Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

John Lennox,

plaignant,

et

882819 Ontario limitée, s/n Morrice Transportation,

intimée.

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Jennifer Webster, Vice-présidente, siégeant seule en vertu du paragraphe 14(3.1) du Code canadien du travail (le Code). Une audience a été tenue le 25 novembre 2021.

Ont comparu

M. John Lennox, en son propre nom;

Mme Janet Morrice, pour 882819 Ontario limitée, s/n Morrice Transportation.

I. Nature de la plainte

[1] En août 2020, M. John Lennox (le plaignant) a déposé une plainte auprès du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), conformément au paragraphe 240(1) de la partie III du Code (Durée normale du travail, salaire, congés et jours fériés), dans laquelle il a affirmé qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé de la part de l’entreprise 882819 Ontario limitée, s/n Morrice Transportation (l’intimée ou Morrice Transportation).

[2] Le 11 décembre 2020, EDSC a renvoyé la plainte au Conseil après que le plaignant eût demandé qu’une décision soit rendue. Une audience a eu lieu par vidéoconférence le 25 novembre 2021.

[3] M. Lennox était chauffeur de longue distance chez Morrice Transportation, une entreprise de transport routier interprovincial et international dont le siège social est situé à Windsor, en Ontario. Il était au service de l’intimée depuis mai 2018. Le plaignant affirme qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé. Premièrement, il soutient que l’employeur a modifié les conditions de son emploi en le considérant comme un chauffeur à temps partiel plutôt qu’à temps plein. Deuxièmement, il soutient qu’une série incidents survenus en 2020, notamment des incidents présumés de harcèlement, l’ont amené à démissionner.

[4] L’intimée nie qu’il y ait eu congédiement déguisé. Elle fait valoir qu’elle n’a pas fait passer le statut d’employé du plaignant de temps plein à temps partiel et conteste la version du plaignant concernant les incidents survenus en 2020.

[5] Après avoir examiné la preuve et toutes les observations des parties, le Conseil conclut que l’intimée n’a pas congédié le plaignant de façon déguisée et que, par conséquent, la plainte de congédiement injuste doit être rejetée. Voici les motifs du Conseil.

II. Contexte et faits

[6] Les événements à l’origine de la présente plainte se sont produits vers la mi-juillet 2020. Le plaignant avait été envoyé aux États-Unis le 12 juillet 2020. Pendant le trajet, il a constaté que son camion avait un problème de surgonflement d’un coussin gonflable. Il a informé l’intimée du problème. L’intimée a offert au plaignant le choix entre faire réparer le coussin gonflable aux États‑Unis ou le faire réparer à son retour à l’atelier de Morrice Transportation à Windsor. L’intimée a également confirmé que le problème de surgonflement d’un coussin gonflable ne nécessitait pas une réparation d’urgence. En fonction de sa conversation avec l’intimée, le plaignant a décidé de retourner à Windsor pour y faire réparer le coussin gonflable.

[7] Le plaignant a rapporté le camion au parc de l’intimée dans la soirée du 14 juillet 2020. La réparation du coussin gonflable a eu lieu tôt le matin du 15 juillet 2020.

[8] Après la réparation, M. Shawn Voakes, le répartiteur en chef de l’intimée, a envoyé un courriel au plaignant, l’informant que le camion serait prêt à 9 h et lui demandant de confirmer l’heure à laquelle il arriverait au travail. Le plaignant a répondu qu’il n’était pas disponible pour travailler avant le 18 juillet 2020, car il avait soumis une plage de disponibilité pour cette date. M. Voakes a envoyé un courriel au plaignant pour lui rappeler qu’il était tenu de se présenter et de terminer sa semaine de travail. En copie conforme à cette instruction, il a inclus M. Rob Morrice, président et chef de l’exploitation de l’intimée.

[9] Le 15 juillet 2020, à 8 h 04, M. Morrice a écrit ce qui suit au plaignant en réponse à l’échange de courriels avec M. Voakes :

John, si c’est un temps partiel que vous voulez, nous l’acceptons.

Mais pour être chauffeur à temps plein de nouveau, vous devez travailler à temps plein.

Vous ne pouvez pas faire un voyage, prendre quatre jours de congé, puis faire un voyage et prendre cinq jours de congé.

