Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Roger Abdo,

plaignant,

et

Alliance de la Fonction publique du Canada,

intimée,

et

Aéroports de Montréal,

employeur.

Dossier du Conseil : 32470-C

Référence neutre : 2019 CCRI 897

Le 12 février 2019

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, ainsi que de Mes Richard Brabander et Daniel Thimineur, Membres.

Procureurs inscrits au dossier

Me Jean-Philippe Ponce, pour M. Roger Abdo;

Mme Lindsay Cheong, pour Alliance de la Fonction publique du Canada;

Me Luc Beaulieu, pour Aéroports de Montréal.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre la présente décision sans tenir d’audience.

I. Nature de la plainte

[1] Il s’agit d’une plainte de pratiques déloyales de travail déposée le 9 février 2018, en vertu du paragraphe 97(1) du Code, par M. Roger Abdo (le plaignant), alléguant violation de l’article 37 du Code par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le syndicat). M. Abdo reproche à son syndicat de ne pas avoir renvoyé son grief à l’arbitrage dans les délais prescrits par la convention collective. Il allègue que le syndicat a agi de façon arbitraire, superficielle, inattentive et discriminatoire dans le traitement du grief no 2016-22.

II. Faits

[2] M. Abdo est à l’emploi d’Aéroports de Montréal (l’employeur ou ADM) depuis le 9 janvier 2012 et occupe présentement le poste d’ingénieur mécanique.

[3] Le 14 octobre 2016, M. Abdo a reçu un avis disciplinaire écrit concernant des propos inappropriés et irrespectueux qu’il aurait tenus à l’endroit de son superviseur. Dans cet avis disciplinaire, l’employeur demandait au plaignant, entre autres, de modifier immédiatement son comportement et de communiquer avec respect.

[4] Le 5 décembre 2016, le syndicat a déposé un grief contestant la mesure disciplinaire. Le grief de M. Abdo (no 2016-22) a été traité par le Comité de griefs lors d’une réunion tenue le 27 février 2017. Sans engagement de la part de l’employeur, il a alors été convenu que le syndicat proposerait une modification au contenu de l’avis disciplinaire émis à M. Abdo le 14 octobre 2016 pour régler son dossier. Le 15 mars 2017, Mme Josée Dubois, présidente de l’Unité des cols blancs (UCB) d’ADM, section locale 10157 de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, a transmis un courriel à l’employeur lui réitérant que le syndicat souhaitait faire modifier le contenu de l’avis écrit remis à M. Abdo le 14 octobre 2016. Le courriel précisait aussi que M. Abdo était prêt à reconnaître que certains propos qu’il avait tenus étaient inappropriés et irrespectueux. Le 11 avril 2017, l’employeur a invité le syndicat à proposer une modification et lui a précisé qu’il en analyserait la teneur.

[5] Le 4 mai 2017, Mme Dubois a transmis la proposition de modification de l’avis écrit du 14 octobre 2016 à l’employeur. Dès le lendemain, soit le 5 mai 2017, l’employeur a refusé la proposition de modification du syndicat.

[6] Vers le 10 octobre 2017, n’ayant pas renvoyé le grief de M. Abdo à l’arbitrage dans les 30 jours suivant la réunion du Comité de griefs du 27 février 2017, le syndicat a demandé à l’employeur de lui octroyer une prorogation de délai, entre autres, pour le dossier de grief de M. Abdo. L’employeur a refusé cette demande et a considéré le grief comme abandonné.

[7] Le 13 janvier 2018, le syndicat a informé M. Abdo qu’à la suite de la réunion du Comité de griefs du 27 février 2017, leur représentant intérimaire n’avait pas transmis son grief à l’arbitrage dans le délai de 30 jours prévu par la convention collective, et que ledit grief était donc considéré comme abandonné puisque l’employeur avait refusé de proroger le délai. Le syndicat aurait alors suggéré à M. Abdo de déposer auprès du Conseil une plainte de manquement au devoir de représentation juste en vertu de l’article 37 du Code.

