Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Alliance de la Fonction publique du Canada,

plaignante,

et


Hameau de Kugaaruk,

intimé.

Dossier du Conseil : 27886-C
Référence neutre : 2010 CCRI 502
Le 17 mars 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. André Lecavalier et John Bowman, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) habilite le Conseil à trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience. Après avoir pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la plainte

[1] Le 23 décembre 2009, dans le cadre d’une procédure d’accréditation, le Conseil a reçu une plainte de pratique déloyale de travail de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) qui portait sur les communications du Hameau de Kugaaruk (le hameau) avec ses employés.

[2] L’AFPC a présenté une demande d’accréditation à l’égard d’une unité de négociation composée de la plupart des employés du hameau le 31 août 2009. Alors que le processus d’accréditation était en cours, le hameau a envoyé une lettre aux employés dans laquelle il leur faisait part de ses opinions concernant l’accréditation.

[3] L’AFPC a prétendu que la lettre adressée aux employés constituait une pratique de travail déloyale au sens du Code.

[4] Le hameau a subséquemment annulé sa lettre et a envoyé une deuxième lettre aux employés, laquelle comprenait des excuses. Les parties ont achevé la présentation de leurs observations écrites le 21 janvier 2010.

[5] Le Conseil a conclu que le hameau s’était livré à une pratique déloyale de travail et a rendu un avis déclaratoire.

II – Faits

[6] Le hameau a nommé M. Guido Tigvareark à titre d’administrateur principal par intérim (API), en attendant l’embauche d’un administrateur principal (AP).

[7] Le 18 novembre 2009 ou aux environs de cette date, M. Tigvareark a acheminé une lettre à tous les employés du hameau. Dans cette lettre, il laissait entendre que les employés du hameau risquaient de perdre des avantages tirés de certaines pratiques de travail si l’AFPC était accréditée à titre d’agent négociateur :

Selon nous, vous pourriez perdre les avantages suivants si vous adhérez au syndicat.
1. Les primes de Noël
2. Les dindes distribuées à Noël
3. Le magasinage en tout temps pendant les heures de travail
4. Les retards autorisés
5. Le risque de perdre des avances salariales
6. La possibilité d’être absent pour une journée sans raison valable.
7. Ne pas travailler, alors que vous êtes censés travailler après avoir poinçonné votre feuille de temps
8. Prendre une journée de congé sans préavis de deux semaines, comme lorsque vous voulez aller sur les terres ou en mer durant une journée.
9. La possibilité de traiter directement avec la direction : vous allez devoir passer par votre représentant syndical.

(traduction)

[8] M. Tigvareark a aussi écrit dans sa lettre « qu’en adhérant au syndicat, vous pourriez obtenir un meilleur salaire, mais au prix de votre liberté, en plus de perdre peut-être d’autres avantages » (traduction).

[9] L’AFPC a appris l’existence de la lettre de M. Tigvareark le 17 décembre 2009.

[10] L’AFPC était préoccupée par l’impact que la lettre pourrait avoir, dans l’éventualité où le Conseil ordonnerait la tenue d’un scrutin pour la demande d’accréditation qu’il avait présentée. Le Conseil a récemment accrédité l’AFPC pour représenter l’unité de négociation du hameau (no de dossier 27695-C).

[11] Le hameau n’a pas nié que l’API a envoyé une lettre à ses employés. Il a admis qu’il ne pouvait « effacer les conséquences malheureuses de l’envoi de la lettre » (traduction), mais que son nouvel AP, M. André Larabie, lui, a envoyé une lettre qui se lisait comme suit :

Vous avez récemment reçu une lettre de la part de notre AP par intérim, Guido Tigvareark, dans laquelle celui-ci soulignait certains avantages que vous pourriez perdre si vous décidiez de vous joindre au syndicat de l’Alliance de la fonction publique. Nous sommes désolés que cette lettre vous ait été envoyée. Il s’agissait d’une erreur, et une enquête interne est présentement en cours pour découvrir comment cela est arrivé, mais nous voulons que vous sachiez qu’aucun des commentaires dans la lettre n’est fondé.

Vous êtes libres de décider si vous désirez adhérer au syndicat et vous ne perdrez aucun des avantages répertoriés dans la lettre si vous le faites. Le hameau croit que ses employés sont les meilleurs, et nous vous sommes reconnaissants de votre apport à notre collectivité, mais nous comprenons également que la décision d’adhérer ou non au syndicat est une décision qui vous appartient.

Une fois de plus, nous nous excusons de l’envoi de la lettre du 16 novembre 2009, et nous espérons travailler ensemble en 2010, selon les principes des Inuit Qaujimajatuqangit, et plus particulièrement des Sanaqaligittiaqtuuk.

(traduction)

III – Analyse et décision

[12] L’AFPC a allégué que les actes du hameau dans la présente affaire enfreignaient l’alinéa 94(1)a), le sous-alinéa 94(3)a)(i) et l’article 96 du Code :

94.(1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci;

...

94.(3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant – ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir –, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat,

...

96. Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

[13] Dans sa réponse, l’AFPC a demandé au Conseil d’accorder l’accréditation automatique, en application de l’article 99.1 :

99.1 Le Conseil est autorisé à accorder l’accréditation même sans preuve de l’appui de la majorité des employés de l’unité si l’employeur a contrevenu à l’article 94 dans des circonstances telles que le Conseil est d’avis que, n’eût été la pratique déloyale ayant donné lieu à la contravention, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité des employés de l’unité.