Je vais transmettre une demande à la sécurité pour vous faire passer à temps partiel et annuler votre droit à l’assurance soins de santé.

Vous pourrez alors travailler quand vous le souhaitez et nous ne vous dérangerons pas et nous ne vous demanderons pas de respecter le nombre minimum de kilomètres requis.

(traduction)

[10] Le même jour, le plaignant et M. Morrice ont ensuite échangé les courriels suivants :

[Courriel du plaignant à M. Morrice à 8 h 34]

Le camion avait besoin d’être réparé.

J’ai réussi à rapporter le camion de l’entreprise à Windsor, comme Matt [gestionnaire du parc de véhicules et des biens de l’intimée] l’avait demandé. J’ai ensuite soumis ma prochaine plage de disponibilité et j’ai fait des plans en conséquence. Je suis disponible pour faire plein d’heures et de kilomètres de façon continue. Si vous préférez compliquer la situation, c’est votre décision et je m’adapterai en conséquence. Ma prochaine plage de disponibilité est le samedi 18 juillet.

[Courriel de M. Morrice au plaignant à 8 h 45]

Une personne de l’atelier vous a expliqué mardi au téléphone que le camion serait prêt à 8 h aujourd’hui, car il s’agissait d’une réparation mineure. Matt a même proposé de revenir mardi soir pour effectuer la réparation et vous permettre de continuer à travailler comme prévu. Je suis désolé, mais vos disponibilités ne correspondent pas à du temps plein. Nous avons besoin de chauffeurs qui travaillent cinq jours de suite. Initialement, vous n’aviez pas réservé de temps libre et vous devriez donc terminer votre semaine, mais vous ne le ferez pas, ce qui est très bien, et cela vous fera passer au statut de chauffeur occasionnel à temps partiel, ce qui, je pense, conviendra très bien à nos activités.

Si le temps partiel ne vous convient pas, nous comprenons. Notre entreprise n’est peut-être pas la bonne pour vous. Mais la plage de disponibilité que vous avez soumise est refusée et sera consignée comme un refus de travail.

[Courriel du plaignant à M. Morrice à 9 h 01]

Matt m’a dit qu’il communiquerait avec moi pour m’informer du moment où le camion serait prêt et Matt ne m’a pas confirmé la fin de la réparation.

Mes heures de service sont souvent plus élevées que celles d’un temps plein et je fais environ 8 000 à 9 000 milles (13 000 à 14 500 km) par mois, selon ce qui m’est offert.

Il ne s’agit pas d’un refus, mais d’une planification adéquate.

Je suis donc perplexe quant aux renseignements que vous me donnez et je m’adapterai au besoin.

[Courriel de M. Morrice au plaignant à 9 h 03]

Bonne journée, John.

[Courriel du plaignant à M. Morrice à 9 h 11]

Vous aussi Rob.

(traduction)

[11] Il n’y a pas eu d’autre communication entre M. Morrice et le plaignant le 15 juillet 2020.

[12] Une copie de l’échange de courriels entre M. Morrice et le plaignant a été envoyée à M. Matt Asciak, le gestionnaire du parc de véhicules et des biens de l’intimée. Après avoir reçu ces courriels, M. Asciak a écrit au plaignant pour confirmer les discussions qu’ils avaient eues concernant la réparation du coussin gonflable et pour l’informer que le camion était prêt à quitter le parc de Windsor le 15 juillet 2020. M. Asciak a aussi expliqué qu’ils avaient discuté du fait que la réparation pourrait être effectuée dans la soirée du 14 juillet 2020, au retour de M. Lennox, mais que la décision avait été prise de réparer le coussin gonflable le lendemain matin, parce que M. Lennox avait atteint son nombre maximum d’heures de travail et avait besoin de repos. M. Asciak a également précisé qu’il avait compris que le plaignant soumettrait une plage de disponibilité entre 9 h et 10 h le 15 juillet 2020, et qu’il serait prêt à travailler ce matin-là, une fois la réparation du coussin gonflable terminée.

[13] Le plaignant a répondu à M. Asciak qu’il n’avait pas reçu de confirmation de sa part concernant l’achèvement de la réparation et qu’il devait donc faire « des plans en conséquence » (traduction).

