Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat canadien de la fonction publique, division du transport aérien, élément Air Canada,

plaignant,

et


Air Canada,

intimée.

Dossier du Conseil : 28180-C

Référence neutre : 2011 CCRI 599

Le 4 juillet 2011

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) et du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (le Code). Une audience relative à certaines objections préliminaires a été tenue par vidéoconférence le 3 février 2011, alors que le Conseil siégeait à Ottawa (Ontario) et les participants se trouvaient à Toronto (Ontario) et à Montréal (Québec).

Représentants des parties au dossier
Me James Robbins, pour le Syndicat canadien de la fonction publique, division du transport aérien, élément Air Canada;
Me Rachelle Henderson, pour Air Canada.

I – Nature de la plainte

[1] Le 4 juin 2010, le Syndicat canadien de la fonction publique, division du transport aérien, élément Air Canada (le SCFP) a déposé des plaintes contre Air Canada en vertu des parties I et II du Code. Le SCFP représente les agents de bord d’Air Canada.

[2] Les plaintes découlent du même ensemble de faits concernant le comité mixte d’orientation en matière de santé et de sécurité (le Comité d’orientation) des parties et la question de savoir si la décision d’Air Canada de remettre des lettres à certains membres du SCFP a enfreint le Code.

[3] Dans sa réponse du 22 juin 2010, Air Canada a soulevé trois objections préliminaires. Premièrement, Air Canada a soutenu que la plainte du SCFP fondée sur l’article 133 du Code n’avait pas respecté une condition préalable nécessaire (la plainte d’un employé auprès d’un supérieur hiérarchique) conformément à ce qu’exigerait, selon Air Canada, l’article 127.1 du Code.

[4] Deuxièmement, Air Canada a soutenu que le Conseil devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 16l.1) du Code de remettre à plus tard sa décision sur les plaintes pour que celles-ci soient déférées à l’arbitrage ou à un autre mode de règlement.

[5] Troisièmement, pour ce qui concerne la plainte alléguant violation de la partie I du Code, Air Canada a demandé au Conseil de rejeter la plainte en vertu du paragraphe 98(3) du Code, au motif qu’elle pouvait être tranchée par un arbitre en vertu de la convention collective des parties.

[6] Exceptionnellement, le Conseil a décidé d’entendre les arguments relatifs aux objections préliminaires, en particulier parce que le Conseil n’avait pas rendu antérieurement une décision qui examinait en profondeur la question de savoir si l’article 127.1 constituait une condition préalable au dépôt de plaintes en vertu de l’article 133.

[7] Le Conseil a proposé d’entendre les arguments le 17 septembre 2010, mais une des parties n’était pas disponible ce jour-là. L’audition de l’affaire a été reportée au 3 février 2011, où une vidéoconférence reliant les bureaux du Conseil à Toronto, Ottawa et Montréal a été tenue. Après une journée complète de présentation des arguments, le Conseil a pris les objections préliminaires en délibéré.

[8] Le Conseil a conclu que l’ajout de l’article 127.1 au Code en 2000 n’avait pas créé une condition préalable au dépôt par un employé d’une plainte en matière de représailles fondée sur l’article 133 du Code. Le Conseil n’a pas non plus été convaincu – malgré la participation actuelle des parties à un long processus de médiation-arbitrage détaillé – de remettre à plus tard sa décision sur les plaintes du SCFP fondées sur l’alinéa 16l.1) du Code.

[9] Toutefois, Air Canada a convaincu le Conseil que la plainte du SCFP alléguant violation de la partie I du Code pourrait être tranchée par un arbitre en vertu de la convention collective des parties. Cette plainte-là sera rejetée en vertu du paragraphe 98(3), pourvu qu’Air Canada confirme qu’elle accepte l’arbitrage de cette affaire sur le fond.

II – Contexte

[10] Air Canada et le SCFP ont été parties à de nombreux litiges au fil du temps concernant des questions de santé et sécurité au travail sous le régime de la partie II du Code. Ces litiges ont mis en cause divers organismes décisionnels, dont le Conseil et des agents de santé et sécurité (ASS), et ont donné lieu à des contrôles judiciaires par la Cour fédérale du Canada.

A – Air Canada, 2006 CCRI 358

[11] Dans Air Canada, 2006 CCRI 358 (Air Canada 358), le Conseil a notamment examiné la rémunération des agents de bord au titre du travail accompli pour le compte de comités de santé et sécurité en vertu du Code.

[12] Dans Air Canada 358, le Conseil a notamment déterminé la rémunération appropriée pour les agents de bord qui exécutent des fonctions sous le régime de la partie II. Le SCFP a déposé une demande de réexamen à l’égard de cette décision le 6 septembre 2006.

B – Air Canada, 2007 CCRI 394

[13] Dans Air Canada, 2007 CCRI 394 (Air Canada 394), un banc de réexamen a infirmé la décision Air Canada 358 et a conclu que la partie II du Code ne conférait pas au Conseil le pouvoir de statuer sur une question comme la rémunération appropriée au titre de l’exécution de fonctions sous le régime de la partie II. Les questions de ce genre ne sont pas de la compétence du Conseil en vertu de la partie II, qui se limite aux plaintes d’employés en matière de représailles.

[14] Dans Air Canada 394, le Conseil a décrit les limites des pouvoirs que lui confère la partie II du Code :

[59] La partie II du Code n’accorde pas de pouvoirs au Conseil en ce qui concerne l’administration ou l’application des dispositions régissant le fonctionnement des comités de santé et de sécurité. Son libellé actuel n’autorise pas le Conseil à statuer sur la myriade de différends ayant trait à l’administration ou au fonctionnement de ces comités, qui existent aussi bien dans des entreprises syndiquées que dans des entreprises non syndiquées. À titre d’exemple, la partie II ne permet pas au Conseil de déterminer l’étendue de la formation requise, le niveau de ressources ou le nombre d’heures pendant lesquelles les membres des comités doivent être libérés de leurs fonctions en vol, dans les centaines, voire les milliers de lieux de travail de compétence fédérale. Elle n’accorde pas non plus au Conseil le pouvoir de fixer le taux régulier de rémunération des employés qui siègent aux comités de santé et de sécurité.

[60] La seule compétence qui est accordée au Conseil sous le régime de la partie II du Code est celle d’instruire les plaintes alléguant que l’employeur a sévi contre un employé qui s’est prévalu des droits que lui accorde l’article 147 du Code, qui prévoit ceci :

« 147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

  1. soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;
  2. soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;
  3. soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer. »

[61] Le banc de révision ne juge pas convaincant l’argument selon lequel le Conseil est implicitement investi du pouvoir d’établir le taux régulier de rémunération, de manière à pouvoir déterminer si l’employeur a imposé une sanction pécuniaire en contravention d’une loi du Parlement. Demander au Conseil de fixer d’abord le taux de rémunération afin de déterminer si la rémunération payée par l’employeur concorde avec ce taux, c’est comme demander au magistrat qui préside une cour de contraventions routières de fixer d’abord la limite de vitesse afin de déterminer ensuite si le conducteur a transgressé cette limite. De la même manière que le magistrat peut seulement déterminer si la vitesse à laquelle roulait le conducteur concordait avec la limite de vitesse préétablie, le Conseil peut seulement déterminer si le taux réel de rémunération payé par l’employeur s’accorde avec le taux régulier de rémunération qui a déjà été établi – par les parties plutôt que par le Conseil. C’est seulement après que les parties auront établi le taux régulier de rémunération que le Conseil pourra déterminer si l’employeur a violé les dispositions de l’article 147.

C – Convention-cadre de médiation-arbitrage

[15] Le 12 décembre 2008, le SCFP a déposé auprès du Conseil une autre plainte alléguant violation de la partie II (dossier no 27225-C). À la demande des parties, le vice-président qui était saisi de l’affaire a agi comme médiateur relativement à la plainte pour tenter de trouver un autre mécanisme qui aiderait les parties à régler leurs différends de longue date quant à l’application de la partie II du Code.

