Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Grain Workers Union, section locale 333, C.T.C.,

requérant,

et

British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association; Saskatchewan Wheat Pool; James Richardson International limitée; United Grain Growers limitée, faisant afffaire sous la raison sociale Agricore United; Pacific Elevators limitée; Cascadia Terminal,

intimées,

et

Alliance de la Fonction publique du Canada; Congrès du travail du Canada,

intervenants.

Dossier du Conseil : 26373-C

International Longshore and Warehouse Union-Canada; International Longshore and Warehouse Union, section locale 500; International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514,

requérants,

et

British Columbia Maritime Employers Association; Vancouver Wharves ltée,

intimées,

et

Alliance de la Fonction publique du Canada; Congrès du travail du Canada,

intervenants.

Dossier du Conseil : 26375-C

CITÉ : British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association

Référence neutre : 2008 CCRI 428
Le 27 novembre 2008


Demande présentée en vertu de l’article 18 du Code canadien du travail, Partie I (le Code).

Demande de réexamen – Définition de « grève » – Réexamen d’ordonnances provisoires rendues par le Conseil relativement à des demandes de déclaration de grève illégale et à la décision du Conseil sur des questions connexes liées à la Charte – Le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le refus de franchir une ligne de piquetage constituait une « grève » au sens de l’article 3 du Code – La définition de grève est objective – Le Conseil a constamment conclu que, même si un employé bénéficie d’un droit individuel de refuser de franchir une ligne de piquetage acquis par le biais de la négociation collective, lorsque ce droit est exercé de manière concertée ou d’un commun accord, il constitue une grève illégale en vertu du Code – Les parties ne peuvent pas négocier des dispositions dans leur convention collective qui permettent à des employés d’enfreindre l’interdiction visant les arrêts de travail pendant la durée de la convention collective ou qui mènent à une telle infraction – Les syndicats n’ont pas convaincu le banc de révision que le banc initial a commis une erreur de droit.

Demande de réexamen – Charte canadienne des droits et libertés – Liberté d’expression – Le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective contenue dans le Code, englobant selon lui le refus de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2b) de la Charte – La restriction imposée aux arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective n’est pas liée au contenu et n’a pas pour effet de priver les travailleurs du droit de transmettre leur message d’appui et de solidarité aux autres travailleurs qui participent à une grève légale contre leur employeur, ou de contrôler ou de restreindre autrement le contenu de leur message – La restriction réglemente simplement les conséquences matérielles liées à l’activité de grève, sans pour autant avoir une incidence négative sur le contenu du message ou sur la capacité des travailleurs d’exprimer leur solidarité – Le banc initial n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective n’a ni pour objet, ni pour effet de restreindre le droit des membres syndiqués de refuser de franchir une ligne de piquetage ou de porter atteinte à la liberté d’expression.

Demande de réexamen – Charte canadienne des droits et libertés – Liberté d’association – Le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective contenue dans le Code, englobant selon lui le refus de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2d) de la Charte – Les interdictions prévues dans le Code n’ont ni pour but ni pour effet de compromettre la capacité des membres syndiqués de se regrouper pour réaliser des objectifs communs liés à la négociation de conditions de travail et de modalités d’emploi avec leur employeur – Le Code empêche simplement les arrêts de travail de tout genre pendant la durée d’une convention collective, ce qui comprend le refus de franchir une ligne de piquetage érigée par un autre syndicat, et ce, dans l’intérêt de la certitude et de la stabilité industrielles – Le Conseil reconnaît l’importance cruciale que revêt la notion de solidarité syndicale pour les syndicats, mais il ne faudrait pas interpréter ce principe fondamental du mouvement syndical de manière à éclipser le droit public plus large à la paix industrielle qui est reflété dans le Code – Les dispositions du Code ne portent pas atteinte à la liberté d’association des requérants protégée par l’alinéa 2d) de la Charte – En particulier, le Conseil juge que la définition de « grève » figurant à l’article 3 du Code, dans la mesure où elle peut annuler partiellement l’effet de la disposition des conventions collectives respectives des syndicats qui autorise les employés à refuser collectivement de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2d) de la Charte.

Demande de réexamen – Charte canadienne des droits et libertés – Le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que, s’il avait été porté atteinte aux droits des employés garantis par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte, de telles atteintes étaient justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte – Les syndicats s’opposent à la manière dont le banc initial a défini et déterminé l’objet de la loi devant être évalué dans le cadre de l’analyse de la justification – Les syndicats soutiennent que le banc initial a énoncé incorrectement l’objet de la loi de manière trop large et que son objet réel est plus étroit et ne vise qu’à réglementer les arrêts de travail reliés à la négociation collective – Le banc initial a eu raison de retenir l’objet plus large de la préservation de la paix et de la stabilité industrielles par une réglementation de toute forme d’arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective, ce qui tient bien compte de l’intérêt public et des objets du Code – Il existe un lien rationnel entre l’interdiction de toute forme d’arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective et cet objet – Les syndicats prétendent, en ce qui concerne la justification d’une atteinte aux droits prévus à l’alinéa 2d) de la Charte, que la Cour suprême du Canada a énoncé une portée ciblée et plus étroite ou limitée de la justification en vertu de l’article 1 dans B.C. Health Services – Le banc de révision n’est pas convaincu que la Cour ait créé, dans B.C. Health Services, une norme entièrement nouvelle s’appliquant à la justification de l’entrave aux droits prévus à l’alinéa 2d) de la Charte – La Cour a appliqué l’habituel critère énoncé dans Oakes et a confirmé la notion selon laquelle le législateur n’a pas à démontrer qu’il a choisi la mesure la moins attentatoire, il suffit que la mesure se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables – La restriction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective porte atteinte mais seulement de manière minimale à la liberté d’expression des requérants et ne porte pas atteinte au droit de négocier collectivement – Le banc de révision ne peut pas envisager un moyen moins interventionniste tout en étant aussi efficace pour préserver la paix industrielle pendant la durée d’une convention collective – Le banc initial n’a pas commis d’erreur de droit ou de principe.


Le Conseil se composait de Me Elizabeth MacPherson, Présidente, ainsi que de Me Graham Clarke et Me Judith M. MacPherson, c.r., Vice-présidents. Une audience a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique), les 13 et 14 mai 2008.

Ont comparu
Me Charles Gordon, pour le Grain Workers Union, section locale 333, C.T.C.;
Me Bruce A. Laughton, c.r., pour l’International Longshore and Warehouse Union-Canada, l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, et l’International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514;
Me David Tarasoff, pour l’Alliance de la Fonction publique du Canada et le Congrès du travail du Canada;
Me Chris E. Leenheer, pour la British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, Saskatchewan Wheat Pool, James Richardson International limitée, United Grain Growers limitée, faisant afffaire sous la raison sociale Agricore United, Pacific Elevators Limited et Cascadia Terminal;
Me Delayne M. Sartison, pour la British Columbia Maritime Employers Association et Vancouver Wharves ltée.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Elizabeth MacPherson, Présidente.

I – Nature de la demande

[1] Il s’agit de deux demandes présentées en vertu de l’article 18 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) en vue du réexamen d’ordonnances provisoires rendues par le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI ou le Conseil) relativement à des demandes de déclaration de grève illégale (dossier du Conseil no 24610-C, 24 septembre 2004, et dossier du Conseil no 24624-C, 4 octobre 2004), et à la décision du Conseil sur des questions connexes liées à la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), rendues le 8 juin 2007 (British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, 2007 CCRI 384). Les déclarations initiales de grève illégale ont été faites en 2004, sous réserve de l’audition d’autres arguments soulevés dans chaque dossier alléguant une atteinte aux droits des employés en vertu des alinéas 2b) et 2d) de la Charte. Étant donné que les événements ayant mené à chacune des deux déclarations étaient essentiellement les mêmes, le Conseil a réuni ces instances, a entendu conjointement les arguments des parties découlant de la Charte et a rendu un ensemble unique de motifs de décision (British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, précitée). Les présentes demandes de réexamen ont également été réunies aux fins de l’audience et de la décision.

[2] L’article 18 du Code est libellé comme suit :

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

[3] Aucun droit absolu ne s’applique au réexamen des décisions du Conseil. En application de l’article 15 du Code, le Conseil a pris des dispositions réglementaires énonçant les circonstances dans lesquelles il exercera le pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18. Le Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement) prévoit ce qui suit :

44. Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code comprennent les suivantes :

a) la survenance de faits nouveaux qui, s’ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un réexamen, l’auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil;

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3.

[4] Les demandes de réexamen invoquent l’alinéa 44b) du Règlement. Le Grain Workers Union, section locale 33, C.T.C. (le GWU), l’International Longshore and Warehouse Union-Canada, l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, et l’International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514 (collectivement désignés sous le nom ILWU), allèguent que le banc initial du Conseil a commis des erreurs de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée de la convention collective contenue dans le Code ne porte pas atteinte aux droits des employés qu’ils représentent à la liberté d’expression et à la liberté d’association, qui sont protégés par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte respectivement. L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) et le Congrès du travail du Canada (le CTC), ayant obtenu la qualité d’intervenants pour les questions liées à la Charte soulevées dans les demandes initiales et dans les présentes demandes de réexamen, appuient cette prétention des requérants. Comme les intervenants ont expressément souscrit aux arguments des requérants dans les présentes demandes, par souci de commodité, les requérants et les intervenants seront désignés collectivement par le terme « syndicats » dans la présente décision.

