Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier,

requérant,

et


Bell ExpressVu s.e.c.,

intimée.

Dossier du Conseil : 29534-C

Référence neutre : 2012 CCRI 649

Le 13 juillet 2012

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code).

Procureurs inscrits au dossier
Me Melissa Kronick, pour Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier;
Me Michael Smyth et Me Margaret Gavins, pour Bell ExpressVu s.e.c.

[1] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que les observations écrites des parties, présentées en vertu de l’article 92 du Code, lui suffisent pour rendre une décision sans tenir d’audience.

I – Nature de la demande

[2] Le 11 juillet 2012, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) a présenté au Conseil une demande de déclaration de lock-out illégal contre Bell ExpressVu s.e.c. (Bell) en vertu de l’article 92 du Code.

[3] Le SCEP allègue que Bell a déclenché un lock-out illégal lorsqu’il a empêché les membres de l’unité de négociation (membres du SCEP) de continuer de travailler dans ses locaux, ou à distance, après avoir donné un préavis de lock-out en vertu du paragraphe 87.2(2) du Code. Bell a fait valoir que, en tout temps, elle était en droit de diriger ses employés, ce qui lui permettait notamment de maintenir leur rémunération et leurs avantages sociaux, tout en les libérant de leur obligation correspondante de fournir des services.

[4] La demande du SCEP contenait des renvois ou des allégations liés aux dispositions du Code portant sur les pratiques déloyales de travail (PDT), mais le Conseil a informé les parties qu’il se concentrerait uniquement sur la demande de déclaration de lock-out illégal dans l’examen expéditif de cette affaire. Les autres allégations, y compris celles qui figurent déjà dans le dossier no 29491-C, seront tranchées dans le cadre du processus normal du Conseil.

[5] Dans sa réplique du 12 juillet 2012, le SCEP a ajouté des détails importants concernant des commentaires que les gestionnaires de Bell auraient formulés. Ces détails ont été fournis en partie en réponse à la réponse de Bell. Le Conseil comprend les raisons pour lesquelles le SCEP a ajouté cette information, mais il ne dispose que de très peu de temps avant le déclenchement prévu d’un lock-out ou d’une grève. L’un des redressements demandés par le SCEP était d’obliger Bell à permettre aux membres du SCEP de retourner au travail.

[6] Le Conseil a dû déterminer comment il allait traiter la réplique du SCEP concernant les prétendus commentaires des gestionnaires de Bell. L’une des solutions possibles consistait à statuer sur toutes les questions liées au prétendu lock-out illégal et sur les plaintes de PDT en suspens dans le cadre du processus normal du Conseil. Cependant, après réflexion, le Conseil a décidé que les faits non contestés dans les observations des parties suffisaient à le convaincre qu’un lock-out illégal avait eu lieu. Il n’a donc pas été nécessaire d’examiner les autres allégations du SCEP, qui auraient sans aucun doute été contestées et qui pourront être examinées ultérieurement.

[7] Le SCEP a convaincu le Conseil que Bell avait déclenché un lock-out illégal. Comme il a déjà été indiqué, le Conseil s’est fondé uniquement sur les faits non contestés qui figuraient dans les documents au dossier. Compte tenu des circonstances spéciales de la présente affaire, la seule mesure de redressement immédiate que peut prendre le Conseil sera de formuler une déclaration de lock-out illégal.

II – Faits

[8] Le 1er mars 2011, le Conseil a accrédité le SCEP (ordonnance no 10009-U) pour représenter l’unité de négociation suivante :

tous les employés de Bell ExpressVu s.e.c. dans son centre de radiodiffusion Bell TV, à l’exclusion des superviseurs et de ceux de niveau supérieur, du personnel de sécurité, de bureau et des ventes.

[9] Le 4 avril 2011, le SCEP a envoyé à Bell un avis de négociation.

[10] Le SCEP a déjà déposé une plainte de pratique déloyale de travail (dossier no 29491-C) concernant la négociation entre les parties. Le Conseil examinera cette plainte dans le cadre de sa procédure normale.

[11] Le 10 juillet 2012, le SCEP a tenu un scrutin auprès de ses membres sur la convention collective provisoire de Bell. Les employés ont rejeté l’offre de Bell.

[12] Le 10 juillet 2012, le SCEP a envoyé à Bell un préavis de grève de 72 heures en vertu du paragraphe 87.2(1) du Code. La grève devait débuter le « samedi 14 juillet 2012 à 12 h (midi) » (traduction).

