Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

British Columbia Maritime Employers Association, pour le compte de ses entreprises membres, y compris DP World (Canada) inc.; Fraser Surrey Docks, société en commandite; TSI Terminal Systems inc.; Cerescorp Company,

requérantes,

et

International Longshore and Warehouse Union-Canada; International Longshore and Warehouse Union, section locale 500; International Longshore and Warehouse Union, section locale 502; International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514; International Longshore and Warehouse Union, section locale 517,

intimés,

et

Procureur général du Canada; Syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique; Association des employeurs maritimes; Administration portuaire de Vancouver,

intervenants.

CITÉ : British Columbia Maritime Employers Association

Dossier du Conseil : 26503-C

Décision no 397
Le 20 décembre 2007


Demande de déclaration de grève illégale présentée en vertu de l’article 91 du Code canadien du travail, Partie I.

Déclaration de grève illégale – Article 91 du Code – Contestation constitutionnelle – Renvoi devant la Cour d’appel fédérale – Compétence du Conseil – Pratique et procédure – Le litige tire son origine de l’adoption du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime (le PHSTM), décrit à la partie 5 du Règlement sur la sûreté du transport maritime – Pour ce qui est de Vancouver, le PHSTM devait être mis en application le 15 décembre 2007 – Pour l’application du PHSTM, certains employés identifiés, qui occupent des postes considérés comme essentiels pour la sécurité, doivent avoir obtenu une habilitation de sécurité en matière de transport (HST) au plus tard à la date de mise en application – Au moment où l’on mettait la touche finale aux présents motifs, Transports Canada modifiait la date de mise en application pour la région de Vancouver (qui était prévue le 15 décembre 2007) pour le 20 février 2008 – L’International Longshore and Warehouse Union (l’ILWU) a conseillé aux employés identifiés de ne pas remplir de formulaire en vue d’obtenir une HST – Par suite de cette directive, la British Columbia Maritime Employers Association (BCMEA) a présenté une demande au Conseil en vue d’obtenir une déclaration de grève illégale en vertu de l’article 91 du Code, en raison du prétendu refus concerté des employés identifiés, représentés par l’ILWU, d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire – L’ILWU a avancé que la partie 5 du Règlement qui a créé le PHSTM violait, entre autres choses, la Charte, la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Déclaration canadienne des droits et la Loi canadienne sur les droits de la personne – Ces contestations sont désignées collectivement comme les « questions portant sur la validité » – Une demande de déclaration de grève illégale doit être tranchée en vertu de la procédure expéditive du Conseil – D’entrée de jeu, le procureur général du Canada (PG) a déclaré qu’il allait présenter une demande devant la Cour d’appel fédérale le jour même (le renvoi) – La question qu’il nous faut véritablement trancher ici est celle de l’incidence du renvoi sur la procédure devant le Conseil – Le Conseil estime que les questions portant sur la validité qui sont contenues dans le renvoi du procureur général sont désormais du ressort de la Cour – Jusqu’à ce que la Cour soit convaincue de la pertinence de suspendre la procédure du Conseil, ce dernier conserve le pouvoir légal de décider s’il y a grève illégale – C’est la première fois dans les annales du Conseil que l’application du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales est soulevée dans le cadre d’une de ses procédures – Le Conseil énonce qu’il est d’avis qu’une commission des relations de travail doit trancher rapidement les demandes de déclaration de grève illégale et s’en remettre à l’expertise de la Cour quant aux mesures provisoires appropriées qu’elle doit imposer dans le contexte de ce renvoi – Le Conseil conclut que les questions portant sur la validité ont été portées devant une autre compétence législative pour audition et jugement – Le Conseil a continué d’examiner la demande de déclaration de grève illégale – Le Conseil a aussi demandé à toutes les parties de le tenir au courant de toute procédure judiciaire qui pourrait se tenir relativement à l’affaire en litige.

Déclaration de grève illégale – Refus de travailler – Définition d’une « grève » – Redressement – Pratique et procédure – La définition d’une « grève » contenue dans le Code est une définition objective – Le Conseil est d’avis que la consigne que l’ILWU a donnée à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande d’HST a mené à un refus concerté de travailler – Ce refus a pour objet de diminuer ou de limiter le rendement puisque les membres de la BCMEA ne disposeront pas du personnel accrédité requis par loi pour accomplir le travail à la date de mise en application – Le Conseil conclut que la consigne donnée par écrit aux employés identifiés de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité qu’ils devront détenir à compter de la date de mise en application et que le refus concerté des employés d’obtenir cette habilitation équivalent à une grève illégale – Le Conseil rendra une ordonnance de redressement dans laquelle il formulera une déclaration selon laquelle une grève illégale s’est produite et ordonnera aux membres de l’ILWU de s’abstenir de participer à la grève illégale et d’exécuter toutes les fonctions de leur emploi; toutefois, l’ordonnance en date du 20 décembre 2007 ne prenant effet que le 8 janvier 2008, les parties auront suffisamment de temps pour examiner les autres recours juridiques qui s’offrent à elles.

Dissidence – Déclaration de grève illégale – Le 1er décembre 2007, Transports Canada a informé les intervenants en matière de sûreté maritime que les exploitants des terminaux de Vancouver étaient soustraits à la mise en application du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime (PHSTM) jusqu’au 20 février 2008 « en raison de questions de droit relativement au PHSTM » (traduction) – Le membre dissident croit qu’il n’existe aucun motif valable ni aucun objectif lié aux relations du travail de rendre une décision définitive en l’espèce tant que la Cour d’appel fédérale n’a pas statué sur le renvoi du procureur général du Canada relativement aux questions portant sur la validité – La consigne que le syndicat a donnée à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité en matière de transport et le refus de présenter une demande à cette fin ne constituent pas une grève au sens du Code dans la présente affaire – En l’espèce, le membre dissident est convaincu que les membres du syndicat n’ont pas cessé ni refusé de travailler, et cela d’autant plus que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore rendu sa décision – La décision de la majorité peut porter atteinte ou contrevenir à la Charte, à la Déclaration canadienne des droits, à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la Loi sur la protection des renseignements personnels – L’ordonnance d’interdiction dans laquelle la majorité enjoint aux employés de s’abstenir de participer à une grève illégale a été rendue sans avoir entendu les moyens de défense complets du syndicat relativement aux questions portant sur la validité – La décision de la majorité suppose que les employés devront obtenir leur habilitation de sécurité en matière de transport avant même de savoir si certains articles du Règlement contreviennent à la législation susmentionnée – La décision de la majorité et l’ordonnance d’interdiction feront en sorte que les membres du syndicat seront contraints d’agir – ce qui pourrait violer leurs droits – et de fournir des renseignements personnels de nature très délicate – Il pourrait être déterminé que la collecte, l’utilisation et la communication de ces renseignements personnels sont inconstitutionnelles et portent atteinte aux droits individuels puisque la Cour d’appel fédérale n’a pas encore rendu sa décision – Le préjudice causé aux employés serait irréparable car, dès que leurs droits auront été violés, les membres du syndicat ne disposeront d’aucun recours valable pour obtenir réparation – Le membre dissident aurait attendu de connaître la décision de la Cour d’appel fédérale avant de statuer de façon définitive sur la demande.


Le Conseil se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. Patrick J. Heinke et Norman Rivard, Membres. Une audience a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique), du 5 au 8 novembre 2007.

