Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Motifs de décision

Wayne Kerr,

plaignant,

et


Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district des transports 140,

intimée,

et


Air Canada,

employeur.

Dossier du Conseil : 29106-C

Référence neutre : 2012 CCRI 631

Le 6 mars 2012

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. John Bowman et Me David P. Olsen, Membres.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

Représentants des parties au dossier
Me S. Sean Hagler, pour M. Kerr;
M. Boyd Richardson, pour l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district des transports 140;
Me Rachelle Henderson, pour Air Canada.

I – Nature de la plainte

[1] L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

[2] Le 7 novembre 2011, le Conseil a reçu une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) déposée par M. Wayne Kerr, dans laquelle il allègue que son ancien agent négociateur, l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district des transports 140 (l’AIMTA), a enfreint l’article 37 du Code, qui est libellé comme suit :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[3] M. Kerr était un employé d’Air Canada depuis environ 21 ans au moment de sa « suspension préalable au renvoi » le 17 juillet 2009. L’arbitre Martin Teplitsky, c.r., a rejeté le grief de congédiement de M. Kerr dans une décision datée du 16 décembre 2009.

[4] M. Kerr a déposé sa plainte de manquement au DRJ auprès du Conseil presque deux ans après la décision de l’arbitre Teplitsky, qui rejetait son grief.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, le Conseil n’est pas convaincu qu’il y a lieu de proroger le délai de 90 jours prévu par le Code pour le dépôt de la plainte de manquement au DRJ de M. Kerr.

II – Chronologie des événements

[6] Les dates des principaux événements sont énumérées dans la plainte de M. Kerr. La présente décision reprend la version des faits de M. Kerr, mais le Conseil ne tire aucune conclusion quant à l’exactitude de ces faits. Cependant, en acceptant tels quels les faits de M. Kerr, le Conseil peut examiner les meilleurs arguments de ce dernier.

[7] Le ou vers le 17 juillet 2009, Air Canada a suspendu M. Kerr en attendant de décider s’il devait le congédier par suite de prétendues infractions à la sécurité survenues à l’entrepôt de traitement du fret d’Air Canada, à Toronto. La mesure disciplinaire concernait l’allégation selon laquelle M. Kerr autorisait le retrait de colis entreposés sous douane sans que les formalités de dédouanement aient été accomplies.

[8] Dans sa décision du 16 décembre 2009, l’arbitre Teplitsky a conclu que M. Kerr « s’était rendu sciemment complice d’une activité illégale » (traduction) et qu’une telle conduite justifiait un congédiement sommaire.

[9] Le 4 janvier 2010, l’AIMTA a appelé M. Kerr pour l’informer de la décision de l’arbitre Teplitsky. M. Kerr a reçu une copie de cette décision arbitrale au début du mois de janvier 2010.

[10] M. Kerr a soutenu que l’arbitre Teplitsky ne pouvait être arrivé à cette conclusion que parce que l’AIMTA ne l’avait pas bien représenté pendant la procédure de règlement des griefs et en arbitrage.

[11] Aux alentours de février 2010, M. Kerr a retenu les services d’un avocat en cabinet privé pour l’aider dans cette affaire. Au lieu de déposer une plainte de manquement au DRJ auprès du Conseil, cet avocat a écrit à l’AIMTA et a ensuite intenté une poursuite civile contre Air Canada pour congédiement injustifié. M. Kerr a soutenu que son premier avocat n’avait pas fait preuve de diligence et avait causé le retard important dans le dépôt de sa plainte auprès du Conseil.

[12] M. Kerr a retenu les services d’un nouvel avocat en août 2011.

[13] Le Conseil a reçu la plainte de manquement au DRJ de M. Kerr le 7 novembre 2011.

III – Analyse et décision

[14] Les paragraphes 97(1) et (2) du Code traitent du délai de 90 jours prévu pour le dépôt de diverses plaintes auprès du Conseil, y compris les plaintes de manquement au DRJ :

97.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

  1. soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu aux paragraphes 24(4) ou 34(6), aux articles 37, 47.3, 50, 69, 87.5 ou 87.6, au paragraphe 87.7(2) ou aux articles 94 ou 95;
  2. soit à une personne d’avoir contrevenu à l’article 96.

