Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Joan Milkson,

plaignante,

et


Fédération des musiciens du district Ottawa-Hull, section locale 180 de la Fédération des musiciens des États-Unis et du Canada,

intimée,

et


Centre national des Arts,

employeur.

Dossier du Conseil : 27698-C

Référence neutre : 2010 CCRI 500

Le 15 mars 2010

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. John Bowman et André Lecavalier, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) habilite le Conseil à trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente plainte sans tenir d’audience.

Procureurs inscrits aux dossiers
Me Julius H. Grey, pour la plaignante;
Me John Yach, pour l’intimée; et
Me Lynn H. Harnden, pour l’employeur.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la plainte

[1] Le 1er septembre 2009, le Conseil a reçu de Mme Joan Milkson (Mme Milkson) une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) alléguant violation de l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] La plainte de Mme Milkson porte sur les actes de son agent négociateur, la Fédération des musiciens du district Ottawa-Hull, section locale 180 de la Fédération des musiciens des États-Unis et du Canada (FMÉUC) et sur sa décision de ne pas présenter de griefs à l’égard de certaines questions concernant le non-renouvellement de son contrat par son employeur, le Centre national des Arts (CNA).

[3] Mme Milkson était un membre de la FMÉUC et une musicienne (violoniste) de l’Orchestre du Centre national des Arts (OCNA). Mme Milkson était en outre un membre fondateur de l’OCNA.

[4] En 1969, le Parlement a créé le CNA, qui est situé au centre-ville d’Ottawa. Le CNA est décrit comme le seul centre bilingue et multidisciplinaire des arts de la scène en Amérique du Nord.

[5] La convention collective entre le CNA et la FMÉUC contient des dispositions précises sur des questions artistiques qui peuvent se poser dans le cas d’un orchestre. Cette convention collective comprend une disposition type sur le congédiement pour motif valable qui protège l’emploi d’un musicien. La convention permet aussi au CNA de ne pas renouveler le contrat d’un musicien. Une procédure spéciale propre aux artistes s’applique à ce genre de congédiement.

[6] Après avoir analysé la plainte de Mme Milkson pour déterminer si elle établissait une preuve suffisante à première vue, le Conseil a demandé à la FMÉUC et au CNA de répondre, s’ils souhaitaient le faire. Le CNA l’a fait le 12 novembre 2009; la FMÉUC a donné une réponse détaillée le 13 novembre 2009.

[7] Étant donné la longue réponse de la FMÉUC, le Conseil a reçu, le 27 novembre 2009, une réplique détaillée du procureur de Mme Milkson, y compris des modifications à la plainte initiale.

[8] La FMÉUC a présenté des observations supplémentaires en réponse à la plainte modifiée, et le Conseil les a reçues le 14 décembre 2009. L’étape des actes de procédure a pris fin le 21 décembre 2009, lorsque le Conseil a reçu la dernière réplique de Mme Milkson.

[9] Bien que Mme Milkson ait demandé au Conseil de tenir une audience, le Conseil a décidé, pour les motifs donnés ci-après, qu’il y a assez de documents au dossier pour lui permettre de rendre sa décision.

[10] Les présents motifs expliqueront pourquoi le Conseil a décidé de rejeter la plainte de Mme Milkson.

II – Faits

[11] Les observations écrites des parties expliquent les protections procédurales que le CNA et la FMÉUC ont négociées dans leur convention collective pour traiter des questions artistiques qui peuvent être soulevées dans l’évaluation des musiciens d’un orchestre de renommée mondiale.

[12] L’article 4 de la convention collective s’intitule « Congédiement motivé et non-renouvellement du contrat ». Le CNA peut décider de ne pas renouveler le contrat d’un musicien, pourvu qu’il respecte certaines garanties. Par exemple, un préavis écrit (clause 4.02c)) est une condition préalable au non-renouvellement d’un contrat (appelé résiliation à l’article 4.02). Le musicien a le droit de rencontrer le directeur musical et d’autres personnes pour passer en revue les raisons précises à l’origine du préavis écrit.

