Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Ingrid Watson,

plaignante,

et

Syndicat canadien de la fonction publique,

intimé,

et

Air Canada,

employeur.

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, et de Mme Elizabeth Cameron et Daniel Thimineur, Membres.

Représentants des parties aux dossiers

Me Robert J. Hawkes, pour Mme Ingrid Watson;

Mes Elizabeth Nurse et Laura Ross, pour le Syndicat canadien de la fonction publique;

Me Jennifer Black, pour Air Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

I. Introduction

[1] La présente décision porte sur le devoir de représentation juste (DRJ) du syndicat à l’endroit de ses membres par rapport à une politique de vaccination obligatoire mise en œuvre unilatéralement par l’employeur. La question précise à trancher en l’espèce est de savoir si la décision du syndicat de ne pas présenter un grief de principe pour contester la politique de vaccination obligatoire de l’employeur, malgré l’insistance d’un groupe de membres de l’unité de négociation, était arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi.

[2] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil conclut qu’en l’espèce, le syndicat n’a pas manqué au DRJ auquel il est tenu en refusant de présenter un grief de principe concernant la politique de vaccination obligatoire de l’employeur.

II. Contexte et faits

[3] Mme Ingrid Watson (la plaignante) est agente de bord (personnel de cabine) chez Air Canada (l’employeur). Elle est membre de l’unité de négociation représentée par le Syndicat canadien de la fonction publique – élément Air Canada (l’EAC du SCFP ou le syndicat) et compte près de 23 ans de service chez Air Canada. Elle travaille à la base d’Air Canada à Calgary, en Alberta, et fait partie de la section locale 4095 du SCFP.

[4] Une convention collective est en vigueur entre les parties.

[5] Mme Watson est libérée à temps plein de ses fonctions en vol et est désignée par la section locale 4095 comme présidente du comité local du Système de programmation préférentielle (SPP). Elle siège au comité du SPP depuis 2011. À ce titre, elle et les autres membres du comité établissent les horaires mensuels en fonction des préférences et de l’ancienneté des employés de manière à répondre aux exigences d’Air Canada en matière d’exploitation et de classification.

[6] Mme Watson indique qu’avant la pandémie, elle travaillait en partie de son domicile.

[7] La chronologie des événements est simple et généralement non contestée, puisqu’elle repose sur des annonces faites par courriel et des échanges de courriels.

[8] Le 13 août 2021, le gouvernement du Canada a annoncé son intention d’exiger que tous les employés des secteurs du transport aérien, ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale soient vaccinés au plus tard à la fin d’octobre 2021. Cette politique gouvernementale viserait les employés de ces secteurs ainsi que certains voyageurs. Le syndicat a communiqué avec ses membres par courriel le jour même pour leur faire part de cette annonce du gouvernement, précisant qu’il soutenait la vaccination en tant que stratégie éprouvée pour atténuer les risques liés à la COVID-19.

[9] Le 19 août 2021, le syndicat a envoyé un message à tous ses membres par l’intermédiaire de son portail. Il y mentionnait qu’il avait reçu un avis juridique préliminaire qu’il avait commandé concernant l’annonce par le gouvernement d’une politique de vaccination obligatoire dans le secteur du transport aérien et y avait inclus un lien qui permettait aux membres de consulter cet avis juridique.

[10] Le 25 août 2021, Air Canada a annoncé qu’elle mettait en œuvre une politique de vaccination obligatoire qui s’appliquerait à tous ses employés. La politique exigeait que tous les employés soient entièrement vaccinés au plus tard le 31 octobre 2021, à moins que l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation n’entre en jeu. Dans cette communication, Air Canada demandait aux employés de déclarer leur statut vaccinal au moyen de l’outil de déclaration de la vaccination au plus tard le 8 septembre 2021. Elle mentionnait également ceci : « Le fait de ne pas être entièrement vacciné d’ici le 30 octobre 2021 aura des conséquences pouvant aller jusqu’au congé sans solde ou au congédiement, sauf pour les employés admissibles à une mesure d’adaptation » (traduction).

[11] Une série de questions et de réponses accompagnait l’annonce de la vaccination obligatoire. Les conséquences du refus de se faire vacciner étaient présentées de la façon suivante :

13. Que se passe-t-il si je choisis de ne pas me faire vacciner? Je comprends que je ne pourrai pas voyager, mais cela me convient.

R : Nous comprenons qu’un petit nombre de personnes voudront être exemptées pour des raisons médicales ou d’autres raisons justifiées; nous évaluerons ces demandes au cas par cas. Nous respecterons toutes nos obligations en matière de mesures d’adaptation, mais nous pensons que très peu de circonstances donneront lieu à des exemptions.

Les conséquences pourront aller jusqu’au congé sans solde et au congédiement. Au bout du compte, les employés qui choisiront de ne pas se faire vacciner ne pourront pas exercer leurs fonctions, et les modalités applicables des conventions collectives ou politiques de gestion pertinentes pourront être exécutées.

De plus amples renseignements seront fournis dans la politique une fois qu’elle sera finalisée à la suite de discussions avec les représentants de la santé et de la sécurité et nos partenaires syndicaux.

(traduction)

[12] Des renseignements étaient également fournis concernant la suspension de la postulation pour tout membre du personnel de bord qui n’aurait pas déclaré son statut vaccinal et fourni la preuve de son premier vaccin au plus tard le 8 septembre 2021 :

17. Y aura-t-il un délai de grâce si je ne suis pas vacciné à temps?

R : Nos dates limites sont établies en fonction des renseignements fournis par le gouvernement canadien concernant la mise en œuvre de la vaccination obligatoire. Cependant, nous cherchons également à exécuter l’échéancier avant la fin de l’automne et le début de la période occupée des Fêtes. Cela ne nous laisse pas beaucoup de marge de manœuvre.