[13] Peu après, toujours le 10 juillet 2012, Bell a signifié au SCEP un préavis de lock-out dans lequel il était indiqué qu’un lock-out débuterait le « 14 juillet 2012 à minuit une minute » (traduction).

[14] Il convient de souligner aux fins de la présente décision que les parties semblent avoir choisi, comme le Code le leur permet, de faire passer leur négociation, alors dans une impasse, à l’étape suivante des sanctions économiques. Il n’est pas question en l’espèce d’un agent négociateur alléguant qu’un employeur a déclenché un lock-out pendant la durée de la convention collective ou pendant la période de gel prévue par le Code.

[15] Le différend en l’espèce a trait à des événements qui se déroulent pendant le préavis de 72 heures qui précède le début d’une grève ou d’un lock-out. Sur le plan technique, bien que Bell ait signifié son préavis après celui du SCEP, le lock-out de Bell débuterait avant le moment prévu dans le préavis de grève du SCEP, en raison de la différence dans la longueur du préavis donné. Le Code exige uniquement que le préavis soit d’« au moins » 72 heures.

[16] Bell a décidé de ne pas permettre aux membres du SCEP de travailler pendant la période de 72 heures visée par le préavis. De plus, comme il est indiqué dans sa réponse et dans les pièces qui y étaient jointes, Bell a enlevé à certains employés divers articles lui appartenant, comme des cartes d’accès, des clés de bureau, des téléphones sans fil (le cas échéant), des cellulaires ou des Blackberrys (le cas échéant) ainsi que des cartes de crédit Bell (le cas échéant). L’entreprise a aussi désactivé le code d’utilisateur du réseau interne des employés, leur réseau privé virtuel et leur compte de courriel.

[17] Le SCEP a reproché à Bell d’avoir décidé d’interdire à ses membres de travailler pendant le délai jusqu’au déclenchement du lock-out. Le 11 juillet 2012, Bell a demandé à certains membres du SCEP de quitter leur lieu de travail et en a renvoyé d’autres à la maison dès leur arrivée.

[18] Bell a informé le Conseil qu’elle ne pouvait risquer de compromettre son système, notamment son centre de contrôle, pendant la période de 72 heures visée par le préavis. Le plan d’urgence de Bell, qui aurait été préparé à la suite du préavis de grève du SCEP, prévoyait de ne pas permettre aux membres du SCEP de travailler pendant la période de 72 heures, mais de continuer de leur verser leur rémunération.

[19] Bell soutient qu’elle a le droit de dire à ses employés à quel moment et à quel endroit ils peuvent travailler. En l’espèce, Bell a dit à ses employés de ne pas travailler et s’est acquittée de l’obligation de continuer de les rémunérer.

III – La question

[20] Les faits exposés ci-dessus soulèvent une seule question pour le Conseil : Est-ce que Bell a déclenché un lock-out illégal lorsqu’elle a empêché les membres du SCEP de travailler pendant la période de préavis de lock-out de 72 heures?

IV – Les dispositions pertinentes du Code

[21] Dans le Code, la définition d’un lock-out contient un élément objectif de même qu’un élément subjectif :

3.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

...

« lock-out » S’entend notamment d’une mesure – fermeture du lieu de travail, suspension du travail ou refus de continuer à employer un certain nombre des employés – prise par l’employeur pour contraindre ses employés, ou aider un autre employeur à contraindre ses employés, à accepter des conditions d’emploi.

(c’est nous qui soulignons)

[22] La description des mesures qui constituent un lock-out n’est pas exhaustive, comme le confirme l’utilisation du mot « notamment ». Contrairement à ce qui se passe lorsqu’il est question de grève, la mesure prise par l’employeur doit aussi viser à « contraindre » ses employés à accepter certaines conditions d’emploi.

[23] L’article 87.2 du Code précise les exigences relatives aux préavis de grève et de lock-out, notamment lorsqu’une partie sera tenue de donner un nouveau préavis :

87.2(1) Sauf si un lock-out non interdit par la présente partie a été déclenché, le syndicat est tenu de donner un préavis d’au moins soixante-douze heures à l’employeur pour l’informer de la date à laquelle la grève sera déclenchée; il est également tenu de faire parvenir une copie du préavis au ministre.

(2) Sauf si une grève non interdite par la présente partie a été déclenchée, l’employeur est tenu de donner un préavis d’au moins soixante-douze heures au syndicat pour l’informer de la date à laquelle le lock-out sera déclenché; il est également tenu de faire parvenir une copie du préavis au ministre.

