Contenu de la décision
Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique,
Représentants des parties inscrits au dossier
Mme Joyce Cook, en son propre nom;
Me Trisha Gain, pour la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique.
Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.
[1]
L’article 16.1 du Code canadien du travail (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la présente affaire sans tenir d’audience.
[2]
Le Conseil attire l’attention sur le fait que la partie III du Code (Durée normale du travail, salaire, congés et jours fériés) a été modifiée le 1er janvier 2021, par la substitution du chef de la conformité et de l’application (le chef) au ministre du Travail. Dans la présente affaire, le Conseil fera référence à la ministre du Travail saisie de la demande (la ministre) lorsqu’il y aura lieu de le faire, en particulier dans la description des événements s’étant produits avant le 1er janvier 2021.
I.
Nature de l’affaire dont est saisi le Conseil
[4]
La Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (le CP ou l’employeur) a soulevé une objection relative à la compétence du Conseil pour statuer sur l’affaire. Le CP soutient que le Conseil n’a pas compétence, étant donné que Mme Cook allègue avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et qu’elle aurait dû déposer une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code. Selon l’employeur, la requérante n’a pas le droit de demander une indemnité de préavis et une indemnité de départ en vertu des dispositions du Code sur le recouvrement du salaire, car elle pouvait déposer une plainte de congédiement injuste.
[5]
Le Conseil doit donc trancher la question préliminaire de savoir s’il a compétence ou non pour instruire l’appel. Le Conseil a demandé aux parties, et obtenu de celles-ci, des observations détaillées quant à l’objection de l’employeur. Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil conclut que Mme Cook n’a pas le droit de réclamer des indemnités de départ et de préavis en vertu des articles 230 et 235 du Code, car elle pouvait se prévaloir d’un recours en vertu des dispositions du Code sur le congédiement injuste.
II.
Contexte
[8]
Le 22 octobre 2019, Mme Cook a déposé une plainte relative au salaire auprès d’EDSC, demandant une indemnité de départ et d’autres sommes réclamées au titre d’avantages sociaux et de son régime de pension, ainsi que des sommes correspondant à des actions.
[10]
Le CP a soulevé une objection auprès de l’inspectrice le 20 mars 2020, soutenant que cette dernière n’avait pas compétence pour trancher la plainte, car Mme Cook pouvait et aurait dû se prévaloir du recours contre le congédiement injuste pour contester le congédiement déguisé dont elle prétend avoir fait l’objet.
[12]
Le 6 août 2020, Mme Cook a présenté à la ministre une demande de révision concernant cette décision. La ministre a décidé de ne pas procéder elle-même à la révision et a transmis l’affaire au Conseil le 13 octobre 2020 pour qu’il l’instruise comme un appel.
[13]
L’employeur a soulevé une objection préliminaire quant à la compétence du Conseil pour statuer sur la présente affaire. Le CP soutient que la requérante n’a pas le droit de réclamer des indemnités de préavis et de départ au moyen d’une plainte en recouvrement du salaire, car elle pouvait et aurait dû déposer une plainte de congédiement injuste en vertu de l’article 240 du Code.
III.
Position des parties
A.
L’employeur
[16]
L’employeur s’appuie sur l’arrêt Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29; [2016] 1 R.C.S. 770 (Wilson), rendu par la Cour suprême du Canada (CSC), pour affirmer qu’un employé ne peut introduire une plainte pour obtenir des indemnités de préavis et de départ s’il dispose d’un recours en vertu des dispositions du Code sur le congédiement injuste. Selon l’employeur, la CSC a expliqué dans Wilson que les seuls employés qui peuvent avoir droit aux indemnités de préavis et de départ sont ceux qui ne peuvent se prévaloir du recours contre le congédiement injuste, soit parce qu’ils sont des directeurs, soit parce qu’ils ont été mis à pied en raison d’un manque de travail ou d’une suppression de poste, soit parce qu’ils ont travaillé moins de 12 mois.
