Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Alliance de la Fonction publique du Canada,

plaignante,

et


Hameau de Kugaaruk,

intimé.

Dossier du Conseil : 28273-C

Référence neutre : 2010 CCRI 554

Le 1er décembre 2010

Un banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. André Lecavalier et John Bowman, Membres, a examiné la plainte susmentionnée.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut rendre sa décision sans tenir d’audience. Le Conseil prend également note qu’aucune des parties à la présente affaire n’a demandé la tenue d’une audience. Ayant pris connaissance des observations des parties, le Conseil est convaincu que les documents dont il dispose lui suffisent pour trancher l’affaire sans tenir d’audience.

Représentants des parties inscrits au dossier
Mme Heather Longstaff, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada;
Me Paul N.K. Smith, pour le Hameau de Kugaaruk.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par M. John Bowman, Membre.

I – Nature de la plainte

[1] Le 20 juillet 2010, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC ou le syndicat), a déposé une plainte au Conseil dans laquelle elle alléguait que le Hameau de Kugaaruk (le Hameau ou l’employeur) avait enfreint le paragraphe 24(4) du Code lorsqu’il avait modifié les conditions d’emploi de ses employés alors que le Conseil était saisi d’une demande d’accréditation du syndicat. Le syndicat alléguait également que l’employeur avait enfreint l’alinéa 50b) du Code, parce que les nouvelles conditions d’emploi sont restées en vigueur après l’accréditation du syndicat et la signification de l’avis de négociation à l’employeur.

II–Contexte et faits

[2] Les faits pertinents dans la présente affaire ne sont pas contestés. Le 31 août 2009, le syndicat a présenté au Conseil une demande d’accréditation pour représenter une unité d’employés du Hameau. Le syndicat a aussi déposé une plainte de pratique déloyale de travail à la suite d’une lettre envoyée aux employés, laquelle plainte a été accueillie dans Hameau de Kugaaruk, 2010 CCRI 502.

[3] Le 8 janvier 2010, l’employeur a transmis un avis à tous ses employés dans lequel il leur faisait part d’un certain nombre de changements qui avaient été apportés à la suite d’une séance du conseil du Hameau tenue la soirée précédente. L’avis mentionnait que des modifications au règlement en matière de travail avaient été adoptées et que les employés devraient parler à leur superviseur au sujet de ces changements. Le règlement en matière de travail énonce les conditions d’emploi des employés du Hameau.

[4] Le 12 mars 2010, le Conseil a accrédité le syndicat pour représenter une unité de négociation décrite comme suit :

tous les employés à temps plein, à temps partiel et saisonniers à l’emploi de Hameau de Kugaaruk, Kugaaruk (Nunavut), à l’exclusion de l’agent administratif principal, de l’adjoint de l’agent administratif principal (chef de bureau), du directeur des finances et des employés occasionnels.

[5] Le syndicat a signifié à l’employeur un avis de négociation le 23 mars 2010. En mai 2010, un représentant du syndicat s’est rendu à Kugaaruk pour rencontrer les membres de l’unité de négociation afin de préparer les négociations collectives. Le 11 mai 2010, les membres ont informé le représentant que l’employeur avait modifié certaines de leurs conditions d’emploi à la suite de l’adoption d’un nouveau règlement par le conseil du Hameau, le 7 janvier 2010. Les modifications comprenaient, entre autres, des conditions d’emploi moins avantageuses pour les membres de l’unité de négociation, notamment la prolongation de la période d’essai, tant pour les nouveaux employés que pour les employés mutés à un nouveau poste; une réduction de la prime d’heures supplémentaires et du nombre d’heures supplémentaires pouvant être réclamées, ainsi que le retrait d’une journée à la banque de congés annuels de certains employés. Le syndicat a rencontré un représentant de l’employeur le 11 mai 2010, lui a fait part de ses préoccupations quant aux modifications des conditions d’emploi et lui a demandé de rétablir les conditions d’emploi antérieures. Ce rétablissement n’ayant pas eu lieu, le syndicat a déposé sa plainte au Conseil.

III – Position des parties

A – Le syndicat

[6] Le syndicat soutient que l’employeur a modifié les conditions d’emploi alors que le Conseil était saisi d’une demande d’accréditation et qu’il a agi ainsi sans aviser ou consulter le syndicat. Le syndicat soutient de plus que la modification des conditions d’emploi constitue une violation du paragraphe 24(4) du Code, lequel prévoit une période de gel des conditions d’emploi à la suite de la présentation d’une demande d’accréditation, et que l’employeur n’a pas été capable de démontrer que les modifications qu’il a apportées étaient conformes à ses pratiques antérieures. Puisque les modifications aux conditions d’emploi ont été maintenues après l’accréditation du syndicat, celui-ci soutient aussi que l’employeur a enfreint l’alinéa 50b) du Code, soit la disposition prévoyant le gel qui s’applique lorsque l’avis de négociation a été signifié à l’employeur.