[16] Les parties ont négocié une « Convention-cadre de médiation-arbitrage » (traduction) (la convention-cadre) en vertu de laquelle leurs divers différends ont été déférés à un médiateur-arbitre. Les parties ont nommé M. Michel Picher pour agir comme médiateur-arbitre.

[17] En vertu de la convention-cadre, le SCFP et Air Canada ont tous deux soumis des questions au médiateur-arbitre, notamment la question suivante proposée par Air Canada : « De qui relèvent les employés qui sont libérés en vertu du paragraphe 135.1(10)? » (traduction).

[18] Air Canada a notamment invoqué le processus de médiation-arbitrage en cours sous la présidence de M. Picher au soutien de ses trois objections préliminaires.

D – Médiation-arbitrage sous la présidence de M. Picher

[19] Ce processus de médiation-arbitrage est en cours. Les parties ont avisé le Conseil à l’audience que ce processus serait long et détaillé. Des audiences devaient se poursuivre en mars et en avril 2011.

[20] Le SCFP a également avisé le Conseil qu’il avait contesté la compétence de M. Picher à un certain moment au cours de l’instance et qu’il continuait à participer au processus de médiation-arbitrage sous toutes réserves.

[21] Selon Air Canada, l’arbitre Picher pouvait statuer sur les plaintes du SCFP fondées sur les parties I et II du Code. Le SCFP a soutenu que l’arbitre Picher n’était pas saisi des questions soulevées dans les plaintes et que, de toute manière, l’arbitre Picher n’avait pas compétence pour trancher ces questions.

III – Faits

[22] Le SCFP et Air Canada ont décrit différemment la situation qui avait donné lieu aux plaintes.

[23] Air Canada a remis des « lettres d’attentes » et des « lettres d’avertissement » à certains membres du SCFP qui sont membres du Comité d’orientation.

[24] Par exemple, le 30 mars 2010, Air Canada a envoyé la lettre d’avertissement suivante à certains employés à la suite d’événements qui s’étaient produits lors d’une réunion du Comité d’orientation :

Je crois comprendre que vous avez refusé de prendre part à une réunion du comité d’orientation la semaine dernière à Montréal parce que vous ne reconnaissiez pas la suppléante d’une représentante de l’employeur. J’ai examiné le procès-verbal que vous aviez rédigé, lequel énonce :

« La coprésidente représentant les employés déclare que nous ne sommes pas d’accord pour tenir la réunion avec Stacey aujourd’hui à titre de quatrième membre du CO représentant l’employeur. En outre, sa présence n’a pas été convenue. La coprésidente représentant les employés propose que la réunion soit tenue, sans Stacey, et tel que convenu à l’origine, puisqu’il y a beaucoup de travail à faire. La coprésidente suppléante représentant l’employeur refuse.

La coprésidente représentant les employés propose alors de reporter la réunion à une date ultérieure à laquelle tous les membres du comité pourront être présents. »

Julie, vous êtes tenue de participer aux réunions du comité d’orientation, peu importe que vous acceptiez ou non la présence de la suppléante d’un représentant de l’employeur, et vous n’aviez pas le droit d’empêcher la tenue de la réunion jeudi dernier. Vous êtes libre de déposer un grief ou d’exercer un autre recours plus tard, mais vous devez quand même exécuter les fonctions pour lesquelles vous êtes libérée et rémunérée. Il s’agit du principe essentiel selon lequel « le travail est accompli d’abord et les griefs sont déposés plus tard », et ce principe s’applique à tous les employés, y compris aux membres d’un comité de santé et sécurité.

Julie-Anne Lambert m’informe qu’elle ne pourra probablement pas assister à une réunion du CO deux jours de suite dans un avenir rapproché et qu’elle devra envoyer un remplaçant au moins un jour. Je crois comprendre que, plus tôt aujourd’hui, vous avez avisé Isabelle Jourdain dans un courriel que vous reporteriez la réunion du CO sous toutes réserves. Voilà la démarche qu’il convient d’adopter. Votre refus de convoquer une réunion du CO ou d’y participer parce que vous n’acceptez pas que la suppléante d’une représentante de l’employeur y participe entraînera l’imposition de mesures disciplinaires.

Veuillez agréer, …

(traduction)

[25] Le 19 avril 2010, Air Canada a transmis des lettres d’attentes à certains employés à la suite des événements survenus en avril 2010 en rapport avec le Comité d’orientation :

On m’informe que vous êtes disponible pour une réunion du Comité d’orientation les 26 et 27 avril, mais que la coprésidente représentant les employés refuse d’accepter cette réunion à moins qu’Air Canada remplace Julie Pelletier, qui a demandé un congé syndical.

On m’informe également que les 26 et 27 avril sont des dates convenues à l’origine pour cette réunion et que les représentants de l’employeur sont seulement disponibles à ces dates.

Veuillez prendre note qu’à titre de représentant des employés, vous n’avez pas le droit de refuser d’assister à une réunion du Comité d’orientation lorsque vous êtes disponible au seul motif que vous, Mme Paquet ou votre syndicat n’êtes pas d’accord avec l’interprétation que fait Air Canada des dispositions de l'EP de juin 2009 relatives aux remplacements.

En conséquence, vous devrez participer à la réunion du Comité d’orientation les 26 et 27 avril, sans quoi des mesures disciplinaires pourront être prises contre vous. Si vous avez des réserves quant à la convocation de la réunion du comité les 26 et 27 avril, vous pourrez déposer un grief plus tard.

Veuillez agréer, …

(traduction)

[26] Air Canada a soutenu qu’elle conservait un pouvoir de supervision à l’égard de ses employés, même lorsque ceux-ci étaient libérés pour accomplir des tâches pour le Comité d’orientation. Air Canada a soutenu qu’elle payait les employés pour accomplir ces tâches reliées à la partie II du Code et que ces fonctions devenaient leur affectation réelle. Selon Air Canada, le défaut d’assister à une réunion du Comité d’orientation peut entraîner l’imposition de mesures disciplinaires.

[27] Une des questions qu’Air Canada a soumises au médiateur-arbitre Picher est de savoir de qui relèvent les employés qui sont libérés afin de siéger au Comité d’orientation en vertu du paragraphe 135.1(10) du Code :

135.1(10) Les membres du comité peuvent consacrer, sur leurs heures de travail, le temps nécessaire :

  1. à l’exercice de leurs fonctions au comité, notamment pour assister aux réunions;
  2. aux fins de préparation et de déplacement, dans la mesure autorisée par les deux présidents.

[28] Air Canada a soutenu que l’arbitre Picher était déjà saisi de la question qui est au cœur de la plainte du SCFP, et qu’il disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer sa compétence en vertu de la convention-cadre.

[29] En outre, Air Canada a soutenu que le Conseil n’avait pas compétence en vertu de la partie II du Code pour interpréter et appliquer des dispositions comme le paragraphe 135.1(10), et elle s’est appuyée sur les observations faites par le Conseil au sujet de sa compétence en vertu de la partie II dans la décision Air Canada 394, précitée.

[30] La présente décision ne traite pas de la mesure dans laquelle le Conseil est compétent pour examiner le bien-fondé des plaintes du SCFP, mais se borne à statuer sur les objections préliminaires d’Air Canada.

