Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Conseil canadien des Teamsters,
plaignant,
et

Federal Express Canada ltée,
intimée.

Dossier du Conseil : 27976-C
Référence neutre : 2010 CCRI 519
Le 1er juin 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. John Bowman et Patrick J. Heinke, Membres.

Procureurs inscrits au dossier

Me Stéphane Lacoste, pour le Conseil canadien des Teamsters;
Me Douglas G. Gilbert, pour Federal Express Canada ltée.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la plainte

[1] Le 25 février 2010, le Conseil a reçu une plainte de pratique déloyale de travail du Conseil canadien des Teamsters (les Teamsters), déposée au nom de M. Paul Simms.

[2] M. Simms alléguait que M. Terrance Sledge, un gestionnaire travaillant pour son employeur, Federal Express Canada ltée (Federal Express), avait menacé de le congédier s’il « parlait du syndicat » (traduction).

[3] Les Teamsters mènent en ce moment une campagne de syndicalisation des employés de Federal Express.

[4] Federal Express a présenté une réponse, dans laquelle elle relatait ce qui s’était produit durant l’emploi de M. Simms, en plus de décrire une série de rencontres entre M. Simms et M. Sledge.

[5] Les Teamsters n’ont pas présenté de réplique aux observations de Federal Express.

[6] Après examen des observations des parties, le Conseil est convaincu que Federal Express n’a pas enfreint le Code. La présente décision explique les motifs du Conseil.

II – Faits

[7] Voici les faits essentiels, tirés des observations des parties.

[8] M. Simms est messager chez Federal Express et travaille au 1450, chemin Caterpillar à Mississauga (Ontario). L’ensemble des faits présentés à l’appui de la plainte de M. Simms sont énoncés dans un document qu’il a signé le 23 février 2010 :

Le ou vers le 19 février 2010, je me suis senti intimidé par le fait qu’un gestionnaire, M. Terrance Sledge, m’a rencontré pour me harceler avec des questions. Il m’a aussi dit que je serais congédié si je parlais du syndicat.

(traduction)

[9] M. Simms a allégué que les faits exposés ci-dessus appuyaient une violation de certaines dispositions du paragraphe 94(3) du Code relatives aux pratiques déloyales de travail et a demandé deux mesures de redressement bien précises :

Je demande que le Conseil :

ORDONNE à FedEx Express Canada inc., et à quiconque agissant en son nom, de cesser ces violations de mes droits, ainsi que toute autre violation de mes droits;

ORDONNE à FedEx Express Canada inc., et à quiconque agissant en son nom, de détruire tous les documents liés à l’enquête sur mes activités...

(traduction)

[10] Le 26 février 2010, le Conseil a écrit aux parties, a joint une copie de la plainte pour Federal Express et a établi l’échéancier pour la présentation de la réponse de Federal Express, ainsi que de la réplique des Teamsters. Conformément à sa pratique, le Conseil a rappelé ce qui suit aux parties :

Veillez noter qu’en vertu de l’article 16.1 du Code, le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience.

(traduction)

[11] Le 12 mars 2010, Federal Express a présenté sa réponse.

[12] Dans sa réponse, Federal Express a décrit ses activités et l’emploi que M. Simms occupe. Celui-ci est un employé de Federal Express depuis décembre 1991.

[13] Federal Express a décrit de façon assez détaillée la raison pour laquelle M. Simms et M. Sledge ont eu des rencontres en février 2010. Ils se rencontraient afin de discuter de questions liées au service à la clientèle.

[14] Federal Express a décrit deux plaintes de clients, la première ayant eu lieu en décembre 2009, et la seconde le ou vers le 25 janvier 2010.

[15] Federal Express a réglé la première plainte en donnant de l’encadrement à M. Simms.

[16] La seconde plainte d’un client, qui contenait des allégations selon lesquelles M. Simms s’était montré impoli et peu serviable envers un client lorsque celui-ci avait demandé à obtenir du matériel d’envoi et des fournitures, a été traitée de manière plus officielle.

[17] Le 16 février 2010, M. Sledge a envoyé à M. Simms des questions par écrit relativement à la plainte du client. M. Simms a fourni ses réponses par écrit.

[18] M. Sledge a rencontré M. Simms le 17 février 2010 pour discuter de ces réponses.

[19] Le 19 février 2010, M. Sledge a rencontré M. Simms de nouveau pour lui poser des questions supplémentaires à propos de la plainte du client. M. Simms était apparemment agité lors de la rencontre, et a laissé entendre qu’il lui restait 16 colis à livrer. Federal Express a prétendu qu’il avait seulement six colis à livrer cette journée-là.

[20] À un moment donné, M. Simms est sorti de la rencontre avec M. Sledge et est allé voir le directeur de celui-ci, M. Lepage. Ce dernier a confirmé à M. Simms que M. Sledge avait le droit de le rencontrer, sans avoir à prendre d’arrangements spéciaux à l’avance.

