sur leur nombre ou le pourcentage qu’ils représentaient dans l’ensemble des activités de l’employeur.

[125] Dans Stock Transportation ltée, 2013 CCRI 687 (Stock), le Conseil a conclu que, même si l’employeur était prêt à fournir des services de location d’autobus pour des voyages extraprovinciaux et qu’il avait effectué neuf voyages de ce genre en un an, son activité principale était le transport local par autobus d’élèves à destination et à partir des écoles du district scolaire no 2 du Nouveau Brunswick, ainsi que la location d’autobus pour des voyages sur demande, qui n’avaient pas lieu selon un horaire prédéterminé, à l’intérieur du Nouveau Brunswick – il en avait effectué 779 en un an.

[126] L’employeur ne détenait pas de permis de transport permanent pour les voyages extraprovinciaux; il faisait les démarches pour obtenir les permis nécessaires uniquement lorsqu’un de ses autobus nolisés entreprenait un voyage à l’extérieur du Nouveau Brunswick. L’entreprise était indépendante des autres exploitations canadiennes de la société mère, établie aux États Unis; il n’y avait pas d’échange de chauffeurs et, sur le plan opérationnel, l’entreprise ne dépendait d’aucune autre exploitation du service de transport par autobus à l’extérieur de la province. Selon l’analyse menée par le Conseil concernant la nature des activités de l’employeur, il s’agissait d’une entreprise provinciale, et ses relations du travail étaient donc bel et bien assujetties aux lois provinciales. Il a été conclu que les voyages extraprovinciaux effectués par les autobus nolisés de l’employeur ne représentaient pas des activités « régulières et continues » et qu’ils n’étaient pas suffisamment substantiels pour permettre au Conseil de qualifier l’ensemble de l’entreprise d’entreprise fédérale.

[127] Dans Superior Propane, une division de Superior Plus s.e.c., 2013 CCRI 689 (Superior Propane), le Conseil a déterminé que l’employeur livrait son propre propane et a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une entreprise de transport aux fins de l’alinéa 2b) du Code, précisant (au paragraphe 4) que l’entreprise « ne vend pas de services de transport; elle vend du propane ».

[128] La décision du Conseil rappelle à certains égards la décision rendue dans Schnitzer Steel, précitée, selon laquelle l’employeur dans cette affaire exerçait principalement des activités de recyclage de la ferraille. Dans les deux affaires, le Conseil n’a pas été convaincu que les activités normales et habituelles de l’employeur pouvaient être assimilées à juste titre à celles d’une entreprise de transport.

[129] À cet égard, les faits et le fondement des décisions du Conseil dans ces deux affaires ne permettent pas d’établir, à titre indicatif, des parallèles directs avec la présente affaire, dans laquelle il est reconnu que les activités de l’employeur constituent une entreprise unique fournissant des services de transport, d’entreposage et de manutention pour des tiers, et que l’employeur ne livre pas ses propres marchandises ou matériaux. Mais Schnitzer Steel et Superior Propane, précitées, constituent toutes les deux des exemples récents et révélateurs de l’utilisation des critères à appliquer pour examiner les activités normales et habituelles de l’entreprise dans son ensemble, en tant qu’entreprise active. Le Conseil s’est demandé si les activités de transport, bien circonscrites, que menaient ces entreprises étaient de nature suffisamment interprovinciale ou extraprovinciale pour répondre au critère des activités régulières et continues. Si cela avait été le cas, chacune de ces entreprises aurait été entièrement assujettie au Code.

[130] Non seulement ces décisions font ressortir l’importance d’éviter de tenir compte inutilement d’une simple dérogation fortuite et occasionnelle aux principales activités habituelles de l’employeur, mais elles permettent aussi d’expliquer dans quelle mesure le critère des activités « régulières et continues » appliqué par le Conseil repose fermement sur les jugements essentiels de la CSC, en plus de mettre en évidence de nombreux précédents établis par le Conseil pour ce qui est de l’application constante de ce critère.

[131] Dans Superior Propane, précitée, le Conseil a souligné que, pour déterminer la véritable nature de l’entreprise en cause, on applique le critère fonctionnel dans le but d’évaluer les éléments de preuve ayant trait aux activités habituelles de l’entreprise, sans tenir compte des facteurs exceptionnels ou occasionnels. La décision contient un résumé pratique de la méthode suivie :

[25] Les arrêts de principe rendus par la Cour suprême du Canada (la CSC) sur le champ d’application de l’alinéa 92(10)a) confirment tous ce qui suit :

1. Depuis 1925, les relations du travail sont reconnues comme relevant de la compétence provinciale :

Toronto Electric Commissioners v. Snider et al., [1925] 2 D.L.R. 5 (C.P.) (Snider).

2. La compétence du gouvernement fédéral à l’égard des relations du travail est l’exception :

Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754 (Construction Montcalm), à la page 768;

Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53; [2009] 3 R.C.S. 407 (Consolidated Fastfrate), au paragraphe 27;

NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45; [2010] 2 R.C.S. 696 (NIL/TU,O), au paragraphe 11.

3. Un sens étroit a été donné à cette exception :

Consolidated Fastfrate, précité, au paragraphe 27;

NIL/TU,O, précité, aux paragraphes 11 et 51.

4. Afin de déterminer la nature de l’entreprise fédérale en cause, le juge des faits applique un « critère fonctionnel » :

« il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’« entreprise active », sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels »

Construction Montcalm, précité, à la page 769;

Northern Telecom c. Travailleurs en communication, [1980] 1 R.C.S. 115 (Northern Telecom), à la page 139);

[18] … pour déterminer si le pouvoir de réglementer les relations de travail d’une entité relèvera du gouvernement fédéral, ce qui aurait pour effet d’écarter la présomption de compétence provinciale, l’arrêt Four B exige que le tribunal applique tout d’abord le critère fonctionnel, c’est-à-dire qu’il examine la nature de l’entité, son exploitation et ses activités habituelles pour voir s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Si c’est le cas, ses relations de travail seront assujetties à la réglementation fédérale…

NIL/TU,O, précité, au paragraphe 18.

5. La compétence fédérale peut être directe ou indirecte; une entreprise peut constituer en elle-même une entreprise fédérale, ou il peut s’agir d’une partie vitale et intégrante de l’exploitation d’une autre entreprise principale de compétence fédérale.

[132] Plus loin dans cette décision, on décrit succinctement la règle applicable pour analyser les faits afin d’établir si l’entreprise est ou non une entreprise de transport, pour que l’importance de ses activités extraprovinciales puisse être évaluée d’un point de vue constitutionnel :

[88] En application du critère fonctionnel, il nous faut évaluer les éléments de preuve au dossier de l’instance afin de déterminer les activités normales et habituelles de l’entreprise de Superior à titre d’« entreprise active », sans tenir compte des facteurs exceptionnels ou occasionnels.