(3) Sauf si les parties en conviennent autrement par écrit, si la grève ou le lock-out n’est pas déclenché à la date mentionnée dans le préavis donné en vertu des paragraphes (1) ou (2), le syndicat ou l’employeur qui désire déclencher une grève ou un lock-out est tenu de donner un nouveau préavis d’au moins soixante-douze heures.

[24] L’article 92 du Code expose les pouvoirs dont dispose le Conseil en matière de redressement lorsqu’il reçoit une demande de déclaration de lock-out illégal :

92. À la demande du syndicat qui prétend qu’un employeur a déclaré ou provoqué un lock-out en violation de la présente partie ou est sur le point de le faire, le Conseil peut, après avoir donné à l’employeur la possibilité de présenter des arguments, déclarer le lock-out illégal et, à la demande du syndicat, rendre une ordonnance enjoignant à l’employeur :

a) ainsi qu’à toute personne agissant pour son compte, de s’abstenir de déclarer ou provoquer le lock-out;

b) ainsi qu’à toute personne agissant pour son compte, de mettre fin au lock-out et de permettre aux employés concernés de reprendre leur travail;

c) de porter immédiatement à la connaissance des employés visés par le lock-out, réel ou potentiel, les ordonnances rendues en application des alinéas a) ou b).

(c’est nous qui soulignons)

[25] Comme l’exige l’article 92, le Conseil doit donner à l’employeur « la possibilité de présenter des arguments ». Contrairement à la situation qui existait avant les modifications de 1999 à la partie I du Code, cela n’oblige pas le Conseil à tenir une audience. La décision de tenir ou non une audience est prise en fonction de chaque cas.

[26] Les demandes de déclaration de grève illégale ou de lock-out illégal relèvent de la procédure expéditive du Conseil en vertu de l’alinéa 14e) du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles :

14. La procédure expéditive s’applique aux affaires suivantes :

...

e) les demandes de déclaration de grève illégale ou de lock-out illégal présentées aux termes des articles 91 et 92 du Code.

[27] La procédure expéditive spéciale ne s’applique pas à la plupart des plaintes de pratiques déloyales de travail.

V – Analyse et décision

[28] Dans leurs observations, les parties ont soulevé des questions semblables à celles que le Conseil a examinées dans Vidéotron Télécom Ltée, 2002 CCRI 190 (Vidéotron). Bien que les faits ne soient pas identiques à tous les égards, le Conseil n’est pas convaincu à ce moment-ci, et dans les circonstances en l’espèce, qu’il faille s’écarter du raisonnement exposé dans cette décision.

i) Lock-out : l’élément objectif

[29] Selon Bell, l’élément objectif de la définition d’un lock-out est absent parce qu’il n’y a pas eu de sanctions économiques pour les membres du SCEP. Ils ont continué d’être rémunérés durant la période de 72 heures (toujours en cours pendant la rédaction de la présente décision).

[30] Dans Vidéotron, précitée, le Conseil n’a pas été convaincu qu’une sanction économique pour les employés constituait une condition préalable pour établir l’élément objectif :

[60] Si ces deux décisions de la Commission des relations de travail de l’Ontario étayent la conclusion selon laquelle l’effet économique sur les employés des mesures prises par l’employeur peuvent constituer un facteur ou même le facteur déterminant pour établir l’élément objectif de la définition de lock-out, ces décisions n’appuient pas, de l’avis du présent banc du Conseil, la proposition catégorique selon laquelle l’élément objectif ne peut être établi à moins que la mesure prise par l’employeur ait une incidence économique sur les employés.

[61] Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la conclusion à laquelle le Conseil en est venu dans [Association des employeurs maritimes, [2000] CCRI n̊ 77; 62 CLRBR (2d) 1; et 2001 CLLC 220-001], à savoir qu’en l’absence de sanctions économiques il ne peut y avoir de lock-out, était une conclusion incidente. Il n’était pas nécessaire que le Conseil en arrive à cette conclusion pour rendre sa décision finale dans cette affaire. Ayant examiné une affaire dans laquelle les mesures prises par l’employeur n’ont eu aucune incidence économique sur les employés, le présent banc du Conseil est d’avis que l’existence de sanctions économiques n’est pas une condition préalable pour établir l’élément objectif de la définition de lock-out. Compte tenu de tous les faits pertinents exposés par les parties, de même que du libellé proprement dit de la définition de lock-out énoncée dans le Code, il a été établi à la satisfaction du Conseil que la décision de l’employeur de mettre ses employés en congé rémunéré durant la période visée par le préavis de lock-out établit l’élément objectif de la définition de lock-out énoncée dans le Code.

