Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Motifs de décision

Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, sections locales 401 et 902,

requérant,

et


Island Telecom Inc. et Island Tel Advanced Solutions Inc.,

intimées.

CITÉ: Island Telecom Inc. et autre

Dossiers du Conseil: 18403-C

18729-C

Décision no 59

le 24 février 2000


Demandes fondées sur l'article 35 du Code canadien du travail, Partie I.

Employeur unique - Discrétion - Pratique et procédure - Le syndicat tente d'obtenir une déclaration selon laquelle Island Telecom Inc. (Island Tel) et Island Tel Advanced Solutions Inc. (ITAS) constituent une entreprise unique pour les besoins du Code - ITAS est une filiale à propriété exclusive de Island Tel établie en 1996 pour fournir l'accès à Internet à tous les clients de Island Tel - Les employés de Island Tel ont été transférés à ITAS - Le syndicat allègue que les titulaires des postes chez ITAS exercent dans un environnement sans unité de négociation des fonctions qui sont identiques aux fonctions qu'exerçaient antérieurement les membres du syndicat chez Island Tel - Le Conseil conclut que les employés qui accomplissent le travail de l'unité de négociation du requérant chez Island Tel sont transférés chez ITAS ou sont embauchés par cette dernière pour exécuter le même travail dans un milieu sans unité de négociation - Le Conseil est convaincu qu'en l'espèce il a été satisfait aux critères pour rendre une déclaration d'employeur unique - Le Conseil a exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui confère l'article 35 et a rendu une déclaration unique étant donné qu'il existe une preuve convaincante que les droits de négociation des syndicats sont minés ou le seront vraisemblablement - La demande est agré‚e. Compétence constitutionnelle - Télécommunications - Fournisseurs d'accès Internet - ITAS prétend que le Conseil n'a pas compétence pour statuer sur la demande étant donné que ITAS n'exploite pas une entreprise fédérale - Le Conseil juge que ITAS est une entreprise fédérale en soi - Les activités de ITAS vont au-delà des limites de la province - Le service de ITAS permet aux utilisateurs d'Internet de communiquer, transmettre et recevoir de l'information dans le monde entier - Subsidiairement, ITAS relève de la compétence fédérale parce qu'elle fait partie d'une entreprise fédérale - Il existe une connexion physique et technologique entre ITAS et Island Tel - Dans une large mesure, la gestion, le contrôle et la direction sont exercés en commun - ITAS devait constituer une unité fonctionnelle faisant partie intégrante de Island Tel.

Le Conseil se composait de Me Richard I. Hornung, c.r., Vice- -président, ainsi que de Mes Sarah E. FitzGerald et David Gourdeau, Membres. Une audience a eu lieu à Charlottetown (Î.-P.-É.) du 15 au 17 septembre 1998.

Ont comparu

Mes Ronald Pink et Bettina Quistgaard, accompagnés de MM. J. McLeod, Keith Lambe et Ervan Cronk, pour les requérants;

Me John Mitchell, accompagné de M. Steve Murray, pour les intimées.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Richard I. Hornung, c.r., Vice-président.

I

[1] Le 23 octobre 1997, la section locale 401 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier («SCCEP») a présenté une demande en vertu des articles 35 et 44 du Code canadien du travail, en vue d'obtenir une déclaration selon laquelle Island Telecom Inc. («Island Tel») et Island Tel Advanced Solutions Inc. («ITAS») constituent une entreprise unique pour les besoins de la Partie I du Code. Subsidiairement, elle demande au Conseil de déclarer qu'il y a eu vente d'entreprise de Island Tel à ITAS, au sens du paragraphe 44(1) du Code. Le 4 mai 1998, la section locale 902 a présenté une demande semblable.

[2] En réponse à la demande, ITAS conteste la compétence constitutionnelle du Conseil, alléguant qu'elle n'exploite pas une entreprise fédérale.

II

[3] Conformément aux ordonnances rendues par le Conseil le 17 novembre 1993, la section locale 401 du SCCEP est accréditée pour représenter «tous les employés d'usine et de métiers» et la section locale 902 est accréditée pour représenter «tous les gestionnaires de niveau 1 ... à l'exclusion des adjoints du personnel» chez Island Tel.

[4] En 1996, Island Tel établit ITAS. Cette filiale à propriété exclusive devient un fournisseur d'accès Internet («FAI») pour les clients de Island Tel. De plus, elle revend des services de transmission de données et fournit des services généraux de consultation en informatique.

[5] À la suite de l'établissement d'ITAS, Island Tel transfère des employés à ITAS. Tous les employés qui exercent des fonctions liées à l'accès Internet chez Island Tel passent à ITAS. De plus, ITAS annonce à l'interne (à l'intérieur de Island Tel) un certain nombre de postes, à savoir: analyste de systèmes; spécialiste de solutions; gestionnaire des possibilités à exploiter; spécialiste du soutien Internet Sympatico; spécialiste du soutien à la clientèle; et gestionnaire des réseaux d'information. ITAS allègue que deux postes de spécialiste de soutien Internet Sympatico ont été remplis. Seulement un des titulaires faisait auparavant partie de l'unité de négociation du syndicat.

[6] Les requérants allèguent que les titulaires des postes exercent dans un environnement sans unité de négociation des fonctions qui sont identiques aux fonctions qu'exerçaient antérieurement les membres du syndicat chez Island Tel. Lorsque ce travail est transféré, les sections locales 401 et 902 (les «Syndicats») décident de déposer les présentes demandes afin de préserver leurs droits de négociation.

[7] Comme nous l'avons signalé plus haut, en réponse à la demande, ITAS conteste la compétence constitutionnelle du Conseil, alléguant qu'elle n'exploite pas une entreprise fédérale. De plus, ITAS affirme qu'un seul poste de spécialiste du soutien Internet Sympatico a été rempli. L'autre poste rempli était un analyste de systèmes. Selon ITAS, les titulaires de ces postes n'exercent pas de fonctions semblables à quelque fonction exécutée par les membres de l'un ou l'autre syndicat au sein des unités de négociation chez Island Tel.

III

[8] Les parties reconnaissent à l'audience que, si le Conseil conclut que ITAS relève de la compétence fédérale, Island Tel et ITAS satisferaient au critère d'employeur unique au sens de l'article 35 du Code. Par conséquent, les questions qui restent à trancher peuvent être succinctement résumées de la façon suivante.

  1. Les services fournis par ITAS, en tant que FAI, font-ils de la compagnie une entreprise fédérale, soit en raison du fait a) que la nature des services fournis par un FAI et le mode de fonctionnement de ce dernier par rapport à Internet et au cyberespace en soi relèvent de la compétence fédérale, ou b) que le travail exécuté par ITAS est intégré à un point tel avec celui de Island Tel, sur le plan fonctionnel, qu'il fait de celle-ci une entreprise unique pour les besoins juridictionnels?
  2. Si la réponse à la première question est affirmative, le Conseil devrait-il exercer son pouvoir discrétionnaire à l'égard de la demande de déclaration d'employeur unique?

IV

[9] Vincent Mosco, une autorité reconnue en technologie de l'information, a été jugé compétent par le Conseil pour témoigner à titre d'expert en télécommunications et en ce qui concerne le rôle d'Internet dans les télécommunications au Canada.

[10] M. Mosco fait l'historique d'Internet et son objet. Tant «cyberespace» qu'«Internet» sont des termes qui ont évolué au cours de la dernière décennie parallèlement à l'utilisation accrue des ordinateurs. Le «cyberespace» est le lieu où se déroule l'activité d'Internet.

[11] À l'origine, Internet est un réseau établi par la direction de la recherche du département de la Défense des États-Unis dans les années 1960 pour relier les ordinateurs installés dans ses principales installations de recherche aux États-Unis. Son objet est de permettre aux chercheurs de communiquer et de partager des données et de l'information à l'aide d'ordinateurs. Ce réseau connaît un succès tel que, dans les années 1970, on l'étend à un plus vaste éventail d'installations de recherche aux États-Unis ainsi qu'au Canada et en Europe. Dans les années 1980, avec l'avènement de l'ordinateur personnel, Internet est transformé d'un outil de recherche, utilisé par des organismes, à un «instrument de communication» personnel utilisé par des particuliers.