[13] L’étape suivante est l’avis de résiliation prévu à la clause 4.02b). Le musicien peut faire examiner sa résiliation par un comité de congédiement composé principalement de pairs, ce qui garantit que justice est normalement rendue (clause 4.03a); l’article 4 traite aussi des changements apportés à la disposition des chaises occupées par les musiciens de l’OCNA.

[14] Voici les extraits pertinents de l’article 4 :

4.01 Congédiement motivé

À l’exception des dispositions de l’Article 4.02 ci-après (Non-renouvellement du contrat), aucun membre régulier ne peut être congédié, sauf pour motif valable.

4.02 Non-renouvellement du contrat

a) Les membres réguliers qui souhaitent mettre fin à leur contrat au terme de la saison doivent donner un préavis avant le 15 février. Au-delà de cette date, ils pourront donner un préavis, si le Centre et le directeur musical les autorisent. Dans les deux cas, ce préavis devra être expédié par écrit et un exemplaire devra être envoyé au bureau de la Guilde.

b) Si le Centre souhaite la résiliation d’un membre permanent, cette résiliation ne sera possible qu’en envoyant un préavis écrit dans les quinze (15) derniers jours de la saison, la résiliation prenant effet au terme de la saison suivante. Un exemplaire du préavis devra être envoyé à la Guilde.

c) L’avis de résiliation (clause 4.02b)) devra être précédé d’un préavis écrit rédigé par le directeur musical, avertissant tout musicien des motifs pour lesquels on envisage de mettre fin à son contrat de service. Un exemplaire de cet avertissement ou de ce préavis devra être envoyé au bureau de la Guilde. Cet avis devra être émis et reçu par le musicien au plus tard le 31 décembre de la saison en cours.

Ledit avis écrit sera accompagné d’une réunion entre le directeur musical, le musicien concerné, un représentant du musicien et un représentant du Centre, au cours de laquelle les raisons précises de la résiliation envisagée ainsi que les remèdes nécessaires seront discutés.

...

4.03 Comité de congédiement

a) Après réception d’un avis de résiliation, le musicien concerné peut demander, d’ici le 15 septembre de la même année, la mise sur pied d’un comité pour s’assurer que justice lui est normalement rendue (si le musicien s’estime lésé). Ce comité sera composé des personnes suivantes : le premier violon, un membre nommé par le musicien concerné et trois (3) membres élus par l’orchestre. Le Comité devra assister aux entrevues entre le directeur musical et le musicien, si ce dernier en fait la demande.

b) Ce comité prendra une décision finale par scrutin secret en vue de confirmer le congédiement ou de réintégrer le membre d’ici le 15 novembre de la même année.

...

4.05 Position des chaises

a) Emplacement annuel

Le directeur musical aura le droit de déterminer à quel endroit seront assis chacun des musiciens de l’orchestre. Il pourra consulter le comité d’audition, mais la décision finale lui reviendra. Les décisions relatives à l’emplacement des pupitres sont sans appel. Les membres de l’Orchestre devront recevoir un avis écrit au plus tard le 1er juin les informant de la position des pupitres à compter du début de la saison suivante. La Guilde recevra un double de l’avis.

b) Promotion et rétrogradation

Une rétrogradation est une réduction fondamentale des fonctions et responsabilités d’un musicien avec titre, ou la modification de la disposition annuelle des chaises faisant en sorte qu’un musicien avec titre devra s’asseoir derrière un musicien sans titre.

Advenant le cas où un musicien avec titre recevrait un avis de rétrogradation, il pourra en appeler au comité des promotions et rétrogradations. Ce comité sera composé du violon solo, d’un chef de pupitre de la section des cordes, d’un chef de pupitre de la section des instruments à vent et de deux autres musiciens de l’orchestre qui seront tous, à l’exception du violon solo, élus périodiquement par les membres de l’Orchestre.

