Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

British Columbia Maritime Employers Association; DP World (Canada) inc.,
requérantes,
et
International Longshore and Warehouse Union, section locale 500,
intimée.

Dossier du Conseil : 27171-C
Référence neutre : 2009 CCRI 485
Le 27 novembre 2009

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), composé de Mes Louise Fecteau, Graham J. Clarke et Judith McPherson, Vice-présidents, a examiné la demande de réexamen susmentionnée.

En vertu de l’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code), le Conseil est habilité à trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience. Après avoir examiné toutes les observations écrites des parties et les pièces à l’appui dans le cadre de la présente demande, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente affaire sans tenir d’audience.

Procureurs inscrits au dossier

Me Donald J. Jordan, pour la British Columbia Maritime Employers Association et DP World (Canada) inc.;
Mes Bruce A. Laughton et Leah Terai, pour l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente. Suivent les motifs concordants de Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I – Nature de la demande

[1] Il s’agit d’une demande présentée le 20 novembre 2008 par la British Columbia Maritime Employers Association et DP World (Canada) inc. (les requérantes) en vertu de l’article 18 du Code visant à obtenir le réexamen de la décision que le Conseil a rendue dans British Columbia Maritime Employers Association et DP World (Canada) inc., 2008 CCRI 423 (BCMEA et DP World (423)) (dossier du Conseil no 26943-C).

II – Contexte et faits

[2] La présente affaire porte sur un différend complexe en matière de relations de travail qui a commencé le ou vers le 24 juin 2008, quand DP World (Canada) inc., membre de la British Columbia Maritime Employers Association (l’employeur), a apporté des changements à la manière dont certaines pièces d’équipement étaient distribuées dans le chantier. L’employeur s’attendait à réaliser des gains de productivité; or, les taux de production ont chuté de façon spectaculaire après la mise en oeuvre du nouveau système. L’employeur a allégué que les employés, représentés par l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500 (l’intimée ou le syndicat), prenaient part à un ralentissement du travail illégal, en violation de la convention collective, et il a demandé à l’arbitre retenu par les parties de rendre une décision. L’arbitre, M. Ronald S. Keras, a rendu une décision orale le 26 juin 2008, puis une décision écrite, le 30 juin 2008, affirmant que les membres du syndicat avaient orchestré un ralentissement du travail. Dans sa décision, l’arbitre a conclu que, selon toutes probabilités, la nouvelle procédure avait occasionné des retards durant la période de mise en oeuvre, mais qu’elle ne pouvait expliquer à elle seule la baisse significative de la productivité. L’arbitre était convaincu que la chute de la productivité était attribuable « dans une grande mesure » à un ralentissement du travail orchestré par une partie ou par l’ensemble des membres qui travaillaient chez DP World. L’arbitre a ordonné au syndicat et à ses membres de mettre fin au ralentissement.

[3] Le 2 juillet 2008, comme la productivité continuait de chuter, les requérantes ont présenté une demande au Conseil, alléguant que le syndicat avait autorisé les employés à poursuivre le ralentissement du travail illégal, en violation de l’article 91 du Code. Le 8 juillet 2008, à la suite d’une audience, le Conseil a fait une déclaration de grève illégale et rendu une ordonnance qui, entre autres choses, exigeait que les employés et le syndicat s’abstiennent de participer à toute activité qui constitue une grève au sens du paragraphe 3(1) du Code (dossier du Conseil no 26928-C).

[4] Le 14 juillet 2008, les requérantes ont présenté une demande, en vertu de l’article 23.1 du Code, afin que le Conseil dépose une copie de son ordonnance d’interdiction en date du 8 juillet auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le Conseil a rejeté la demande des requérantes visant à déposer l’ordonnance à la Cour dans BCMEA et DP World (423), précitée, la décision qui fait l’objet de la présente demande de réexamen.

III – La position des parties

A – Les requérantes

[5] Les requérantes allèguent que la décision rendue par le Conseil dans BCMEA et DP World (423), précitée, fait état de l’omission du Conseil de respecter les principes de justice naturelle et contient des erreurs de droit ou de principe qui remettent en question l’interprétation du Code. Quant à l’allégation sur la justice naturelle, les requérantes soutiennent que le Conseil n’a pas tenu d’audience et a fait preuve d’un parti pris contre elles. Pour ce qui est des erreurs de droit ou de principe, les requérantes allèguent que le Conseil n’a pas exercé son pouvoir décisionnel pour instruire et trancher l’affaire dont il était saisi, et qu’il a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 23.1 du Code sur le fondement de considérations incompatibles avec l’article 15.1 du Code.

[6] Les requérantes demandent, à titre de redressement, que le Conseil annule sa décision BCMEA et DP World (423), précitée, et renvoie la question à un nouveau banc.

1 – Violations des règles de justice naturelle

a) Audience

[7] Les requérantes affirment que, dans les circonstances de l’espèce, les règles de justice naturelle exigent que le Conseil tienne une audience et autorise le contre-interrogatoire des témoins. Une audience leur aurait permis de participer de manière significative à l’audience et de fournir au Conseil un fondement pour l’exercice de sa compétence prévue à l’article 23.1 du Code. Selon les requérantes, le Conseil a violé les règles de justice naturelle en ne tenant pas d’audience sur les différences importantes entre les versions des faits respectives des parties quant à la question de savoir si l’ordonnance du 8 juillet 2008 du Conseil avait été exécutée.

[8] De plus, les requérantes soutiennent que, même si l’article 16.1 du Code confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire de trancher toute question dont il est saisi sans tenir d’audience, l’exercice de ce pouvoir doit être conforme aux règles de justice naturelle. Elles s’appuient, à cet égard, sur Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker). Les requérantes prétendent qu’une évaluation des circonstances de l’espèce fondée sur l’analyse faite dans Baker, précité, aurait dû amener le Conseil à tenir une audience complète pour entendre et contre-interroger les témoins. Toujours selon les requérantes, lorsque la crédibilité a une incidence sur l’issue de l’affaire, les parties s’attendent légitimement à ce que le Conseil règle les différences entre les versions des faits. En l’espèce, les opinions diamétralement opposées des parties, la correspondance antérieure du Conseil et la nomination d’enquêteurs chargés d’aider le Conseil à trancher l’affaire ont créé l’attente légitime que le règlement des conflits factuels ne se fera pas sur la foi des observations écrites.

b) Partialité

[9] Les requérantes soutiennent qu’en exprimant plusieurs fois, dans BCMEA et DP World (423), précitée, sa préférence pour un règlement négocié et en identifiant l’employeur comme la partie ne souhaitant pas emprunter cette voie, le Conseil a fait preuve de partialité. En outre, selon les requérantes, en ne réglant pas les différences entre les versions des faits et de déterminer si la conduite illégale se poursuivait, le Conseil a rendu une décision qui privilégie les intérêts du syndicat aux dépens de ceux des requérantes. Celles-ci maintiennent qu’une allégation de crainte raisonnable de partialité doit être examinée au regard du contexte et des faits qui lui sont propres (citant Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45; [2003] 2 R.C.S. 259). De plus, le Conseil, à titre d’organisme décisionnel, est tenu de répondre à une norme d’impartialité plus élevée que celle à laquelle sont astreintes les entités ayant pour seule fonction d’élaborer des politiques (citant Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623). Elles allèguent que le Conseil n’a pas satisfait à cette norme plus élevée en l’espèce.

