Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Motifs de décision

Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada),

requérant,

et


Penske Logistics,

employeur,

et


Direct Driver Personnel; ADS Employment Services

parties intéressées.

CITÉ: Penske Logistics

Dossier du Conseil: 21870-C

Décision no 146
le 30 novembre 2001


Unité de négociation - Habileté à négocier collectivement - Identité de l’employeur- Entrepreneurs dépendants - Communauté d’intérêts.

Le Conseil a rendu une ordonnance accréditant une unité de négociation englobant tout l’effectif et a ultérieurement été appelé à déterminer si certains chauffeurs étaient des employés des agences de placement externes ou de la société de transport - Les définitions des notions d’employé et d’employeur sont interprétées en conformité avec les objectifs du Code énoncés dans le Préambule - Le Conseil s’est prononcé à maintes occasions sur la question de savoir qui est le véritable employeur - Au nombre des critères applicables il y a la détermination de la personne qui paie les salaires, supporte le coût ultime - et l’incidence de ce fait dans la relation d’emploi -, contrôle l’accès à l’emploi; établit dans les faits les conditions d’emploi; contrôle le déroulement du travail, et d’autres critères, qui visent tous la réalisation de l’objet du Code, à savoir favoriser l’accès à la négociation collective - Les critères se résument à déterminer qui exerce le contrôle fondamental sur les conditions de travail - L’analyse du critère du contrôle fondamental entraîne celle de déterminer qui détient le contrôle à l’égard, entre autres, de la sélection, l’embauche, la rémunération, la discipline et des conditions de travail des employés temporaires ainsi que l’examen du facteur de l’intégration dans l’entreprise - La durée de l’emploi ne change rien au statut d’employé - Les chauffeurs d’agence ont une communauté d’intérêts suffisante avec les chauffeurs permanents de la société.


Un banc du Conseil canadien des relations industrielles, composé de Me Gordon D. Hamilton, Vice-président, ainsi que de Me Sonia Gaal et Mme Laraine C. Singler, Membres, s’est saisi de la demande d’accréditation mentionnée en rubrique ainsi que des observations des parties.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Mme Laraine C. Singler, Membre.

I - La demande

[1] Le 9 janvier 2001, le Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada ou le syndicat) a présenté une demande fondée sur l’article 24 du Code canadien du travail (Partie 1 - Relations du travail) (le Code) visant l’accréditation d’une unité composée des employés de Penske Logistics (Penske ou l’employeur). Penske s’est opposé à l’inclusion des chauffeurs qui proviennent d’agences de placement.

[2] Compte tenu des conclusions auxquelles il en est arrivé quant à l’habilité de l’unité proposée à négocier collectivement et à la volonté de la majorité des employés concernés, le Conseil a rendu une ordonnance provisoire (ordonnance no 8004-U) le 9 avril 2001, en application du paragraphe 20(1) du Code accréditant le syndicat agent négociateur de l’unité suivante:

tous les employés de Penske Logistics travaillant à partir de Mississauga (Ontario), à l’exclusion des superviseurs, directeurs, des répartiteurs et ceux de niveau supérieur, des propriétaires-exploitants et étudiants embauchés pour l’été.

[3] Le Conseil a jugé qu’il convenait de rendre une ordonnance provisoire en l’espèce car le caractère représentatif du requérant ne faisait aucun doute, peu importe que les chauffeurs d’agence soient inclus ou non dans l’unité de négociation. En outre, le Conseil était convaincu qu’il ne compromettait d’aucune manière la position de l’une ou l’autre des parties en rendant l’ordonnance provisoire et en se réservant le doit de déterminer si les chauffeurs d’agence en cause étaient des employés au sens du Code.

[4] Le Conseil a examiné les observations écrites des parties et le rapport d’enquête qui leur a été communiqué le 22 mars 2001. Ni l’une ni l’autre partie n’a formulé d’observation supplémentaire ni n’a contesté le contenu du rapport. Le Conseil a également signifié un avis et fait parvenir une copie de la demande du syndicat à Direct Driver Personnel et ADS Employment Services, les deux agences qui fournissaient des chauffeurs à Penske à la date du dépôt de la demande. Aucune des agences n’a soumis d’observation au Conseil ni n’a sollicité le statut de parties intervenantes.