Le comité des promotions et rétrogradations examinera l’appel du musicien et les raisons invoquées pour le changement de place par le directeur musical. Le comité se prononcera par scrutin secret et rendra une décision finale et exécutoire au sujet de la rétrogradation d’ici la fin de la saison au cours de laquelle l’avis a été donné.

Le changement de chaise ou la rétrogradation d’un musicien avec titre n’entraînera aucune réduction du cachet hebdomadaire du musicien. Par ailleurs, le Centre accordera au musicien concerné un congé sans solde s’il souhaite s’absenter afin de participer à des auditions.

(c’est nous qui soulignons)

[15] Mme Milkson a déposé sa plainte après avoir reçu, le 4 juin 2009, une lettre dans laquelle la FMÉUC avisait son avocat qu’elle ne présenterait pas de griefs pour contester les avis reçus auparavant par Mme Milkson.

[16] L’avocat de Mme Milkson avait précédemment avancé des arguments juridiques pour soutenir que la FMÉUC pourrait contester les avis envoyés par le CNA à sa cliente et la procédure de résiliation en cours.

[17] La plainte proprement dite ne porte que sur les faits les plus récents mettant en cause Mme Milkson et son emploi auprès du CNA, mais le contexte exige que l’on résume certains événements antérieurs, quoique similaires, pour faire comprendre la situation dans laquelle se sont trouvées les diverses parties. Il y a également quelques chevauchements inévitables dans la chronologie des événements.

[18] Entre l’automne 2006 et juillet 2007, Mme Milkson était blessée et incapable de jouer dans l’OCNA. Elle était en congé pour raisons de santé, un congé que n’a jamais contesté le CNA. Certains faits qui pouvaient avoir une incidence sur l’emploi de Mme Milkson sont survenus durant ce congé.

[19] Le 21 décembre 2006, le CNA a envoyé à Mme Milkson un préavis pour l’informer qu’il envisageait de ne pas renouveler son contrat. Le CNA lui avait auparavant envoyé un autre préavis en novembre 2005, mais celui-ci était périmé. Le CNA a réitéré, dans le préavis de 2006, l’opinion antérieure du directeur musical selon laquelle le jeu de Mme Milkson ne répondait pas aux normes artistiques qu’exigeait l’OCNA.

[20] Dans une lettre, également datée du 21 décembre 2006, le CNA a fait valoir qu’il avait rempli l’obligation, que lui impose la convention collective, de donner à Mme Milkson l’occasion de rencontrer le directeur musical pour discuter des prétendues lacunes.

[21] Mme Milkson a continué de s’absenter du travail de janvier au 25 juillet 2007. Selon la FMÉUC, cela l’a empêchée de profiter des possibilités de rattrapage prévues à l’article 4.02 de la convention collective. Le 23 mars 2007, la FMÉUC a contesté le préavis du CNA, au motif que l’absence de période de rattrapage était fatale à tout avis donné en vertu de la convention collective.

[22] Le 31 mai 2007, le CNA a informé Mme Milkson par écrit qu’elle changerait de chaise dans l’orchestre. La FMÉUC a soutenu que le changement constituait une rétrogradation au sens de l’article 4.05 de la convention collective. Il y a rétrogradation lorsqu’un musicien avec titre doit s’asseoir derrière un musicien sans titre. De l’avis de la FMÉUC, une rétrogradation va au-delà du pouvoir discrétionnaire du directeur musical de déterminer à quel endroit seront assis les musiciens de l’orchestre, et est susceptible d’appel.

[23] Le 21 juin 2007, Mme Milkson a porté en appel son changement de place (rétrogradation) au comité des promotions et rétrogradations mis sur pied en vertu de l’article 4.05 de la convention collective.

[24] Le 26 juin 2007, la FMÉUC a déposé un grief contestant l’avis de changement de place reçu par Mme Milkson au motif qu’il s’agissait d’une mesure discriminatoire, étant donné le fait qu’elle s’était absentée du travail en raison de congés liés à une incapacité.