[17]
L’employeur fait référence à trois décisions arbitrales dans lesquelles la question de la compétence a été examinée expressément à partir du raisonnement exposé dans Wilson, à savoir Scamp Transport Ltd. v. Marcille, 2017 CanLII 85802 (CA LA) (Scamp); Zora Holdings Ltd. v. Mahal, [2019] C.L.A.D. No. 196 (QL); et Total Oilfield Rentals Ltd. v. Watson (Payment Order Grievance), [2021] C.L.A.D. No. 28 (QL). À propos de Scamp, l’employeur affirme que l’arbitre Bartel a appliqué correctement le raisonnement de la majorité des juges de la CSC dans Wilson voulant que les dispositions du Code relatives aux indemnités de départ et de préavis ne s’appliquent que lorsque les dispositions sur le congédiement injuste ne s’appliquent pas, et qu’elles ne constituent pas une option qui peut être choisie à la place des dispositions sur le congédiement injuste.
[19]
L’employeur explique que dans Wilson, la CSC a précisé qu’un employeur ne peut licencier un employé sans motif valable sous le régime du Code. Cela signifie qu’un employeur ne peut licencier un employé en se contentant de lui verser les indemnités de préavis et de départ minimales prescrites aux articles 230 et 235 du Code. Lorsqu’un employé est licencié sans motif valable, il dispose d’un recours contre le congédiement injuste et il peut, s’il y a lieu, obtenir sa réintégration, ou l’un ou l’autre des redressements auxquels peut mener cette procédure. De l’avis de l’employeur, il s’ensuit que l’employé ne peut réclamer les indemnités de préavis et de départ au moyen d’une plainte de nature pécuniaire, alors qu’il est par ailleurs interdit à l’employeur d’offrir ces indemnités. Selon l’employeur, l’interprétation du droit aux indemnités de préavis et de départ donnée dans Wilson n’a pas amoindri les droits dont disposent les employés sous le régime du Code. En fait, cette interprétation a précisé que le recours contre le congédiement injuste est celui dont doit se prévaloir un employé qui y est admissible pour obtenir un redressement à la suite de son licenciement.
[20]
L’employeur avance que l’ajout du paragraphe 251.01(3.1) et la modification du paragraphe 251.01(4) du Code, en 2019, étaient des modifications de nature procédurale, qui n’ont modifié ni des droits fondamentaux ni l’interprétation explicitée dans Wilson. Il soutient que le paragraphe 251.01(3.1) confirme qu’un employé ne doit pas déposer de plainte en vertu des dispositions du Code sur le recouvrement du salaire s’il a déposé une plainte de congédiement injuste fondée essentiellement sur les mêmes faits. De même, il fait valoir que les modifications apportées au paragraphe 251.01(4) du Code confirment qu’un employé qui a déposé une plainte de congédiement injuste ne peut réclamer également des sommes au titre du salaire que si la plainte relative au salaire concerne une somme à laquelle il a droit. Cette disposition permet à un employé de conserver son éventuel droit à une indemnité de départ et à une indemnité de préavis pendant la durée d’un recours contre un congédiement injuste. Ainsi, l’employeur soutient que, contrairement à ce qu’affirme le chef, le droit d’un employé aux indemnités de préavis et de départ dépend encore des dispositions existantes qui se trouvent aux articles 230 et 235 du Code, ainsi que de leur interaction avec les dispositions sur le congédiement injuste, comme la CSC l’a énoncé dans Wilson.
[21]
L’employeur n’est pas d’accord avec le point de vue du chef selon lequel le pouvoir de ce dernier d’établir si un employé a été congédié pour un motif valable, aux fins de l’application du paragraphe 251(1.1) du Code, s’étend d’une manière ou d’une autre au droit aux indemnités de préavis et de départ, ou influe d’une quelconque façon sur le droit à ces indemnités. Le chef a seulement le pouvoir de trancher la question préliminaire de l’admissibilité, et ce pouvoir ne l’emporte pas et est sans incidence aucune sur les exigences décrites dans Wilson.
B.
Le chef
[23]
Selon le chef, le Conseil a compétence pour instruire l’appel.
[24]
Le chef attire l’attention sur des modifications récentes apportées au Code, entrées en vigueur en avril et en juillet 2019. Il affirme que ces modifications ont été apportées après que l’arrêt Wilson de la CSC et la décision arbitrale Scamp ont été rendus, et qu’il s’en dégage clairement qu’un employé assujetti à la compétence fédérale a droit à une indemnité de préavis et à une indemnité de départ en vertu des dispositions du Code relatives au recouvrement du salaire, et ce, même si cet employé aurait pu déposer une plainte de congédiement injuste.