[133] Dans tous les cas, le Conseil ne doit jamais s’éloigner de l’enseignement fondamental tiré des affaires susmentionnées, selon lequel la compétence provinciale est présumée en matière de relations du travail au Canada. Pour reprendre ce que le Conseil a reconnu ci dessus, au plan constitutionnel, les travaux et entreprises d’une nature locale relèvent de la compétence provinciale, et leurs relations du travail sont régies exclusivement par les lois provinciales, à moins qu’ils ne fassent partie des catégories exceptionnelles énumérées au paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Si l’entreprise fait partie de ces catégories exceptionnelles, elle relève alors de la compétence fédérale, et ses relations du travail sont régies exclusivement par les lois fédérales.

[134] Enfin, un élément fondamental et important de l’ordre constitutionnel canadien tient à l’exclusivité de la compétence de l’un ou l’autre des ordres de gouvernement à l’égard du pouvoir de réglementation à exercer. Aux fins des relations du travail et des conditions de travail, la compétence constitutionnelle applicable est exclusive, et non partagée.

[135] Dans Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749 (Bell Canada), la Cour suprême du Canada a réglé cette question, la traitant comme un exemple important du fédéralisme canadien. La CSC a affirmé que, pour les entreprises fédérales, les relations du travail sont des matières visées par le paragraphe 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867 et relèvent donc de la compétence principale et exclusive du Parlement, qui empêche l’application à ces entreprises des lois provinciales sur les relations du travail et les conditions de travail.

[136] Bell Canada faisait partie d’une trilogie d’affaires comprenant aussi les arrêts Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Courtois, [1988] 1 R.C.S. 868 (CNR) et Alltrans Express Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1988] 1 R.C.S. 897 (Alltrans). Dans cette dernière affaire, la règle constitutionnelle de la compétence exclusive était précisément appliquée à une entreprise de camionnage, même s’il s’agissait d’une entreprise fédérale assujettie au Code. Le juge Beetz a indiqué ce qui suit pour la Cour dans Alltrans, précité :

Les trois pourvois soulèvent essentiellement la même question : une loi provinciale qui réglemente les conditions de santé et de sécurité du travail est-elle constitutionnellement applicable à une entreprise fédérale?

...

Ce que j'ai dit dans l’arrêt Bell Canada concernant l’inapplicabilité de la Loi québécoise aux entreprises fédérales commande le même résultat dans la présente affaire. Les dispositions attaquées de la Loi de la Colombie-Britannique se rapportent nécessairement aux conditions et aux relations de travail dans les entreprises assujetties à cette loi ainsi qu’à la gestion de ces entreprises. Cela étant, ces dispositions ne sauraient constitutionnellement s’appliquer à une entreprise fédérale…

(pages 900 et 911)

VII. Analyse et discussion

[137] Le Conseil félicite les procureurs des deux parties pour l’efficacité et la franchise dont ils ont fait preuve dans la présentation des faits pertinents au Conseil, et pour leurs observations efficaces et utiles, plus particulièrement lorsqu’ils ont fait valoir leurs propres points de vue concernant l’importance relative de divers faits à la lumière des principes et des critères établis dans la jurisprudence.

[138] Le Conseil souligne que les procureurs ont reconnu que le Conseil devrait utiliser, comme il se doit, le critère fonctionnel décrit dans la jurisprudence afin de trancher la question dont il a été saisi; il souligne aussi que le procureur de la requérante a reconnu que la compétence provinciale l’emporterait si l’application du critère fonctionnel ne permettait pas d’établir la compétence fédérale.

[139] Le fait que le procureur de la requérante ait aussi reconnu qu’il n’était par conséquent pas nécessaire, en l’espèce, que le Conseil passe à la seconde étape de l’examen, ou à l’examen subsidiaire, décrit par la CSC dans NIL/TU,O, précité – qui consiste à se demander si la réglementation par la province des relations du travail de l’employeur porterait atteinte au contenu essentiel du chef de compétence fédérale aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867 – témoigne également de l’expérience et de l’aide fort appréciée du procureur, qui a organisé ses arguments de manière à les cibler sur la question précise qu’il fallait trancher.

[140] En ce qui concerne l’appel à la compétence du Conseil par la requérante, il faut d’abord établir que le recours invoqué et les mesures de redressement demandées relèvent de notre pouvoir constitutionnel.

[141] Les parties ne contestent pas le fait que l’employeur exploite une entreprise de transport, et le Conseil ne dispose d’aucun élément de preuve lui permettant de tirer une conclusion différente. Bien que l’employeur définisse ses activités comme du camionnage et de l’entreposage, et qu’il ait mentionné qu’il a parfois recours aux services d’autres entreprises de camionnage pour répondre à certains besoins de ses clients – prétendant mener des activités de transitaire dans ces occasions très limitées –, il ne fait aucun doute, au vu de tous les éléments de preuve, que l’employeur exploite une entreprise de camionnage général et que son activité principale est la manutention et le transport de divers matériaux, surtout à Port Edward, à Prince-Rupert et à Kitimat, en C. B, et dans les environs.

[142] En outre, dans le cadre du présent examen relatif à la compétence, aucun élément de preuve ne permet de dissocier les activités de camionnage de l’employeur de l’utilisation et de la gestion de ses parcs ou installations d’entreposage. Compte tenu des faits, la seule approche qu’il convient d’adopter consiste à examiner ensemble les activités de l’employeur comme une entreprise commerciale unique et indivisible, liée au transport et à la manutention de conteneurs, de matériaux et de marchandises pour les différents clients de l’employeur.

[143] Les activités normales et habituelles de Kristoff Trucking en tant qu’« entreprise active », sans tenir compte des facteurs exceptionnels ou occasionnels, sont celles d’une entreprise de transport, aussi bien au sens usuel qu’au sens constitutionnel. Aucun élément de preuve ne permet au Conseil de conclure qu’un aspect ou une fonction quelconque de ses installations de stockage ou d’entreposage, ou qu’un élément de matériel ou une activité quelconque, n’est pas directement lié à son activité principale qu’est le transport.

[144] L’affirmation exprimée au nom de l’employeur selon laquelle il lui est arrivé de donner du travail en sous-traitance à d’autres camionneurs pour assurer le service qu’il offre à ses clients, c’est à dire d’agir comme transitaire plutôt que d’effectuer lui même le travail, constituait un aspect très secondaire de la position de l’employeur et n’a de toute façon été étayée par aucun élément de preuve documentaire. Acceptant que ce genre d’ententes contractuelles sont conclues de façon occasionnelle, au besoin, le Conseil n’est pas convaincu que la présente affaire a trait à des activités de transitaire, et encore moins à une entreprise dont les activités sont principalement liées à l’expédition de marchandises par l’entremise d’ententes, comme c’était le cas dans Fastfrate, précité.

