Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada,

requérante,

et

Great Canadian Railtour Company ltée; Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique,

employeurs.

Dossier du Conseil : 30093-C

Référence neutre : 2013 CCRI 703

Le 5 décembre 2013

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. John Bowman et Me Robert Monette, Membres.

Procureurs inscrits au dossier
Me Ken Stuebing, pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada;
Me Geoffrey J. Litherland, pour la Great Canadian Railtour Company ltée;
Me Ron Hampel, pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Robert Monette, Membre.

I. Nature de la demande

[1] Il s’agit d’une demande présentée le 13 août 2013 par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (la CFTC ou la requérante), en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle il y a eu vente d’entreprise en vertu des articles 44 et 45 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code), de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (le CP) à la Great Canadian Railtour Company ltée (la GCRC), en ce qui a trait à l’affectation de personnel de bord et aux opérations sur la voie ferrée du train touristique « Rocky Mountaineer » (le train RM) sur le tronçon reliant Kamloops, en Colombie-Britannique, et Calgary, en Alberta.

[2] Subsidiairement, la requérante demande au Conseil de déclarer, en vertu de l’article 35 du Code, que le CP et la GCRC constituent un employeur unique.

II. Contexte et faits

[3] La requérante est un syndicat qui représente de nombreux employés du secteur ferroviaire dans l’ensemble du pays, notamment le personnel itinérant du CP, y compris les mécaniciens de locomotive, les chefs de train, les agents de train et les agents de triage.

[4] La GCRC exploite, sous la raison sociale « Rocky Mountaineer », un service de train touristique saisonnier qui relie la Colombie-Britannique à l’Alberta en voyageant par les montagnes Rocheuses canadiennes. Le train se déplace selon quatre trajets vers l’est et vers l’ouest : entre Vancouver et Calgary via Kamloops; entre Vancouver et Jasper via Kamloops; entre North Vancouver et Whistler; et entre Whistler et Jasper. Un trajet a également été ajouté récemment pour un service de train de passagers aller-retour entre Vancouver et Seattle.

[5] La GCRC est propriétaire de la flotte de locomotives et de voitures ferroviaires et exploite le train RM depuis 1990, année où elle a remplacé VIA Rail Canada inc. (VIA), qui avait jusque-là assuré ce service.

[6] La GCRC n’est propriétaire d’aucune des voies ferrées sur lesquelles est exploité le train RM. Elle passe des contrats avec la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) et avec le CP pour pouvoir utiliser leurs voies ferrées. En fait, la seule voie ferrée du CP empruntée par le train RM est celle qui relie Kamloops et Calgary; toutes les autres voies ferrées sur lesquelles voyage le train RM appartiennent au CN. La GCRC passe des contrats avec différents fournisseurs pour ce qui est des services de restauration.

[7] La GCRC est une entreprise du secteur privé dont le siège social est situé à Vancouver; elle compte environ 275 employés, y compris quelque 125 préposés au service à bord, lesquels sont représentés par un syndicat : la section locale 31 des Teamsters.

[8] De 1990 à 2007, la GCRC a passé des contrats avec le CP et le CN pour que ceux ci fournissent le personnel itinérant requis pour exploiter le train RM. En 2007, elle a résilié le contrat au titre duquel le CN affectait le personnel de bord pour un certain nombre de ses trajets au Canada, et elle a passé un contrat avec CRC Rail Management Services ltée (CRC) pour que celle-ci lui fournisse le personnel de bord nécessaire à l’exploitation du train RM sur les trajets en question, y compris le tronçon reliant Vancouver et Kamloops.

[9] Le 1er octobre 2012, la GCRC a avisé le CP qu’elle cesserait de recourir à ses services d’affectation de personnel de bord, et elle a passé un contrat avec CRC afin que celle-ci lui fournisse des services d’affectation de personnel de bord pour le trajet entre Kamloops et Calgary. La GCRC a cessé de faire appel aux services d’affectation de personnel de bord offerts par le CP au commencement de la nouvelle saison, le 1er avril 2013.