[31] Le SCFP a soutenu que ses plaintes ne portaient pas sur la question de savoir de qui relevait un employé lorsqu’il était libéré avec solde pour accomplir des tâches pour le Comité d’orientation. Il a soutenu que sa principale préoccupation était plutôt de savoir si les représentants de l’employeur étaient plus nombreux que les représentants des employés au Comité d’orientation, étant donné le paragraphe 135.1(1) du Code :

135.1(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le comité d’orientation et le comité local sont composés d’au moins deux personnes. Au moins la moitié des membres doivent être des employés qui :

  1. d’une part, n’exercent pas de fonctions de direction;
  2. d’autre part, sous réserve des règlements pris en vertu du paragraphe 135.2(1), ont été choisis :
    1. soit par les employés s’ils ne sont pas représentés par un syndicat
    2. soit par le syndicat représentant les employés, en consultation avec les employés non représentés par un syndicat.

[32] Le SCFP a également soutenu que, puisque le Conseil avait l’obligation de statuer sur les plaintes en matière de représailles, il avait nécessairement compétence pour interpréter des dispositions comme le paragraphe 135.1(1).

[33] Selon le SCFP, le désaccord qu’il a eu avec Air Canada quant à la procédure à suivre aux termes de la partie II relativement au Comité d’orientation a mené à l’envoi de lettres disciplinaires. Le SCFP a également commenté une demande connexe de congé syndical sous le régime de la convention collective.

[34] Le SCFP a exprimé sa crainte qu’Air Canada n’oblige ses membres, sous peine de faire l’objet de mesures disciplinaires, à assister à des réunions du Comité d’orientation auxquels participeraient des nombres inégaux de représentants de l’employeur et de représentants des employés.

[35] Le SCFP a également soulevé une question concernant l’utilisation de son logo sur des documents produits par le Comité d’orientation.

[36] Dans sa réponse, Air Canada a nié que des divergences d’opinions au sujet de la procédure avaient mené à des mesures disciplinaires. Cependant, Air Canada a soutenu qu’elle avait le droit d’envoyer les lettres précitées à la suite des actes de certains employés membres du Comité d’orientation.

IV – Questions en litige

[37] Le Conseil doit se prononcer sur le bien-fondé des trois objections préliminaires soulevées par Air Canada :

  1. L’article 127.1 pose-t-il une condition préalable au dépôt d’une plainte alléguant violation de la partie II et fondée sur l’article 133?
  2. Le Conseil devrait-il remettre à plus tard sa décision sur les plaintes en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code?
  3. Le Conseil devrait-il rejeter la plainte de pratique déloyale de travail du SCFP fondée sur la partie I en vertu du paragraphe 98(3) du Code, au motif que l’affaire pourrait être tranchée par un arbitre nommé sous le régime de la convention collective des parties?

V – Dispositions législatives applicables

[38] Lors de leurs plaidoiries, les parties ont cité plus ou moins exhaustivement certaines dispositions de la partie II du Code. Par souci de commodité, les articles 127.1, 128, 129, 132 et 133, le paragraphe 145(1) et l’article 147 sont reproduits intégralement ci-dessous :

Article 127.1 :

PROCESSUS DE RÈGLEMENT INTERNE DES PLAINTES

127.1(1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie – à l’exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 –, l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

Tentative de règlement

(2) L’employé et son supérieur hiérarchique doivent tenter de régler la plainte à l’amiable dans les meilleurs délais.

Enquête

(3) En l’absence de règlement, la plainte peut être renvoyée à l’un des présidents du comité local ou au représentant par l’une ou l’autre des parties. Elle fait alors l’objet d’une enquête tenue conjointement, selon le cas :

a) par deux membres du comité local, l’un ayant été désigné par les employés – ou en leur nom – et l’autre par l’employeur;

b) par le représentant et une personne désignée par l’employeur.

Avis

(4) Les personnes chargées de l’enquête informent, par écrit et selon les modalités éventuellement prévues par règlement, l’employeur et l’employé des résultats de l’enquête.

Recommandations

(5) Les personnes chargées de l’enquête peuvent, quels que soient les résultats de celle-ci, recommander des mesures à prendre par l’employeur relativement à la situation faisant l’objet de la plainte.

Obligation de l’employeur

(6) Lorsque les personnes chargées de l’enquête concluent au bien-fondé de la plainte, l’employeur, dès qu’il en est informé, prend les mesures qui s’imposent pour remédier à la situation; il en avise au préalable et par écrit les personnes chargées de l’enquête, avec mention des délais prévus pour la mise à exécution de ces mesures.

Arrêt du travail

(7) Lorsque les personnes chargées de l’enquête concluent à l’existence de l’une ou l’autre des situations mentionnées au paragraphe 128(1), il incombe à l’employeur, dès qu’il en est informé par écrit, de faire cesser, jusqu’à ce que la situation ait été corrigée, l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose visée, le travail dans le lieu visé ou la tâche visée, selon le cas.

Renvoi à l’agent de santé et de sécurité

(8) La plainte fondée sur l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie peut être renvoyée par l’employeur ou l’employé à l’agent de santé et de sécurité dans les cas suivants :

a) l’employeur conteste les résultats de l’enquête;

b) l’employeur a omis de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation faisant l’objet de la plainte dans les délais prévus ou d’en informer les personnes chargées de l’enquête;

c) les personnes chargées de l’enquête ne s’entendent pas sur le bien-fondé de la plainte.

Enquête

(9) L’agent de santé et de sécurité saisi de la plainte fait enquête sur celle-ci ou charge un autre agent de santé et de sécurité de le faire à sa place.

Pouvoirs de l’agent de santé et de sécurité

(10) Au terme de l’enquête, l’agent de santé et de sécurité :

a) peut donner à l’employeur ou à l’employé toute instruction prévue au paragraphe 145(1);

b) peut, s’il l’estime opportun, recommander que l’employeur et l’employé règlent à l’amiable la situation faisant l’objet de la plainte;

c) s’il conclut à l’existence de l’une ou l’autre des situations mentionnées au paragraphe 128(1), donne des instructions en conformité avec le paragraphe 145(2).

Précision

(11) Il est entendu que les dispositions du présent article ne portent pas atteinte aux pouvoirs conférés à l’agent de santé et de sécurité sous le régime de l’article 145.

(c’est nous qui soulignons)

Article 128 :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

Exception

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

Navires et aéronefs

(3) L’employé se trouvant à bord d’un navire ou d’un aéronef en service avise sans délai le responsable du moyen de transport du danger en cause s’il a des motifs raisonnables de croire :

a) soit que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) soit qu’il est dangereux pour lui de travailler à bord;

c) soit que l’accomplissement d’une tâche à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

Le responsable doit aussitôt que possible, sans toutefois compromettre le fonctionnement du navire ou de l’aéronef, décider si l’employé peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question, de travailler dans ce lieu ou d’accomplir la tâche, et informer l’employé de sa décision.

Interdiction de refus

(4) L’employé qui, en application du paragraphe (3), est informé qu’il ne peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose, de travailler dans le lieu ou d’accomplir la tâche, ne peut, pendant que le navire ou l’aéronef où il travaille est en service, se prévaloir du droit de refus prévu au présent article.

Définition de « en service »

(5) Pour l’application des paragraphes (3) et (4), un navire ou un aéronef sont en service, respectivement :

a) entre le démarrage du quai d’un port canadien ou étranger et l’amarrage subséquent à un quai canadien;

b) entre le moment où il se déplace par ses propres moyens en vue de décoller d’un point donné, au Canada ou à l’étranger, et celui où il s’immobilise une fois arrivé à sa première destination canadienne.

Rapport à l’employeur

(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

Option de l’employé

(7) L’employé informe alors l’employeur, selon les modalités – de temps et autres – éventuellement prévues par règlement, de son intention de se prévaloir du présent article ou des dispositions d’une convention collective traitant du refus de travailler en cas de danger. Le choix de l’employé est, sauf accord à l’effet contraire avec l’employeur, irrévocable.

Mesures à prendre par l’employeur

(8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

Maintien du refus

(9) En l’absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l’employé, s’il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l’employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

Enquête

(10) Saisi du rapport, l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et, selon le cas :

a) d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b) du représentant;

c) lorsque ni l’une ni l’autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n’est disponible, d’au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l’employé.