[12] Les extraits suivants sont éclairants:

Internet est un réseau international de réseaux grâce auquel différents utilisateurs d'ordinateurs peuvent partager de l'information et communiquer de façon interactive. Contrairement à la plupart des autres formes de communications, Internet ne se trouve pas à un emplacement déterminé et ne possède aucun point de contrôle central ni aucune intelligence permanente. En fait, toute l'information stockée et la gestion du réseau sont largement réparties, de sorte que chaque commutateur à distance peut prendre en charge son propre secteur. Ces commutateurs ont tous un niveau d'autorité, de priorité et de contrôle équivalent. Ils fonctionnent tous ensemble selon un ensemble commun de normes et de règles techniques.

Internet permet aux ordinateurs et aux réseaux de communiquer ouvertement et efficacement, peu importe la marque, l'architecture, la vitesse, le fabricant, la connexion ou les ressources, et c'est là sa caractéristique la plus intéressante. Il s'agit d'un exemple très éloquent de normes ouvertes, et des avantages qu'elles présentent.

Les premiers concepteurs d'Internet étaient déterminés à établir des réseaux ouverts, permettant de relier des équipements et des réseaux disparates et d'échanger de l'information. Cette volonté a conduit à l'élaboration et à l'utilisation d'un ensemble de normes ouvertes, ou d'un langage commun, les protocoles de communication TCP-IP. Adaptés à l'un des premiers stades de l'évolution d'Internet, ces protocoles étaient essentiels à l'expansion d'Internet à l'extérieur des milieux de la recherche et des milieux militaires, où il a pris naissance.

(Préparer le Canada au monde numérique, Rapport final du Comité consultatif sur l'autoroute de l'information, Ottawa, Le Comité, 1997, c. 3 «Internet: faire progresser l'autoroute de l'information»)

Les ordinateurs et réseaux informatiques qui constituent Internet appartiennent à des particuliers, à des entreprises, à des institutions gouvernementales et publiques, ainsi qu'à des organismes sans but lucratif. Il en résulte un véhicule de communication décentralisé et global - ou «cyberespace» - qui relie des particuliers, des entreprises, des organismes et des gouvernements du monde entier, permettant à des dizaines de millions de personnes d'échanger de l'information. Ces communications peuvent se faire presque instantanément et peuvent s'adresser à des particuliers, à un groupe plus important de personnes intéressées à un sujet donné ou à quiconque a accès à Internet dans l'ensemble.

...

Les diverses composantes d'un message envoyé entre ordinateurs sur Internet ne suivent pas nécessairement la même voie de transmission. Internet utilise des protocoles de «commutation par paquets» pour que les messages individuels soient subdivisés en plus petits «paquets»; les paquets individuels sont transmis indépendamment à leur destination et ils sont automatiquement réassemblés par l'ordinateur de réception. Bien que tous les paquets d'un message donné soient souvent acheminés par la même voie vers leur destination, n'importe lequel des paquets peut être réacheminé si des ordinateurs le long de la route deviennent surchargés.

... des réseaux ont été mis en oeuvre afin de relier universités, installations de recherche, entreprises et particuliers partout dans le monde. Nombre de ces réseaux se chevauchaient et ont fini par être reliés entre eux, permettant aux utilisateurs de n'importe quel ordinateur relié à n'importe quel réseau de communiquer avec les utilisateurs d'un ordinateur se trouvant sur un autre réseau. C'est cette série de réseaux reliés, chacun reliant ordinateurs et réseaux d'ordinateurs, que l'on désigne communément comme Internet.

...

Aucune entité unique - universitaire, juridique, gouvernementale ou sans but lucratif - n'administre Internet. Si Internet existe et fonctionne, c'est parce que des centaines de milliers d'utilisateurs distincts d'ordinateurs et de réseaux informatiques utilisent des protocoles communs de transfert de données pour échanger de l'information avec d'autres ordinateurs (qui à leur tour échangent de l'information avec d'autres ordinateurs). Il n'y a pas de lieu de stockage, de point de contrôle ou de voie de communication centralisés pour Internet, et il ne serait pas possible techniquement pour une entité unique de contrôler toute l'information transmise sur Internet.

(Alan M. Gahtan et autres, Internet Law: A Practical Guide for Legal and Business Professionals, Carswell, 1998, pages 3-4; traduction; voir aussi le témoignage de Vincent Mosco sur la commutation par paquets, volume I des transcriptions, page 30)

(Voir aussi Kevin Werbach, Digital Tornado, The Internet and Telecommunications Policy, OPP Working Paper Series, mars 1997, Federal Communications Commission.)

[13] M. Mosco décrit comment les ordinateurs et Internet - ainsi que le transfert d'information et la communication qu'ils ont engendrée - ont donné lieu à la convergence de secteurs d'activité et de technologies jadis disparates:

Le terme convergence est beaucoup utilisé et il a diverses applications. La plus importante est peut-être la façon dont le langage littéralement converge autour du code numérique commun utilisé dans les communications informatiques. Essentiellement, le langage de uns et de zéros est en train de devenir un moyen principal de communication qui relie les gens partout dans le monde aujourd'hui. Mais il y a plus encore, la convergence signifie la disparition des barrières qui séparaient jadis les secteurs d'activité tels que l'édition, la diffusion, les télécommunications et la technologie de l'information. Essentiellement, ces secteurs convergent vers ce que l'on pourrait désigner comme l'arène de services électroniques communs. Il peut ou non s'agir là d'un conseil sur quelles actions achetées, mais les compagnies qui ont reconnu - prenons par exemple le New York Times, qui a été un éditeur de journaux ayant connu beaucoup de succès et qui a reconnu ces dernières années qu'il fait partie intégrante de cette arène de services électroniques. Alors en plus de publier son journal quotidien, il fournit un large éventail de services d'information sur Internet qui, par le passé, auraient été considérés comme faisant partie des télécommunications ou de la technologie de l'information. Des compagnies comme Microsoft ou Time Warner, ou Rogers Communication ici au Canada, se rendent compte qu'elles ont peut-être commencé dans les secteurs de l'édition de journaux, de la production télévisuelle, de la câblodistribution, du téléphone - mais leur succès tient au fait qu'elles ont toutes reconnu faire partie des secteurs des services de l'information électronique et du divertissement. Et c'est là, je pense, que la convergence a ses conséquences politiques et économiques les plus puissantes puisque les compagnies et secteurs d'activité convergent dans cette arène grandissante et cela crée certes de sérieux problèmes pour les responsables des politiques et les organismes de réglementation. Après tout, notre système juridique a été établi en fonction des entités distinctes que constituent ces secteurs d'activité; ainsi nous avons des lois concernant la diffusion, les télécommunications, la presse. Au fur et à mesure que ces compagnies convergent, la question que les responsables des politiques doivent se poser est la suivante: quelle loi s'applique à ces secteurs convergents? ...

(volume I des transcriptions, pages 38-39; traduction)

[14] Au centre de la convergence des réseaux de communications électroniques et numériques se trouve le FAI. M. Mosco décrit en détail le rôle et le fonctionnement d'un FAI:

... une compagnie qui, moyennant des frais, vous permet de naviguer sur Internet; autrement dit, c'est un compagnie qui aura des ordinateurs plus sophistiqués, plus puissants que ce que vous avez à la maison, ainsi qu'un ensemble de dispositifs, de modems, qui vous relieront au monde extérieur; c'est-à-dire le monde au-delà du fournisseur d'accès Internet qui vous relie aux autres ordinateurs avec lesquels vous voudriez bien communiquer pour obtenir de l'information ou entrer en contact avec d'autres personnes.