[10] Le CP est une compagnie de transport ferroviaire cotée en bourse qui possède et entretient les voies ferrées empruntées par le train RM entre Kamloops et Calgary. Le CP et le CN s’accordent régulièrement l’un à l’autre des droits de circulation sur leurs voies ferrées situées dans l’ensemble du pays, et ils accordent de tels droits à d’autres compagnies ferroviaires, par exemple à VIA. Le CP assure le contrôle absolu de la circulation sur ses propres voies ferrées, et il coordonne les droits de circulation sur celles-ci en fonction de ses propres horaires et besoins opérationnels.

[11] En ce qui a trait à la GCRC, le CP accorde à cette compagnie des droits de circulation depuis 1990. Le CP exige d’approuver à l’avance les horaires et la fréquence des trains faisant usage des droits de circulation; ainsi, la GCRC doit soumettre au CP un calendrier de ses activités prévues au moins 18 mois à l’avance, aux fins d’approbation.

[12] De 1990 au printemps 2013, le CP a fourni à la GCRC son personnel itinérant pour exploiter le train RM sur le tronçon de trajet reliant Kamloops et Calgary. L’affectation d’employés du personnel itinérant du CP au train RM de la GCRC est devenue routinière au fil des ans, de telle sorte que, depuis 1999, sa convention collective conclue avec la CFTC contient des dispositions relatives à l’affectation d’un mécanicien et d’un chef de train à chaque voyage du train RM.

[13] Depuis que les services d’affectation de personnel ont été pris en charge par CRC, le 1er avril 2013, le personnel itinérant du CP est demeuré au service du CP, et le personnel itinérant recruté par CRC pour le tronçon reliant Kamloops et Calgary est, dans une large proportion, constitué d’anciens employés du CP qui connaissent bien ce trajet. À l’heure actuelle, le personnel itinérant de CRC n’est pas syndiqué.

III. Position des parties

A. La CFTC

[14] La CFTC soutient que le trajet du train RM entre Vancouver et Calgary est le trajet original et le plus important du train RM, alors que les autres trajets ont été ajoutés progressivement au fil des ans.

[15] La CFTC affirme que l’exploitation de ce trajet est une « entreprise », et que le tronçon reliant Kamloops et Calgary en est une composante dissociable, qui a été transférée du CP à la GCRC, ce qui a donné lieu à une vente d’entreprise au sens du paragraphe 44(1) du Code.

[16] Subsidiairement, la CFTC soutient que l’importance du contrôle et de la direction que le CP exerce à l’égard de ses voies ferrées et des trajets prévus du train RM, de même que le droit du CP d’interdire à certains employés du personnel itinérant de travailler sur ses voies ferrées et le fait que la GCRC doive obligatoirement exercer ses activités sur les voies ferrées du CP, font en sorte que le CP et la GCRC constituent un employeur unique au sens de l’article 35 du Code, et qu’une déclaration devrait être formulée en ce sens.

[17] La CFTC affirme que l’exigence selon laquelle la GCRC doit soumettre au CP l’horaire des trajets de ses trains aux fins d’approbation au moins 18 mois à l’avance, ainsi que le contrôle absolu que le CP exerce sur la circulation sur ses voies ferrées, prouvent que les deux employeurs sont associés ou connexes et qu’ils assurent en commun le contrôle et la direction de l’entreprise, de telle sorte qu’on devrait conclure qu’il s’agit d’un employeur unique et formuler une déclaration en ce sens. La CFTC souligne que le CP décide quand et à quelle fréquence la GCRC peut faire circuler le train RM et par quels employés du personnel itinérant ce train doit être exploité, ce qui démontre l’importance de la coordination et de l’intégration du contrôle que le CP assure relativement aux activités du train RM.

[18] Dans sa demande, la requérante n’indique pas que CRC est une partie ni qu’elle est une entité qui a un rôle à jouer dans les événements en cause. C’est seulement dans ses observations présentées à titre de réplique que la CFTC reconnaît l’existence de CRC et du rôle qu’elle joue en fournissant du personnel de bord à la GCRC depuis 2007. La CFTC allègue que CRC a été constituée en société en 2007 dans le seul but de s’occuper des activités du train RM de la GCRC, et qu’elle n’est rien d’autre qu’un entrepreneur dépendant de la GCRC.

