Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 99,

plaignante,

et

BHP Billiton Canada inc.; Finning (Canada), division de Finning International Inc.,

intimées.

Dossier du Conseil : 29186-C

Référence neutre : 2012 CCRI 634

Le 9 mars 2012

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. John Bowman et Me David P. Olsen, Membres.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

Procureurs inscrits au dossier
Me Patrick Nugent, pour l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 99;
Me Kim G. Thorne, pour BHP Billiton Canada inc.;
Me Hugh J. D. McPhail, c.r., pour Finning (Canada), division de Finning International Inc.

I – Nature de la plainte

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance des documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 21 décembre 2011, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, section locale 99 (l’AIMTA ou le syndicat) a déposé une plainte de pratique déloyale de travail (PDT) dans laquelle elle allègue que BHP Billiton Canada inc. (BHP) et Finning (Canada), division de Finning International Inc. (Finning) avaient enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code :

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[3] L’AIMTA et Finning sont liées par une convention collective. Finning est un entrepreneur à la mine de diamants Ekati de BHP, dans les Territoires du Nord-Ouest.

[4] La plainte de l’AIMTA découle d’un grief de classification qui a été instruit, en partie, par l’arbitre Allen Ponak. À l’issue de la preuve formelle, l’AIMTA a demandé à l’arbitre Ponak d’ordonner « une visite des lieux » (traduction) de la mine Ekati pour permettre une bonne compréhension du grief de classification. Le grief concernait la classification de certains individus qui travaillaient dans la partie souterraine de la mine.

[5] L’arbitre Ponak a estimé que le Code ne lui confère pas le pouvoir d’ordonner une visite des lieux. Il a aussi souligné que BHP, la propriétaire de la mine Ekati, n’était pas partie à la convention collective ni à l’arbitrage.

[6] L’arbitre Ponak a indiqué que, si le Code lui avait conféré ce pouvoir, il aurait ordonné la visite des lieux. À son avis, une visite des lieux aurait été justifiée et utile pour décider du bien-fondé du grief dont il était saisi.

[7] L’AIMTA a allégué que Finning, de même que BHP, avaient enfreint le Code en ne consentant pas à la demande de visite des lieux. L’AIMTA a soutenu que leur refus d’y consentir constituait, entre autres, de l’ingérence dans la représentation des employés faisant partie de son unité de négociation.

[8] À titre de redressement, l’AIMTA a notamment demandé au Conseil d’ordonner à BHP de permettre à l’arbitre Ponak et aux parties comparaissant devant lui, y compris Finning, d’accéder à la mine Ekati afin d’y faire une visite des lieux :

9. REDRESSEMENTS PRÉCIS SOLLICITÉS

  1. une déclaration selon laquelle BHP et Finning ont enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code;
  2. une ordonnance enjoignant à BHP et à Finning de cesser et de s’abstenir d’enfreindre le Code;
  3. une ordonnance enjoignant à BHP d’accorder aux parties et au conseil arbitral l’accès à la mine Ekati dans la mesure nécessaire pour rendre possible la visite des lieux envisagée par la décision du conseil arbitral du 21 novembre 2011;
  4. une ordonnance obligeant BHP et Finning à assumer les frais juridiques du syndicat liés au dépôt de cette plainte et de ces demandes;
  5. toutes autres mesures de redressement jugées justes et raisonnables dans les circonstances.

(traduction)

[9] Après examen des observations juridiques des parties, le Conseil a décidé de rejeter la plainte de l’AIMTA, pour les motifs qui suivent.

II – Faits

[10] Les parties n’ont pas contesté les faits essentiels de la présente affaire.

[11] BHP n’a pas de relation de négociation collective avec l’AIMTA. Finning fournit certains services en vertu d’un contrat conclu avec BHP, y compris des services d’entretien des équipements mécaniques utilisés à la mine Ekati.

[12] Finning est liée à l’AIMTA par une convention collective.