Afin de planifier ses activités et de remplir ses obligations à l’endroit de ses clients, Air Canada a besoin de suffisamment de temps pour évaluer combien de ses employés auront choisi de se faire vacciner. Cela signifie que les dates prévues pour le premier vaccin, la vaccination complète, la déclaration du statut vaccinal et la production de documents doivent être considérées comme fermes. Nous n’envisageons pas d’accorder de délai de grâce, sauf (et seulement si cela est nécessaire) pour certains bureaux à l’étranger où nous avons déterminé que les vaccins ne seront pas offerts dans les délais prévus. Dans ces bureaux, les précautions et les mesures de sécurité en vigueur resteront en place pour assurer la sécurité de tous. Cela dit, nous invitons les employés dans ces pays à se faire vacciner le plus rapidement possible.

Les dates limites sont les suivantes :

Le 8 septembre

Tous les employés vaccinés doivent déclarer leur statut vaccinal et téléverser leur preuve de vaccination.

Tous les employés actuellement non vaccinés doivent avoir reçu leur premier vaccin et téléversé leur preuve de vaccination.

À partir de cette date, tout employé qui n’aura pas déclaré avoir reçu au moins un premier vaccin et produit sa preuve de vaccination sera considéré comme non vacciné à des fins de planification.

Veuillez noter que les membres de nos équipages qui n’auront pas déclaré au moins un premier vaccin au plus tard le 8 septembre et un deuxième vaccin au plus tard le 8 octobre (et fourni la preuve de vaccination dans les deux cas) ne seront plus autorisés à demander des vols à partir du mois de novembre.

(traduction)

[13] Des renseignements supplémentaires concernant la suspension de l’autorisation à demander des vols ont également été fournis dans une communication distincte du vice-président, Service en vol, le même jour.

[14] Le 26 août 2021, Mme Watson a envoyé un message texte à Mme Kim Wentzell, présidente de la section locale 4095, au sujet de la politique de vaccination obligatoire. Mme Wentzell a répondu que le syndicat contesterait toute mesure disciplinaire, y compris le congédiement, découlant de l’application de la politique.

[15] Le 27 août 2021, le syndicat a publié de nouvelles informations sur le portail des membres. Il reconnaissait les différents points de vue des membres au sujet de la vaccination, mais précisait qu’il était d’accord avec le fait que les vaccins étaient essentiels pour offrir un environnement de travail sûr aux employés et assurer la reprise du secteur du transport aérien. Le syndicat faisait également part de son intention de présenter des griefs au nom des personnes qui se verraient imposer des mesures disciplinaires en raison de la politique.

[16] Le 30 août 2021, Mme Nadine Perrin a écrit au syndicat, au nom d’un groupe d’employés dont faisait partie Mme Watson, pour lui faire part d’inquiétudes quant aux conséquences de la politique de vaccination. Elle lui a demandé de lui fournir des renseignements sur les évaluations qu’il avait menées au sujet de la vaccination et sur les mesures qu’il prenait pour représenter les employés qui s’opposaient à la politique de vaccination obligatoire.

[17] Mme Wentzell a répondu à Mme Perrin le même jour et l’a invitée à consulter les bulletins d’information du syndicat qui décrivaient son approche. Elle a également indiqué que le syndicat avait demandé l’avis d’un conseiller juridique afin d’évaluer la politique et de déterminer si un grief serait présenté.

[18] Le 31 août 2021, le syndicat a reçu un deuxième avis juridique. Confirmant le premier avis juridique rendu, ce nouvel avis concluait que la politique d’Air Canada résisterait probablement à une contestation en arbitrage de grief et, de plus, qu’une contestation fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982) (la Charte) du mandat du gouvernement en matière de vaccins avait peu de chances d’aboutir.

[19] Le 3 septembre 2021, le syndicat a communiqué à ses membres de nouvelles informations sur la politique de vaccination. Il mentionnait qu’il avait reçu de ses membres des commentaires en faveur et à l’encontre de la politique. Il mentionnait également qu’il avait obtenu un deuxième avis juridique et consulté d’autres syndicats d’Air Canada, précisant que la politique de l’employeur serait probablement jugée raisonnable par un arbitre. Il affirmait qu’il se concentrerait sur la mise en œuvre et l’administration de la politique et sur le soutien aux membres par le biais de la procédure de règlement des griefs si des mesures disciplinaires étaient imposées en raison de la politique. Il faisait également remarquer que si des membres ne pouvaient pas se présenter au travail parce qu’ils avaient choisi de ne pas se faire vacciner, cela ne voulait pas nécessairement dire qu’il y avait eu violation de la Charte.

[20] Le 9 septembre 2021, Air Canada a envoyé un courriel aux employés qui n’avaient pas encore déclaré leur statut vaccinal. Dans ce message, il était indiqué que les employés qui n’étaient pas vaccinés ou ne déclaraient pas leur statut vaccinal au plus tard le 30 octobre 2021 subiraient certaines conséquences. En particulier, les employés non vaccinés se verraient interdire l’accès à leur lieu de travail, seraient considérés comme non disponibles pour s’acquitter de leurs fonctions et seraient placés en congé sans solde et sans avantages sociaux pour une période de six mois. L’employeur précisait également que ceux qui n’avaient pas reçu leur deuxième vaccin au plus tard le 8 octobre ne seraient pas autorisés à demander des vols pour le mois de novembre.

[21] Le 10 septembre 2021, Air Canada a publié sa politique actualisée sur la vaccination contre la COVID-19. Cette version de la politique précisait que les employés qui n’étaient pas entièrement vaccinés au 30 octobre 2021 et qui ne bénéficiaient pas d’une exemption seraient mis en congé sans solde pour une période maximale de six mois, après quoi leur statut d’employé serait réexaminé.