III. Position des parties

A. Le plaignant

[8] Le plaignant soutient que le syndicat n’a pas agi de manière diligente ou avec célérité entre la réunion du 27 février et le mois de mai 2017, et que l’inaction du syndicat relative au grief no 2016-22 témoigne d’une attitude non concernée à son endroit, ce qui fait en sorte que ses droits ont été perdus. Le plaignant ajoute que le manque de communication du syndicat ainsi que son incurie lui ont fait perdre son droit à l’arbitrage. Il estime que l’incompétence et l’attitude du syndicat constituent un sérieux manquement au devoir de représentation juste. Le plaignant demande que le Conseil accueille sa plainte, que son grief soit renvoyé à l’arbitrage et que les frais soient assumés par le syndicat.

B. Le syndicat

[9] Le syndicat admet que le grief du plaignant n’a pas été renvoyé à l’arbitrage comme il aurait dû l’être. Il soutient que le simple fait de ne pas renvoyer le grief no 2016-22 à l’arbitrage n’équivaut pas à un comportement discriminatoire. Il soumet, entre autres, que M. Vincent Carl Leriche, le représentant syndical qui a été assigné au dossier de M. Abdo, ne possédait aucune expérience et travaillait à titre de représentant régional intérimaire. Le syndicat fait valoir le manque d’expérience de M. Leriche au sein de la section locale 10157 du syndicat et sa méconnaissance de la convention collective en vigueur.

[10] Selon le syndicat, M. Leriche aurait tenté d’acheminer ledit grief au siège social à Ottawa en mai 2017, lequel est responsable de renvoyer les griefs à l’arbitrage, mais que son envoi postal n’a pas été reçu. Le syndicat ajoute avoir demandé à l’employeur de proroger le délai malgré le retard, mais que ce dernier a refusé. Le syndicat estime que ni la plainte ni les faits ne démontrent un comportement discriminatoire à l’endroit du plaignant.

[11] Ultimement, le syndicat ne croit pas non plus qu’il ait agi de manière arbitraire envers le plaignant. Il invoque pour appuyer ses arguments la décision Haley (1980), 41 di 295; [1980] 3 Can LRBR 501; et 81 CLLC 16,070 (CCRT no 271) (Haley 271) pour faire valoir que le sérieux du grief no 2016-22 n’est pas assez important pour conclure à un manquement au devoir de représentation juste envers le plaignant. Le syndicat invoque une disposition de réexamen prévue à la convention collective qui fait en sorte que la mesure disciplinaire ne figurera pas de façon permanente au dossier de M. Abdo. De plus, le syndicat soutient que l’avis écrit n’a aucun impact financier pour le plaignant. Il estime que le Conseil doit, lorsqu’il a à statuer sur la conduite arbitraire d’un syndicat, tenir compte de certains éléments, notamment l’importance du grief, l’impact sur le plaignant, le sérieux du grief et le niveau de compétence du représentant syndical. Dans les circonstances décrites ci-dessus, le syndicat demande le rejet de la plainte de M. Abdo.

C. L’employeur

[12] L’employeur ne voit pas la situation de la même manière que le syndicat. En bref, il soutient qu’il y a eu collusion dans le présent dossier entre le syndicat et le plaignant quant au dépôt de la plainte de M. Abdo. Il fait notamment référence au courriel de Mme Dubois, adressé à M. Abdo, suggérant à ce dernier « de déposer une plainte de manquement au devoir de représentation en vertu de l’article 37 du [C]ode canadien du travail afin de rouvrir les délais ». Dans ce même courriel, Mme Dubois transmet au plaignant un lien pour obtenir le formulaire de plainte du Conseil, afférent à une plainte de manquement au devoir de représentation juste.

[13] L’employeur ajoute, vu les circonstances mentionnées ci-dessus, qu’il est en droit d’intervenir relativement au bien-fondé de la plainte, et ce, tant sur le bien-fondé que sur les redressements qui pourraient être ordonnés par le Conseil, le cas échéant.