[14] Il n’y a pas eu d’autre communication entre le plaignant et l’intimée ou l’un de ses représentants jusqu’au 17 juillet 2020, lorsque Mme Jenny Sefton, une gestionnaire de chauffeurs, a envoyé un courriel au plaignant afin de lui attribuer une tâche à effectuer la semaine suivante. Elle lui a offert un chargement dont le départ était fixé à 8 h le 19 juillet 2020 et dont la livraison en Pennsylvanie était prévue le 20 juillet 2020. Le plaignant a répondu que, bien qu’il souhaitait accepter le chargement, il devait clarifier certains points avec M. Morrice avant. Mme Sefton lui a dit que M. Morrice était absent et elle lui a demandé de confirmer qu’il refusait le chargement afin qu’elle puisse l’offrir à d’autres chauffeurs. Le plaignant a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de le refuser, mais qu’il ne pouvait pas accepter le chargement avant d’avoir clarifié la signification des communications de M. Morrice du 15 juillet 2020.

[15] Le 21 juillet 2020, en effectuant sa vérification matinale habituelle du parc, M. Asciak a remarqué que le camion du plaignant y était garé. Il a obtenu la clé du camion et a fouillé la cabine. Il a constaté l’absence d’effets personnels du plaignant dans le camion. À 10 h 33, il a informé M. Morrice par courriel qu’il supposait que le plaignant avait démissionné, parce que ses effets personnels n’étaient plus dans le camion. L’intimée a conclu que le plaignant avait démissionné, parce qu’il avait refusé de travailler et retiré ses effets personnels de son camion. S’appuyant sur cette conclusion, l’intimée a annulé l’assurance soins de santé du plaignant et lui a envoyé une lettre type lui demandant de confirmer sa démission volontaire et de rendre tout bien appartenant à l’entreprise.

[16] Après l’échange de courriels du 15 juillet 2020, le plaignant n’a pas communiqué avec M. Morrice jusqu’à ce qu’il lui envoie une lettre le 21 juillet 2020. Dans cette lettre, il affirmait que dans ses courriels du 15 juillet 2020, M. Morrice avait injustement modifié ses conditions d’emploi, et que ces modifications étaient contraires à leur relation d’emploi établie et avaient été apportées sans son consentement. Le plaignant a également soutenu que l’intimée avait injustement fait circuler des commentaires inappropriés et calomnieux à son sujet auprès d’autres employés, qu’il avait omis de lui fournir un avis de changement de statut de temps plein à temps partiel et qu’il avait menacé sa sécurité et son bien-être en lui retirant ses avantages sociaux. En outre, il a informé M. Morrice qu’il avait retiré son « équipement de chauffeur professionnel » (traduction) de son camion et qu’il possédait des photographies datées qui confirmaient que le camion était propre et en bon état. Il a également informé M. Morrice qu’il avait envoyé tous les biens de Morrice Transportation à l’intimée par courrier recommandé, et il a précisé que ces biens étaient ses clés et ses cartes de carburant. Enfin, le plaignant a demandé à l’intimée de lui faire parvenir la totalité de son salaire, des indemnités de congé annuel et de départ, des dommages-intérêts ainsi que des relevés d’impôt et un relevé d’emploi.

[17] Le lendemain, le plaignant a reçu la lettre type de l’intimée qui lui demandait de confirmer sa démission volontaire et de lui remettre tous les biens de l’entreprise. Il n’a ni signé ni renvoyé de lettre de démission volontaire. À ce moment-là, le plaignant avait déjà rendu tous les biens de l’entreprise.

[18] Le dernier jour de travail du plaignant chez l’intimée a été le 14 juillet 2020.

III. Analyse et décision

[19] Le plaignant n’a fourni aucun élément de preuve objectif ou direct qui montre que l’intimée l’a congédié. Le plaignant fait toutefois valoir qu’il a été contraint de démissionner en raison de la conduite de l’intimée le 15 juillet 2020 et que, par conséquent, il s’agissait d’un congédiement déguisé. Il fait également valoir que dans le cadre d’une série d’incidents survenus avant le 15 juillet 2020, l’intimée l’a harcelé et a délibérément créé des obstacles pour entraver son rendement au travail. Il demande des dommages-intérêts compensatoires pour perte de salaire, des dommages-intérêts exemplaires pour préjudice moral et une ordonnance qui obligerait l’intimée à modifier son relevé d’emploi.