[5] Les employeurs des membres syndiqués représentés par les syndicats requérants sont la British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association (la BCTEOA), Saskatchewan Wheat Pool, James Richardson International limitée, United Grain Growers limitée, faisant affaire sous la raison sociale Agricore United, Pacific Elevators limitée, Cascadia Terminal, la British Columbia Maritime Employers Association (la BCMEA) et Vancouver Wharves ltée. Pour faciliter la lecture, ils seront désignés collectivement par le terme « employeurs ».

[6] Le jour même où le Conseil a rendu ses motifs de décision initiaux, la Cour suprême du Canada (la Cour) a rendu l’arrêt clé Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27; [2007] 2 R.C.S. 391 [B.C. Health Services]. On s’accorde pour dire que cet arrêt infirme expressément les décisions antérieures de la Cour, qui avait conclu que l’alinéa 2d), garantissant la liberté d’association, n’englobait pas la protection des objets d’une telle association, notamment la négociation collective. Comme les deux décisions ont été rendues le même jour, le banc initial du Conseil n’a pas eu la possibilité de se pencher sur l’incidence de l’arrêt de la Cour.

[7] Même si l’on ne connaît pas encore la pleine portée de l’arrêt B.C. Health Services, précité, il fait maintenant clairement loi du pays que l’alinéa 2d) de la Charte protège la capacité des syndiqués de participer en groupe à la négociation collective des questions fondamentales liées au milieu de travail. Cet arrêt établit que, même si la Charte ne couvre pas tous les aspects de la négociation collective et qu’elle ne garantit pas non plus un résultat particulier d’un conflit de travail ou l’accès à un régime législatif particulier, elle protège tout de même le droit des employés de s’associer dans le cadre d’une action collective visant à atteindre des objectifs liés au travail. Si le gouvernement entrave de façon substantielle l’exercice de ce droit, il contrevient à l’alinéa 2d) de la Charte.

[8] En raison des dates coïncidentes de la décision du Conseil et de l’arrêt susmentionné portant sur l’alinéa 2d), et compte tenu de l’importance de cette question liée à la Charte pour les parties, ainsi que pour l’ensemble de la collectivité des relations du travail, le Conseil a consenti à exercer les pouvoirs de réexamen que lui confère l’article 18 du Code et d’examiner les ordonnances provisoires, rendues les 24 septembre 2004 et 4 octobre 2004, et sa décision sur les questions liées à la Charte (British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, précitée).

[9] Le banc de révision doit se pencher sur les questions suivantes :

a) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le refus de franchir une ligne de piquetage constituait une « grève » au sens de l’article 3 du Code;

b) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective contenue dans le Code, englobant selon lui le refus de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2b) de la Charte;

c) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective contenue dans le Code, englobant selon lui le refus de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2d) de la Charte;

d) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que, s’il avait été porté atteinte aux droits des employés garantis par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte, de telles atteintes étaient justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte.

[10] Un avis de question constitutionnelle a été signifié au Procureur général du Canada et aux procureurs généraux des provinces le 7 février 2008. Aucune observation n’a été reçue de ces sources.

[11] Pour les motifs qui suivent, le Conseil a décidé de ne pas annuler ou modifier les ordonnances provisoires qu’il a rendues les 24 septembre 2004 et 4 octobre 2004, ou la décision sur les questions liées à la Charte rendue le 8 juin 2007.

II – Faits

[12] Les faits qui ont mené aux décisions initiales du Conseil sont énoncés dans British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, précitée. Comme aucune des parties à la présente demande n’a contesté les constatations de fait du Conseil, il n’y a donc pas lieu de les exposer en détail ici. Brièvement, dans les deux affaires, les employés représentés par le GWU et le ILWU ont exercé un droit contenu dans leur convention collective respective de refuser de franchir une ligne de piquetage qui avait été érigée par les membres d’un autre syndicat, l’AFPC, dans le cadre d’une grève légale contre la Commission canadienne des grains. Les négociations entre l’AFPC et la Commission canadienne des grains sont régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, alors que la relation entre les parties à la présente demande est régie par le Code. Les membres du GWU et du ILWU n’étaient pas, à ce moment-là, en situation de grève légale contre leurs propres employeurs. Les employeurs ont présenté au Conseil des demandes de déclaration de grève illégale. La question que le Conseil devait trancher était de savoir si le refus par les membres du GWU et du ILWU de franchir la ligne de piquetage érigée par l’AFPC constituait une grève illégale au sens du Code et, le cas échéant, si une ordonnance d’interdiction était justifiée. Les syndicats ont également fait valoir que, si le Conseil concluait qu’une telle activité constituait une grève illégale, alors cette interprétation de la définition de « grève », combinée à l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée de la convention collective prévues à l’article 88.1 du Code, constitue une atteinte aux droits des employés à la liberté d’expression et d’association protégés par la Charte.

III – Position des parties

A – Syndicats

[13] Les syndicats soutiennent que le refus de franchir une ligne de piquetage ne devrait pas être assimilé à une grève au sens du Code, ce qui aurait pour effet de porter atteinte aux droits de leurs membres prévus par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte.

[14] En ce qui concerne l’alinéa 2b) de la Charte, les syndicats soutiennent que l’action de refuser de franchir une ligne de piquetage est une forme d’expression qui est protégée par l’alinéa 2b) de la Charte. Ils prétendent que le raisonnement dans British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, précitée, limite indûment le droit à la liberté d’expression prévu par la Charte, ce qui constitue une erreur de droit. Selon le GWU, le banc initial s’est écarté de l’analyse requise au regard de la Charte. Le GWU soutient que, même si le Conseil a répondu à la question de savoir si la conduite avait un contenu expressif, il ne s’est pas penché sur la question de savoir si le mode d’expression ou le lieu en cause prive la conduite de la protection de la Charte, comme on le prétendait dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62; [2005] 3 R.C.S. 141 [Ville de Montréal], ou si la loi porte atteinte à cette protection, par son objet ou par son effet, ce qui représente la deuxième étape de l’analyse de la Cour dans Irwin Toy Ltd. c. Québec (procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 [Irwin Toy]. Le GWU soutient que le banc initial s’est écarté du cadre analytique requis et a appliqué un raisonnement qui était fondamentalement incompatible avec l’analyse qui s’imposait pour déterminer s’il y avait eu atteinte au droit à la liberté d’expression prévue par la Charte.

[15] Les observations des intervenants divergent quelque peu. Ils prétendent que le banc initial a suivi la bonne approche analytique en répondant aux trois questions, mais qu’il a commis d’erreur en tirant ses conclusions. Ils soutiennent que le banc initial a commis une erreur dans sa réponse à la troisième question, en concluant que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée de la convention collective ne portait pas atteinte au droit d’expression, ni par son objet, ni par son effet. Selon les intervenants, le banc initial a conclu à tort qu’il n’existait aucun lien entre l’activité et le message, et le fait de dire simplement que les travailleurs disposent d’autres moyens de s’exprimer ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas eu atteinte.

[16] Les syndicats prétendent également que le raisonnement du banc initial est contraire à ce qui était le droit alors, et ce qui est le droit aujourd’hui, sous le régime de l’alinéa 2d) de la Charte.

[17] Les syndicats soutiennent qu’obliger les employés qu’ils représentent à franchir la ligne de piquetage érigée par l’AFPC, malgré la disposition de leur convention collective leur permettant de ne pas le faire, a pour effet d’interdire cette activité en raison de sa nature associative. Ils prétendent que, si un seul membre du syndicat refusait de franchir la ligne de piquetage, ce geste aurait été légal en vertu du Code et de la convention collective. Cependant, comme le refus des employés était « conjoint, concerté ou de connivence », ce même geste est rendu illégal par la loi. Selon les syndicats, l’interdiction de refuser de franchir une ligne de piquetage est ciblée en raison de sa qualité associative, ce qui constitue en soi une atteinte au droit à la liberté d’association protégé par la Charte. Selon les syndicats, le banc initial a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu atteinte à l’alinéa 2d) simplement parce qu’il n’existe pas de protection constitutionnelle du droit de grève. Les syndicats allèguent que le banc initial n’a pas tenu compte des différences essentielles entre un droit de grève s’inscrivant dans le cadre législatif et l’exercice d’un droit contractuel de refuser de franchir une ligne de piquetage.

[18] Selon les syndicats, la caractéristique déterminante porte sur le fait que les conventions collectives respectives contiennent toutes une disposition, ayant été négociée collectivement, qui permet aux employés de refuser de franchir une ligne de piquetage. Les décisions initiales du Conseil ont pour effet d’obliger les membres syndiqués à franchir une ligne de piquetage, malgré le droit négocié librement en vertu de leur convention collective de ne pas le faire. Par conséquent, les syndicats soutiennent que les décisions du Conseil invalident une disposition importante des conventions collectives, sans consultation, ce qui constitue une entrave substantielle à la négociation collective, portant ainsi atteinte à leurs droits en vertu de l’alinéa 2d) de la Charte, tels qu’ils sont définis à présent par la Cour dans B.C. Health Services, précité.