[21] M. Simms est retourné au bureau de M. Sledge. À son retour, il a mentionné à M. Sledge que « les employés de Federal Express s’étaient syndiqués » (traduction). M. Sledge lui a répondu qu’il « n’était pas au courant de cela » (traduction).

[22] Lorsque M. Sledge a senti que M. Simms se montrait de plus en plus hostile, il a conclu qu’il n’y avait aucun intérêt à poursuivre la rencontre et a dit à M. Simms de terminer ses livraisons.

[23] M. Simms a quitté le bureau de M. Sledge, mais y est retourné peu de temps après en compagnie de M. Lepage. M. Simms prétendait qu’on lui avait dit de rentrer chez lui. M. Sledge a répété à M. Simms qu’il lui avait demandé de terminer ses livraisons, et non de rentrer chez lui.

[24] M. Simms a ensuite quitté le travail en mentionnant qu’il était malade. Il n’a pas fini le travail qu’il devait accomplir ce jour-là. M. Simms n’est pas retourné au travail par la suite, et a présenté une demande de prestations d’invalidité de courte durée.

[25] Federal Express a soutenu que M. Simms avait d’importants antécédents disciplinaires et que sa conduite envers M. Sledge découlait du fait qu’il savait que l’on pourrait lui imposer des mesures disciplinaires pour le deuxième incident concernant un client.

[26] Federal Express a prétendu que M. Sledge n’était pas au courant de l’association de M. Simms aux Teamsters, avant que M. Simms ne soulève lui-même ce point lors de la rencontre du 19 février 2010.

[27] Federal Express a laissé entendre que le redressement demandé par M. Simms, qui exigeait que Federal Express détruise tous les documents relatifs à l’enquête sur ses activités avec la clientèle, démontrait que M. Simms se servait de sa plainte de pratique déloyale de travail pour éviter d’avoir à faire face aux conséquences de sa conduite au travail.

[28] Le Conseil a confirmé, dans sa lettre envoyée aux parties le 12 avril 2010, qu’il comprenait que les Teamsters ne présenteraient pas de réplique à la réponse de Federal Express au nom de M. Simms. La plainte a par conséquent été assignée à un banc du Conseil pour décision.

III – Analyse et décision

i) Audiences

[29] L’article 16.1 du Code prévoit ce qui suit :

16.1 Le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience.

[30] Federal Express a initialement demandé la tenue d’une audience, en vertu de l’alinéa 10g) et de l’article 12 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles.

[31] Il n’existe pas de droit absolu à une audience dans le cadre d’une plainte de pratique déloyale de travail. Le Conseil a conclu que les observations des parties lui fournissaient suffisamment de renseignements pour trancher la présente affaire uniquement sur la foi des documents versés au dossier. Cette interprétation de l’article 16.1 a récemment été avalisée par la Cour d’appel fédérale :

[11] Il ressort de l’économie de la Loi et du Règlement que le Conseil se prononce en fonction des pièces versées au dossier, à moins qu’il ne décide de tenir une audience ou qu’il demande expressément des éléments de preuve complémentaires. Aucun précédent n’a été cité à la Cour pour appuyer la proposition que le Conseil ne peut pas agir ainsi ou que, pour considérer les pièces versées au dossier comme des éléments de preuve, le Conseil doit aviser les parties de son intention.

(NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, 2001 CAF 30)

[32] Bien que le Conseil examine toujours la question de savoir s’il doit tenir une audience, et qu’il a d’ailleurs prévu des audiences dans le cadre d’autres affaires en instance entre les Teamsters et Federal Express, la présente affaire n’en requiert pas.

ii) Le fardeau de la preuve

[33] Le Code, au paragraphe 98(4), contient une disposition prévoyant le renversement du fardeau de la preuve dans le cas de certaines plaintes de pratique déloyale de travail :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[34] Le Conseil a cité au paragraphe 8 ci-dessus tous les faits que M. Simms a présentés à l’appui de sa plainte de pratique déloyale de travail.

[35] Pour les besoins de la présente décision, le Conseil présumera que M. Simms a fourni suffisamment de renseignements pour imposer le fardeau de la preuve à Federal Express en vertu du paragraphe 98(4).

[36] M. Simms a allégué que Federal Express avait enfreint les sous-alinéas 94(3)a)(i) et (iii), ainsi que les alinéas 94(3)c), e), et f) :

94.(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant – ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir – , ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat,

...

(iii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie, ou peut le faire,

...

c) de suspendre ou congédier un employé, de lui imposer des sanctions pécuniaires ou autres, ou de prendre à son encontre d’autres mesures disciplinaires, parce qu’il a refusé de s’acquitter de tout ou partie des fonctions et responsabilités d’un autre employé qui participe à une grève ou est victime d’un lock-out non interdits par la présente partie;

...

e) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à un syndicat ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(i) de participer à une procédure prévue par la présente partie, à titre de témoin ou autrement,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de divulguer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie,

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie;

f) de suspendre ou congédier une personne qui travaille pour lui, de lui imposer des sanctions pécuniaires ou autres, ou de prendre à son encontre d’autres mesures disciplinaires, parce qu’elle a refusé d’accomplir un acte interdit par la présente partie.