[7] À titre de redressement pour les prétendues violations du Code, le syndicat demande au Conseil de déclarer que l’employeur a enfreint le paragraphe 24(4) et l’alinéa 50b) du Code, d’ordonner que l’employeur avise les employés, par écrit, que les modifications apportées à leurs conditions d’emploi sont annulées, et d’ordonner que les employés soient indemnisés pour toute perte subie en raison des modifications apportées à leurs conditions d’emploi.

B – L’employeur

[8] L’employeur ne nie pas avoir apporté certaines modifications aux conditions d’emploi de ses employés en janvier 2010. Il déclare que le Hameau est un organisme constitué en personne morale régi par les dispositions de la Loi sur les hameaux, L.R.T.N.-O. (Nu.) 1988, c. H-1 (la Loi). Le Hameau n’a pas de pouvoir indépendant en matière de taxation et ses revenus proviennent du gouvernement du Nunavut, de la Société d’habitation du Nunavut ainsi que des divers frais qu’elle perçoit à la suite de la prestation de services. Aux termes de la Loi, tout déficit de fin d’exercice doit être supprimé par le Hameau avant la fin de l’exercice suivant.

[9] L’employeur fait observer qu’en décembre 2009, il est devenu évident que le Hameau était en situation de déficit. Dans un effort visant à réduire ses dépenses, il a été décidé d’apporter des modifications au règlement du Hameau en matière de travail, lesquelles ont été adoptées en janvier 2010. Toutes les modifications apportées visaient à réduire le déficit en diminuant les coûts de main-d'oeuvre.

[10] L’employeur prétend qu’en vertu du paragraphe 24(4) et de l’alinéa 50b) du Code, un employeur peut modifier les conditions d’emploi s’il peut démontrer que ses mesures s’inscrivaient dans le cours normal de ses activités, renvoyant au critère du « maintien du statu quo » (voir BHP Billiton Diamonds Inc., 2006 CCRI 353). L’employeur soutient que la révision à la baisse des conditions d’emploi s’expliquait simplement par son obligation de gérer sa situation financière de manière responsable et que, par conséquent, il satisfaisait au critère du « maintien du statu quo ». L’employeur a demandé au Conseil de rejeter la plainte.

IV – Analyse et décision

[11] Le syndicat soutient que l’employeur a enfreint le paragraphe 24(4) et l’alinéa 50b) du Code. Le paragraphe 24(4) se lit comme suit :

24.(4) Après notification de la demande d’accréditation, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires, ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité visée, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par le Conseil. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par le syndicat ou au rejet de celle-ci par le Conseil;

b) jusqu’à l’expiration des trente jours suivant l’accréditation du syndicat.

[12] L’alinéa 50b) du Code se lit ainsi :

50. Une fois l’avis de négociation collective donné aux termes de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

...

b) tant que les conditions des alinéas 89(1)a) à d) n’ont pas été remplies, l’employeur ne peut modifier ni les taux des salaires ni les autres conditions d’emploi, ni les droits ou avantages des employés de l’unité de négociation ou de l’agent négociateur, sans le consentement de ce dernier.

[13] Il n’est pas contesté que l’employeur a modifié les conditions de travail de ses employés alors que le Conseil était saisi d’une demande d’accréditation, et que ces modifications ont été maintenues après l’accréditation du syndicat et la signification d’un avis de négociation à l’employeur. Les parties ont reconnu qu’un employeur peut modifier les conditions d’emploi au cours de la période de gel prévue par la loi, dans la mesure où les modifications sont conformes aux pratiques courantes antérieures de l’employeur. La question dont le Conseil est saisi est de savoir si l’employeur, qui a reconnu avoir apporté des modifications aux conditions d’emploi pendant la période de gel prévue par la loi, a fourni une preuve suffisante pour démontrer que de tels changements répondaient au critère du « maintien du statu quo ».

[14] L’objet des dispositions sur le gel a été décrit dans diverses décisions du Conseil. Dans l’une des affaires citées par l’employeur, Purolator Courrier Ltée (1987), 71 di 189; et 87 CLLC 16,053 (CCRT no 653), l’objet du gel, prévu à cette époque à l’alinéa 148b) du Code (maintenant l’alinéa 50b)), était décrit comme suit :

La disposition sur le gel prévue à l’alinéa 148b) est principalement destinée à remplir deux buts. En premier lieu, elle vise à assurer qu’au début de la négociation collective l’employeur ne gêne pas, par ses actes, du moins aux yeux des employés, les tentatives que fait l’agent négociateur pour conclure une convention collective avec lui, en modifiant les conditions d’emploi plus qu’il ne le ferait normalement. Toute modification sortant de l’ordinaire serait considérée comme visant à montrer, d’une manière subtile ou autrement, le pouvoir de l’employeur, et, partant, la faiblesse du syndicat. En second lieu, la disposition en question vise à assurer aux deux parties, au début de la négociation collective, une base solide et connue, par opposition à une base instable, leur permettant de négocier effectivement une convention collective.