(volume I des transcriptions, page 25; traduction)

[15] M. Mosco décrit un FAI comme étant un service à valeur ajoutée. Il ajoute de la valeur au système de télécommunications en permettant aux clients d'utiliser ces systèmes pour se raccorder à Internet. Le client peut ainsi faire beaucoup plus que simplement parler à quelqu'un au téléphone. Avec leurs ordinateurs, les utilisateurs peuvent rechercher et obtenir de l'information sur d'autres ordinateurs. Ils peuvent également communiquer avec d'autres utilisateurs grâce à des services tels que le courrier électronique ou les forums de discussion.

V

[16] Il n'est pas nécessaire de devenir trop technique quant à la façon dont un ordinateur et ses logiciels fonctionnent. Toutefois, il serait utile pour nos besoins d'expliquer comment un ordinateur personnel («PC») entre en communication avec Internet.

[17] Afin d'offrir l'accès à Internet, ITAS a mis sur pied plusieurs services. Elle fournit à ses clients un progiciel (Sympatico), que le client installe sur un PC. Les clients ont ensuite un accès direct à Internet par les lignes téléphoniques. Comment le signal est-il transmis du PC à Internet? Le processus est décrit dans le témoignage tant de M. Colin Affleck, gestionnaire des systèmes d'information chez ITAS, que de M. Mosco. On peut essentiellement résumer ce processus de la façon suivante.

[18] L'utilisateur donne à son ordinateur l'instruction de se connecter à Internet. Le signal est converti en bits numériques par le modem de l'utilisateur PC et, en l'espèce, est acheminé par les lignes téléphoniques. Le modem installé à l'intérieur du PC de l'utilisateur compose le numéro du groupe modem chez Island Tel. Le groupe modem transmet une demande au serveur d'authentification de ITAS. Le serveur du FAI est un ordinateur qui contient une liste des utilisateurs autorisés et de leur mot de passe. Si l'utilisateur est membre du FAI, le PC peut accéder à Internet. Une fois que le signal est reçu par le FAI, le serveur de ce dernier identifie l'utilisateur. Si celui-ci est membre de Sympatico, le serveur d'authentification de ITAS envoie un message au serveur d'authentification de Bell. Le serveur de Bell répond en indiquant si l'utilisateur est autorisé ou non à accéder à Internet. Si le membre est approuvé, le serveur d'authentification de Bell transmet un message au serveur d'authentification de ITAS qui, à son tour, renvoie un message au modem de Island Tel pour qu'il autorise l'accès. La porte est ensuite ouverte pour que le client puisse accéder au routeur de Island Tel. L'utilisateur est maintenant en connexion avec Internet. Les «signaux» réels sont transmis par le routeur de Island Tel à une ligne raccordée à Maritime Telegraph and Telephone Company Ltd. («MT&T») à Halifax. Les signaux sont acheminés au moyen d'un routeur à Halifax et sont connectés à une ligne qui regroupe le trafic provenant de Terre-Neuve et qui est reliée à Fredericton. De là, le signal est acheminé à Québec, où un routeur l'envoie à Montréal. «L'accès au reste du monde se fait ensuite via Toronto sur le service de Bell, pour emprunter ensuite les voies de MCI de l'autre côté de la frontière» (volume I des transcriptions, page 95; traduction).

[19] À ce moment-là, à l'écran de l'ordinateur personnel apparaît la page d'accueil de Sympatico, laquelle provient du serveur de ITAS. L'utilisateur peut maintenant accéder à Internet. Selon M. Affleck, «la porte est maintenant ouverte pour que l'utilisateur puisse naviguer sur Internet» (volume II des transcriptions, page 83; traduction).

[20] Ensuite, pour pouvoir accéder à l'un des sites Internet avec lequel l'utilisateur veut communiquer, le PC de celui-ci doit utiliser le serveur de nom de domaine («DNS») de ITAS. Le DNS est l'équivalent d'un annuaire téléphonique ou d'un service 411 mis à la disposition des abonnés de ITAS. ITAS a son propre DNS à Charlottetown et, selon M. Affleck, la plupart des FAI ont un serveur dans leur domaine local. M. Affleck décrit comme suit la fonction d'un DNS:

La fonction du serveur est réellement de traduire la demande d'un nom, ainsi comme utilisateur vous recherchez www.microsoft.com... Le serveur DNS traduit cela en un nombre physique ou un numéro IP ou adresse Internet... et à ce moment-là, c'est la destination où vous voulez aller, c'est-à-dire l'adresse Internet. Le serveur DNS va rechercher ce nom. Il renvoie au poste de travail hôte ou à votre PC à la maison, il dit à votre ordinateur de maintenant utiliser ce numéro à neuf chiffres.

(volume II des transcriptions, pages 84-85; traduction)

[21] Si le DNS de ITAS n'a pas le numéro de l'adresse demandée, «il transmet la demande à un autre serveur DNS au sein de la famille de serveurs DNS répartis dans le monde» (volume II des transcriptions, page 85; traduction).

[22] Une fois en communication avec Internet, l'utilisateur peut exécuter les fonctions suivantes: courrier électronique; recherche d'information; éducation; commerce électronique; forums de discussion; groupes de nouvelles; radio/audio télévision; conversation téléphonique; et télécopie Internet. Un processus semblable s'ensuit lorsque les utilisateurs commerciaux se connectent au moyen du volet Advantage Internet de ITAS.

[23] Que l'accès à Internet soit demandé par un ordinateur personnel ou commercial, il faut absolument obtenir l'autorisation du FAI pour accéder à Internet. D'après M. Affleck, les fonctions du FAI font partie intégrante du processus Internet. Le FAI accorde la connexion proprement dite, c'est-à-dire les adresses ou les «numéros de téléphone» qui permettent aux utilisateurs de communiquer avec d'autres utilisateurs et d'entrer en communication avec d'autres sites Internet. Pour y arriver, le FAI se conforme aux règlements et protocoles internationaux lorsqu'il fournit les adresses à un utilisateur. Sans la bonne adresse Internet ou le bon nom de domaine, aucune communication électronique n'est possible.

[24] En bref, le FAI est le «garde-porte» d'Internet. Pour les utilisateurs généraux, l'accès ne peut être obtenu que par l'entremise d'un FAI.

[25] Selon M. Mosco, pour pouvoir fonctionner à l'échelle locale, provinciale, nationale ou internationale, un FAI doit utiliser un système de télécommunications, que ce soit le téléphone, le câble ou un satellite. Aujourd'hui dans la très grande majorité des cas, la connexion au FAI, et depuis le FAI à ses services extérieurs, s'effectue par une ligne téléphonique.

VI

[26] Stephen Murray, gestionnaire des solutions informatiques chez ITAS, explique en profondeur le modèle d'interconnexion de systèmes ouverts (OSI), qui est une norme qu'on a adoptée pour permettre aux ordinateurs de communiquer entre eux. Il y a deux domaines dans le réseau: le domaine transport, qui est un lien physique entre les compagnies de téléphone, et le domaine application, qui consiste en un ensemble de logiciels et de protocoles qu'utilise un ordinateur pour communiquer avec un autre ordinateur. M. Murray décrit les sept couches qui composent le modèle OSI. Étant donné que la distinction entre le domaine application et le domaine transport est un argument clé avancé par les intimées, nous résumerons la description qui a été faite de chacune des sept couches.

  1. La couche 1, la couche physique, est constituée de câbles et de fils.
  2. La couche 2, la couche liaison de données, a pour fonction de vérifier si l'information acheminée par la ligne téléphonique est constituée de blocs uniformes et si ces blocs ont un certain niveau d'intégrité. Il s'agit d'un ensemble de protocoles. Les compagnies de téléphone agissent à titre d'hôtes de dispositifs qu'elles exploitent. Il s'agit d'un assembleur/désassembleur ou assembleur/désassembleur de trame de transmission.
  3. La couche 3, la couche réseau, gère le protocole Internet (IP). C'est le protocole de base d'Internet: «c'est là où l'on trouve les adresses et la façon d'aller là où on veut aller» (volume I des transcriptions, page 87; traduction). Ce protocole est exécuté dans le routeur qui appartient à la compagnie de téléphone et qui est exploité par celle-ci.
  4. La couche 4, la couche transport, veille à ce que les messages soient transmis dans l'ordre dans lequel ils sont envoyés et à ce qu'il n'y ait aucune perte ni duplication.
  5. La couche 5, la couche session, est une relation logique entre deux installations informatiques. C'est là où s'établit une relation virtuelle entre deux ordinateurs. Par exemple, Netscape Navigator peut établir une session entre un serveur et un ordinateur personnel qui affiche la couche présentation, qui est la couche suivante.
  6. La couche 6, la couche présentation, consiste essentiellement dans le formatage des messages: c'est le format dans lequel l'information est présentée sur l'ordinateur qui reçoit cette information.
  7. La couche 7 est la couche application. Pour reprendre les mots de M. Murray, c'est dans cette couche que l'on trouve en réalité «tout ce qui a trait aux communications ... le courrier électronique se trouve ici, le transfert de fichiers s'y trouve également, certaines des applications qui font partie inhérente du domaine Internet» (volume I des transcriptions, page 90; traduction).