[25]
Le chef soutient que la CSC a confirmé dans Wilson que les dispositions du Code sur le congédiement injuste avaient enlevé aux employeurs le droit de licencier des employés sans motif valable. Il affirme que Wilson a confirmé que les dispositions sur le congédiement injuste visaient à protéger les employés contre un congédiement illégal, et que cet arrêt indique clairement que les employeurs ne peuvent congédier des employés sans motif valable, en se contentant de leur verser des indemnités de préavis et de départ. Le chef soutient que l’extrait de Wilson sur lequel s’appuie l’employeur (voir paragraphe 47) n’était qu’une remarque incidente, qui « laissait la porte ouverte » (traduction) en ce qui a trait au droit des employés aux indemnités de préavis et de départ lorsque lesdits employés n’ont pas présenté de plainte de congédiement injuste.
[27]
Quoi qu’il en soit, le chef soutient également que les modifications législatives apportées en 2019 ont précisé que, selon l’intention du législateur, rien ne devait restreindre le choix de recours dont dispose un employé à la suite de son licenciement. Le chef attire en particulier l’attention sur des modifications apportées au paragraphe 251.01(4) du Code, et il cite des extraits de l’analyse ministérielle article par article qui appuyait le processus parlementaire, afin de faire ressortir l’intention derrière les modifications initialement proposées. Le chef soutient que les modifications ont levé toute ambiguïté pouvant avoir résulté de l’arrêt Wilson de la CSC et qu’elles permettent à un employé d’intenter un recours en recouvrement du salaire même s’il aurait pu déposer une plainte de congédiement injuste.
[28]
Le chef attire également l’attention sur l’ajout du paragraphe 251(1.1) du Code, qui lui donne le pouvoir d’établir si un employé a été congédié pour un motif valable afin déterminer si cet employé a droit à un salaire ou à une autre indemnité sous le régime de la partie III du Code. Selon le chef, l’ajout de cette nouvelle disposition lui donne clairement le pouvoir d’établir si un employé a été congédié pour un motif valable ou non, afin de déterminer si cet employé a droit aux indemnités de préavis et de départ. Il s’ensuit que l’employé peut réclamer ces sommes, même s’il est admissible à un redressement différent au titre de la procédure de congédiement injuste.
[29]
Finalement, le chef fait valoir que le Conseil devrait interpréter le Code d’une manière qui ne prive pas les employés des sommes auxquelles ils ont droit en vertu des articles 230 et 235. Le Conseil ne devrait pas exiger que les employés présentent des plaintes de congédiement injuste, car certains d’entre eux pourraient ne pas souhaiter être réintégrés. Le chef soutient également qu’il peut être plus long de traiter une plainte de congédiement injuste, ce qui pourrait amener certains employés à abandonner leur réclamation, et il attire l’attention sur les délais différents applicables au dépôt d’une plainte de congédiement injuste (90 jours) et au dépôt d’une plainte en recouvrement du salaire (6 mois). Le chef soutient que si l’employé n’a pas déposé de plainte de congédiement injuste à l’intérieur du délai prescrit, il se retrouvera sans recours, même s’il a déposé une plainte en recouvrement du salaire en temps opportun. Selon le chef, cela pour inciter des employeurs à ne pas verser les indemnités payables par suite d’un licenciement, dans l’espoir que les employés ne déposent pas de plainte de congédiement injuste avant l’expiration du délai prescrit.
C.
La requérante
[31]
Selon elle, cela signifie que la question du « motif valable », en ce qui a trait à son congédiement, peut être examinée en fonction des dispositions du Code sur le congédiement injuste aussi bien que dans la perspective des dispositions sur le recouvrement du salaire.
[32]
La requérante soutient également que sa plainte est nettement différente des plaintes examinées dans Scamp et Wilson. Selon elle, il ne devrait pas être permis à l’employeur de se soustraire à l’examen par un arbitre lorsqu’un employé conteste la légitimité de son congédiement.
[33]
Mme Cook expose à nouveau la chronologie des événements entourant son évaluation du rendement de 2017 et son retour au travail en février 2019. Elle soutient qu’elle n’avait pas d’autre choix que de démissionner, en conséquence des tactiques d’humiliation incessantes et de l’environnement de travail toxique.
IV.