[25] Le 27 juillet 2007, le CNA a envoyé à Mme Milkson un avis de résiliation de son contrat. Selon la clause 4.02b) de la convention collective, cet avis devait prendre effet à la fin de la saison 2007-2008, c’ est-à-dire en juillet 2008. Le CNA a de nouveau soutenu que Mme Milkson avait refusé des possibilités de rencontrer le directeur musical pour discuter des prétendues lacunes de son jeu.

[26] Le 6 septembre 2007, la FMÉUC a déposé un grief contestant l’avis de résiliation, aussi pour le motif qu’il s’agissait d’une mesure discriminatoire liée à une incapacité de Mme Milkson.

[27] La FMÉUC a renvoyé tous les griefs de Mme Milkson à l’arbitrage et l’arbitre Anne Barrett en a été saisie. La FMÉUC a convaincu l’arbitre Barrett d’accorder un redressement provisoire en vertu du Code durant l’arbitrage. Ce redressement provisoire empêchait le CNA de mettre en oeuvre le changement de place de Mme Milkson proposé.

[28] La FMÉUC a fait valoir devant l’arbitre Barrett que Mme Milkson avait été victime de discrimination fondée sur une incapacité. Elle a ajouté que les avis résultaient de l’animosité du directeur musical envers Mme Milkson.

[29] La FMÉUC a allégué que le CNA avait donné à Mme Milkson peu de renseignements sur les difficultés qu’elle éprouvait au niveau artistique. Le 17 octobre 2007, alors que l’arbitrage se poursuivait, le CNA a envoyé à Mme Milkson une lettre contenant des détails sur les lacunes qu’il lui attribuait. La lettre indiquait que le CNA avait essayé d’organiser une rencontre entre Mme Milkson et le directeur musical et précisait les lacunes qui devaient être corrigées.

[30] Après avoir reçu la lettre du 17 octobre 2007, la FMÉUC a rencontré Mme Milkson et l’a avisée que le CNA lui enverrait, selon toute vraisemblance, un nouveau préavis en décembre 2007. La FMÉUC a interprété la lettre du 17 octobre 2007 comme la première mesure prise par le CNA afin d’amorcer la procédure de résiliation, vu que Mme Milkson jouait à nouveau dans l’OCNA à temps plein sans restrictions médicales.

[31] La FMÉUC a informé Mme Milkson que les arguments en matière d’incapacité qu’elle pouvait avancer dans le cas des griefs en cours devant l’arbitre Barrett ne seraient plus valables si une nouvelle procédure de résiliation était amorcée. La FMÉUC a conseillé à Mme Milkson de rencontrer le directeur musical afin d’obtenir tous les renseignements dont elle avait besoin et de se prévaloir de la période de rattrapage prévue dans la convention collective pour remédier aux prétendues lacunes.

[32] La FMÉUC était d’avis que Mme Milkson ne croyait pas avoir de lacunes. Elle a attribué les différents avis qu’elle avait reçus à l’animosité personnelle du directeur musical à son égard.

[33] Dans une lettre du 24 octobre 2007 adressée à la FMÉUC, le CNA a proposé que Mme Milkson rencontre le directeur musical.

[34] La FMÉUC a de nouveau recommandé à Mme Milkson de rencontrer le directeur musical, rencontre qui est prévue à la clause 4.02c) de la convention collective.

[35] Le 19 décembre 2007, comme l’avait présumé la FMÉUC, le CNA a envoyé un nouveau préavis à Mme Milkson. Cet avis faisait référence à la lettre du CNA du 17 octobre 2007 concernant les prétendues lacunes de son jeu.

[36] Le CNA a envoyé une deuxième lettre datée du 19 décembre 2007 à Mme Milkson pour lui demander si elle voulait rencontrer le directeur musical.