[19] La CFTC demande que les conventions collectives actuelles du CP et de la CFTC applicables au personnel itinérant deviennent applicables aux employés du personnel itinérant qui travaillent sur le tronçon qui relie Kamloops et Calgary, et que la GCRC soit liée conjointement avec le CP par ces conventions collectives.

[20] La CFTC fait valoir qu’il serait utile d’examiner les contrats conclus entre le CP et la GCRC afin d’obtenir des éclaircissements sur leur relation. La CFTC n’a toutefois pas demandé au Conseil de rendre une ordonnance de communication qui serait nécessaire à cette fin aux termes de l’article 21 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.

B. Le CP

[21] Le CP soutient que des employés de son personnel itinérant exploitent le train RM sur le tronçon qui relie Kamloops et Calgary depuis que la GCRC a obtenu du gouvernement fédéral, en 1990, les droits relatifs à l’exploitation d’un train touristique jusque là exploité par VIA. Jusqu’à 2012, le CP était l’une des organisations fournissant du personnel de bord à la GCRC. Le CP affirme que le CN a fourni du personnel de bord pour le trajet entre Vancouver et Kamloops, ainsi que pour d’autres trajets, jusqu’à 2007, année où la GCRC a cessé de faire appel au CN pour obtenir du personnel de bord et a commencé à faire affaire avec CRC à cette fin.

[22] Le CP soutient qu’il n’a rien « vendu » (traduction) à la GCRC lorsque cette dernière lui a signifié, en 2012, qu’elle cesserait d’avoir recours à ses services d’affectation de personnel de bord à compter de la nouvelle saison, en 2013, et qu’il n’y a eu aucun transfert de biens, d’équipement ou d’employé à la GCRC. Le CP déclare qu’il a simplement été embauché par la GCRC pour affecter du personnel de bord sur le tronçon reliant Kamloops et Calgary et que, à compter du 1er avril 2013, il a cessé de fournir du personnel de bord, étant donné que la GCRC avait pris d’autres dispositions pour en obtenir; il n’a rien vendu.

[23] À l’argument subsidiaire d’« employeur unique », avancé par la requérante, le CP répond que son entreprise et celle de la GCRC ne sont ni associées ni connexes. Ce sont des compagnies distinctes, qui ne sont pas assujetties à une direction commune.

[24] Le CP accorde à la GCRC des droits de circulation sur ses voies ferrées depuis 1990, et il accorde aussi fréquemment des droits de circulation à d’autres compagnies ferroviaires, comme le CN et VIA. Selon le CP, les droits de circulation constituent, dans le domaine ferroviaire, une pratique courante qui ne mène pas – et qui ne saurait mener – à la conclusion qu’il y a un employeur unique. Le CP déclare qu’il ne contrôle pas les affaires de la GCRC (et vice versa); il contrôle simplement l’utilisation de ses propres voies ferrées et la circulation sur celles-ci.

[25] S’appuyant sur Kindersley Transport ltée et Quill Transport ltée, 2008 CCRI 409, le CP ajoute que, de toute façon, une déclaration d’employeur unique ne ferait avancer aucun objectif valable lié aux relations du travail, et que la demande doit par conséquent être rejetée dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire de tenir une audience.

C. La GCRC

[26] La GCRC déclare que, de 1990 à 2007, elle a passé des contrats avec le CP et le CN pour obtenir des services d’affectation de personnel de bord. En avril 2007, elle a décidé de passer un contrat avec CRC pour que celle-ci fournisse les mécaniciens et chefs de train affectés à certains trajets, alors que le CN avait auparavant fourni le personnel itinérant pour ces trajets. La GCRC souligne qu’il n’y a eu aucune déclaration relative à une vente, au statut de successeur ou à un employeur unique après que ces mesures ont été prises.