Analyse
[34]
En juillet 2019, certaines modifications ont été apportées à la partie III du Code par suite du projet de loi C-44 (voir Loi no 1 d’exécution du budget de 2017). En conséquence, la responsabilité de trancher les appels relatifs au recouvrement du salaire et les plaintes de congédiement injuste a été transférée au Conseil, alors qu’antérieurement, ces plaintes et appels étaient tranchés par des arbitres nommés ponctuellement, sous le régime de la partie III, ou par des arbitres désignés par le ministre du Travail.
[4] Avant d’approfondir l’analyse de la cause juste, le Conseil aimerait souligner qu’une question se pose quant au droit de l’intimée de déposer une plainte en recouvrement du salaire, à la lumière des observations formulées par la Cour suprême du Canada (CSC) dans Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29; [2016] 1 R.C.S. 770. Dans cet arrêt, la CSC a examiné si un employeur peut procéder au congédiement non motivé d’un employé non syndiqué en vertu du Code. Ce faisant, la CSC a formulé des observations sur les rapports entre les droits d’un employé en vertu du régime de congédiement injuste et ses droits selon les dispositions sur le recouvrement du salaire. Les observations de la majorité semblent donner à entendre que, si un employé a le droit de déposer une plainte en vertu du régime de congédiement injuste, il pourrait ne pas avoir le droit de déposer aussi une plainte en recouvrement du salaire afin d’obtenir une indemnité de préavis et une indemnité de départ (voir paragraphe 47 de cet arrêt). Toutefois, cette question n’a pas été soumise à l’inspectrice, ni soulevée par cette dernière, et les parties ne l’ont pas non plus soulevée dans le cadre de la présente instance. Étant donné les circonstances et la conclusion finale tirée quant à la question de la cause juste, le Conseil n’examinera que cette question de la cause juste dans la présente décision.
[36]
La présente affaire est la première dans laquelle la question décrite ci-dessus est soulevée directement par l’une des parties pour contester la compétence de l’inspectrice et du Conseil sur l’affaire.
[37]
Il est important de passer en revue les dispositions pertinentes du Code pour évaluer si le Conseil peut assumer la compétence et trancher l’appel de Mme Cook lié à la plainte relative au salaire qu’elle a déposée dans le but d’obtenir des indemnités de préavis et de départ.
[38]
Le paragraphe 230(1) du Code établit le droit légal minimum à une indemnité de préavis et le paragraphe 235(1) fait de même pour ce qui est de l’indemnité de départ. Ces paragraphes sont ainsi libellés :
230 (1) Sauf cas prévu au paragraphe (2) et sauf s’il s’agit d’un congédiement justifié, l’employeur qui licencie un employé qui travaille pour lui sans interruption depuis au moins trois mois est tenu :
a) soit de donner à l’employé un préavis de licenciement écrit d’au moins deux semaines;
b) soit de verser, en guise et lieu de préavis, une indemnité égale à deux semaines de salaire au taux régulier pour le nombre d’heures de travail normal.
…
235 (1) L’employeur qui licencie un employé qui travaille pour lui sans interruption depuis au moins douze mois est tenu, sauf en cas de congédiement justifié, de verser à celui-ci le plus élevé des montants suivants :
a) deux jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal, pour chaque année de service;
b) cinq jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal.
251.01 (1) Tout employé peut déposer une plainte écrite auprès du chef s’il croit que l’employeur :
a) a contrevenu à une disposition de la présente partie ou des règlements pris en vertu de celle-ci;
b) ne se conforme pas à un arrêté.
240 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès du chef si :
a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;
b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.
(1.1) Si elle a déposé une plainte en vertu des paragraphes 246.1(1) ou 247.99(1), elle ne peut déposer, en vertu du paragraphe (1), une plainte fondée essentiellement sur les mêmes faits, à moins de retirer la première.
[42]
Pour en arriver à cette conclusion, la juge Abella (s’exprimant sur le fond au nom de la majorité) a examiné les origines des dispositions de la partie III du Code sur le congédiement injuste et a formulé les observations suivantes :
[41] Rappelons que le Parlement a apporté des modifications au Code en 1971, dont les dispositions prévoyant l’indemnité minimale à verser à l’employé licencié ayant travaillé pendant un certain nombre de mois consécutifs pourvu qu’il ne s’agisse pas d’un congédiement pour une juste cause ou justifié. Ces règles se trouvent maintenant aux par. 230(1) et 235(1) du Code, dans la partie III. Leur édiction n’a pas eu pour effet de codifier ni d’éteindre les règles de common law; elle offrait plutôt une alternative extrajudiciaire en prévoyant des droits minimaux à l’intention des employés congédiés désireux d’éviter les dépenses et l’incertitude liés à une action en justice (rapport Arthurs, p. 182183).