[145] La véritable question que doit trancher le Conseil est de savoir si l’entreprise de transport exploitée par l’employeur est une entreprise fédérale aux termes du Code. Comme il ressort de l’examen qui précède de la jurisprudence applicable, le Conseil s’est penché sur les dispositions prises aux fins de l’exécution des activités commerciales et sur toute la substance de ces activités telle qu’elle se dégage des faits résumés ci dessus.

[146] Pour les raisons énoncées ci après, le Conseil conclut que l’entreprise de l’employeur n’est pas une entreprise fédérale, et que nous n’avons pas la compétence constitutionnelle pour statuer ni sur la demande ni sur la plainte. Par conséquent, les deux affaires doivent être rejetées au motif que le Conseil n’a pas compétence pour en poursuivre l’examen.

[147] Par souci de commodité et de clarté, le Conseil a organisé son raisonnement selon les sections ci dessous.

A. Quel est le critère à appliquer pour déterminer la compétence constitutionnelle en matière de relations du travail dans le secteur du transport au Canada?

[148] Dans le secteur du transport, le critère à appliquer pour déterminer si les relations du travail de l’employeur relèvent des lois fédérales ou des lois provinciales repose sur les faits relatifs aux activités réelles de l’entité en question. La question est de savoir si ces activités relient suffisamment deux ou plusieurs provinces ou s’étendent au delà des limites d’une province, de telle sorte que l’entreprise constitue une entreprise fédérale, assujettie à la compétence et au contrôle du Parlement et du gouvernement fédéral du Canada à titre d’« entreprise fédérale » visée par le Code.

B. La nature du critère

[149] La nature du critère consiste en un examen fonctionnel de la substance réelle des activités commerciales quotidiennes et habituelles de l’employeur. Qu’il s’agisse de marchandises ou de personnes, lorsque le transport par véhicules motorisés dans une autre province ou à l’étranger fait partie des activités d’une entreprise de transport dont le siège social se trouve au Canada, le Conseil doit décider si cet aspect de l’entreprise est de nature suffisamment régulière et continue, par opposition au fait d’être simplement exceptionnelle ou occasionnelle, pour assujettir l’ensemble de l’entreprise à la compétence fédérale.

C. L’essence du critère

[150] L’examen vise essentiellement à déterminer si les activités commerciales extraprovinciales de l’employeur sont suffisamment régulières et continues pour avoir comme effet juridique de soustraire l’ensemble de l’entreprise au contrôle provincial en ce qui concerne les relations du travail, et de l’assujettir à la législation fédérale. Il ne s’agit pas, toutefois, de simplement mesurer la proportion que représentent ces activités commerciales ni de comparer les coûts et les revenus s’y rattachant avec ceux associés au volet intraprovincial de l’entreprise, bien que les données disponibles qui quantifient ces activités soient généralement prises en compte dans un deuxième temps, à titre d’indicateur général de la véritable nature ou de la qualité des activités. Le critère est un critère qualitatif, qui permet de déterminer la nature des activités commerciales de l’entreprise, en procédant à un examen plus approfondi qu’à de simples mesures et comparaisons quantitatives.

D. L’objet du critère

[151] Comme il a été mentionné précédemment dans les présents motifs, la Loi constitutionnelle de 1867 divise les pouvoirs législatifs entre les gouvernements fédéral et provinciaux, attribuant à chacun certains domaines de compétence exclusive. Étant donné que les relations du travail ne sont pas expressément abordées dans la Loi constitutionnelle de 1867, la première étape consiste à déterminer si le travail ou l’entreprise relève de la compétence provinciale ou fédérale selon la classification constitutionnelle des diverses matières abordées, tel que celles ci ont été interprétées par les tribunaux. En décidant s’il convient de dire que les activités extraprovinciales d’une entreprise de transport relient deux ou plusieurs provinces ou s’étendent au delà des limites d’une province de façon régulière et continue, le Conseil peut établir si l’entreprise est une entreprise fédérale ou provinciale et peut alors décider si le Code s’applique ou non.

E. L’application du critère

[152] En l’espèce, un certain nombre de facteurs déterminants, considérés ensemble, montrent que les activités générales de camionnage et de transport de l’employeur ne relèvent pas de la compétence exceptionnelle du Parlement, en raison de leur véritable nature. À la lumière de l’ensemble de la preuve, le Conseil n’est pas convaincu que les activités extraprovinciales de l’employeur sont suffisamment régulières et continues pour écarter la norme selon laquelle les relations du travail relèvent exclusivement de la compétence provinciale.

[153] Comme il a été noté, les parties ne contestent pas le fait que le critère à appliquer est un critère fonctionnel prévoyant une analyse qualitative des activités extraprovinciales pour déterminer si ces activités sont « régulières et continues », par opposition à « occasionnelles », et qu’il faut à cette fin examiner l’ensemble de l’entreprise en tant qu’entreprise active. Comme il le fait toujours en pareil cas, le Conseil a examiné les activités quotidiennes et habituelles de l’employeur, et il a déterminé qu’elles étaient celles d’une entreprise de camionnage général.

[154] Bien que l’employeur annonce sur son site Web que son entreprise « est devenue un chef de file dans le transport régional de marchandises par camion en C.-B. ... [o]ffrant des services de transport routier local et interurbain partout en C.-B. et dans tout le Canada », et que sa « zone des services compren[d] toute la C.-B. et l’ensemble du Canada », aucun élément de preuve ne démontre qu’il effectue du travail ou des voyages « dans tout le Canada » ou « dans l’ensemble du Canada » (traduction).

[155] Il est possible, bien sûr, que les activités commerciales de l’employeur atteignent une telle dimension dans l’avenir, et qu’elles deviennent même régulières et continues. Or, selon les éléments de preuve dont disposait le Conseil à la date de l’audience, la réalité est différente.

[156] Entre la C.-B. et l’Alberta, les seules activités transfrontalières menées par des employés de l’employeur qui englobaient la conduite d’un camion ou l’exécution de travail connexe, comme le chargement ou le déchargement, visaient à transporter du matériel et de l’équipement exclusivement entre Edmonton, en Alberta, et Kitimat ou Prince-Rupert, en C.-B. Toutes ces activités avaient pris fin plusieurs mois avant la date de l’audience parce que le groupe client n’avait plus besoin de ce service.