[19] Les syndicats affirment également que l’interdiction législative entrave la négociation collective et qu’elle empêche les membres de se regrouper et de réaliser des objectifs communs. Ils prétendent que, comme la loi a pour effet d’annuler une disposition, qui existe de longue date dans la convention collective et qui a été négociée librement par les parties, elle entrave la négociation collective. Ils soulignent que, dans B.C. Health Services, précité, la Cour a conclu que l’annulation unilatérale de conditions négociées constitue un des actes qui, en entravant de manière significative la tenue de négociations collectives fructueuses, pourrait avoir pour effet de violer le droit procédural d’entamer de telles négociations.

[20] Les syndicats affirment que le deuxième aspect du critère de l’« entrave substantielle » énoncé dans B.C. Health Services, précité vise à déterminer si la mesure législative ou la conduite de l’État en cause respectent l’obligation de consulter et de négocier de bonne foi. Ils soutiennent que l’interprétation de la définition de « grève » prévue par la loi, de sorte à priver les employés du droit de respecter les lignes de piquetage, constitue pratiquement une négation du processus de consultation et de négociation mené de bonne foi.

[21] Les syndicats ont invoqué deux affaires à l’appui de leur position. Dans Re Durham (Regional Municipality) Police Services Board and Durham Regional Police Assn. (2007), 164 L.A.C. (4th) 225 (Knopf) [Durham], une arbitre des différends s’est demandé si elle avait la compétence nécessaire pour supprimer une disposition de la convention collective qui établissait des niveaux de mutation minimum pour les officiers de police, alors que l’employeur alléguait que la disposition était en conflit avec la compétence exclusive du chef de police en matière opérationnelle. Dans cette affaire, l’arbitre a conclu que la loi devrait être lue et appliquée de sorte à rendre exécutoire la protection constitutionnelle que la Cour a conférée à la négociation collective dans B.C. Health Services, précité. L’arbitre a ajouté qu’  une loi ne devrait pas être interprétée ou appliquée d’une manière qui entraverait de manière substantielle ou qui compromettrait la capacité d’une association ou d’un syndicat de s’engager dans un processus de négociation des conditions de travail  (traduction). Elle a conclu que, en l’absence d’une directive claire que la dotation et la mutation ne relèvent pas du champ d’application de la négociation, il fallait donner à la loi une interprétation favorisant le maintien du processus de négociation des conditions de travail par les parties. Même si la convention collective ne pouvait pas retirer au chef de police son pouvoir en matière opérationelle, elle pouvait prévoir les répercussions des décisions du chef de police sur les coûts et l’organisation.

[22] Les syndicats ont également cité la décision Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), [2007] J.Q. no 13421 (C.S. Qué.) (QL), dans laquelle on concluait qu’une loi adoptée par le gouvernement du Québec en vue de réforme du réseau des soins de la santé et des services sociaux portait atteinte au droit à la liberté d’association conféré par l’alinéa 2d), étant donné que les personnes n’étaient pas libres de choisir avec qui elles souhaitaient s’associer aux fins de la négociation collective. Les syndicats ont invoqué cette décision pour soutenir qu’il devrait être présumé que la Charte accorde un niveau de protection au moins équivalent aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne que le Canada a ratifiés. Ils ont également fait valoir que le Comité de liberté syndicale de l’OIT a jugé que « [le] seul fait de participer à un piquet de grève et d’inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme une action illégitime » (Organisation internationale du Travail : Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 5e édition (révisée), Geneva, OIT, 2006, paragr. 651).

[23] Les syndicats ont dit clairement qu’ils ne prétendaient pas que la Charte protège le droit de grève. Ils disent plutôt que le droit de ne pas franchir une ligne de piquetage, lorsqu’une disposition de la convention collective prévoit ce droit, ne constitue pas une « grève » au sens du Code. Ils font valoir que, comme le processus de négociation collective bénéficie d’une protection constitutionnelle, la loi ne devrait être appliquée de manière à entraver substantiellement les dispositions négociées librement de leurs conventions collectives qui stipulent, en l’espèce, que les employés ne sont pas tenus de franchir une ligne de piquetage.

[24] En résumé, les syndicats soutiennent que, lorsque les parties ont négocié librement une disposition de la convention collective qui accorde aux employés le droit de ne pas franchir une ligne de piquetage, cette disposition devrait avoir le même effet que toute autre disposition qui permet aux employés de s’absenter du travail ou de refuser de travailler. Selon les syndicats, si les parties ont convenu lors de la négociation collective que les employés ne sont pas tenus d’exécuter certaines fonctions, l’exercice de ce droit ne constitue pas une grève. Ils déclarent qu’on ne devrait pas autoriser les employeurs à se dérober à un engagement pris à la table de négociation en assimilant l’exercice par les employés de droits prévus dans la convention collective à une grève illégale. Selon les syndicats, malgré le fait que la disposition de la convention collective ait conservé certains vestiges d’avantages, il n’en demeure pas moins qu’un droit important négocié collectivement a été supprimé.

[25] Les syndicats affirment que ces atteintes aux droits que les alinéas 2b) et 2d) confèrent aux employés ne peuvent être justifiées aux termes de l’article 1 de la Charte au motif qu’elles sont raisonnables et peuvent se justifier dans une société libre et démocratique.

[26] Les syndicats soutiennent que le banc initial a commis une erreur en définissant incorrectement l’objectif de la loi de manière trop large, au départ. En déterminant que l’objet de la loi est d’interdire toute forme d’arrêts de travail pendant la durée de la convention collective, on englobe des activités qui ne devraient pas être interdites et qui ne sont pas normalement considérées comme constituant une grève dans le plan général du Code. Les syndicats prétendent que, en interdisant toute forme d’arrêts de travail, au lieu de limiter l’interdiction aux arrêts reliés à la négociation collective, l’objet de la loi ne remplit pas le critère de la « préoccupation urgente et réelle », le premier volet du critère énoncé dans Oakes (voir R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103), auquel il faut satisfaire pour justifier la violation de droits protégés par la Charte.

[27] De plus, les syndicats soutiennent que le banc initial a commis une erreur en concluant que l’interdiction législative de toute forme d’arrêts de travail pendant la durée de la convention collective satisfaisait au critère de la proportionnalité, qui constitue le deuxième volet du critère énoncé dans Oakes, précité. Premièrement, selon eux, il n’existe aucun lien rationnel entre l’interdiction de toute forme d’arrêts de travail, ce qui comprend la manifestation de solidarité, et les objets de la loi visant à protéger le régime de la négociation collective libre et les grèves connexes liées à la négociation collective. Enfin, ils estiment que l’interdiction législative ne satisfait pas au volet de l’atteinte minimale du critère, tout particulièrement lorsque des parties ont négocié librement le droit de refuser de franchir une ligne de piquetage dans leur convention collective. À leur avis, une interdiction plus étroite ciblant uniquement les grèves reliées à la négociation collective peut satisfaire au critère de l’atteinte minimale.

[28] En ce qui concerne l’alinéa 2d), les syndicats soutiennent que, dans B.C. Health Services, précité, la Cour a limité comme suit la portée de toute justification en vertu de l’article 1 : « Exceptionnellement et généralement de façon temporaire, une interférence dans le processus de négociation collective reste donc permise, par exemple dans des situations mettant en cause des services essentiels ou des aspects vitaux de l’administration des affaires de l’État, ou dans le cas d’une impasse manifeste ou d’une crise nationale. » Selon les syndicats, une définition de grève qui interdit toute forme d’arrêts de travail pendant la durée de la convention collective n’est ni temporaire, ni exceptionnelle, et ne peut donc pas satisfaire à la norme applicable à la justification au sens de l’article 1 établie dans B.C. Health Services, précité.

B – Employeurs

[29] Les employeurs soutiennent que le Conseil a interprété correctement la définition de « grève » lorsqu’il a conclu que le refus concerté des membres du GWU et du ILWU de se présenter au travail en raison de la présence des lignes de piquetage érigées par l’AFPC à leurs lieux de travail constituait une grève. Les employeurs affirment que, contrairement à ce que prétendent les syndicats, la présente affaire porte tout à fait sur le droit de grève, plutôt que sur le droit de négocier collectivement. Ils soulignent que le droit de grève est un droit d’origine législative qui n’est accordé qu’aux employés syndiqués afin de mieux les habiliter à négocier avec leur employeur. Selon les employeurs, il est loisible au gouvernement de restreindre le droit de grève qu’il a accordé. Les employeurs soulignent également que la Charte ne protège pas le droit de grève (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act, [1987] 1 R.C.S. 313 (Alb.), et ils estiment que l’analogie que les syndicats tentent d’établir avec les droits des employés non syndiqués est sans fondement, compte tenu du fait que la loi ne prévoit en aucun temps le droit pour ces derniers de faire la grève et que la Charte ne leur confère pas le droit de refuser de franchir une ligne de piquetage.

