Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Hameau de Kugaaruk,
plaignant,
et
Alliance de la Fonction publique du Canada,
intimée.

Dossier du Conseil : 27909-C
Référence neutre : 2010 CCRI 511
Le 20 avril 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J  Clarke, Vice-président, et de MM. John Bowman et André Lecavalier, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Après avoir pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

Me Paul N. K. Smith, pour le Hameau de Kugaaruk;
Mme Heather Longstaff et Mme Shannon Blatt, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la plainte

[1] Le Hameau de Kugaaruk (le Hameau) a déposé une plainte de pratique déloyale de travail relativement à un courriel que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) avait fait parvenir à certains employés du Hameau à leur adresse électronique au travail.

[2] Selon le Hameau, ce courriel constituait une sollicitation de la part du syndicat pendant les heures de travail et contrevenait au Code.

[3] L’AFPC a soutenu que sa communication ne constituait pas une tentative d’amener les employés du Hameau à adhérer au syndicat.

[4] En l’espèce, le Conseil a conclu que le courriel de l’AFPC n’enfreignait pas le Code. Voici les motifs de cette conclusion.

II – Faits

[5] Le 31 août 2009, le Conseil a reçu une demande d’accréditation de l’AFPC visant une unité de négociation composée de tous les employés du Hameau.

[6] Le 18 novembre 2009, le Hameau a envoyé à ses employés une lettre (la lettre de novembre) dans laquelle il faisait des commentaires au sujet de la demande d’accréditation de l’AFPC. Le Conseil a décrit le contenu de la lettre de novembre dans Hameau de Kugaaruk, 2010 CCRI 502 (Kugaaruk 502) :

[7] Le ou vers le 18 novembre 2009, M. Tigvareark a acheminé une lettre à tous les employés du Hameau. Dans cette lettre, il laissait entendre que les employés du Hameau risquaient de perdre des avantages tirés de certaines pratiques de travail si l’AFPC était accréditée à titre d’agent négociateur :

« Selon nous, vous pourriez perdre les avantages suivants si vous adhérez au syndicat.
1. Les primes de Noël
2. Les dindes distribuées à Noël
3. Le magasinage en tout temps pendant les heures de travail
4. Les retards autorisés
5. Le risque de perdre des avances salariales
6. La possibilité d’être absent sans raison valable
7. Ne pas travailler, alors que vous êtes censés travailler après avoir poinçonné votre feuille de temps
8. Prendre une journée de congé sans préavis de deux semaines, comme lorsque vous désirez vous rendre en mer ou sur les terres
9. La possibilité de traiter directement avec la direction : vous allez devoir passer par votre représentant syndical

(traduction) »

[8] M. Tigvareark a aussi écrit dans sa lettre « qu’en adhérant au syndicat, vous pourriez obtenir un meilleur salaire, mais au prix de votre liberté, en plus de perdre peut-être d’autres avantages » (traduction).

[7] L’AFPC a appris l’existence de la lettre de novembre le 17 décembre 2009.

[8] Le 23 décembre 2009, l’AFPC a déposé une plainte de pratique déloyale de travail pour contester la lettre de novembre. Dans Kugaaruk 502, le Conseil a déclaré que la lettre du Hameau, malgré que ce dernier se soit rétracté dans une lettre subséquente qui contenait des excuses, constituait tout de même une pratique déloyale de travail.

[9] En réponse à la lettre de novembre, l’AFPC a fait parvenir aux employés du Hameau un courriel daté du 5 janvier 2010, lequel est contesté par l’employeur.