[157] Entre la C.-B. et le Yukon, un certain nombre de voyages transfrontaliers ont été effectués pour transporter certains matériaux à destination, et quelques fois en provenance, de la mine Wolverine, exploitée par Yukon Zinc au Yukon, au nord de la frontière provinciale de la C.-B.

[158] Pour ces motifs, le Conseil ne peut accorder aux affirmations faites par l’employeur sur son site Web autant d’importance que le souhaiterait le procureur de la requérante.

[159] Bien qu’il ne fasse aucun doute que les activités quotidiennes et habituelles de l’employeur soient principalement centrées sur son centre d’exploitation, à Port Edward, ainsi que sur ses parcs d’entreposage à Prince-Rupert et à Kitimat, en C.-B., l’employeur a encore fait quelques voyages au Yukon au cours de l’été 2013 et a continué d’en faire jusqu’à la date de l’audience du Conseil. Cependant, aucun élément de preuve ne démontre que l’un ou l’autre de ces voyages a été effectué selon un horaire préétabli ou prévisible.

[160] Aucune disposition ni aucun contrat permanent n’était en vigueur ou ne l’avait été pour ce type de travail extraprovincial en Alberta ou au Yukon et, à la date de l’audience, les perspectives que d’autres voyages au Yukon soient effectués étaient incertaines. L’employeur n’a toutefois pas indiqué qu’il refuserait une telle occasion s’il avait la capacité de transport nécessaire pour le faire ou s’il pouvait prendre des dispositions à cet égard. Les éléments de preuve montrent plutôt que l’employeur avait récemment exprimé au moins un certain intérêt à l’égard de ce type d’activités et qu’il avait aussi une certaine capacité pour en accepter.

[161] Le centre d’exploitation de l’employeur à Port Edward, en C.-B., est situé sur la côte Ouest du Canada. Aucun élément de preuve n’indique que l’employeur possède des installations à proximité des frontières nord, est ou sud de la C.-B., ou dans une autre province ou un autre territoire. La route qui sépare Port Edward d’Edmonton, en Alberta, dont une partie traverse les Rocheuses, s’étend sur environ 1 440 km, et il faut manifestement de nombreuses heures pour la parcourir. La distance à parcourir pour se rendre vers le nord jusqu’à la mine Wolverine au Yukon serait semblable.

[162] Ces données géographiques n’ont pas d’incidence sur le critère que le Conseil doit appliquer. Elles font toutefois en sorte que l’employeur se distingue de façon marquée par rapport à d’autres entreprises de transport qui ont des installations, des dépôts, des cours ou des bureaux dans plus d’une province. Elles distinguent aussi l’employeur des entreprises de transport situées plus près d’une frontière provinciale et qui empruntent des routes ou desservent plus facilement des clients des deux côtés de la frontière.

[163] En l’espèce, le Conseil doit bien sûr examiner la véritable nature des activités de l’entreprise aussi rigoureusement qu’il le ferait dans ces autres cas. Mais le problème demeure le même : appliquer le critère pour déterminer s’il convient, dans les faits, d’établir qu’un travail ou une entreprise relie deux ou plusieurs provinces ou s’étend au delà des limites d’une province, au motif qu’elle mène une partie de ses activités de transport général à l’extérieur de la province de façon régulière et continue.

[164] En l’espèce, compte tenu du fait qu’il faut parcourir de longues distances pour atteindre une frontière provinciale, ce genre de voyages ne serait pas entrepris à la légère. On peut donc conclure que l’exécution d’un tel travail nécessiterait la prise de dispositions particulières, et à plus forte raison s’il ne fait pas partie de la routine établie dans la planification des activités commerciales de l’employeur.

[165] Dans la flotte de 24 véhicules de l’employeur, seuls deux camions tracteurs étaient munis d’une cabine couchette et pouvaient être utilisés pour effectuer ces voyages à l’extérieur de la C.-B., bien qu’ils ne fussent pas réservés à cet usage. L’employeur avait tout de même réussi à répondre à ce genre de demandes de la part de ses clients à diverses occasions, en utilisant ses propres tracteurs et camionneurs et en recourant parfois aux services de sous traitants.

[166] Quoi qu’il en soit, ce dernier facteur ne suffirait pas pour trancher la question. Par contre, cela concorde avec le fait que la majeure partie des activités se déroulent à Port Edward, en C.-B., et dans les environs, et qu’il arrive parfois que l’employeur engage d’autres camionneurs en sous traitance pour offrir des services de ce genre.

[167] Les faits révèlent que, à quelques rares occasions, l’employeur avait soit effectué lui même, soit pris des dispositions pour faire effectuer plusieurs voyages en camion à l’extérieur de la C.-B. le même jour. Pour toute activité extraprovinciale de camionnage commercial de ce genre, l’employeur obtenait à titre temporaire les licences et les permis requis. L’employeur obtenait ces licences en fonction des besoins uniquement, pour les voyages extraprovinciaux relativement peu nombreux qu’il faisait, mais il avait acheté et conservé un permis annuel pour véhicules surdimensionnés dont il avait eu besoin pour ses voyages précédents en Alberta.

[168] Le très faible coût de 55 $ pour un permis annuel de véhicules surdimensionnés couvrant l’ensemble de la flotte n’a absolument rien de comparable avec la diversité ou le niveau des investissements plus substantiels effectués pour permettre l’exécution de ce genre d’activités extraprovinciales dont il était question, explicitement ou implicitement, dans Pioneer ou Autocar, précitées.

[169] Cependant, dans sa flotte de 24 véhicules en service, l’employeur avait muni un camion tracteur de permis d’exploitation mensuels ou trimestriels et l’avait assuré en conséquence pour l’utiliser sur les routes de l’Alberta; ce camion n’a pas été assuré pendant environ une semaine seulement, au début de février 2013.

[170] Comme on l’a mentionné, l’employeur a effectué 57 voyages extraprovinciaux au cours des 15,3 mois qui ont précédé la présentation de la demande en l’espèce, et un total de 68 au cours des 21 mois qui ont précédé la date de l’audience, dont un petit nombre seulement comprenaient le transport de chargements au retour. Ces voyages n’ont pas eu lieu chaque semaine ou chaque mois ni selon un horaire fixe; il s’agissait plutôt d’occasions fortuites, et ils étaient effectués pour répondre à des demandes particulières.

[171] Pendant plusieurs mois d’affilé au cours de la période examinée, aucun voyage transfrontalier de ce genre n’a eu lieu. Des voyages uniques ont été consignés à plusieurs mois d’intervalle. Peu de régularité ou de récurrence a pu être décelée, si ce n’est une augmentation notable, mais de courte durée, du nombre de voyages effectués au cours des trois derniers mois de 2012, qui a atteint un sommet de 13 en janvier 2013, avant de chuter rapidement en mars. Comme l’employeur n’avait plus de source de travail en Alberta, il n’a effectué qu’environ deux voyages par mois au Yukon par la suite.