[30] Les employeurs souscrivent à la conclusion du Conseil selon laquelle l’application de la définition de grève au moyen de pression en cause ne porte pas atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte. Ils font valoir que le Conseil a suivi la méthode d’analyse de l’alinéa 2b) exposée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Hospital Employees’ Union v. Health Employers’ Assn. of British Columbia, 2007 BCSC 372; (2007), 133 CLRBR (2d) 259 [HEABC]. À leur avis, le Conseil a appliqué correctement l’analyse de l’arrêt Irwin Toy, précité que la Cour a précisée dans Ville de Montréal, précité qui prévoit un mécanisme d’examen préalable pour déterminer si le lieu ou le mode d’expression mine les valeurs fondamentales sous-tendant la liberté d’expression garantie par la Charte, de sorte à la soustraire à la protection de la Charte. Les employeurs estiment que le Conseil a appliqué le cadre analytique adéquat, a répondu aux bonnes questions et a conclu correctement que, même si le mode d’expression – le refus de franchir une ligne de piquetage – constituait une activité expressive, l’interdiction de cette activité ne portait pas atteinte au droit à la liberté d’expression.

[31] Les employeurs concèdent que la jurisprudence relative à l’alinéa 2d) de la Charte a changé après que le banc initial a rendu sa décision, mais ils soutiennent que le résultat de la décision initiale sur ce point demeure valable. À leur avis, la présente affaire ne porte pas tant sur le droit de négocier collectivement que sur le droit de grève, un droit qui n’est manifestement pas protégé par la Charte. Ils prétendent que l’arrêt B.C. Health Services, préctié ne s’applique pas à la présente situation, puisqu’il n’a pas modifié la loi en matière de droit de grève.

[32] Les employeurs soutiennent que, si l’arrêt B.C. Health Services, précité s’applique en l’espèce, l’interdiction prévue par la loi de faire la grève pendant la durée de la convention collective n’entrave pas le processus de négociation collective. Par ailleurs, si l’interdiction prévue par la loi entrave le droit des requérants de négocier collectivement, elle ne constitue pas une entrave substantielle à ce droit.

[33] Selon eux, la seule interprétation possible de l’arrêt B.C. Health Services, précité est que le processus de négociation collective est protégé et que cette protection ne donne pas droit à un résultat particulier. Toutes les dispositions contestées du Code limitent, à leur avis, ce que les parties peuvent et ne peuvent pas négocier et prévoient que les parties ne peuvent pas se soustraire à leurs obligations contractuelles et à ces limites législatives. Ils invoquent l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42; [2003] 2 R.C.S. 157 de la Cour à l’appui de leur proposition que les lois sur l’emploi peuvent établir un seuil minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat.

[34] Les employeurs soutiennent que les syndicats cherchent à obtenir la protection de la Charte pour le contenu de leurs conventions collectives simplement parce qu’elles sont le fruit de la négociation collective, mais ils soulignent que l’arrêt B.C. Health Services, précité ne garantit pas les résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques. Ils prétendent également qu’il ne s’agit pas d’une annulation complète d’une disposition de la convention collective, puisque la disposition demeure exécutoire entre les parties.

[35] Les employeurs établissent une distinction entre la situation dans B.C. Health Services, précité et leur situation. Dans cette affaire, le projet de loi 29 n’a pas simplement « peaufiné » le code du travail pour assurer un meilleur équilibre, mais a plutôt été adopté dans le but exprès de supplanter le code du travail et de faire obstacle aux ententes négociées collectivement. Ils estiment que, face à cette circonstance extrême et accablante, la Cour a dû intervenir.

[36] Selon les employeurs, l’annulation absolue par le gouvernement de la Colombie-Britannique de dispositions importantes d’ententes négociées collectivement était le type d’entrave substantielle à la négociation collective qui est maintenant interdit. Ils estiment que le Code n’annule pas la disposition de la convention collective qui permet aux employés de refuser de franchir une ligne de piquetage. Les employeurs soutiennent que la disposition demeure exécutoire entre les parties – elle empêcherait, par exemple, l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire à un employé qui ne se présenterait pas au travail parce qu’il refuserait de franchir une ligne de piquetage. Ils prétendent que la disposition est toujours valide, mais pas dans la mesure où le syndicat aurait pensé l’avoir négociée et aurait aimé l’avoir négociée.

[37] Les employeurs prétendent que les dispositions du projet de loi 29 qui ont été maintenues (par exemple, les restrictions s’appliquant aux droits du successeur et les dispositions sur l’employeur commun et l’employeur véritable) sont analogues à celles en litige dans la présente affaire. Selon eux, il s’agit de questions à l’égard desquelles le législateur peut accorder ou refuser une protection, comme il le juge bon. Les employeurs prétendent que le fait de restreindre la capacité des employés de participer à des arrêts de travail pendant la durée de la convention collective n’entrave aucunement la négociation collective, et encore moins de manière substantielle.

[38] En conclusion, les employeurs soutiennent que l’analyse de l’article 1 faite par le banc initial était correcte. Ils estiment que le banc initial a eu raison de désigner l’objectif urgent et réel de la loi comme étant le vaste objectif d’assurer la certitude et la stabilité grâce au maintien de la paix industrielle pendant la durée de la convention collective. À leur avis, il aurait été incorrect de présumer que l’objet législatif d’interdire des grèves pendant la durée des conventions collectives visait seulement à réglementer les moyens de pression entrepris par des employés relativement à leurs conditions d’emploi, car cela aurait fait abstraction des plus vastes intérêts de la société liés au maintien de la paix et de la stabilité industrielles.

[39] Les employeurs contestent les accusations des syndicats selon lesquelles le critère de la proportionnalité n’a pas été satisfait et soutiennent que l’analyse et les conclusions du banc initial concernant les critères du lien rationnel et de l’atteinte minimale étaient valables et conformes à la jurisprudence. Ils affirment que les moyens adoptés par le législateur pour atteindre cet objectif se distinguent nettement de ceux de l’arrêt B.C. Health Services, précité et sont proportionnels à l’objectif.

IV – Analyse et décision

[40] Le Conseil note que les employeurs ont soulevé une question sur le caractère suffisant des demandes des syndicats en l’espèce. Ils allèguent tout particulièrement que le ILWU n’a pas soulevé de nouveaux arguments de fond quant aux erreurs qu’aurait pu commettre le banc initial dans son analyse des questions. La BCMEA allègue que le ILWU a simplement répété les mêmes arguments que celui-ci avait présentés au banc initial. La BCTEOA fait la même allégation contre le GWU en ce qui concerne les arguments relatifs à l’analyse de la justification au sens de l’article 1. Le banc de révision estime que chaque question a été traitée adéquatement dans les observations des syndicats et des intervenants, et qu’il est dans l’intérêt public que le Conseil se prononce sur le fond des arguments.

[41] Dans le cadre de la présente demande de réexamen, le Conseil doit se pencher sur les questions suivantes :

a) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que le refus de franchir une ligne de piquetage constituait une « grève » au sens de l’article 3 du Code;

b) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective contenue dans le Code, englobant selon lui le refus de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2b) de la Charte;

c) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective contenue dans le Code, englobant selon lui le refus de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2d) de la Charte;

d) le banc initial a-t-il commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que, s’il avait été porté atteinte aux droits des employés garantis par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte, de telles atteintes étaient justifiées en vertu de l’article 1 de la Charte.

A – La définition de « grève »

[42] L’article 3 du Code donne la définition suivante de « grève » :

« grève » S’entend notamment d’un arrêt du travail ou du refus de travailler, par des employés agissant conjointement, de concert ou de connivence; lui sont assimilés le ralentissement du travail ou toute autre activité concertée, de la part des employés, ayant pour objet la diminution ou la limitation du rendement et relative au travail de ceux-ci.

[43] Le banc initial a bien exposé la jurisprudence du Conseil concernant la définition, aux paragraphes 62 à 78; le banc de révision estime que le banc initial n’a commis aucune erreur en concluant qu’un refus concerté de franchir une ligne de piquetage constitue une grève au sens de l’article 3 du Code. À l’exception de quelques décisions rendues au début des années 1980, le Conseil a constamment appliqué l’arrêt Association internationale des débardeurs c. Association des employeurs maritimes et autres, [1979] 1 R.C.S. 120, dans lequel la Cour a conclu que la définition de grève est objective.

[44] Dans quelques décisions rendues au début des années 1980 (British Columbia Telephone Company (1980), 40 di 163; [1980] 3 Can LRBR 31; et 80 CLLC 16,062 (CCRT no 253); Société Radio-Canada (1981), 45 di 29; [1981] 2 Can LRBR 462; et 81 CLLC 16,128 (CCRT no 322); Purolator Courrier Ltée (1981), 45 di 300 (CCRT no 344)), le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), le prédécesseur du Conseil, s’est penché sur la définition de grève et sur ses conséquences sous le régime du Code dans le cadre d’un refus de franchir une ligne de piquetage. Le CCRT a établi que des exceptions pouvaient s’appliquer à la définition objective et que les parties pouvaient se soustraire à l’application du Code en négociant des dispositions qui permettent aux employés de refuser de franchir une ligne de piquetage. Cependant, dans Saskatchewan Wheat Pool (1994), 93 di 201; et 94 CLLC 16,060 (CCRT no 1055), le CCRT a clairement réaffirmé son interprétation de longue date selon laquelle la définition de grève est une définition objective, et il a conclu que les parties ne peuvent pas, par la voie de la négociation, modifier la définition de « grève » prévue par la loi ou se soustraire à l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective. Depuis, le CCRT et le CCRI par la suite ont constamment conclu que, même si un employé bénéficie d’un droit individuel de refuser de franchir une ligne de piquetage acquis par le biais de la négociation collective, lorsque ce droit est exercé de manière concertée ou d’un commun accord, il constitue une grève illégale en vertu du Code.