[5] L’article 16.1 du Code habilite le Conseil à trancher toute question ou toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience publique. Après examen de tous les documents, et en dépit de la demande d’audience formulée par l’employeur, le Conseil est convaincu que les observations des parties et le contenu du dossier suffisent pour trancher l’affaire sans tenir d’audience publique.

[6] Les motifs exposés ci-après se rapportent uniquement à la décision rendue par le Conseil sur la question de l’inclusion des chauffeurs d’agence.

II - Les faits pertinents

[7] Penske est une entreprise de transport routier qui fournit des services de logistique, de contrôle des stocks, de distribution et de transport des marchandises à diverses compagnies au Canada et aux États-Unis. Au Canada, Penske assure surtout le transport de pièces d’automobile provenant d’usines de fabrication situées à divers endroits au Canada et aux États-Unis et destinées aux usines d’assemblage appartenant à General Motors et à Ford et exploitées par celles-ci en Ontario et au Québec. Les seuls employés de Penske qui travaillent au Canada s’acquittent de leurs fonctions à partir des bureaux de l’employeur situés à Mississauga (Ontario). Penske y emploie un gestionnaire de la logistique et deux répartiteurs, lesquels sont exclus de l’unité de négociation. Les répartiteurs supervisent les chauffeurs de camion qui effectuent de longs et de courts trajets aux États-Unis, au Québec et en Ontario, et qui sont visés par la demande dont le Conseil est saisi en l’espèce.

[8] Penske emploie un certain nombre de chauffeurs en plus de faire appel à des agences de placement externes. Elle s’adresse à ces agences afin d’avoir une plus grande marge de manoeuvre pendant les périodes de pointe, car ses besoins fluctuent constamment. Par le passé, Penske a traité avec quatre agences, à savoir ADS Employment Services (ADS), Direct Driver Personnel (Direct), Global Driver Services et Intransit Personnel. Il n’existe pas de contrat écrit entre Penske et les agences auxquelles elle fait appel. Penske informe l’agence du nombre de chauffeurs dont elle a besoin à un moment particulier. L’agence vérifie les références du chauffeur potentiel, y compris son dossier de conducteur. Penske ne participe d’aucune manière à la sélection des chauffeurs ni ne les rencontre au préalable.

[9] À leur arrivée chez Penske, les chauffeurs d’agence doivent produire leur permis de conduire et fournir leur numéro de téléphone à la maison ou leur numéro de téléphone cellulaire afin que l’employeur puisse communiquer directement avec eux. Ils reçoivent ensuite une formation d’une durée de deux ou trois jours habituellement qui leur est dispensée par le personnel de Penske et dont cette dernière assume les frais. Dès le moment où ils commencent à travailler, les chauffeurs d’agence se présentent directement chez Penske pour effectuer chaque quart de travail plutôt qu’aux bureaux de leur agence respective. Les trajets leur sont attribués par le répartiteur de Penske, avec lequel ils communiquent directement et qui les informe des mesures à prendre lorsque des problèmes surgissent durant leur quart de travail. Les chauffeurs d’agence ne sont pas autorisés à poser leur candidature pour obtenir des parcours. Ils obtiennent plutôt les parcours qui restent après que Penske a attribué le travail à ses propres chauffeurs.

[10] Les chauffeurs d’agence sont assujettis au même horaire et ils exécutent les mêmes tâches quotidiennes que les chauffeurs en titre. À l’instar de ces derniers, ils soumettent chaque jour une feuille de contrôle au répartiteur de Penske. Ils remplissent aussi une feuille de temps qui est vérifiée par Penske avant d’être transmise à leur agence respective, qui les rémunère et facture les services fournis à Penske. L’employeur prend également en charge les frais d’assurance du véhicule ainsi que les frais de carburant des chauffeurs d’agence qui fournissent des services pour son compte. Penske fournit des uniformes à ses chauffeurs, mais il n’en fournit pas aux chauffeurs d’agence. Le seul équipement que Penske fournit aux chauffeurs d’agence est un dispositif de balayage qu’ils doivent lui retourner à la fin de chaque quart de travail. Cette règle s’applique également aux chauffeurs en titre. Les chauffeurs d’agence n’ont pas accès au régime d’avantages que Penske accorde à ses chauffeurs et ils n’accumulent pas non plus d’ancienneté. Penske n’impose pas de sanctions disciplinaires aux chauffeurs d’agence; si le rendement d’un chauffeur ne répond pas à ses attentes elle avise l’agence de ne plus le lui envoyer.