[10] Les requérantes soutiennent ne pas avoir formulé plus tôt d’allégation de crainte raisonnable de partialité parce que c’est seulement en examinant les affirmations antérieures du Conseil à la lumière de celles faites dans la décision faisant l’objet d’un réexamen qu’elles ont établi une crainte raisonnable de partialité.

2 – Erreurs de droit ou de principe

a) Absence de décision

[11] Les requérantes reconnaissent que l’article 23.1 du Code confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire de déposer une copie de son ordonnance auprès de la cour supérieure d’une province. Elles allèguent cependant que, compte tenu des autres dispositions du Code qui confèrent au Conseil un pouvoir exclusif quant aux allégations de grève illégale et aux ordonnances qui en découlent, on ne saurait interpréter l’article 23.1 comme autorisant le Conseil à refuser de régler les différences entre les versions des faits. Selon les requérantes, le Conseil devait régler ces différences pour déterminer s’il y avait lieu pour lui d’exercer son pouvoir discrétionnaire. Elles maintiennent que, lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.1 du Code, le Conseil est tenu d’instruire l’affaire et de trancher la question factuelle de savoir si la violation de l’ordonnance du Conseil se poursuivait.

b) Pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.1 du Code

[12] Les requérantes soutiennent que le Conseil ne peut, en raison de sa préférence déclarée pour un règlement négocié, faire abstraction de l’intention du législateur, clairement exprimée à l’article 15.1 du Code, d’accorder aux parties le droit de refuser de se rencontrer et de négocier un règlement. Elles affirment que l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 23.1 du Code doit respecter les droits qu’ont les parties en vertu de l’article 15.1 et que le Conseil ne peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, être influencé par la disposition ou la réticence d’une partie à prendre part à un règlement négocié, vu que le législateur a confié seulement aux requérantes le soin de prendre cette décision.

[13] Les requérantes soutiennent que le Conseil s’est fondé sur de la jurisprudence qui précède l’adoption de l’article 15.1 quand il a décidé de ne pas déposer l’ordonnance à la cour. Elles prétendent que les facteurs exposés dans Seaspan International Ltd. (1979), 33 di 544; et [1979] 2 Can LRBR 493 (CCRT no 196); et Association des employeurs maritimes et Terminaux Portuaires du Québec (1987), 72 di 26; et 88 CLLC 16,007 (CCRT no 658), relativement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’ancien article 123 (maintenant l’article 23) du Code ne s’appliquent plus. Les requérantes soutiennent que, étant donné l’ajout de l’article 15.1 du Code, le Conseil ne peut plus enjoindre aux parties d’étudier la possibilité de chercher d’autres accommodements pour régler les différends, ni jouer un rôle actif en obligeant les parties à le faire. Par conséquent, aux dires des requérantes, la décision que le Conseil a rendue dans BCMEA et DP World (423), précitée, est fondamentalement viciée en ce qu’elle repose sur la jurisprudence précitée.

B – L’intimée

[14] L’intimée soutient qu’il y a lieu de rejeter la demande de réexamen. Elle fait valoir que le Conseil a respecté les principes de justice naturelle et n’a commis aucune erreur de droit ou de principe qui remet véritablement en question l’interprétation du Code.

1 – Violations des règles de justice naturelle

a) Audience

[15] L’intimée nie que le Conseil ait transgressé, de quelque façon que ce soit, le principe de justice naturelle. Elle affirme que, même si elles étaient au fait des différences entre les versions des faits des parties, les requérantes n’ont pas demandé la tenue d’une audience avant que le Conseil ne rende sa décision dans BCMEA et DP World (423), précitée. Elles ont donc renoncé à tout droit de soulever la question de l’équité procédurale. L’intimée s’appuie sur l’article 16.1 du Code pour faire valoir que le Conseil a le pouvoir de trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience, et affirme que, selon l’alinéa 10g) du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), un requérant doit dire s’il demande une audience et, le cas échéant, donner les motifs de sa demande. L’intimée soutient que les requérantes se plaignent seulement maintenant de l’absence d’audience parce que la décision leur est défavorable.

[16] Analysant les facteurs exposés dans Baker, précité, le syndicat affirme que l’obligation d’équité est souple et qu’une participation significative peut prendre plusieurs formes dans des situations différentes. Il n’est pas toujours nécessaire de tenir une audience pour assurer une audience équitable. Comme il est maître de ses procédures, le Conseil a le pouvoir discrétionnaire de décider quand une audience s’impose.

b) Partialité

[17] L’intimée soutient que les requérantes auraient dû formuler une allégation de partialité dans les observations présentées au banc initial. Selon l’intimée, les requérantes étaient au courant des circonstances qu’elles invoquaient avant que le Conseil ne rende sa décision dans BCMEA et DP World (423), précitée. Toujours selon l’intimée, dans les circonstances, on ne saurait dire que les requérantes ont formulé cette allégation à la première occasion, et il y a lieu de conclure qu’elles ont renoncé à soulever leur objection quant à la partialité.

[18] En outre, l’intimée affirme qu’une allégation de partialité est grave et que les motifs à l’appui de celle-ci doivent être sérieux (citant R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484). L’intimée soutient que les requérantes ne sont pas acquittées du fardeau de produire une preuve claire pour réfuter la présomption que le Conseil a agi avec intégrité. En outre, l’intimée prétend que, lorsque le Conseil s’est renseigné sur la possibilité de parvenir à un règlement, il exerçait ses fonctions habituelles et agissait conformément à sa pratique établie depuis longtemps, plutôt que de faire preuve de partialité.