[27] La GCRC déclare qu’actuellement, le CN ne fournit des services d’affectation de personnel de bord que pour les trajets entre North Vancouver et Whistler et entre Whistler et Jasper, alors que CRC est responsable de l’affectation de personnel de bord pour tous les autres trajets.

[28] La GCRC déclare qu’elle a passé un contrat avec CRC en avril 2013 afin de recruter et d’engager du personnel itinérant pour le tronçon qui fait l’objet du litige, d’assurer une supervision et de prendre des dispositions concernant la participation aux formations, et d’assurer l’exploitation des trains.

[29] La GCRC soutient qu’il n’y a eu aucun transfert de capitaux, de biens, d’équipement, de permis ou d’employés du CP à elle même ou à CRC au moment où il a été mis fin aux services d’affectation de personnel de bord jusque là fournis par le CP.

[30] Selon la GCRC, la cessation des services d’affectation de personnel de bord par le CP, et la prestation de ces services par CRC à compter du 1er avril 2013, correspondent tout simplement au remplacement d’un fournisseur lié par contrat par un autre. Or, le Conseil et son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), ont systématiquement conclu que de telles situations ne correspondent pas à une vente d’entreprise. À l’appui de sa position, la GCRC invoque des décisions comme Terminus Maritime Inc. (1983), 50 di 178; et 83 CLLC 16,029 (CCRT no 402); Metropolitan Parking Inc., [1979] OLRB Rep. Dec. 1193; et Saskatoon Airport Authority, 2005 CCRI 340.

[31] La GCRC fait valoir qu’un tronçon de trajet ferroviaire comme celui qui fait l’objet du présent litige ne doit pas constituer et ne constitue pas une entreprise, que son entreprise n’est assujettie à aucun contrôle ou direction qui serait assurée conjointement par le CP, et que le CP et elle-même ne sont pas des sociétés ou des entreprises associées ou connexes, au sens de l’article 35 du Code.

[32] Selon la GCRC, il faut rejeter l’affirmation de la requérante selon laquelle il y a employeur unique dès lors qu’une compagnie ferroviaire utilise des voies ferrées qui appartiennent à une autre compagnie ferroviaire. La GCRC soutient qu’elle achète simplement le droit d’utiliser les voies ferrées du CP sur le trajet qui fait l’objet du litige, et que la GCRC et le CP n’ont en commun aucun programme ni aucune ressource et ne prennent aucune décision conjointement.

[33] La GCRC soutient que le CP et elle-même ne sont aucunement intégrés. Le CP n’exerce aucun contrôle et n’a nulle voix au chapitre en ce qui concerne les stratégies et les objectifs d’affaires de la GCRC, ni les relations du travail, les politiques, les plans ou les stratégies de celle ci. La GCRC invoque plusieurs décisions, comme Presse Canadienne et autres (1976), 13 di 39; [1976] 1 Can LRBR 354; et 76 CLLC 16,013 (CCRT no 60), et Saskatoon Airport Authority, précitée, à l’appui de son point de vue selon lequel la requérante n’a pas démontré, en l’espèce, que le critère justifiant une déclaration d’employeur unique a été rempli.

[34] La GCRC ajoute que les employés du CP qui travaillaient auparavant à bord du train RM sont demeurés au service du CP et sont toujours régis par leurs conventions collectives respectives, de telle sorte qu’il n’y a, de toute façon, aucun objectif valable en matière de relations du travail qui justifierait une déclaration d’employeur unique.

[35] La GCRC fait en outre valoir que, en ce qui concerne l’absence d’un objectif valable en matière de relations du travail qui justifierait la déclaration demandée, le Conseil devrait également tenir compte de ce qu’elle considère comme un délai injustifié – soit le temps écoulé avant que la requérante ne présente la demande en cause, après qu’on lui eut signifié, en octobre 2012, qu’il était mis fin aux services d’affectation de personnel de bord fournis par le CP. Selon la GCRC, la demande devrait être rejetée dans son intégralité.

IV. Analyse et décision

[36] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente affaire sans tenir d’audience. En fait, il convient de féliciter tous les procureurs pour avoir présenté des observations de qualité et utiles.