[13] La mine Ekati n’est pas un site public. Les touristes et les visiteurs ne sont pas les bienvenus et ne sont pas autorisés sur les lieux. BHP a allégué que, même aux termes de sa convention collective conclue avec l’Alliance de la fonction publique du Canada, elle n’a pas autorisé une visite des lieux dans le cadre d’une quelconque procédure d’arbitrage.

[14] Certains passages de la décision du 20 novembre 2011 de l’arbitre Ponak permettent de mieux comprendre le contexte de la plainte de l’AIMTA.

[15] L’arbitre Ponak a décrit ainsi le grief dont il était saisi (page 2) :

... Dans son grief, le syndicat affirme que les travaux souterrains et les travaux en surface sont suffisamment différents pour constituer deux classifications distinctes et que, en ne reconnaissant pas la nécessité de classifier différemment les deux types de travaux, l’employeur contrevient à la convention collective. L’employeur est en désaccord avec le syndicat et ne croit pas qu’il doit y avoir une classification distincte pour les travaux souterrains.

(traduction)

[16] L’arbitre Ponak a décrit ensuite la demande de l’AIMTA visant à ce qu’il ordonne une visite des lieux de la mine Ekati (page 2) :

Au cours de l’audience d’arbitrage, après que les deux parties eurent présenté leurs preuves sur le bien-fondé du grief, mais avant les conclusions finales, le syndicat a demandé à l’arbitre d’ordonner une visite des lieux. L’employeur s’est opposé à cette demande. Les deux parties ont alors présenté des arguments oraux ainsi que de la jurisprudence au soutien de leur position respective sur la demande concernant une visite des lieux. La présente décision arbitrale traite uniquement de ladite demande...

(traduction)

[17] L’arbitre Ponak a conclu que le Code ne lui conférait pas le pouvoir d’ordonner une visite des lieux (page 17) :

L’alinéa 60(1)a) confère aux arbitres certains pouvoirs qui ont également été conférés au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) en vertu de l’article 16 du Code. Les alinéas 16a) à 16p) énumèrent une série de pouvoirs nécessaires à une commission des relations du travail pour qu’il puisse s’acquitter de ses responsabilités. Il s’agit notamment du pouvoir de faire prêter serment et de recevoir des affirmations solennelles, du pouvoir de contraindre des témoins à comparaître et du pouvoir de tenir des scrutins de représentation. L’alinéa 16h) habilite le CCRI à faire une visite des lieux – c’est-à-dire à « pénétrer dans des locaux ou terrains de l’employeur où des employés exécutent...un travail, procéder à l’examen de tout ouvrage, outillage, appareil ou objet...sur toute question dont il est saisi ».

L’alinéa 60(1)a) énumère quatre des pouvoirs du CCRI dont les arbitres sont aussi investis – les pouvoirs énumérés aux alinéas 16a), b), c) et f.1). Les arbitres peuvent ainsi contraindre des témoins à comparaître (a), faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles (b), accepter des témoignages (c) et obliger toute personne à fournir des renseignements ou à produire des documents (f.1). Le pouvoir de faire une visite des lieux ne figure pas dans la liste des pouvoirs du CCRI qui sont également conférés aux arbitres; l’alinéa 16h) n’est pas mentionné dans l’alinéa 60(1)a).

C’est là une omission surprenante étant donné que le pouvoir des arbitres d’ordonner, dans les cas qui le justifient, une visite des lieux fait depuis longtemps partie des procédures d’arbitrage telles qu’elles se déroulent aujourd’hui...

(traduction)

[18] L’arbitre Ponak a conclu que le Code ne lui conférait pas le pouvoir d’ordonner une visite des lieux, mais il s’est néanmoins demandé si, même s’il avait eu ce pouvoir, la présente affaire se serait prêtée à une visite des lieux (pages 18 et 19) :

Je conclus que, en tant qu’arbitre pour l’application du Code canadien du travail, je ne suis pas investi du pouvoir d’ordonner une visite des lieux. Il ne m’appartient pas de reformuler le Code canadien du travail, quand bien même s’agirait-il là selon moi d’une omission involontaire. Je n’ai donc d’autre choix que de rejeter la demande du syndicat visant à ce que j’ordonne une visite des lieux de la mine Ekati. J’ai les mains liées.