[22] Le 14 septembre 2021, l’avocat de Mme Watson a écrit à M. Wesley Lesosky, président de l’EAC du SCFP; il affirmait que le syndicat agissait de manière arbitraire, discriminatoire et entachée de mauvaise foi relativement au DRJ auquel il était tenu à l’endroit de Mme Watson et d’autres membres et lui demandait de présenter un grief pour contester la politique d’Air Canada.

[23] Un représentant de l’EAC du SCFP a répondu à cette communication au nom de M. Lesosky le 17 septembre 2021, précisant que les plaintes individuelles seraient traitées au cas par cas et que des griefs individuels seraient présentés, s’il y avait lieu de le faire.

[24] L’avocat de Mme Watson s’est dit insatisfait de cette réponse dans un courriel daté du 22 septembre 2021, dans lequel il demandait qu’on donne suite aux revendications de Mme Watson au plus tard le 24 septembre 2021. L’avocat mentionnait que si le syndicat ne prenait aucune mesure, une plainte de manquement au DRJ serait déposée auprès du Conseil.

[25] Le 6 octobre 2021, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il prévoyait de rendre obligatoire la vaccination contre la COVID-19 dans l’ensemble de la fonction publique fédérale et dans les secteurs du transport sous réglementation fédérale. Cette annonce précisait que les employeurs des secteurs du transport aérien, ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale auraient jusqu’au 30 octobre 2021 pour établir des politiques relatives à la vaccination afin de s’assurer que leurs employés soient vaccinés. Le gouvernement annonçait également que les voyageurs qui prenaient un vol en partance d’un aéroport canadien seraient tenus d’être entièrement vaccinés.

[26] Le 22 octobre 2021, le syndicat a envoyé aux membres une mise à jour intitulée « Déclaration du statut vaccinal » (traduction). Dans ce message, le syndicat traitait de certains problèmes liés au téléversement de la preuve de vaccination et précisait qu’il examinerait tous les cas où un membre avait été relevé de ses fonctions pour non-respect de la politique de vaccination.

[27] Le 29 octobre 2021, le ministre fédéral des Transports a pris un arrêté d’urgence en vertu de la Loi sur l’aéronautique (Arrêté d’urgence no 43 visant certaines exigences relatives à l’aviation civile en raison de la COVID-19) (l’arrêté no 43). Cet arrêté ordonnait à toutes les compagnies aériennes d’adopter et de mettre en œuvre une politique à l’égard de la vaccination obligatoire pour leurs employés au plus tard le 31 octobre 2021, prévoyant des exemptions limitées en raison d’une contre-indication médicale attestée ou d’une croyance religieuse.

[28] Le 9 novembre 2021, l’avocat de Mme Watson a communiqué avec l’EAC du SCFP pour l’informer qu’Air Canada avait refusé la demande d’exemption médicale de Mme Watson concernant la politique de vaccination. Le 11 novembre 2021, un représentant de la section locale 4095 a présenté un grief individuel au nom de Mme Watson. Ce grief a été rejeté par Air Canada au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été acheminé au comité des griefs de l’EAC du SCFP et figure parmi un certain nombre de griefs individuels présentés par les sections locales du syndicat relativement à l’application de la politique de vaccination contre la COVID-19.

III. Analyse et décision

A. Sans audience

[29] La plaignante a expressément demandé la tenue d’une audience, soulignant que la présente affaire nécessiterait la divulgation de nombreux documents et une évaluation de la crédibilité des témoins du syndicat.

[30] Le Conseil n’est pas obligé de tenir une audience dans chaque affaire. Le pouvoir du Conseil de se fonder sur les observations écrites des parties et de rendre ses décisions sans tenir d’audience est bien établi. L’article 16.1 du Code canadien du travail (le Code) permet expressément au Conseil de traiter une affaire sans tenir d’audience. En outre, les articles 10, 12 et 40 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles ont pour visée de donner aux parties une juste possibilité de présenter des observations, en soumettant un exposé détaillé des faits et des moyens invoqués à l’appui de leur position ainsi qu’une copie des documents à l’appui.

[31] Le Conseil ne tient normalement pas d’audience, à moins que la crédibilité de certains éléments essentiels à sa décision ne soit mise en doute ou que d’autres raisons valables liées aux relations industrielles ne l’obligent à entendre les témoins en personne. De plus, rien n’oblige le Conseil à aviser les parties de son intention de ne pas tenir d’audience (voir NAV CANADA, 2000 CCRI 88; et NAV Canada c. Fraternité internationale des ouvriers en électricité, 2001 CAF 30).

[32] En l’espèce, le Conseil a invité le syndicat et l’employeur à répondre par écrit à la plainte, et la plaignante a eu l’occasion de présenter une dernière réplique. Après avoir examiné tous les documents reçus, le Conseil a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience et que l’affaire pouvait être tranchée sur la foi du dossier.

B. Article 37 du Code et le devoir de représentation juste

[33] Pour trancher la présente affaire, le Conseil doit déterminer si le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi lorsqu’il a décidé de ne pas présenter de grief pour contester la politique de vaccination obligatoire de l’employeur.

[34] Le DRJ auquel est tenu le syndicat est énoncé à l’article 37 du Code, qui est ainsi libellé :

37 Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[35] Dans sa jurisprudence, le Conseil a décrit les facteurs dont il tient compte pour établir si un syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi. Le Conseil a résumé ces facteurs pertinents dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290 :

[27] Le syndicat ne doit pas agir de mauvaise foi, autrement dit dans un but illégitime. Il le ferait par exemple si les sentiments personnels de ses agents influaient sur sa décision de donner suite au grief ou non, s’il conspirait avec l’employeur pour faire imposer des sanctions à un employé ou pour le faire licencier, ou encore s’il laissait les ambitions d’un groupe d’employés qui appuient ses représentants l’emporter sur les intérêts d’un autre employé.