[37] Depuis la décision Terminus Maritime Inc., précitée, rendue en 1983 au terme d’une séance plénière, le Conseil et son prédécesseur, le CCRT, ont toujours conclu que l’annulation d’un contrat avec un fournisseur et la passation d’un autre contrat avec un fournisseur qui remplacera le premier ne constituent normalement pas une vente d’entreprise et ne donnent pas lieu aux conséquences qui s’appliquent à une situation de succession, aux termes de l’article 44 du Code :

44. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 45 à 47.1.

« entreprise » Entreprise fédérale, y compris toute partie de celle-ci.

« entreprise provinciale » Installations, ouvrages, entreprises – ou parties d’installations, d’ouvrages ou d’entreprises – dont les relations de travail sont régies par les lois d’une province.

« vente » S’entend notamment, relativement à une entreprise, du transfert et de toute autre forme de disposition de celle-ci, la location étant, pour l’application de la présente définition, assimilée à une vente.

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent dans les cas où l’employeur vend son entreprise :

a) l’agent négociateur des employés travaillant dans l’entreprise reste le même;

b) le syndicat qui, avant la date de la vente, avait présenté une demande d’accréditation pour des employés travaillant dans l’entreprise peut, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être accrédité par le Conseil à titre d’agent négociateur de ceux-ci;

c) toute convention collective applicable, à la date de la vente, aux employés travaillant dans l’entreprise lie l’acquéreur;

d) l’acquéreur devient partie à toute procédure engagée dans le cadre de la présente partie et en cours à la date de la vente, et touchant les employés travaillant dans l’entreprise ou leur agent négociateur.

[38] Dans GlobeGround North America inc., faisant affaire sous la raison sociale Servisair/GlobeGround, 2007 CCRI 391 (GlobeGround), le Conseil a résumé le droit applicable en ces termes, au paragraphe 52 :

[52] De manière générale, les dispositions du Code relatives à la succession n’ont pas été appliquées pour maintenir les droits de négociation et les obligations lorsqu’un contrat de services a été attribué à une autre entité juridique par l’intermédiaire d’une tierce partie. Le prédécesseur du Conseil, le CCRT, a à de nombreuses reprises déclaré qu’il n’avait jamais été dans l’intention du législateur d’appliquer les droits du successeur aux véritables cas de sous-traitance, à la perte d’une entreprise ou d’un contrat au profit d’un concurrent ou à la dissolution d’une entreprise (voir Freight Emergency Service Ltd. (1984), 55 di 172; et 84 CLLC 16,031 (CCRT no 460); et CAFAS Inc. (1984), 56 di 54; 7 CLRBR (NS) 1; et 84 CLLC 16,034 (CCRT no 463)). La protection doit s’appliquer dans les cas véritables de transfert ou de vente d’une « entreprise » à titre d’entité entière plutôt que de tâches distinctes…

[39] Le Conseil a également affirmé, au paragraphe 55 de GlobeGround, précitée, que le simple fait que le nouveau fournisseur continue le travail du fournisseur précédent ne suffit pas pour établir la continuité de l’entreprise et pour donner lieu à une conclusion selon laquelle il y aurait eu vente, aux termes de l’article 44 du Code. Le Conseil a poursuivi en rappelant, tout en l’approuvant, le concept décrit par la Commission des relations de travail de l’Ontario dans Metropolitan Parking Inc., précitée, relativement à une demande de détermination des droits du successeur dans le contexte d’une sous traitance :

44. Pour qu’une transaction soit considérée comme une « vente d’entreprise », il doit y avoir bien davantage que l’exécution d’une fonction analogue par une autre entité commerciale. Il doit y avoir transfert par le prédécesseur des éléments essentiels de l’entreprise en bloc ou à titre d’« entreprise active ». Une entreprise n’est pas synonyme de sa clientèle ou du travail accompli ou de ses employés…

(traduction)

[40] Ajouté au Code en 1998, l’article 47.3, qui régit les contrats successifs de fourniture de services dans le secteur des services de sécurité à l’embarquement, confirme la jurisprudence susmentionnée en excluant expressément l’application des concepts de vente d’entreprise et de succession dans les cas où un entrepreneur offrant des services de sécurité à l’embarquement en remplace un autre.