[10] Dans son courriel, l’AFPC a écrit ce qui suit :

La présente vise à vous informer que l’Alliance de la Fonction publique du Canada a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre le Hameau en réponse à la lettre envoyée à tous les employés dans laquelle le Hameau menaçait de vous retirer certains avantages si vous votiez en faveur du syndicat. Ce geste est illégal et nous poursuivons le Hameau en justice. Comme vous le savez, votre employeur s’est constamment opposé au syndicat et refuse que des employés occasionnels y adhèrent. Le processus a pris tellement de temps parce que votre employeur a eu recours aux services d’un avocat de Yellowknife qui tente de vous empêcher d’adhérer à un syndicat. Nous devrions connaître la décision sous peu. Je n’ai que les adresses électroniques de certains d’entre vous, alors veuillez communiquer ces renseignements aux autres employés. Je ferai parvenir une lettre pour aviser tous les employés des procédures dès que possible. Gardez espoir et soyez assurés que nous réussirons à atteindre notre but, soit d’obtenir une convention collective dans les plus brefs délais. C’est malheureux que votre employeur se soit opposé au syndicat tout au long du processus.

Je vous tiendrai au courant de la situation dès que j’en serai informé.
Merci de votre patience.

(traduction)

[11] Le 27 janvier 27 2010, le Hameau a déposé une plainte de pratique déloyale de travail auprès du Conseil, dans laquelle il allègue que l’AFPC a enfreint l’alinéa 95d) et l’article 96 du Code lorsqu’elle a fait parvenir son courriel aux employés du Hameau.

95. Il est interdit à tout syndicat et à quiconque agit pour son compte :

...

d) sans consentement de l’employeur, de tenter, sur le lieu de travail d’un employé et pendant les heures de travail de celui-ci, de l’amener à adhérer ou à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à un syndicat;

...

96. Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

[12] Le Hameau a soutenu que l’AFPC avait enfreint l’alinéa 95d) du Code en envoyant son courriel pendant les heures de travail, au moyen du système de courrier électronique du Hameau, sans avoir obtenu son consentement. Le Hameau a qualifié ce courriel de tentative d’amener les employés à adhérer à l’AFPC. Le Hameau a aussi prétendu que ces mêmes faits constituaient une violation de l’article 96 du Code.

[13] Le Hameau a demandé, entre autres choses, une déclaration selon laquelle l’AFPC avait enfreint le Code et d’autres mesures de redressement relativement aux communications futures de l’AFPC avec les employés.

[14] L’AFPC a soutenu que par son courriel, elle ne cherchait pas à « amener [les employés] à adhérer ou à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à un syndicat » au sens où ces termes sont employés à l’alinéa 95d) du Code.

[15] L’AFPC a rappelé au Conseil qu’elle avait déjà produit sa preuve concernant les cartes d’adhésion avec sa demande d’accréditation présentée le 31 août 2009. Le 12 mars 2010, pendant que la présente affaire était en cours, le Conseil a accrédité l’AFPC pour représenter une unité de négociation composée de tous les employés (ordonnance no 9824-U).

[16] L’AFPC a demandé au Conseil de donner des précisions, s’il y avait lieu, sur son droit de communiquer avec les employés au cours d’une campagne de syndicalisation au moyen du système de courrier électronique d’un employeur.

[17] L’AFPC a également contesté la thèse que le Hameau possède la qualité requise pour invoquer l’article 96 du Code.

[18] Le 17 février 2010, le Conseil a reçu la réplique du Hameau. Ce dernier a soutenu que le courriel constituait clairement une tentative d’amener les employés à adhérer à l’AFPC, puisque cette dernière y exprimait son désir de signer une convention collective, et émettait des commentaires sur les tentatives du Hameau d’exclure les employés occasionnels de l’unité de négociation proposée.

[19] Le Hameau a également prétendu que le représentant de l’AFPC est une personne (  quiconque ») pour l’application de l’article 96.

III – Analyse et décision

A) L’AFPC a-t-elle enfreint l’alinéa 95d) lorsqu’elle a communiqué avec les employés du Hameau au moyen de leurs adresses électroniques au travail?