[11] Le 9 janvier 2001 (date du dépôt de la demande du syndicat), Penske avait 39 chauffeurs en titre et 11 chauffeurs provenant de deux agences (ADS et Direct). ADS lui en avait fourni deux et les neuf autres lui avaient été adressés par Direct.

[12] Penske a informé le Conseil le 12 mars 2001 que les deux chauffeurs d’ADS en cause travaillaient de façon continue pour l’employeur depuis le 15 décembre 2000. En outre, sept des neuf chauffeurs de Direct travaillaient toujours pour Penske à la date où elle a soumis son rapport au Conseil, soit le 9 mars 2001, et les deux autres avaient été engagés pour des périodes de trois et de cinq semaines consécutives, respectivement. L’un des chauffeurs de Direct qui travaillait toujours pour Penske en mars 2001 avait eu cinq périodes d’emploi distinctes depuis le 30 octobre 2000, d’une durée d’une à quatre semaines continues chacune entrecoupées d’interruptions d’une semaine généralement et d’au plus trois semaines.

[13] Deux des chauffeurs en titre étaient antérieurement des chauffeurs d’agence qui avaient été adressés à Penske. L’employeur a toutefois pour principe de ne pas embaucher un chauffeur d’agence tant qu’il n’a pas démissionné de l’agence.

III - La position de Penske

[14] Penske ne conteste pas la demande d’accréditation et elle accepte l’unité de négociation proposée par le syndicat. L’employeur s’oppose cependant à l’inclusion des chauffeurs d’agence au motif que c’est l’agence de placement qui les lui adresse qui est leur employeur. Penske fait valoir que les chauffeurs d’agence sont les «employés des agences de placement ayant conclu un contrat avec [Penske] qui fournissaient des services pour son compte» à l’époque. Aux dires de Penske, 39 employés de l’entreprise, neuf employés de Direct et deux employés d’ADS fournissaient des services de chauffeur pour le compte de l’employeur à la date du dépôt de la demande d’accréditation du syndicat.

[15] Penske soutient en outre que les chauffeurs en cause n’ont pas de communauté d’intérêts avec les employés inclus dans l’unité de négociation proposée, car ils sont employés et payés par diverses agences de placement et leurs modalités de rémunération sont différentes de celles des employés de Penske.

IV - Analyse et décision

[16] L’article 28 du Code est libellé comme suit:

28. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat lorsque les conditions suivantes sont remplies:

a) il a été saisi par le syndicat d’une demande d’accréditation;

b) il a défini l’unité de négociation habile à négocier collectivement;

c) il est convaincu qu’à la date du dépôt de la demande, ou à celle qu’il estime indiquée, la majorité des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

[17] Ainsi qu’il a été précisé antérieurement dans la présente décision, le Conseil a jugé qu’une unité englobant tout l’effectif était habile à négocier collectivement et il est convaincu que, à la date du dépôt de la demande d’accréditation, le syndicat représentait la majorité des membres de cette unité. Il reste à trancher la question de savoir si les chauffeurs d’agence, qui fournissent des services pour le compte de Penske, doivent être inclus dans cette unité de négociation, ce qui leur permettrait de négocier collectivement au même titre que les autres chauffeurs. Pour inclure les chauffeurs d’agence dans l’unité de négociation, le Conseil doit conclure qu’ils sont des employés au sens du Code, que leur employeur est Penske, et qu’il n’existe pas d’autre motif de les exclure.

[18] L’article 3 du Code définit les termes «employé» et «employeur» de la façon suivante:

«employé» Personne travaillant pour un employeur; y sont assimilés les entrepreneurs dépendants et les agents de police privés. Sont exclus du champ d’application de la présente définition les personnes occupant un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail.

«employeur» Quiconque:

a) emploie un ou plusieurs employés;

b) dans le cas d’un entrepreneur dépendant, a avec celui-ci des liens tels, selon le Conseil, que les modalités de l’entente aux termes de laquelle celui-ci lui fournit ses services pourraient faire l’objet d’une négociation collective.