[31] Parallèlement, le Conseil est convaincu que la décision de Bell de suspendre le travail que les membres du SCEP auraient autrement accompli durant la période visée par le préavis de 72 heures constitue une suspension du travail et suffit pour établir l’élément objectif du Code.

ii) Lock-out : l’élément subjectif

[32] L’évaluation des circonstances permet d’établir l’intention subjective d’un employeur. Comme dans le cas d’une grève illégale, le Conseil est presque toujours aux prises avec la position selon laquelle aucune activité concertée n’a lieu (pour une grève) ou qu’il n’y a aucune intention de contraindre les employés (pour un lock-out).

[33] Bell affirme avoir conservé son droit de diriger les membres de son personnel, notamment en leur donnant un congé rémunéré. Le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail, s’est déjà penché sur une situation semblable, mais dans un contexte différent : Cable T.V. Limitée (1979), 35 di 28; [1980] 2 Can LRBR 381; et 80 CLLC 16,019 (CCRT no 188).

[34] Bell soutient que sa décision de ne pas permettre aux membres du SCEP de travailler, mais de continuer de leur verser une rémunération, était dénuée de toute intention de les persuader ou de les contraindre à accepter sa proposition. Plus exactement, Bell fait valoir que, comme le confirme la preuve, elle n’avait d’autre intention que de veiller à ce que ses activités se poursuivent harmonieusement pendant la période visée par le préavis de 72 heures.

[35] Dans Vidéotron, précitée, le Conseil a dû se pencher sur un argument semblable :

[63] Dans ses observations écrites de même qu’à l’audience, l’employeur a soutenu que c’était pour assurer une protection de ses équipements et installations ainsi que pour le maintient du climat de travail qu’il avait mis les employés en congé rémunéré. Le Conseil n’est pas convaincu que tel était véritablement le but visé par l’employeur. Dans ses observations écrites et à l’audience, l’employeur n’a nullement précisé les raisons qui l’avaient censément incité à croire qu’en autorisant l’accès à ses locaux durant la période visée par le préavis il s’exposait immanquablement à des actes répréhensibles de la part des employés. Contrairement à l’affaire [GCIU Local 34-M v. Southam Inc., [2000] Alta. L.R.B.R. 325], dans laquelle l’employeur a fait la preuve irréfutable d’actes de vandalisme antérieurs, en l’espèce, aucun incident ne s’était produit entre les parties, précédent le lock-out, qui pouvait laisser supposer que l’employeur serait vulnérable.

[36] Le Conseil n’en est pas non plus convaincu en l’espèce. L’argument de Bell contient une présomption sous-jacente selon laquelle les membres du SCEP adopteraient un comportement délictueux, voire criminel, s’ils continuaient de travailler pendant la période du préavis de 72 heures qu’exige le Code. Bien que le Conseil ne soit pas assez naïf pour croire qu’il n’y a jamais d’événements négatifs dans les moments tendus qui précèdent une grève ou un lock-out, il n’en demeure pas moins qu’il lui est difficile de formuler une telle présomption, comme dans Vidéotron, précitée.

[37] Il s’agit de la négociation d’une première convention collective. Le 10 juillet 2012, les employés ont rejeté une convention collective proposée. Après que les préavis ont été donnés en vertu de l’article 92, Bell, sans mise en garde ni consultation, a mis les employés en congé rémunéré. D’après le Conseil, Bell a agi ainsi pour contraindre les employés à réexaminer son offre. La condition prévue par le Code pour établir l’élément subjectif dans le cas d’un lock-out se trouve donc remplie.

[38] Depuis 1999, le Code exige qu’un préavis de 72 heures soit donné avant le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out. La période de préavis suppose le maintien du statu quo, mais elle fait aussi monter les enjeux entre les parties. C’est une période à l’issue de laquelle les parties peuvent décider de faire un compromis, de conclure une convention collective et d’éviter les aspects déplaisants d’une grève ou d’un lock-out.

[39] La mesure unilatérale prise par Bell a privé les membres du SCEP de cette période de préavis, du délai de 72 heures.

[40] Le Conseil reçoit de nombreuses demandes de déclaration de grève illégale. Dans certains cas, les employeurs soulignent l’importance du préavis de 72 heures du syndicat, qui permet, entre autres, un arrêt ou un réaménagement ordonné des activités. Le Code exige une réciprocité similaire lorsqu’il est question d’un lock-out.