[37] Le 24 décembre 2007, la FMÉUC a présenté un grief contestant le préavis donné le 19 décembre 2007 par le CNA. Ce grief s’est ajouté à ceux dont l’arbitre Barrett était déjà saisie.

[38] La FMÉUC a avisé Mme Milkson que le nouveau grief n’avait guère de chance d’être accueilli, à moins qu’elles ne soient en mesure de prouver que le directeur musical avait fait preuve d’animosité envers Mme Milkson.

[39] D’après la FMÉUC, les éléments de preuve présentés à l’arbitre Barrett ne révélaient aucune animosité personnelle chez le directeur musical.

[40] Mme Milkson a joué régulièrement au cours de la saison 2007-2008. Durant cette période, elle n’a jamais demandé de renseignements additionnels sur les lacunes que le CNA avait précisées dans sa lettre du 17 octobre 2007. Mme Milkson n’a pas accepté l’offre de rencontrer le directeur musical.

[41] Le 26 mai 2008, le CNA a avisé par lettre Mme Milkson qu’elle changerait de place en vertu de la clause 4.05a) de la convention collective.

[42] Mme Milkson a fait appel du changement, comme le lui permet la clause 4.05b) de la convention collective. La FMÉUC a aussi présenté un grief contestant la composition du comité des promotions et rétrogradations, mais l’arbitre Barrett a rejeté ce grief dans sa décision en date du 22 septembre 2008.

[43] Le comité des promotions et rétrogradations a rejeté plus tard l’appel interjeté par Mme Milkson contre la décision de la changer de place.

[44] L’arbitrage des griefs par l’arbitre Barrett a pris fin le 19 juin 2008. Ce jour-là, la FMÉUC devait se prononcer sur le redressement. Elle a conclu que le préavis du 19 décembre 2007 respectait la convention collective. La FMÉUC a donc abandonné le grief du 24 décembre 2007 qui contestait le préavis donné en décembre 2007 par le CNA.

[45] L’arbitre Barrett a rendu sa décision sur les autres griefs le 28 juillet 2008. La FMÉUC a réussi à convaincre l’arbitre que l’avis de résiliation du 27 juillet 2007 n’était pas valable parce que Mme Milkson s’était absentée du travail pour cause de maladie. L’arbitre n’a pas conclu que le directeur musical avait fait preuve d’une quelconque animosité envers Mme Milkson.

[46] Le 30 juillet 2008, le CNA a envoyé à Mme Milkson un avis de résiliation en vertu de la clause 4.02b) de la convention collective. Le CNA a soutenu que Mme Milkson n’avait pas travaillé sur ses lacunes et que son jeu ne s’était pas amélioré durant la période de rattrapage prévue par la convention collective.

[47] La FMÉUC a consulté son cabinet d’avocats en droit du travail quant aux chances de succès qu’elle aurait si elle contestait l’avis de résiliation. Compte tenu des conseils reçus, la FMÉUC a refusé de présenter un grief. Comme le lui permettait la convention collective, Mme Milkson a fait appel de l’avis de résiliation au comité de congédiement (article 4.03).

[48] La documentation abondante des parties illustre l’échange de points de vue entre la FMÉUC et Mme Milkson, ainsi qu’avec l’avocat externe dont Mme Milkson a retenu les services.

[49] L’avocat de Mme Milkson a soutenu qu’il y avait des arguments juridiques permettant de contester les avis. Par exemple, il a allégué qu’un avis concernant sa place initiale ne pouvait être valide dans le cas de sa nouvelle place. La FMÉUC a examiné les arguments, sollicité un avis juridique indépendant et fait part de sa position par écrit le 4 juin 2009 à l’avocat de Mme Milkson.

[50] La FMÉUC a bel et bien donné suite aux commentaires de Mme Milkson sur le caractère équitable de la procédure engagée devant le comité de congédiement.

[51] La FMÉUC a réussi à convaincre le CNA que Mme Milkson devrait avoir le droit d’être représentée par la personne de son choix à l’audience.