[20] L’intimée demande que la plainte soit rejetée parce que le plaignant a en fait démissionné en refusant de travailler, puis en abandonnant son poste.

[21] La question centrale en l’espèce est donc de savoir si l’intimée a congédié de façon déguisée le plaignant aux alentours du 15 juillet 2020 au moyen des courriels de M. Morrice. En général, dans les cas d’allégation de congédiement injuste, il incombe à l’employeur de prouver que le congédiement était juste. Toutefois, dans les cas où le plaignant dit qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé, c’est à lui qu’incombe le fardeau de la preuve. Par conséquent, dans cette affaire, M. Lennox doit démontrer au Conseil qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé.

A. Les principes juridiques applicables au congédiement déguisé

[22] Le concept de congédiement déguisé est issu de la common law. La Cour suprême du Canada (CSC) a examiné les principes de la common law dans l’arrêt Farber c. Royal Trust Co., [1997] 1 R.C.S. 846 (Farber).

[23] La question en litige dans l’affaire Farber était de savoir si les modifications unilatérales que l’employeur avait apportées au contrat de travail de l’appelant équivalaient à un congédiement déguisé. L’appelant travaillait comme gérant régional pour l’ouest du Québec. L’employeur l’a informé, le 4 juin 1984, de l’abolition de son poste en raison d’une restructuration majeure, et lui a offert une compensation financière à un taux moindre et un poste de gérant dans un autre bureau. Le bureau en question était problématique et non rentable. L’appelant a poursuivi l’employeur en dommages-intérêts au motif qu’il avait fait l’objet d’un congédiement déguisé.

[24] La CSC a donné la définition suivante du congédiement déguisé dans l’arrêt Farber :

Lorsqu’un employeur décide unilatéralement de modifier de façon substantielle les conditions essentielles du contrat de travail de son employé et que celui-ci n’accepte pas ces modifications et quitte son emploi, son départ constitue non pas une démission, mais un congédiement. Vu l’absence de congédiement formel de la part de l’employeur, on qualifie cette situation de « congédiement déguisé ». En effet, en voulant de manière unilatérale modifier substantiellement les conditions essentielles du contrat de travail, l’employeur cesse de respecter ses obligations; il se trouve donc à dénoncer ce contrat. Il est alors loisible à l’employé d’invoquer la résiliation pour bris de contrat et de quitter. L’employé a alors droit à une indemnité qui tient lieu de délai-congé et, s’il y a lieu, à des dommages.

(page 858)

[25] La CSC devait déterminer si les modifications unilatérales imposées par l’employeur dans l’affaire Farber constituaient des modifications suffisamment substantielles des conditions essentielles du contrat de travail pour conclure qu’il y avait eu congédiement déguisé. Elle a signalé qu’il n’était pas nécessaire que l’employeur ait eu l’intention de forcer son employé à quitter son emploi ou qu’il ait agi de mauvaise foi en modifiant de façon substantielle les conditions essentielles du contrat.

[26] La CSC a conclu qu’au moment où l’offre de l’employeur a été faite, toute personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’appelant aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail. La CSC a accueilli le pourvoi, étant donné que le changement imposait à l’appelant une rétrogradation importante et grave, et que l’offre altérait sérieusement ses conditions salariales.

[27] Dans l’arrêt Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10; [2015] 1 R.C.S. 500 (Potter), la majorité des juges de la CSC ont décrit l’évolution de la jurisprudence en matière de congédiement déguisé depuis l’arrêt Farber. La CSC a fait observer que, dans la jurisprudence, deux volets ont vu le jour pour l’application du critère applicable au congédiement déguisé. Le premier volet comporte une analyse en deux étapes, laquelle consiste à évaluer s’il y a eu une violation substantielle du contrat de travail. Le tribunal doit d’abord établir la violation, expresse ou tacite, du contrat de travail. Si la modification constitue effectivement une telle violation, le tribunal doit ensuite se demander si, au moment où la violation a eu lieu, une personne raisonnable, qui se serait trouvée dans la même situation que l’employé, aurait considéré qu’il s’agissait d’une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail.