[41] Si le Code avait voulu prévoir la possibilité de déroger à la règle du préavis de lock-out de 72 heures en continuant de rémunérer les employés, le législateur aurait très bien pu le faire.

[42] L’importance du travail pour les employés va au-delà de la rémunération. Dans l’arrêt Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, la Cour suprême du Canada a décrit l’importance du travail dans la vie d’une personne :

[93] Cette inégalité de pouvoir a amené les juges majoritaires de notre Cour dans l’arrêt [Slaight Communications inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038], à décrire les employés comme un groupe vulnérable dans la société : voir p. 1051. La vulnérabilité des employés ressort de l’importance que notre société attache à l’emploi. Comme l’a fait observer le juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la p. 368 :

« Le travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. »

[94] Ainsi, pour la plupart des gens, le travail est l’une des caractéristiques déterminantes de leur vie. Par conséquent, tout changement survenant dans la situation professionnelle d’une personne aura sûrement de graves répercussions. Dans son article intitulé [« Aggravated Damages and the Employment Contract » (1991), 55 Sask. L. Rev. 345], Schai notait, à la p. 346, que [traduction] « [l]orsque ce changement est involontaire, le « bouleversement personnel » est encore plus grand. »

[43] Les mesures prises par Bell, durant la période de préavis de 72 heures menant au déclenchement possible d’un lock-out légal, n’ont pas seulement empêché les membres du SCEP de travailler. Les pièces jointes à sa réponse décrivent que Bell a désactivé les cartes d’accès des employés, leur code d’utilisateur du réseau interne, leur réseau privé virtuel et leur compte de courriel. Bell a aussi repris possession, s’il y avait lieu, des clés de bureau des employés, des téléphones sans fil, des cellulaires ou Blackberrys et des cartes de crédit Bell.

[44] Ces mesures, prises durant une période au cours de laquelle le Code prescrit de maintenir le statu quo, viennent elles aussi convaincre le Conseil que Bell avait l’intention de faire en sorte que les employés revoient leur décision de rejeter son offre.

[45] Comme dans Vidéotron, précitée, le Conseil est convaincu que les faits non contestés établissent l’élément subjectif nécessaire relativement à un lock-out.

iii) Validité du préavis de lock-out de Bell

[46] Comme argument subsidiaire, Bell s’est fondée sur Vidéotron, précitée, au soutien de sa proposition selon laquelle, même si un lock-out illégal avait eu lieu, son préavis de lock-out initial demeurait valide.

[47] Dans Vidéotron, précitée, le Conseil n’a pas invalidé le préavis de lock-out, même si un lock-out illégal avait aussi eu lieu :

[69] Le Conseil n’est pas prêt à affirmer qu’un lock-out illégal ordonné par un employeur durant la période comprise entre le moment où le préavis de lock-out est donné et celui où il entre en vigueur n’aurait jamais d’incidence sur la validité du préavis de lock-out. Cependant, dans l’affaire dont il est saisi en l’espèce, où l’objectif visé par l’employeur est demeuré évident en dépit du lock-out illégal, le préavis donné demeure valable. Le syndicat n’a fourni aucune indication qu’il avait des raisons de croire que le lock-out n’allait pas commencer au moment précisé dans le préavis de l’employeur. En conséquence, le lock-out ordonné par l’employeur à midi le 30 avril 2002, selon l’avis signifié le 27 avril 2002, est un lock-out légal.

[48] En l’espèce, comme chaque partie a donné à l’autre partie un préavis de grève ou de lock-out de 72 heures, le Conseil n’est pas convaincu qu’il faille s’écarter de ce raisonnement.

[49] Le lock-out illégal ordonné par Bell durant la période de 72 heures n’a pas, en l’espèce, eu d’incidence sur la validité de son préavis de lock-out du 10 juillet 2012.

VI – Ordonnance

[50] Le Conseil a conclu que Bell avait déclenché un lock-out illégal lorsqu’elle a empêché les membres du SCEP de se présenter au travail durant la période de préavis de 72 heures, malgré qu’elle ait continué de les rémunérer.

[51] L’ordonnance déclaratoire du Conseil est jointe à la présente décision (ordonnance no 690-NB).

[52] Le Conseil se réserve le pouvoir de se prononcer sur les autres questions soulevées dans la demande du SCEP, y compris en ce qui a trait aux commentaires allégués, mais non prouvés, des gestionnaires de Bell, ainsi que sur les questions relatives aux pratiques déloyales de travail soulevées dans le dossier connexe no 29491-C.

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