En principe, la décision de rejeter une demande pour absence du pouvoir d’y faire droit devrait conduire l’arbitre à clore l’affaire, et c’est précisément ce que l’employeur m’a fortement encouragé à faire en l’espèce. Selon l’employeur, il n’est pas nécessaire de conjecturer la suite des événements s’il avait été dans mon pouvoir de faire droit à la demande. Le syndicat, pour sa part, m’a vivement encouragé à statuer sur le bien-fondé de sa demande quelles que soient mes conclusions sur mon pouvoir d’ordonner une visite des lieux. Il fondait sa position sur le fait que, selon lui, l’absence du pouvoir législatif d’un arbitre d’ordonner une visite des lieux en vertu du Code canadien du travail était une omission involontaire. Dans l’hypothèse où le bien-fondé de sa demande serait admis, le syndicat a proposé qu’il soumettrait l’affaire au CCRI ou bien à un tribunal approprié.

Je suis persuadé par l’argument du syndicat, en l’espèce. Je partage l’avis du syndicat selon lequel l’absence du pouvoir d’un arbitre d’ordonner une visite des lieux pourrait bien être le résultat d’une omission involontaire et non d’une omission délibérée. Ne pas statuer sur le bien-fondé de la demande reviendrait à refuser au syndicat la possibilité de faire exécuter par le CCRI ou par une cour de justice une demande valable de visite des lieux. J’examinerai donc le bien-fondé d’une visite des lieux dans la présente affaire.

(traduction)

[19] L’arbitre Ponak s’est également exprimé sur les difficultés d’ordonner une visite des lieux lorsque les lieux en question sont la propriété privée d’une partie tierce, en l’occurrence BHP (page 22) :

Pour les motifs ci-dessus, si j’en avais le pouvoir, j’accueillerais la demande du syndicat et j’ordonnerais la visite des lieux.

Il y a un dernier point à considérer. Même si le syndicat parvenait à convaincre le CCRI ou un tribunal que j’ai le pouvoir d’ordonner une visite des lieux, il resterait encore la question de savoir si une telle ordonnance pourrait être exécutée à l’égard d’une partie tierce. C’est BHP, et non Finning, qui est propriétaire de la mine Ekati et qui l’exploite. L’employeur a fait état de nombreux précédents démontrant les difficultés qui peuvent surgir lorsqu’un employeur, partie à une convention collective, est un entrepreneur travaillant sur un chantier qui appartient à un tiers. Aucun des précédents soumis par l’employeur ne portait directement sur cette question. C’est une question qu’il faudrait éclaircir si le syndicat parvenait à convaincre le CCRI ou un tribunal qu’un arbitre a le pouvoir, en vertu du Code canadien du travail, d’ordonner une visite des lieux et que BHP refuse de l’autoriser.

(traduction)

[20] La réponse de l’AIMTA du 20 janvier 2012, que le Conseil n’a reçue que le 7 mars 2012, renferme un résumé utile de la position du syndicat :

Le syndicat est d’avis que, en continuant de s’opposer à une visite des lieux de la mine Ekati, Finning et BHP interviennent dans l’administration d’un syndicat, et dans la représentation des employés par le syndicat. Comme nous le faisons observer dans notre plainte, BHP reçoit régulièrement des visiteurs à la mine Ekati. BHP reconnaît qu’elle accueille des visiteurs sur le site de la mine, mais elle affirme qu’il s’agit uniquement de visiteurs dont la présence sur le site est « considérée par BHP comme une présence conforme à ses intérêts ». Cependant, ni BHP ni Finning n’ont présenté un quelconque argument raisonnable montrant pourquoi le présent conseil d’arbitrage, dans l’exercice de sa fonction consistant à trancher des différends relevant de la convention collective, ne pourrait pas se présenter à la mine, ou montrant pourquoi une telle visite serait de quelque manière incompatible avec les activités menées par BHP.