[19] Sous le régime de l’alinéa 16p) du Code, seul le Conseil est habilité à trancher la question de savoir si une personne est un «employé» ou un «employeur», de même qu’à déterminer si un groupe d’employés constitue une unité habile à négocier collectivement:

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît:

...

p) trancher, dans le cadre de la présente partie, toute question qui peut se poser à l’occasion de la procédure, et notamment déterminer:

(i) si une personne est un employeur ou un employé,

...

(v) si un groupe d’employés constitue une unité habile à négocier collectivement...

[20] L’article 21 dispose que le Conseil doit exercer ses pouvoirs en conformité avec les objectifs du Code:

21. Le Conseil exerce les pouvoirs et fonctions que lui confère la présente partie ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances enjoignant de se conformer à la présente partie, à ses règlements et d’exécuter les décisions qu’il rend sur les questions qui lui sont soumises.

[21] Les objectifs en question sont énoncés de la façon suivante dans le Préambule du Code, entré en vigueur le 1er mars 1973:

Attendu:

qu’il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;

que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations du travail fructueuses permettant d’établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs;

que le gouvernement du Canada a ratifié la Convention no 87 de l’Organisation internationale du travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical et qu’il s’est engagé à cet égard à présenter des rapports à cette organisation;

que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu’il estime que l’établissement de bonnes relations du travail sert l’intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès...

[22] Le Code définit les termes «employé» et «employeur» de façon générale et par référence à la relation qui existe entre eux. Un employé est «une personne travaillant pour un employeur» et un employeur, «quiconque emploie un ou plusieurs employés». Pour interpréter ces termes, le Conseil s’appuie sur les objectifs du Code. Dans l’affaire Cominco Ltd. (1980), 40 di 75; [1980] 3 Can LRBR 105; et 80 CLLC 16,045 (CCRT no 240), le Conseil fait la genèse des principes législatifs énoncés dans le Préambule à partir du moment où la liberté d’association syndicale a été mentionnée pour la première fois par le gouvernement fédéral en 1918. Le Conseil a déclaré que l’objectif fondamental du Code est «de protéger la liberté syndicale qui constitue le fondement de l’action collective des employés» (Cominco Ltd., précitée, aux pages 77; 107; et 718; voir également, de manière générale, British Columbia Telephone Company et Canadian Telephones and Supplies Ltd. (1977), 24 di 164; [1978] 1 Can LRBR 236; et 78 CLLC 16,122 (CCRT no 108); Loomis Armored Car Service Ltd. et autres (1983), 51 di 185 (CCRT no 408); Sedpex Inc. et autres (1985), 63 di 102 (CCRT no 543); et Overland Express, division de TNT Canada Inc. (1987), 70 di 79 (CCRT no 631)).

[23] Dans l’affaire Société Radio-Canada (1982), 44 di 19; et 1 CLRBR (NS) 129 (CCRT no 383), le Conseil s’est penché sur la définition d’«employé» énoncée à l’article 3 du Code après avoir procédé à un examen des principes juridiques applicables en France, au Québec, dans les provinces canadiennes anglaises régies par la common law, et aux États-Unis. Même si, dans cette affaire, le Conseil était appelé à se prononcer sur le statut de «pigistes» embauchés à contrat, plusieurs de ses conclusions et observations sont fort utiles pour trancher la question dont le Conseil est saisi en l’espèce. Le Conseil a indiqué dans ses motifs que, dans le contexte du Code, les notions propres au droit civil ou à la common law ne peuvent s’appliquer que dans la mesure où elles sont compatibles avec les objectifs du texte législatif:

La [Partie I] du Code vise essentiellement à promouvoir la négociation collective comme moyen de remédier au déséquilibre économique entre le capital et le travail, et assurer ainsi la paix sociale...

...

C’est à partir de ces objectifs que nous devons définir les termes «employé» ou «travailleur» et non en fonction d’un autre objectif, soit celui de déterminer si un donneur d’ouvrage peut être tenu responsable des dommages causés à un tiers par la personne exécutant pour lui des travaux.

...