Ont comparu
Me Thomas A. Roper, c.r., Me Graeme McFarlane et Me Alissa Macpherson, pour la British Columbia Maritime Employers Association, pour le compte de ses entreprises membres, y compris DP World (Canada) Inc., Fraser Surrey Docks, société en commandite, TSI Terminal Systems inc., et Cerescorp Company;
Me Larry Kowalchuk, Me Craig Bavis, Me Marjorie Brown et Me Michael Prokosh, pour l’International Longshore and Warehouse Union-Canada, l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 502, et l’International Longshore and Warehouse Union, section locale 517;
Me Gina Fiorillo, pour l’International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514;
Me Lorne D. Lachance, Me Robert Danay et Me Betty Ann Lobo, pour le procureur général du Canada;
Me Jacques Lamoureux, pour le Syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique;
Me Robert Monette, pour l’Association des employeurs maritimes;
Me Peter R. Sheen, Me H. David Edinger et Me Ryan Gauthier, pour l’Administration portuaire de Vancouver.

Les motifs de la présente décision de la majorité ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président, alors que les motifs de la dissidence ont été rédigés par M. Norman Rivard, Membre.

I – Introduction

[1] Dans la présente affaire, le Conseil doit déterminer si le refus collectif des membres de diverses unités de négociation d’obtenir l’habilitation de sécurité prescrite par la loi constitue une grève illégale en vertu du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Les intimés ont prétendu que le formulaire de demande d’habilitation de sécurité et la communication de renseignements personnels qui s’ensuivait violaient, entre autres choses, les droits qui sont garantis à leurs membres par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[2] Le Conseil a accordé le statut d’intervenant à plusieurs autres parties intéressées, dont le procureur général du Canada.

[3] Le Conseil a tenu deux réunions de gestion de l’affaire. Il a aussi rendu un certain nombre de décisions procédurales préliminaires concernant le déroulement de l’audience et tenu une audience d’une durée de quatre jours à Vancouver (Colombie-Britannique), du 5 au 8 novembre 2007.

[4] Le Conseil a pris connaissance des nombreux documents déposés par les parties, de même que des arguments formulés durant les quatre jours d’audience. Il s’est ensuite empressé de rédiger des motifs détaillés et bilingues afin de permettre aux parties d’examiner les choix qui s’offrent à elles.

II – Contexte

[5] Le présent litige tire son origine de l’adoption du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime (le PHSTM), décrit à la partie 5 du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144, 21 mai 2004 (le Règlement), pris en vertu de la Loi sur la sûreté du transport maritime, 1994, ch. 40 (la Loi). La partie 5 du Règlement a été publiée dans la Partie II de la Gazette du Canada (Vol. 140, no 23), le 15 novembre 2006. La date de mise en application du PHSTM varie selon les ports. Pour ce qui est de Vancouver, le PHSTM devait être mis en application le 15 décembre 2007.

[6] Pour l’application du PHSTM, certains employés identifiés, qui occupent des postes considérés comme essentiels pour la sécurité, doivent avoir obtenu une habilitation de sécurité en matière de transport (HST) au plus tard à la date de mise en application.

[7] Au moment où l’on mettait la touche finale aux présents motifs et à leur traduction, Transports Canada modifiait la date de mise en application pour la région de Vancouver (qui était prévue le 15 décembre 2007) pour le 20 février 2008.

[8] La British Columbia Maritime Employers Association (la BCMEA) est l’agent négociateur non accrédité représentant plusieurs employeurs. L’International Longshore and Warehouse Union (l’ILWU) et ses sections locales sont parties à diverses conventions collectives avec les entreprises membres de la BCMEA.

[9] Les employeurs qui sont membres de la BCMEA ont demandé que les employés identifiés qui occupent des postes considérés comme essentiels pour la sécurité obtiennent l’HST nécessaire. L’ILWU a conseillé à ces employés de « NE PAS REMPLIR DE FORMULAIRE DE DEMANDE À CE MOMENT-CI » (en majuscules dans la note de service initiale; traduction). Les parties s’accordaient à dire que l’obligation d’obtenir l’HST était devenue une condition d’emploi, ce qui avait permis à l’ILWU de présenter un grief à ce sujet.

[10] À la suite de la note de service de l’ILWU, la BCMEA a présenté une demande au Conseil en vue d’obtenir une déclaration de grève illégale en vertu de l’article 91 du Code, en raison du prétendu refus concerté des employés identifiés, représentés par l’ILWU, d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire.

[11] Il ressort clairement de l’ensemble des documents au dossier que l’ILWU a continuellement exprimé ses préoccupations d’ordre juridique, au fil des années, au sujet du PHSTM et, notamment, de la communication et de l’utilisation des renseignements demandés dans le cadre du processus d’habilitation de sécurité.

[12] L’International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514 (l’ILWU, section locale 514) et l’International Longshore and Warehouse Union-Canada et ses sections locales 500, 502 et 517 (ci-après appelés collectivement l’ILWU Canada) ont répondu à la demande de déclaration de la BCMEA par l’intermédiaire de leurs procureurs respectifs.

[13] La BCMEA avait aussi présenté une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 19.1 du Code. Dans une lettre datée du 4 octobre 2007, le Conseil a informé les parties qu’il refusait d’accorder une telle mesure.

[14] L’ILWU, section locale 514 et l’ILWU Canada ont avancé, dans leurs observations écrites, que la situation n’équivalait pas à une grève illégale au sens du Code et que la partie 5 du Règlement qui a créé le PHSTM violait, entre autres choses, la Charte, la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R. 1985, ch. P-21, la Déclaration canadienne des droits, 1960, ch. 44, et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

[15] Aux fins des présents motifs, ces contestations seront désignées collectivement comme les « questions portant sur la validité ».

[16] Le Conseil a par la suite reçu et accueilli des demandes de l’Association des employeurs maritimes (AEM), de l’Administration portuaire de Vancouver (APV), du Syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), et du procureur général du Canada visant à obtenir le statut d’intervenant.

[17] Le Conseil a tenu une réunion de gestion de l’affaire avec les parties par téléconférence, le 26 octobre 2007; une demande de déclaration de grève illégale doit être tranchée en vertu de la procédure expéditive prévue par l’article 14 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles. Au cours de la réunion de gestion de l’affaire, une des parties a notamment soulevé la question voulant que le Conseil ait la compétence nécessaire pour trancher les questions portant sur la validité.

[18] Dans une lettre en date du 29 octobre 2007, le Conseil a avisé les parties que l’audience prévue à Vancouver porterait sur deux questions :

1. Sans tenir compte de la Charte, y a-t-il eu une grève illégale?

2. Le Conseil a-t-il compétence pour trancher les questions liées à l’application de la Charte sur la validité des lois autres que le Code canadien du travail?

[19] Le Conseil a indiqué que, suivant l’issue de l’audience initiale, il pourrait avoir à déterminer de quelle façon procéder pour statuer sur la demande de déclaration en vertu de la procédure expéditive tout en tranchant les questions portant sur la validité.

[20] D’entrée de jeu, le 5 novembre 2007, le procureur général du Canada (PG) a déclaré qu’il allait présenter une demande devant la Cour d’appel fédérale le jour même, en vertu des paragraphes 18.3(2) et 28(2) de la Loi sur les Cours fédérales :

18.3(2) Le procureur général du Canada peut, à tout stade des procédures d’un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question portant sur la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale ou de ses textes d’application.

...

28.(2) Les articles 18 à 18.5 s’appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d’appel fédérale comme si elle y était mentionnée lorsqu’elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d’une demande de contrôle judiciaire.