[42] En 1978, le Parlement a de nouveau modifié le Code et établi le régime de congédiement injuste, qui est prévu dans la version actuelle aux art. 240 à 246 à la partie III. La question centrale dont nous sommes saisis concerne l’effet des modifications de 1978 sur les droits des employés non syndiqués ayant été licenciés. Lors du dépôt du projet de loi, le ministre du Travail de l’époque, l’hon. John Munro, a tenu les propos suivants :
Nous espérons que les [modifications] donneront à ces travailleurs non syndiqués au moins une partie des normes minimales que les travailleurs syndiqués ont obtenues et qui font maintenant partie de toutes les conventions collectives. Nous ne voulons pas prétendre que les normes établies par le bill seront exactement celles que prévoient les conventions collectives. Nous voulons cependant établir des normes minimales. [Italiques ajoutés.]
(Débats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 30e lég., 13 décembre 1977, p. 1832)
[43] Il a expliqué ainsi l’objet des nouvelles dispositions sur le congédiement injuste devant le Comité permanent du Travail, de la Main-d’œuvre et de l’Immigration en mars 1978 :
Cette disposition fournit aux employés qui ne sont pas représentés par un syndicat, y compris les cadres et les membres de professions libérales, un droit d’appel contre tout congédiement arbitraire; ce droit assure une protection dont, selon le gouvernement, tous les travailleurs doivent bénéficier et qui figure également dans toutes les conventions collectives.
(Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent du Travail, de la Main d’œuvre et de l’Immigration, concernant Bill C-8, Loi modifiant le Code canadien du travail, no 11, 3e sess., 30e lég., 16 mars 1978, p. 46)
[44] Vu que cette déclaration mentionne le droit des employés à une protection « dont [...] tous les travailleurs doivent bénéficier » contre le congédiement arbitraire et le fait qu’une telle protection « figure également dans toutes les conventions collectives », il est difficile à mon avis de ne pas conclure que le Parlement entendait donner aux employés fédéraux non syndiqués des droits en cas de congédiement qui, s’ils ne sont pas identiques à ceux des employés syndiqués, y sont certainement analogues.
[45] En outre, l’intention du Parlement était manifeste au mois d’août précédent, lorsque le ministre a reconnu que les termes « juste » et « injuste » pouvaient sembler ambigus de prime abord, mais que la jurisprudence arbitrale considérable issue du mouvement syndical éclairerait la trajectoire dans le champ du congédiement d’employés fédéraux non syndiqués :
Il est parfois difficile de définir les expressions « juste » et « injuste ». Nous avons toutefois une volumineuse jurisprudence sur les congédiements dans le secteur organisé. Elle renferme des précédents qui permettront aux arbitres de trancher la question de savoir si un licenciement est justifié ou s’il ne l’est pas. Chaque cas doit être décidé d’après les circonstances, mais l’application des principes de justice et de bon sens a nettement établi ce qu’est un congédiement juste ou injuste.
(L’hon. John Munro, « Les 14 points Munro : l’amélioration de la situation des travailleurs non syndiqués » (1977), 77 La gazette du travail 418, p. 420421)
[46] Et c’est ainsi que les auteurs en droit du travail et presque tous les arbitres nommés pour appliquer les nouvelles dispositions de 1978 prévues aux art. 240 à 246 les ont interprétées : elles avaient pour objet de présenter une alternative législative aux règles de common law régissant le congédiement et d’harmoniser les mesures de protection contre le congédiement injuste offertes aux employés fédéraux non syndiqués avec celles offertes aux syndiqués (Geoffrey England, « Unjust Dismissal in the Federal Jurisdiction : The First Three Years » (1982), 12 Man. L.J. 9, p. 10; Innis Christie, Employment Law in Canada (2e éd. 1993), p. 669; rapport Arthurs, p. 182183).