2 – Erreurs de droit ou de principe

a) Absence de décision

[19] Quant à l’allégation des requérantes que le Conseil a refusé de régler la question des versions des faits contradictoires des parties, l’intimée soutient que les requérantes ont mal décrit la décision du Conseil dans BCMEA et DP World (423), précitée. Selon l’intimée, le Conseil a déterminé que rien ne permettait de conclure avec certitude que le syndicat refusait délibérément de respecter son ordonnance. Toujours selon l’intimée, le Conseil a jugé qu’il était parfaitement clair qu’il ne serait pas dans l’intérêt de relations de travail harmonieuses de déposer l’ordonnance à la cour. Compte tenu de ce qui précède, l’intimée affirme que le Conseil a bien exercé son pouvoir décisionnel.

b) Pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.1 du Code

[20] L’intimée soutient que l’exercice par le Conseil du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 23.1 du Code dans la décision faisant l’objet d’un réexamen était conforme au Code et à la jurisprudence du Conseil. Elle soutient que l’ajout de l’article 15.1 au Code n’a pas changé le rôle du Conseil; il traduit plutôt sa pratique de longue date d’encourager le règlement des différends. Cet article n’a pas pour effet d’enlever au Conseil le pouvoir de contraindre des parties, ou de les enjoindre, de participer à un autre mode de règlement des différends. L’intimée maintient que le Conseil n’avait pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance avant l’adoption de l’article 15.1, et qu’il ne l’a pas non plus à l’heure actuelle. La jurisprudence du Conseil sur laquelle s’est fondé celui-ci dans la décision faisant l’objet d’un réexamen reste pertinente et applicable dans les circonstances. L’intimée soutient que le Conseil a rendu sa décision dans les limites du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 23, et que ce pouvoir n’était pas incompatible avec le texte de l’article 15.1 du Code, ni contraire à ce texte.

IV – Analyse et décision

[21] Selon l’article 18 du Code, le Conseil peut « réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances ». Le Conseil a expliqué son pouvoir général de réexaminer ses propres décisions dans bon nombre de celles-ci, lesquelles ont établi les motifs principaux qui peuvent être invoqués dans une demande de réexamen. Ces motifs sont maintenant exposés comme suit à l’article 44 du Règlement :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code comprennent les suivantes :

a) la survenance de faits nouveaux qui, s’ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un réexamen, l’auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3.

[22] Le rôle d’un banc de révision consiste à déterminer si la demande de réexamen est fondée sur l’un des motifs décrits précédemment. Il n’est pas une instance d’appel et n’a pas pour fonction de réinterpréter les conclusions de fait tirées par le Conseil ou de substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du banc initial.

A – Erreurs de droit ou de principe

[23] Le banc de révision traitera d’abord des prétendues erreurs de droit et de principe, car elles semblent représenter l’essentiel de l’opposition des requérantes à la décision faisant l’objet d’un réexamen, et les arguments en question s’accordent avec le reste des observations des requérantes et de leurs allégations de manquement aux principes de justice naturelle.

1 – Absence de décision

[24] Les requérantes reprochent au Conseil de ne pas avoir réglé les différences entre les versions des faits des parties avant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 23.1 du Code. Elles font valoir que le Conseil devait, dans les circonstances, régler ces différences et déterminer si le ralentissement du travail se poursuivait ou non. C’est une autre raison pour laquelle elles estiment qu’une audience était nécessaire, et qu’une attente raisonnable qu’une audience aurait lieu a été créée.

[25] Malgré le respect qu’il doit aux requérantes, le banc de révision n’est pas de cet avis. Le Conseil a le vaste pouvoir discrétionnaire, en vertu des articles 23 and 23.1, de trancher la question dont il est saisi, en l’occurrence celle de savoir s’il y a lieu de déposer à la cour son ordonnance à des fins d’exécution.

[26] Les articles 23 et 23.1 du Code prévoient ce qui suit :

23.(1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation intéressée, le Conseil dépose à la Cour fédérale une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance sauf si, à son avis :

a) ou bien rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) ou bien, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

...

23.1 Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation intéressée, le Conseil peut déposer auprès de la cour supérieure d’une province une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance, l’article 23 s’appliquant, avec les modifications nécessaires, au document ainsi déposé.

[27] Ces dispositions obligent le Conseil à se former une opinion sur la question de savoir s’il y a lieu de déposer une copie de son ordonnance à la cour (voir NAV Canada c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien (1999), 250 N.R. 321 (C.A.F.)). Pour se former cette opinion, le Conseil doit prendre en considération les alinéas 23(1)a) et 23(1)b) du Code. Selon l’alinéa 23(1)a), le fait que rien de laisse croire que l’ordonnance n’a pas été exécutée ou ne le sera pas est un motif valable de ne pas la déposer à la cour. L’alinéa 23(1)b) indique qu’il peut y avoir d’autres motifs valables de ne pas le faire. Cela veut dire que le Conseil peut décider de ne pas déposer une ordonnance à la cour malgré l’existence d’une preuve que l’ordonnance n’a pas été exécutée ou ne le sera pas. Il revient au Conseil de se former une opinion sur la question de savoir si, dans un cas donné, les circonstances énoncées à l’alinéa a) ou b) sont présentes et le convainquent de ne pas déposer l’ordonnance à la cour. Comme l’indique la jurisprudence, le pouvoir discrétionnaire conféré par l’alinéa b) au Conseil est très vaste, et celui-ci a le droit de s’en remettre à son jugement et à son expertise pour déterminer si le dépôt de l’ordonnance à la cour ne serait d’aucune utilité du point de vue des relations de travail et ne contribuerait pas à la réalisation des objectifs du Code malgré la présence d’indications que l’ordonnance du Conseil n’est pas exécutée en tous points (voir, par exemple, Iberia, Lignes aériennes d’Espagne (1988), 72 di 222 (CCRT no 671); et Association des employeurs maritimes et Terminaux Portuaires du Québec, précitée).

[28] D’après le banc de révision, le banc initial a énoncé correctement les principes et critères applicables, et a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable.

[29] Dans la décision faisant l’objet d’un réexamen, le banc a décrit la preuve présentée par les parties au cours des deux audiences précédentes, une preuve sur laquelle l’arbitre, et ensuite le Conseil, se sont fondés pour conclure que les deux parties étaient responsables de la baisse de la productivité de l’employeur. L’arbitre et le Conseil ont conclu qu’on ne pouvait établir avec certitude le degré de responsabilité de chacune des parties. Il y a eu des retards imputables au nouveau système qui n’avaient pas été pris en compte par l’employeur, et des éléments de preuve montraient que les employés avaient orchestré un ralentissement du travail. C’est ce qui a amené le Conseil à rendre l’ordonnance d’interdiction que l’employeur veut faire déposer à la cour. Le banc initial a dit qu’un grand fossé séparait toujours les positions respectives des parties, chacune d’entre elles tenant l’autre responsable de la baisse continue de la productivité, et il a admis franchement ne pas être en mesure de concilier leurs explications respectives. Par conséquent, le banc initial ne pouvait pas déterminer de façon concluante si les employés poursuivaient le ralentissement du travail, faisant ainsi abstraction de l’ordonnance d’interdiction du Conseil.