[21] La demande présentée par le PG en vertu du paragraphe 18.3(2) (ci-après appelée le renvoi) a obligé le Conseil, après avoir entendu les observations des parties, à modifier les deux questions sur lesquelles il avait sollicité des observations et l’ordre de ces questions. En bout de ligne, le Conseil a entendu les observations des parties sur les questions suivantes :

A – Le Conseil a-t-il compétence pour statuer sur la validité, en vertu de la Charte, de lois autres que le Code canadien du travail?

B – Compte tenu du renvoi en vertu de l’article 18.3, quel pouvoir, le cas échéant, le Conseil possède-t-il eu égard aux questions portant sur la validité?

C – Indépendamment des questions portant sur la validité, la situation entre les parties équivaut-elle à une grève illégale selon la jurisprudence du Conseil?

III – Analyse et décision

A – Le Conseil a-t-il compétence pour statuer sur la validité, en vertu de la Charte, de lois autres que le Code canadien du travail?

[22] À la réunion de gestion de l’affaire du 26 octobre 2007, une des parties avait demandé que le PG prenne position sur la question de la compétence du Conseil pour statuer sur les questions portant sur la validité. Le Conseil souhaitait aussi entendre les arguments des parties sur cette question, compte tenu du fait qu’il doit statuer sur les demandes de déclaration de grèves ou de lock-out illégaux dans le cadre d’une procédure expéditive. Le Conseil et d’autres commissions des relations de travail au Canada peuvent être appelées à statuer sur des demandes de ce genre en quelques jours, voire quelques heures seulement.

[23] En bout de ligne, compte tenu des événements qui sont survenus au début de l’audience, le Conseil a déterminé, durant ses délibérations, qu’il n’était pas nécessaire de trancher cette première question. Les arguments bien documentés des parties sur la compétence d’un tribunal administratif et leur examen de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada ont toutefois orienté le Conseil dans sa réponse à la deuxième question, qui concerne le paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales.

B – Compte tenu du renvoi en vertu de l’article 18.3, quel pouvoir, le cas échéant, le Conseil possède-t-il eu égard aux questions portant sur la validité?

[24] À l’audience, l’ILWU, section locale 514, l’ILWU Canada et le SCFP ont demandé au Conseil l’autorisation de présenter leurs arguments sur l’incidence du renvoi du PG. Après que la BCMEA et les autres intervenants n’eurent exprimé aucune opposition à cet égard, le Conseil a accepté d’entendre les plaidoiries sur cette question avant de prendre connaissance des arguments des parties sur la question selon laquelle, exclusion faite des questions portant sur la validité, il y aurait eu une grève illégale.

[25] L’ILWU, section locale 514, l’ILWU Canada et le SCFP (ci-après appelés collectivement les syndicats, lorsqu’il y a lieu) ont systématiquement fait valoir, à la réunion de gestion de l’affaire comme à l’audience, que le Conseil ne pouvait pas décider si une grève illégale avait eu lieu sans d’abord trancher les questions portant sur la validité.

[26] Le procureur de l’APV préconisait que le Conseil statue d’abord sur la demande de déclaration de grève illégale en vertu de l’article 20 du Code et tranche ensuite les questions portant sur la validité. L’article 20 du Code est libellé comme suit :

20.(1) Dans les cas où, pour statuer de façon définitive sur une demande ou une plainte, il est nécessaire de trancher auparavant plusieurs points litigieux, le Conseil peut, s’il est convaincu de pouvoir le faire sans porter atteinte aux droits des parties en cause, rendre une décision ne réglant que l’un ou certains des points litigieux et différer sa décision sur les autres points.

[27] Les syndicats ont vivement contesté cette proposition en disant qu’elle les priverait de la possibilité de faire valoir leur moyen de défense principal, à savoir que c’est parce qu’ils estimaient que la partie 5 du Règlement contrevenait à la Charte et à d’autres lois qu’ils avaient conseillé à leurs membres de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’HST.

[28] Le Conseil a décidé que l’article 20 ne lui était d’aucun secours dans le contexte de l’affaire en instance. La question qu’il nous faut véritablement trancher ici est celle de l’incidence du renvoi sur la procédure devant le Conseil.

[29] Les parties ont défendu des points de vue très différents au sujet de l’incidence du renvoi du PG sur l’affaire en instance devant le Conseil.

1 – Le procureur général du Canada

[30] Le PG s’est dit d’avis que le renvoi devant la Cour d’appel fédérale retirait au Conseil le pouvoir de trancher les questions portant sur la validité, mais que le fait que ces questions relevaient désormais d’une autre compétence législative n’empêchait pas le Conseil de décider, d’après le PG, si la situation équivalait à une grève illégale selon le Code.

[31] Le PG a soutenu qu’un renvoi ne suspendait pas d’office la procédure engagée devant le Conseil et qu’il est nécessaire de présenter une demande à la Cour d’appel fédérale (la Cour) pour obtenir une suspension des procédures.

2 – Les syndicats

[32] L’ILWU, section locale 514, estime qu’il serait injuste que le Conseil décide de statuer quand même sur la demande de déclaration maintenant que le PG l’a privé de son moyen de défense relativement aux questions portant sur la validité. Il y aurait déni de justice naturelle si le Conseil statuait sur la demande de déclaration de grève illégale sans lui permettre de faire valoir tous ses moyens de défense.

[33] L’ILWU, section locale 514, a poursuivi en disant que le Conseil devait attendre que la Cour ait statué sur le renvoi avant de décider s’il y avait eu grève illégale.

[34] L’intervenant SCFP a avancé que deux choix s’offraient au Conseil, soit mettre fin à l’audience, soit continuer d’examiner toutes les questions. Autrement dit, si la dernière option est retenue, le Conseil devra examiner les questions portant sur la validité en même temps que la Cour. La seule façon de parer à cette éventualité serait d’admettre que le renvoi a imposé une suspension de fait.

[35] L’ILWU Canada a rappelé au Conseil qu’il avait contesté la validité du Règlement devant diverses tribunes, dont le Conseil, un arbitre et, récemment, les tribunaux, et qu’une plainte concernant la protection de la vie privée avait aussi été déposée.

[36] L’ILWU Canada a indiqué à nouveau qu’il craignait que les renseignements personnels qui seront nécessairement communiqués et diffusés tout le long du processus d’habilitation de sécurité causent un tort irréparable à ses membres s’ils obtiennent ultérieurement gain de cause à l’issue de leurs diverses contestations judiciaires.

[37] Les syndicats ont également demandé au Conseil d’ajourner l’audience pendant deux semaines et de rendre sa décision sur la question de sa compétence avant d’entendre les arguments sur la question de la demande de déclaration de grève illégale. Après avoir entendu les plaidoiries des autres parties, le Conseil a indiqué qu’il avait décidé de poursuivre l’audience de la manière qui avait déjà été prévue.

3 – Les employeurs

[38] La BCMEA a fait valoir que le Conseil devait exercer les pouvoirs que lui attribue le Code et considérer la Loi et le Règlement comme faisant autorité, jusqu’à avis du contraire.

[39] La BCMEA estime que le renvoi a accordé à la Cour le pouvoir exclusif de statuer sur les questions portant sur la validité et que la Cour a aussi la capacité de suspendre la procédure du Conseil si les syndicats réussissent à la convaincre de statuer en ce sens. Il ne revient pas au Conseil de suspendre sa propre procédure; c’est aux syndicats qu’il incombe de soumettre cette question à la Cour dans le cadre de ce renvoi.