(2) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

(c’est nous qui soulignons)

[15] Le Conseil a le pouvoir discrétionnaire de proroger ce délai de 90 jours en vertu de l’alinéa 16m.1) du Code.

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

m.1) proroger les délais fixés par la présente partie pour la présentation d’une demande.

[16] En l’espèce, la question à trancher est de savoir si le Conseil devrait proroger le délai prescrit pour le dépôt de la plainte de manquement au DRJ de M. Kerr.

[17] À des fins d’analyse uniquement, le Conseil utilisera l’argument de M. Kerr selon lequel le délai de 90 jours n’a commencé à courir que lorsqu’il a lu la décision de l’arbitre Teplitsky. Il pourrait être soutenu que M. Kerr avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance de toute prétendue mauvaise représentation de la part de l’AIMTA bien avant le moment où il a reçu la décision arbitrale défavorable, c’est-à-dire en janvier 2010.

[18] Selon le scénario de M. Kerr, la présente affaire porte sur un retard de 22 mois, qui va du début janvier 2010 au 7 novembre 2011. Le délai de 90 jours aurait expiré quelque temps au début du mois d’avril 2010, compte tenu du délai de 90 jours prévu au paragraphe 97(2) du Code.

[19] Le Conseil n’est pas convaincu que le prétendu défaut du premier avocat de M. Kerr de déposer une plainte de manquement au DRJ dans le délai prescrit constitue un motif impérieux pour que le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 16m.1) du Code.

[20] D’abord, d’autres instances peuvent examiner les faits concernant le caractère raisonnable des services juridiques que M. Kerr a reçus. Le rôle du Conseil exige qu’il se concentre sur le contexte des relations du travail des parties lorsqu’il doit décider s’il y a lieu d’appliquer l’alinéa 16m.1) du Code.

[21] Le législateur exige manifestement du Conseil que les plaintes en matière de relations du travail, y compris celles provenant de plaignants inexpérimentés, mais aussi de syndicats et d’employeurs, soient déposées dans des délais relativement stricts. En effet, avant les modifications apportées au Code en 1999, lesquelles incluaient l’ajout de l’alinéa 16m.1), le Conseil n’avait pas le moindre pouvoir discrétionnaire pour proroger les délais pour la présentation de demandes (voir l’arrêt Upper Lakes Shipping Ltd. c. Sheehan et autre, [1979] 1 R.C.S. 902).

[22] La nécessité d’un délai en matière de relations du travail n’est pas surprenante. Le législateur a fréquemment imposé des délais pour diverses procédures judiciaires. Compte tenu de l’adage qui dit que « des relations du travail différées constituent des relations du travail mises en échec » (traduction), le législateur, tout en accordant un nouveau pouvoir discrétionnaire au Conseil en 1999, a toujours maintenu le délai de 90 jours prévu par le Code pour le dépôt de diverses plaintes en matière de relations du travail.

[23] Le Conseil prend au sérieux la nécessité de traiter les plaintes en matière de relations du travail dans le délai prescrit. Le Conseil a récemment formulé des commentaires, dans la décision Torres, 2010 CCRI 526 (Torres 526), sur la manière dont il examinera les affaires qui portent sur une demande de prorogation de délai. Dans Torres 526, les plaignants avaient déposé leur plainte six mois après l’expiration du délai prescrit :

[19] Le Conseil ne dispensera pas systématiquement une partie de l’obligation de respecter le délai de 90 jours prévu pour déposer une plainte de pratique déloyale de travail. Le législateur a toujours souligné l’importance du fait que le Conseil devait être saisi sans délai des questions de relations de travail. Les éventuelles parties intimées ont le droit de savoir si elles doivent conserver les éléments de preuve et, par ailleurs, se préparer en vue d’une plainte déposée en vertu du Code.

[20] Il peut sembler inéquitable que des profanes aient à agir rapidement pour déposer des plaintes liées aux relations de travail, mais le paragraphe 97(2) s’applique pareillement aux syndicats et aux employeurs.

[21] Le Conseil n’exercera pas son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 16m.1) de manière à rendre illusoire l’intention du législateur d’obliger les parties à déposer promptement leurs plaintes liées aux relations de travail.