Rapports multiples

(11) Lorsque plusieurs employés ont présenté à leur employeur des rapports au même effet, ils peuvent désigner l’un d’entre eux pour agir en leur nom dans le cadre de l’enquête.

Absence de l’employé

(12) L’employeur peut poursuivre son enquête en l’absence de l’employé lorsque ce dernier ou celui qui a été désigné au titre du paragraphe (11) décide de ne pas y assister.

Maintien du refus de travailler

(13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.

Notification des mesures prises

(14) L’employeur informe le comité local ou le représentant des mesures qu’il a prises dans le cadre du paragraphe (13).

(c’est nous qui soulignons)

Article 129 :

129.(1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

Rapports multiples

(2) Lorsque plusieurs employés maintiennent leur refus, ils peuvent désigner l’un d’entre eux pour agir en leur nom dans le cadre de l’enquête.

Absence de l’employé

(3) L’agent peut procéder à l’enquête en l’absence de toute personne mentionnée aux paragraphes (1) ou (2) qui décide de ne pas y assister.

Décision de l’agent

(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

Continuation du travail dans certains cas

(5) Avant la tenue de l’enquête et tant que l’agent n’a pas rendu sa décision, l’employeur peut exiger la présence de l’employé en un lieu sûr proche du lieu en cause ou affecter celui-ci à d’autres tâches convenables. Il ne peut toutefois affecter un autre employé au poste du premier que si les conditions suivantes sont réunies :

a) cet employé a les compétences voulues;

b) il a fait part à cet employé du refus de son prédécesseur et des motifs du refus;

c) il croit, pour des motifs raisonnables, que le remplacement ne constitue pas un danger pour cet employé.

Instructions de l’agent

(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

Appel

(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

(c’est nous qui soulignons)

Article 132 :

132.(1) Sans préjudice des droits conférés par l’article 128 et sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employée enceinte ou allaitant un enfant peut cesser d’exercer ses fonctions courantes si elle croit que la poursuite de tout ou partie de celles-ci peut, en raison de sa grossesse ou de l’allaitement, constituer un risque pour sa santé ou celle du foetus ou de l’enfant. Une fois qu’il est informé de la cessation, et avec le consentement de l’employée, l’employeur en informe le comité local ou le représentant.

Consultation d’un médecin

(2) L’employée doit, dans les meilleurs délais, faire établir l’existence du risque par le médecin – au sens de l’article 166 – de son choix.

Disposition non applicable

(3) Sans préjudice des droits prévus par les autres dispositions de la présente loi, les dispositions de toute convention collective ou de tout autre accord ou les conditions d’emploi applicables, l’employée ne peut plus se prévaloir du paragraphe (1) dès lors que le médecin en vient à une décision concernant l’existence ou l’absence du risque.

Réaffectation

(4) Pendant la période où l’employée se prévaut du paragraphe (1), l’employeur peut, en consultation avec l’employée, affecter celle-ci à un autre poste ne présentant pas le risque mentionné à ce paragraphe.

Statut de l’employée

(5) Qu’elle ait ou non été affectée à un autre poste, l’employée est, pendant cette période, réputée continuer à occuper son poste et à en exercer les fonctions, et continue de recevoir le salaire et de bénéficier des avantages qui y sont rattachés.

(c’est nous qui soulignons)

Article 133 :

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

Délai relatif à la plainte

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

Restriction

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

Exclusion de l’arbitrage

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

Fonctions et pouvoirs du Conseil

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

Charge de la preuve

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

(c’est nous qui soulignons)

Paragraphe145(1) :

145.(1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

(c’est nous qui soulignons)

Article 147 :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

(c’est nous qui soulignons)

VI – Analyse et décision

1 – L’article 127.1 pose-t-il une condition préalable au dépôt d’une plainte alléguant violation de la partie II et fondée sur l’article 133?

[39] Le Conseil résumera les principaux arguments qu’Air Canada et le SCFP ont avancés. Il exposera ensuite son analyse et sa décision.

[40] Lorsqu’il a apporté des modifications à la partie II du Code en 2000, le législateur a ajouté, au moyen de l’article 127.1, un processus décrit comme le « Processus de règlement interne des plaintes » (PRIP). Le PRIP exige que l’employé qui croit constater une violation de la partie II soulève en premier lieu la question avec son supérieur hiérarchique (paragraphe 127.1(1)).

[41] Le PRIP prévoit un processus d’enquête en plusieurs étapes conçu pour régler la question. Si la question n’est pas réglée, elle peut être renvoyée à un expert indépendant, l’ASS, pour que celui-ci rende une décision exécutoire (paragraphes 127.1(8) à (11)).

A – La position d’Air Canada

[42] Air Canada a soutenu que l’article 127.1 oblige l’employé, à titre de condition préalable, à soulever d’abord ses préoccupations relatives à des représailles auprès de son supérieur hiérarchique, étant donné le passage suivant de l’article 127.1 : « Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie – à l’exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 –, l’employé ... doit adresser une plainte ... à son supérieur hiérarchique. »

[43] Les articles 128, 129 et 132 de la partie II du Code, cités ci-dessus, traitent de refus de travailler en cas de crainte de danger. L’article 133, qui traite des plaintes des employés, n’est pas expressément exclu de la portée de l’article 127.1.

[44] Air Canada a soutenu que, puisque le paragraphe 127.1(1) n’exclut expressément que les articles relatifs au droit de refus d’effectuer du travail dangereux, la plainte adressée à un supérieur hiérarchique constituait une condition préalable à l’exercice de tout autre « recours » par un employé. Selon Air Canada, l’expression « les recours » comprend le dépôt d’une plainte en matière de représailles en vertu de l’article 133 du Code. Des représailles peuvent résulter de l’exercice du droit de refus d’effectuer du travail dangereux ou du fait d’avoir soulevé d’autres préoccupations liées à la partie II, tel qu’énoncé aux articles 133 et 147 du Code.

[45] En bref, Air Canada a soutenu que les employés devaient toujours recourir d’abord au PRIP, sauf dans les cas de refus de travailler. Ce n’est qu’après avoir fait cela que les employés peuvent exercer les autres recours prévus à la partie II, comme la plainte en matière de représailles prévue par l’article 133.

[46] Au soutien de son interprétation de l’article 127.1, Air Canada a invoqué l’arrêt SCFP, Composante d’Air Canada c. Air Canada, 2009 CAF 356, dans lequel la Cour d’appel fédérale a admis la description suivante du PRIP :

[5] À notre avis, vu le dossier dont il était saisi, le juge Barnes a eu raison de conclure que :

le maintien au sol de l’avion avait permis à l’employeur de satisfaire à l’obligation que lui imposait le paragraphe 128(8) du Code de prendre sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger l’employé;

la plainte était donc fondée sur l’article 127.1 plutôt que sur l’article 128 du Code;

l’article 127.1 dispose que les contraventions alléguées au Code doivent être soumises au processus de règlement interne des plaintes avant que d’autres recours puissent être exercés et son libellé est impératif;

l’article 127.1 vise à permettre aux parties de tenter d’arriver à une solution mutuellement acceptable avant de solliciter une intervention extérieure, et à fournir à l’ASS un rapport d’enquête écrit ou, en cas de désaccord, deux rapports;

l’article 145 du Code est une disposition visant une mesure corrective qui n’est enclenchée que lorsqu’un ASS mène une enquête sous le régime d’une autre disposition du Code;

dans les cas où un employé présente une plainte suivant l’article 127.1 du Code, il faut que le processus de règlement interne des plaintes soit achevé avant que l’employé, ou le syndicat pour le compte de l’employé, puisse demander qu’un ASS mène une enquête;

la décision de Transports Canada de ne pas intervenir était fondée en droit.