[14] L’employeur demande donc qu’il lui soit permis d’intervenir activement dans le dossier de la plainte et demande aussi à ce qu’elle soit rejetée.

D. La réplique du plaignant

[15] En réplique aux observations du syndicat, le plaignant fait valoir que suivant l’avis disciplinaire du 14 octobre 2016 faisant l’objet du grief no 2016-22, l’employeur lui a imposé une autre mesure disciplinaire en mars 2017, soit une suspension d’une journée, de sorte que l’inaction du syndicat à son endroit lui a causé un préjudice sérieux. Il ajoute que ladite mesure disciplinaire a fait l’objet d’un grief qui a été renvoyé à l’arbitrage.

[16] Dans sa réplique aux observations de l’employeur, le plaignant nie vigoureusement les allégations de collusion entre lui et le syndicat. Il estime de plus que l’employeur tente de minimiser la sévérité de l’avis disciplinaire du 14 octobre 2016, et soutient que cet avis écrit porte atteinte à son intégrité en raison de reproches sur le plan éthique.

IV. Analyse et décision

[17] L’article 37 du Code se lit ainsi :

Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[18] La jurisprudence concernant le devoir de représentation juste du syndicat est bien établie. La Cour suprême du Canada dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, a énoncé dans les termes suivants les principes relatifs à ce devoir :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

(page 527)

[19] La jurisprudence du Conseil prévoit qu’un syndicat agit de manière discriminatoire lorsqu’il fait des distinctions entre ses membres pour des raisons illégales, arbitraires ou déraisonnables (voir Bayers, 2008 CCRI 416). Elle précise également qu’un syndicat agit de manière arbitraire lorsque ses actions ou omissions excèdent la simple négligence et correspondent à de la négligence grave (voir Griffiths, 2002 CCRI 208).

[20] Dans la décision Adams, 2000 CCRI 95 (confirmée en réexamen dans Adams, 2001 CCRI 121), le Conseil a fait droit à la plainte de M. Adams et a conclu que son syndicat, le Conseil canadien des syndicats opérationnels de chemins de fer, avait manqué à son devoir de représentation juste prévu à l’article 37 du Code en ne le représentant pas adéquatement dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage. Le Conseil a conclu que le dossier de M. Adams avait été traité de manière désinvolte, sans la rigueur nécessaire. Cette décision résume bien le rôle du Conseil dans le cadre d’une plainte en vertu de l’article 37 du Code et les critères applicables lorsqu’il s’agit de déterminer si un syndicat a fait preuve de négligence grave, voire s’il a eu une conduite arbitraire :

[49] Le Conseil a répété à maintes reprises que son rôle ne consiste pas à être un tribunal d’appel des décisions prises par les représentants syndicaux, mais plutôt à remédier à l’abus du pouvoir exclusif d’agent négociateur des syndicats. En l’instance, il s’agit d’évaluer si le syndicat s’est comporté de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi envers M. Adams en ce qui a trait à la présentation de son dossier à l’arbitrage.

[50] Le Conseil s’est prononcé sur la très grande latitude accordée au syndicat pour décider ou non de renvoyer un grief à l’arbitrage. Le Conseil n’a pas à examiner à la loupe le travail du syndicat, que ce soit dans son choix de renvoyer ou non un grief à l’arbitrage ou dans sa présentation du grief à l’arbitrage. La question que doit trancher le Conseil est celle de savoir si le syndicat s’est penché sérieusement sur la question soumise à l’arbitrage.