[30] L’employeur fait valoir que le Conseil devait concilier la preuve et trancher cette question avant de décider de déposer ou non l’ordonnance à la cour. Le banc de révision estime toutefois que, en droit, le Conseil n’avait pas à le faire. Dans l’analyse des circonstances de l’espèce, le banc initial n’était pas en mesure d’invoquer l’alinéa 23(1)a) ou de se fonder sur celui-ci pour décider de ne pas déposer l’ordonnance à la cour, vu qu’il ne pouvait pas décider de manière concluante que « rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas ». Le banc initial pouvait toutefois examiner s’il y avait, aux termes de l’alinéa 23(1)b), d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt de l’ordonnance à la cour ne serait d’aucune utilité. Il a conclu que c’était le cas.

[31] Le banc initial aurait pu, peut-être, se montrer plus précis. Toutefois, selon ses déclarations, il croyait que les relations de travail s’étaient gravement détériorées et qu’imposer aux employés des mesures susceptibles de découler d’une ordonnance exécutée par une cour de justice, à savoir des amendes ou l’emprisonnement, ne permettrait pas de remédier à la détérioration sous-jacente des relations de travail. De plus, le dépôt de l’ordonnance aurait l’apparence d’une réponse punitive plutôt que d’un règlement positif du différend. Le banc initial a dit estimer que cette mesure punitive n’était pas indiquée dans les circonstances, vu qu’il n’était pas clair qu’on avait délibérément fait abstraction de l’ordonnance du Conseil, et il voulait donner aux parties l’occasion de chercher d’autres moyens de régler leur différend et d’assurer le respect de l’ordonnance avant de s’adresser à la cour. Les déclarations pertinentes du banc initial sont les suivantes :

[14] ... Le Conseil hésite toujours à soumettre les parties à une relation patronale-syndicale à des mesures de ce genre, à moins d’être convaincu que c’est le seul moyen dont il dispose pour assurer le respect de son ordonnance et la réalisation des objectifs du Code.

...

[21] Le rôle du Conseil n’est pas de punir les parties, mais plutôt de remédier aux effets des conflits de travail. Placer des employés, collectivement, dans une situation où ils pourraient encourir des amendes ou des peines d’emprisonnement, alors que rien ne permet de conclure avec certitude qu’ils refusent délibérément de respecter une ordonnance du Conseil, n’est pas une solution que le Conseil peut ou doit tolérer. De plus, il est parfaitement clair qu’il ne serait pas dans l’intérêt de relations du travail harmonieuses de déposer l’ordonnance du 8 juillet 2008 à la cour, et c’est pourquoi le Conseil refuse de déposer son ordonnance.

(BCMEA et DP World (423), précitée)

[32] Au paragraphe 12 de sa décision, le banc initial a cité celle du prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), dans Seaspan International Ltd., précitée, qui contient le passage suivant :

... Le Conseil doit se montrer sensible à la position que les parties adoptent sur les plans social, économique et politique dans leur milieu des relations du travail et doit chercher avant tout à favoriser un accommodement constructif. La dernière ou une autre once de punition pour obtenir l’obéissance rigoureuse d’une ordonnance du Conseil peut dans certaines circonstances exceptionnelles ne pas favoriser de futures bonnes relations, spécialement si d’autres remèdes ou interventions du Conseil peuvent obtenir les mêmes résultats d’une autre façon.

(pages 554; et 500-501)

[33] Le Conseil a déterminé, dans la décision faisant l’objet d’un réexamen, qu’il n’était pas assez clair que les employés refusaient délibérément de respecter l’ordonnance et que, en tout état de cause, il n’était pas dans l’intérêt de toutes les parties intéressées de déposer l’ordonnance du Conseil à la cour.

[34] Étant donné ce qui précède, le banc de révision estime que le Conseil a tranché la demande fondée sur l’article 23.1 en tenant compte du libellé et des principes exposés dans le Code, et ce, dans les limites du pouvoir discrétionnaire qu’on a voulu lui conférer. Dans les circonstances de l’espèce, il n’était pas nécessaire pour le Conseil de commencer par régler les différences entre les versions des faits afin d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher la demande dont il était saisi.

2 – Pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.1, atteinte aux droits accordés par l’article 15.1

[35] Les requérantes soutiennent que le banc initial a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 23.1 du Code d’une manière qui fait abstraction de l’article 15.1, surtout le droit, reconnu par cet article à une partie, de ne pas accepter de rencontrer l’autre et de négocier un règlement. À cet égard, d’après les requérantes, le Conseil s’est fondé sur de la jurisprudence qui précède l’adoption de l’article 15.1, ce qui rend sa décision BCMEA et DP World (423), précitée, fondamentalement viciée.

[36] L’article 15.1 est libellé comme suit :

15.1(1) Le Conseil, ou l’un de ses membres ou employés qu’il désigne, peut, en tout état de cause et avec le consentement des parties, aider les parties à régler les questions en litige de la façon que le Conseil juge indiquée sans qu’il soit porté atteinte à la compétence du Conseil de trancher les questions qui n’auront pas été réglées.

(2) Le Conseil, à la demande d’un employeur ou d’un syndicat, peut donner des avis déclaratoires.

[37] L’ajout de l’article 15.1 au Code fait partie des modifications qui ont été apportées à celui-ci en 1999. Cependant, de l’avis du banc de révision, l’ajout n’a pas modifié les pouvoirs du Conseil pour ce qui est de faire participer les parties à la médiation et à d’autres formes de règlement des différends. Il a plutôt renforcé la pratique actuelle du Conseil d’encourager les parties à essayer de résoudre toute question en litige entre elles et d’offrir son aide à cet égard.

[38] Quant à l’article 15.1 du Code, dans le rapport d’Andrew C.L. Sims intitulé Vers l’Équilibre: Code canadien du travail, Partie I, Révision, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995 (le rapport Sims), le consensus qui se dégageait au sein du comité est qu’il faut encourager les parties à se prévaloir d’autres modes de règlement des différends, plutôt que de le leur imposer, et qu’il n’était donc pas nécessaire de modifier le Code (voir le rapport Sims). Qui plus est, dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 CCRI 362, le Conseil a confirmé en ces termes la poursuite de sa pratique de longue date :

[37] Le Conseil s’est engagé à aider les parties à régler leurs différends et à conclure une entente relativement aux plaintes ou demandes devant lui, avant d’en arriver à l’arbitrage formel ou à une décision définitive d’un banc du Conseil. Il s’agit d’une pratique de longue date du Conseil à laquelle son personnel professionnel et les membres des bancs continuent d’adhérer. Cet engagement est repris dans plusieurs dispositions du Code, ainsi que dans l’énoncé général des buts et objectifs exposés dans son préambule. L’ajout de l’article 15.1 au Code en 1999 témoigne de l’engagement renouvelé et manifeste du Conseil à l’égard de ce processus informel de médiation et des discussions en vue d’en arriver à une entente...