[172] Les activités de transport transfrontalier n’ont généré qu’une infime partie des revenus de l’entreprise, de l’ordre de 5 % ou 6 %. Elles ont compté pour moins de 3 % de la masse salariale de l’employeur, et pour moins de 4 % de l’utilisation totale de ses camions. Cependant, compte tenu de la position de l’employeur et de sa participation à ce genre d’activités, on peut conclure qu’il ne s’agissait visiblement pas d’une mauvaise affaire et que l’entreprise y trouvait un intérêt.

[173] L’employeur obtenait les permis et les couvertures d’assurance nécessaires pour effectuer les voyages transfrontaliers seulement s’ils étaient requis pour accepter le travail. Ils n’étaient pas obtenus systématiquement à l’avance, et l’employeur ne les conservait pas de façon permanente après avoir effectué les voyages qui avaient nécessité leur acquisition et justifié leur coût. L’employeur semble se procurer les permis nécessaires en fonction du travail obtenu, et non se les procurer à l’avance pour démontrer qu’il répond aux conditions requises pour exécuter du travail de ce genre.

[174] L’approche de l’employeur consiste à s’adapter en fonction des occasions de travail acceptables qui se présentent à lui. Si l’on tient compte du contexte, les voyages transfrontaliers ne correspondent pas à un volet stable, établi, essentiel ou même habituel des activités de cette entreprise. Même s’il y a lieu de croire que cette façon de faire se répéterait si ce genre de travail était de nouveau obtenu, elle n’a pas la qualité qu’elle aurait si l’employeur détenait des permis en tout temps, comme il le ferait sans doute le cas si ses activités de transport extraprovinciales constituaient un élément stable ou permanent de l’entreprise, faisant partie intégrante de la planification des activités de camionnage.

[175] Combinée aux autres indicateurs examinés en l’espèce, cette distinction n’est pas qu’une simple nuance pour le Conseil. Elle tend à indiquer que le transport extraprovincial ne constitue pas, et assurément pas à ce moment ci, la véritable nature de l’entreprise, ou la nature et le caractère véritables de l’entreprise principale.

[176] Quoi qu’il en soit, même si l’employeur détenait en tout temps des permis et des couvertures d’assurance valides pour le transport à l’extérieur de la C.-B., cela ne permettrait pas d’établir que ses activités transfrontalières sont régulières et continues. Il en est ainsi parce que, comme le Conseil l’a établi dans Pioneer, précitée, ce qui compte dans l’application d’un critère fonctionnel, ce sont les activités réelles menées par l’entreprise, et non ce que l’entreprise a la capacité de faire, ce qui n’a guère ou pas d’importance lorsque cette capacité n’est pas exercée en réalité. Comme il est reconnu dans les affaires citées, le devoir du Conseil n’est pas seulement d’évaluer la régularité et la continuité de cet exercice, mais d’utiliser et de privilégier une approche qualitative pour le faire.

[177] Comme nous l’avons déjà mentionné, le Conseil ne tient compte de toute évaluation quantitative mathématique du volet transfrontalier des activités de l’entreprise qu’à titre d’indicateur général du caractère régulier et continu de ces activités, et comme un des indicateurs de leur nature et leur caractère véritables. Il en est ainsi, que l’information relative à la quantité de ces activités soit exprimée en volume absolu ou en termes relatifs, par exemple une portion ou un pourcentage du travail, ou des revenus, la distance parcourue ou d’autres paramètres liés aux activités de l’entreprise. Les pourcentages, s’ils sont disponibles, ne constituent jamais à eux seuls des critères permettant de répondre à la question de savoir si les activités extraprovinciales sont de nature suffisamment régulière et continue pour soustraire l’ensemble de l’entreprise à la compétence constitutionnelle provinciale habituelle en matière de relations du travail, et pour l’assujettir à la compétence constitutionnelle fédérale exceptionnelle.

[178] Pour déterminer si le volet extraprovincial des activités de l’employeur est de nature régulière et continue, il est intéressant de noter que l’approche de l’employeur consistant à obtenir des « permis au besoin seulement » se distingue du modèle observé dans Autocar et Idéal, précitées, selon lequel « il n’est pas nécessaire qu’un horaire soit établi au préalable si l’entreprise est prête et détient déjà les permis et les couvertures d’assurance annuels appropriés ». Ces décisions sont peu convaincantes au regard de la présente affaire, du moins sur ce point.

[179] Les faits de l’espèce incitent le Conseil à qualifier les voyages du volet extraprovincial des activités de l’employeur d’« au mieux sporadiques » – dans le sens donné à cette expression dans Pioneer, précitée, qui cite (au paragraphe 42) la décision antérieure du Conseil rendue dans Gray Line, précitée –, plutôt que d’activités « régulières et continues », condition requise pour invoquer la compétence fédérale. Selon les faits qui nous ont été présentés, il pouvait parfois s’écouler des mois sans qu’un seul voyage transfrontalier ne soit effectué. Lorsqu’il y en avait un, ou lorsque plusieurs voyages avaient lieu et étaient rapprochés dans le temps, ces événements ne se reproduisaient pas à des intervalles réguliers et, considérés ensemble, ils ne constituaient pas une tendance stable.

[180] Le Conseil reconnaît que, lorsque des voyages extraprovinciaux se répètent, on ne doit pas forcément les ignorer s’il ne s’agit pas de simples événements isolés, rares ou sans importance. Les conséquences ne sont jamais prévisibles et doivent toujours être évaluées en fonction du contexte particulier de l’affaire. En l’espèce, le Conseil a constaté que, surtout à certains égards pertinents, les activités transfrontalières de l’employeur se distinguent de celles décrites dans les diverses affaires citées ci dessus en raison de leur nature ou de leur type, de leur dimension et de leur portée, de leur degré d’importance ainsi que de leur ampleur.

[181] Elles se distinguent en raison de leur nature ou de leur type par rapport aux affaires dans lesquelles l’employeur a des bureaux, des installations, des bases ou des dépôts dans plus d’une province ou d’un territoire, ce qui lui permet de planifier ses activités différemment et d’offrir différents services à ses clients.

[182] Elles se distinguent aussi en raison de leur type par rapport aux excursions nolisées annoncées à l’avance, que l’on voit souvent dans le domaine du transport par autobus, et par rapport aux parcours entre diverses destinations prévus selon un horaire préétabli, pour lesquels, une fois le service inscrit à l’horaire, on cherche à remplir au maximum les véhicules – réservés pour effectuer ces parcours prévus, qui sont annoncés –, que ce soit de passagers ou de marchandises, afin d’exploiter la capacité de transport de façon productive. Il s’agit d’une approche courante dans le domaine du transport par chemin de fer, par autobus et par voie aérienne.