[51] Dans Haley (1981), 41 di 311; [1981] 2 Can LRBR 121; et 81 CLLC 16,096 (CCRT no 304), le Conseil a décrit certains comportements interdits allant à l’encontre du devoir de représentation juste :

Il n’incombe pas au Conseil de changer les priorités d’un syndicat, de distribuer les ressources de ce dernier de commenter le choix de ses dirigeants, de se substituer à lui dans la prise de ses décisions ou de critiquer les résultats de ses négociations. Notre tâche consiste à veiller à ce qu’il ne fasse pas preuve d’injustice ou de discrimination en exerçant le pouvoir exclusif de la majorité. Les décisionnaires des syndicats ne doivent pas agir avec duplicité ou pour des raisons inavouables, comme celles qu’interdit la législation sur les droits de la personne, ou par antipathie personnelle, esprit de vengeance ou malhonnêteté. Ils ne doivent pas se montrer arbitraires en ne faisant pas d’enquête ou en ne menant qu’une enquête hâtive ou superficielle sur le grief d’un employé. Le devoir de représentation juste ne garantit pas au groupe ni à l’individu que les décisionnaires des syndicats seront mûrs, sages, sensibles, compétents, efficaces et que leur emploi leur convient...

Mais la loi n’admet pas d’emblée toutes les actions prises de bonne foi. Certaines formes d’action ou d’inaction témoignent d’un abandon si total des responsabilités qu’il ne s’agit plus simplement d’incompétence, mais bien d’une absence absolue de représentation... Certaines façons d’agir sont si arbitraires ou témoignent d’une négligence si grave qu’elles ne peuvent être considérés comme équitables...

(pages 324-325; 131-132; et 615)

[52] Dans Cloutier (1981), 40 di 222; [1981] 2 Can LRBR 335; et 81 CLLC 16,108 (CCRT no 319), le Conseil a traité des trois éléments du comportement du syndicat à évaluer dans une plainte en vertu de l’article 37 : la nature de la plainte déposée, le degré de raffinement du syndicat et les démarches prises par le syndicat. Dans un premier temps, le Conseil reconnaît qu’un grief qui touche à la carrière d’un travailleur devra nécessairement être traité avec plus de rigueur, tant par le syndicat que par le Conseil. Deuxièmement, la décision du Conseil sur la démarche raisonnable du syndicat sera calibrée par les moyens et l’expérience du syndicat. Troisièmement, le Conseil se penchera sur les pratiques, politiques et critères appliqués par le syndicat pour résoudre l’affaire en question « par rapport aux autres dossiers semblables qui viennent régulièrement dans l’aire de son administration des griefs » (voir aux pages 226-230; 338-341; et 698-701).

[53] Dans Gagnon (1992), 88 di 52 (CCRT no 939), le Conseil a aussi retenu que la piètre qualité des communications entre le syndicat et le plaignant ne constituait pas en soi un manquement au devoir de représentation juste. Ce qui doit être établi, c’est qu’il y a eu négligence grave de la part du syndicat dans son traitement du grief du plaignant. Par contre dans Brideau (1986), 63 di 215; 12 CLRBR (NS) 245; et 86 CLLC 16,012 (CCRT no 550), le Conseil n’a pas définitivement écarté la possibilité qu’un manque de communication ne puisse pas donner lieu à une violation de l’article 37. Ainsi, un échange inadéquat entre le syndicat et le plaignant qui porterait préjudice à la position de ce dernier pourrait donner lieu à un manquement au devoir de représentation. Dans Shanks (1996), 100 di 59 (CCRT no 1157), le Conseil a statué que la principale lacune reprochée au syndicat ne doit pas être « la médiocrité des communications au sein du syndicat, mais bien la négligence et l’inaction prolongée de la part du syndicat dans l’exercice de son pouvoir exclusif » (page 71). De cette jurisprudence se dégage le principe que même si un manque de communication ne mène pas inéluctablement à une violation, la conduite du syndicat sur ce point précis doit être évaluée dans chaque cas.

(c’est nous qui soulignons)

[21] À la lumière des principes énoncés ci-dessus, le Conseil doit donc déterminer si le syndicat, en l’espèce, s’est comporté de façon arbitraire ou discriminatoire envers le plaignant. D’entrée de jeu, aucun élément de preuve dans ce dossier ne permet au Conseil de conclure que le syndicat a eu un comportement discriminatoire à l’endroit de M. Abdo.