[28] Le syndicat ne doit pas faire de discrimination fondée sur l’âge, la race, la religion, le sexe ou l’état de santé. Chaque membre a droit à un traitement individuel, et seuls des facteurs pertinents et légaux doivent influencer la décision de porter un grief à l’arbitrage ou non. Il devrait être souligné qu’un traitement différent n’est pas toujours considéré comme de la discrimination. Par exemple, il n’y a pas discrimination si le syndicat décide de porter le grief d’un employé à l’arbitrage et de ne pas en faire autant pour celui d’un autre employé, s’il y a des raisons pertinentes pour justifier cette distinction. Le syndicat ne se rend pas coupable de discrimination lorsqu’il s’entend avec l’employeur pour qu’un groupe d’employés aient des conditions de travail différentes ou meilleures que les autres, pour des raisons liées à leur milieu de travail (voir Mario Soulière et autres, [2002] CCRI no 205; et 94 CLRBR (2d) 307).

[29] Le syndicat ne doit pas agir arbitrairement, en somme ne pas agir sans être capable d’expliquer ce qu’il a fait de façon objective ou raisonnable, en croyant aveuglément les arguments de l’employeur ou en ne déterminant pas si les questions soulevées par ses membres sont fondées en fait ou en droit (voir John Presseault, précitée...

[30] Il est arbitraire aussi de ne tenir compte que superficiellement des faits ou du bien-fondé d’une affaire, de même que de prendre une décision en faisant fi des intérêts légitimes de l’employé. Ne pas enquêter pour savoir quelles étaient les circonstances entourant le grief est également arbitraire, et ne pas évaluer raisonnablement l’affaire peut équivaloir aussi à une conduite arbitraire du syndicat (voir Nicholas Mikedis (1995), 98 di 72 (CCRT no 1126), appel à la C.A.F. rejeté dans Seafarers’ International Union of Canada c. Nicholas Mikedis et autres, jugement prononcé à l’audience, dossier no A-461-95, 11 janvier 1996 (C.A.F.)). On peut aussi considérer comme arbitraire une attitude non concernée quant aux intérêts de l’employé (voir Vergel Bugay et autres, précitée), de même qu’une négligence grave et un mépris souverain à cet égard (voir William Campbell, [1999] CCRI no 8).

[36] Dans les affaires de manquement au DRJ, c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve. En d’autres termes, la personne qui dépose la plainte doit convaincre le Conseil que son syndicat a manqué au DRJ auquel il est tenu.

C. Le syndicat a-t-il manqué à son devoir de représentation juste?

1. Les allégations de la plaignante

[37] La plaignante allègue principalement que la décision du syndicat de ne pas présenter de grief de principe concernant la politique de vaccination d’Air Canada était arbitraire. Elle soutient que le syndicat n’a pas sérieusement ou suffisamment tenu compte de l’effet préjudiciable qu’aura la politique sur plusieurs membres de l’unité de négociation qui ne s’y conformeront pas pour des raisons médicales ou autres raisons personnelles. En tant qu’employée syndiquée, la plaignante soutient qu’elle n’a pas le droit individuel d’exercer des recours devant les tribunaux ou autrement. Par conséquent, le syndicat a le devoir de représenter la plaignante ainsi que ses collègues qui subissent les répercussions négatives de la politique.

[38] Elle soutient que le syndicat n’a fourni aucune explication ni aucun détail au sujet de sa participation à la négociation de la politique ou de ce qu’il a fait pour tenter de l’améliorer ou de la perfectionner compte tenu des répercussions qu’elle aurait sur les droits des membres. Elle ajoute que le syndicat a refusé arbitrairement de consulter les membres pour comprendre leurs préoccupations et les défendre.

[39] La plaignante allègue que le syndicat a agi de mauvaise foi lorsqu’il a refusé d’expliquer pourquoi il ne présentait pas de grief pour contester la politique de vaccination de l’employeur. Elle affirme qu’elle n’a reçu aucun renseignement au sujet de l’enquête menée par le syndicat sur les questions en jeu ou de l’examen qu’il a fait du bien-fondé de ses préoccupations. Elle soutient que le syndicat n’a pas fait d’analyse sérieuse ou ne s’est pas bien renseigné sur les questions soulevées, qu’il n’a pas recueilli suffisamment de renseignements pour prendre une décision éclairée et qu’il a adopté une attitude méprisante à l’égard des membres qui s’opposent à la politique de vaccination. Elle allègue en outre que les sentiments de certains dirigeants syndicaux ont influencé la décision du syndicat de ne pas présenter de grief.

[40] À son avis, la convention collective ne prévoit pas de politique de vaccination et ne permet pas à la direction d’imposer des politiques qui exigent des procédures médicales comme condition d’emploi. L’adoption de la politique de vaccination de l’employeur n’est pas une façon appropriée pour la direction d’exercer ses droits, et le syndicat aurait dû négocier cette politique avec l’employeur ou, à défaut, il aurait dû présenter un grief de principe. En ne le faisant pas, le syndicat a, selon elle, manqué au devoir de représentation auquel il est tenu à l’endroit de ses membres.