B – La position du SCFP

[47] Le SCFP avait deux arguments subsidiaires.

[48] Tout d’abord, le SCFP a allégué que, même si l’interprétation de la partie II du Code que préconisait Air Canada était correcte, les questions en litige avaient clairement été soulevées auprès de supérieurs hiérarchiques d’Air Canada, comme l’exige l’article 127.1. Le SCFP a soutenu, ce qu’a contesté Air Canada, que cette question devrait être tranchée lors d’une audience, même si le Conseil admettait l’interprétation de l’article 127.1 avancée par Air Canada.

[49] Cependant, l’argument principal du SCFP posait comme postulat que l’article 127.1 ne constituait pas une condition préalable au dépôt par un employé d’une plainte en matière de représailles en vertu de l’article 133.

[50] Le SCFP a soutenu que l’article 133 du Code existait dans son libellé actuel avant l’ajout du PRIP à l’article 127.1. L’ajout de l’article 127.1 ne visait pas à obliger les employés à soulever les questions en matière de représailles tout d’abord auprès de leurs supérieurs hiérarchiques. L’article 133 lui-même prévoyait déjà les seules conditions préalables au dépôt d’une plainte valide en matière de représailles.

[51] Le SCFP a cité le paragraphe 133(3), qui oblige les employés qui ont exercé leur droit de refuser d’effectuer du travail dangereux, à titre de condition du dépôt d’une plainte en matière de représailles, à aviser leur employeur des circonstances entourant le refus de travailler fondé sur le paragraphe 128(6). En outre, le SCFP a noté que le paragraphe 133(2) établissait un délai de 90 jours pour déposer une plainte en matière de représailles, une deuxième condition préalable.

[52] Si le législateur avait voulu ajouter d’autres conditions préalables au dépôt d’une plainte fondée sur l’article 133, selon le SCFP, il aurait pu ajouter un renvoi à l’article 127.1.

[53] Le Conseil a demandé au SCFP pourquoi le législateur n’avait pas exclu expressément l’article 133 à l’article 127.1, étant donné qu’il avait clairement soustrait les articles 128, 129 et 132 à l’application de l’article 127.1.

[54] En réponse, le SCFP a attiré l’attention du Conseil sur la décision Erb Transport Ltd. and Vey, [2006] C.L.C.A.O.D. No. 12 (QL) (Erb Transport). Dans cette décision, un agent d’appel agissant sous le régime de la partie II du Code a expliqué la différence entre la compétence du Conseil et celle d’un ASS :

[43] La preuve montre aussi que la plainte de D. Vey en vertu du Code était directement liée à son congédiement, qu’il estimait résulter de son refus de travailler.

[44] L’article 133 du Code stipule clairement que si un employé soutient qu’un employeur a pris ou menace de prendre des mesures disciplinaires contre lui parce qu’il a exercé des droits que lui confère le Code, l’employé peut déposer une plainte par écrit au Conseil canadien des relations industrielles. En vertu de l’article 134 du Code, le Conseil détient le pouvoir exclusif de traiter des contraventions à l’article 147 du Code concernant les mesures disciplinaires. En outre, aucune disposition du Code n’accorde à un agent de santé et de sécurité le pouvoir de prendre une décision relativement à une plainte d’un employé qui soutient que des mesures disciplinaires ont été prises contre lui par suite d’un refus de travailler en vertu du Code.

(c’est nous qui soulignons)

[55] Dans Gilmore c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1995] A.C.F. no 1601 (QL) (Gilmore), bien qu’il s’agisse d’une décision antérieure aux modifications apportées à la partie II du Code en 2000, la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada a aussi commenté les rôles distincts du Conseil et de l’ASS :

(9) Le rôle du Conseil et celui de l’agent de sécurité sont bien différents. La seule exception prévue dans le Code concerne les questions mentionnées au paragraphe 129(5), soit les cas dans lesquels le Conseil peut réviser une décision de l’agent de sécurité. Selon l’article 134, le Conseil a compétence exclusive pour examiner les contraventions à l’alinéa 147a) du Code (mesures disciplinaires). La partie II du Code ne renferme aucune disposition autorisant l’agent de sécurité à accorder des réparations à l’égard des mesures disciplinaires prises par l’employeur par suite de l’exercice des droits de l’employé sous le régime de cette partie. Il appert du dossier que le requérant en l’espèce a déposé une plainte auprès du Conseil, mais que celui-ci l’a jugée prescrite en raison des dispositions du paragraphe 133(2) du Code. Le paragraphe 145(1) n’offre pas à l’employé un autre recours devant un agent de sécurité en pareil cas.

(c’est nous qui soulignons)

[56] Le Conseil note que les modifications apportées à la partie II en 2000 ont notamment aboli le pouvoir du Conseil, que la Cour avait mentionné en 1995 dans l’arrêt Gilmore, précité, de réviser les décisions des ASS.

[57] Le SCFP a souligné que, même après les modifications apportées à la partie II du Code en 2000, les compétences respectives des ASS et du Conseil sont demeurées nettement distinctes. Cette distinction explique, selon le SCFP, pourquoi il n’est pas nécessaire que l’article 127.1 exclue expressément l’article 133.

C – Analyse et décision

[58] Le libellé de l’article 127.1 n’exclut pas expressément la disposition de l’article 133 du Code relative aux représailles. Par conséquent, si une plainte en matière de représailles fondée sur l’article 133 du Code est considérée comme un « recours » visé à la partie II, Air Canada expose un argument singulier selon lequel l’obligation d’un employé d’adresser d’abord une plainte à son supérieur hiérarchique constitue une condition préalable au dépôt d’une plainte en matière de représailles.

[59] Cependant, le Conseil a conclu que l’article 127.1 ne vise pas expressément l’article 133 parce que cela n’est pas nécessaire. La portée de l’article 127.1, analysée dans le contexte de la partie II du Code prise dans son ensemble, se limite nécessairement aux questions qu’un ASS peut régler en dernier ressort. L’ASS joue un rôle actif lorsqu’il s’agit de décider s’il existe un danger et lorsqu’il est question de contraventions possibles à la partie II. Cependant, c’est le Conseil, et non l’ASS, qui a compétence exclusive à l’égard des plaintes en matière de représailles.

[60] Autrement dit, comme il a été noté dans Erb Transport et dans Gilmore, la partie II confère des rôles et des compétences distincts au Conseil et aux ASS. Le Conseil a récemment décrit les différences entre ces deux régimes distincts dans Rathgeber, 2010 CCRI 536 :

[20] Le Conseil avoue être perplexe – tout comme M. Rathgeber l’a été pendant la RGA – de voir que la présente affaire a résulté en une plainte fondée sur l’article 133 du Code. La partie II du Code établit des régimes distincts et impose à chaque décideur la responsabilité de répondre aux questions relatives à son domaine de compétence.

A – La compétence du Conseil

[21] Pour l’application de la partie II du Code, le Conseil est chargé de statuer sur les plaintes où il est allégué qu’un employeur a pris des mesures disciplinaires ou toute autre mesure contre un employé parce que ce dernier aurait exercé les droits que lui confère le Code.

[22] Ce régime est établi par les articles 133, 134 et 147 du Code. Ainsi, le Conseil doit décider si des représailles ont été exercées, à peu près de la même manière qu’il examine les plaintes de pratique déloyale de travail fondées sur la partie I du Code : ...

[23] Le libellé de l’article 147 et son titre, « Mesures disciplinaires », confirment les conditions qui donnent compétence au Conseil en la matière : l’employeur doit avoir exercé des représailles ou pris des mesures disciplinaires.