[52] À la demande insistante de la FMÉUC, le CNA a également mis en œuvre plusieurs propositions que Mme Milkson avait faites à l’égard de la procédure.

[53] Axé sur l’examen par les pairs, le comité de congédiement était composé, en grande partie, de collègues de l’unité de négociation de la FMÉUC (clause 4.03a)).

[54] L’avocat de Mme Milkson l’a représentée du mieux qu’il pouvait, notamment en soulevant plusieurs questions directement auprès du comité de congédiement et en lui envoyant une copie de la plainte de manquement au DRJ en cours.

[55] Un des propres avocats de Mme Milkson a assisté avec cette dernière aux réunions du comité de congédiement.

[56] Il est devenu évident que certains membres du comité de congédiement étaient mal à l’aise avec certaines des répercussions juridiques de l’audience. Ils se sont adressés parfois au CNA, parfois à la FMÉUC pour obtenir des conseils. La FMÉUC a aidé les membres de son unité de négociation qui faisaient partie du comité de congédiement, ainsi que Mme Milkson, qui avait aussi recours à son propre avocat.

[57] Le comité de congédiement a refusé en fin de compte d’intervenir dans la résiliation de Mme Milkson.

III – Analyse et décision

A – Dans quelles circonstances le Conseil doit-il tenir une audience?

[58] Tel qu’il est mentionné au début des présents motifs, le Conseil a décidé qu’il n’avait pas besoin de tenir une audience dans le cadre de la plainte en l’espèce, malgré la demande explicite en ce sens présentée par le procureur de Mme Milkson.

[59] L’article 16.1 établit le pouvoir discrétionnaire du Conseil de décider s’il tiendra ou non une audience :

16.1 Le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience.

[60] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que le Conseil n’a pas à tenir une audience dans le cadre d’une plainte de manquement au DRJ, et ce, même lorsque des questions de crédibilité peuvent se poser :

[6] Avec respect, je ne crois pas que, d’une manière générale, dans le contexte d’une plainte en vertu de l’article 37, les questions de crédibilité constituent des circonstances exceptionnelles nécessitant la tenue d’une audience par le Conseil et que son omission de le faire fonderait un recours valable en révision judiciaire. Presqu’inévitablement, des questions de crédibilité se soulèvent dans les relations conflictuelles employeur/employé, de sorte que l’article 16.1 serait alors dépourvu de tout sens et privé de l’effet recherché par le législateur.

(Nadeau c. Métallurgistes Unis d'Amérique, 2009 CAF 100)

[61] Dans la situation présente, le Conseil n’a pas l’obligation de tenir une audience compte tenu de son rôle dans les affaires de DRJ.

[62] Dans ces affaires, le Conseil examine la manière dont un agent négociateur a représenté le membre d’une unité de négociation. Le Conseil ne décide pas du bien-fondé d’un grief en particulier, ni ne détermine si un agent négociateur a bien interprété la convention collective : voir, en général, Ronald Schiller, 2009 CCRI 435, aux paragraphes 33 à 35. C’est là le rôle d’un arbitre selon le régime de relations de travail établi par le Code.

[63] Le Conseil est convaincu que les pièces et observations abondantes présentées par les parties lui permettent de comprendre pleinement le processus suivi par la FMÉUC dans la représentation de Mme Milkson, sans avoir à tenir une audience.

B – Mme Milkson a-t-elle démontré que la FMÉUC avait manqué à son devoir de représentation juste?

[64] L’article 37 du Code se lit comme suit :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[65] Une fois accrédité, l’agent négociateur devient le représentant exclusif des membres de l’unité de négociation. L’agent négociateur jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il décide de la meilleure façon de défendre les différents intérêts des membres de l’unité.

[66] Le Code confie toutefois au Conseil le rôle de s’assurer qu’un agent négociateur n’exerce pas son droit exclusif de représentation de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des droits reconnus à un employé par la convention collective.