[40] La BCMEA a rappelé au Conseil que si les questions portant sur la validité avaient été renvoyées devant la Cour, il était manifeste que la question de grève illégale se trouvait toujours devant le Conseil. La BCMEA a poursuivi en disant que si les employés persistent dans leur refus collectif d’obtenir une habilitation de sécurité, les employeurs membres de la BCMEA seront en contravention avec la Loi et le Règlement à la date de mise en application. L’ILWU a admis durant les plaidoiries que la BCMEA sera en contravention avec la Loi et le Règlement à la date de mise en application, mais il a fait valoir que le préjudice causé à ses membres sera encore plus considérable s’ils sont obligés d’obtenir une habilitation de sécurité avant que les questions portant sur la validité soient tranchées.

[41] La BCMEA a fait référence à l’arrêt de la Cour suprême dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, qui définit le critère à remplir pour obtenir une suspension de procédure par la Cour, lorsqu’une question relative à la Charte est soulevée dans le cadre d’une procédure engagée devant une commission des relations de travail. Le Conseil a cru comprendre que la BCMEA faisait valoir que la Cour pouvait accorder les mesures de redressement demandées par les syndicats, pour autant qu’ils satisfassent au critère juridique applicable. La BCMEA a aussi affirmé que, tant que les syndicats n’ont pas obtenu cette suspension, le Conseil est en droit de tenir compte de la Loi et du Règlement actuels pour déterminer s’il y a eu grève illégale.

[42] L’intervenant AEM a soutenu que le Conseil avait l’obligation fondamentale de statuer sur la demande en instance et que les moyens de défense des syndicats relevaient désormais de la compétence absolue de la Cour. Le débat relatif aux questions portant sur la validité et les mesures de redressement provisoires doit se tenir exclusivement devant la Cour.

[43] L’AEM a ajouté, et cet argument deviendra pertinent quand nous en viendrons à la troisième question, que les motifs subjectifs ne doivent pas entrer en ligne de compte quand il s’agit de déterminer s’il y a eu grève illégale. Étant donné que les questions portant sur la validité sont désormais du ressort exclusif de la Cour par suite du renvoi, il n’est plus nécessaire de se pencher sur les raisons pour lesquelles l’ILWU a conseillé à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande pour obtenir une habilitation de sécurité.

4 – La réplique du procureur général

[44] D’après le PG, la question s’est muée en simple question d’interprétation de la loi. Le Conseil comme la Cour tirent la totalité de leurs pouvoirs exclusivement de la loi.

[45] Le législateur peut retirer au Conseil une partie de ses pouvoirs au moyen d’une loi; selon le PG, c’est ce qui s’est produit quand le paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales a été invoqué.

[46] Le PG a émis l’opinion que la capacité des syndicats de faire valoir leurs moyens de défense ne leur avait pas été retirée, mais qu’elle s’était transportée devant une autre compétence législative en vue d’obtenir un jugement. Les arguments sur le fond des questions portant sur la validité, de même que tout argument au sujet des ordonnances provisoires ayant une incidence sur le Conseil doivent être plaidés devant cette nouvelle tribune établie par la loi.

5 – Décision

[47] Par souci de commodité, nous reproduisons à nouveau le paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales :

18.3(2) Le procureur général du Canada peut, à tout stade des procédures d’un office fédéral, sauf s’il s’agit d’un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, renvoyer devant la Cour fédérale pour audition et jugement toute question portant sur la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale ou de ses textes d’application.

[48] Le Conseil estime que les questions portant sur la validité qui sont contenues dans le renvoi du PG sont désormais du ressort de la Cour. Jusqu’à ce que la Cour soit convaincue de la pertinence de suspendre la procédure du Conseil, ce dernier conserve le pouvoir légal de décider s’il y a grève illégale.

[49] C’est la première fois dans les annales du Conseil que l’application du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales est soulevée dans le cadre d’une de ses procédures. Il faut dire que les parties lui ont beaucoup facilité la tâche en lui présentant des arguments au sujet de l’incidence du renvoi sur la procédure.

[50] À la fin de la quatrième journée d’audience, le Conseil a demandé à toutes les parties de le tenir au courant de toute procédure judiciaire qui pourrait se tenir relativement à l’affaire en litige. Exception faite d’une lettre reçue du PG au sujet du renvoi, dont copie a été envoyée aux parties, le Conseil n’a pas été informé que l’une ou l’autre des parties avait sollicité à nouveau l’aide de la Cour.

[51] Le Conseil en arrive à la conclusion que le renvoi ne suspend pas l’examen de la demande de déclaration de grève illégale, et ce, pour plusieurs raisons.

[52] Au moment des plaidoiries sur la question de la compétence du Conseil, les parties ont présenté des observations sur le pouvoir que possède un tribunal administratif de se pencher sur des questions de droit, y compris des questions portant sur la validité de la législation, que ce soit sous le régime de la Charte ou autrement. Les parties s’accordaient généralement à dire que le Code autorise le Conseil à se prononcer sur la validité de la législation, que ce soit sous le régime de la Charte ou autrement, dans le cadre de l’analyse de toute question de droit qui lui a été soumise.

[53] L’ILWU Canada a invoqué le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), [2006] 1 R.C.S. 513. Cet arrêt portait sur l’interprétation d’une disposition législative qui limitait expressément le pouvoir d’un tribunal administratif de statuer sur des questions portant sur la validité de la législation. La décision rendue dans Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), précité, nous rappelle qu’il faut se reporter à la loi ou aux lois applicables pour déterminer si un tribunal administratif est autorisé à statuer sur des questions de droit, y compris des questions concernant la Charte ou la validité d’autres lois.

[54] Nous tiendrons pour acquis, pour les besoins de la discussion, que le Code accorde au Conseil le pouvoir de trancher ces questions de droit. Quel est alors l’incidence du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales? Cette disposition semble indiquer explicitement que le PG peut renvoyer devant la Cour fédérale « toute question portant sur la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale ou de ses textes d’application ». Le paragraphe 18.3(2) indique aussi expressément que le rôle de la Cour fédérale dans ce processus est d’accepter le renvoi « pour audition et jugement ».

[55] Selon nous, le paragraphe 18.3(2) indique expressément que, lorsque des questions « portant sur la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel, d’une loi fédérale ou de ses textes d’application » sont renvoyées devant la Cour fédérale, cette dernière a le pouvoir de les entendre et de les trancher. Nous ne voyons pas comment on pourrait dire que cette disposition autorise le Conseil à continuer d’instruire une demande portant sur les mêmes questions.

[56] Ce n’est pas sans raison que le législateur a établi un mécanisme pour que de telles questions puissent être renvoyées devant la Cour fédérale. Une cour jouit de pouvoirs plus étendus qu’un tribunal administratif pour trancher des questions portant sur la validité d’une loi. Là où un tribunal administratif peut rendre une décision limitée sur la validité d’une disposition particulière en réponse à la question limitée qui lui a été soumise, une cour peut aller beaucoup plus loin et déterminer, eu égard à toutes les instances futures, la validité et l’applicabilité de la législation ou du règlement en question.

[57] L’objectif visé en apparence est d’empêcher, par exemple, que la même législation soit contestée encore et encore devant des tribunaux administratifs différents, comme ce fut le cas ici avant le renvoi.