[45] Dans leurs observations, les syndicats ont beaucoup insisté sur le fait que, lorsque le législateur a modifié le Code en 1998, il n’a pas adopté la recommandation formulée dans Relativement au Code canadien du travail, Partie I – Relations du travail : Rapport de la Commission d’enquête sur les relations de travail dans les ports de la côte ouest, Canada, The Commission, 1995 (Commissaires : Hugh R. Jamieson et Bruce M. Greyell), ce qui aurait eu pour effet d’interdire expressément de se soustraire à l’application du Code en modifiant le paragraphe 89(2) de façon à préciser que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée de la convention collective s’appliquerait « [n]onobstant toute indication contraire de la convention collective ». Les syndicats s’appuient sur cette présumée omission du législateur pour étayer leur prétention qu’en 1998, l’intention du législateur n’était pas d’interdire la négociation de dispositions dans les conventions collectives qui permettent aux employés de refuser collectivement de franchir des lignes de piquetage.

[46] D’autre part, les employeurs renvoient à une des modifications édictées en 1998 à l’appui de la proposition selon laquelle l’intention du législateur n’était pas d’interdire les arrêts de travail pendant la durée de la convention collective. Le paragraphe 88.1 qui a été ajouté à ce moment-là au Code est libellé comme suit :

88.1 Les grèves et les lock-out sont interdits pendant la durée d’une convention collective sauf si, à la fois :

a) l’avis de négociation collective a été donné en conformité avec la présente partie, compte non tenu du paragraphe 49(1);

b) les conditions prévues par le paragraphe 89(1) ont été remplies.

[47] Les syndicats n’ont pas convaincu le banc de révision que le banc initial a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que la définition de grève est objective et que l’intention du législateur était d’interdire les grèves pendant la durée d’une convention collective, comme en témoigne le libellé du paragraphe 88.1. Par conséquent, il ressort clairement que toute décision du Conseil antérieure au 1er janvier 1999 qui propose une interprétation contraire ne peut pas être retenue. Les parties ne peuvent pas négocier des dispositions dans leur convention collective qui permettent à des employés d’enfreindre l’interdiction visant les arrêts de travail pendant la durée de la convention collective ou qui mènent à une telle infraction.

B – Alinéa 2b) – Liberté d’expression

[48] Une disposition du Code qui interdit les arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective porte-t-elle atteinte à la liberté d’expression des employés? Le banc initial a traité de cette question aux paragraphes 79 à 101.

[49] Les syndicats contestent la méthode d’analyse fondée sur la Charte du banc initial qui l’a amené à conclure que l’interdiction visant les grèves pendant la durée d’une convention collective ne porte pas atteinte à la liberté d’expression des employés.

[50] Les syndicats renvoient à deux affaires pour étayer leurs arguments respectifs : Irwin Toy et Ville de Montréal, précités. Dans Irwin Toy, précité, la Cour s’est appuyée sur un critère en deux étapes pour déterminer s’il y avait eu atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Les étapes sont expliquées comme suit :

... Lorsqu’on allègue la violation de la garantie de liberté d’expression, la première étape de l’analyse consiste à déterminer si l’activité du demandeur relève du champ des activités protégées par la garantie. Une activité qui (1) ne transmet pas ni ne tente de transmettre une signification et qui est donc expression sans contenu ou (2) qui transmet une signification par une forme d’expression violente, ne relève pas du champ des activités protégées. Si l’activité fait partie du champ des activités protégées, la deuxième étape consiste à déterminer si l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale en cause était de restreindre la liberté d’expression...

(page 931; c’est nous qui soulignons)

[51] Dans Ville de Montréal, précité, une affaire se rapportant à la contestation d’un règlement municipal interdisant le bruit produit par le système de son d’un club qui pouvait être entendu dans une rue publique, la Cour s’est penchée sur l’application de l’alinéa 2b) à une propriété appartenant à l’État. Elle a appliqué l’« approche analytique » en trois étapes suivante pour déterminer s’il y avait eu atteinte à la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte :

56. L’interdiction par la Ville du bruit amplifié qui s’entend à l’extérieur va-t-elle à l’encontre de l’al. 2b) de la Charte canadienne? Selon l’approche analytique définie dans les arrêts antérieurs, la réponse à cette question dépend de la réponse donnée à trois autres questions. Premièrement, le bruit a-t-il le contenu expressif nécessaire pour entrer dans le champ d’application de la protection offerte par l’al. 2b)? Deuxièmement, dans l’affirmative, le lieu ou le mode d’expression ont-ils pour effet d’écarter cette protection? Troisièmement, si l’activité expressive est protégée par l’al. 2b), le Règlement, de par son objet ou son effet, porte-il atteinte au droit protégé? Voir Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927.

[52] Le GWU soutient que le Conseil s’est écarté de l’approche analytique énoncée dans Irwin Toy et Ville de Montréal, précités et qu’il a appliqué un raisonnement essentiellement contradictoire à l’analyse appropriée de la Charte. Les intervenants ont fait valoir que le Conseil avait appliqué incorrectement la deuxième étape du critère énoncé dans Irwin Toy, précité et qu’il en était donc arrivé à une conclusion erronée selon laquelle l’interdiction législative de grève pendant la durée d’une convention collective ne porte pas atteinte, de par son objet ou son effet, au droit d’expression des employés.

[53] Le banc initial a décrit correctement le critère formulé dans Irwin Toy, précité au paragraphe 79. Le banc de révision estime que l’arrêt Ville de Montréal, précité n’a pas modifié les principaux éléments de l’analyse énoncés dans Irwin Toy, précité. Dans Ville de Montréal, précité, la Cour a simplement précisé l’analyse formulée dans Irwin Toy, précité en ajoutant une étape ou une question d’examen préalable aux fins de l’analyse relative à l’alinéa 2b), pour les situations où le lieu ou le mode d’expression lui-même pourrait l’écarter du champ d’application de l’activité protégée. La Cour a déclaré que les deux premières questions formulées dans Ville de Montréal, précité visent à déterminer si l’expression en question s’inscrit dans le champ d’application de l’alinéa 2b), ce qui est la première étape de l’analyse formulée dans Irwin Toy, précité :

57. Les deux premières questions sont rattachées à celle de savoir si l’activité expressive entre dans le champ de protection de l’al. 2b). Elles s’appuient sur la distinction établie dans Irwin Toy entre le contenu (qui est toujours protégé) et la « forme » (qui ne l’est pas nécessairement toujours). Bien que cette distinction puisse parfois être floue (voir p. ex. Irwin Toy, p. 968; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748), elle est utile dans des situations comme celle qui nous occupe, où le mode et le lieu sont au centre de la question de savoir si l’activité expressive interdite est protégée par la garantie de liberté d’expression.

(c’est nous qui soulignons)

Cette affirmation démontre que la Cour n’avait pas l’intention de s’écarter du critère formulé dans Irwin Toy, précité, mais qu’elle précise plutôt la première étape pour les situations où le mode et le lieu sont essentiels pour déterminer si l’activité expressive interdite est protégée.

[54] La Cour a souvent affirmé dans ses arrêts que la liberté d’expression est une valeur canadienne fondamentale et une composante cruciale d’une société libre et démocratique. Les tribunaux judiciaires ont établi que l’expression possède à la fois un contenu et une forme et que le contenu peut être transmis sous différentes formes d’expression. Cependant, comme les affaires susmentionnées le démontrent, la Cour a également reconnu que la liberté d’expression n’est pas absolue et que la Charte ne protège pas toutes les formes d’expression. Par exemple, elle a conclu dans Irwin Toy, précité, que l’expression à caractère violent n’était pas protégée.

[55] En l’espèce, le Conseil est d’avis que le banc initial a correctement appliqué la première étape de l’analyse formulée dans Irwin Toy, précité et examiné le « contenu » et la « forme » de l’activité par rapport à cette première étape afin de déterminer si le refus de franchir une ligne de piquetage constituait une activité expressive s’inscrivant dans le champ d’application de l’alinéa 2b) de la Charte. Le banc initial a traité de la question aux paragraphes 82 à 87. Il a conclu que la forme d’activité en question, à savoir le refus de franchir une ligne de piquetage, comporte également un élément d’expression et s’inscrit donc dans le champ d’application de l’activité expressive protégée par l’alinéa 2b) de la Charte. Le banc de révision accepte l’analyse du banc initial, ainsi que les conclusions de ce dernier sur la question.