Vu l’absence d’une telle justification, le syndicat est d’avis que BHP et Finning adoptent cette position pour faire obstacle à la recherche des faits de l’arbitre et pour miner la capacité du syndicat de représenter ses membres. Selon le syndicat, c’est là une violation de l’alinéa 94(1)a) du Code canadien du travail qui devrait fortement préoccuper le Conseil. La position de BHP équivaut à dire que, malgré le consentement des parties à un arbitrage, et malgré la directive de l’arbitre, une visite des lieux n’est pas possible dans un environnement syndiqué lorsque les lieux en question appartiennent à une partie tierce et que cette partie tierce ne consent pas elle aussi à la visite. Les arbitres n’ordonnent pas à la légère une visite des lieux – ils ne le font qu’après que les parties concernées ont répondu au critère juridique d’une telle ordonnance. En privant totalement les syndicats, les employés et même les employeurs de la possibilité pour un arbitre d’effectuer une visite des lieux appartenant à un tiers, on met en péril la qualité de la justice qui peut être rendue en vertu du Code canadien du travail.

(traduction)

III – Analyse et décision

[21] Par souci de commodité, nous reproduisons l’alinéa 94(1)a) :

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[22] Le prédécesseur du présent Conseil, le Conseil canadien des relations du travail, avait bien décrit la portée de l’alinéa 94(1)a) du Code dans la décision ATV New Brunswick Limited (CKCW-TV) (1978), 29 di 23; et [1979] 3 Can LRBR 342 (CCRT no 149) :

L’alinéa 184(1)a) [maintenant l’alinéa 94(1)a)] prévoit la formation d’un syndicat, l’administration d’un syndicat et la représentation des employés par un syndicat. À notre point de vue, cette énumération correspond de façon générale aux trois fonctions fondamentales prévues par le Code dont on vise à assurer la protection. Ces fonctions sont les suivantes :

« 1. La formation d’un syndicat. C’est le stade initial, et elle peut être considérée comme la première étape en vue de négocier collectivement. Le syndicat doit avoir un statut reconnu.

2. L’administration du syndicat. Ici on vise à protéger la personne morale et on englobe des questions comme les élections des officiers, la collecte de sommes d’argent, l’engagement de ces sommes à titre de dépenses, les réunions générales des membres, etc., en un mot toutes les questions de nature interne d’un syndicat considéré comme une entreprise. On vise à ce que l’employeur ne contrôle pas le syndicat avec lequel il négociera, pour assurer ainsi que les négociations soient menées à distance. »

...

« 3. La représentation des employés par un syndicat. Nous sommes d’avis que la « représentation » dont il s’agit ici se rapporte principalement à celle résultant de la négociation collective. L’objectif principal de l’alinéa 184(1)a) est de protéger les droits de négociation de l’agent négociateur pour négocier collectivement. C’est à cause de cet alinéa que l’employeur ne peut négocier des conditions de travail directement avec ses employés, collectivement ou individuellement, sans la permission du syndicat. C’est un corollaire nécessaire qui protège les droits donnés au syndicat par le paragraphe 136(1) du Code. »

(pages 28-29; and 346-347)

[23] L’AIMTA a fait valoir que Finning a enfreint l’alinéa 94(1)a) du Code en s’opposant à ce que l’arbitre Ponak ordonne une visite des lieux de la mine Ekati comme le demandait le syndicat. Pareillement, le syndicat a allégué que BHP a contrevenu à l’alinéa 94(1)a) en s’opposant à ce que le syndicat, Finning et l’arbitre Ponak entreprennent, à la demande distincte et indépendante du syndicat, une visite des lieux de la partie à ciel ouvert et de la partie souterraine de la mine Ekati.

[24] Le Conseil a décidé de rejeter la plainte de l’AIMTA, pour trois principaux motifs.