[58] Ajoutons à cela que rien dans le libellé du paragraphe 18.3(2) suggère qu’un renvoi entraîne la suspension de fait de la procédure du tribunal administratif. Un tel libellé aurait facilement pu être ajouté. Donc, l’absence de termes explicites à cet effet nous convainc que c’est la Cour qui doit déterminer ce qu’il adviendra de la procédure du tribunal administratif, après qu’elle aura entendu les observations des parties et décidé si elles satisfont au critère juridique établi pour accorder une suspension de procédure ou une autre mesure de redressement provisoire. Bien que nous respections l’opinion divergente de notre collègue, selon laquelle le renvoi doit être déterminé avant que le Conseil ne rende une décision en l’espèce, nous sommes plutôt d’avis qu’une commission des relations de travail doit trancher rapidement les demandes de déclaration de grève illégale et s’en remettre à l’expertise de la Cour quant aux mesures provisoires appropriées qu’elle doit imposer dans le contexte de ce renvoi.

[59] Nous concluons que les questions portant sur la validité ont été portées devant une autre compétence législative pour audition et jugement. Le Conseil poursuivra donc l’examen de la demande de déclaration de grève illégale jusqu’à avis du contraire, le cas échéant.

C – Indépendamment des questions portant sur la validité, la situation entre les parties équivaut-elle à une grève illégale selon la jurisprudence du Conseil?

[60] Compte tenu de la décision du Conseil sur l’incidence du renvoi, nous nous emploierons maintenant à déterminer s’il y a eu grève illégale.

[61] L’article 3 du Code définit une « grève » de la façon suivante :

« grève » S’entend notamment d’un arrêt du travail ou du refus de travailler, par des employés agissant conjointement, de concert ou de connivence; lui sont assimilés le ralentissement du travail ou toute autre activité concertée, de la part des employés, ayant pour objet la diminution ou la limitation du rendement et relative au travail de ceux-ci.

[62] Les paragraphes 91(1) et (2) délimitent les pouvoirs du Conseil, y compris celui d’imposer des mesures de redressement, dès qu’il est saisi d’une demande :

91.(1) S’il estime soit qu’un syndicat a déclaré ou autorisé une grève qui a eu, a ou aurait pour effet de placer un employé en situation de contravention à la présente partie, soit que des employés ont participé, participent ou participeront vraisemblablement à une telle grève, l’employeur peut demander au Conseil de déclarer la grève illégale.

(2) Saisi de la demande visée au paragraphe (1), le Conseil peut, après avoir donné au syndicat ou aux employés la possibilité de présenter des arguments, déclarer la grève illégale et, à la demande de l’employeur, rendre une ordonnance pour :

a) enjoindre au syndicat d’annuler sa décision de déclarer ou d’autoriser une grève, et d’en informer immédiatement les employés concernés;

b) interdire à tout employé de participer à la grève;

c) ordonner à tout employé qui participe à la grève de reprendre son travail;

d) sommer tout syndicat dont font partie les employés touchés par l’ordonnance visée aux alinéas b) ou c), ainsi que les dirigeants ou représentants du syndicat, de porter immédiatement cette ordonnance à la connaissance des intéressés.

[63] Les parties s’accordent à dire qu’elles n’ont pas encore acquis le droit de grève ou de lock-out au sens du Code.

[64] À l’audience, les parties ont fourni au Conseil de la jurisprudence fort utile sur la question des grèves illégales et ont complété leurs observations écrites antérieures par des plaidoiries. Ainsi que le Conseil l’avait indiqué dans sa lettre en date du 29 octobre 2007, les parties ont disposé de soixante minutes pour présenter leurs plaidoiries complémentaires.

[65] Le SCFP a demandé au Conseil s’il pouvait céder aux autres syndicats toute portion de la période d’une heure que lui-même n’utilisait pas pour présenter sa plaidoirie. Après avoir pris en considération les positions des autres parties, le Conseil a accédé à cette demande, pour autant que les employeurs puissent procéder à un échange similaire quand viendrait le moment pour eux de répliquer aux arguments des syndicats.

[66] Le Conseil a pris connaissance de la jurisprudence reçue, des observations écrites des parties et de leurs plaidoiries. Nous présentons ci-après un bref résumé de leurs positions respectives.

1 – La position des employeurs

[67] La BCMEA estime qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait refus d’accomplir un travail productif pour conclure à l’existence d’une grève illégale. Dans la présente affaire, la BCMEA soutient que ses membres avaient l’obligation de respecter certaines exigences prescrites par la loi relativement aux habilitations de sécurité. Ses entreprises membres ont demandé à des employés identifiés de remplir une demande en vue d’obtenir cette habilitation de sécurité.

[68] Il est acquis que l’ILWU a conseillé par écrit à ses membres de ne pas remplir ces demandes, et que, en date de l’audience à tout le moins, aucune demande n’avait été faite.

[69] La BCMEA a ajouté que le Conseil n’avait pas besoin d’une preuve volumineuse pour déterminer ce qui arrivera si les membres de la BCMEA ne satisfont pas aux exigences de la loi à la date de mise en application.

[70] La BCMEA a exhorté le Conseil à tirer des conclusions sur l’effet prévisible qu’aura sur ses membres le refus concerté des employés identifiés de présenter une demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire. La BCMEA a fait référence à des décisions d’autres commissions des relations de travail dans lesquelles le refus de se conformer à un processus a été considéré comme une grève illégale, même si les effets d’un tel refus ne se font sentir qu’à une date ultérieure.

2 – La position des syndicats

[71] Le Conseil prend acte à nouveau, aux fins du dossier, de la position des syndicats, qui se disent incapables de faire valoir leurs moyens de défense s’ils ne peuvent pas contester les questions portant sur la validité. Ils ont passé en revue, dans leurs plaidoiries, le formulaire de demande utilisé pour obtenir une habilitation de sécurité, de manière à montrer pourquoi ils se préoccupent à ce point des droits et de la protection des renseignements personnels de leurs membres.

[72] Ils ont également exhorté le Conseil à interpréter le Code en tenant compte des valeurs établies par la Charte et, en dépit de la jurisprudence, à appliquer des critères subjectifs plutôt que des critères objectifs pour interpréter la définition de « grève » contenue à l’article 3. Ils ont pressé le Conseil de prendre en considération les inquiétudes authentiques des employés identifiés qui refusent de remplir le formulaire de demande. Ils ont renvoyé, notamment, à l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans Health Services and Support-Facilities Subsector Bargaining Assn. v. British Columbia (2007), 283 D.L.R. (4th) 40. Il convient de remarquer que la Cour suprême du Canada y a indiqué explicitement que la cause ne portait pas sur le droit de grève.

[73] Les syndicats ont aussi avancé que la preuve dont le Conseil disposait était insuffisante pour déterminer si le refus d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire aura des conséquences pour les membres de la BCMEA quand le PHSTM entrera en vigueur. Ils ont exhorté le Conseil à ne pas tenir pour acquis que les activités portuaires seront paralysées; ils ont en outre soutenu que le Conseil devait les autoriser à contre-interroger quiconque prétendait que ce serait le cas.

[74] Les syndicats ont poursuivi en disant que leurs membres s’acquittent actuellement de toutes les tâches dont ils s’acquittaient dans le passé et que ce fait démontre en tant que tel qu’ils ne sont pas en grève.

[75] Les syndicats disent aussi qu’il serait prématuré de conclure à une grève illégale puisque les employeurs ne peuvent pas établir que les employés identifiés ont refusé d’obéir à une directive valide. Ils soutiennent que les employeurs ne peuvent pas faire cette preuve tant et aussi longtemps que les questions portant sur la validité n’auront pas été tranchées. Bref, selon les syndicats, il faut que l’on obtienne réponse à ces questions avant de conclure à l’existence d’une grève illégale.

[76] Le SCFP a soutenu que le Règlement est invalide et qu’il porte atteinte aux droits acquis des employés en raison de son effet rétroactif.