Les objectifs du Code du travail ont pour but de redresser un déséquilibre économique entre deux parties intimement et nécessairement reliées entre elles dans la production de biens et services afin «d’assurer à tous une juste part des fruits du progrès». Les objectifs sur lesquels ont reposé l’interprétation civiliste ou de common law de la notion d’«employé» visaient principalement à compenser la victime d’une faute et à protéger la personne qui n’est pas responsable de la faute. Ces objectifs sont totalement étrangers au Code canadien du travail et devant l’existence d’une définition contenue au Code et qui doit prendre la coloration de ses objectifs et en l’absence d’une disposition expresse référant au droit commun, comme ce fut le cas dans la législation américaine en 1947, rien ne nous oblige à adopter la définition élaborée en droit commun. En effet, ce n’est qu’en l’absence de dispositions statutaires que le droit commun reçoit application, ce qui n’est pas le cas ici. Il faut plutôt développer une définition qui, comme le prévoit la Loi d’interprétation et la jurisprudence, corresponde aux objectifs de notre loi, soit l’accession à la négociation collective... Les critères retenus pourront correspondre à ceux élaborés par le droit commun. Ils pourront également en comprendre d’autres qui sont spécifiques aux objectifs du Code. Il s’agit en fait, d’interpréter le statut pour ce qu’il est et non tenter à tout prix de le rendre conforme à un autre ou à d’autres qui visent des objectifs différents.

(pages 100 et 102; et 216 et 218)

[24] Aucun argument ni aucune preuve n’a été soumis qui indique que les chauffeurs d’agence travaillant pour Penske occupent un poste de direction ou un poste de confiance ou qu’ils sont des entrepreneurs indépendants. La question qui divise toutefois les parties est celle de savoir s’il existe une relation employeur-employé entre Penske et les chauffeurs d’agence fournissant des services pour son compte. En l’absence d’une telle relation avec Penske, il est impossible, par définition, d’inclure les chauffeurs dans l’unité de négociation englobant «tous les employés de Penske Logistics travaillant à partir de Mississauga (Ontario)». Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la définition d’«employeur» énoncée dans le Code renvoie à la relation d’emploi qui existe avec «un ou plusieurs employés». À nouveau, le Conseil s’appuie sur les objectifs du Code pour déterminer si une telle relation existe. Dans l’affaire Société Radio-Canada, précitée, le Conseil a insisté sur l’importance de tenir compte du contexte des relations de travail pour trancher cette question:

La négociation collective vise à redresser le déséquilibre économique qui existe entre le propriétaire du capital, le donneur d’ouvrage ou l’employeur et les personnes qui exécutent pour lui un travail, en permettant à ces personnes de se regrouper pour négocier les conditions de travail qui prévaudront entre elles. Il faut donc, pour donner effet aux objectifs du législateur, favoriser l’accession à la négociation collective du plus grand nombre de personnes qui sont dans un état de subordination économique, par rapport à l’employeur avec lequel ils sont en relation quant à l’établissement de leurs conditions de travail.

La subordination économique dont il s’agit ici est celle qui existe, entre un employeur et les personnes effectuant pour lui du travail, quant à l’établissement des conditions de travail desdites personnes. Le point de mire doit être mis sur la relation qui existe entre les personnes visées par une requête en accréditation ou d’inclusion dans une unité existante et l’employeur avec qui elles désirent négocier collectivement leurs conditions de travail, chaque personne constituant un élément du groupe. Dans cette optique, la relation qu’a une personne avec d’autres employeurs n’est pas déterminante. Ce qui importe, c’est la dépendance des personnes, parties ou groupes, dans l’établissement de leurs conditions de travail chez cet employeur.

...

... Dans le contexte de l’accession à la négociation collective, est économiquement dépendant, celui qui a intérêt à se regrouper avec d’autres personnes travaillant chez un même employeur afin d’établir des conditions de travail chez cet employeur, ce qu’il ne pourrait faire dans la même mesure s’il agissait individuellement. Cette personne devient un maillon de la chaîne collective, dans la mesure où elle peut être rattachée de façon cohérente à l’ensemble du groupe. Qui plus est, non seulement y va-t-il de son intérêt à être rattaché au groupe, mais également, il y va de l’intérêt même du groupe auquel ce rattachement s’effectue. La force du groupe lui vient de l’association ou du regroupement de ses composantes qui lui donne son homogénéité.