[22]  Les questions qui demeurent sont les suivantes : le syndicat a-t-il, à la suite de l’omission d’un de ses représentants de renvoyer le grief du plaignant à l’arbitrage, manqué à son devoir de représentation juste? Le syndicat a-t-il traité le dossier du plaignant avec la rigueur nécessaire entre le 27 février 2017 – date de la réunion du Comité de griefs – et le mois de mai 2017? En réponse à ces questions, et comme le précise la jurisprudence en semblable matière, chaque cas doit être analysé en fonction des faits pertinents.

[23] Les faits démontrent qu’un grief a été déposé le 5 décembre 2016, contestant la mesure disciplinaire imposée à M. Abdo par l’employeur le 14 octobre 2016. Le 27 février 2017, lors de la réunion du Comité de griefs, l’employeur était ouvert à la proposition du syndicat de revoir le contenu de l’avis disciplinaire écrit du 14 octobre 2016. Il semble, selon la preuve, que la présidente de la section locale, Mme Dubois, était chargée de cette démarche. Elle a d’ailleurs envoyé un courriel à l’employeur le 15 mars 2017, lui réitérant que le syndicat souhaitait faire modifier le contenu de l’avis, mais pour des raisons inexpliquées, la proposition de modification n’a été transmise à l’employeur que le 4 mai 2017. Or, si la proposition de modification avait été transmise le ou vers le 15 mars 2017, et que l’employeur l’eût refusée, le syndicat aurait pu renvoyer le grief à l’arbitrage puisqu’il se trouvait toujours à l’intérieur du délai de 30 jours suivant la réunion du Comité de griefs. En outre, ce n’est que vers le 10 octobre 2017, soit plus de cinq mois après que l’employeur eut refusé de modifier l’avis disciplinaire, que le syndicat a demandé à l’employeur une prorogation de délai pour procéder au renvoi à l’arbitrage du grief de M. Abdo. L’employeur a refusé. Le syndicat n’a fourni aucune explication pour justifier tous ces délais.

[24] Le syndicat allègue l’inexpérience du représentant syndical pour excuser le fait qu’il ait omis de renvoyer le grief du plaignant à l’arbitrage. Il soutient également que le grief en question n’est pas assez sérieux et que l’impact sur le plaignant est atténué par le fait qu’il existe une disposition de réexamen pour minimiser les conséquences éventuelles. Or, les faits démontrent que l’employeur a de nouveau imposé au plaignant une mesure disciplinaire équivalant à une journée de suspension vers le mois d’avril 2017. Il est difficile de croire que ces deux mesures disciplinaires ne sont pas sérieuses et qu’elles n’auront pas de répercussions sur la carrière actuelle et future de M. Abdo chez l’employeur. D’ailleurs, le syndicat a déposé un grief relatif à la deuxième mesure disciplinaire et a renvoyé le grief à l’arbitrage.

[25] Pour appuyer ses arguments et excuser l’inexpérience du représentant syndical, le syndicat a invoqué une décision du Conseil dans Haley 271, précitée. Un banc majoritaire du Conseil avait rejeté la plainte de Mme Brenda Haley. Cette décision avait été confirmée majoritairement par un banc de révision du Conseil dans Haley (1981), 41 di 311; [1981] 2 Can LRBR 121; et 81 CLLC 16,096 (CCRT no 304) (Haley 304). Dans cette affaire, la plaignante avait été congédiée. Le syndicat a voulu contester la décision de l’employeur de congédier Mme Haley. Le délai avait été dépassé de quelques jours seulement. Le syndicat avait quand même renvoyé le grief à la procédure d’arbitrage et l’employeur avait soulevé la question de la recevabilité du grief. L’arbitre avait fait droit à l’objection préliminaire soulevée par l’employeur et avait décliné la juridiction.