[77] Les syndicats émettent l’opinion que si le Conseil décidait d’imposer une mesure de redressement en dépit de leurs arguments contraires, il doit s’en tenir à formuler une déclaration de grève illégale.

3 – La réplique

[78] Le PG a soutenu que le fait que la législation soit contestée sur le plan constitutionnel ne signifie pas pour autant qu’elle ne s’applique pas. Toute loi régulièrement édictée par le Parlement doit être respectée tant qu’elle n’est pas invalidée.

[79] Le PG affirme également que le Règlement ne contient aucune disposition qui lui attribue un effet rétroactif et que ce Règlement s’applique uniquement de manière prospective.

[80] Le PG a rappelé au Conseil que la question soulevée par le SCFP au sujet, notamment, de l’invalidité du Règlement faisait déjà partie du renvoi devant la Cour.

[81] La BCMEA est d’avis que le Conseil doit appliquer la définition objective d’une « grève ». Elle estime qu’aucune preuve n’est nécessaire pour établir les conséquences du refus collectif de présenter une demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire. Une situation peut équivaloir à une grève même en l’absence de conséquences négatives pour les employeurs.

[82] La BCMEA a exhorté le Conseil à ne pas tenir compte des raisons subjectives qui ont été invoquées pour justifier le refus collectif d’obtenir une habilitation de sécurité, à défaut de quoi il se trouverait à écarter la définition objective d’une grève que contient le Code et à prendre en considération des questions qui, soutient-elle, sont devenues du ressort exclusif de la Cour par suite du renvoi du PG.

[83] La BCMEA a soutenu que les syndicats tentaient d’obtenir une suspension de fait de la procédure du Conseil au lieu de soulever la question devant la Cour et de prouver qu’ils satisfont aux exigences clairement établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., précité, pour obtenir une suspension de procédure.

[84] La requérante a également prétendu que refuser d’accorder une mesure de redressement équivaudrait à refuser de trancher l’affaire. Faute de redressement, la BCMEA sera en contravention avec les nombreuses exigences de la Loi et du Règlement à la date de mise en application. Outre les conséquences que cela aura sur les activités de ses membres, la BCMEA s’expose à des sanctions en vertu de la Loi.

4 – Décision

[85] Le Conseil estime que, dans le contexte de l’affaire en instance, la consigne que l’ILWU a donnée aux employés identifiés de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité et le refus concerté de ces derniers de présenter une demande à cette fin constituent une grève illégale au sens du Code.

[86] Si certains ont exprimé l’opinion, durant les plaidoiries, qu’une preuve volumineuse et des contre-interrogatoires étaient nécessaires afin de fournir au Conseil les faits sur lesquels il peut se fonder pour déterminer si la situation équivaut à une grève illégale, le Conseil exprime bien respectueusement qu’il ne partage pas ce point de vue. Dans sa lettre du 29 octobre 2007, le Conseil a indiqué aux parties que le dossier était suffisamment étoffé pour établir le contexte factuel du litige et ce point de vue tient toujours.

[87] Le Conseil convient avec le procureur de l’AEM que l’affaire en instance présente des similitudes avec la décision du Conseil dans Association des employeurs maritimes (1986), 64 di 111 (CCRT no 559), qui portait sur le même secteur d’activité.

[88] Dans cette affaire, l’employeur avait décidé de modifier l’heure à laquelle les employés devaient s’enregistrer avant le début de leur quart, une mesure qui était nécessaire afin d’attribuer le travail. Or, le syndicat s’est opposé à ce changement.

[89] Dans cette affaire, le Conseil a rappelé que la définition de « grève » contenue dans le Code était une définition objective. Même si le syndicat a plaidé que ses membres avaient perçu la décision unilatérale de l’employeur de modifier sa politique comme une provocation, le Conseil a conclu que leurs intentions subjectives n’étaient pas pertinentes.

[90] Le Conseil s’est penché expressément sur la question visant à déterminer si un refus de s’enregistrer constituait un refus de travailler :

... Le Conseil estime qu’il est trop simpliste de dire que le refus de s’enregistrer ne constituait pas un refus de travailler. Les employés savaient très bien que, en refusant de s’enregistrer ils n’auraient pas de travail. Il existe une relation directe de cause à effet entre leur refus de s’enregistrer et le fait qu’ils n’ont pas eu de travail. Le Conseil se voit obligé de conclure que leur refus de s’enregistrer à l’ordinateur est effectivement un refus de travailler.

(Association des employeurs maritimes, précitée, page 116)

[91] Dans ce cas particulier, le refus de s’enregistrer a été assimilé à un refus collectif de faire des heures supplémentaires. Dans l’affaire qui nous occupe, si les employés identifiés n’ont pas d’habilitation de sécurité, les membres de la BCMEA seront en contravention avec les dispositions de la Loi et du Règlement. Les employés ne pourront pas se faire attribuer de travail sans que les employeurs enfreignent la Loi et le Règlement en toute connaissance de cause. Donc, le refus d’obtenir une habilitation de sécurité constitue un refus de travailler.

[92] Dans Association des employeurs maritimes, précitée, le syndicat a défendu une position semblable à celle que les syndicats avancent en l’espèce, soit que le refus de s’enregistrer ne diminuait ni ne limitait le rendement. Le Conseil a rejeté cette théorie :

... En refusant de s’enregistrer, les employés n’allaient certainement pas être affectés à un travail, réduisant ainsi la main-d’oeuvre qui aurait autrement été disponible. Et lorsque l’effectif normal n’était pas au complet, on ne pouvait pas effectuer la quantité de travail requise sur les quais. Cela a eu pour effet de priver l’employeur de la main-d’oeuvre nécessaire pour lui permettre d’exécuter tous les travaux sur les quais et, selon le Conseil, de limiter et de restreindre le volume de travail qu’on y effectuait normalement.

(page 116)

[93] Nous concluons que les membres de la BCMEA n’auront pas d’employés identifiés qui possèdent une habilitation de sécurité à la date de mise en application. Il n’est pas nécessaire d’entendre une preuve volumineuse et des contre-interrogatoires pour en arriver à la conclusion que la situation diminuera ou limitera le rendement des membres de la BCMEA.

[94] Si l’application de la décision antérieure du Conseil dans Association des employeurs maritimes, précitée, aux faits de l’espèce suffit pour trancher le litige, nous considérons également que la décision de la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) dans Toronto District School Board, [2003] OLRB Rep. January/February 138, nous est utile puisqu’elle porte sur un cas où les effets d’un refus concerté ne se feront sentir qu’à une date ultérieure.

[95] Dans Toronto District School Board, précité, l’employeur avait modifié l’une de ses politiques ayant trait aux postes de responsabilité (PDR), en supprimant notamment le poste de « chef de service ».

[96] La Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEEESO) a contesté le nouveau modèle mis en place par l’employeur et donné instruction à ses membres, par écrit, de boycotter le processus.

[97] Les enseignants se sont donc abstenus de postuler les PDR. L’employeur a fait valoir que cela compromettait l’application des programmes et le fonctionnement des écoles.

[98] La CRTO a conclu que la situation équivalait à une grève illégale :

25. ... La Fédération souligne que les cours vont continuer de se donner et que les programmes vont continuer d’être exécutés sans interruption même si le conseil est incapable d’instaurer son nouveau système de PDR. Peut-être bien, mais il reste que les cours ne seront pas donnés et que les programmes ne seront pas offerts exactement de la manière dont le conseil l’envisageait. Le fait de ne pas mettre en place le nouveau système aura des conséquences, limitées certes, sur l’exécution des programmes scolaires et le fonctionnement des écoles. Indépendamment du droit du conseil d’introduire le nouveau système de PDR de la manière dont il l’a fait, aux fins de statuer sur la question limitée qu’on me demande de trancher, je dois déterminer si la définition d’une « grève » contenue dans la Loi sur l’éducation envisage l’ingérence, si partielle qu’elle soit, dans l’exécution des programmes. Je conclus qu’en conseillant à ses membres de ne pas postuler le nouveau PDR qui avait été affiché, la Fédération entend limiter ou perturber l’exécution des programmes scolaires et le fonctionnement des écoles du conseil.