Il faut éviter, au nom de la paix sociale et de l’existence même de la négociation collective, d’exclure de l’application de la loi des personnes exécutant des fonctions similaires dans des conditions similaires de subordination auprès du même employeur. Si ces personnes étaient exclues, il s’ensuivrait des tensions et des remous dans les relations de travail, tensions qui bien souvent débouchent sur des conflits ouverts...

(pages 103-104; et 219-221)

[25] En l’espèce, le Conseil doit déterminer si, aux fins des relations du travail, Penske est «l’employeur» des chauffeurs d’agence fournissant des services pour son compte. Le Conseil s’est maintes fois penché sur la question de la détermination du «véritable» employeur, que ce soit dans le contexte d’une vente d’entreprise (article 44 du Code), d’une déclaration d’employeur unique (article 35) ou encore d’une demande d’accréditation (article 24) (voir Northern Television Systems Ltd. (1976), 14 di 136; et 76 CLLC 16,031 (CCRT no 64); MacCosham Van Lines Limited (1979), 34 di 716; et [1979] 1 Can LRBR 498 (CCRT no 177); Newfoundland Steamships Ltd. (1981), 45 di 156; et 2 CLRBR (NS) 40 (CCRT no 331); Maska Main d’Oeuvre Inc. (1984), 57 di 193 (CCRT no 487); Urbain et Chartrand Inc. (1985), 55 di 257 (CCRT no 508); Nationair (Nolisair International Inc.) (1987), 70 di 44; et 19 CLRBR (NS) 81 (CCRT no 630); Tecksol Inc. (1988), 75 di 130 (CCRT no 713); Transport Bélanger Lemire Inc. et autres (1990), 79 di 165 (CCRT no 777); Northern Cruiser Limited (1990) 82 di 199 (CCRT no 828); Economy Carriers Limited et autres (1991), 86 di 209 (CCRT no 910); Coopérative des travailleurs routiers, Trans-Coop, et autre (1996), 101 di 159 (CCRT no 1170); et Mohawks of the (Bay of Quinte) Tyendinaga Mohawk Territory, [2000] CCRI no 64; et 2001 CLLC 220-005). En conséquence, le Conseil examinera le cadre réel de travail pour déterminer qui détient le contrôle fondamental sur la relation de travail et sur les conditions d’emploi des employés.

[26] Dans l’affaire Nationair (Nolisair International Inc.), précitée, le Conseil s’est penché sur les critères à appliquer pour déterminer qui est le véritable employeur dans une relation tripartite du genre de celle dont le Conseil est saisi en l’espèce:

C’est donc à la lumière du vécu plutôt que du formel que s’apprécie la relation d’emploi. Certes les contrats entre l’agence et son client ne doivent pas être ignorés. Cependant, l’examen attentif de la réalité vécue par le personnel sera déterminant.

Comme l’ont dit bien d’autres avant nous, l’existence d’une relation d’emploi entre A et B doit être avant tout étudiée sous l’angle factuel du déroulement du travail et de l’établissement de la relation d’emploi. (Voir Société Radio-Canada (1982), 44 di 19; et 1 CLRBR (NS) 129 (CCRT no 383).)

1. Le Conseil évaluera la réalité sans accorder un poids décisif aux conventions dans la mesure où elles ne se vérifient pas dans les faits.

Ainsi, on ne peut dans notre juridiction accorder au versement du salaire un poids significatif. Le Code canadien parle d’«employé» et ne fait aucunement référence à la rémunération dans la définition qu’il en donne contrairement au Code québécois par exemple, qui reconnaît la liberté d’association au «salarié». Ce qui sera plus significatif sera l’identification du payeur, du supporteur ultime du coût et l’incidence de ce fait dans la relation d’emploi.

2. Un autre indicateur sera sûrement celui du contrôle de l’accès à l’emploi: celui qui embauche ou qui donne le travail à accomplir. Ici on aura égard au mécanisme de sélection et aux critères utilisés. Celui qui a en fait le pouvoir de sanctionner la sélection et de l’orienter de manière décisive s’apparente davantage à un employeur qu’à un simple utilisateur ponctuel. Le locataire d’employé qui se conserve ou exerce un droit de veto ou l’équivalent sur le choix du personnel n’est certes pas étranger à l’existence du lien d’emploi.