[25] D’abord, si l’AIMTA croyait que l’arbitre Ponak avait mal interprété les pouvoirs que lui confère le Code, alors le recours approprié pour l’AIMTA était le contrôle judiciaire. Deuxièmement, le Conseil n’a aucune compétence explicite pour réexaminer les décisions des arbitres en vertu du Code. Finalement, l’AIMTA n’a pas convaincu le Conseil que ce différend relève du champ d’application de l’alinéa 94(1)a) du Code.

i) Éviter une multiplicité de procédures

[26] Dans Bell Mobilité inc., 2012 CCRI 626, le Conseil analysait un arrêt récent de la Cour suprême du Canada (CSC), Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52; [2011] 3 R.C.S. 422, et un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale (C.A.F.), Canada (Commission des droits de la personne) c. Office des transports du Canada, 2011 CAF 332. Ces arrêts mettaient en garde les tribunaux administratifs contre toute tentative à remettre en cause des questions déjà tranchées par un autre tribunal :

[11] Dans Figliola, précité, la Cour suprême du Canada a conclu que, même lorsque deux tribunaux exercent une compétence concurrente à l’égard d’une même question de droits de la personne, cette question ne peut faire l’objet que d’une seule instance. Selon elle, l’équité exigeait d’appliquer les principes qui garantissent le caractère définitif des instances, qui préviennent le dédoublement de ces instances et qui protègent l’intégrité du système judiciaire en empêchant la tenue d’une deuxième audience devant un autre tribunal à l’égard de la même question juridique :

« [34] Ces doctrines existent essentiellement pour prévenir l’inéquité en empêchant « les recours abusifs » (Danyluk, par. 20; voir aussi Garland, par. 72, et Toronto (Ville), par. 37). On peut résumer ainsi leurs principes sous-jacents communs :

  • La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties (Danyluk, par. 18; Boucher, par. 35).
  • Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi (Toronto (Ville), par. 38 et 51).
  • La contestation de la validité ou du bien-fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur (Boucher, par. 35; Danyluk, par. 74).
  • Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative (TeleZone, par. 61; Boucher, par. 35; Garland, par. 72).
  • En évitant les remises en cause inutiles, on évite le gaspillage de ressources (Toronto (Ville), par. 37 et 51).

[35] C’est sur ces principes que repose l’al. 27(1)f). Individuellement et collectivement, ils font échec aux arguments voulant que l’accessibilité à la justice soit synonyme d’accès successifs à de multiples forums ou que plus on rend de décisions plus on s’approche de la justice.

[36] Considéré dans son ensemble, l’al. 27(1)f) ne codifie pas les doctrines elles-mêmes ou leurs explications techniques, il en englobe les principes sous-jacents afin d’assurer le caractère définitif des instances, l’équité et l’intégrité du système judiciaire en prévenant les incohérences, les dédoublements et les délais inutiles. Il s’ensuit que ce ne sont pas tant des dogmes doctrinaux précis qui devraient guider le Tribunal que les objets de la disposition, qui sont d’assurer l’équité du caractère définitif du processus décisionnel et d’éviter la remise en cause de questions déjà tranchées par un décideur ayant compétence pour en connaître. La justice est accrue par la protection de l’attente des parties qu’elles ne soient pas sujettes à des instances supplémentaires, devant un forum différent, pour des questions qu’elles estimaient résolues définitivement. Le magasinage de forum pour que l’issue d’un litige soit différente et meilleure peut être maquillé de nombreux qualificatifs attrayants, l’équité n’en fait toutefois pas partie. »

(c’est nous qui soulignons)

[12] La Cour d’appel fédérale a récemment appliqué Figliola, dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Office des transports du Canada, 2011 CAF 332 (Air Canada), lorsqu’elle a conclu qu’un tribunal administratif aurait dû suspendre son instance parce qu’un autre tribunal administratif, qui exerçait une compétence concurrente, avait déjà tranché la même question de droits de la personne :