[39] Ces deux références indiquent que le Conseil n’avait pas auparavant le pouvoir d’obliger les parties à entreprendre, contre leur gré ou sans leur consentement, des pourparlers pour en arriver à un règlement. Et l’adoption de l’article 15.1 est considéré comme renforçant l’engagement à privilégier les mécanismes de règlement informel consensuel. Cet article ne confère ni n’enlève le pouvoir d’imposer la médiation à une partie ou de l’obliger à participer à des pourparlers de règlement.

[40] Dans Seaspan International Ltd., précitée, le CCRT a décidé qu’il avait le vaste pouvoir discrétionnaire de ne pas déposer une ordonnance à la cour. Il a décrit les critères qu’il a appliqués relativement à l’article 123 (maintenant l’article 23) du Code, lesquels critères ont été confirmés de nouveau dans Association des employeurs maritimes et Terminaux Portuaires du Québec, précitée. Puisque l’ajout de l’article 15.1 au Code en 1999 a renforcé la pratique déjà établie au Conseil et n’a pas eu d’incidence sur le pouvoir de ce dernier, l’ajout ne rend pas la jurisprudence précitée désuète ou périmée, et le Conseil n’a pas commis d’erreur de droit en s’appuyant sur cette jurisprudence.

[41] De plus, le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire en conformité avec le libellé de l’article 23 du Code et en tenant compte des principes généraux du Code. L’exercice par le Conseil de son pouvoir discrétionnaire s’appuyait sur le fait que, lorsqu’on ne peut conclure « avec certitude » que les employés refusent délibérément de respecter l’ordonnance, on devrait donner aux parties la possibilité de chercher d’autres moyens de régler leur différend sans que la menace d’une amende ou de l’emprisonnement ne plane sur elles. Cette décision respectait le libellé de l’article 23 et le préambule du Code, qui encourage la pratique des libres négociations collective et le règlement positif des différends.

[42] Parmi les autres moyens de régler des différends, mentionnons l’aide du Conseil, en quel cas entre en jeu l’article 15.1 du Code, qui exige le consentement des parties; les parties peuvent également trouver leur propre solution. Dans BCMEA et DP World (423), précitée, le Conseil n’a pas obligé les parties à régler leur différend avec son aide, et son pouvoir discrétionnaire ne se fondait pas sur l’application de l’article 15.1 du Code. En effet, le Conseil a encouragé les parties à résoudre elles-mêmes leurs différends, sans avoir recours à la procédure d’arbitrage officielle, car le Conseil estimait que cette solution contribuerait à l’établissement de relations de travail plus harmonieuses. À cet égard, une solution de ce genre peut être préférable pour bien des raisons, notamment le fait que les « solutions aux questions propres à une relation qui sont obtenues par consentement mutuel des parties concernées sont plus susceptibles d’être acceptables et viables à long terme que les redressements imposés par un arbitre tiers » (voir Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, précitée, paragraphe 36). En outre, comme l’a affirmé le CCRT dans Seaspan International Ltd., précitée, il n’y a pas lieu de considérer l’article 23 comme un simple moyen procédural de déposer les ordonnances du Conseil et de les exécuter par la suite. Le libellé de l’article 23 laisse plutôt entendre que le Conseil doit prendre en compte le rôle plus étendu et non répressif concernant la solution de conflits de relations de travail que lui a confié le Code.

[43] Ayant examiné attentivement les observations des parties en l’espèce et analysé la jurisprudence du Conseil concernant l’article 23 du Code, le banc de révision estime que le Conseil a bien appliqué les principes et critères pertinents, et exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, en conformité avec les autres dispositions du Code. Par conséquent, le Conseil n’estime pas avoir commis une quelconque erreur de droit ou de principe lorsqu’il a rendu sa décision dans BCMEA et DP World (423), précitée.

B – Principes de justice naturelle

1 – Audience

[44] Aux dires des requérantes, le Conseil aurait dû tenir une audience et autoriser le contre-interrogatoire de témoins afin de leur permettre de participer de façon efficace à l’audience et de fournir un fondement factuel justifiant l’exercice, par le Conseil, du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 23.1 du Code. Les requérantes ajoutent que leur attente légitime et les règles de justice naturelle dictent la tenue d’une audience en l’espèce.

[45] Le Conseil ne tient pas souvent d’audiences lorsqu’il est possible de lui présenter les faits pertinents au moyen d’observations écrites. Le Conseil signale que, dans leur demande fondée sur l’article 23.1, les requérantes n’ont pas demandé la tenue d’une audience. Les requérantes ont eu amplement l’occasion de présenter leurs éléments de preuve et arguments dans leurs observations et leur réponse aux observations du syndicat. En outre, quand le Conseil a demandé des compléments d’information, sollicitant des observations écrites en réponse à des questions précises, les requérantes n’ont pas demandé la tenue d’une audience, ni l’occasion de présenter d’autres éléments de preuve ou arguments.

[46] L’article 16.1 du Code habilite le Conseil à trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience, que celle-ci soit demandée ou non. La Cour d’appel fédérale a confirmé le pouvoir discrétionnaire en question du Conseil dans NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, 2001 CAF 30. En outre, le Conseil n’est pas tenu d’aviser les parties de son intention de ne pas tenir d’audience (voir NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, précité).

[47] Le banc de révision estime que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, le Conseil a instruit l’affaire et s’est comporté conformément aux facteurs exposés dans Baker, précité. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a reconnu la nature variable de la notion d’équité procédurale et le fait que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale dépendent des circonstances de chaque cas. La Cour a mentionné qu’il faut tenir compte de divers facteurs dans des circonstances données, tels que la nature du tribunal lui-même, son expertise, la nature de la question soulevée, le régime législatif et le cadre dans lequel la question a été soulevée, l’importance de la décision pour la partie visée, ainsi que la procédure choisie par le tribunal. Il est donc reconnu que les tribunaux administratifs sont maîtres de leurs propres procédures et ont besoin de latitude dans l’exercice des fonctions que la loi leur confie. On reconnaît en général que l’équité procédurale n’exige pas toujours la tenue d’une audience et qu’il y a d’autres façons de participer de manière significative à une audience. Le législateur, à l’article 16.1 du Code, a conféré au Conseil le vaste pouvoir discrétionnaire d’établir les circonstances dans lesquelles il peut être nécessaire de tenir une audience compte tenu de l’expertise dans son domaine.