[56] Comme il ne s’agissait pas en l’espèce de l’application de l’alinéa 2b) à une propriété appartenant à l’État, ni de violence, le Conseil estime que le banc initial a appliqué correctement la première étape de l’analyse formulée dans Irwin Toy, précité et qu’il n’était pas tenu d’aborder explicitement les questions du mode et du lieu formulées dans Ville de Montréal, précité.

[57] La question se trouvant au coeur du réexamen concerne toutefois l’application par le banc initial de la deuxième étape de l’analyse formulée dans Irwin Toy, précité, lorsqu’il a examiné l’objet ou l’effet de l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective, en vue de déterminer s’il y avait atteinte. Le GWU prétend que le banc initial s’est fondé sur un raisonnement ne faisant pas partie, à proprement parler, d’une décision initiale sur la question de savoir s’il y a eu atteinte au droit à la liberté d’expression, mais qu’il s’est plutôt livré à une analyse de la justification au sens de l’article 1. Les intervenants prétendent que le banc initial a appliqué correctement le critère, mais qu’il a tiré une conclusion erronée. Le banc de révision estime que le banc initial a bel et bien appliqué correctement la deuxième étape du critère énoncé dans Irwin Toy, précité et, qu’il ne s’est pas livré à une analyse de la justification au sens de l’article 1 à ce stade. Par ailleurs, à l’instar du banc initial, le banc de révision croit que la définition de grève n’a ni pour objet ni pour effet de contrôler l’expression ou d’empêcher les travailleurs d’exprimer leur appui et leur solidarité à d’autres travailleurs (paragraphe 92).

[58] La deuxième étape de l’analyse formulée dans Irwin Toy, précité se trouve au paragraphe 88 de la décision initiale. En ce qui concerne le critère de l’objet, la Cour a déclaré dans Irwin Toy, précité que, lorsque l’activité gouvernementale en litige cherche à contrôler seulement les conséquences matérielles d’une activité donnée, peu importe si la conduite est une tentative de transmettre une signification, son objet ne porte pas atteinte à la liberté d’expression garantie. Le banc de révision souscrit à la description que fait le banc initial de l’objet de l’interdiction visant les arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective au paragraphe 91 :

[91] Le Conseil est d’avis qu’on ne saurait dire que l’objet de la loi (voire de l’interdiction des grèves pendant qu’une convention collective est en vigueur) consiste à restreindre la capacité d’expression, aussi bien dans son contenu que dans sa forme. L’interdiction qu’impose le Code n’a pas pour but de limiter ni de restreindre le piquetage, ni non plus de saper la capacité des travailleurs d’exprimer leur appui et leur solidarité envers des grévistes en les forçant à franchir les lignes de piquetage. En fait, la définition d’une grève, interprétée en tenant compte de l’interdiction prévue par l’article 88.1, fait partie intégrante de l’esprit global du Code, puisqu’elle vise à injecter quelque certitude dans l’univers des relations du travail en réglementant le droit de s’adonner légalement à une activité de grève.

(British Columbia Terminal Elevator Operators’ Association, précitée)

[59] Le banc initial a également conclu que l’interdiction visant les arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective n’avait pas pour effet de priver les travailleurs du droit de transmettre leur message ou de nuire à leur capacité de transmettre le contenu de leur message. Par conséquent, l’interdiction ne porte pas atteinte à leur liberté d’expression.

[60] Ce faisant, le banc initial a rejeté la notion que le droit à la liberté d’expression était un droit inconditionnel de démontrer un appui, peu importe la manière ou la tribune choisie. Selon le banc de révision, cela ne signifie pas que le banc initial se soit livré à une analyse de la justification au sens de l’article 1 à ce stade. Le banc initial a simplement tenu compte des principes énoncés dans Irwin Toy, précité pour déterminer l’objet et l’effet de l’interdiction visant les arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective, et il a examiné le principe susmentionné, selon lequel des restrictions peuvent être imposées en ce qui concerne les conséquences matérielles d’une activité donnée, sans pour autant qu’il y ait atteinte à la liberté d’expression garantie.

[61] Le banc initial a renvoyé à la décision HEABC, précité de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui portait également sur une interruption de services. Dans cette affaire, l’interruption était reliée à la participation des employés à des protestations politiques, mais cette Cour a traité l’affaire comme s’il s’agissait d’un arrêt de travail pendant la durée d’une convention collective et a jugé que la restriction imposée aux arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective dans la loi de la Colombie-Britannique ne portait pas atteinte aux droits protégés par l’alinéa 2b) de la Charte. Elle a conclu que l’interdiction absolue imposée aux arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective constituait une « simple réglementation des conséquences matérielles de cette forme d’activité expressive et qu’elle n’avait pas d’incidence négative sur le contenu de l’expression politique ou la capacité de participer à cette expression » (paragraphe 163; traduction). Elle a précisé que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective laisse aux employés la liberté d’assister à des protestations politiques, dans la mesure où l’expression ne donne pas lieu à une interruption des services pendant la durée d’une convention collective et pendant les heures de travail.

[62] Il en va de même dans les présentes circonstances. Le banc de révision souscrit à la conclusion du banc initial que la restriction imposée aux arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective n’est pas liée au contenu et qu’elle n’a pas pour effet de priver les travailleurs du droit de transmettre leur message d’appui et de solidarité aux autres travailleurs qui participent à une grève légale contre leur employeur, ou de contrôler ou de restreindre autrement le contenu de leur message. La restriction réglemente simplement les conséquences matérielles liées à l’activité de grève, sans pour autant avoir une incidence négative sur le contenu du message ou sur la capacité des travailleurs d’exprimer leur solidarité.

[63] Le banc de révision estime donc que le banc initial n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que l’interdiction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective n’a ni pour objet, ni pour effet de restreindre le droit des membres syndiqués de refuser de franchir une ligne de piquetage ou de porter atteinte à la liberté d’expression. Cette conclusion était fondée sur les principes bien établis et formulés dans Irwin Toy, précité.

[64] Cependant, même si cette conclusion est incorrecte, le banc de révision estime également que toute restriction législative de la liberté d’expression des employés peut être justifiée au sens de l’article 1, aux motifs donnés par le banc initial aux paragraphes 114 à 142. Le banc de révision étudiera cette question plus loin dans les présents motifs.

C – Alinéa 2d) – Liberté d’association

[65] Le banc initial a reconnu que la clause sur la ligne de piquetage a été négociée collectivement, mais a appliqué la jurisprudence qui prévalait alors en concluant que le droit de négocier collectivement n’était pas protégé par la Constitution. Il est acquis que l’arrêt B.C. Health Services, précité a modifié l’interprétation de l’alinéa 2d) par rapport à ce qui avait été formulé dans la « trilogie » (Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act, précité; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; et SDGMR c. Saskatchewan, [1987] 1 R.C.S. 460). Par le passé, on croyait que la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d) ne s’appliquait pas à la protection de l’objet de cette association et, par conséquent, que la Charte ne protégeait pas la négociation collective proprement dite. L’arrêt B.C. Health Services, précité, établit que l’alinéa 2d) de la Charte protège la capacité des membres syndiqués de participer à la négociation collective de questions fondamentales liées au milieu de travail et que cette activité associative doit être protégée contre une entrave substantielle par l’État.

[66] Les syndicats ne prétendent pas que l’alinéa 2d) comprend un droit de grève autonome protégé par la Constitution. Ils affirment plutôt que les décisions du Conseil et les ordonnances provisoires qu’il a rendues les 24 septembre 2004 et 4 octobre 2004, dans lesquelles on interprète le terme « grève » comme incluant le refus de franchir une ligne de piquetage, invalident une disposition importante de la convention collective – le droit négocié de refuser de franchir une ligne de piquetage – sans consultation. Selon eux, cela constitue une entrave substantielle à la négociation collective, contrairement aux droits conférés par l’alinéa 2d), et cette atteinte ne peut pas être justifiée au sens de l’article 1 de la Charte.

[67] Les employeurs affirment que la présente affaire concerne absolument le droit de grève et que l’arrêt B.C. Health Services, précité, qui reconnaît une protection très limitée du processus de négociation collective aux termes de l’alinéa 2d) de la Charte, précise expressément que l’arrêt ne traite pas du droit de grève et n’annule pas la jurisprudence antérieure établissant que la Charte ne protège pas le droit de grève. Les employeurs soutiennent que l’arrêt B.C. Health Services, précité ne s’applique pas aux faits en l’espèce, et que, même s’il s’appliquait, il n’y a eu aucune entrave à la négociation collective, et certes aucune entrave substantielle au droit des membres syndiqués de négocier collectivement.