[27] M. Murray souligne que ITAS s'occupe principalement du domaine application, c'est-à-dire les couches session, présentation et application. ITAS ne touche pas au domaine transport, c'est-à-dire les couches transport, réseau, liaison de données et physique.

VII

[28] ITAS est principalement un FAI. En 1997, 80 % de ses revenus proviennent de son commerce FAI; en 1998, c'est 60 %. Environ 20 % proviennent des services de consultation qu'elle fournit à Island Tel.

[29] ITAS achète le logiciel Sympatico de Bell Solutions globales («BSG»). Elle n'est propriétaire d'aucun des éléments d'actif nécessaires pour «transporter» les signaux. Elle achète l'utilisation des lignes téléphoniques appartenant à Island Tel et elle paie des frais pour utiliser son groupe modem et son routeur. En ce sens, Stephen Murray décrit les activités de ITAS comme étant «principalement la revente de services de tiers» qui sont fournis à ITAS (volume I des transcriptions, page 83; traduction). ITAS achète de Island Tel l'accès au réseau Internet canadien, autrement dit, la capacité de se raccorder au réseau national et international. «C'est un peu comme acheter des blocs de temps d'interurbain» (volume I des transcriptions, page 83; traduction).

[30] ITAS paie des frais mensuels à Island Tel et à BSG pour les services qu'elle fournit. Ces frais représentent environ 50 % du budget de ITAS. De plus, ITAS et Island Tel ont conclu une entente de services en vertu de laquelle Island Tel fournit à ITAS les installations et services opérationnels suivants: développement des marchés; réparation et maintenance de réseaux; expansion d'entreprise; comptabilité; tarification et affaires réglementaires; services aux investisseurs/affaires internes; services commerciaux en ventes et soutien; et trésorerie. C'est le système d'information comptable par centre de profits de Island Tel qui détermine le coût de ces services et installations.

[31] Bien que ITAS fournisse un certain nombre de services à Island Tel et, dans une moindre mesure, à d'autres clients (p. ex., service d'assistance Sympatico, centre d'affaires virtuel, télécopie Internet, télésécurité, Advantage Internet, hébergement de contenu Web, intranet, extranet), la vaste majorité de son travail a trait à la prestation, à ses clients, d'un service de télécommunications leur donnant accès à Internet et aux services offerts sur Internet.

[32] À la date de l'audience tenue par le Conseil, ITAS compte environ 16 employés. Ils travaillent tous dans l'immeuble de Island Tel, au 69, avenue Belvedere, Charlottetown (Î.-P.-É.). Les clients de ITAS sont tous des résidents de l'Île-du-Prince-Édouard.

VIII

Principes généraux

[33] La compétence du Conseil à l'égard des relations du travail d'une entreprise fédérale est décrite à l'article 4 du Code:

4. La présente partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu'à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux-ci.

[34] La définition pertinente d'«entreprise fédérale» se trouve à l'alinéa 2b) du Code et a le même effet que l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. L'alinéa 2b) du Code est ainsi libellé :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

«entreprises fédérales» Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d'activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment:

...

b) les installations ou ouvrages, entre autres, chemins de fer, canaux ou liaisons télégraphiques, reliant une province à une ou plusieurs autres, ou débordant les limites d'une province, et les entreprises correspondantes; ...

[35] Il est bien établi que les relations du travail relèvent de la compétence exclusive des provinces (voir le paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, «La Propriété et les droits civils dans la province»; et Toronto Electric Commissioners v. Snider et al., [1925] 2 D.L.R. 5 (C.P.)). Le Parlement ne peut assumer la compétence exclusive à l'égard des relations du travail que s'il est démontré qu'il s'agit d'une partie intégrante de sa compétence principale à l'égard d'un autre sujet fédéral unique (voir Re Eastern Canada Stevedoring Company Limited, [1955] R.C.S. 529; et Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum et autres, [1979] 1 R.C.S. 754, page 768). En ce qui a trait aux ouvrages ou entreprises s'étendant au-delà des limites d'une province, ou reliant une province à une autre, l'effet combiné du paragraphe 91(29) et de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 crée une exception en vertu de laquelle le Parlement a la compétence exclusive à l'égard des installations et entreprises interprovinciales de transport et de communication.

[36] Comme la Cour suprême l'a affirmé dans Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112, il y a deux façons dont une entreprise peut être considérée comme relevant de la compétence fédérale. Premièrement, elle peut constituer une entreprise fédérale si ses activités relèvent de la compétence exclusive du Parlement aux termes de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Deuxièmement, s'il ne s'agit pas d'une entreprise fédérale, elle peut toujours relever de la compétence fédérale si elle fait partie intégrante d'une entreprise fédérale principale. Comme il est mentionné dans Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322, une entreprise peut être considérée comme une entreprise fédérale de deux façons: l'entreprise peut elle-même relever de la compétence fédérale, ou elle peut être exploitée en tant qu'entreprise unique, en commun avec une ou plusieurs autres entreprises, qui ensemble relèvent de la compétence fédérale. Voir également Day & Ross Nfld. Limited, [1999] CCRI no 4; et 53 CLRBR (2d) 50; CITY-TV, CHUM City Productions Limited, MuchMusic Network et BRAVO!, division de CHUM Limited, [1999] CCRI no 22; et 53 CLRBR (2d) 161.

[37] En l'espèce, ITAS constituerait une entreprise fédérale si ses activités sont jugées être des communications interprovinciales ou, subsidiairement, si elle est exploitée en tant qu'entreprise unique de communications interprovinciales en commun avec Island Tel. Si ITAS n'est pas considérée comme une entreprise fédérale en vertu de l'un ou l'autre de ces critères, elle peut quand même relever de la compétence fédérale si elle fait partie intégrante d'une entreprise fédérale principale.

Communications interprovinciales

[38] L'analyse à faire repose sur l'examen des faits propres à chaque espèce et doit concentrer sur les activités normales et habituelles de l'affaire en tant qu'«entreprise active» (voir Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada et autres, [1980] 1 R.C.S. 115, page 132; et Westcoast Energy Inc., précité, page 361). L'examen doit porter principalement sur la nature de l'entreprise qui est en fait exploitée. Comme la Cour l'a affirmé dans Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S 225:

À mon avis, il est impossible de formuler en l'absence de contexte un seul critère qui soit complet et utile dans tous les cas relatifs à l'al. 92(10)a). Le dénominateur commun de ces arrêts est simplement que ce sont les faits particuliers de chaque cas qui doivent guider le tribunal, une méthode dictée par l'arrêt de cette Cour Northern Telecom, 1980, précité. Il est possible de trouver des analogies utiles dans la jurisprudence, mais dans chaque cas, la réponse à cette question constitutionnelle variera selon les faits qui doivent être examinés soigneusement comme l'a fait le juge de première instance en l'espèce.