[183] En l’espèce, les voyages transfrontaliers effectués par l’employeur se distinguent en raison de leur type par rapport à ceux qui sont organisés à l’avance à des dates fixes sans que l’on sache déjà quels seront les facteurs de charge, car il semble s’agir davantage d’un service découlant de décisions d’affaires ponctuelles que d’un service dont on peut dire à juste titre qu’il découle de l’obtention et de l’exécution déterminées et indéfectibles d’un travail dont la source ou le flux est régulier. Dans la mesure où l’on peut percevoir comme un énoncé de vision de l’entreprise les affirmations selon lesquelles l’entreprise est prête ou disposée à assurer un service de transport dans tout le Canada – affirmations faites par l’employeur sur son site Web –, les faits dont dispose le Conseil ne permettent pas de conclure que ces affirmations décrivent la véritable nature, les activités habituelles et l’exploitation quotidienne de l’entreprise en tant qu’entreprise active. De l’avis du Conseil, les éléments de preuve présentés en l’espèce relativement aux voyages transfrontaliers qui ont réellement eu lieu sont beaucoup plus importants dans l’analyse de l’ensemble de la preuve, et ils se prêtent assurément bien à l’examen fondé sur le critère fonctionnel qui doit être effectué sous le régime des lois applicables.

[184] On peut aussi dire, comme l’a défendu avec vigueur le procureur de la requérante, que l’entreprise de l’employeur dans son ensemble, y compris les voyages extraprovinciaux, offre des services généraux de transport et de camionnage qui se distinguent en raison de leur type par rapport aux services de transport plus spécialisés. Ces derniers peuvent constituer un élément important, parmi d’autres, dans des affaires telles que Superior Propane et Schnitzer Steel, précitées. Dans ces affaires, la nature spécialisée du transport effectué découlait de la nature même de l’entreprise et en constituait une particularité, ce qui est caractéristique de la collecte et de la livraison à des clients de produits ou de matériaux ayant en fait été fabriqués ou acquis par l’employeur lui même. Les activités de camionnage en cause servaient à la livraison des produits de l’employeur à ses clients, ou à leur transport vers les installations et parcs d’entreposage de l’employeur.

[185] Le Conseil a conclu que ces employeurs ne menaient pas vraiment d’activités dans le secteur du transport, parce qu’ils transportaient principalement les matériaux qui étaient au cœur de leurs activités commerciales. Dans Schnitzer Steel, précitée, par exemple, les véhicules de l’employeur étaient utilisés pour ramasser et livrer d’autres matériaux que son propre acier et sa propre ferraille de façon secondaire et exceptionnelle uniquement. L’employeur le faisait, par exemple, s’il y avait de l’espace de chargement inutilisé dans l’un de ses camions.

[186] Cependant, dans l’analyse du Conseil, cette distinction entre le camionnage général et le camionnage spécialisé n’est pas essentielle à la question à trancher. En l’espèce, il ne fait aucun doute que l’employeur exploite une entreprise de transport. Tel qu’il a été mentionné précédemment, la question à laquelle il faut répondre reste celle de savoir si les activités transfrontalières menées par l’entreprise sont de nature suffisamment régulière et continue pour soustraire l’ensemble de l’entreprise à la compétence provinciale en matière de relations du travail et pour l’assujettir à la compétence fédérale. Même si les livraisons spécialisées effectuées par camion décrites dans Superior Propane, précitée, et les activités de camionnage réservées au transport de métal décrites dans Schnitzer Steel, précitée, faisaient partie de la nature des entreprises qui se distinguent de l’entreprise de camionnage général qui est en cause en l’espèce, la régularité et la continuité de ces livraisons spécialisées ont aussi été examinées et commentées dans le contexte de l’approche fonctionnelle utilisée dans les analyses exhaustives du Conseil.

[187] Les activités transfrontalières de l’employeur dont il est question en l’espèce se distinguent en raison de leur dimension et de leur portée, non seulement par rapport à ce qui figure sur le site Web de l’employeur, mais par rapport aux activités commerciales interprovinciales, nationales ou internationales comme celles qui sont décrites dans Superior Propane, précitée. Cette distinction signifie simplement que les activités de camionnage de l’employeur nécessite de traverser moins de frontières.

[188] Il faut toutefois rappeler que l’alinéa 2b) du Code fait référence à une entreprise « reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d’une province ». Sur le plan juridique, les activités de camionnage n’ont pas plus ou moins d’importance du fait qu’elles traversent une seule frontière provinciale ou qu’elles en traversent plusieurs, pour autant que les passages à la frontière soient de nature régulière et continue. Même si le nombre de frontières traversées était un élément pertinent à prendre en considération, il aurait peu d’importance de l’avis du Conseil, qui l’utiliserait uniquement pour faire ressortir la portée régionale ou pancanadienne d’une entreprise, selon le cas.

[189] Les activités transfrontalières de l’employeur se distinguent en raison de leur fréquence, ainsi que de leur ampleur, par rapport aux activités décrites dans chacune des autres affaires mentionnées, y compris les 29 voyages effectués en 15 mois dont il est question dans Gray Line, précitée, les 43 voyages effectués en 5 mois décrits dans Exalta, précitée, les 164 voyages effectués en un an décrits dans Schnitzer Steel, précitée, le total contesté de 68 ou de 144 voyages annuels décrits dans TNT, précitée, les 24 voyages effectués presque chaque mois pendant 2 ans décrits dans Idéal, précitée, et les 9 voyages non planifiés effectués par des autobus nolisés sur une période de 12 mois décrits dans Stock, précitée.

[190] Cependant, que ces comparaisons soient avancées et exprimées en nombres absolus ou en pourcentages pour décrire l’importance de l’activité commerciale, il faut bien garder à l’esprit qu’une justification quantitative qui tendrait à indiquer ou non que les activités de transport interprovinciales sont de nature régulière et continue constitue un fondement trop incertain pour trancher la question constitutionnelle de savoir si ce sont les lois provinciales ou les lois fédérales qui s’appliquent. Le critère fonctionnel utilisé pour analyser les activités de l’employeur consiste en un examen qualitatif de la nature globale de ses activités. Comme il a déjà été mentionné, les mesures connexes, quelle que soit la façon dont elles sont établies et présentées, ne sont que des indicateurs généraux dans le cadre de l’examen et de l’évaluation de tous les éléments de preuve liés à la régularité et à la continuité du volet transfrontalier des activités de transport.