[67] Le législateur ne voulait pas que le Conseil s’ingère dans les détails des décisions relevant de la discrétion d’un syndicat, comme celle de présenter ou non un grief ou de le renvoyer à l’arbitrage.

[68] Le Conseil analyse attentivement une plainte de manquement au DRJ qui porte sur le congédiement d’un employé comptant beaucoup d’ancienneté. Comme Mme Milkson travaillait au CNA depuis 1969, il faut examiner avec soin sa situation.

[69] Mme Milkson, qui avait le fardeau de la preuve, n’a pas convaincu le Conseil, pour plusieurs motifs, que la FMÉUC avait manqué à son devoir de représentation juste.

[70] Tout d’abord, le Conseil est convaincu que la FMÉUC a analysé soigneusement la situation de Mme Milkson. La défense réussie, par la FMÉUC, des intérêts de Mme Milkson devant l’arbitre Barrett ne se rapporte pas directement à la présente plainte. Cette représentation avait trait à une procédure de résiliation suivie auparavant par le CNA dans le cas de Mme Milkson.

[71] Cependant, étant donné la similitude entre les événements distincts liés aux avis donnés en vertu de l’article 4 de la convention collective, la procédure antérieure fournit des renseignements contextuels utiles quant à ce que Mme Milkson connaissait de la procédure, ainsi qu’aux possibilités qu’elle avait après avoir reçu les avis du CNA.

[72] Le Conseil est convaincu que la FMÉUC a avisé Mme Milkson qu’il lui serait plus difficile de la défendre avec succès une seconde fois en ce qui avait trait aux avis de 2007 et de 2008, étant donné qu’elle jouait dans l’OCNA. La FMÉUC ne pouvait plus faire valoir qu’on lui refusait à tort une période de rattrapage en raison d’une incapacité.

[73] Le Conseil est aussi convaincu que la FMÉUC a pris en considération les propositions de Mme Milkson et celles de son avocat, et est parvenue à faire apporter des changements à la procédure suivie par le comité de congédiement. Par exemple, Mme Milkson a eu le droit d’être accompagnée par son propre avocat devant le comité de congédiement.

[74] La FMÉUC a démontré, à la satisfaction du Conseil, qu’elle avait fait de son mieux pour concilier ses obligations envers Mme Milkson et ses obligations à l’endroit des membres de l’unité de négociation siégeant au comité de congédiement. Les syndicats doivent souvent répondre aux demandes contradictoires des membres de l’unité de négociation. Le Conseil n’est pas d’accord que les tentatives de la FMÉUC en vue de faciliter le travail du comité de congédiement, tout en aidant aussi Mme Milkson et son avocat, soient assimilables à quoi que ce soit qui ressemble à un manquement au devoir de représentation juste. La FMÉUC a concilié les besoins de ses membres.

[75] La deuxième raison pour laquelle le Conseil rejette la plainte tire son origine du principe que le plaignant doit aider le syndicat à assurer sa défense.

[76] En l’espèce, la FMÉUC a recommandé à Mme Milkson de prendre des mesures pour répondre à la lettre du 17 octobre 2007 qui fournissait des détails sur ses prétendues lacunes. La FMÉUC lui a proposé de rencontrer le directeur musical pour obtenir des renseignements supplémentaires au besoin. La FMÉUC lui a aussi proposé de demander l’aide de ses pairs en ce qui concernait son jeu.

[77] Mme Milkson n’a jamais pris ces mesures proposées, faisant plutôt valoir dans sa plainte que l’avis du CNA du 17 octobre 2007 ne renfermait pas assez de détails.

[78] La convention collective donne à un musicien l’occasion de discuter de toute prétendue lacune avec le directeur musical. Elle lui donne aussi la possibilité d’essayer de corriger ses lacunes au cours d’une période de rattrapage.