(page 258; c'est nous qui soulignons)

[39] Il y a dans la jurisprudence de nombreux exemples d'entreprises qui tombent sous le coup de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans l'arrêt précité, Alberta Government Telephones (AGT) est une compagnie de téléphone qui fournit des services de télécommunications locaux, interprovinciaux et internationaux sous la forme de service téléphonique et d'installations de transmission des données. La Cour suprême du Canada a jugé que l'AGT est une entreprise interprovinciale au sens de l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et relève de la compétence législative du gouvernement. La Cour a en outre souligné que le simple raccordement d'installations matérielles est insuffisant. Elle a conclu ce qui suit:

Il est cependant clair qu'en l'espèce les faits révèlent plus que l'existence d'un simple raccordement matériel du système de l'AGT aux frontières provinciales. Il a été établi que l'AGT, en raison des divers arrangements commerciaux de nature bilatérale et multilatérale, est structurée d'une façon qui lui permet de jouer un rôle essentiel dans le système national de télécommunications. C'est par l'intermédiaire des mécanismes organisationnels décrits auparavant que l'AGT peut offrir à ses abonnés locaux des services de nature interprovinciale et internationale.

(page 262)

[40] De même, dans Québec (Procureur général) c. Téléphone Guèvremont Inc., [1993] R.J.Q. 77 (C.A.) (confirmé par la Cour suprême dans Téléphone Guèvremont Inc. c. Québec (Régie des télécommunications), [1994] 1 R.C.S. 878), se reportant à AGT et à Central Western Railway, la Cour d'appel du Québec a déclaré:

... La question essentielle qui paraît désormais s'imposer est celle de savoir s'il existe, compte tenu de la nature des services offerts et du mode d'opération de l'entreprise, un lien opérationnel suffisant entre Téléphone Guèvremont et le système national de télécommunications pour fonder la compétence du parlement fédéral.

(page 87)

[41] Il a été décidé que la compagnie de téléphone locale est assujettie à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 et qu'elle relève donc de la compétence législative du Parlement. Téléphone Guèvremont, par une interconnexion avec Bell Canada et via les installations de Bell, peut transmettre des messages en provenance et à destination de partout au Canada et du reste du monde. Par l'entremise de Téléphone Guèvremont, les abonnés locaux reçoivent des communications interprovinciales et internationales. Dans un bref arrêt, la Cour suprême du Canada a confirmé le jugement de la Cour d'appel du Québec:

Nous sommes tous d'avis que Téléphone Guèvremont Inc. est un ouvrage et une entreprise interprovinciale qui relève de la compétence législative que possède le Parlement du Canada en vertu de l'al. 92(10)a) et du par. 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867 en raison de la nature des services offerts et du mode d'opération de l'entreprise qui offre un service de transport de signaux en matière de télécommunications par lequel ses abonnés envoient et reçoivent des communications interprovinciales et internationales selon les motifs de Mme le juge Rousseau- Houle...

(page 879)

[42] Dans son jugement, la Cour d'appel du Québec a tiré les conclusions suivantes:

La preuve a démontré que Téléphone Guèvremont offrait un service de transport de signaux en matière de télécommunications et qu'elle était l'intermédiaire par lequel ses abonnés locaux recevaient des communications interprovinciales et internationales. C'est, en effet, le commutateur de Téléphone Guèvremont qui transforme les signaux de la voix en signaux numériques et qui commute automatiquement ces signaux numériques vers une ligne de jonction qui va rencontrer la limite du réseau de Bell Canada et, via Bell Canada, ces signaux pénètrent le réseau national.

(page 87)

[43] La Cour d'appel a conclu que Téléphone Guèvremont n'était en définitive «qu'un des maillons d'une chaîne qui va jusqu'à ses abonnés ou qui joint ses abonnés aux autres provinces et au reste du monde» (page 87). En fait, Téléphone Guèvremont devait utiliser les services de Bell Canada afin de pouvoir recevoir et transmettre les signaux numériques à ses clients. La Cour a ajouté:

... Pour que l'appel puisse se rendre à destination, il faut, en effet, que Téléphone Guèvremont reçoive le signal, assure la supervision du maintien et de la durée de l'appel et en assure la transmission. Ces opérations exigent que Téléphone Guèvremont se conforme aux normes techniques de conversion, de transmission et d'interconnexion que lui impose Bell Canada, qui, en tant que membre de Telecom Canada, est elle-même tenue d'assurer l'intégration du système de Téléphone Guèvremont au réseau national de Telecom Canada.

(page 87)

[44] Comment ces principes constitutionnels s'appliquent-ils aux affaires concernant les technologies informatiques nouvelles et les nouveaux médias? Il y a très peu de jurisprudence qui porte sur Internet. En fait, outre la décision récente du Conseil dans CITY-TV, CHUM City Productions Limited, MuchMusic Network et BRAVO!, division de CHUM Limited, précitée, il n'y en a pas. Dans cette affaire, le Conseil devait décider si les activités de CityInteractive, qui conçoit et commercialise des sites Web et fournit des services interactifs, par exemple télédiffuser Internet - permettant ainsi aux utilisateurs de causer en ligne et en direct - et diffuser des événements télévisés en ligne (webdiffusion), relevaient de la compétence fédérale ou provinciale. Le Conseil a conclu que CityInteractive est exploitée en commun avec une ou plusieurs entreprises fédérales. Il a en outre conclu, bien qu'à titre de remarque incidente, que CityInteractive constitue en elle-même une entreprise fédérale. Il a conclu ce qui suit:

[164] D'après la preuve, le Conseil estime respectueusement qu'il n'y a guère de doute que, même si l'entreprise interactive de l'intimée pouvait être considérée comme une entité distincte, dissociable de l'entreprise principale de radiodiffusion de CHUM, cette entreprise relèverait également en elle-même de la compétence fédérale. De l'avis du Conseil, les services de netdiffusion que fournit présentement CityInteractive constituent une forme de radiodiffusion, et les autres services interactifs qu'elle fournit sont de nature interprovinciale. Tous ces services sont fournis de façon régulière et continue à titre de partie intégrante des services de nouveaux médias offerts par CityInteractive. Le fait que la conception et la commercialisation des sites Web et que la publication de renseignements sur le Web constituent l'activité principale de CityInteractive et que cette activité puisse en elle-même ne pas être visée par la réglementation fédérale n'est pas déterminant. Ce qui importe, c'est le fait que les activités interprovinciales exercées par CityInteractive à titre de partie intégrante de son exploitation sont régulières et continues...

[165] Le critère qui permet de déterminer si CityInteractive constitue en soi une entreprise interprovinciale revient à la question de savoir «quelles sont les activités courantes de l'entreprise de CityInteractive?» La réponse à cette question nous amène à conclure que les activités courantes de l'entreprise de CityInteractive consistent à relier les provinces les unes aux autres de façon régulière et continue, d'où sa nature fédérale. CityInteractive n'est pas un simple éditeur de site Web. Elle exerce des activités qui ont effectivement comme conséquence de mettre la télévision en ligne et l'Internet sur les ondes. L'envergure et la complexité de l'Internet à titre de «réseau de réseaux informatiques interconnectés aux moyens d'installations de télécommunications utilisant les mêmes protocoles et normes qui permettent l'échange de renseignements entre chaque ordinateur en ligne» (C. Pinsky, précité, page 3), et la nature instantanée, omniprésente et sans frontière des communications numériques, nous amènent à la conclusion logique que ces activités, considérées sur les plans fonctionnel et pratique, revêtent un caractère d'activités de communication interprovinciales prédominant.

(pages 67-68)

[45] Ce qui découle de ces décisions et en particulier des arrêts Alberta Government Telephones et Téléphone Guèvremont, c'est que l'utilisation de l'équipement matériel de télécommunications n'est pas en soi suffisant pour qu'une entreprise relève de la compétence fédérale. En revanche, la propriété ou l'exploitation de l'équipement matériel n'est pas un prérequis pour qu'une entreprise relève de la compétence fédérale. Autrement dit, le fait qu'une entreprise ne s'occupe pas de la «commutation» ni ne fasse fonctionner le «routeur» ne signifie pas qu'elle est systématiquement exclue de la compétence fédérale. Il faut examiner la nature des services fournis et le mode de fonctionnement de l'entreprise.