(Toronto District School Board, précité, page 144; traduction)

[99] La CRTO a rejeté l’argument selon lequel les préoccupations de l’employeur pouvaient être qualifiées, au mieux de conjectures :

26. ... Le boycottage décrété par la Fédération a un impact sur la structure organisationnelle actuelle du conseil; il convient dès lors d’accorder au conseil toute mesure de redressement à laquelle il a droit.

(Toronto District School Board, précité, page 145; traduction)

[100] Nous sommes d’avis que la consigne que l’ILWU a donnée à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire est une situation identique, indépendamment des questions portant sur la validité, au refus de s’enregistrer décrit dans Association des employeurs maritimes, précitée, et au refus de postuler les PDR décrit dans Toronto District School Board, précité.

[101] Bref, nous estimons que la définition d’une « grève » contenue dans le Code est une définition objective. Même si nous ne remettons pas en question le fait que les syndicats et leurs membres sont convaincus du bien-fondé de leurs préoccupations, il n’en reste pas moins que cela n’a pas d’incidence sur la définition d’une grève que nous devons appliquer.

[102] Nous estimons également que la consigne que l’ILWU a donnée à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande d’HST a mené à un refus concerté de travailler. Ce refus a pour objet de diminuer ou de limiter le rendement puisque les membres de la BCMEA ne disposeront pas du personnel accrédité requis par loi pour accomplir le travail à la date de mise en application.

[103] En conséquence, le Conseil conclut que la consigne donnée par écrit aux employés identifiés de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité qu’ils devront détenir à compter de la date de mise en application et que le refus concerté des employés d’obtenir cette habilitation équivalent à une grève illégale.

IV – Conclusion

[104] Outre les questions portant sur la validité, la présente affaire aurait été semblable à de nombreux autres cas où le Conseil s’est vu dans l’obligation de formuler une déclaration.

[105] Il reste que les arguments avancés par les syndicats au sujet de leur capacité à présenter une défense pleine et entière et l’incidence du renvoi ont compliqué la tâche du Conseil. Notre décision repose sur la prémisse que notre interprétation du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales est juste.

[106] En conséquence, le Conseil rendra une ordonnance de redressement dans laquelle il formulera une déclaration selon laquelle une grève illégale s’est produite. L’ordonnance ne prendra toutefois effet que le 8 janvier 2008. Les parties auront ainsi suffisamment de temps pour examiner les autres recours juridiques qui s’offrent à elles.

[107] Les motifs de la dissidence de M. Rivard sont fournis ci-dessous.

Dissidence de M. Norman Rivard, Membre

[108] J’ai examiné avec soin la décision de la majorité; avec tout le respect que je dois à mes collègues, je suis en désaccord avec cette décision, si bien que je dois exprimer ma dissidence.

[109] Le 1er décembre 2007, Transports Canada a informé les intervenants en matière de sûreté maritime que les exploitants des terminaux de Vancouver étaient soustraits à la mise en application du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport maritime (PHSTM) jusqu’au 20 février 2008 « en raison de questions de droit relativement au PHSTM » (traduction). Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je crois qu’il n’existe aucun motif valable ni aucun objectif lié aux relations du travail de rendre une décision définitive en l’espèce tant que la Cour d’appel fédérale n’a pas statué sur le renvoi du procureur général du Canada (dossier de la Cour no A-497-07) relativement aux questions portant sur la validité. Rien ne presse dès lors de rendre une décision à ce moment-ci puisque le PHSTM fera l’objet d’un examen constitutionnel et qu’il ne sera pas mis en application le 15 décembre 2007.

[110] Les faits de l’affaire en instance sont inhabituels. C’est pourquoi j’estime que la consigne que le syndicat a donnée à ses membres de ne pas remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité en matière de transport et le refus de présenter une demande à cette fin ne constituent pas une grève au sens du Code dans la présente affaire. La BCMEA n’a pas démontré qu’il s’agit d’une grève au sens du Code; tout ce qu’elle a fourni au Conseil, ce sont des exemples de grève qui sont survenues dans des circonstances habituelles.

[111] L’article 3 du Code définit une grève dans les termes suivants :

« grève » S’entend notamment d’un arrêt du travail ou du refus de travailler, par des employés agissant conjointement, de concert ou de connivence; lui sont assimilés le ralentissement du travail ou toute autre activité concertée, de la part des employés, ayant pour objet la diminution ou la limitation du rendement et relative au travail de ceux-ci.

[112] En l’espèce, je suis convaincu que les membres du syndicat n’ont pas cessé ni refusé de travailler, et cela d’autant plus que la Cour d’appel fédérale n’a pas encore rendu sa décision quant aux questions portant sur la validité. La majorité du banc a assimilé le refus d’obtenir l’habilitation de sécurité à un refus de travailler. Avec tout le respect que je dois à mes collègues, je ne partage pas ce point de vue parce que les employés n’ont pas refusé – et ne refusent toujours pas – de travailler ou d’effectuer des heures supplémentaires ou de franchir des lignes de piquetage, et qu’ils n’ont pas provoqué, ni ne provoquent un ralentissement du travail.

[113] Le risque auquel s’exposent les membres du syndicat le 15 décembre 2007 (cette date de mise en application a été reportée au 20 février 2008 par le ministre), s’ils persistent dans leur refus d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire, est qu’on leur refuse l’autorisation de travailler. À l’heure actuelle, ils s’acquittent de leurs fonctions comme à l’habitude et rien n’indique qu’ils refuseront de travailler de leur propre chef. Seul l’employeur peut les empêcher de travailler en ne leur attribuant pas de travail. Ajoutons à cela que les parties n’ont pas produit d’élément de preuve indiquant que les activités portuaires seront paralysées le 15 décembre 2007 si les employés concernés n’ont pas obtenu l’habilitation de sécurité nécessaire. En fait, on a demandé au procureur général du Canada s’il fallait s’attendre à une telle éventualité si les habilitations de sécurité n’étaient pas obtenues avant le délai fixé, mais la question est restée sans réponse.

[114] Le point qui me préoccupe le plus est le fait que la décision de la majorité puisse porter atteinte ou contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, Partie I, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (la Charte); à la Déclaration canadienne des droits, 1960, ch. 44; à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6; et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, parce qu’elle s’accompagne d’une ordonnance d’interdiction enjoignant aux employés de « s’abstenir de participer, de concert, à la grève illégale et d’exécuter toutes les fonctions de leur emploi ». Cette ordonnance a été rendue sans avoir entendu les moyens de défense complets du syndicat relativement aux questions portant sur la validité. Avec tout le respect que je dois à mes collègues, j’estime qu’ils auraient dû tenir compte des conséquences de leur décision au vu du fait que les questions portant sur la validité n’ont pas encore été tranchées. La décision de la majorité suppose que les employés devront obtenir leur habilitation de sécurité en matière de transport avant même de savoir si les articles 503, 506, 507, 508, 509, 515 et 517 de la partie 5 du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144, 21 mai 2004, contreviennent à la législation susmentionnée. Dans Cyprus Anvil Mining Corporation (1976), 15 di 194; [1976] 2 Can LRBR 360; et 76 CLLC 16,045 (CCRT no 69), le prédécesseur du Conseil, en l’occurrence le Conseil canadien des relations du travail, a indiqué que le Conseil ne peut pas faire abstraction des dispositions de lois et règlements particuliers quand il interprète et applique le Code, faute de quoi une partie pourrait être contrainte de faire une chose qui est interdite par la loi.