[41] En outre, la plaignante soutient que le syndicat a simplement accepté de vagues conclusions tirées d’avis juridiques déficients et qu’il s’est appuyé sur celles-ci sans pousser plus loin l’analyse ou le débat. Elle se demande également si les avis juridiques étaient fondés sur une description exacte de la question de droit en cause et invite le Conseil à ordonner au syndicat de produire les documents et les renseignements qu’il a fournis aux conseillers juridiques lorsqu’il a demandé des avis juridiques. Elle prétend que la question n’était pas de savoir si le gouvernement pouvait imposer la vaccination aux agents de bord, mais plutôt si la politique de l’employeur était raisonnable. Comme la version définitive de la politique de l’employeur et de l’arrêté du gouvernement n’était pas encore publiée, elle soutient que les avis juridiques ont été fondés sur des scénarios hypothétiques ou spéculatifs.

[42] Enfin, la plaignante mentionne que d’autres syndicats ont contesté avec succès des politiques de vaccination obligatoire similaires et cite comme exemple la décision de l’arbitre Stout dans l’affaire Electrical Safety Authority and Power Workers’ Union (COVID-19 Vaccination Policy), Grievance : ESA-P-24, 7 novembre 2021 (Ont.) (Electrical Safety Authority). À la lumière de cette décision, le syndicat aurait dû contester la politique d’Air Canada au nom des membres qui en subiraient les répercussions négatives. Elle soutient qu’en ne contestant pas la politique, le syndicat a manqué au devoir auquel il est tenu à l’endroit de ces membres, et que ce manquement n’est pas moins grave parce que le syndicat a offert de présenter des griefs individuels au nom des membres qui auront fait l’objet de mesures disciplinaires ou auront été lésés en raison de la politique.

[43] Le Conseil fait remarquer que la plaignante n’a pas avancé que le syndicat avait agi de manière discriminatoire ni fait d’allégations précises à cet égard.

2. La décision de ne pas présenter de grief de principe

[44] Il est bien établi qu’un employé représenté par un syndicat n’a pas de droit lui permettant de renvoyer un grief à l’arbitrage; ce rôle revient au syndicat en tant qu’agent négociateur exclusif (voir McRaeJackson). Comme le Conseil l’a souligné dans Kasim, 2008 CCRI 432, le DRJ du syndicat ne signifie pas qu’un employé a un droit absolu à ce qu’un grief soit présenté et renvoyé à l’arbitrage. C’est au syndicat qu’il appartient de déterminer quels griefs sont présentés ou renvoyés à l’arbitrage et lesquels sont réglés ou retirés. Il n’est pas tenu de donner suite à un grief qui, selon lui, a peu de chances d’être accueilli. Le syndicat dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans la prise de décisions concernant la représentation qu’il offre à ses membres.

[45] La pandémie de COVID-19 a incontestablement posé des défis sans précédent aux employeurs et aux syndicats, ainsi qu’aux employés que ces derniers représentent. En l’espace d’une vingtaine de mois, l’état de la pandémie n’a cessé d’évoluer et la base de connaissances sur l’efficacité des différentes mesures s’est enrichie. L’industrie du transport aérien, en particulier, a dû s’adapter rapidement et constamment aux défis que la COVID-19 a posés pour les employés et pour l’ensemble des activités.

[46] Le syndicat, en tant qu’agent négociateur des agents de bord, a dû réagir rapidement, à divers niveaux, à l’évolution des circonstances pour s’assurer de représenter ses membres de façon appropriée et cohérente. Il a dû s’adapter constamment à une situation très fluide et dynamique. Lorsque la campagne de vaccination contre la COVID-19 a été lancée au début de 2021, la direction du syndicat s’est efforcée d’obtenir un accès rapide pour les agents de bord et, se fondant sur les conseils de santé publique, a encouragé tous ses membres à se faire vacciner pour qu’ils soient prêts à reprendre le service. À l’époque, la vaccination n’était pas obligatoire. Le syndicat a reconnu qu’un grand nombre de ses membres demandaient un accès prioritaire aux vaccins, tandis que d’autres membres s’interrogeaient sur leur efficacité ou leur sécurité.

[47] Le Conseil n’est pas d’accord avec la plaignante, qui soutient que la conduite du syndicat ou sa décision de ne pas présenter de grief de principe était arbitraire. Le syndicat était parfaitement au courant de l’objection de certains employés à la politique de vaccination. Comme le montre la chronologie des événements présentée ci-dessus, le syndicat a régulièrement fourni des renseignements à ses membres et les a tenus au courant de l’évolution de la situation, des annonces du gouvernement ainsi que de l’approche et des mesures adoptées par l’employeur au fil des événements.

[48] Air Canada a publié la première version de sa politique de vaccination en avril 2021, dans laquelle elle encourageait fortement ses employés à se faire vacciner. Cette version de la politique prévoyait également que, dans certains cas, les employés seraient tenus de se faire vacciner et que, s’ils ne respectaient pas les directives, ils s’exposeraient à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. À la suite de la communication de cette politique, le syndicat a publié un message sur le portail des membres indiquant qu’il avait soulevé auprès d’Air Canada des sujets de préoccupation possibles concernant la politique et sa conformité à la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[49] Le 13 août 2021, le gouvernement du Canada a officiellement annoncé qu’il exigerait que tous les employés travaillant dans les secteurs du transport aérien, ferroviaire et maritime sous réglementation fédérale soient vaccinés au plus tard à la fin d’octobre 2021. Le syndicat a demandé un avis juridique dès qu’il a appris l’intention du gouvernement d’ordonner aux compagnies aériennes de mettre en œuvre une politique de vaccination obligatoire. Il a communiqué cet avis juridique à ses membres le 19 août 2021. Cet avis concluait que les chances de succès d’une contestation de la politique de l’employeur étaient très faibles.