[41] En l’espèce, la requérante a la lourde tâche de renverser cette tendance très forte et de démontrer qu’une caractéristique essentielle et distinctive du CP, à titre d’entreprise active, a été transférée à la GCRC ou au nouveau fournisseur chargé d’affecter le personnel de bord. Selon le point de vue du Conseil, il n’y a ni faits ni facteurs convaincants qui distingueraient la présente affaire du contexte de sous-traitance examiné dans la jurisprudence susmentionnée, étant donné que :

  1. le CP a perdu un contrat d’affectation de personnel de bord, mais continue d’exercer ses activités de transport ferroviaire comme il le faisait avant;
  2. la GCRC continue d’exploiter le train RM avec du personnel de bord affecté par des fournisseurs externes – bien qu’il y ait un fournisseur de moins – et elle se prévaut des mêmes droits de circulation qu’avant;
  3. CRC continue de fournir à la GCRC des services d’affectation de personnel de bord pour l’exploitation du train RM, bien qu’elle soit responsable d’un tronçon de trajet de plus depuis l’annulation du contrat avec le CP.

[42] À la lumière de ces éléments de preuve, le Conseil est d’avis que le CP a simplement cessé d’affecter du personnel itinérant à la GCRC, sans avoir transféré de capitaux, de biens ou d’employés à cette dernière. Les droits de circulation dont se prévaut la GCRC correspondent aux droits que lui accorde le CP depuis 1990. Le train RM est une entreprise qui appartient clairement à la GCRC, et il continue d’être exploité et géré par la GCRC.

[43] D’après le Conseil, l’affectation de personnel itinérant au train RM et les activités sur la voie ferrée sur le tronçon du trajet ferroviaire reliant Kamloops et Calgary ne constituent pas à elles seules une entreprise. Les composantes les plus essentielles d’une entreprise, à titre d’entreprise active, ne sont pas présentes en l’espèce, par exemple la stratégie et les objectifs d’affaires, la structure financière et la gestion des coûts et des revenus, la mise au point de nouveaux produits et la stratégie de marque, les orientations et la stratégie en matière de ventes et de mise en marché, et les objectifs et la stratégie en matière de personnel et de relations du travail, sans parler de la gestion des biens et de l’équipement ainsi que de la stratégie et des orientations organisationnelles, financières et juridiques – qui, avant et après que la GCRC eut résilié son contrat d’affectation de personnel de bord avec le CP et eut décidé de faire affaire avec un fournisseur différent, ont continué de relever entièrement de la GCRC, et qui en relèvent toujours.

[44] La composante que représentent les passagers est indissociable de l’exploitation d’un train touristique comme le train RM, et cette composante implique une stratégie d’établissement des prix, des services à offrir aux passagers ainsi qu’un effectif de préposés au service à bord qui assureront ces services. Le CP ne participe aucunement à ces affaires, qui sont entièrement gérées par la GCRC. La composante de l’exploitation du train liée au personnel itinérant ne constitue donc pas une entreprise en soi, et elle est indissociable de la composante du train touristique que constituent les services aux passagers.

[45] Le Conseil conclut par conséquent que la demande voulant que soit formulée une déclaration de vente d’entreprise, dont découlerait le statut de successeur, n’est pas fondée et est donc rejetée.

[46] Examinons maintenant la position subsidiaire défendue par la requérante, selon laquelle le CP et la GCRC constitueraient un employeur unique. L’article 35 du Code se lit comme suit :

35. (1) Sur demande d’un syndicat ou d’un employeur concernés, le Conseil peut, par ordonnance, déclarer que, pour l’application de la présente partie, les entreprises fédérales associées ou connexes qui, selon lui, sont exploitées par plusieurs employeurs en assurant en commun le contrôle ou la direction constituent une entreprise unique et que ces employeurs constituent eux-mêmes un employeur unique. Il est tenu, avant de rendre l’ordonnance, de donner aux employeurs et aux syndicats concernés la possibilité de présenter des arguments.