[47] Les modifications de 1978 avaient pour effet de restreindre l’application du par. 230(1) (préavis) et du par. 235(1) (indemnité de départ minimale) aux situations non visées par les dispositions sur le congédiement injuste. Par exemple, les prescriptions en matière de préavis et d’indemnité de départ prévues aux par. 230(1) et 235(1) s’appliquent aux directeurs, à ceux qui sont mis à pied en raison d’un manque de travail ou d’une suppression de poste et, dans le cas du par. 230(1), aux employés ayant travaillé pour l’employeur pour plus de 3 mois consécutifs, mais moins de 12 mois. Autrement dit, les par. 230(1) et 235(1) n’offrent pas une alternative aux dispositions sur le congédiement injuste; elles s’appliquent seulement à ceux qui ne se prévalent pas des art. 240 à 246 ou ne peuvent s’en prévaloir (Redlon Agencies, par. 3839; Wolf Lake First Nation c. Young, 1997 CanLII 5057 (C.F. 1re inst.), par. 50).
…
[63] En fait, la prémisse fondamentale du régime de common law, à savoir qu’il existe un droit de congédier un employé sans motif moyennant un préavis raisonnable, a été remplacée complètement par un régime prévu dans le Code exigeant que le congédiement soit motivé. En outre, la constellation des réparations à la disposition de l’arbitre – notamment la réintégration dans l’emploi et les autres mesures équitables qu’il peut accorder en vertu de l’al. 242(4)c) – est incompatible avec un tel droit. Si l’employeur était autorisé par le Code à congédier un employé sans motif à la seule condition qu’il verse à ce dernier une indemnité de départ adéquate, la pluralité des réparations que mettent les art. 240 à 245 à la disposition de l’arbitre ne servirait pratiquement à rien.
[43]
Il est passablement certain, à la lumière du raisonnement de la majorité dans Wilson, que l’objet du régime institué à la partie III du Code était de procurer aux employés non syndiqués une protection contre le congédiement injuste comparable à celle dont disposent les employés visés par une convention collective. En outre, la CSC a expliqué que les modifications de 1978 ne faisaient pas qu’offrir une solution de rechange aux règles de common law régissant le licenciement, mais qu’elles ont également remplacé les indemnités de préavis et de départ minimums dans les affaires où les employés ont accès à des mesures de redressement plus globales, en vertu des dispositions du Code sur le congédiement injuste.
[44]
Le Conseil fait observer que son interprétation de l’exposé du droit fait par la majorité des juges de la CSC a été adoptée et appliquée par une arbitre dans Scamp, un appel relatif au recouvrement du salaire. Dans cette affaire, M. Mark Marcille avait déposé une plainte de nature pécuniaire, réclamant un salaire impayé ainsi que des indemnités de préavis et de départ par suite de son congédiement. À la suite d’une enquête, l’inspectrice avait conclu que M. Marcille avait été congédié sans motif valable et avait en conséquence ordonné à l’employeur de payer des indemnités de préavis et de départ. L’employeur avait présenté une demande de révision, par suite de laquelle la ministre avait confirmé l’ordre de paiement. L’employeur avait alors interjeté appel de cette décision en vertu du paragraphe 251.11(1) du Code, faisant valoir qu’il avait un motif valable pour mettre fin à l’emploi de M. Marcille, car celui-ci s’était livré à une inconduite grave et délibérée. L’affaire avait donc été renvoyée à une arbitre en recouvrement du salaire, en application du paragraphe 251.12(1) du Code.
[46]
Qui plus est, à la lumière des observations formulées par la CSC dans Wilson et par la Cour fédérale dans Wolf Lake First Nation c. Young, 1997 CanLII 5057 (CF), l’arbitre Bartel a conclu que M. Marcille n’avait pas le droit de réclamer des indemnités de préavis et de départ en vertu des dispositions du Code sur le recouvrement du salaire, car les exigences en matière de préavis et d’indemnité de départ minimum, respectivement établies aux paragraphes 230(1) et 235(1) du Code, ne s’appliquaient que dans des circonstances excédant la portée des dispositions sur le congédiement injuste et n’offraient pas une solution de rechange à ces dispositions (voir paragraphe 30).
[49]
Le chef fait également valoir que les modifications législatives de 2019 visaient à résoudre la confusion suscitée par l’arrêt Wilson et ont précisé que des employés peuvent obtenir le versement d’indemnités de préavis et de départ au moyen d’une plainte en recouvrement du salaire, même s’ils disposent d’un recours en vertu des dispositions sur le congédiement injuste.
[50]
Le Conseil ne souscrit pas à cette interprétation du chef.