[191] En outre, la fréquence des voyages transfrontaliers dans chaque affaire doit être évaluée à la lumière des différents contextes opérationnels et de tous les faits qui s’y rattachent. Des comparaisons des faits, considérées avec précaution, peuvent se révéler utiles, mais elles ne constituent certainement pas un facteur déterminant. Le Conseil s’est récemment prononcé en ce sens au paragraphe 50 de la décision Stock, précitée :

[50] La jurisprudence et des exemples de situations similaires tranchées par le passé fournissent au Conseil des lignes directrices utiles eu égard à la décision qu’il doit rendre en l’espèce; toutefois, chaque affaire de cette nature, y compris la présente affaire, doit être évaluée en fonction du bien-fondé des faits et des circonstances qui lui sont propres.

VIII. Décision

[192] Le Conseil peut maintenant résumer plus succinctement l’étude et l’analyse de faits et de principes qui précèdent en concluant que l’entreprise de l’employeur n’est pas une entreprise fédérale aux termes de l’alinéa 2b) et de l’article 4 du Code et que, par conséquent, les relations du travail de l’employeur ne sont pas visées par le Code.

[193] Tout d’abord, le Conseil conclut que les activités principales de l’entreprise de l’employeur sont le chargement, le transport par camion, le déchargement et la livraison de conteneurs ou de matériaux pour divers clients, de même que les activités afférentes liées au stockage ou à l’entreposage, à l’entretien de véhicules et à d’autres aspects connexes de l’entreprise, comme la location de remorques.

[194] Il n’y aucune raison de douter de l’estimation de l’employeur voulant que de 80 % à 85 % de ses activités se déroulent à Port Edward, en C.-B., et dans les environs, ou de l’allégation selon laquelle une grande partie de ces activités sont menées pour Quickload, le client principal de l’employeur, lequel fournit aussi des remorques pour de nombreux travaux effectués par l’employeur. Cette description sommaire des principales activités de l’employeur n’a pas été contestée et ne contredit pas les observations de la requérante.

[195] Comme on l’a décrit dans les présents motifs, le Conseil a interprété et appliqué aux activités transfrontalières de l’employeur le critère des activités « régulières et continues », selon ce qu’il comprend de la signification et de l’intention de cette expression dans la jurisprudence. Cependant, pour faciliter la compréhension, afin d’éviter toute incertitude et pour aider à mieux comprendre le résultat d’une étude comme celle ci – qui suppose forcément d’établir un rapport entre les éléments de preuve relatifs aux activités de transport et les notions souples qui découlent nécessairement des termes « régulier » et « continu » –, il pourrait être utile de revoir brièvement la signification de ces deux mots dans la langue courante, séparément et ensemble.

[196] Le mot « régulier » évoque quelque chose qui survient selon des intervalles ou des cycles réguliers, que ce soit toutes les heures, tous les jours, toutes les semaines ou tous les mois, ou même à intervalles plus longs, mais fixes ou assurément prévisibles. Les activités régulières ont un caractère ordonné, voire méthodique; elles respectent un ordre distinct, ou elles comportent un élément habituel, courant ou répété de façon périodique. Ce mot signifie parfois stable ou à temps plein, notamment lorsqu’il est question d’un emploi régulier.

[197] Aucune de ces significations ne vient appuyer la position de la requérante, parce que les voyages transfrontaliers en cause n’étaient pas assez habituels pour qu’on puisse dire qu’ils faisaient couramment partie des travaux et des activités de l’employeur, ou qu’ils faisaient partie de façon générale du fonctionnement quotidien de l’entreprise. Compte tenu des longues distances qu’il faut parcourir seulement pour atteindre les deux frontières provinciales que l’employeur traverse à l’occasion, il ne semble pas déraisonnable de faire remarquer que chaque passage à la frontière doit avoir constitué un événement.

[198] De plus, les passages à la frontière n’avaient pas lieu régulièrement. Comme il a été mentionné ci dessus, des mois se sont écoulés sans qu’aucun voyage transfrontalier ne soit effectué. Le nombre de voyages a ensuite augmenté de façon temporaire, avant de diminuer jusqu’à ce qu’il n’y en ait que très peu par mois, tous au Yukon. Pendant la période de plusieurs mois qui a précédé l’audience du Conseil, aucun voyage transfrontalier n’a été effectué en Alberta. La conclusion semble s’imposer que les passages à la frontière étaient irréguliers, occasionnels, peu fréquents, voire épisodiques, et qu’il est plus juste de dire qu’ils revêtent une importance secondaire compte tenu du contexte opérationnel dans lequel ils se sont déroulés. Ainsi, le Conseil ne croit pas qu’il peut ou qu’il devrait en l’espèce écarter la présomption que l’entreprise relève de la compétence provinciale en matière de relations du travail.

[199] Le terme « continu » évoque souvent quelque chose qui se poursuit sans interruption, qui est incessant (ou de façon plus catégorique « perpétuel », dans certaines situations), constant, suivi ou ininterrompu, et parfois même persistant ou permanent.

[200] Aucune de ces significations ne correspond aux activités extraprovinciales de l’employeur en l’espèce. Il est difficile de s’imaginer que les divers voyages transfrontaliers effectués par l’employeur étaient quelque chose de plus constant que des possibilités d’affaires occasionnelles saisies au fur et à mesure qu’elles se présentaient ou se produisaient. Comme ces voyages se sont répétés pour les mêmes clients, il est possible de supposer ou de conclure que ces voyages étaient en quelque sorte reliés par des relations d’affaires établies ou continues. Or, même dans cette optique généreuse, les faits révèlent que les voyages transfrontaliers ont en réalité eu lieu de façon intermittente seulement. En outre, en ce qui a trait à la poursuite de telles activités extraprovinciales dans l’avenir, les éléments de preuve ne permettaient de conclure à rien d’autre qu’à l’incertitude.

[201] Au cours de la période examinée, le travail extraprovincial en cause a probablement été exécuté de façon plus imprévisible, voire sporadique, que s’il avait été planifié longtemps d’avance et intégré aux activités régulières de l’entreprise – ce qui, au vu des éléments de preuve, n’était pas le cas.

[202] Étant donné que l’employeur a prétendu avoir refusé certaines occasions de travail transfrontalier parce qu’il n’avait pas la capacité nécessaire pour s’en charger, qu’il a de façon générale choisi d’assumer les coûts liés aux permis et aux couvertures d’assurance uniquement lorsque de telles occasions de travail se présentaient, et qu’il lui est arrivé à quelques reprises de recourir à la sous traitance pour l’exécution de ce travail, on pourrait peut-être également dire que l’approche adoptée par l’employeur pour gérer ce travail était plus opportuniste que stable ou constante.