[50] Le syndicat a communiqué d’autres renseignements peu après qu’Air Canada eut annoncé sa politique de vaccination obligatoire le 25 août 2021. Dans ce message, le syndicat admettait que la vaccination obligatoire n’était pas bien accueillie par tous les membres, mais précisait qu’il était favorable aux vaccins, car il s’agissait d’un outil essentiel pour assurer un environnement de travail sûr pour tous et la reprise économique de l’industrie du transport aérien. Il soulignait l’inquiétude suscitée par les délais fixés dans la politique, mais mentionnait clairement que les employés non vaccinés ne pourraient être retirés des vols qu’à partir de novembre 2021. Le syndicat précisait également dans ce message qu’il contesterait les mesures disciplinaires individuelles prises contre des membres ayant choisi de ne pas se faire vacciner et qu’il chercherait à obtenir d’autres mesures d’adaptation.

[51] Le syndicat a demandé un deuxième avis juridique à un autre conseiller au sujet de la nouvelle politique de vaccination obligatoire d’Air Canada. Cet avis juridique a confirmé le premier avis reçu et le fait qu’une contestation de la politique elle-même avait peu de chances d’aboutir.

[52] La plaignante soutient que le syndicat aurait dû débattre des avis juridiques, y compris de leurs fondements et des analyses effectuées. Elle affirme que les avis ne répondent pas à la bonne question et portent sur l’arrêté du gouvernement plutôt que sur la politique de l’employeur.

[53] En toute déférence, la plaignante n’a pas convaincu le Conseil que la décision de ne pas présenter de grief de principe pour contester la politique de vaccination de l’employeur était arbitraire. De l’avis du Conseil, le syndicat s’est penché sur les questions en jeu et a communiqué activement avec ses membres.

[54] Le fait que le gouvernement fédéral ait pris un arrêté instruisant les compagnies aériennes d’adopter une politique de vaccination constitue une distinction importante par rapport à d’autres affaires dans lesquelles les employeurs n’étaient pas liés par une telle instruction. Même si l’arrêté no 43 n’a été pris qu’à la fin d’octobre 2021, après qu’Air Canada eut mis en place sa politique, le gouvernement fédéral avait clairement exprimé son intention, dans son annonce du 13 août 2021, d’imposer la vaccination obligatoire au secteur du transport aérien. Il est important de mentionner que les modalités de l’arrêté no 43 obligent l’employeur à mettre en place une politique de vaccination et que ces modalités sont très précises. Même si Air Canada ne disposait pas des modalités précises de l’arrêté en août ou en septembre 2021, il ressortait clairement des annonces du gouvernement qu’une exigence de vaccination obligatoire serait vraisemblablement imposée.

[55] Selon la plaignante, le syndicat aurait dû contester la politique de l’employeur compte tenu de l’issue favorable obtenue par d’autres syndicats lors de contestations similaires. À titre d’exemple, la plaignante cite l’arrêt Electrical Safety Authority. Or, le Conseil fait remarquer que, dans cette affaire, l’employeur n’était pas tenu par un arrêté gouvernemental de mettre en place une politique de vaccination. L’arbitre a parlé de l’approche nuancée à adopter pour évaluer une politique en milieu de travail qui lèse les droits de certaines personnes et de la conciliation des intérêts qui est nécessaire pour en déterminer le caractère raisonnable. Il a également souligné le fait que l’employeur n’était pas tenu par un arrêté gouvernemental d’instaurer une politique de vaccination :

[20] Il ne fait aucun doute que les risques associés à la contraction de la COVID-19 sont graves, tant pour les individus que pour la société. La réponse de chacun à l’infection varie, mais plus le nombre d’infections est élevé, plus le nombre de personnes hospitalisées et aux soins intensifs est important. La pression exercée sur notre système de santé est immense, et notre système de soins de longue durée a beaucoup souffert; les failles de ces systèmes ont été mises au jour, et il convient d’y remédier. Cependant, c’est aux gouvernements démocratiquement élus qu’il appartient de s’attaquer aux problèmes généraux de santé publique, et non aux employeurs. À l’heure actuelle, le gouvernement n’exige pas que tous les employés d’ESA soient vaccinés.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[56] En fin de compte, l’arbitre Stout a conclu que, compte tenu des circonstances et du contexte de ce milieu de travail, la politique adoptée était déraisonnable.

[57] Il convient de noter que l’arbitre Stout renvoyait également à la décision de l’arbitre Von Veh, qui avait jugé raisonnable une politique de vaccination obligatoire en raison du contexte dans lequel les employés travaillaient (voir United Food and Commercial Workers Union, Canada Local 333 v. Paragon Protection Ltd. (Policy Grievance), [2021] O.L.A.A. No. 435 (QL)).

[58] C’est dans ce contexte que le syndicat a demandé un avis juridique sur ses chances d’avoir gain de cause s’il présentait un grief de principe pour contester la politique de vaccination obligatoire d’Air Canada. Non seulement le milieu de travail d’une compagnie aérienne se distingue-t-il particulièrement de celui de la plupart des autres entreprises, mais le gouvernement fédéral avait clairement indiqué que son intention était d’enjoindre à tous les employeurs des secteurs du transport aérien, ferroviaire et maritime de mettre en œuvre des politiques de vaccination obligatoire. Cela a été officialisé dans l’arrêté no 43 pris par le ministre des Transports le 29 octobre 2021.

[59] La plaignante reproche au syndicat de ne pas avoir fourni les considérations pertinentes à ses conseillers juridiques ou d’avoir demandé des avis juridiques en ne posant pas la bonne question. En toute déférence, le Conseil n’est pas disposé à examiner cet argument. Il n’appartient pas au Conseil d’évaluer les questions posées aux conseillers juridiques ou les considérations qui leur ont été communiquées pour les guider dans la formulation de leurs avis juridiques. Le Conseil fait généralement preuve de retenue à l’égard de la confiance qu’un syndicat accorde aux avis de ses conseillers juridiques (voir Presseault, 2001 CCRI 138), et il ne procédera pas à un examen microscopique de ces avis, sauf dans des circonstances exceptionnelles. En conséquence, le Conseil n’ordonnera pas la production des documents sur lesquels les avis juridiques ont été fondés, comme l’a demandé la plaignante.