[37] La plainte de M. Simms porte sur des menaces qu’aurait proférées M. Sledge relativement à des activités syndicales. Il ne semble pas que de quelconques mesures disciplinaires aient été prises à l’encontre de M. Simms depuis que celui-ci s’est absenté du travail pour cause de maladie avant la conclusion de l’enquête.

[38] En vertu de la disposition portant sur l’inversion du fardeau de la preuve au paragraphe 98(4), le Conseil se penche sur l’explication que l’employeur intimé donne de la situation. Le Conseil doit être convaincu que les mesures prises par l’employeur ne sont pas fondées sur un sentiment antisyndical. Le fardeau qui repose sur l’intimé en application du paragraphe 98(4) a été résumé comme suit au paragraphe 97 de l’affaire Denis Rousseau, 2007 CCRI 393 :

[97] ... l’employeur a le fardeau de réfuter, selon la prépondérance de la preuve, les allégations donnant ouverture à la plainte, à savoir qu’il était au courant des activités syndicales du plaignant et qu’il en a notamment tenu compte dans sa décision de mettre fin à l’emploi du plaignant.

[39] Le fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, reste inchangé; celui-ci ne devient pas plus lourd selon la gravité des questions soulevées. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, a récemment confirmé la norme de preuve en matière civile :

[49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[40] Dans la même veine, le fardeau incombe toujours à l’employeur intimé. Il n’est pas transféré au plaignant. Cependant, la preuve présentée par le plaignant est souvent cruciale pour permettre au Conseil d’examiner le contexte et de déterminer si l’employeur s’est acquitté de son fardeau.

[41] Il existe rarement une preuve directe de la présence d’un sentiment antisyndical. Le Conseil doit plutôt établir, en se fondant sur le contexte global, si le sentiment antisyndical a joué un rôle, aussi petit soit-il, dans les mesures prises par l’employeur.

[42] Federal Express a convaincu le Conseil que ce sont d’autres facteurs qui ont conduit M. Sledge à tenir des rencontres avec M. Simms.

[43] Deux plaintes de clients à propos du comportement de M. Simms avaient été portées à l’attention de Federal Express à la fin de 2009 et au début de 2010.

[44] Federal Express a réglé la première plainte en donnant de l’encadrement à M. Simms. Cependant, M. Sledge n’était pas prêt à faire la même chose après avoir reçu une deuxième plainte d’un client.

[45] Federal Express a expliqué comment elle avait enquêté sur la deuxième plainte. Elle a décrit la manière dont M. Simms s’était comporté alors que M. Sledge menait son enquête.

[46] La seule allégation que M. Simms a soulevée à l’appui de sa plainte est  qu’« il [M. Sledge] m’a aussi dit que je serais congédié si je parlais du syndicat » (traduction).

[47] Federal Express a nié qu’une telle menace ait été proférée. Il n’était pas contesté que M. Simms avait parlé des Teamsters à M. Sledge lors de la rencontre du 19 février 2010. Dans la même veine, il n’était pas contesté que M. Sledge avait mentionné qu’il n’en avait pas entendu parlé auparavant.

[48] Le Conseil est convaincu que Federal Express s’est acquitté de son fardeau de la preuve en expliquant les circonstances qui ont conduit M. Sledge à tenir des rencontres avec M. Simms. Les rencontres découlaient d’une deuxième plainte d’un client à propos de M. Simms.

[49] Aucune preuve n’a démontré que ces rencontres, que M. Simms a décrites comme étant intimidantes et harcelantes, avaient quoique ce soit à voir avec la campagne de syndicalisation des Teamsters. Aucune preuve n’a démontré que M. Sledge était au courant de la campagne de syndicalisation des Teamsters avant que M. Simms lui apprenne ce fait lors de leur dernière rencontre du 19 février 2010.

[50] Dans le cadre d’une plainte de pratique déloyale de travail, le Conseil ne se prononce pas sur la question de savoir si les plaintes des clients étaient fondées, ni sur celle de savoir si Federal Express aurait peut-être des raisons valables d’imposer des mesures disciplinaires.

[51] Le Conseil se concentre plutôt sur la question de savoir si les mesures prises par Federal Express étaient liées, en partie ou entièrement, à la campagne de syndicalisation des Teamsters. Les documents versés au dossier permettent au Conseil de tirer la conclusion que les actes posés par M. Sledge au nom de Federal Express découlaient de questions liées au service à la clientèle, qui n’avaient rien à voir avec la présente campagne de syndicalisation des Teamsters.

[52] Le Conseil rejette la plainte.

[53] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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