3. Une troisième donnée a trait à la détermination même des conditions de travail. Qui les décide dans la réalité? Une agence qui ne serait qu’un bureau d’emploi déguisé, une sorte de boîte aux lettres coiffée d’un nom propre pourra difficilement se qualifier d’employeur. Elle ne serait alors qu’un agent agissant pour l’employeur, assimilable au service du personnel d’une entreprise qui n’est pas distinct de l’entreprise dont il fait partie et dont il exécute les demandes comme un préposé.

4. Un autre critère a trait au déroulement même du travail. Comment au jour le jour s’effectue la prestation de travail? Qui assigne? Qui détermine et sanctionne dans la réalité les normes d’accomplissement du travail? À ce sujet, qui a le dernier mot, le mot qui compte, celui qui évalue, qui décide, qui fait que l’employé travaillera ou ne travaillera plus à cause de son rendement? Quelle est l’expertise de l’agence dans le travail exécuté? Quel est le degré de similitude des fonctions exercées par les employés réguliers et ceux provenant de l’extérieur?

5. D’autres éléments peuvent aussi éclairer le tribunal. La perception des employés, leur identification à l’entreprise, leur degré d’intégration dans celle-ci, le caractère accidentel, passager ou durable de leur présence dans l’entreprise locataire.

Enfin il paraît essentiel de soupeser ces critères, qui pourront revêtir un poids variable selon chaque espèce, sans perdre de vue l’objet de la législation qui est de favoriser l’accès à la négociation collective:

«Le Conseil ne peut se contenter des apparences; les conséquences d’une accréditation sont lourdes. Il paraît malsain et contraire à l’esprit du Code qu’on puisse accréditer un groupe d’employés qui ne seraient jamais en mesure de créer un rapport de force avec leur vis-à-vis réel. Pour employer un vieil adage du droit civil des donations: «donner et retenir ne vaut». Il nous paraît difficile de concilier qu’on puisse céder en permanence les services d’un employé à un tiers et en même temps être réputé les conserver lorsque ces employés demandent une accréditation. Plus encore, il nous aparaît difficile d’admettre que cela puisse se faire sans qu’il en résulte quelque lien significatif avec ce tiers au niveau des relations du travail des employés ainsi cédés. C’est là une proposition qu’il nous paraît répugner à l’esprit du Code d’admettre sans une preuve positive d’une telle absence de lien...»

(Main-d’oeuvre Maska Inc., supra, page 204; c’est nous qui soulignons)

(pages 74-75; et 110-111)

[27] Les critères énumérés dans la citation qui précède sont utilisés pour déterminer celles des parties - le client ou l’agence - qui détient le contrôle fondamental sur les activités quotidiennes. Dans l’affaire Nationair (Nolisair International Inc.), précitée, le Conseil a fait observer que les commissions des relations de travail de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Québec avaient tous adopté cette même approche et il a déclaré ce qui suit au sujet de la Commission des relations de travail de l’Ontario:

... des facteurs tels la paie, l’autorité directe, formelle, en matière de discipline et de congédiement, se sont avérés des critères moins déterminants dans la recherche du «contrôle fondamental», que celui du contrôle quotidien des tâches.

(pages 60; et 97)

[28] Cependant, ainsi que le passage tiré de Nationair (Nolisair International Inc.), précitée, nous le rappelle, les critères adoptés par le Conseil pour en venir à déterminer laquelle des parties est le véritable employeur doivent quand même être appréciés dans le contexte de la négociation collective ou des relations de travail.

[29] Dans l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur le bien-fondé d’une décision du Tribunal du travail, qui avait confirmé une décision du commissaire du Travail. Celui-ci avait conclu que la ville de Pointe-Claire était le véritable employeur d’une employée temporaire embauchée par l’entremise d’une agence de placement pour deux périodes de travail. Tout en admettant que c’est l’agence qui recrutait les employés temporaires, leur assignait les postes, les évaluait, leur imposait des sanctions et les rémunérait, le Tribunal du travail avait conclu que la ville était le véritable employeur, après avoir déterminé laquelle des parties contrôlait les conditions de travail et le rendement de l’employée temporaire. Le Tribunal du travail avait également fait observer qu’il existait une relation de subordination juridique entre la ville et l’employée parce que les gestionnaires de la ville dirigeaient et supervisaient l’employée au quotidien.