(2) Lorsqu’il rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1), le Conseil peut décider si les employés en cause constituent une ou plusieurs unités habiles à négocier collectivement.

[47] Toutes les parties reconnaissent que la GCRC et le CP sont tous deux des entreprises fédérales et des employeurs. La question qu’il faut ensuite trancher consiste à savoir s’ils sont « associés ou connexes » et si les entreprises sont assujetties à une direction ou à un contrôle assuré en commun.

[48] La CFTC soutient que le contrôle exclusif que le CP exerce sur la circulation sur ses voies ferrées, de même que son droit, reconnu par contrat, d’approuver ou de refuser l’horaire proposé pour les activités du train RM, démontrent fortement que la GCRC et le CP sont des entreprises associées ou connexes et qu’elles sont assujetties à une direction ou à un contrôle assuré en commun. Selon la CFTC, les droits de circulation accordés à la GCRC par le CP sont essentiels à l’existence même du train touristique, du moins sur le tronçon reliant Kamloops et Calgary. Le fait que le CP puisse refuser, pour des raisons de sécurité, que certains membres du personnel itinérant travaillent sur ses voies ferrées démontre également, selon la CFTC, que l’effectif requis pour exploiter le train RM sur ce tronçon est assujetti à une direction et à un contrôle exercés en commun.

[49] Le Conseil n’accorde toutefois pas la même valeur à ces faits, en ce qui concerne l’application de l’article 35 du Code. La preuve démontre que les deux compagnies sont des entités juridiques distinctes, qu’elles ne sont conjointement propriétaires d’aucun bien, d’aucun équipement et d’aucun permis, et qu’elles n’ont en commun aucun directeur ou gestionnaire, ni aucune politique et aucun programme. La seule relation qui existe entre les deux entreprises découle de leurs arrangements relatifs aux droits de circulation, lesquels sont toujours en vigueur, ainsi que de l’arrangement récemment annulé au titre duquel le CP fournissait à la GCRC des services d’affectation de personnel itinérant pour le tronçon de trajet qui fait l’objet du présent litige, à savoir celui qui relie Kamloops et Calgary et qui n’est qu’un des nombreux trajets du train RM, bien qu’il s’agisse en effet d’un trajet important du point de vue de l’attrait touristique.

[50] D’après les éléments de preuve, la GCRC détermine seule de quelle manière il serait souhaitable que ses activités soient menées – ce qui comprend, par exemple, le nombre de trains et l’équipement à utiliser, la nature des activités de mise en marché et de vente qui seront réalisées pour faire la promotion de son service de train touristique, le choix d’un fournisseur de services de restauration, la détermination des services qui seront offerts aux passagers, les décisions entourant la composition et l’affectation de l’effectif des préposés au service à bord, de même que les négociations concernant les conditions de travail de ces derniers. Le CP ne joue aucun rôle dans la direction de ces affaires, qui sont toutes des composantes essentielles d’une entreprise de train touristique. Quand le CP examine l’horaire prévu des activités de la GCRC sur ses voies ferrées, il approuve ou refuse l’horaire proposé sans égard aux avantages que la GCRC pourrait en tirer, mais simplement dans le but de coordonner de façon sécuritaire l’utilisation prévue de ses voies ferrées, compte tenu de ses propres activités de transport et de l’utilisation des voies ferrées par d’autres compagnies ferroviaires comme VIA. De l’avis du Conseil, cela ne correspond pas à une direction ou à un contrôle assuré en commun, au sens de l’article 35 du Code, et cela ne correspond pas au type d’intégration qui est nécessaire pour que des entreprises soient « associées ou connexes ».