[60] En l’espèce, compte tenu de la complexité de la situation, le syndicat a demandé deux avis juridiques et a consulté son comité exécutif le 3 septembre 2021 pour déterminer s’il fallait présenter un grief de principe. Selon la plaignante, le syndicat n’a pas examiné en profondeur les questions et les facteurs pertinents. Or, à ce moment-là, la question était au premier plan des préoccupations du syndicat depuis un certain temps. Le syndicat était bien conscient de l’opinion de certains membres qui, pour diverses raisons ou croyances personnelles, s’opposaient à la vaccination. En fin de compte, il a décidé qu’il valait mieux consacrer ses efforts et ses ressources à des cas individuels afin d’obtenir des mesures d’adaptation adéquates.

[61] Comme il a été mentionné, il n’existe pas de droit absolu à l’arbitrage ni d’obligation de renvoyer un grief à l’arbitrage, même si un employé insiste. Il est bien établi que la décision de donner suite à un grief appartient au syndicat. Il doit prendre cette décision après avoir dûment étudié les circonstances. En l’espèce, le Conseil est d’avis que le syndicat s’est penché sur la question et a pris les mesures nécessaires pour évaluer ses chances d’obtenir gain de cause s’il contestait la politique au moyen de la procédure de règlement des griefs ou autrement. Le Conseil ne peut pas conclure que la décision du syndicat était arbitraire.

3. La conciliation des intérêts des membres

[62] Le Conseil a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas nécessairement de manquement au DRJ lorsqu’un syndicat prenait une décision qui favorisait un groupe d’employés par rapport à un autre (voir McRaeJackson; et Crispo, 2010 CCRI 527). Les syndicats prennent régulièrement des décisions difficiles qui nécessitent de concilier les intérêts de divers groupes parmi leurs membres. C’est ce qui s’observe dans les négociations collectives et dans les décisions relatives à la présentation de griefs.

[63] La plaignante reproche au syndicat de ne pas avoir tenu compte des préoccupations et des intérêts d’environ 10 % des membres de l’unité de négociation, qui subiront les conséquences de la politique. Elle soutient que le syndicat a agi de mauvaise foi en adoptant une attitude méprisante et en ne s’informant pas suffisamment auprès des membres qui ont soulevé des questions ou des préoccupations au sujet de la politique de vaccination obligatoire ou en ne communiquant pas avec eux.

[64] Dans le contexte de cette politique, il ne fait aucun doute que les membres qui choisissent de ne pas se faire vacciner ou de ne pas divulguer leur statut vaccinal seront touchés différemment de ceux qui se conforment à la politique. Cependant, le devoir qui est imposé au syndicat ne l’oblige pas à donner suite à chaque grief ou à intervenir dans chaque situation où les intérêts d’un employé sont touchés; le syndicat doit plutôt tenir compte des intérêts de tous les membres de l’unité de négociation et agir de façon juste. La Cour suprême du Canada a fait les commentaires suivants dans Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298 :

Les principes formulés dans l’arrêt Gagnon prévoient clairement un processus d’équilibration. Comme l’indique la présente situation, un syndicat doit, dans certaines circonstances, faire un choix entre des intérêts opposés pour résoudre un différend. En l’espèce, le choix du syndicat était clair en raison de l’erreur manifeste commise dans le processus de sélection. Le syndicat n’avait d’autre choix que d’adopter la position qui serait conforme à l’interprétation appropriée de la convention collective. Lorsque les employés ont des intérêts opposés, le syndicat peut choisir de défendre un ensemble d’intérêts au détriment d’un autre pourvu que sa décision ne découle pas des motifs irréguliers décrits précédemment et pourvu qu’il examine tous les facteurs pertinents. Le choix de présenter une demande plutôt qu’une autre ne peut en soi faire l’objet d’une objection. Ce sont plutôt les motifs sous-jacents et la méthode utilisée pour effectuer ce choix qui peuvent faire l’objet d’une objection.

(pages 1328-1329)

[65] En l’espèce, le syndicat a soutenu la vaccination de manière générale comme un moyen efficace d’assurer la santé et la sécurité de ses membres. Même si cette position du syndicat est en opposition avec l’opinion de certains membres, cela ne suffit pas en soi pour conclure que le syndicat a manqué à son DRJ. Dans le contexte de la pandémie actuelle, il existe des preuves scientifiques écrasantes de l’efficacité des vaccins dans l’effort d’éradication de la COVID-19. Partout au Canada, les autorités sanitaires affirment que la vaccination est l’un des moyens les plus efficaces de prévenir les infections graves, les hospitalisations et les décès causés par la COVID-19.

[66] Dans Electrical Safety Authority, l’arbitre Stout s’est exprimé en ces termes :

[6] Je tiens à faire remarquer que la présente affaire ne porte pas sur les mérites de la vaccination ou sur l’efficacité des vaccins contre la COVID-19. La science montre clairement que les vaccins contre la COVID-19 actuellement administrés sont sûrs et permettent de réduire le risque de tomber gravement malade ou de mourir de cette horrible maladie. De plus, la vaccination de la population est nécessaire pour protéger le système de santé fragile et, à terme, mettre cette pandémie derrière nous.

(traduction)

[67] La plaignante et d’autres membres peuvent s’opposer à la vaccination, mais les données scientifiques montrent très clairement que la vaccination est l’outil le plus efficace pour mettre fin à cette situation mondiale sans précédent. Le syndicat a adopté une position qui va dans le sens de ces données. Une grande majorité des membres appuient la politique de vaccination, comme en témoigne le taux élevé de vaccination parmi les employés de l’unité de négociation. Il n’y a tout simplement pas de preuve qui permette d’affirmer que le syndicat a agi de mauvaise foi en adoptant une position qui soutient et favorise la vaccination de ses membres.