[48] Les requérantes prétendent que l’absence d’audience en l’espèce allait à l’encontre des règles de justice naturelle, car elles ont été ainsi privées de l’occasion de participer pleinement à l’audience et de jeter les bases factuelles permettant au Conseil d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.1 du Code. Selon l’alinéa 10d) du Règlement, les parties doivent présenter au Conseil un exposé détaillé des faits et des moyens invoqués à l’appui de leur demande et, tel qu’il est mentionné précédemment, on a donné aux requérantes de nombreuses occasions de le faire. De plus, comme il est indiqué en détail ci-dessus, les articles 23 et 23.1 du Code n’obligent pas le Conseil à régler les conflits factuels sous-jacents afin de trancher la question dont il est saisi et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 23.1. Le Conseil était autorisé à décider de ne pas tenir une audience dans les circonstances de l’espèce, vu que les questions non réglées concernant la preuve et la crédibilité n’étaient pas essentielles à l’issue de l’affaire ni ne constituaient une condition préalable à ce que le Conseil se forme son opinion en vertu de l’article 23.1 du Code. Cela était d’autant plus vrai que le Conseil a conclu, aux termes de l’alinéa 23(1)b), qu’il y avait d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt de l’ordonnance à la cour ne serait d’aucune utilité. Compte tenu de ce qui précède, le banc de révision n’est pas convaincu que les requérantes ont été privées du droit d’être entendues ou privées d’une autre façon du droit à l’équité procédurale dans le contexte où le Conseil a tranché la présente affaire.

[49] La correspondance du Conseil adressée aux parties dans le dossier no 26943-C ne laisse aucunement croire qu’une audience devait avoir lieu ou qu’elle était envisagée. Bien que les requérantes se soient opposées à la procédure d’enquête en soi, elles n’ont pas demandé par la suite que l’on remplace cette procédure par une audience. Elles ne l’ont pas fait non plus même après que le Conseil eut décidé de ne pas tenir compte du rapport d’enquête, et demandé aux parties de lui fournir des compléments d’information au moyen d’observations écrites. Vu le vaste pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil par l’article 16.1 du Code, la demande du Conseil visant à obtenir d’autres observations écrites et le fait que les requérantes n’ont pas demandé la tenue d’une audience, le banc de révision n’est pas convaincu que le Conseil a créé l’attente qu’une audience aurait lieu.

[50] En conséquence, le banc de révision estime que le Conseil a pleinement accordé aux requérantes l’occasion de présenter des éléments de preuve et d’avancer des arguments en conformité avec les normes et mécanismes établis dans le Code, la pratique et la jurisprudence du Conseil, ainsi que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

2 – Partialité

[51] Les requérantes font valoir deux arguments à l’appui de leur allégation de crainte raisonnable de partialité concernant la décision que le Conseil a rendue dans BCMEA et DP World (423), précitée. Premièrement, lorsqu’il est parvenu à sa décision, le banc a fait preuve de partialité contre elles parce qu’elles avaient refusé de prendre part à des négociations ou à des pourparlers afin de régler leur différend avec le syndicat. Deuxièmement, la décision du Conseil de ne pas régler les différences entre les versions des faits pour déterminer si la conduite illégale se poursuivait privilégiait de manière partiale les intérêts du syndicat aux dépens de ceux des requérantes.

[52] Le présent banc de révision a examiné attentivement ces arguments et estime que les requérantes n’ont pas produit de preuve concrète pour établir une crainte raisonnable de partialité.

[53] L’impartialité du président et des membres du banc est essentielle, et il faut présumer de celle-ci, à moins d’une preuve contraire. Par conséquent, dans une demande alléguant la partialité, le fardeau de l’établir incombe à la partie qui l’allègue, selon la norme de la prépondérance des probabilités (voir VIA Rail Canada inc., 2007 CCRI 381). Les auteurs David Phillip Jones et Anne S. de Villars disent ce qui suit au sujet de l’établissement d’une crainte raisonnable de partialité :

[L]e fardeau d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité incombe à la partie qui soulève l’allégation. Le tribunal n’est aucunement tenu de justifier sa conduite; il a tout au plus une responsabilité stratégique d’écarter les allégations de partialité qui seraient par ailleurs suffisantes pour justifier le caractère sérieux de l’affaire. Le requérant doit établir le bien-fondé de ses prétentions. De simples conjectures ne sauraient suffire.

(David Phillip Jones et Anne S. de Villars, Principles of Administrative Law, 3e éd., Scarborough, Carswell, 1999, page 401; traduction; c’est nous qui soulignons)

[54] Lorsqu’il est allégué que le Conseil ou l’un de ses membres est partial, le Conseil doit déterminer si une crainte raisonnable de partialité a été établie. Dans R. c. S. (R.D.), précité, la Cour suprême du Canada a confirmé que le critère de partialité comporte un double élément objectif :

Dans ses motifs de dissidence dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, le juge de Grandpré a exposé avec beaucoup de clarté la façon dont il convient d’appliquer le critère de la partialité :

« [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... »

C’est ce critère qui a été adopté et appliqué au cours des deux dernières décennies. Il comporte un double élément objectif : la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire... À ceci j’ajouterais que la personne raisonnable est également censée connaître la réalité sociale sous-jacente à une affaire donnée, et être sensible par exemple à l’ampleur du racisme ou des préjugés fondés sur le sexe dans une collectivité donnée.

...

Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière...

(pages 530-531, et 532)

[55] Selon le banc de révision, le fait pour le Conseil d’encourager les parties à régler leurs différends ou d’offrir de les y aider, même à plusieurs reprises malgré le refus d’une partie, ne constitue pas en soi une preuve de partialité contre cette partie. Par conséquent, en l’espèce, le banc de révision conclut que les requérantes n’ont pas réussi à établir que le Conseil avait un parti pris contre elles simplement parce qu’elles avaient refusé de prendre part à un règlement informel.

[56] Tel qu’il est indiqué ci-dessus, le Conseil a pris un engagement il y a longtemps de privilégier les méthodes informelles de règlement des différends et a adopté une pratique de longue date à cet égard, et il a fait valoir les avantages du règlement informel par rapport à l’arbitrage et au prononcé d’une décision par un décideur tiers comme lui-même. Le banc de révision a déjà conclu que cette pratique ne porte pas atteinte aux droits reconnus par l’article 15.1 aux parties de ne pas prendre part à un règlement informel. Il n’est pas rare que le Conseil, lorsque celui-ci procède au traitement d’un dossier en vue de son règlement, rappelle aux parties que des services de médiation leur sont offerts et qu’elles restent libres de continuer à examiner d’autres moyens de régler leur différend. Cela ne veut pas dire que, si une partie refuse l’offre du Conseil de participer à la médiation, le Conseil rendra une décision défavorable à cette partie en raison de son refus. Aucun des éléments présentés au présent banc de révision ne l’a convaincu que la décision finale du Conseil dans BCMEA et DP World (423), précitée, découlait de la décision des requérantes de ne pas participer à la médiation offerte par le Conseil. On ne saurait considérer objectivement et raisonnablement de simples affirmations, faites par le Conseil dans la décision faisant l’objet d’un réexamen où le Conseil exprime sa préférence pour le règlement par médiation de la présente affaire, comme la preuve d’un parti pris contre les requérantes parce qu’elles avaient refusé de ne pas prendre part à un règlement informel. Cette allégation des requérantes ne satisfait pas au critère du fardeau élevé qui leur incombe d’établir la partialité ou une crainte de partialité, soit le critère exposé ci-dessus.