« [28] S’agissant de l’application de ces principes à la décision du Tribunal, on peut dire que, comme dans Figliola, son analyse l’a rendu « complice » d’une tentative de contester indirectement le bien-fondé de la décision et le processus décisionnel de l’Agence. Le Tribunal a rejeté la demande de suspension d’Air Canada pour des raisons formalistes, sans tenir compte de l’inéquité inhérente au magasinage de forum. Le Tribunal n’a pas examiné s’il convenait de permettre à M. Morten de ne pas se prévaloir des mécanismes de révision prévus par la Loi et de se servir du Tribunal pour remettre en cause ce qui était essentiellement la même question juridique dans l’espoir d’obtenir un résultat plus favorable. Il n’a pas procédé à l’analyse requise. Plus particulièrement, il n’a pas pris en considération le fait que, devant l’Office, M. Morten était au courant de la preuve qu’il avait à faire et a eu la possibilité de la présenter. Si M. Morten estimait que l’Office avait mal appliqué les principes relatifs aux droits de la personne, il devait se prévaloir des mécanismes de révision prévus par la Loi, d’autant plus qu’Air Canada avait indiqué qu’elle appuierait une demande d’autorisation d’appel visant la décision de l’Office. »

(c’est nous qui soulignons)

[13] La Cour d’appel fédérale a souligné que, pour contester une décision défavorable d’un tribunal administratif, le recours approprié est le contrôle judiciaire. Une fois tranchée, une question juridique ne peut pas être remise en cause devant un autre tribunal administratif qui exerce une compétence concurrente.

[27] Les principes examinés dans Figliola sont clairs. Un tribunal administratif ne doit pas laisser une partie remettre en question le bien-fondé d’une décision déjà rendue par un autre tribunal compétent. L’AIMTA a donné à sa plainte l’apparence d’une plainte de pratique déloyale de travail, mais elle demande essentiellement au Conseil de rendre la décision de redressement que l’arbitre Ponak a refusé de rendre parce qu’il avait conclu qu’il n’avait pas ce pouvoir.

[28] La demande présentée par l’AIMTA au Conseil est une contestation indirecte de la décision de l’arbitre Ponak. Cela semble être précisément le genre de contestation indirecte de la décision d’un autre tribunal que les cours de justice conseillent aux tribunaux administratifs d’éviter. Le recours approprié pour l’AIMTA est le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre Ponak.

ii) La compétence du CCRI sur les arbitres du travail

[29] Afin d’éviter toute confusion sur l’étendue de la compétence du Conseil, il est clair que le Code ne confère pas au Conseil le pouvoir de réexaminer le bien-fondé des décisions des arbitres.

[30] En revanche, en Colombie-Britannique, l’article 99 du Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, c 244, prévoit ce genre d’appel devant la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique :

99 (1) Sur demande d’une partie concernée par la décision ou par la sentence d’un conseil d’arbitrage, la Commission peut annuler la sentence, renvoyer au conseil d’arbitrage les points qui lui ont été soumis, suspendre la procédure introduite devant le conseil d’arbitrage ou substituer la décision ou la sentence de la Commission à celle du conseil d’arbitrage, au motif que :

  1. une partie à l’arbitrage s’est vu dénier, ou se verra probablement dénier, une audience équitable, ou
  2. la décision ou la sentence du conseil d’arbitrage est contraire aux principes énoncés, expressément ou implicitement, dans le présent Code ou dans une autre loi traitant des relations du travail.

(2) La demande prévue au paragraphe (1) doit être présentée à la Commission en conformité avec le règlement.

(traduction)

[31] Le Code habilite le CCRI à statuer sur divers aspects de la partie I du Code – Relations du travail, tandis que les arbitres exercent en général une compétence quasiment exclusive sur les questions liées aux conventions collectives des parties.

[32] Il n’y a que quelques domaines du Code où la compétence du Conseil et celle d’un arbitre peuvent se chevaucher légèrement.