[68] La plaignante laisse entendre que le syndicat n’a pas consulté les membres qui s’opposaient à la politique et qu’il n’a pas justifié sa décision de ne pas faire valoir leurs préoccupations au moyen de la procédure de règlement des griefs. Cependant, le syndicat n’est pas obligé de consulter chaque membre lorsqu’il cherche à déterminer s’il doit contester une politique de l’employeur qui a des répercussions différentes sur les membres. Dans une affaire concernant une politique de vaccination obligatoire contre l’hépatite A, la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique a rejeté l’allégation d’un employé qui prétendait que le syndicat avait agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi parce qu’il n’avait pas consulté ses membres avant d’entamer des discussions avec l’employeur. Le Conseil souscrit au raisonnement suivant dans Gordon v. Hotel, Restaurant & Culinary Employees & Bartenders Union, Local 40, BCLRB No. B138/2004; 2004 CanLII 65459 (Gordon) :

Gordon affirme également que les discussions du syndicat avec l’employeur au sujet du programme de vaccination obligatoire étaient inappropriées parce que les employés n’ont pas été consultés. En tant qu’agent négociateur exclusif, le syndicat doit, entre autres, représenter les employés et discuter avec l’employeur des questions liées au milieu de travail : voir, par exemple, l’article 53 du Code. Bien que l’on encourage la consultation des employés au sujet de changements dans les conditions de travail comme ceux qui se sont produits au Capri, il ne s’agit pas forcément d’une exigence du Code. Tant que le syndicat n’agit pas de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, il ne manque pas au devoir de représentation juste auquel il est tenu. En l’espèce, le syndicat s’est assuré que les actions de l’employeur étaient raisonnables et autorisées en droit, et il a veillé à ce que les employés bénéficient des exceptions prévues par la loi. Dans ces circonstances, je ne pense pas que le fait que le syndicat ait accepté le programme ou qu’il n’ait pas consulté les employés au préalable constitue une violation de l’article 12.

(page 9; traduction)

[69] Bien que l’EAC du SCFP n’ait pas discuté directement avec la plaignante, il a communiqué régulièrement avec ses membres pour faire le point sur la situation dans un environnement qui évoluait et évolue encore rapidement. Par ces communications, le syndicat a clairement indiqué qu’il était conscient des différents points de vue sur la vaccination. Il était également au courant des préoccupations particulières de la plaignante, qui lui avaient été communiquées dans la lettre de Mme Perrin du 30 août 2021. Comme il était question d’un grief de principe, l’ensemble des membres étaient concernés. Le syndicat devait prendre une décision dans l’intérêt de tous les employés membres de l’unité de négociation. Comme dans Gordon, le syndicat s’est assuré que la politique se situait dans les paramètres autorisés par le cadre législatif et qu’elle prévoyait des exceptions fondées sur les droits de la personne. De plus, le syndicat a clairement indiqué qu’il présenterait des griefs individuels pour obtenir des mesures d’adaptation lorsque cela serait possible. Un grief individuel est en fait en cours de traitement en ce qui concerne la situation particulière de Mme Watson. Le Conseil fait remarquer qu’il serait prématuré à ce stade-ci de se prononcer sur l’approche du syndicat dans ce processus.

[70] Le Conseil est convaincu que le syndicat n’a pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi dans son approche et ses communications avec les membres en ce qui concerne sa décision de ne pas présenter de grief de principe concernant la politique de vaccination de l’employeur.

4. La clause de la convention collective portant sur les droits de la direction

[71] La plaignante fait également valoir que la convention collective ne prévoit pas de politique de vaccination et que l’employeur n’a pas le droit d’imposer une procédure médicale aussi invasive comme condition d’emploi. À son avis, le syndicat aurait dû présenter un grief contre la politique ou exiger que l’employeur négocie les modalités de la politique. En ne le faisant pas, soutient-elle, le syndicat a manqué au DRJ auquel il est tenu à son endroit.

[72] L’interprétation que donne le syndicat à la convention collective diffère de celle de la plaignante. Selon le syndicat, le fait que la convention collective ne fasse pas expressément mention de la politique de vaccination de l’employeur ne remet pas en cause sa validité. Bien que le syndicat reconnaisse qu’il peut contester une nouvelle politique au moyen d’un grief, il estime que la clause de la convention collective portant sur les droits de la direction n’empêche pas l’employeur d’adopter de nouvelles politiques, pour autant que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les modalités de la convention collective ou d’autres lois applicables, comme la LCDP.

[73] Le Conseil reconnaît que la responsabilité ultime de décider de l’interprétation à donner à la convention collective revient au syndicat (voir Crispo). Celui-ci conserve donc, en l’espèce, le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il doit contester ou non le fait que la direction a dûment exercé ses droits en adoptant la politique de vaccination. Le désaccord de la plaignante avec la manière dont le syndicat a interprété la convention collective ne permet pas à lui seul de conclure que le syndicat a manqué au devoir auquel il est tenu.

IV. Conclusion

[74] Après avoir examiné attentivement les allégations de la plaignante et les observations écrites des parties, le Conseil n’est pas convaincu que l’approche du syndicat et sa décision de ne pas présenter de grief de principe pour contester la politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur étaient arbitraires, discriminatoires ou entachées de mauvaise foi. La plainte de manquement au DRJ est rejetée.

[75] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

Traduction

 

____________________

Ginette Brazeau

Présidente

 

____________________

Elizabeth Cameron

Membre

 

____________________

Daniel Thimineur

Membre

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.