251.01(3.1)
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(3.1) Si l’employé a déposé une plainte en vertu des paragraphes 240(1), 246.1(1) ou 247.99(1) il ne peut déposer, en vertu du paragraphe (1), une plainte fondée essentiellement sur les mêmes faits, à moins de retirer la première.
Limitation
(3.1) An employee shall not make a complaint under subsection (1) if they have made a complaint that is based on substantially the same facts under any of subsections 240(1), 246.1(1) and 247.99(1), unless that complaint has been withdrawn.
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251.01(4)
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(4) Un employé ne peut se prévaloir du paragraphe (1) pour déposer une plainte au motif qu’il se croit injustement congédié.
Limitation
(4) An employee is not permitted to make a complaint under subsection (1) if the complaint is that the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.
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Exception
Exception
(4) Despite subsection (3.1), the employee may file a complaint under subsection (1) if it relates only to the payment of their wages or other amounts to which they are entitled under this Part, including amounts referred to in subsections 230(1) and 235(1), but that complaint is suspended until the day on which the complaint made under subsection 240(1), 246.1(1) or 247.99(1), as the case may be, is withdrawn or resolved.
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[54]
Deuxièmement, il est important d’examiner le raisonnement sur lequel s’est fondée la majorité des juges de la CSC dans Wilson. Selon le raisonnement de la CSC, lorsque le législateur a adopté les dispositions du Code sur le congédiement injuste en 1978, il a retiré aux employeurs la possibilité de congédier des employés en versant les indemnités de préavis et de départ minimums, et il a accordé aux employés non représentés des droits et une protection comparables à ceux dont bénéficient les employés visés par une convention collective. En d’autres mots, il a remplacé les normes minimums prévues aux articles 230 et 235 du Code par des droits et protections plus considérables. Le maintien en emploi d’un employé régi par le Code et admissible au régime de congédiement injuste est garanti, et cet employé ne peut être congédié que si l’employeur peut démontrer l’existence d’un motif valable de congédiement. Lorsqu’un employé est injustement congédié, il a droit à des mesures de redressement plus importantes que les indemnités minimums, soit à la réintégration et à d’autres redressements équitables. Comme le fait clairement ressortir le raisonnement de la majorité dans Wilson, ce sont les modifications législatives de 1978 qui ont établi ce régime unique pour les employés non représentés des secteurs de compétence fédérale. Il s’agit d’une distinction clé dans le domaine du droit du travail, lorsque l’on compare ce régime fédéral à divers régimes provinciaux des normes du travail.
[55]
De l’avis du Conseil, les modifications apportées au Code en 2019 n’ont pas invalidé le fondement de cette interprétation faite par la majorité des juges de la CSC dans Wilson. Ces modifications n’ont rien changé aux droits fondamentaux que procure le régime sur le congédiement injuste aux employés licenciés.
[56]
Le chef fait référence à l’analyse ministérielle article par article à l’appui des modifications législatives de 2019, et il soutient que l’objet des modifications apportées à l’article 251.01 du Code était de lever toute ambiguïté concernant la possibilité, pour l’employé, de se prévaloir du recours qui lui convient le mieux, qu’il s’agisse d’une plainte de nature pécuniaire fondée sur l’article 251.01 ou d’une plainte de congédiement injuste fondée sur l’article 240.
41. …
(traduction)
44. …
Le paragraphe (4) est quant à lui remplacé par une nouvelle disposition, qui prévoit qu’un employé qui décide de déposer une plainte de congédiement injuste, une plainte pour représailles ou une plainte relative aux tests génétiques peut se prévaloir de la procédure de recouvrement du salaire prévue au Code si la plainte déposée en vertu du paragraphe 251.01(1) ne vise qu’à obtenir le versement de tout salaire ou autre indemnité auxquels il a droit sous le régime de la partie III (y compris les indemnités de départ et de préavis). Dans cette situation, la plainte fondée sur le paragraphe 251.01(1) est suspendue jusqu’au retrait ou au règlement de la plainte de congédiement injuste, de la plainte pour représailles ou de la plainte relative aux tests génétiques.