[68] Il existe souvent plusieurs façons de qualifier une question et la présente affaire est un exemple parfait de cette réalité. Les syndicats ont tenté de convaincre le Conseil que la question en l’espèce portait essentiellement sur la négociation collective, à laquelle la Constitution accorde maintenant une certaine protection. Cependant, selon le banc de révision, il est plus juste de qualifier cette question de question portant sur la validité constitutionnelle de l’interdiction législative visant les grèves pendant la durée d’une convention collective, et il s’agit de savoir si cette interdiction porte atteinte aux droits des employés assujettis au Code que la Charte garantit. Les décisions du Conseil faisant l’objet de réexamen ont confirmé qu’un refus concerté de franchir une ligne de piquetage est une grève au sens du Code et que, par conséquent, ce refus est visé par l’interdiction de grèves pendant la durée d’une convention collective. Dans B.C. Health Services, précité, la Cour a déclaré inconstitutionnelles certaines parties d’une loi édictée pour annuler délibérément des dispositions importantes d’une convention collective qui avait été négociée librement, en vue de réduire les coûts de soins de santé. Malgré les efforts des syndicats pour démontrer que la présente affaire porte atteinte à la négociation collective, le banc de révision estime que, fondamentalement, les objections des requérants aux ordonnances du Conseil reposent en réalité sur la prétention à un droit de grève contractuel illimité.

[69] Toutes les parties et le présent banc sont d’accord pour dire que l’arrêt B.C. Health Services, précité n’accorde pas une protection constitutionnelle au droit de grève et n’annule pas la jurisprudence antérieure sur la question. Par conséquent, le banc de révision est d’avis que l’arrêt B.C. Health Services, précité ne s’applique pas directement aux faits en l’espèce et n’a aucune incidence sur l’analyse et les conclusions du banc initial concernant la question liée à la Charte.

[70] Cependant, si cette conclusion est erronée et que l’arrêt B.C. Health Services, précité s’applique bel et bien aux circonstances de la présente affaire, alors le banc de révision estime que la conclusion du banc initial, selon laquelle les droits des membres syndiqués aux termes de l’alinéa 2d) n’ont pas été violés, demeure valable, compte tenu du fait qu’il n’y a pas eu une entrave substantielle au droit de négocier collectivement.

[71] Les circonstances en l’espèce diffèrent considérablement des faits de l’arrêt B.C. Health Services, précité. Dans cette affaire, le gouvernement de la C.-B. a édicté une loi, la Health and Social Services Delivery Improvement Act (projet de loi 29 ou la Loi), ayant pour objectif de réduire les coûts des services de soins de santé de la province. La Loi invalidait délibérément certaines dispositions de conventions collectives en vigueur dans le secteur de la santé et interdisait que la négociation collective porte sur certaines questions. La portée des questions visées par la Loi était vaste, notamment en ce qui concerne des sujets importants tels que la sous-traitance, la sécurité d’emploi, les droits de mise en disponibilité et de supplantation et les droits liés aux transferts et affectations dans différents lieux de travail. Il ressortait clairement que l’objet et l’effet de la Loi étaient d’annuler des conditions importantes négociées librement des conventions collectives.

[72] En statuant que la Loi portait atteinte à l’alinéa 2d) de la Charte, la Cour a déclaré que « l’État doit s’abstenir d’empêcher un syndicat d’exercer une véritable influence sur les conditions de travail par l’entremise d’un processus de négociation collective menée de bonne foi » (traduction). Selon la Cour, pour qu’il y ait « entrave substantielle », l’intention ou l’effet doit sérieusement compromettre l’activité des travailleurs qui consiste à se regrouper en vue de réaliser des objectifs communs, c’est-à-dire négocier des conditions de travail et des modalités d’emploi avec leur employeur. La Cour donne comme exemple d’entrave substantielle le fait d’utiliser des tactiques flagrantes destinées à « briser les syndicats », de priver les employés de recours sous le régime des lois sur le travail, d’agir de mauvaise foi ou d’annuler de façon unilatérale des modalités négociées, sans véritables discussions et consultations. Dans B.C. Health Services, précité, la Cour a jugé que certaines dispositions seulement de la Loi étaient inconstitutionnelles parce qu’elles portaient atteinte au droit de négocier collectivement. Elle a statué notamment que l’annulation des dispositions sur la sous-traitance et les droits de mise en disponibilité et de supplantation contenues dans les conventions collectives en vigueur constituait une entrave substantielle parce que ces dispositions portaient sur des questions cruciales en matière de négociation collective. Elle a également jugé que les actes du gouvernement concernant ces questions constituaient, à toute fin pratique, une négation du droit à un processus de négociation et de consultation mené de bonne foi. La Cour a toutefois statué que l’incidence de la Loi sur les transferts et les affectations des employés, ce qui comprend le retrait de ces questions de la négociation dans le futur, n’était pas assimilable à une entrave substantielle, étant donné que les modifications étaient relativement mineures et que des protections importantes demeuraient en place.

[73] Les syndicats ont également prétendu que leur droit négocié collectivement de ne pas franchir une ligne de piquetage avait été supprimé « sans consultation ». L’acte allégué de l’État, le cas échéant, devrait renvoyer aux amendements du Code édictés en 1998, qui sont entrés en vigueur le 1er janvier 1999. Les amendements de 1999 étaient le fruit d’une réforme législative visant à actualiser le Code et à en faire un texte législatif plus efficace et plus pertinent par rapport à l’environnement moderne des relations du travail. Contrairement au projet de loi 29, en litige dans B.C. Health Services, précité, une législation ciblant des dispositions particulières des conventions collectives dans un secteur particulier, les amendements du Code en 1999 visaient à actualiser le régime complet des relations syndicales-patronales à l’échelle fédérale. Bien que la définition de « grève » n’ait pas été modifiée, les amendements comportaient l’ajout du paragraphe 88.1, qui interdit expressément les arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective. Il est important de mentionner que, contrairement à la situation dans B.C. Health Services, précité, les amendements au Code de 1999 ont été édictés à la suite d’une vaste consultation, comprenant l’examen en profondeur du Code par un groupe de travail indépendant qui a formulé plusieurs recommandations de changement.

[74] L’effet combiné de l’article 3 et du paragraphe 88.1 constitue-t-il une entrave substantielle au droit des employés de négocier collectivement? Les syndicats soutiennent que c’est le cas. À leur avis, l’application du Code a pour effet d’annuler la disposition d’une convention collective qu’ils ont négociée quelque 20 ans plus tôt. Autrement dit, ils estiment avoir perdu la valeur de leur négociation. Les employeurs affirment, quant à eux, que la disposition de la convention collective est toujours valable, étant donné que les employés ne peuvent pas faire l’objet d’une mesure disciplinaire imposée par leur employeur pour avoir refusé individuellement de franchir une ligne de piquetage et qu’ils sont protégés contre les réclamations en dommages-intérêts de leurs employeurs découlant d’activités illégales.

[75] D’après l’arrêt B.C. Health Services, précité, le projet de loi 29 avait pour but et effet de supprimer des protections négociées collectivement qui étaient cruciales à la sécurité d’emploi des membres syndiqués. Dans la présente affaire, il est clair qu’aucune mesure aussi attentatoire n’a été prise ou même envisagée. L’amendement ne semble pas destiné à annuler une disposition particulière des conventions collectives, contrairement à l’intention apparente sous-tendant la recommandation formulée dans le rapport Jamieson-Greyell en 1995 à laquelle les syndicats renvoient. Le nouveau paragraphe 88.1 annule partiellement une disposition de la convention collective des parties, mais de manière accessoire. Cependant, l’amendement n’a pas déclaré la disposition nulle ou invalide à toute fin pratique. Par ailleurs, dans B.C. Health Services, précité, la Cour a précisé que la protection constitutionnelle s’étend à l’accès des travailleurs au processus de négociation collective, sans garantir un résultat ou un produit particulier de cette négociation.

[76] De plus, les amendements au Code n’étaient pas destinés à compromettre l’activité des travailleurs qui consiste à se regrouper en vue de réaliser des objectifs communs, c’est-à-dire négocier des conditions de travail et des modalités d’emploi avec leur employeur. Ils cherchaient plutôt à équilibrer les droits globaux des parties assujetties au Code et, entre autres choses, à assurer la paix industrielle pendant la durée d’une convention collective. Il est important de mentionner que l’interdiction s’applique autant à la partie syndicale qu’à la partie patronale (les grèves et les lock-out sont interdits pendant la durée d’une convention collective, sauf en présence de circonstances données). Une disposition qui limite la capacité des employés de participer à des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective ne compromet pas leur capacité de négocier des questions importantes liées au travail telles que l’ancienneté, la sécurité d’emploi et les salaires et avantages sociaux, et ne les empêche pas de négocier ces questions dans la futur, comme c’était le cas dans B.C. Health Services, précité.

[77] Selon le banc de révision, les interdictions prévues dans le Code n’avaient ni pour but ni pour effet de compromettre la capacité des membres syndiqués de se regrouper pour réaliser des objectifs communs liés à la négociation de conditions de travail et de modalités d’emploi avec leur employeur. Le Code empêche simplement les arrêts de travail de tout genre pendant la durée d’une convention collective, ce qui comprend le refus de franchir une ligne de piquetage érigée par un autre syndicat, et ce, dans l’intérêt de la certitude et de la stabilité industrielles. Le Conseil reconnaît l’importance cruciale que revêt la notion de solidarité syndicale pour les syndicats, mais il ne faudrait pas interpréter ce principe fondamental du mouvement syndical de manière à éclipser le droit public plus large à la paix industrielle qui est reflété dans le Code.