[115] Au cours de l’audience, les syndicats ont en fait proposé diverses options au Conseil, à la lumière du renvoi du procureur général du Canada devant la Cour d’appel fédérale. Ils ont proposé que le Conseil demande à la Cour de lui donner des directives sur la ligne de conduite à adopter dans les circonstances. Ils ont proposé que la procédure du Conseil soit suspendue de fait jusqu’à ce que la Cour ait tranché les questions portant sur la validité. Ils ont également demandé au Conseil de reporter sa décision jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale ait rendu la sienne. Le constat qui s’impose est qu’ils ont clairement indiqué que le Conseil ne pouvait pas et ne devait pas rendre une décision avant de connaître l’issue du renvoi devant la Cour d’appel fédérale. Ils ont avancé que si le Conseil décidait d’imposer une mesure de redressement en dépit de leurs arguments contraires, celle-ci devait prendre la forme d’une déclaration de grève illégale non assortie d’une ordonnance d’interdiction, compte tenu des circonstances inhabituelles de l’affaire.

[116] La décision de la majorité et l’ordonnance d’interdiction feront en sorte que les membres du syndicat seront contraints de remplir le formulaire de demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité, ce qui pourrait violer leurs droits, et de fournir des renseignements personnels de nature très délicate tels que des renseignements sur leur époux ou leur conjoint de fait, leurs empreintes digitales et leur image faciale – à des fins d’identification – leur pays d’origine, leur passeport, leur lieu de naissance, leurs études, leur adresse résidentielle dans les cinq dernières années et les divers voyages qu’ils ont effectués. Ces renseignements seront ensuite communiqués au ministre de Transports Canada qui procédera à des vérifications de leurs antécédents, au cours desquelles des renseignements pourraient être communiqués à des gouvernements étrangers où un demandeur a résidé ou séjourné durant les cinq dernières années. Or, il pourrait être déterminé que la collecte, l’utilisation et la communication de ces renseignements personnels sont inconstitutionnelles et portent atteinte aux droits individuels puisque la Cour d’appel fédérale n’a pas encore rendu sa décision quant aux questions portant sur la validité.

[117] Dans l’éventualité où la Cour d’appel fédérale détermine que le processus de demande d’habilitation de sécurité en matière de transport contrevient à la Charte, à la Déclaration canadienne des droits, à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à la Loi sur la protection des renseignements personnels, qu’adviendra-t-il des renseignements personnels qui auront été fournis aux employeurs, à Transports Canada ou à des gouvernements étrangers? La majorité du banc n’a pas prévu de mesure de protection des renseignements personnels au cas où il serait déterminé que le processus de demande d’habilitation de sécurité porte atteinte aux droits des employés. Le préjudice causé aux employés serait irréparable car dès que leurs droits auront été violés, les membres du syndicat ne disposeront d’aucun recours valable pour obtenir réparation.

[118] Compte tenu de ce qui précède, j’aurais attendu de connaître la décision de la Cour d’appel fédérale avant de statuer de façon définitive sur la demande.


No de dossier 26503-C

CONCERNANT LE

Code canadien du travail

- et -

British Columbia Maritime Employers Association pour le compte de ses entreprises membres, y compris DP World (Canada) inc.; Fraser Surrey Docks, société en commandite; TSI Terminal Systems inc.; Cerescorp Company,

requérantes,

- et -

International Longshore and Warehouse Union-Canada; International Longshore and Warehouse Union, section locale 500; International Longshore and Warehouse Union, section locale 502; International Longshore and Warehouse Union Ship & Dock Foremen, section locale 514; International Longshore and Warehouse Union, section locale 517,

intimés,

- et -

Procureur général du Canada; Syndicat des débardeurs, section locale 375 du Syndicat canadien de la fonction publique; Association des employeurs maritimes; Administration portuaire de Vancouver,

intervenants.

ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) a reçu des requérantes, le 24 septembre 2007, une demande en vertu de l’article 91 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail), dans laquelle elles allèguent que les intimés ont déclaré ou autorisé une grève illégale et que certains des employés des requérantes, qui sont représentés par les intimés, ont entamé une grève illégale;

ET ATTENDU QUE le Conseil a examiné les observations écrites des parties et tenu une audience à Vancouver (Colombie-Britannique), du 5 au 8 novembre 2007;

ET ATTENDU QUE le Conseil a déterminé qu’une demande du procureur général du Canada en vertu du paragraphe 18.3(2) de la Loi sur les Cours fédérales a enlevé au Conseil le pouvoir d’examiner certaines questions ayant trait à la validité de la Loi sur la sûreté du transport maritime, 1994, ch. 40, et du Règlement sur la sûreté du transport maritime, DORS/2004-144, 21 mai 2004, tels que modifiés;

ET ATTENDU QUE le Conseil a tranché les autres questions qui lui ont été présentées;

ET ATTENDU QUE le paragraphe 3(1) du Code dispose qu’une grève s’entend notamment d’un arrêt du travail ou du refus de travailler, par des employés agissant conjointement, de concert ou de connivence, et d’un ralentissement du travail ou de toute autre activité concertée, de la part des employés, ayant pour objet la diminution ou la limitation du rendement;

ET ATTENDU QUE le Conseil estime qu’une grève illégale a été entamée quand les intimés ont conseillé à leurs membres devant obtenir une habilitation de sécurité de refuser de présenter une demande en ce sens et que ces membres, de concert, ont refusé de présenter une demande.

EN CONSÉQUENCE, et conformément au paragraphe 91(2) du Code :

a) Le Conseil déclare que la demande des intimés visant à ce que certains de leurs membres s’abstiennent de présenter une demande en vue d’obtenir l’habilitation de sécurité nécessaire et le refus concerté des membres en question de présenter une demande en ce sens constituent une grève illégale au sens du Code;

b) Le Conseil ordonne aux intimés de rétracter immédiatement la déclaration ou de retirer l’autorisation de grève et d’en informer sur-le-champ les membres visés par la déclaration ou l’autorisation;

c) Le Conseil ordonne aux intimés de s’abstenir de participer à la grève illégale;

d) Le Conseil ordonne de plus aux membres des intimés de s’abstenir de participer, de concert, à la grève illégale et d’exécuter toutes les fonctions de leur emploi;

e) Le Conseil enjoint à la British Columbia Maritime Employers Association, par l’entremise de ses entreprises membres, d’afficher des copies de la présente ordonnance dans des endroits bien en vue dans tous ses locaux touchés et nécessaires où les employés qui sont représentés par les intimés pourront en prendre connaissance;

f) Le Conseil indique expressément que les mesures de redressement et déclarations contenues dans la présente prennent effet le 8 janvier 2008;

g) Une fois entrée en vigueur, la présente ordonnance s’applique jusqu’à ce que les conditions de l’article 89 du Code soient remplies, à moins qu’elle soit prorogée, modifiée ou révoquée conformément à une demande présentée en vertu de l’article 93 du Code.

DONNÉE à Ottawa, ce 20e jour de décembre 2007 par le Conseil canadien des relations industrielles.

(s) Graham Clarke
Vice-président

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