(traduction)
[61]
Troisièmement, selon un principe clé de l’interprétation législative, les dispositions d’une loi doivent être interprétées de manière logique et cohérente (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e édition, Ottawa, LexisNexis, 2014, aux paragraphes 10.37 et 11.2). Dans Wilson, la CSC a confirmé que l’intention du législateur était d’interdire à un employeur de licencier un employé sans motif valable, en se contentant de lui verser les indemnités de préavis et de départ prévues par la loi. Comme l’a mentionné l’arbitre Bartel dans Scamp, il est donc difficile d’accepter, sur le plan conceptuel, une interprétation de la partie III du Code qui permettrait à un employé de réclamer ces mêmes indemnités prévues par la loi au motif qu’il a fait l’objet d’un congédiement non motivé. Autrement dit, le Conseil a beaucoup de difficulté à accepter une interprétation qui permettrait à un employé de réclamer les indemnités de préavis et de départ prévues par la loi dans une situation où il est interdit à l’employeur d’offrir ces paiements à un employé qu’il souhaite licencier. Une telle interprétation est de nature à dérouter les employeurs qui, d’une part, n’ont pas le droit de licencier un employé sans motif valable en le dédommageant par le versement des indemnités légales de préavis et de départ, mais à qui le chef ordonne d’autre part de verser ces mêmes indemnités, par suite d’une plainte relative au salaire. Selon le Conseil, cette interprétation n’est pas cohérente, car elle aboutit à un résultat incongru.
[62]
Finalement, si l’objet des modifications de 1978 était de donner à des employés non représentés des droits analogues à ceux dont disposent les employés visés par une convention collective, il s’ensuit que les recours et redressements devraient être essentiellement les mêmes.
[63]
Les employés visés par une convention collective qui ont été licenciés sans motif valable disposent normalement d’un recours pour contester leur licenciement au moyen de la procédure de règlement des griefs. De manière générale, la jurisprudence arbitrale établit que ces employés ont droit à la réintégration ou, lorsque ce redressement ne convient pas, à un dédommagement approprié, généralement supérieur aux normes minimums établies par la loi. Les employés dans cette situation ne disposent d’aucun autre recours qui leur permettrait de réclamer les indemnités de préavis et de départ, en se prévalant d’une procédure différente. Ils peuvent fort bien négocier un règlement avec l’aide de leur agent négociateur ou dans le cadre d’une médiation. Toutefois, les discussions relatives à un règlement se fonderont sur leur droit de ne pas être licenciés sans motif valable, et sur le large éventail de mesures de redressement établi dans la jurisprudence arbitrale. Cela peut déboucher sur des règlements fort différents des droits minimums prévus par la loi.
[65]
Contrairement à ce que prétend le chef, cette interprétation ne prive pas les employés des droits minimums. Elle met plutôt l’accent sur le fait que les droits minimums des employés admissibles au régime de congédiement injuste sont la réintégration, le salaire rétroactif et d’autres mesures de redressement appropriées. Ces droits excèdent les normes légales minimums et devraient servir de base aux mesures de redressement potentielles lorsque des employeurs ne peuvent démontrer qu’un congédiement se fondait sur un motif valable.
[68]
Par ailleurs, le Conseil rejette l’affirmation du chef voulant qu’une telle interprétation puisse inciter des employeurs à congédier des employés sans motif valable, puisque les employés seront réticents à déposer des plaintes de congédiement injuste ou pourraient ne pas déposer ces plaintes avant l’expiration du délai prescrit. Le Conseil n’est pas disposé à supposer que les employeurs sont animés par de viles intentions; la majorité d’entre eux agissent de bonne foi. Quoi qu’il en soit, le fait que les délais pour déposer une plainte puissent être différents est sans incidence sur l’interprétation des droits fondamentaux des employés. Il pourrait être possible de mieux informer les employés de leurs droits et de les guider aux étapes initiales d’une plainte afin qu’ils soient orientés en temps opportun vers les recours pertinents. Le chef pourrait par ailleurs entreprendre des démarches pour que des modifications soient apportées à la loi, qui harmoniseraient les délais applicables à ces différents recours prévus à la partie III du Code.
[69]
Pour ces motifs, le Conseil conclut que Mme Cook ne peut demander des indemnités de préavis et de départ en vertu des articles 230 et 235 du Code. Il n’a été présenté au Conseil aucune observation et aucun argument indiquant que Mme Cook ne répondait pas aux exigences pour déposer une plainte de congédiement injuste. Mme Cook aurait donc dû se prévaloir du recours contre le congédiement injuste prévu au Code.
V.
Conclusion
[72]
L’appel est par conséquent rejeté.
[73]
Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.
Traduction
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