[14] Le Code contient au paragraphe 98(4) une disposition prévoyant le renversement du fardeau de la preuve pour les plaintes invoquant le paragraphe 94(3) du Code :

98.(4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[15] De plus, le Code permet explicitement aux employeurs d’exprimer leur point de vue, pourvu qu’ils ne recourent pas à l’intimidation ou à d’autres menaces :

94.(2) Ne constitue pas une violation du paragraphe (1) le seul fait pour l’employeur :

...

c) soit d’exprimer son point de vue, pourvu qu’il n’ait pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace.

[16] Le Conseil est d’accord avec l’AFPC et le hameau quant au caractère inapproprié de la lettre aux employés du 18 novembre 2009. Bien que la lettre laissait entendre que les employés risquaient de perdre les avantages de certaines pratiques de travail existantes sans contenir de menaces de mises à pied ou de licenciement à l’endroit des employés, le hameau a néanmoins envoyé la lettre pendant une procédure initiale d’accréditation.

[17] Laisser entendre aux employés qu’ils risquent de perdre des privilèges de travail pourrait avoir une incidence grave sur l’exercice des droits fondamentaux de ceux-ci prévus à l’article 8 du Code :

8.(1) L’employé est libre d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites.

[18] Le paragraphe 94(2)c) accorde une certaine liberté d’expression à l’employeur, mais la lettre du 18 novembre 2009 va au-delà du seuil des communications acceptables envisagées par le Code.

[19] Le hameau ait fait une rétractation de sa lettre du 18 novembre 2009, mais celle-ci a eu lieu presque deux mois plus tard. Le Conseil prend acte des excuses écrites du hameau à ses employés, mais est d’accord avec la prétention de l’AFPC qu’il est impossible de faire marche arrière.

[20] Compte tenu de la présomption contenue au paragraphe 98(4), le hameau ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il n’a pas enfreint le Code lorsqu’il a envoyé sa lettre du 18 novembre 2009.

[21] L’AFPC a aussi convaincu le Conseil que la lettre du hameau du 18 novembre 2009 constituait une ingérence dans ses relations avec ses membres, particulièrement au cours d’une procédure d’accréditation. Cela constituait une violation de l’alinéa 94(1)a) du Code. Étant donné ces conclusions, le Conseil n’a pas besoin de se pencher sur les allégations de l’AFPC concernant la violation de l’article 96.

IV – Mesures de redressement

[22] Le Conseil a examiné la demande d’accréditation automatique présentée par l’AFPC. Cette demande est devenue sans objet lorsque le Conseil a récemment accrédité l’AFPC. Le Conseil n’a exercé ce pouvoir absolu d’accréditation, en dépit de l’absence de preuve au sujet de la volonté des employés, que dans Transx Ltd., 1999 CCRI 46 (Transx Ltd.).

[23] La lettre du hameau, bien qu’elle soit regrettable et qu’elle constitue une pratique déloyale de travail, ne présente pas le type de comportement répétitif que le Conseil a constaté dans Transx Ltd. Dans cette affaire, l’employeur avait contrevenu au Code et avait fait fi des ordonnances du Conseil.

[24] Le Conseil déclare que le hameau a contrevenu au Code et s’est livré à une pratique déloyale de travail en envoyant la lettre du 18 novembre 2009 à ses employés. À titre de redressement, le Conseil ordonne que le hameau :

  1. affiche l’avis ci-joint (annexe A) dans un endroit visible, où il attirera, selon toute vraisemblance, l’attention des employés;
  2. remette en personne une copie de la présente décision à tous ses employés;
  3. se garde de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses, ou d’user indûment de son influence relativement au droit fondamental de ses employés de participer aux activités licites d’un syndicat.

[25] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

Annexe A

Code canadien du travail

Avis aux employés

Affiché sur ordonnance du Conseil canadien des relations industrielles

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a ordonné au hameau de Kugaaruk (le hameau) d’afficher le présent avis et de se garder de recourir à la coercition, à l’intimidation, à la menace, de faire des promesses ou d’user indûment de son influence relativement au droit des employés d’adhérer ou non à un syndicat.

Le Conseil a conclu que la lettre envoyée par le hameau à ses employés le 18 novembre 2009 constituait une pratique déloyale de travail en vertu du Code canadien du travail (le Code). Tout employé est libre d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites. Les employés ont le droit de ne pas être victimes de discrimination ou de ne pas être pénalisés par un employeur du seul fait qu’ils cherchent à exercer leurs droits en vertu du Code.

L’alinéa 94(2)c) du Code permet à un employeur ou à une personne qui agit pour le compte d’un employeur d’exprimer un point de vue personnel sur un syndicat, pourvu que l’employeur n’ait pas recours à la coercition, à l’intimidation, à la menace, qu’il ne fasse aucune promesse et qu’il n’use pas indûment de son influence. Le Conseil a conclu que l’alinéa 94(2)c) ne protège pas le hameau relativement à sa lettre du 18 novembre 2009.

Le Conseil détient un vaste pouvoir de redressement pour remédier aux violations du Code.

Ceci est un avis officiel du Conseil qu’on ne doit ni enlever ni altérer.

Le présent avis doit resté affiché pendant une période consécutive de 60 jours ouvrables, dans un endroit bien en vue et fréquenté par les employés concernés du hameau.

Fait le 17 mars 2010.

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