[30] S’exprimant pour la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), précité, le juge en chef Lamer a rejeté l’appel de la décision du Tribunal du travail du Québec et, après avoir fait observer que le critère appliqué dans cette affaire était aussi utilisé par le Conseil des relations du travail, il a affirmé ce qui suit:

... le critère primordial pour cerner une relation employeur-salarié dans un contexte de relation tripartite était celui du contrôle fondamental sur les conditions de travail. L’analyse du critère du contrôle fondamental entraîne celle de déterminer quelle partie détient le contrôle à l’égard, entre autres, de la sélection, l’embauche, la rémunération, la discipline et des conditions de travail de l’employé temporaire ainsi que l’examen du facteur de l’intégration dans l’entreprise...

(pages 1047-1048)

[31] Cela nous amène à la question de savoir qui est le véritable employeur en l’espèce - Penske ou l’agence de placement. Après avoir apprécié la preuve en tenant compte de la jurisprudence du Conseil et de l’objectif du Code, le Conseil est convaincu que c’est Penske, non pas l’agence, qui détient le contrôle fondamental sur les conditions de travail et sur le rendement des chauffeurs d’agence. En plus de fournir le travail à exécuter et de former les chauffeurs d’agence à ses frais, Penske leur attribue le travail et les supervise au jour le jour. Elle a aussi droit de regard sur le choix des chauffeurs d’agence en ce sens qu’elle peut aviser l’agence de placement de ne plus lui envoyer les chauffeurs qui ne satisfont pas à ses critères de rendement. En outre, les chauffeurs d’agence ont le même horaire, exécutent les mêmes fonctions quotidiennes et remplissent chaque jour les mêmes feuilles de contrôle que les chauffeurs en titre en plus de recevoir leurs instructions et de relever du même superviseur. En conséquence, le Conseil conclut que c’est Penske qui est l’employeur des chauffeurs d’agence, en conformité avec le Code.

[32] Si les chauffeurs d’agence sont des employés «temporaires», la durée de leur emploi ne change rien à leur statut d’employé:

Le Conseil, contrairement à d’autres tribunaux de relations de travail, comme en Ontario par exemple, ne nie pas le statut d’employé à des personnes qui n’effectuent pas un nombre minimum d’heures de travail par semaine. Quant à nous, si une personne rencontre les critères de subordination économique auxquels nous avons référé plus haut, elle est un «employé» au sens du Code, quel que soit le nombre d’heures travaillées pour l’employeur. Il pourra cependant arriver que le Conseil, pour d’autres motifs, les exclut du groupe. Elles continuent cependant d’être des «employés» au sens du Code.

La forme ou la durée du contrat n’est pas importante. À ce sujet, le Conseil dans l’affaire Radio Côte-Nord Inc. (1977), 23 di 39, disait à la page 42:

«Mais en regard du droit du travail il faudrait souligner une fois pour toutes que l’existence d’un contrat de louage de services écrit ne constitue pas, in se et automatiquement, un critère d’exclusion dans une unité de négociation. Même si ledit contrat contient une période d’emploi déterminée et définie.»

(Société Radio-Canada, précitée, pages 117-118; et 235)

[33] Le Conseil est également convaincu que les chauffeurs d’agence ont une communauté d’intérêts suffisante pour être inclus dans la même unité de négociation que les chauffeurs permanents de Penske. En outre, dans l’optique de saines relations de travail, il ne serait pas opportun de les exclure ou de créer une unité distincte juste pour eux, eu égard au fait que le syndicat demande qu’ils soient inclus dans l’unité englobant tout l’effectif.

[34] Le Conseil confirme par les présentes l’ordonnance provisoire du 9 avril 2001 et accrédite le syndicat agent négociateur d’une unité d’employés comprenant:

tous les employés incluant les chauffeurs d’agence de Penske Logistics travaillant à partir de Mississauga (Ontario) à l’exclusion des superviseurs, directeurs, des répartiteurs et ceux de niveau supérieur, des propriétaires-exploitants et étudiants embauchés pour l’été.

[35] L’unité de négociation décrite au paragraphe précédent doit expressément inclure les chauffeurs d’agence. Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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