[28] Selon la CSC, le second volet du critère applicable au congédiement déguisé concerne les actes qui montrent que l’employeur n’entendait plus être lié par le contrat de travail. Selon la description de la CSC, ce volet nécessite que l’on tienne compte de l’effet cumulatif des mesures antérieures prises par l’employeur, et que l’on détermine par la suite si ces mesures ont démontré l’intention ou non de l’employeur de ne plus être lié par le contrat de travail (voir Potter, au paragraphe 42).

[29] La CSC a conclu dans l’arrêt Potter que, en common law, un congédiement déguisé peut donc revêtir deux formes : « celle d’un seul acte unilatéral qui emporte la violation d’une condition essentielle ou celle d’une série d’actes qui, considérés ensemble, montrent l’intention de l’employeur de ne plus être lié par le contrat » (Potter, paragraphe 43). La norme juridique visant à établir s’il y a eu un congédiement déguisé consiste à examiner si une personne raisonnable, dans les mêmes circonstances que l’employé, se sentirait obligée de démissionner.

[30] En juillet 2019, le projet de loi C-44 a modifié les dispositions du Code relatives aux plaintes de congédiement injuste. Ces modifications ont eu notamment pour effet de transférer au Conseil l’arbitrage de ces plaintes qui était confié à des arbitres nommés ponctuellement par le ministre du Travail. La doctrine du congédiement déguisé en common law était généralement acceptée et appliquée par les arbitres dans les plaintes de congédiement injuste avant l’entrée en vigueur du projet de loi C-44.

[31] De plus, dans l’arrêt Srougi c. Lufthansa German Airlines, [1988] ACF No 539 (CAF) (QL), la Cour d’appel fédérale (CAF) a confirmé que les dispositions relatives au congédiement injuste énoncées dans le Code s’appliquaient au congédiement déguisé. Dans cet arrêt, la CAF a fait observer que rien ne permettait de croire que le législateur voulait que les dispositions relatives au congédiement injuste visent uniquement les congédiements effectués ouvertement, de manière directe, par une action unique et non ambiguë de l’employeur.

[32] Le Conseil est d’avis que la doctrine du congédiement déguisé en common law s’applique à son examen des plaintes de congédiement injuste. Par conséquent, dans le cadre d’une plainte de congédiement injuste, un congédiement déguisé peut être établi si la preuve démontre l’existence de l’un ou l’autre des deux volets énoncés dans l’arrêt Potter. Le Conseil évaluera si la conduite de l’employeur, que ce soit par un seul acte unilatéral ou une série d’actes, considérant l’affaire objectivement, est telle qu’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances que l’employé conclurait que l’employeur n’avait plus l’intention d’être lié par le contrat de travail et que démissionner était la seule véritable solution possible.

B. Le congédiement déguisé et la fin de l’emploi du plaignant

[33] En l’espèce, le Conseil doit donc se poser les questions suivantes en appliquant les principes juridiques relatifs aux deux volets du critère applicable au congédiement déguisé décrits dans l’arrêt Potter :

1. L’intimée a-t-elle apporté une modification substantielle au contrat de travail du plaignant aux alentours du 15 juillet 2020?

[34] L’allégation de congédiement déguisé du plaignant porte essentiellement sur le fait que M. Morrice aurait modifié de façon substantielle son contrat de travail dans ses courriels du 15 juillet 2020 et qu’en raison de cette modification substantielle, il a été contraint de démissionner pour un motif valable.

[35] Ainsi, la question que doit trancher le Conseil est de savoir si l’intimée a violé le contrat de travail à travers les courriels du 15 juillet 2020 de M. Morrice, de sorte qu’une personne raisonnable conclurait que son unique choix était de démissionner. Comme l’a souligné la CSC dans l’arrêt Potter, l’évaluation de l’existence d’une violation substantielle est objective.

[36] Le plaignant fait valoir que, dans le cadre de la relation d’emploi, il avait la capacité d’établir et de programmer son propre horaire. Par conséquent, l’intimée ne pouvait pas refuser sa plage de disponibilité ni insister pour qu’il travaille le 15 juillet 2020. Selon lui, en refusant sa plage de disponibilité, l’intimée a violé une condition établie de son contrat de travail.