[26] Dans cette affaire, Mme Haley estimait que le fait de dépasser un délai était une preuve de conduite arbitraire et de négligence grave. Malgré le fait que le grief de Mme Haley concernait son congédiement, la majorité des membres du banc a conclu que le syndicat avait « commis une erreur administrative involontaire », soit une simple négligence. Le banc initial du Conseil s’est exprimé ainsi :

Dans la présente affaire, le syndicat a commis une erreur administrative involontaire et non entièrement éclaircie, à son bureau de Toronto, lorsqu’il a voulu contester la décision de l’employeur de congédier une employée. Il ne s’agit pas d’un cas où le syndicat a omis d’agir ou de faire le compte de jours. Il a agi mais, ce faisant, a commis une erreur. Les conséquences de cette erreur pour Brenda Haley sont très graves, surtout si l’on tient compte du fait que le retard n’est que de quelques jours et que les lettres des 17 et 21 septembre étaient identiques. Cependant, une erreur aussi innocente n’équivaut pas, à notre avis, à un manquement du devoir de représentation juste prévu à l’article 136.1. La plainte est par conséquent rejetée. Étant donné notre décision sur le bien-fondé de la plainte, nous ne jugeons pas nécessaire de trancher la question de sa recevabilité.

Notre collègue arrive à une conclusion contraire en raison de son opinion différente sur la responsabilité du syndicat. Notre divergence d’opinion découle d’une interprétation différente des politiques et des lois. La procédure de révision adoptée par le Conseil en séance plénière dans British Columbia Telephone Company, 38 di 124; [1980] 1 Can LRBR 340 et 80 CLLC 16,008 a été établie pour de telles circonstances. Brenda Haley peut, si elle le désire, se prévaloir de ce recours pour faire réviser notre décision.

(Haley 271, précitée, pages 307; 510; et 409-410)

[27] Selon l’opinion dissidente dans Haley 271, précitée, l’omission du syndicat allait plus loin que l’erreur d’un employé de bureau; on estimait qu’il s’agissait d’un symptôme de la façon superficielle dont l’affaire avait été considérée par le syndicat. On a entre autres dit ceci :

Bien que le syndicat ait renvoyé le grief à l’arbitrage et se soit efforcé de réparer ses torts, il doit quand même être tenu responsable de ce qu’il a fait entre le 5 et le 20 septembre 1979. De toute évidence, il ne s’est pas arrêté sérieusement aux difficultés de Mme Haley et il n’a pas agi comme celle-ci aurait pu s’attendre étant donné la gravité de la situation. J’estime que le syndicat a manqué à son devoir de représenter Mme Haley tel que l’énonce l’article 136.1 du Code.

(pages 310; 513; et 411)

[28] Bien que le banc majoritaire ayant rendu la décision Haley 304, précitée, ait rejeté la demande de Mme Haley, il prend la peine de préciser que chaque cas doit être jugé selon le bien-fondé de la plainte et ses circonstances propres. Le banc a dit ceci :

Pour nous, le sérieux du grief est nettement important. Et c’est reflété par notre usage du critère des facteurs majeurs affectant la carrière d’un employé dans une entreprise. Le niveau de compétence du représentant syndical et les moyens que le syndicat lui fournit pour s’acquitter de ses fonctions sont également des considérations factuelles pertinentes. Ces faits ainsi que les autres faits pertinents dans une cause formeront la base permettant dans chaque cas de décider s’il s’agissait d’une représentation gravement négligente, arbitraire, discriminatoire ou encore de mauvaise foi, donc, une représentation injuste. Ce genre de jugement individuel doit se faire à partir des faits dans chaque cas. Nous n’établissons aucunement comme règle que le fait d’omettre de respecter un délai ou de commettre une autre erreur de procédure constitue négligence grave dans n’importe quelle circonstance. Par conséquent, nous n’acceptons pas l’argument avancé par Brenda Haley au sujet d’une politique concernant le devoir de représentation juste.