[51] Le droit que se réserve le CP d’accorder des droits de circulation à la GCRC depuis 1990 n’a manifestement jamais été perçu, jusqu’à aujourd’hui, comme l’attestation d’une situation d’employeur unique, puisqu’aucune demande en ce sens n’a été présentée avant celle qui est actuellement en cause, bien que la situation ait perduré pendant toutes les années qui se sont écoulées entretemps. Le contrôle de la circulation exercé par le CP sur ses voies ferrées est une exigence quotidienne visant à assurer la circulation sécuritaire de n’importe quel train sur ces voies, et il ne vise ni à nuire ni à profiter à l’entreprise de train touristique de la GCRC.

[52] De la même manière, le droit que le CP se réserve de refuser que certains membres du personnel itinérant soient responsables de faire fonctionner certaines machines sur ses voies ferrées est exclusivement exercé pour des raisons de sécurité, et il ne donne pas lieu, selon le Conseil, à une situation de gestion de l’effectif assurée en commun par le CP et la GCRC.

[53] Tout comme dans Saskatoon Airport Authority, précitée, le Conseil conclut qu’il n’y a aucun propriétaire, dirigeant, politique ou programme communs, et qu’il n’y a aucune intégration des structures organisationnelles, des services, des finances ou des orientations et décisions en matière de relations du travail. Ainsi, la preuve ne permet pas de conclure, en l’espèce, que la GCRC et le CP sont des entreprises associées ou connexes, ou qu’elles sont assujetties à une direction ou à un contrôle exercé en commun, au sens, dans un cas comme dans l’autre, de l’article 35 du Code.

[54] Qui plus est, même s’il avait été démontré que les conditions énoncées à l’article 35 étaient respectées – et le Conseil conclut que ce n’est pas le cas –, il resterait une condition supplémentaire à laquelle il devrait être satisfait pour que soit formulée une déclaration d’employeur unique. Il faudrait en effet convaincre le Conseil qu’il existe un motif valable en matière de relations du travail justifiant qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire et qu’il formule une telle déclaration.

[55] Le Conseil n’est pas convaincu qu’il existe, en l’espèce, un motif valable en matière de relations du travail qui justifierait une telle déclaration, étant donné que le personnel de bord du CP affecté jusqu’à tout récemment au train RM est demeuré au service du CP et est toujours régi par ses conventions collectives en vigueur, et que le CP pourrait éventuellement passer d’autres contrats d’affectation de personnel de bord avec des tierces parties, comme la GCRC, pour des déplacements sur ses voies ferrées. Le Conseil conclut que les droits de négociation actuels ne sont pas minés par le recours à une structure organisationnelle ou commerciale qui, dans un autre contexte, pourrait justifier une déclaration en vertu de l’article 35, conformément aux observations formulées dans la récente décision Société canadienne des postes et RMS Pope incorporée, 2013 CCRI 672.

[56] Il faut par ailleurs mentionner la conséquence hautement discutable qu’aurait une telle déclaration sur le CP et sur la GCRC, car le fait qu’ils deviennent un employeur unique pour le personnel itinérant seulement, et pour les seuls membres de ce personnel qui travailleraient sur le tronçon reliant Kamloops et Calgary – ce qui ne représente qu’une fraction des activités et du personnel du train RM –, ferait en sorte que la composante liée aux services aux passagers serait artificiellement dissociée, lors des déplacements sur ce tronçon, de l’entreprise de train touristique dont elle constitue un élément essentiel. Cela risquerait fort de donner lieu à des frictions superflues entre le CP et la GCRC, puisqu’ils ne partagent aucun intérêt commun dans l’exploitation du train RM, ainsi qu’à des problèmes indus avec les employés touchés, qui seraient partiellement assujettis aux conventions collectives du CP, dans l’éventualité où ils travailleraient comme membres du personnel itinérant sur le tronçon reliant Kamloops et Calgary, et pendant les déplacements sur ce tronçon seulement. La requérante n’a pas convaincu le Conseil qu’il devrait, dans ces circonstances, exercer son pouvoir discrétionnaire afin de formuler la déclaration demandée, et il n’en serait pas autrement même si elle avait réussi à démontrer que toutes les autres conditions énoncées à l’article 35 du Code étaient respectées (ce qui n’est pas le cas).

[57] Par conséquent, la demande est rejetée. Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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