[24] Dans Tony Aker, 2009 CCRI 474, le Conseil a décrit sa compétence actuelle relativement à la partie II du Code et son application à deux questions distinctes. D’abord, le Conseil doit décider si des représailles ont été exercées parce que le plaignant avait exercé le droit de refuser de travailler en cas de danger que lui confère l’article 128 du Code. Pour ce cas précis en matière de représailles, le paragraphe 133(6) du Code crée une disposition relative à l’inversion du fardeau de la preuve.

[25] Ensuite, le Conseil examine aussi les allégations en matière de représailles fondées sur la partie II pour d’autres situations prévues à l’article 147 qui ne sont pas liées au refus de travailler en cas de danger. Toutefois, le fardeau de la preuve n’est pas inversé pour cette protection générale contre les représailles.

[26] Dans Air Canada, 2007 CCRI 394, le Conseil a statué sur une plainte relative au fonctionnement des comités de santé et de sécurité et a expliqué les limites de sa compétence en la matière :

« [59] La partie II du Code n’accorde pas de pouvoirs au Conseil en ce qui concerne l’administration ou l’application des dispositions régissant le fonctionnement des comités de santé et de sécurité. Son libellé actuel n’autorise pas le Conseil à statuer sur la myriade de différends ayant trait à l’administration ou au fonctionnement de ces comités, qui existent aussi bien dans des entreprises syndiquées que dans des entreprises non syndiquées. À titre d’exemple, la partie II ne permet pas au Conseil de déterminer l’étendue de la formation requise, le niveau de ressources ou le nombre d’heures pendant lesquelles les membres des comités doivent être libérés de leurs fonctions en vol, dans les centaines, voire les milliers de lieux de travail de compétence fédérale. Elle n’accorde pas non plus au Conseil le pouvoir de fixer le taux régulier de rémunération des employés qui siègent aux comités de santé et de sécurité.

[60] La seule compétence qui est accordée au Conseil sous le régime de la partie II du Code est celle d’instruire les plaintes alléguant que l’employeur a sévi contre un employé qui s’est prévalu des droits que lui accorde l’article 147 du Code...

(c’est nous qui soulignons) »

[27] Dans George Court, 2010 CCRI 498, le Conseil a comparé sa compétence à celle d’un agent de santé et de sécurité :

« [80] Dans Tony Aker, 2009 CCRI 474, le Conseil a examiné comment un seul incident pouvait donner lieu à des plaintes devant plusieurs instances. Cette décision concernait le congédiement d’un employé qui avait entraîné le dépôt d’une plainte pour représailles auprès du Conseil, d’une plainte de violation de la partie II du Code auprès d’un agent de santé et de sécurité et d’une plainte de congédiement injuste fondée sur la partie III du Code.

[81] La compétence du Conseil à l’égard de la partie II du Code se limite aux représailles (voir les articles 133 et 147). C’est à l’agent de santé et de sécurité que le Code confère le pouvoir général d’enquêter sur la violation des autres dispositions de la partie II du Code et le pouvoir de donner des instructions correctives (voir notamment l’article 127.1 et le paragraphe 145(1) du Code). »

[28] En l’espèce, comme les parties ont convenu qu’il n’y avait pas eu en matière de représailles ou de mesures disciplinaires, le Conseil ne peut pas accueillir la plainte de M. Rathgeber.

...

B – L’« autre » régime de la partie II

[31] La partie II du Code encourage les parties a régler elles-mêmes leurs différends en matière de sécurité. On a dit qu’il s’agit d’un « système de responsabilité interne ». Si un employé croit qu’il existe une « contravention », il doit d’abord aborder la question avec son superviseur. L’article 127.1 du Code prévoit la procédure de traitement par paliers : ...

[32] Si le processus interne ne permet pas de régler le problème, le paragraphe 127.1(8) prévoit que l’employé ou l’employeur peut renvoyer la plainte à l’agent de santé et de sécurité. C’est ce que M. Rathgeber a fait lorsqu’il a rempli le formulaire « Enregistrement de la plainte » de RHDCC et a allégué que le CN n’avait pas respecté l’article 135.1 du Code.

[33] Essentiellement, il faut distinguer les questions des représailles, qui relèvent de la compétence du CCRI, des questions d’observation, qui relèvent de l’agent de santé et de sécurité. Il existe une procédure d’appel pour les décisions de l’agent de santé et de sécurité (article 145.1 du Code), mais cela n’a rien à voir avec le CCRI.

[34] Le paragraphe 145(1) énonce certains des pouvoirs de l’agent de santé et de sécurité, y compris celui de donner des instructions lorsqu’il y a eu contravention à la partie II du Code :

« 145.(1) S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition. »

[35] Un agent de santé et sécurité peut examiner la plainte de M. Rathgeber, décider qu’il n’y a pas eu violation de l’article 135.1 du Code et, par conséquent, ne donner aucune instruction. Cependant, il s’agit d’une toute autre affaire que d’informer un plaignant comme M. Rathgeber que RHDCC n’a pas compétence pour examiner la plainte et lui dire qu’il doit s’adresser au CCRI.

[36] En résumé, ce sont les agents de santé et de sécurité qui traitent initialement les allégations de contravention à la partie II du Code. Le Conseil s’occupe seulement des représailles, et ce, dans le cadre du régime restreint établi par les articles 133 et 147 du Code. Comme on l’a vu dans Tony Aker, précitée, une affaire peut porter à la fois sur une question d’observation et sur une plainte en matière de représailles. Cependant, le Conseil n’a pas le pouvoir de surveiller les contraventions importantes aux dispositions de la partie II du Code. C’est à RHDCC qu’il incombe de décider s’il y a eu contravention.

[61] Le législateur a modifié la partie II du Code en 2000 en y ajoutant le PRIP, qui oblige l’employé à adresser d’abord à son supérieur hiérarchique sa plainte relative à une contravention alléguée à la partie II.

[62] Cependant, l’article 127.1 traite de contraventions à la partie II du Code que l’ASS peut corriger en vertu du paragraphe 145(1). L’article 133 du Code traite des représailles. Le Conseil est d’avis que ces deux régimes demeurent distincts. L’expression « les recours » employée à l’article 127.1 s’entend des recours qui relèvent de la compétence de l’ASS à l’égard des contraventions à la partie II et d’allégations concernant des dangers sur le lieu de travail.

[63] La mention expresse des articles 128, 129 et 132 à l’article 127.1 est nécessaire parce que ces dispositions relatives aux refus de travailler se chevauchent. Par exemple, le paragraphe 127.1(7) vise les refus de travailler en cas de danger. Le paragraphe 127.1(10) mentionne le pouvoir d’un ASS de corriger une situation dangereuse.

[64] La possibilité pour un employé de refuser de travailler en cas de danger serait retardée si l’employé devait se conformer au processus prévu à l’article 127.1, notamment pour faire venir un agent de sécurité en vertu du paragraphe 127.1(8), seulement pour devoir reprendre le processus en vertu de l’article 128. Il se pourrait également que les parties doivent faire appel, une deuxième fois, aux services d’un ASS (article 129) relativement au même problème concernant le lieu de travail.

[65] La mention expresse des articles 128, 129 et 132 évite à l’employé de devoir suivre une procédure redondante en cas de refus de travailler. La mention des « recours » à l’article 127.1 vise donc seulement les situations qui relèvent de la compétence de l’ASS.

[66] Le Conseil est convaincu qu’imposer l’obligation de suivre d’abord le PRIP, malgré qu’un ASS n’ait absolument aucune compétence en matière de représailles, est contraire à l’intention claire du législateur de voir les questions de santé et sécurité visées par le Code être réglées rapidement. Le paragraphe 133(2) du Code a fixé un délai de 90 jours pour déposer les plaintes en matière de représailles, étant donné le besoin de rapidité.

[67] En outre, le paragraphe 133(5) encourage le Conseil à aider les parties à régler les plaintes en matière de représailles. Cette obligation serait superflue, ou à tout le moins redondante, si le processus de l’article 127.1 avait déjà été suivi. Le législateur a-t-il réellement voulu, par l’ajout de l’article 127.1, qu’un ASS, puis le Conseil, tentent de régler les plaintes en matière de représailles, même si l’ASS n’a aucune compétence en matière de représailles?