[203] Selon la règle découlant de la jurisprudence, l’entreprise de transport, dans une affaire comme celle en l’espèce, ne peut être une entreprise fédérale que si la nature de ses activités extraprovinciales est à la fois régulière et continue. Selon les faits qui ont été présentés au Conseil, elle n’est ni l’une ni l’autre.

[204] Par ailleurs, en tenant compte de l’ensemble de la preuve et sans vouloir d’aucune façon commenter la réussite apparente de l’entreprise de l’employeur, le Conseil estime qu’il convient de préciser que l’employeur n’a, à ce moment-ci, ni la structure permanente ni l’équipement nécessaires pour assurer une zone de services de transport transfrontalier de façon régulière et continue. De fait, le procureur de l’employeur l’a reconnu et a fait valoir ce point pour appuyer sa position.

[205] Cela ne veut pas dire, bien entendu, que l’employeur n’est pas en mesure d’accroître sa capacité et d’effectuer un plus grand nombre de voyages transfrontaliers. Si cela se produisait et qu’il commençait à effectuer ce genre de voyages de façon soutenue, de sorte qu’il serait possible d’établir que ses activités extraprovinciales constituent un volet régulier et continu des activités de l’entreprise, la question que nous tranchons maintenant serait peut être soulevée à nouveau dans un contexte différent.

[206] Le Conseil est particulièrement conscient de la mise en garde exprimée dans les argumentations selon laquelle il doit se fonder sur une vue d’ensemble à long terme, plutôt que sur un « cliché instantané » figé dans le temps, lorsqu’il doit déterminer si les aspects transfrontaliers des activités de l’employeur sont réguliers et continus. Il a été avancé que le Conseil ne devrait pas accepter d’appliquer le critère des activités régulières et continues d’une manière qui ne tienne pas entièrement compte de l’étendue du travail en cause pendant toute la période examinée, surtout si les faits démontrent, comme en l’espèce, que l’employeur peut à l’occasion accroître sa capacité d’entreprendre ce genre de travail. Si le Conseil agissait de la sorte, a t on fait valoir, des changements fortuits ou autres au sein de la clientèle et des fluctuations de la demande à l’égard des services de transport risqueraient d’influer de façon indue sur la décision relative à la compétence constitutionnelle applicable en matière de relations du travail.

[207] Le Conseil a dûment pris en compte cette préoccupation, et il est persuadé de n’avoir négligé aucune partie des éléments de preuve présentés pour toute la période examinée. Nous sommes aussi d’avis que la décision que nous avons rendue favorisera des relations du travail saines et stables à long terme.

[208] Le Conseil conclut que la nature, les activités habituelles et l’exploitation quotidienne de l’employeur sont celles d’une entreprise de camionnage général locale qui transporte, de façon occasionnelle et intermittente seulement, des marchandises ou des matériaux de l’autre côté de la frontière provinciale de la C.-B. À la date de l’audience du Conseil, les camions de l’employeur n’avaient pas traversé la frontière de l’Alberta depuis plusieurs mois, on ne savait pas si le travail qui avait récemment amené l’employeur à effectuer quelques voyages au Yukon se poursuivrait, ou quel en serait le volume, et aucun élément de preuve ne démontrait que Kristoff Trucking avait déjà traversé la frontière de la C.-B. pour se rendre aux États-Unis, ou qu’elle avait jamais eu l’intention de le faire.

[209] Selon les éléments de preuve, les activités extraprovinciales de l’employeur ne sont pas de nature durable, et rien ou presque rien ne garantit leur stabilité ou leur constance au sein des activités commerciales de l’entreprise. Le Conseil est d’avis que, même lorsque des voyages transfrontaliers ont été effectués plusieurs fois durant le même mois, ces voyages étaient très secondaires par rapport aux principales activités de camionnage menées quotidiennement à l’échelle locale à l’intérieur de la C.-B.

[210] En conséquence, le Conseil conclut que les activités menées par l’employeur ne constituent pas une entreprise fédérale. Elles ne requièrent pas et n’entraînent pas l’application du contrôle du Parlement à l’égard des questions touchant le transport interprovincial.

[211] Plus précisément, le Conseil conclut qu’il convient de qualifier l’entreprise d’entreprise de camionnage ou de transport locale, dont les activités transfrontalières ne sont ni régulières ni continues au sens de la jurisprudence applicable.

[212] Les activités extraprovinciales de l’employeur ne constituent pas un volet central de son entreprise. Comme il est décrit ci dessus, elles ne répondent pas au critère qualitatif selon lequel elles doivent être de nature régulière et continue pour que l’entreprise dans son ensemble soit classée comme une entreprise fédérale. Elles ne revêtent pas le degré d’importance requis pour écarter la présomption que les relations du travail d’une entreprise locale de ce genre relèvent de la compétence provinciale, en tant qu’affaire ressortissant à la propriété et aux droits civils dans la province, aux termes du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[213] En résumé, les activités normales ou habituelles de l’entreprise considérée comme une entreprise active, sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels, sont celles d’une entreprise de camionnage locale. Un examen minutieux des activités de transport extraprovincial exceptionnelles et occasionnelles menées par l’employeur n’a pas convaincu le Conseil que celles ci sont de nature suffisamment régulière et continue pour assujettir l’ensemble de l’entreprise à la compétence fédérale plutôt qu’à la compétence provinciale.

[214] L’examen du Conseil, fondé sur l’application du critère fonctionnel, permet de trancher l’affaire : les dispositions du Code ne s’appliquent pas aux relations du travail de l’employeur en l’espèce.

[215] Étant donné qu’aucun chef de compétence fédérale prévu par la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique, le Conseil n’est pas tenu de se prononcer, et il ne se prononcera pas, sur la question de savoir si la réglementation par la province des relations du travail de l’employeur risque de porter atteinte au contenu essentiel d’un tel pouvoir fédéral.

IX. Conclusion

[216] Selon les résultats de l’examen mené en l’espèce relativement à la question préliminaire de la compétence, les relations du travail de Kristoff Trucking sont considérées comme ultra vires, c’est-à-dire qu’elles ne relèvent pas de la compétence constitutionnelle du Conseil, parce que l’employeur n’est pas une entreprise fédérale.

[217] Par conséquent, aucun recours ni redressement ne peut être accordé aux parties par le Conseil, lequel ne peut examiner plus avant ni la demande d’accréditation du syndicat ni sa plainte de pratique déloyale de travail, puisqu’il n’a pas compétence pour le faire.

[218] Pour ce motif, la demande et la plainte sont rejetées.

[219] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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