[20] Dans Société Radio-Canada, 2003 CCRI 250, au paragraphe 65, le Conseil a résumé l’acte particulier qui est visé à l’alinéa 95d) :

[65] ... l’esprit de l’alinéa 95d), qui est censé s’appliquer dans une situation très précise, lorsqu’un syndicat ou une personne agissant pour son compte tentent de persuader un employé d’adhérer ou de s’abstenir ou de cesser d’adhérer à un syndicat. Il a pour but de faire en sorte que cela ne se fasse pas au lieu de travail pendant les heures de travail, d’une façon qui nuise au travail de l’employé. C’est ce qui se produit typiquement dans des circonstances où les dispositions d’accréditation ou de révocation de l’accréditation du Code motivent les gens qui tentent de persuader l’employé pendant les heures de travail, en nuisant au travail requis. Ces tentatives ont ordinairement pour but de persuader l’employé d’adhérer à un syndicat ou de cesser d’y adhérer, soit pour qu’un syndicat puisse obtenir son accréditation en vertu de l’article 28 du Code, soit pour que son accréditation soit révoquée en vertu de l’article 38. L’alinéa 95d) interdit la sollicitation pendant les heures de travail pour amener un employé à cesser d’adhérer à un syndicat ou à adhérer à un autre syndicat, et ce, d’une façon qui perturbe le travail. Si l’on analyse sa formulation, il est évident que le législateur n’envisageait pas la possibilité qu’un syndicat puisse tenter de persuader un employé de continuer d’y adhérer, car ce sont seulement les tentatives d’amener un employé à « adhérer ou à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à un syndicat » qui sont interdites.

[21] Malgré l’invitation que l’AFPC a lancée au Conseil de commenter la question de savoir si un syndicat peut utiliser le système de courrier électronique d’un employeur au cours de sa campagne de syndicalisation, le Conseil peut rendre une décision dans la présente affaire sur un point beaucoup plus précis.

[22] En août 2009, l’AFPC a présenté sa preuve d’adhésion pour appuyer sa demande d’accréditation.

[23] Dans Kugaaruk 502, le Conseil a conclu que la lettre de novembre du Hameau constituait une pratique déloyale de travail, même si ce dernier s’était par la suite rétracté dans une lettre en date du 8 janvier 2010, laquelle contenait des excuses.

[24] Le courriel de l’AFPC daté du 5 janvier 2010 constituait en l’espèce une réponse directe à la lettre de novembre du Hameau.

[25] Le Conseil est convaincu que le courriel de l’AFPC ne constituait pas une tentative d’amener les employés du Hameau à adhérer à l’AFPC. Tout d’abord, l’AFPC avait déjà présenté sa preuve d’adhésion en août 2009 pour appuyer sa demande d’accréditation.

[26] Tel qu’il est prévu à l’article 28 du Code, le Conseil examine habituellement l’appui des employés à la date de la présentation de la demande d’accréditation :

28. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a) il a été saisi par le syndicat d’une demande d’accréditation;

b) il a défini l’unité de négociation habile à négocier collectivement;

c) il est convaincu qu’à la date du dépôt de la demande, ou à celle qu’il estime indiquée, la majorité des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

(c’est nous qui soulignons)

[27] De plus, le courriel de l’AFPC était une réponse à la lettre de novembre du Hameau. Le Conseil constate qu’il y a une différence entre une lettre qui répond aux commentaires d’un employeur à propos des conséquences possibles de l’adhésion à un syndicat et une lettre qui sollicite l’adhésion à un syndicat.

[28] Pour ces motifs, le Conseil rejette la plainte du Hameau, qui alléguait que le courriel de l’AFPC enfreignait l’alinéa 95d) du Code.

B) L’AFPC a-t-elle enfreint l’article 96 lorsqu’elle a envoyé le courriel au moyen du système de courrier électronique du Hameau?

[29] Conformément au raisonnement ci-dessus, le Conseil est également d’avis que le courriel de l’AFPC n’a pas été envoyé, en violation de l’article 96, dans le but d’« obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat ». Au contraire, l’AFPC a simplement répondu à la lettre de novembre du Hameau, dans laquelle ce dernier prévenait les employés des changements qui pourraient être apportés à leurs conditions d’emploi s’ils choisissaient l’AFPC comme agent négociateur.

[30] Compte tenu de cette conclusion, le Conseil n’a pas à examiner les autres arguments des parties à savoir si le Hameau était habilité à invoquer l’article 96 dans sa plainte.

[31] Pour les motifs énoncés ci-dessus, la plainte déposée par le Hameau est rejetée.

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