[46] En l'espèce, ITAS n'est pas elle-même un transporteur ou un lien matériel dans le «domaine transport». Elle ne fait pas fonctionner un «routeur», ni aucun autre article d'équipement «matériel». Stephen Murray explique au Conseil que la compagnie de téléphone est responsable de la transmission physique de l'information sur le réseau téléphonique. Cela fait partie de ce que l'on appelle le «domaine transport». D'après l'intimée, ITAS ne peut constituer une entreprise fédérale puisque ses services sont restreints au «domaine application», qui est un ensemble de logiciels et de protocoles permettant aux ordinateurs de communiquer entre eux.

[47] Aussi utile que cela puisse être de comprendre la complexité des aspects techniques de la communication Internet, cela ne permet pas de répondre à la question fondamentale suivante: «quelles sont les activités courantes de ITAS?»

[48] Les avocats des Syndicats soutiennent que ITAS, en tant que FAI, est visée par la définition de «télécommunications» ou «radiodiffusion». Ces «activités», prétendent-ils, s'assimilent aux communications et l'entreprise est donc assujettie à la compétence du Conseil dans la présente affaire. Les avocats se reportent aux définitions suivantes qui figurent au paragraphe 2(1) de la Loi sur les télécommunications, c. 38, 1993:

«télécommunication» La transmission, l'émission ou la réception d'information soit par système électromagnétique, notamment par fil, câble ou système radio ou optique, soit par tout autre procédé technique semblable.

«service de télécommunication» Service fourni au moyen d'installations de télécommunication, y compris la fourniture - notamment par vente ou location - , même partielle, de celles-ci ou de matériel connexe.

[49] Enfin, l'article 23 prévoit ce qui suit:

23. Pour l'application de la présente partie et de la partie IV, «service de télécommunication» s'entend du service de télécommunication défini à l'article 2, ainsi que de tout service accessoire à la fourniture de services de télécommunication.

[50] Le serveur d'authentification de ITAS et son serveur DNS sont spécialement conçus pour assurer le triage et l'accès afin de permettre les télécommunications interprovinciales et internationales. La nature même du service que ITAS fournit consiste à assurer un accès critique aux télécommunications locales, nationales et internationales. Les avocats des Syndicats soutiennent que même si ce service est jugé être «accessoire» à l'activité de fournir des télécommunications, au sens de l'article 23 de la Loi sur les télécommunications, il est compris dans la définition de «service de télécommunication».

[51] Bien que, à la lumière des faits et des articles précités, ITAS relève du pouvoir réglementaire de la Loi sur les télécommunications, précitée, une décision à cet effet, même si nous étions porté à la rendre, ne permettrait pas de trancher la question de notre compétence constitutionnelle à l'égard de ITAS pour les besoins du Code. Ce qui doit retenir principalement notre attention, comme nous l'avons signalé plus haut, ce sont les activités courantes de ITAS et le service qu'elle fournit.

[52] En raison des fonctions exécutées par son serveur d'authentification et son serveur DNS, ITAS fait partie intégrante du processus de transmission de bits numériques d'une province à une autre, et d'un pays à un autre, via les lignes téléphoniques, pour les ordinateurs qui sont raccordés. Comme M. Mosco le souligne, on peut charger sur tout ordinateur des logiciels tels que Netscape, une interface utilisateur graphique. Toutefois, cela ne donne pas la connexion proprement dite, c'est-à-dire les adresses ou les numéros de téléphone qui permettent aux utilisateurs de se raccorder aux autres. De notre point de vue, ce qui retient principalement notre attention, ce ne sont pas les structures matérielles ni leur emplacement réel, mais plutôt le service que fournit l'entreprise; voir Alberta Government Telephones, précité (page 259).

[53] Le FAI permet aux utilisateurs qui sont raccordés par les réseaux de communiquer, de transmettre et de recevoir de l'information à l'échelle du monde. Une fois l'accès à Internet garantie, le déplacement des bits numériques ne connaît aucune frontière géographique. Dès que le serveur d'authentification de ITAS autorise les utilisateurs d'Internet de l'Île-du-Prince-Édouard abonnés à Sympatico ou Advantage à accéder au routeur de Island Tel, ces utilisateurs ont accès au réseau international.

[54] Le fait que ITAS s'occupe du «domaine application» par opposition au «domaine transport», comme le prétendent les intimées, est sans importance pour ce qui est des questions à trancher sur le plan constitutionnel. Ce qui est essentiel, c'est que la nature des services fournis par ITAS revêt une importance critique pour les utilisateurs PC de l'Île-du- Prince-Édouard afin qu'ils puissent accéder aux réseaux internationaux. Essentiellement, ce que fait ITAS c'est de rendre possibles et de permettre les télécommunications via Internet. Sans ITAS et ses serveurs d'authentification et de nom de domaine, ces utilisateurs ne pourraient pas télécommuniquer. Tous s'entendent pour dire que le terme qui décrit le mieux le rôle de ITAS en tant que FAI est celui de «garde-porte» de l'accès à Internet. Ce terme, à notre avis, décrit de façon on ne peut plus clair la nature des services fournis par ITAS, ainsi que son mode de fonctionnement. Au risque de renchérir sur cette description, ITAS, en tant que FAI, donne accès à des télécommunications. Sans elle, les utilisateurs ne pourraient pas télécommuniquer via Internet, nonobstant le domaine transport de Island Tel.

[55] La nature du travail accompli par ITAS - qui, comme les faits décrits plus haut le montrent, s'étend clairement au-delà des frontières de l'Île-du-Prince-Édouard - a pour effet de qualifier celle-ci d'entreprise fédérale aux termes de l'alinéa 2b) du Code; voir Alberta Government Telephones, précité; et National Pagette (1990), 83 di 56; 15 CLRBR (2d) 54; et 91 CLLC 16,018 (CCRT no 836). Selon le Conseil, en raison de la nature du service qu'elle fournit et de son mode de fonctionnement en tant que FAI, ITAS est en soi une entreprise fédérale.

Diverses activités constituant une entreprise fédérale unique

[56] Subsidiairement, si le Conseil avait conclu que ITAS n'était pas en soi une entreprise fédérale, il aurait néanmoins conclu qu'elle relevait de la compétence fédérale pour le motif qu'elle fait partie d'une entreprise fédérale unique. Récemment, dans Westcoast Energy Inc., précité, la Cour suprême du Canada a énoncé le critère qui doit s'appliquer pour déterminer si diverses activités constituent une entreprise fédérale unique. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si les canalisations de transport principales, les canalisations de collecte et les installations de traitement, y compris les installations projetées, de Westcoast constituaient une entreprise fédérale unique. Les canalisations et installations de traitement projetées étaient situées entièrement dans la province de la Colombie-Britannique. À titre de principe général, la Cour suprême a déclaré:

Pour être considérées comme une entreprise fédérale unique pour l'application de l'al. 92(10)a), les diverses activités visées doivent être intégrées sur le plan fonctionnel et être assujetties à une gestion, à une direction et à un contrôle communs. Le professeur Hogg affirme, à la p. 22-10, que [TRADUCTION] «[c]'est la mesure dans laquelle les [diverses] activités sont intégrées sur le plan fonctionnel ou commercial qui détermine si elles forment ou non une seule et même entreprise». Il ajoute, à la p. 22-11, que les diverses activités formeront une entreprise unique si elles sont [TRADUCTION] «de fait, exercées en commun en tant qu'exploitation unique». Autrement dit, outre un propriétaire unique, il doit y avoir intégration fonctionnelle et gestion commune. Le lien physique doit être assorti d'un lien opérationnel. L'existence de rapports commerciaux étroits ne suffit pas. Voir Central Western, précité, à la p. 1132.

(page 359; c'est nous qui soulignons)

[57] La Cour suprême a par ailleurs déclaré que c'est le degré général d'intégration fonctionnelle et de gestion commune qui doit être évalué. Elle a donné des exemples de certains faits pertinents: si un aspect de l'entreprise est consacré exclusivement ou principalement à l'exploitation de l'entreprise interprovinciale principale; si les exploitations ont un propriétaire unique; si les biens ou services fournis par une exploitation sont pour l'avantage unique de l'autre exploitation et pour ses clients ou s'ils sont généralement offerts sur le marché.