[37] Lors de son témoignage, le plaignant a affirmé qu’il avait négocié cette condition d’emploi lors de son embauche. Comme preuve de l’accord des parties concernant son horaire de travail, le plaignant s’est appuyé sur un courriel daté du 27 avril 2018 qu’il avait envoyé à la direction des ressources humaines de l’intimée. Le plaignant a également déclaré qu’il avait transmis ce courriel à M. Morrice à titre de confirmation des conditions de son emploi. Dans son témoignage, M. Morrice a cependant déclaré qu’il n’a jamais reçu ce courriel, parce que le plaignant avait utilisé une adresse électronique incorrecte. M. Morrice a également déclaré qu’il n’avait jamais accepté que le plaignant puisse programmer son propre horaire de travail.

[38] Le Conseil ne retient pas l’affirmation selon laquelle il était prévu dans le contrat de travail de M. Lennox qu’il puisse programmer son propre horaire de travail. Dans son courriel à la direction des ressources humaines, le plaignant a décrit sa compréhension du fait qu’ils s’étaient entendus sur les « horaires planifiés de travail et de repos actuels » pour ses jours de travail et de repos. Cependant, rien ne prouve que l’intimée ait accepté ces « horaires » ou que les parties aient convenu que les horaires « actuels » (traductions) ne seraient jamais modifiés. Contrairement à l’affirmation du plaignant selon laquelle il pouvait établir et programmer son propre horaire, Mme Janet Morrice, contrôleuse de l’intimée, a témoigné que les conditions des contrats de travail, y compris les horaires des chauffeurs, se trouvaient dans le manuel du chauffeur et les politiques de l’intimée. Elle a également déclaré que le plaignant ne bénéficiait pas d’un traitement préférentiel par rapport aux autres chauffeurs à temps plein. Le plaignant a contesté l’applicabilité de ces politiques, témoignant qu’il n’en avait pas eu connaissance. Il a toutefois reconnu qu’il avait reçu le manuel du chauffeur pendant sa période d’emploi. Il a également signé les politiques de rémunération et de prime à la signature de l’intimée en mai 2018, au début de son emploi chez l’intimée.

[39] Après avoir examiné la preuve, le Conseil conclut que les conditions d’emploi du plaignant étaient définies par les politiques de l’intimée. Ces politiques ne comprennent pas de condition d’emploi qui aurait permis au plaignant de programmer unilatéralement son horaire de travail. Le Conseil conclut donc que l’intimée n’a pas violé le contrat de travail en refusant la plage de disponibilité du plaignant ni en insistant pour qu’il travaille le 15 juillet 2020.

[40] Le plaignant fait également valoir que l’intimée a unilatéralement modifié son statut de chauffeur, le faisant passer de temps plein à temps partiel. Le 15 juillet 2020, l’intimée a informé le plaignant que son camion serait prêt à partir à 9 h et lui a demandé de confirmer l’heure à laquelle il arriverait au travail ce jour-là. Après que le plaignant eût indiqué qu’il ne serait pas disponible pour travailler avant le 18 juillet 2020, M. Morrice lui a répondu que l’intimée s’attendait à ce qu’il travaille à temps plein et que, s’il ne le faisait pas, il ne pourrait pas continuer à être chauffeur à temps plein et à avoir droit aux avantages sociaux. Dans l’échange de courriels du 15 juillet 2020, M. Morrice a avisé le plaignant que sa demande de congé sous-entendue dans sa plage de disponibilité soumise était refusée. De plus, il a informé le plaignant que, compte tenu de son refus de travailler et de sa réticence à terminer sa semaine de travail, son statut passerait de temps plein à temps partiel et son droit à l’assurance soins de santé serait suspendu.

[41] Dans son témoignage, M. Morrice a déclaré qu’il était contrarié lorsqu’il a envoyé les courriels, parce que le plaignant devait livrer le chargement d’un client. Il a également expliqué qu’il planifiait les chargements hebdomadaires en tenant compte du fait que les chauffeurs à temps plein travaillent cinq jours par semaine. En outre, il a affirmé qu’il ne savait pas que le plaignant avait réservé du temps libre avant d’en être avisé par courriel le matin du 15 juillet 2020. Il a expliqué que son intention, en communiquant par courriel avec le plaignant, était de l’inciter à se présenter au travail et à terminer sa semaine de travail à temps plein.