[33] Par exemple, l’article 65 du Code prévoit que certaines questions touchant l’existence d’une convention collective ou l’identité des parties à une convention collective peuvent, dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, être renvoyées au Conseil :

65.(1) Toute question soulevée dans une affaire d’arbitrage et se rapportant à l’existence d’une convention collective ou à l’identité des parties ou des employés qu’elle lie peut être renvoyée au Conseil, pour décision, par l’arbitre, le conseil d’arbitrage, le ministre ou toute prétendue partie.

(2) Le renvoi visé au paragraphe (1) ne suspend la procédure engagée devant l’arbitre ou le conseil d’arbitrage que si l’un ou l’autre décide que la nature de la question le justifie ou que le Conseil lui-même ordonne la suspension.

[34] Pareillement, le Code confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire de refuser de statuer sur certaines plaintes de pratique déloyale de travail s’il estime que l’affaire pourrait être tranchée par un arbitre aux termes de la convention collective.

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[35] L’exercice de ce pouvoir peut obliger le Conseil à se pencher sur les dispositions d’une convention collective.

[36] L’existence de l’article 65 et du paragraphe 98(3), lesquels font référence à l’intervention accessoire et exceptionnelle du Conseil dans les affaires d’arbitrage, confirme que le CCRI n’a pas compétence pour examiner en appel l’interprétation donnée par l’arbitre au Code ou aux conventions collectives.

[37] Le recours approprié pour contester la décision d’un arbitre est le contrôle judiciaire.

iii) Portée de l’alinéa 94(1)a)

[38] Même si le Conseil examinait le bien-fondé de la plainte de pratique déloyale de travail déposée par l’AIMTA, il y a une différence entre l’ingérence dans la représentation des employés, un droit qui est protégé par l’alinéa 94(1)a), et le rejet d’un argument juridique plaidé devant un arbitre.

[39] Une décision arbitrale qui rejette un argument juridique avancé par une partie ne signifie pas que la position de la partie qui obtient gain de cause équivaut à « une ingérence dans la représentation d’employés par un syndicat ».

[40] Le fait qu’un arbitre a écouté les arguments juridiques contradictoires des parties et rendu une décision arbitrale partielle témoigne du bon fonctionnement de leur système de négociation collective. L’AIMTA n’a pas non plus démontré que le refus de BHP de permettre la visite des lieux demandée par le syndicat constitue de l’ingérence. Si Finning n’avait pas le droit de consentir à une visite des lieux, alors le Conseil a du mal à voir en quoi BHP, qui n’était pas partie à la convention collective ou à la procédure d’arbitrage, aurait une quelconque obligation, à moins que le législateur ne l’ait imposé d’accorder l’accès à sa propriété privée.

[41] L’AIMTA s’est dite préoccupée par les limites du pouvoir d’un arbitre d’ordonner une visite des lieux. C’est là une question qui relève du législateur et non du Conseil.

IV – Conclusion

[42] Compte tenu des principes énoncés, entre autres, dans Figliola, précité, le Conseil n’est pas le forum approprié pour contester une décision procédurale rendue par un arbitre.

[43] Le Conseil n’a aucune compétence en appel pour les décisions rendues par des arbitres du travail en vertu du Code. C’est par le contrôle judiciaire qu’il faut contester la décision juridique d’un arbitre.

[44] Même si l’AIMTA pouvait surmonter les deux obstacles ci-dessus, le Conseil est d’avis que ni Finning ni BHP ne sont intervenues dans les droits de représentation conférés à l’AIMTA en vertu de l’alinéa 94(1)a) du Code. La question de la visite des lieux a été validement renvoyée à un arbitre, lequel a interprété ses pouvoirs. Le rejet d’un argument juridique dans le cadre d’une procédure d’arbitrage ne se transforme pas en ingérence en vertu de l’alinéa 94(1)a) du Code pour la partie perdante.

[45] Le Conseil rejette la plainte de pratique déloyale de travail de l’AIMTA.

[46] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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