[68] Le Conseil est du même avis que le SCFP : les seules restrictions relatives aux plaintes en matière de représailles figurent à l’article 133 lui-même. Le paragraphe 133(2) prévoit un délai de 90 jours. Le paragraphe 133(3) exige que l’employé respecte l’exigence en matière d’avis énoncée au paragraphe 128(6).

[69] Si l’interprétation du Conseil est erronée, alors le PRIP de l’article 127.1 semble obliger l’employé, qui a pu être congédié en guise de représailles pour avoir exercé ses droits prévus à la partie II du Code, à retourner d’abord sur le lieu de travail pour adresser une plainte à son supérieur hiérarchique. Cette obligation de retourner au lieu de travail et de suivre un processus interne, bien qu’elle ne soit pas déterminante, semble avoir peu de sens au plan des relations industrielles, surtout dans le contexte d’un congédiement.

[70] Bien qu’Air Canada ait prétendu qu’un employé n’aurait qu’à entamer le processus prévu à l’article 127.1, mais ne serait pas tenu de le mener à terme, avant de déposer une plainte en vertu de l’article 133, le Conseil préfère l’interprétation selon laquelle le régime de conformité qu’administre l’ASS et le régime relatif aux représailles qu’administre le Conseil sont distincts. Les exigences procédurales du premier régime n’ont jamais visé à retarder le fonctionnement efficace du deuxième.

[71] En somme, le PRIP établi par l’article 127.1 s’applique au régime de conformité que les parties, les comités de santé et de sécurité, les ASS et d’autres administrent en vertu du Code. Le PRIP n’a aucune incidence sur le régime distinct en matière de représailles dont le Code a confié l’administration exclusive au Conseil.

[72] En conséquence, le Conseil rejette l’argument d’Air Canada selon lequel un plaignant doit présenter une plainte en vertu de l’article 127.1 avant de pouvoir déposer une plainte en matière de représailles en vertu de l’article 133 du Code.

2 – Le Conseil devrait-il remettre à plus tard sa décision sur les plaintes en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code?

[73] Lorsqu’il a modifié le Code en 1999, le législateur a conféré au Conseil, au moyen de l’alinéa 16l.1), le pouvoir discrétionnaire de reporter à plus tard sa décision sur toute question. Le Conseil peut renvoyer l’affaire au processus d’arbitrage des parties ou à « tout autre mode de règlement » :

L’alinéa 16l.1) est ainsi rédigé :

Pouvoirs et fonctions

...

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

(l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

A – La position d’Air Canada

[74] Air Canada a soutenu que les parties avaient soumis leurs différends en cours au sujet de la partie II du Code à l’arbitre Picher, notamment la question précitée concernant l’interprétation du paragraphe 135(10). De l’avis d’Air Canada, le règlement définitif de ces différends par un médiateur-arbitre aidera le Conseil, et celui-ci devrait donc reporter sa décision sur les plaintes.

[75] Air Canada a également rappelé au Conseil que le SCFP avait déposé un grief lié à une demande de congé syndical. Selon Air Canada, un arbitre nommé en vertu de la convention collective a compétence pour régler cette question, et les parties ont accordé un vaste pouvoir à l’arbitre Picher pour régler leurs différends en cours concernant la partie II du Code.

B – La position du SCFP

[76] Le SCFP a soutenu que le paragraphe 133(4) du Code faisait obstacle à ce qu’une plainte en matière de représailles soit déférée à l’arbitrage ou à un autre mode de règlement :

133.(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

[77] Le SCFP a soutenu qu’en vertu du Code, seul le Conseil était habilité à statuer sur les plaintes alléguant violation de la partie II; ces plaintes ne peuvent pas être déférées à l’arbitrage.

[78] Le SCFP a également soutenu que l’instance que préside M. Picher prendrait beaucoup de temps et qu’elle a été qualifiée au cours de la présente instance de « commission royale ».

[79] Le SCFP a prétendu que lorsque le Conseil renvoie une affaire en vertu de l’alinéa 16l.1), c’est pour qu’elle fasse l’objet d’une décision définitive ailleurs. Selon le SCFP, l’arbitre Picher n’a pas compétence pour statuer sur des plaintes en matière de représailles fondées sur la partie II du Code ni sur des plaintes de pratiques déloyales de travail fondées sur la partie I du Code.

C – Analyse et décision

[80] Le Conseil n’est pas convaincu qu’il peut ni qu’il doit reporter sa décision sur la plainte alléguant violation de la partie II en vertu de l’alinéa 16l.1). Pour ce qui concerne la plainte alléguant violation de la partie II, le Conseil est d’avis que le paragraphe 133(4) lui confère compétence exclusive pour régler l’affaire (voir Cahoon, 2010 CCRI 548).

[81] Seul un employé, ou la personne qu’il désigne – dans ce cas-ci, le SCFP – peuvent déposer une plainte en matière de représailles alléguant violation de la partie II et fondée sur le paragraphe 133(1). Une plainte en matière de représailles touche un employé personnellement. Il ne s’agit pas d’un recours général permettant de régler des différends relatifs à l’interprétation de la partie II entre un employeur et un syndicat accrédité.

[82] Les membres qui ont reçu des lettres ont désigné le SCFP pour que celui-ci présente des allégations en matière de représailles au Conseil. Ni les employés ni leur représentant, le SCFP, ne peuvent soumettre à l’arbitrage ces questions relatives à la partie II.

[83] Le Conseil admet que, bien que les parties aient conféré une vaste compétence à l’arbitre Picher dans l’espoir de régler ou de contenir leurs différends actuels en matière de santé et de sécurité au travail, le mandat de l’arbitre Picher ne concerne nullement les dispositions de la partie II ayant trait aux représailles. De toute manière, le Conseil a compétence exclusive à l’égard de ces questions.

[84] Le Conseil n’exercera pas le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 16l.1) afin de reporter à plus tard sa décision quant à la plainte alléguant violation de la partie II. Le Conseil statuera sur la plainte de pratique déloyale de travail (PDT) du SCFP fondée sur la partie I eu égard au paragraphe 98(3) du Code.

3 – Le Conseil devrait-il rejeter la plainte de pratique déloyale de travail du SCFP fondée sur la partie I en vertu du paragraphe 98(3) du Code, au motif que l'affaire pourrait être tranchée par un arbitre nommé sous le régime de la convention collective des parties?

[85] Le SCFP a déposé une plainte de PDT dans laquelle il alléguait notamment qu’Air Canada s’ingérait dans ses activités légitimes, en contravention de l’alinéa 94(1)a) du Code :

Pratiques déloyales

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci.

[86] Lorsque cela est opportun, le Conseil peut rejeter une plainte de PDT s’il est convaincu que le plaignant pourrait porter l’affaire devant un arbitre en vertu de la convention collective :

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[87] Le paragraphe 98(3) vise uniquement les « plaintes », par opposition à l’alinéa 16l.1) du Code, qui permet au Conseil de reporter à plus tard l’instruction de toute « question » qui relève de sa compétence. L’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 98(3) entraîne le rejet de la plainte, par opposition au simple report de son instruction.

A – La position d’Air Canada

[88] Air Canada a soutenu que la plainte de PDT fondée sur la partie I concernait des lettres qu’Air Canada avait envoyées à des membres de l’unité de négociation. Air Canada a cité la convention collective des parties, et en particulier son article 2.03 (clause relative à la discrimination) :

2.01 RECONNAISSANCE DU SYNDICAT : La Compagnie reconnaît que le Syndicat est l’unique agent négociateur du personnel de cabine d’Air Canada, conformément à l’acte d’accréditation émis par le Conseil canadien des relations du travail en vertu du Code canadien du Travail, sous réserve d’instructions contraires que pourrait émettre le Conseil.