[42] Après l’échange de courriels entre M. Morrice et le plaignant du 15 juillet 2020, il n’y a pas eu d’autre communication entre eux jusqu’à la lettre du plaignant datée du 21 juillet 2020. Plus précisément, pendant cette période, le plaignant n’a pas effectué d’autre tâche pour l’intimée et n’a pas vérifié auprès de M. Morrice s’il était effectivement passé de chauffeur à temps plein à chauffeur à temps partiel.

[43] Dans son témoignage, M. Morrice a confirmé que malgré les déclarations contenues dans ses courriels au plaignant, il n’a pris aucune mesure pour modifier le statut à temps plein de M. Lennox chez l’intimée. Plus précisément, il n’a pas demandé aux chargés de la répartition ou de l’exploitation de faire passer le statut du plaignant de temps plein à temps partiel et n’a pas désactivé son profil de chauffeur.

[44] Le 17 juillet 2020, l’intimée a offert au plaignant un chargement dont le départ était prévu le 19 juillet 2020. Mme Sefton, la gestionnaire des chauffeurs qui avait communiqué avec le plaignant au sujet du chargement, a témoigné que lorsqu’elle planifiait le travail de la semaine du 19 juillet 2020, le plaignant figurait au tableau des chauffeurs disponibles. Elle a déclaré qu’elle lui avait proposé le chargement conformément à sa pratique habituelle. Le plaignant l’a informée qu’il ne pouvait pas accepter le chargement, car il devait clarifier certains points avec M. Morrice. Mme Sefton a conclu que le plaignant avait refusé le chargement et l’a attribué à un autre chauffeur.

[45] Il n’y a aucune preuve que le plaignant avait entrepris des démarches pour clarifier la question de son statut de chauffeur auprès de M. Morrice. Au lieu de cela, à un moment donné entre le 15 et le 21 juillet 2020, il a retiré ses effets personnels de son camion. M. Asciak a témoigné qu’il a constaté que les effets personnels du plaignant avaient disparu lorsqu’il est entré dans le camion le matin du 21 juillet 2020, et le plaignant a confirmé qu’il y avait retiré ses effets personnels dans sa lettre à M. Morrice datée du 21 juillet 2020.

[46] Après examen objectif des déclarations et des actes de l’intimée, le Conseil conclut que l’intimée n’a pas violé de condition d’emploi du plaignant. Le 15 juillet 2020, M. Morrice a refusé la plage de disponibilité qu’a soumise le plaignant et l’a informé qu’il s’attendait à ce qu’il termine sa semaine de travail. Le plaignant ne dispose pas d’un droit selon lequel sa plage de disponibilité doit être automatiquement approuvée. Selon la politique de l’intimée sur les demandes de congé, les chauffeurs sont tenus de soumettre leurs demandes aux gestionnaires des chauffeurs, qui sont ensuite chargés de les examiner et de les approuver. La politique prévoit expressément que « toutes les demandes de congé sont assujetties à la capacité de l’entreprise de continuer à fonctionner efficacement » (traduction). M. Morrice a dit au plaignant que s’il refusait de travailler le nombre d’heures requis à temps plein, l’intimée ferait passer son statut à temps partiel et que ce changement de statut entraînerait le retrait de son assurance soins de santé. L’intimée n’offre une assurance soins de santé qu’aux employés à temps plein. Conformément aux conditions du contrat de travail, énoncées dans les politiques et le manuel du chauffeur de l’intimée, le plaignant devait travailler à temps plein pour avoir droit à ces avantages sociaux. Le Conseil ne considère pas que les déclarations de M. Morrice constituaient une modification des conditions d’emploi du plaignant. Il a simplement informé le plaignant que le travail à temps plein était obligatoire pour conserver son statut de travailleur à temps plein et ses avantages sociaux.