[58] Dans son témoignage, Ron Waite, président de ITAS et directeur du développement d'entreprise chez Island Tel, explique clairement que fournir l'accès à Internet est un élément de la stratégie de Island Tel pour préserver son marché, demeurer compétitive et garder ses clients satisfaits. M. Waite explique jusqu'à quel point Island Tel estime que le développement de son secteur de la technologie de l'information est essentiel à la croissance de l'entreprise. Avant la création de ITAS, Island Tel était, avec On-Line Support, propriétaire à 50 % d'une société appelée P.E.I. Net. C'était le principal fournisseur d'accès Internet à l'Île-du-Prince-Édouard à l'époque. Plus tard, On-Line Support a acheté les actions de Island Tel dans P.E.I. Net. Pour reprendre les paroles de M. Waite:

... nous sommes passés d'une participation à 50 % dans le principal FAI de la province à ne plus faire partie de ce secteur du tout. Donc pendant un certain temps nous ... nous cherchions par tous les moyens à retourner dans le secteur Internet, en tant que fournisseur d'accès Internet

(volume II des transcriptions, page 138; traduction)

[59] C'est le 25 avril 1996 que ITAS est constituée en société en tant qu'entité distincte. Auparavant, Island Tel exploitait un service appelé Advanced Communications (communications avancées), qui constituait essentiellement sa tentative opérationnelle de pénétrer le secteur de la technologie de l'information. Les premiers employés étaient Bernie McIntyre, qui a lancé l'entreprise, et Carl Cooper. La décision de créer une société distincte a été prise par la direction de Island Tel et ratifiée par le conseil d'administration de Island Tel.

[60] De plus en plus, Island Tel se rend compte que la voie du succès consiste à offrir des moyens efficaces de communiquer de l'information par ordinateur. Ainsi, elle se met à la recherche de nouvelles technologies pour améliorer ses services. La communication électronique entre ordinateurs sur Internet constitue maintenant un élément critique de l'«entreprise active» des compagnies de téléphone. Étant donné la nature changeante du secteur de la téléphonie, la question n'est pas de savoir si Island Tel peut toujours offrir des services de téléphonie (locaux et interurbains) à ses clients sans l'assistance d'un FAI. De toute évidence elle peut le faire. La question est plutôt de savoir si Island Tel peut fournir l'accès à Internet par l'entremise de ses installations sans FAI. Comme la preuve le démontre, ce n'est pas possible. Le fait que ITAS agit à titre de FAI est fondamental pour assurer la connectivité dans le processus de transmission.

[61] En plus de cette connexion matérielle/ technologique, la preuve montre clairement que Island Tel et ITAS exercent dans une large mesure en commun la gestion, le contrôle et la direction de leurs activités.

[62] Les administrateurs qui ont fondé ITAS sont également gestionnaires de Island Tel: Fred Morash est président du conseil d'administration et président de Island Tel; Philip Acorn est vice-président de Island Tel; Douglas Hart est vice-président de MT&T; Bernie McIntyre est vice-président de Island Tel et directeur de la technologie chez ITAS et Island Tel, et, jusqu'en mars 1998, il était président de ITAS.

[63] ITAS est une filiale à propriété exclusive de Island Tel et son conseil d'administration est formé «principalement sinon exclusivement de cadres supérieurs de Island Tel» (volume II des transcriptions, page 136; traduction).

[64] Ron Waite est président de ITAS et directeur du développement d'entreprise chez Island Tel. Les cadres supérieurs de ITAS, Ron Waite et Bernie McIntyre, directeur de la technologie, demeurent des employés de Island Tel.

[65] En outre, Ron McDougall est un employé de Island Tel qui relève «sur le plan fonctionnel» de Stephen Murray. Si ITAS a besoin de services de transport, Stephen Murray assure la liaison avec lui en vue de recevoir de Island Tel les services dont l'entreprise a besoin. Dans le groupe de Colin Affleck, Jeff MacDonald et Barry Kneebone ont un lien fonctionnel avec Colin Affleck, mais les deux demeurent des employés de Island Tel.

[66] Des éléments de preuve sont présentés au sujet d'une réunion de planification stratégique des cadres de niveau 1 de Island Tel et de ITAS. Paul E. Hickey, responsable des ressources humaines et gestionnaire chez Island Tel, a envoyé à tous les gestionnaires une note de service au sujet du suivi à la conception stratégique. Ce document contient deux parties: la partie I résume les résultats d'une réunion des cadres de premier niveau (et de rang supérieur) de Island Tel et de ITAS, laquelle s'est déroulée sur deux jours; la partie II, selon M. Waite, constitue un cadre qui définit ce qu'il faut accomplir rapidement et à court terme pour que l'entreprise atteigne ses objectifs généraux en 1998. Le contenu de ces documents en dit long sur l'intégration fonctionnelle de ITAS et de Island Tel.

[67] Il est clair, d'après la preuve documentaire ainsi que des témoignages des personnes citées à comparaître par les intimées, qu'il n'y a pas de distinction réelle, du point de vue administratif et fonctionnel, entre ITAS et Island Tel. Même si, pour le moment, nous mettons de côté l'intégration technique matérielle entre les activités de ITAS et de Island Tel (qui, en soi, est significative et convaincante dans les circonstances), ITAS devait constituer une unité fonctionnelle faisant partie intégrante de Island Tel. Ce qui illustre le plus éloquemment ce point est peut-être le contenu de la note de service (pièce 12) ayant trait aux résultats des réunions de Island Tel sur la conception stratégique. La note de service dit clairement que l'objectif général de Island Tel est de faire en sorte que la distinction entre ITAS et Island Tel soit externe, et non interne, les deux entités présentant «un seul et même visage au client». Une autre preuve de ce caractère unique de leur exploitation réside dans l'objectif déclaré de s'échanger encore davantage les membres de leur personnel et dans le fait que les personnes dont les noms figurent aux rubriques «Partenaires» et «Ressources» pour chaque projet sont principalement des gestionnaires de Island Tel.

[68] De plus, comme le montre la pièce 13, ITAS est considérée comme étant tout simplement une autre partie de l'exploitation globale de Island Tel (25 divisions). Aux fins du calcul des «prix d'équipe» et des primes reçues par ces employés, ITAS est considérée comme faisant partie de l'«équipe» globale; Ron Waite admet franchement que l'on mesure la performance de ITAS dans le contexte de la performance générale de Island Tel. Et, si ITAS obtenait de mauvais résultats, elle ferait baisser la performance de l'entreprise dans son ensemble.

[69] Ainsi, si le Conseil avait conclu que ITAS n'était pas en soi une entreprise fédérale, il est néanmoins convaincu que ITAS et Island Tel sont exploitées en commun. Le fait que les deux entreprises ont un propriétaire unique n'est pas contesté. La preuve dont il est fait état plus haut ne laisse aucun doute dans nos esprits quant à l'intégration fonctionnelle des deux exploitations. En somme, Island Tel ne pourrait offrir de service Internet sans FAI; et ITAS en tant que FAI ne pourrait offrir le service Internet sans Island Tel. Ce lien matériel évident n'est pas en soi déterminant. Toutefois, le lien opérationnel, combiné à la gestion commune que la preuve a révélée, nous amène à conclure que ITAS et Island Tel constituent une entreprise fédérale unique.

[70] Ayant conclu que ITAS constitue une entreprise fédérale après avoir appliqué l'un ou l'autre des deux critères mentionnés dans Westcoast Energy Inc., précité, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si ITAS est une filiale faisant partie intégrante d'une entreprise fédérale principale.