[78] Le Conseil ne juge pas que les deux affaires citées par les requérants s’appliquent aux faits en l’espèce. Elles diffèrent par leurs faits et ne sont pas directement pertinentes au chapitre des circonstances en l’espèce.

[79] Les faits dans Durham, précitée, étaient très différents de ceux en l’espèce. Dans cette affaire, le principe formulé dans B.C. Health Services, précité ne s’appliquait pas directement, mais a été utilisé uniquement pour guider l’interprétation. L’arbitre a conclu que, en l’absence de directive claire dans la loi indiquant que les questions de mutation débordaient du champ d’application de la négociation, la loi devrait être interprétée de manière à permettre la négociation de ces questions. Dans la présente affaire, la loi prévoit clairement que les grèves sont interdites pendant la durée d’une convention collective.

[80] Dans Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), précité, les faits se rapprochaient davantage de ceux de l’arrêt B.C. Health Services, précité compte tenu du fait que la loi provinciale était destinée expressément à modifier le régime de négociation collective et la structure existante de l’unité de négociation de sorte à réduire les coûts dans le secteur de la santé et des services sociaux. La Cour a conclu que des mesures extrêmes et des changements radicaux ont été imposés de manière plus ou moins unilatérale, malgré l’opposition des syndicats et des professionnels de la santé. De plus, les changements ont eu une incidence directe sur le processus de négociation collective en modifiant la structure de l’unité de négociation et en exigeant que certaines questions soient négociées au niveau local plutôt que central. Les amendements apportés au Code en 1999 n’ont pas entraîné de changements radicaux de cette nature et ne cherchaient pas à nuire aux relations de négociation collective. En l’espèce, l’effet de l’amendement de la loi sur les clauses concernant le piquetage négociées collectivement était simplement accessoire, puisque l’amendement visait la paix industrielle en général et les grèves pendant la durée d’une convention collective plus particulièrement.

[81] Les jugements cités par les syndicats ne convainquent donc pas le Conseil que le banc initial a commis une erreur lorsqu’il a conclu que les interdictions imposées par le Code ne portent pas atteinte au droit des employés à la liberté d’association garanti par la Charte.

[82] Par conséquent, le banc de révision confirme la conclusion du banc initial selon laquelle les dispositions du Code ne portent pas atteinte à la liberté d’association des requérants protégée par l’alinéa 2d) de la Charte. En particulier, le Conseil juge que la définition de « grève » figurant à l’article 3 du Code, dans la mesure où elle peut annuler partiellement l’effet de la disposition des conventions collectives respectives des syndicats qui autorise les employés à refuser collectivement de franchir une ligne de piquetage, ne contrevient pas à l’alinéa 2d) de la Charte.

[83] Cependant, même si le Code a pour effet de porter atteinte aux droits des requérants conférés par l’alinéa 2d), cette atteinte peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte.

D – Justification au sens de l’article 1

[84] Le banc initial a appliqué le critère énoncé dans Oakes, précité relativement à une justification fondée sur l’article 1, aux paragraphes 114 à 142 de sa décision. Les syndicats n’ont pas convaincu le banc de révision que le banc initial a commis une erreur de droit dans son analyse de l’article 1. Même si le Conseil reconnaît l’importance que revêt la notion de solidarité pour le mouvement syndical, l’interdiction prévue dans le Code, qui empêche les membres syndiqués de refuser collectivement de franchir une ligne de piquetage, ne mine pas leur capacité d’appuyer les membres d’une autre unité de négociation de façons différentes (par exemple, par des contributions financières ou une participation aux lignes de piquetage en dehors de leurs heures de travail). De plus, l’interdiction ne bloque pas la transmission du contenu du message (appui aux travailleurs d’autres syndicats), mais restreint simplement un mode d’expression de cet appui (le refus de franchir la ligne de piquetage érigée par d’autres et le refus en résultant d’exécuter leur travail).

[85] Les syndicats s’opposent à la manière dont le banc initial a défini et déterminé l’objet de la loi devant être évalué dans le cadre de l’analyse de la justification. Ils soutiennent que le banc initial a énoncé incorrectement l’objet de la loi de manière trop large et que son objet réel est plus étroit et ne vise qu’à réglementer les arrêts de travail reliés à la négociation collective. Le banc de révision n’est pas d’accord et croit que le banc initial a eu raison de retenir l’objet plus large de la préservation de la paix et de la stabilité industrielles par une réglementation de toute forme d’arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective, ce qui tient bien compte de l’intérêt public et des objets du Code, énoncés dans le Préambule.

[86] Ayant conclu que le banc initial a retenu correctement l’objet plus large de la préservation de la paix et de la stabilité industrielles pendant la durée d’une convention collective comme étant l’objectif urgent et réel, le présent banc estime qu’il existe un lien rationnel entre l’interdiction de toute forme d’arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective et cet objet, tel qu’il a été statué par le banc initial.

[87] Les syndicats prétendent que l’interdiction de toute forme de grèves pendant la durée d’une convention collective est trop large et qu’elle ne respecte pas les ententes contractuelles conclues par les parties. Ils soutiennent que certaines exceptions peuvent être prévues lorsque des parties ont expressément négocié le droit de respecter les lignes de piquetage, sans compromettre les objets de la loi. Ils prétendent donc que l’interdiction, dans sa forme actuelle, ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale.

[88] Aux paragraphes 133 à 136 de sa décision, le banc initial s’est penché sur l’argument des syndicats. Il a déclaré que la création d’une exception quelconque, même pour les clauses concernant les lignes de piquetage, entraînerait une trop grande incertitude et porterait atteinte à l’objectif général lié à la certitude et à la stabilité industrielles. Il a souscrit à l’argument de la « ligne nette » en faisant valoir la nécessité de tracer des règles claires et non équivoques pour que les parties puissent connaître leurs droits et leurs responsabilités, ainsi que les conséquences de leurs actes. Le présent banc ne trouve aucune faille dans la logique et la conclusion du banc initial sur cette question.

[89] Les syndicats prétendent, en ce qui concerne la justification d’une atteinte aux droits prévus à l’alinéa 2d) de la Charte, que la Cour a énoncé une portée ciblée et plus étroite ou limitée de la justification en vertu de l’article 1 dans B.C. Health Services, précité. Ils se fondent sur les propos tenus au paragraphe 108 de cet arrêt pour faire valoir que l’entrave à la négociation collective n’est permise qu’à titre exceptionnel et temporaire, par exemple dans des situations mettant en cause des services essentiels ou des aspects vitaux de l’administration des affaires de l’État, ou dans le cas d’une impasse manifeste ou d’une crise nationale. Les syndicats soutiennent que l’interdiction de toute forme d’arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective n’est ni exceptionnelle, ni temporaire, et qu’elle ne peut pas être justifiée en vertu de l’article 1.

[90] Le banc de révision n’est pas convaincu que la Cour ait créé, dans B.C. Health Services, précité une norme entièrement nouvelle s’appliquant à la justification de l’entrave aux droits prévus à l’alinéa 2d) de la Charte. Même si ces observations ont bel et bien été faites au paragraphe 108 de cet arrêt, les propos semblent avoir été tenus en guise d’exemple seulement. Lorsque la Cour a procédé à l’analyse de la justification en vertu de l’article 1, aux paragraphes 137 à 161, elle ne mentionne aucunement ces limites particulières. La Cour a appliqué l’habituel critère énoncé dans Oakes, précité et a confirmé la notion selon laquelle le législateur n’a pas à démontrer qu’il a choisi la mesure la moins attentatoire, il suffit que la mesure se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables. Elle a ajouté que le gouvernement n’avait pas démontré pourquoi il avait opté pour cette solution et pourquoi il n’avait pas consulté les syndicats concernant la gamme d’options s’ouvrant à lui. Pour ces motifs, la Cour a conclu qu’on n’avait pas satisfait au critère de l’atteinte minimale.

[91] La loi du travail, tout particulièrement en ce qui a trait aux principaux secteurs liés à l’infrastructure économique relevant de la compétence fédérale, cherche essentiellement à établir un équilibre entre les droits respectifs et les obligations des parties. Il s’agit également de trouver un équilibre entre les droits des syndicats et ceux des employeurs, dans l’intérêt public de favoriser des relations syndicales-patronales harmonieuses et de préserver la paix industrielle. Selon le banc de révision, les moyens choisis par le législateur pour satisfaire à l’objet urgent et réel de la paix industrielle – restriction des arrêts de travail pendant la durée d’une convention collective – porte atteinte mais seulement de manière minimale à la liberté d’expression des requérants et ne porte pas atteinte au droit de négocier collectivement. À l’instar du banc initial, le banc de révision ne peut pas envisager un moyen moins interventionniste tout en étant aussi efficace pour préserver la paix industrielle pendant la durée d’une convention collective.

V – Conclusion

[92] Pour les raisons données ci-dessus, le banc de révision conclut que le banc initial n’a pas commis d’erreur de droit ou de principe; par conséquent, le Conseil refuse d’annuler ou de modifier la décision et les ordonnances provisoires rendues les 24 septembre 2004 et 4 octobre 2004 ou sa décision du 8 juin 2007. Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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