2.02 Dans l’exécution des tâches normales du personnel de cabine, les dirigeants et les représentants syndicaux ne doivent pas être traités plus sévèrement que les autres membres du groupement négociateur.

2.03 Le personnel visé par la présente Convention ne peut faire l’objet de pressions, de contraintes ni de discrimination de la part de la Compagnie du fait de son appartenance au Syndicat ou de sa participation à des activités syndicales prévues par la loi.

(c’est nous qui soulignons)

[89] Air Canada a également cité l’article 21.04 de sa convention collective, qui traite des comités de santé et de sécurité :

21.04 COMITÉS - SANTÉ ET SÉCURITÉ : Le Syndicat et la Compagnie s’entendent pour promouvoir l’application de toute mesure nécessaire à la sécurité et à la santé du personnel, et pour créer des comités, en vertu du Code canadien du travail (partie II).

[90] L’article 13 de la convention collective des parties traite des griefs :

13.01 Aux fins de la présente Convention, le terme “réclamation” s’applique à toutes les divergences d’opinions concernant l’interprétation, l’application, l’administration ou la prétendue violation de la présente Convention.

[91] Air Canada a soutenu qu’un arbitre pouvait statuer sur tous les aspects de la plainte fondée sur la partie I du Code, et elle a invoqué les cinq facteurs exposés dans Wardair Canada Inc. (1988), 76 di 103; et 89 CLLC 16,009 (CCRT no 722) :

  1. l’existence d’une convention collective;
  2. une clause de la convention collective interdisant la discrimination antisyndicale;
  3. la possibilité de déposer un grief dans les cas de sentiment antisyndical;
  4. la probabilité qu’un grief se rende à l’arbitrage;
  5. la compétence de l’arbitre en termes de pouvoirs réparateurs.

B – La position du SCFP

[92] Le SCFP a soutenu que sa plainte de PDT fondée sur l’article 94 était indissociable de sa plainte fondée sur l’article 147. Ces questions concernent le sentiment antisyndical et l’ingérence. Il ne s’agit pas du genre de questions dont l’arbitre Picher est saisi dans le cadre du processus de médiation-arbitrage.

[93] Le SCFP a également soutenu que le concept d’ingérence pouvait s’étendre au-delà des employés de l’unité de négociation qui sont visés par la convention collective.

[94] Le SCFP a développé son argument au paragraphe 22 de sa réplique écrite datée du 2 juillet 2010 :

22. Les questions dans la présente affaire concernent l’ingérence d’Air Canada à l’égard du syndicat et de sa représentation d’employés relativement à des questions de santé et de sécurité en général, et non uniquement de la discrimination ou des ingérences à l’égard d’employés visés par la convention collective. Les représentants employés par le syndicat ne sont pas visés par la convention collective. Et les membres du personnel employé par le SCFP ne sont pas visés non plus par la Convention collective …

(traduction)

C – Analyse et décision

[95] Le Conseil est convaincu qu’il peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 98(3) pour amener les parties à soumettre la plainte de PDT fondée sur la partie I à l’arbitrage. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est conditionnel à ce qu’Air Canada accepte que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage, même si aucun grief n’a encore été présenté.

[96] Le Conseil entendra la plainte du SCFP alléguant violation de la partie II concernant des représailles. Cependant, il y a une différence fondamentale selon le Conseil entre une plainte en matière de représailles d’un employé alléguant violation de la partie II et un différend plus général touchant les relations du travail entre un employeur et un syndicat accrédité. Le Conseil entendra la plainte et décidera si des employés pris individuellement ont subi des représailles aux termes de la partie II lorsqu’ils ont reçu des lettres d’Air Canada. Ces employés ont droit à ce que le SCFP plaide leurs plaintes en matière de représailles à titre de représentant.

[97] Le paragraphe 133(4) du Code oblige le Conseil à statuer sur ces plaintes.

[98] Pour ce qui concerne la plainte de PDT alléguant violation de la partie I, le Conseil est convaincu que la convention collective des parties et le Code confèrent la compétence nécessaire à un arbitre. Cette compétence peut également englober les allégations de sentiment antisyndical relié aux lettres en litige et au congé syndical connexe sous le régime de la convention collective. Un grief a déjà été déposé au sujet de cette dernière question.

[99] Le raisonnement pratique exposé par le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail, dans Société canadienne des postes (1989), 76 di 212 (CCRT no 729), est applicable en l’espèce :

... Le Conseil, lorsqu’il applique les cinq critères énoncés dans Bell Canada, est presque obligé d’instruire toutes les plaintes de ce genre. Les membres du Conseil siégeant en l’espèce estiment pour leur part qu’il ne devrait pas en être ainsi. Nous croyons qu’il est peut-être temps pour le Conseil de repenser sa façon d’aborder le paragraphe 98(3) et d’accorder une plus grande priorité aux mécanismes privés de règlement des différends qui doivent obligatoirement être prévus par chaque convention collective aux termes du Code. Ce devrait être la façon de procéder, en particulier lorsque la relation entre les parties dure depuis longtemps, lorsque le litige découle d’activités courantes et lorsque aucune question importante d’intérêt public visée par le Code n’est en jeu.

[100] Les parties ne s’entendent pas quant à savoir si la portée de la convention collective est assez large pour viser des allégations d’ingérence. Le Conseil est convaincu que le Code, à l’alinéa 60(1)a.1), confère maintenant compétence à un arbitre pour examiner de telles allégations :

60.(1) L’arbitre ou le conseil d’arbitrage a les pouvoirs suivants :

...

(a.1) celui d’interpréter et d’appliquer les lois relatives à l’emploi et de rendre les ordonnances qu’elles prévoient, même dans les cas où elles entrent en conflit avec la convention collective.

[101] En conséquence, le Conseil est convaincu que la plainte de PDT du SCFP alléguant violation de la partie I, qui, sur le fond, diffère grandement d’une plainte en matière de représailles alléguant violation de la partie II, peut être réglée sous le régime de la convention collective et doit l’être.

VII – Conclusion

[102] Le Conseil s’est penché sur les trois objections préliminaires soulevées par Air Canada.

[103] Le Conseil n’a pas été convaincu que l’ajout du PRIP par l’article 127.1 visait à établir une condition préalable au dépôt de plaintes en matière de représailles en vertu de l’article 133. Le Conseil a une compétence distincte de celle des ASS. L’article 127.1 vise uniquement les affaires qui relèvent de la compétence de l’ASS.

[104] Air Canada n’a pas convaincu le Conseil de reporter à plus tard sa décision sur ces questions en vertu de l’alinéa 16l.1) du Code. Le paragraphe 133(4) du Code oblige le Conseil à statuer sur les plaintes en matière de représailles déposées par des employés. Ces plaintes ne peuvent pas être déférées à l’arbitrage. En outre, la convention-cadre ne confère pas compétence au médiateur-arbitre Picher pour statuer sur des plaintes en matière de représailles déposées en vertu de la partie II.

[105] Enfin, le Conseil admet l’objection préliminaire d’Air Canada selon laquelle un arbitre nommé en vertu de la convention collective des parties peut statuer sur la plainte de PDT du SCFP fondée sur la partie I. Les parties ont négocié une clause de non-discrimination, et le Conseil est convaincu qu’un arbitre disposerait de pouvoirs suffisants pour statuer sur ces différends entre les parties à la convention collective.

[106] La décision du Conseil d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 98(3) dépend de l’acceptation par Air Canada du renvoi de ces questions à l’arbitrage. Le Conseil a cru comprendre que telle était la position d’Air Canada dans l’hypothèse où le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 98(3) serait exercé en sa faveur, et ce, même si aucun grief n’avait encore été déposé.

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