[79] Mme Milkson n’était pas obligée de prendre une quelconque mesure même si son agent négociateur l’a pressée de le faire. Elle n’avait pas à accepter les opinions de son directeur musical. Elle avait tout à fait le droit de croire, comme elle l’a fait, qu’il n’y avait aucune lacune dans son jeu. Le Conseil ne critique pas Mme Milkson pour avoir décidé de ne pas rencontrer le directeur musical.

[80] Toutefois, il peut être plus difficile pour un agent négociateur de monter une défense efficace vu cette position. Par exemple, si les efforts de rattrapage de Mme Milkson avaient amené d’autres personnes à vouloir témoigner sur l’amélioration de son jeu, ou à confirmer que son jeu n’avait jamais eu besoin d’amélioration, alors la FMÉUC aurait peut-être eu d’autres raisons de contester la procédure de résiliation.

[81] Mme Milkson n’était pas obligée d’accepter la proposition de la FMÉUC quant aux mesures qu’elle pouvait prendre. Mais étant donné l’absence de tout argument fondé sur une incapacité, argument qui avait été retenu la première fois, la FMÉUC avait besoin d’éléments de preuve pour défendre Mme Milkson dans le cadre de la procédure d’examen par les pairs qu’ont négociée les parties. Or, Mme Milkson ne pouvait pas produire ces éléments de preuve.

[82] La troisième raison de rejeter la plainte est qu’une bonne part du litige entre la FMÉUC et l’avocat de Mme Milkson avait trait à la bonne façon d’interpréter la convention collective. En représentant sa cliente, l’avocat de Mme Milkson a soulevé des questions d’interprétation, comme le fait que les avis de changement de place dans l’orchestre n’avaient pas été donnés à Mme Milkson. Dans la même veine, l’avocat a fait valoir que l’avis de résiliation n’avait pas été signé par la personne compétente.

[83] La lettre de la FMÉUC du 4 juin 2009 démontre que celle-ci s’est penchée sur les arguments en question. En effet, elle a fait part des arguments à son propre avocat et a obtenu un avis juridique.

[84] Le Conseil ne détermine pas si la FMÉUC ou l’avocat de Mme Milkson avaient raison pour ce qui est de ces arguments juridiques. Le Conseil est convaincu que la FMÉUC les a examinés, et que la façon dont elle est arrivée à sa conclusion était loin d’être arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi.

[85] La quatrième et dernière raison de rejeter la plainte de Mme Milkson est qu’un syndicat représentant le plaignant joue un rôle différent de celui de l’avocat qui représente un client.

[86] À moins que la convention collective ne prévoie le contraire, c’est le syndicat, et non le plaignant, qui a la charge d’un grief.

[87] L’avocat est tenu de suivre les instructions de son client, pourvu qu’aucun problème de déontologie ne se pose, et ce, même au point de défendre des positions faibles, mais le syndicat n’a pas une obligation semblable.

[88] Le syndicat doit plutôt examiner la convention collective qu’il a négociée et décider s’il est d’accord avec l’interprétation préconisée par le plaignant. En l’espèce, la FMÉUC a donné à la convention collective une interprétation différente de celle de Mme Milkson et de son avocat.

[89] Tant que la FMÉUC s’est penchée sur ces arguments en matière d’interprétation, ce qu’elle a fait, Mme Milkson n’avait pas un droit absolu à ce que ses arguments juridiques soient renvoyés à l’arbitrage.

IV – Conclusion

[90] Le Conseil a décidé de rejeter la plainte de manquement au devoir de représentation juste déposée par Mme Milkson.

[91] La FMÉUC a demandé au Conseil d’accorder des dépens en raison des dépenses qu’elle a engagées pour se défendre contre la présente plainte.

[92] Le Conseil n’accorde des dépens qu’en de rares occasions. En règle générale, dans le domaine du droit du travail, les parties assument les coûts de leur propre cause, contrairement à ce qui se passe dans des actions civiles.

[93] Le Conseil ne voit aucune raison de s’écarter de ce principe bien connu du droit du travail en l’espèce.

[94] Pour tous les motifs énoncés ci-dessus, la plainte est rejetée.

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