(pages 200-201; et 14,417-14,418)

[15] Dans BHP Billiton Diamonds Inc., précitée, le Conseil a déclaré ce qui suit en ce qui concerne les obligations de l’employeur pendant la période de gel prévue à l’alinéa 50b) :

[49] Essentiellement, un examen de la jurisprudence confirme que les dispositions du Code n’imposent pas un gel absolu de toutes les conditions d’emploi. Il prévoit plutôt un régime de maintien du statu quo qui permet à l’employeur de modifier les conditions d’emploi, sans le consentement du syndicat, si le changement est une pratique courante ou établie telle qu’elle constitue elle-même une condition d’emploi.

[16] Dans leurs observations présentées au Conseil, les parties ont soutenu que le Conseil devait conclure à l’existence d’un sentiment antisyndical avant de pouvoir conclure à une violation du paragraphe 24(4) du Code. Ce n’est pas le cas. Dans Crosbie Offshore Services Limited (1982), 51 di 120 (CCRT no 399), le Conseil a déclaré :

Les sentiments antisyndicaux ne constituent pas un facteur essentiel pour que le Conseil conclue à une violation des dispositions du Code sur les « gel » des conditions de travail.

« En l’espèce, il faut tenir compte du fait que les interdictions stipulées au paragraphe 124(4) et à l’alinéa 148(b) sont davantage orientées vers les objectifs à atteindre que sur le mobile d’action de l’employeur.

(Banque canadienne impériale de commerce, succursale du centre commercial North Hill et de Victoria Hills (1979), 34 di 651; [1979] 1 Can LRBR 266; et 80 CLLC 16,001, aux pages 669; 280; et 14,012) »

(page 126)

[17] Bien qu’une preuve de l’existence de sentiments antisyndicaux ne soit pas requise afin de démontrer une violation des dispositions du Code relatives au gel, le Conseil tiendra compte d’une preuve en ce sens lorsqu’il évaluera si les actions de l’employeur étaient conformes au critère du « maintien du statu quo ». Dans Québec Aviation Limitée (1985), 62 di 41 (CCRT no 522), le Conseil a déclaré ce qui suit :

Même si le principal critère utilisé par le Conseil est un qui est objectif, cela ne signifie pas qu’il ne tiendra pas compte d’une preuve selon laquelle un sentiment antisyndical était la vraie raison de la modification apportée. Si une telle preuve est fournie par le syndicat, à qui le fardeau de la preuve incombe lorsqu’il s’agit d’une plainte en vertu du paragraphe 124(4), le Conseil pourra alors être en mesure de conclure que le changement ne cadre plus avec la doctrine du « statu quo » ou du « business as before » en ce sens qu’il aura été motivé par d’autres considérations que celles reliées au cours normal des affaires de l’employeur. ...

(page 58)

[18] L’employeur soutient que les modifications qu’il a apportées aux conditions d’emploi étaient nécessaires afin qu’il puisse se conformer aux obligations que la Loi lui impose et que, par conséquent, de tels changements répondaient au critère du « maintien du statu quo » exigé par le Conseil pendant la période de gel. L’employeur n’a pas fourni de preuve démontrant qu’il avait revu à la baisse les conditions d’emploi par le passé ou qu’il avait déjà affiché un déficit lors des années antérieures. Il n’a pas non plus présenté de preuve indiquant que les conditions d’emploi du personnel ne faisant pas partie de l’unité de négociation avaient été revues à la baisse. L’employeur n’a pas consulté le syndicat avant de mettre en oeuvre les modifications et n’a pas demandé au Conseil la permission d’effectuer des changements aux conditions d’emploi, ce qu’il aurait pu faire en vertu du paragraphe 24(4) du Code. L’employeur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas opté pour l’une ou l’autre de ces solutions. Quoique le syndicat ait affirmé que la décision de l’employeur de modifier les conditions d’emploi était motivée par des sentiments antisyndicaux, il n’est pas nécessaire que le Conseil tire une telle conclusion pour juger qu’il y a eu violation des dispositions du Code relatives au gel. Les modifications aux conditions d’emploi qui ne sont pas compatibles avec le cours normal des activités de l’employeur constituent une violation des dispositions du Code relatives au gel, sans égard à ce qui a motivé ces modifications.

[19] Le Conseil conclut que l’employeur n’a pas démontré que la révision à la baisse des conditions d’emploi annoncée en janvier 2010 était compatible avec le cours normal des activités de l’employeur et qu’elle répondait, par conséquent, au critère du « maintien du statu quo » exigé par le Code. Le Conseil conclut donc que les modifications étaient contraires au paragraphe 24(4) du Code. Il n’est pas nécessaire que le Conseil tranche la question de savoir si les changements enfreignaient également l’alinéa 50b) du Code.

[20] À titre de redressement pour la violation, le Conseil ordonne :

  1. les changements apportés aux conditions d’emploi qui ont été annoncés en janvier 2010 sont annulés et les conditions d’emploi qui prévalaient antérieurement doivent être rétablies;
  2. l’employeur fournira une copie de la décision du Conseil à chacun des membres de l’unité de négociation;
  3. les employés de l’unité de négociation doivent être indemnisés pour toute perte occasionnée par la révision à la baisse des conditions d’emploi annoncée en janvier 2010. Le Conseil reste saisi de l’affaire, dans l’éventualité où des difficultés surviennent dans la détermination des montants devant être versés.

[21] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.