IX - Application de l'article 35

[71] Ayant conclu qu'il a compétence à l'égard des relations du travail de ITAS, le Conseil doit décider s'il doit déclarer que ITAS et Island Tel constituent un employeur unique aux termes de l'article 35, qui se lit ainsi:

35.(1) Sur demande d'un syndicat ou d'un employeur concernés, le Conseil peut, par ordonnance, déclarer que, pour l'application de la présente partie, les entreprises fédérales associées ou connexes qui, selon lui, sont exploitées par plusieurs employeurs en assurant en commun le contrôle ou la direction constituent une entreprise unique et que ces employeurs constituent eux-mêmes un employeur unique. Il est tenu, avant de rendre l'ordonnance, de donner aux employeurs et aux syndicats concernés la possibilité de présenter des arguments.

(2) Lorsqu'il rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1), le Conseil peut décider si les employés en cause constituent une ou plusieurs unités habiles à négocier collectivement.

[72] Dès le départ les parties reconnaissent que, si ITAS est jugée être une entreprise fédérale, les autres critères pour une déclaration d'employeur unique sont satisfaits. Après avoir examiné la preuve, le Conseil confirme que, à son avis, les employeurs visés par la présente demande constituent effectivement un employeur unique. Les critères sur lesquels repose cette décision sont énoncés dans Service de Limousine Murray Hill Ltée et autre (1988), 74 di 127 (CCRT no 699):

  1. une pluralité d'entreprises, au sens d'exploitations,
  2. de compétence fédérale,
  3. associées ou connexes,
  4. dont au moins deux mais pas nécessairement toutes sont des employeurs (Emde Trucking Ltd., supra),
  5. lesquels employeurs dirigent ou contrôlent en commun les exploitations en question.

(page 145)

[73] En l'espèce, le Conseil conclut qu'il a été satisfait aux cinq critères.

Exercice du pouvoir discrétionnaire

[74] Ayant déterminé que ITAS et Island Tel satisfont aux critères d'un employeur unique, le Conseil doit décider s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et rendre l'ordonnance déclaratoire prévue à l'article 35, au motif qu'une telle déclaration favorisera de bonnes relations du travail (Prince Rupert Grain Ltd. et British Columbia Terminal Elevator Operators' Association (1996), 101 di 1 (CCRT no 1155)).

[75] Il n'y a pas lieu de s'étendre sur cette question. Nous n'avons aucune difficulté à conclure que les employés qui accomplissent le travail de l'unité de négociation du requérant chez Island Tel sont transférés chez ITAS ou sont embauchés par cette dernière pour exécuter le même travail dans un milieu sans unité de négociation. De plus, comme le contenu de la pièce 12 le montre graphiquement, il y a chez ITAS des gestionnaires de niveau I ne faisant pas partie de l'unité de négociation qui accomplissent exactement le même travail que leurs homologues membres de l'unité de négociation chez Island Tel. En bref, il existe une preuve convaincante indiquant que les droits de négociation des Syndicats sont minés ou qu'ils le seront vraisemblablement. Une conclusion à cet égard permet au Conseil d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 35. Par conséquent, le Conseil fait la déclaration demandée dans l'ordonnance qui suit.

X - Configuration de l'unité de négociation

[76] À ce stade-ci, le Conseil ne voit aucune raison d'intervenir dans la reconfiguration de la structure de négociation entre les Syndicats associés respectifs. Dans le cadre de l'argumentation, les avocats des requérants proposent que toute question ayant trait à la répartition des employés entre les unités de négociation soit renvoyée à John Vines, directeur régional du Conseil, pour qu'il fasse enquête et tranche la question. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre, le Conseil se réserve le droit de trancher, à la demande de l'une ou l'autre des parties, toute question qui demeurerait en litige. Il semblait à ce moment-là y avoir un consensus général sur ce point. Toutefois, quoi qu'il en soit, la proposition fait beaucoup de sens et l'ordonnance qui suit reflète cette entente.

XI - Ordonnance

[77] Par conséquent, le Conseil ordonne et déclare ce qui suit:

  1. ITAS est une entreprise fédérale qui relève de la compétence du Conseil;
  2. ITAS et Island Tel constituent un employeur unique au sens de l'article 35 du Code;
  3. Toute question ayant trait à la répartition des employés entre les unités de négociation, et toute question concernant la question de savoir quels employés de ITAS ou de Island Tel exercent ou ont effectué du travail relevant de l'unité de négociation, ainsi que toute question touchant l'indemnisation de ces employés seront renvoyées à John Vines, directeur régional du Conseil, pour qu'il fasse enquête et règle la situation directement avec les parties. Si les parties n'arrivent pas à s'entendre, le Conseil se réserve le droit de trancher, à la demande de l'une ou l'autre des parties, toute question qui demeurerait en litige.

Dossiers du Conseil: 18403-C, 18729-C

CONCERNANT LE

Code canadien du travail

- et -

le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 401,

- et -

le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale 902,

syndicats requérants,

- et -

Island Telecom Inc.,

- et -

Island Tel Advanced Solutions Inc.,

employeurs intimés.

ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations du travail a reçu de la section locale 401 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, le 23 octobre 1997 (dossier 18403-C), et de la section locale 902 du Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, le 4 mai 1998 (dossier 18729-C), des demandes fondées sur les articles 35 et 44 du Code canadien du travail (Partie 1 - Relations du travail) («le Code»), en vue d'obtenir une déclaration selon laquelle Island Telecom Inc. («Island Tel») et Island Tel Advanced Solutions Inc. («ITAS») constituent un employeur unique et une entreprise fédérale unique pour les besoins du Code ou, subsidiairement, qu'il y a eu vente d'entreprise de Island Tel à ITAS, ainsi que certaines ordonnances corrélatives;

ET ATTENDU QUE, conformément aux dispositions de la Loi modifiant le Code canadien du travail (Partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et les syndicats et d'autres lois en conséquences, chapitre 26 des Lois du Canada, 1998, entrée en vigueur le 1er janvier 1999, la présente affaire a été continuée par le Conseil canadien des relations industrielles;

ET ATTENDU QUE, après avoir entendu la preuve et les observations des parties, le Conseil a jugé que Island Tel et ITAS constituent un employeur unique et une entreprise fédérale unique aux termes du paragraphe 35(1) du Code;

ET ATTENDU QUE, en vertu des pouvoirs que lui confère le paragraphe 20(1) du Code, le Conseil se réserve le droit de trancher toute question découlant de son ordonnance concernant la configuration de l'unité de négociation et l'indemnisation des employés qui en sont membres;

EN CONSÉQUENCE, le Conseil canadien des relations industrielles déclare que Island Tel et ITAS constituent un employeur unique et une entreprise fédérale unique aux termes du paragraphe 35(1) du Code.

DONNÉE à Ottawa, ce 24e jour de février 2000, par le Conseil canadien des relations industrielles.

(signature)

Richard I. Hornung, c.r.

Vice-président


AFFAIRES CITÉES

Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225

CITY-TV, CHUM City Productions Limited, MuchMusic Network et BRAVO!, division de CHUM Limited, [1999] CCRI no 22; et 53 CLRBR (2d) 161

Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum et autres, [1979] 1 R.C.S. 754

Day & Ross Nfld. Limited, [1999] CCRI no 4; et 53 CLRBR (2d) 50

Eastern Canada Stevedoring Company Limited (Re), [1955] R.C.S. 529

National Pagette (1990), 83 di 56; 15 CLRBR (2d) 54; et 91 CLLC 16,018 (CCRT no 836)

Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada et autres, [1980] 1 R.C.S. 115

Prince Rupert Grain Ltd. et British Columbia Terminal Elevator Operators' Association (1996), 101 di 1 (CCRT no 1155)

Québec (Procureur général) c. Téléphone Guèvremont Inc., [1993] R.J.Q. 77 (C.A.)

Service de Limousine Murray Hill Ltée et autre (1988), 74 di 127 (CCRT no 699)

Téléphone Guèvremont Inc. c. Québec (Régie des télécommunications), [1994] 1 R.C.S. 878

Toronto Electric Commissioners v. Snider et al., [1925] 2 D.L.R. 5 (C.P.)

Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112

Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l'énergie), [1998] 1 R.C.S. 322

LOIS CITÉES

Code canada du travail, Partie I, art. 2b); 4; 35; 44

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(29); 92(10)a); 92(13)

Loi sur les télécommunications, art. 2(1); 23

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