[57] Le deuxième aspect de l’allégation de partialité des requérantes est que, en ne déterminant pas si la conduite illégale se poursuivait, le Conseil a rendu une décision qui privilégie de manière partiale les intérêts du syndicat aux dépens de ceux des requérantes. L’employeur n’est peut-être pas satisfait de la décision que le Conseil a rendue dans BCMEA et DP World (423), précitée, mais cette insatisfaction n’établit pas en soi la partialité (voir TELUS Communications Inc., 2005 CCRI 317).

[58] Une analyse de la procédure suivie révèle que, une fois qu’on a rejeté la proposition de négocier un règlement des questions sous-jacentes, le Conseil a tenté d’obtenir des parties une preuve quant aux causes de la baisse continue de la productivité.

[59] Tout d’abord, le Conseil a confié à deux de ses membres la tâche de faire enquête sur la situation et de lui transmettre leurs conclusions. Les requérantes se sont vivement opposées à cette démarche et, en fin de compte, les membres se sont récusés. La présidente a constitué un nouveau banc et a décidé de ne pas tenir compte des conclusions de l’enquête des deux membres. On a donc répondu de manière juste et raisonnable aux préoccupations et aux objections des requérantes.

[60] Le Conseil a donc demandé aux parties de présenter des observations écrites en réponse à certaines questions. Cependant, ces observations n’ont pas aidé le Conseil à bien saisir les causes de la baisse continue de la productivité et la responsabilité respective de chacune des parties à cet égard. Les résultats des deux audiences tenues auparavant pour trancher les mêmes questions ou des questions semblables n’ont pas permis à l’arbitre et au Conseil de régler pleinement les différences entre les versions des faits des parties concernant la cause directe de la baisse de productivité et la responsabilité des parties à l’égard de ce problème. Les requérantes n’ont pas demandé une audience à ce stade-là et n’ont pas réussi à convaincre le présent banc de révision que le banc initial devait régler ces différences pour statuer sur la demande dont il était saisi. Le banc initial a rendu sa décision sur la demande de façon compatible avec la jurisprudence du Conseil concernant les articles 23 et 23.1.

[61] Tel qu’il est indiqué en plus amples détails ci-dessus, il n’était pas nécessaire pour le Conseil d’établir pleinement les causes exactes de la baisse continue de la productivité afin de décider, aux termes de l’article 23.1, qu’il y avait d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt de l’ordonnance à la cour ne serait d’aucune utilité. Tenant compte de son mandat de favoriser le règlement positif des différends plutôt que de punir les parties, le Conseil a jugé, pour l’essentiel, qu’il ne pouvait pas conclure avec certitude que l’ordonnance du Conseil n’avait pas été exécuté ou ne le serait pas et qu’il y avait d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt de l’ordonnance à la cour ne serait d’aucune utilité. Il a reconnu l’existence d’un objectif en matière de relations de travail privilégiant les deux parties qui l’a amené à exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas déposer son ordonnance à la cour.

[62] Le banc de révision n’est pas convaincu que la décision du Conseil de ne pas régler les différences entre les versions des faits ou de ne pas tenir une audience reposait sur le désir de privilégier les intérêts du syndicat, ou que cette décision était une preuve de partialité ou semblait partiale en faveur des intérêts du syndicat aux dépens de ceux des requérantes.

[63] Compte tenu de ce qui précède, le banc de révision estime que la preuve produite par l’employeur ne satisfait pas au critère du fardeau élevé qui lui incombe d’établir que la décision faisant l’objet d’un réexamen a donné lieu à une crainte raisonnable de partialité. Par conséquent, l’argument des requérantes sur la partialité est rejeté.

V – Conclusion

[64] Pour tous ces motifs, le banc de révision conclut que les requérantes n’ont pas établi de motifs justifiant le réexamen de la décision faisant l’objet d’un réexamen. Un banc de révision ne doit pas substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du banc saisi de l’affaire au départ. Le présent banc n’est pas convaincu qu’il doit le faire pour quelque raison que ce soit ou qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles il doit s’ingérer dans la décision que le Conseil a rendue dans BCMEA et DP World (423), précitée. La présente demande de réexamen est donc rejetée.

Motifs concordants de Me Graham J. Clarke, Vice-président

[65] J’ai pris connaissance des motifs rédigés par la Vice-présidente Fecteau dans la présente affaire.

[66] Je souscris à la conclusion de la Vice-présidente Fecteau selon laquelle, dans BCMEA et DP World (423), précitée, le Conseil n’avait pas à tenir une audience.

[67] De plus, je concède que les requérantes n’ont pas établi la partialité.

[68] Je n’ai rien à ajouter sur ces deux points.

[69] Enfin, puisque le banc de révision n’a pas pour rôle de substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du banc initial qui a instruit l’affaire, je n’interviendrais pas non plus afin d’arriver à une autre décision ou de renvoyer l’affaire à un autre banc du Conseil.

[70] Les articles 23 et 23.1 du Code établissent le moyen d’exécution dont dispose le Conseil (Jean-Paul Roy (1985), 59 di 142; et 10 CLRBR (NS) 175 (CCRT no 495)).

[71] Par souci de commodité, ces articles sont reproduits ci-dessous :

23.(1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation intéressée, le Conseil dépose à la Cour fédérale une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance sauf si, à son avis :

a) ou bien rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) ou bien, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

...

23.1 Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation intéressée, le Conseil peut déposer auprès de la cour supérieure d’une province une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance, l’article 23 s’appliquant, avec les modifications nécessaires, au document ainsi déposé.

(c’est nous qui soulignons)

[72] Au paragraphe 12 de la décision BCMEA et DP World (423), précitée, le Conseil a cité un extrait de la décision du prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), dans Seaspan International Ltd., précitée, qui portait sur l’application de l’article 23. Le CCRT a fait remarquer à juste titre que l’analyse d’une demande visant à déposer une ordonnance du Conseil repose sur le principe fondamental que le dépôt d’une ordonnance est obligatoire à première vue :

Regardons maintenant de plus près les nouvelles dispositions de l’article 123 [maintenant 23]. Le dépôt d’une ordonnance du Conseil sur requête écrite de toute personne ou de tout organisme concerné par ladite ordonnance ou décision est mandatoire à moins « que de l’avis du Conseil » l’une des deux situations suivantes ne se présente...

(pages 553; et 500)

[73] Le Conseil doit tenir compte de trois principes lorsqu’il décide de déposer ou non son ordonnance à la cour.