(pages 326; 133; et 616; c’est nous qui soulignons)

[29] Dans le cas qui nous occupe, le Conseil ne souscrit pas à la thèse du syndicat selon laquelle l’avis disciplinaire écrit du 14 octobre 2016 et le grief qui en découle ne sont pas sérieux. Il y est clairement indiqué que le plaignant est susceptible de perdre son emploi. L’avis disciplinaire du 14 octobre 2016 se conclut ainsi :

Ainsi, nous exigeons que vous apportiez sans délai les changements requis et que vous adoptiez une attitude professionnelle, fondamentale aux fonctions que vous occupez, faute de quoi, nous nous verrons dans l’obligation de remettre en question votre lien d’emploi avec ADM.

[30] Dans la présente affaire, le syndicat ne dit pas qu’il ne souhaitait pas renvoyer le cas de M. Abdo à l’arbitrage; il admet plutôt qu’il a commis une erreur et qu’il a dépassé le délai. Toutefois, l’inexpérience du représentant syndical ne peut pas excuser l’inaction du syndicat pour tenter de régler le dossier de M. Abdo rapidement, c’est-à-dire dans les 30 jours suivant la réunion du Comité de griefs, alors que l’employeur semblait être ouvert à cette proposition. Cette succession d’erreurs de la part du syndicat, pourtant expérimenté en matière de représentation de ses membres, ainsi que le sérieux du grief suffisent pour convaincre le Conseil d’accueillir la plainte de M. Abdo compte tenu du fait que le syndicat n’a pas pris les moyens nécessaires pour représenter adéquatement le plaignant face à l’employeur. Le Conseil conclut que le dossier du plaignant a été traité de manière superficielle par le syndicat, sans la rigueur nécessaire, comme l’exige son devoir de représentation juste.

V. Question de collusion soulevée par l’employeur

[31] En ce qui a trait aux allégations de l’employeur voulant qu’il y ait eu collusion entre le plaignant et le syndicat, et compte tenu du fait que ce dernier ait suggéré à M. Abdo de déposer une plainte auprès du Conseil pour rouvrir le dossier du grief, le Conseil est d’avis que le syndicat n’a commis aucun acte répréhensible en suggérant au plaignant de porter plainte devant le Conseil. En revanche, compte tenu du fait que l’employeur est une partie intéressée et que les mesures de redressement que pourrait imposer le Conseil sont susceptibles d’avoir des répercussions sur l’employeur, le Conseil donnera à l’employeur la possibilité de présenter ses observations sur la question du redressement.

VI. Conclusion

[32] Par conséquent, le Conseil fait droit à la plainte et conclut que le syndicat a manqué au devoir de représentation juste prévu par l’article 37 du Code.

[33] Conformément aux dispositions de l’alinéa 99(1)b) du Code, le Conseil est habilité à rendre des ordonnances de redressement de nature à aider un employé à exercer les droits ou les recours que, à son point de vue, le syndicat aurait dû exercer en son nom ou l’aider à exercer.

[34] En vertu du paragraphe 99(2) du Code, le Conseil peut aussi rendre, en plus ou au lieu de toute ordonnance visée au paragraphe 99(1), une ordonnance qu’il est juste de rendre pour obliger le syndicat à prendre des mesures qui sont de nature à remédier ou à parer aux effets de la violation du Code.

[35] Cependant, avant d’exercer les pouvoirs dont il est investi, le Conseil confie l’affaire à M. Jesse Peters, agent des relations industrielles du Conseil, pour qu’il aide les parties à trouver un terrain d’entente sur la question de redressement.

[36] Étant donné que l’employeur est une partie intéressée dans le cas des affaires fondées sur l’article 37 du Code où il est question de redressement, il est nécessaire de lui signifier un avis pour l’inviter à prendre part aux discussions sur cette question.

[37] Les parties auront 45 jours à compter de la date des présents motifs pour en venir à un règlement. Dans l’éventualité où leurs efforts se solderaient par un échec, le Conseil se prononcera alors sur les mesures de redressement à accorder après avoir permis aux parties, y compris à l’employeur, de lui fournir leurs observations écrites sur cette question.

[38] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

 

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Louise Fecteau

Vice-présidente

 

____________________

Richard Brabander

Membre

 

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Daniel Thimineur

Membre

 

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