[47] L’intimée n’a jamais pris les mesures nécessaires pour faire passer le statut du plaignant de temps plein à temps partiel. M. Morrice n’a ordonné à personne d’apporter la modification et, selon Mme Sefton, en date du 17 juillet 2020, le plaignant était toujours inscrit au tableau des chauffeurs à temps plein à qui elle pouvait attribuer des tâches. Plus précisément, l’intimée n’a pris aucune mesure pour modifier le statut d’emploi du plaignant avant le 21 juillet 2020, lorsque M. Asciak a découvert que le camion du plaignant avait été vidé de ses effets personnels. Étant donné les refus de travailler et le retrait des effets personnels, l’intimée a conclu que le plaignant avait démissionné. Compte tenu de la conclusion qui précède, le 21 juillet 2020, l’intimée a pris des mesures visant à annuler les avantages sociaux du plaignant et a demandé au plaignant de confirmer sa démission. Le Conseil est d’avis que, dans ces circonstances, il était raisonnable pour l’intimée de conclure que le plaignant avait démissionné.

[48] Le Conseil conclut que la preuve ne démontre pas que l’intimée a apporté une modification substantielle au contrat de travail du plaignant aux alentours du 15 juillet 2020. Par conséquent, le plaignant n’a pas démontré qu’il a fait l’objet d’un congédiement déguisé dans le cadre des événements du 15 juillet 2020.

2. La série d’incidents survenus avant le 15 juillet 2020 démontre-t-elle que l’intimée n’avait plus l’intention d’être liée par le contrat de travail?

[49] Le plaignant fait également valoir que sa démission a été causée par la conduite de l’intimée au cours d’une série d’incidents survenus avant le 15 juillet 2020. Il affirme que l’intimée s’est livrée à une série de comportements répréhensibles à son égard visant à élever des doutes concernant son travail, lui faire obstruction et lui porter préjudice. Le plaignant soutient que lors de ces événements antérieurs, l’intimée lui aurait fourni des renseignements erronés concernant ses chargements et lui aurait ordonné d’effectuer un travail illégal ou dangereux. L’intimée a présenté des éléments de preuve qui contredisaient les affirmations du plaignant à l’égard de chacun des incidents signalés.

[50] Le Conseil a examiné la preuve des parties concernant la série d’incidents et conclut qu’aucun des incidents n’est pertinent quant à la plainte de congédiement déguisé du plaignant. À chaque incident, les parties ont résolu le problème au moment de l’incident. Le plaignant a accepté les décisions et a continué à travailler chez l’intimée sans objection jusqu’aux événements de la mi-juillet 2020. Selon le Conseil, les conflits antérieurs en question ne constituent pas une série d’actes par lesquels l’intimée a démontré qu’elle n’avait plus l’intention d’être liée par le contrat de travail. Au contraire, les conflits en question témoignent d’une relation difficile et litigieuse entre le plaignant et l’employeur, dans laquelle le plaignant contestait souvent les directives de l’employeur.

[51] Le plaignant soutient également qu’il a été harcelé et diffamé par M. Morrice dans les courriels de celui-ci en raison de leur ton et du fait que M. Morrice a envoyé une copie de l’un d’eux à un client externe. Le Conseil accepte l’explication de M. Morrice selon laquelle il a envoyé par inadvertance le courriel au client externe en raison d’une erreur de saisie au clavier et qu’il n’avait pas l’intention de communiquer avec ce client au sujet du plaignant. Le Conseil estime que les affirmations de harcèlement et de diffamation du plaignant ne suffisent pas pour démontrer qu’un congédiement déguisé a eu lieu (voir, par exemple, Bai v. Tsay Keh Dene Nation, [2019] C.L.A.D. No. 110 (QL)).

[52] Le plaignant n’a pas prouvé que l’intimée a violé une condition de son emploi en raison de ses actes posés le ou vers le 15 juillet 2020, ni qu’elle n’avait plus l’intention d’être liée par le contrat de travail relativement à la série d’incidents survenus le 15 juillet 2020 ou avant cette date. Par conséquent, le Conseil conclut que l’intimée n’a pas congédié le plaignant de façon déguisée ou autrement.

IV. Conclusion

[53] Pour tous les motifs qui précèdent, le Conseil rejette la plainte.

Traduction

 

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Jennifer Webster
Vice-présidente

 

 

 

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