1. Le dépôt d’une ordonnance du Conseil est considéré au départ comme étant obligatoire

[74] L’article 23 renferme l’expression « le Conseil dépose ».

[75] Bien que la version française de l’article 23.1 comprend les mots « le Conseil peut déposer », cela indique seulement qu’outre l’article 23, le Conseil peut désormais déposer une ordonnance auprès de la cour supérieure d’une province. L’expression « peut déposer » ne rend pas l’article 23.1 moins péremptoire que le mot « dépose » qui figure à l’article 23.

[76] Le fait que le dépôt d’une ordonnance soit obligatoire à première vue illustre le principe bien connu selon lequel s’il y a un droit, il y a un redressement (ubi jus, ibi remedium). Sinon, on pourrait remettre en question la raison pour laquelle un tribunal rende une décision sur le bien-fondé d’une affaire alors qu’il n’existe aucun redressement correspondant.

[77] Le Conseil lui-même ne dispose pas d’un moyen d’exécution. Cela l’oblige à rédiger des ordonnances exécutoires et, sur demande, à les déposer pour exécution à la Cour fédérale ou auprès de la cour supérieure d’une province (Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 529 c. Central Broadcasting Co. Ltd., [1997] 2 C.F. 78).

[78] Même si le libellé du Code concernant le dépôt d’une ordonnance est péremptoire à première vue, le Code confère plus loin au Conseil un vaste pouvoir discrétionnaire en la matière.

2. Exception 1 : rien ne laisse croire que l’ordonnance ou la décision n’a pas été exécutée ou ne le sera pas (alinéa 23(1)a))

[79] Le dépôt d’une ordonnance est obligatoire à première vue, mais le Code a accordé une grande latitude au Conseil eu égard à son expertise en matière de relations de travail. Cette latitude diffère de ce qui se passe dans certaines provinces, où la commission des relations de travail n’a pas de pouvoir discrétionnaire; elle doit déposer son ordonnance à la cour si on lui en fait la demande. Par exemple, l’article 135 du Labour Relations Code, R.S.B.C. 1996, c. 244, de la Colombie-Britannique prévoit ce qui suit :

135(1) La commission peut, sur demande de l’une des parties ou de sa propre initiative, déposer en tout temps au greffe de la Cour suprême une copie du dispositif de la décision ou de l’ordonnance rendue par la commission en vertu du présent Code ou d’une convention collective.

(2) Il y a lieu de déposer la décision ou l’ordonnance comme s’il s’agissait d’une ordonnance de la cour. Une fois déposée, elle est réputée, à toutes fins sauf celle d’un appel, être une ordonnance exécutoire de la Cour suprême.

(3) Pour l’application du présent article, une désignation ou une directive visée par la partie 6 est réputée être une décision ou une ordonnance de la commission.

(traduction)

[80] Avant de déposer l’ordonnance en vertu de l’article 23 ou 23.1, le Conseil peut examiner si l’ordonnance n’a pas été exécutée ou ne le sera pas. De toute évidence, il appartient à l’intimé qui souhaite voir le Conseil exercer ce pouvoir discrétionnaire en sa faveur de présenter une preuve selon laquelle rien ne laisse croire que l’ordonnance du Conseil n’a pas été exécutée ou ne le sera pas.

[81] Le Conseil a récemment exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 23(1)a) dans TQS inc., 2009 CCRI 444, après que l’intimé eut produit une preuve suffisante pour le convaincre que son ordonnance avait été exécutée et que rien ne laissait croire qu’elle ne le serait pas à l’avenir.

[82] Il revient au Conseil, et non à une cour de justice, de tirer cette conclusion, car il « est l’organisme le plus apte à interpréter la signification de sa propre décision ou ordonnance » (Seaspan International Ltd., précitée, pages 553; et 500).

[83] De même, tout particulièrement dans des situations de grève illégale ou de lock-out illégal où le Conseil doit trancher des affaires de manière expéditive, le temps écoulé et les observations des parties peuvent convaincre le Conseil de modifier son ordonnance initiale en vertu de l’article 18 du Code plutôt que de la déposer à la cour.

[84] Aux termes de l’alinéa 23(1)(a), le Conseil se demande essentiellement si la preuve laisse croire ou non que l’ordonnance ne sera pas exécutée ou qu’elle ne le sera pas.

[85] Même si quelque chose laisse croire que l’ordonnance n’a pas été exécutée, le Conseil doit néanmoins tenir compte de la deuxième exception dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

3. Exception 2 : il y a d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt de l’ordonnance ou de la décision à la cour ne serait d’aucune utilité (alinéa 23(1)b))

[86] Dans Seaspan International Ltd., précitée, le CCRT a aussi commenté ce deuxième motif discrétionnaire :

... En bref, l’emphase n’est pas mise sur l’adhésion rigoureuse à des principes exigeant l’obéissance aux ordonnances des tribunaux dans une société ordonnée. Le Code reconnaît plutôt que le Conseil doit servir d’instrument souple dans le monde changeant des relations industrielles, où des procédures engagées après qu’une décision a été rendue peuvent devenir inutiles ou incompatibles avec l’évolution des circonstances entourant une affaire donnée...

(pages 554; et 500)

[87] Ce deuxième motif oblige le Conseil à conclure que, « pour d’autres motifs valables », le dépôt ne serait « d’aucune utilité ».

[88] Si le Conseil ne conclut pas que le dépôt ne serait d’aucune utilité, alors le requérant a droit au redressement qu’il sollicite.

Conclusion

[89] Un banc de révision ne substitue pas son pouvoir discrétionnaire à celui du banc qui a instruit l’affaire au départ.

[90] Pour l’application des articles 23 et 23.1 du Code, le Conseil examine les principes suivants :

  1. le législateur souhaitait que le dépôt d’une ordonnance à la cour soit, au moins au départ, obligatoire;
  2. le Conseil peut refuser de déposer l’ordonnance si, selon la preuve, rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou qu’elle ne le sera pas;
  3. qu’il existe ou non une indication que l’ordonnance n’a pas été exécutée ou qu’elle ne sera pas, le Conseil peut refuser de déposer l’ordonnance si la preuve montre qu’il y a d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt ne serait d’aucune utilité.

[91] Dans BCMEA et DP World (423), précitée, le banc initial a décidé, sur la foi de la preuve qui lui a été présentée, qu’il y avait d’autres motifs valables pour lesquels le dépôt ne serait d’aucune utilité, notamment le fait qu’à son avis, un litige sur l’ordonnance à la cour ne permettrait pas de trancher les questions sous-jacentes liées aux relations de travail toujours en litige entre les parties.

[92] Le banc initial avait le droit d’exercer ainsi son pouvoir discrétionnaire compte tenu de la preuve dont il disposait.

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