[22] Néanmoins, le Conseil examinera la possibilité de proroger les délais dans des circonstances impérieuses, tel le cas où la santé d’un plaignant l’aurait empêché de déposer sa plainte en temps opportun (voir Galarneau, 2003 CCRI 239). En général, le Conseil examinera la longueur du délai ainsi que sa justification.

[24] Dans l’arrêt Eduardo Buenaventura Jr. et autres c. Telecommunications Workers Union (TWU) et autres, 2012 CAF 69, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du Conseil de ne pas proroger le délai dans l’affaire Torres 526 :

[44] Le Conseil a aussi examiné explicitement l’importance du retard (9 mois) et sa cause. Il est arrivé à la conclusion que la cause principale était une croyance sincère mais erronée des plaignants selon laquelle le Conseil préférerait une seule plainte présentée par plusieurs plaignants et déposée en retard à une multitude de plaintes individuelles déposées à temps. Toutefois, le Conseil a noté qu’il avait suffisamment de moyens de procédure pour traiter un grand nombre de plaintes.

[45] Les plaignants ne laissent pas entendre que le Conseil a mal compris la cause du retard. Toutefois, ils soutiennent qu’il était déraisonnable pour le Conseil de ne pas accorder une attention spéciale au fait que les plaignants n’ont pas eu d’avocat pour la majeure partie de cette période de neuf mois. Ils soulignent que leur inexpérience relative entraînait des obstacles difficiles à surmonter, aussi bien pour rassembler les renseignements qui, croyaient-ils, auraient été nécessaires à étayer leur plainte que pour évaluer les procédures du Conseil et les voies par lesquelles une multitude de plaintes pouvait être gérée efficacement.

[46] Une décision est raisonnable si elle est suffisamment justifiée et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est ce qui ressort de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. À mon avis, le dossier ne dévoile pas que la décision du Conseil, c’est-à-dire de ne pas proroger le délai en l’espèce, était déraisonnable.

[47] Il est vrai que le Conseil n’a pas fait preuve de compassion relativement aux difficultés que devaient résoudre les plaignants alors qu’ils faisaient face à une situation qui leur était peu familière et qu’ils voulaient faire en sorte que leur plainte, une fois présentée, puisse être traitée efficacement. Toutefois, ces conditions difficiles ne donnaient aux plaignants aucun droit juridique leur permettant d’obtenir que le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. À mon avis, la décision du Conseil de refuser la prorogation de délai appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, et était donc raisonnable. J’estime que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[25] Comme il a été souligné dans la décision Torres 526, outre le fait que le Code prévoit un délai pour le dépôt d’une plainte, les parties adverses devraient être en mesure de savoir si elles doivent conserver leurs éléments de preuve et se préparer en vue d’une procédure possible en matière de relations du travail. Une fois le délai de 90 jours écoulé, elles devraient pouvoir supposer que l’affaire est terminée.

[26] Il serait préjudiciable aux saines relations du travail, lorsque les ressources sont limitées, si les syndicats et les employeurs devaient continuer à se préparer pour des affaires, comme la plainte de manquement au DRJ de M. Kerr, qui pourraient couramment être déposées 19 mois après l’expiration du délai prévu par le Code.

[27] Selon le Conseil, une telle incertitude ne faisait pas partie de l’intention du législateur lorsqu’il a imposé un délai de 90 jours dans le Code. Le Conseil exercera son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 16m.1) du Code dans des cas appropriés, comme cela a été souligné dans la décision Torres 526, mais ce pouvoir ne sera pas automatiquement exercé sur simple demande.

[28] En l’espèce, le Conseil n’est pas l’instance habilitée à accorder un redressement à l’égard de la question soulevée par M. Kerr au sujet des conseils qu’il a reçus relativement à la décision de l’arbitre Teplitsky. Le Conseil a plutôt eu à examiner la question de savoir s’il fallait accepter une plainte en matière de relations du travail qui a été déposée longtemps après l’expiration du délai prescrit par le Code, relativement à une affaire que les autres parties avaient le droit de considérer comme terminée.

[29] Compte tenu de l’importance du délai écoulé, même en acceptant la version des faits la plus favorable pour M. Kerr, le Conseil n’a pas été convaincu qu’il y a lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 16m.1) du Code. Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de M. Kerr.

[30] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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