Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat des employé(e)s de TVA, section locale 687, SCFP,

requérant,

et

Groupe TVA inc.,

employeur,

et

L’Union des artistes,

agent négociateur.

Dossier du Conseil : 30892-C

Référence neutre : 2018 CCRI 889

Le 8 août 2018

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, ainsi que de Me Richard Brabander et M. Daniel Charbonneau, Membres. Des audiences ont eu lieu le 13 novembre 2015, les 9 septembre, 14 et 28 octobre et 24 novembre 2016, ainsi que les 31 mars, 28 avril, 5 mai, 1er juin et 4 et 5 octobre 2017.

Ont comparu

Me Isabelle Leblanc, pour le Syndicat des employé(e)s de TVA, section locale 687, SCFP;

Me Stéphane Fillion, pour Groupe TVA inc.;

Me Christine Fortin, pour L’Union des artistes.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

I. Nature de la demande

[1] Le 23 janvier 2015, le Syndicat des employé(e)s de TVA, section locale 687, SCFP (le syndicat), a déposé la présente demande en vertu de l’article 18 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code).

[2] Le syndicat estime que M. Denis Lévesque, qui avait été visé par la portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat depuis son embauche en 2005, a été exclu unilatéralement en 2014 par Groupe TVA inc. (TVA ou l’employeur). Il demande au Conseil de déclarer que M. Lévesque est un employé visé par la portée de l’unité de négociation qu’il représente, et ce, en vertu des sous‑alinéas 16p)(i) et (vii).

[3] Dans leurs réponses respectivement datées du 13 mars 2015 et du 13 avril 2015, TVA et l’Union des artistes (UDA) soutiennent que le poste de M. Lévesque n’est pas visé par la portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat. Elles estiment que les fonctions d’animateur exercées par M. Lévesque sont plutôt visées par la portée de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA et que M. Lévesque est un entrepreneur indépendant au sens de la Loi sur le statut de l’artiste, LC 1992, c 33 (LSA).

[4] TVA et l’UDA demandent au Conseil de déclarer que M. Lévesque est visé par la portée de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA.

II. Contexte

[5] Le syndicat est l’agent négociateur dûment accrédité par le Conseil pour représenter les employés d’une unité de négociation comprenant tous les employés de TVA depuis le 10 mai 2000. L’ordonnance d’accréditation initiale (ordonnance no 7776-U) a été suivie d’une ordonnance qui modifiait le nom du syndicat, le 26 janvier 2010 (ordonnance no 9805-U), puis d’une ordonnance qui modifiait certains postes de la liste des postes exclus (ordonnance no 10371‑U), datée du 15 mars 2013. L’unité de négociation est décrite comme suit dans cette dernière ordonnance du Conseil :

tous les employés travaillant pour le Groupe TVA inc. à Montréal, à l’exclusion des postes identifiés à l’annexe « A » jointe à la présente.


ANNEXE « A »

1. Les personnes occupant un poste de cadre ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail, notamment :

Secrétaire de direction

Adjointes administratives

Programmation :

- Coordonnateur à la matérialisation de la grille télévisuelle
- Coordonnateurs Films
- Chefs coordonnateur commercial
- Coordonnateurs développement et programmation
- Coordonnateur, gestion des contrats

Finance :

- Analystes financiers
- Chefs comptabilité et développement
- Responsables des systèmes
- Analystes prix de revient
- Chefs paie/RH
- Agents paie/RH
- Conseillers développement SAP

Technologie et Multimédia :

- Chargés de projet informatique
- Chargés de projet ingénierie

Affaires juridiques :

- Conseillers juridiques
- Secrétaires juridiques

Ressources humaines :

- Conseillers avantages sociaux
- Conseillers en ressources humaines
- Conseillers en formation
- Conseillers en relations de travail
- Secrétaires

Communications corporatives :

- Chargés de projet
- Chefs de projet publicité et promotion
- Coordonnateurs publicité et promotion

Exploitation :

- Chefs des services auxiliaires
- Chargés de projet (aménagement)
- Coordonnateurs en ressources de production et chef des affectations
- Coordonnateurs en ressources et postproduction

2. Les employés d’autres employeurs de Groupe TVA inc. ayant leur lieu d’affaires au 1600, boulevard de Maisonneuve Est, notamment :

- JPL Production inc.
- JPL Production II inc.
- TVA Ventes et Marketing inc.
- HSS Canada inc.
- TVA International inc.
- TVA Direct inc.
- Club TVAchat inc.

3. Les employés déjà visés par d’autres certificats d’accréditation.

[6] TVA est une entreprise œuvrant dans les domaines de la production et de la diffusion d’émissions de télévision de langue française et dans les secteurs connexes. Elle est reconnue à titre de radiodiffuseur par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et possède ou exploite également des services de télévision spécialisés, dont Le Canal Nouvelles (LCN).

[7] Au moment du dépôt de la présente demande, le syndicat et TVA étaient liés par une convention collective en vigueur pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016.

[8] L’UDA est un syndicat professionnel constitué en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, RLRQ c S-40. Elle est une association d’artistes reconnue en vertu de la LSA. Elle a obtenu le 29 août 1996 une accréditation auprès du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (TCRPAP ou le Tribunal), accréditation qui a par la suite été modifiée le 30 décembre 1997, pour représenter le secteur suivant :

… tous les chorégraphes et artistes interprètes qui sont des entrepreneurs indépendants engagés par un producteur visé par la Loi sur le statut d’artiste dans l’ensemble du Canada, qui chorégraphient, représentent, chantent, récitent, déclament, jouent ou exécutent de quelque manière que ce soit une œuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes :

1) diffusées, présentées ou exécutées au Québec;

(sic)

[9] Dans son ordonnance du 29 août 1996, le TCRPAP a entériné la position de l’UDA selon laquelle le secteur de négociation souhaité pour les artistes-interprètes englobait de nombreuses catégories professionnelles, y compris la fonction d’animateur. Cette accréditation a plus tard été confirmée par le Conseil, le 29 avril 2013, après l’abolition du TCRPAP.

[10] L’UDA et TVA (anciennement Télé-Métropole Corporation) sont parties à diverses ententes et conventions collectives depuis 1970. TVA et l’UDA ont signé un accord-cadre sous le régime de la LSA pour la période de 2009 à 2012, lequel régissait l’ensemble des conditions de travail des artistes-interprètes qui sont des entrepreneurs indépendants et qui exécutent notamment les fonctions d’animateur. Cet accord-cadre a fait l’objet d’une lettre d’entente signée par les parties le 31 mai 2012, qui visait à le prolonger pour une période de deux ans.

[11] M. Lévesque a été embauché par TVA en 2005 à titre de lecteur de nouvelles et journaliste-présentateur pour la station LCN. À cette époque, LCN était une station d’informations en continu, dont la licence d’exploitation délivrée par le CRTC limitait les services à la diffusion d’émissions de nouvelles, de reportages et d’actualités, selon une formule de manchettes présentées par blocs de 15 minutes constamment mis à jour. M. Lévesque agissait alors à titre de lecteur de nouvelles. Il était membre du syndicat, car il occupait l’un des postes de journalistes (lecteur de nouvelles) visés au paragraphe 5.01 de l’annexe 2 de la convention collective, qui comprenait notamment les postes suivants :

1. Reporter;

2. Rédacteur;

3. Recherchiste;

4. Chef de pupitre;

5. Adjoint au chef de pupitre;

6. Correspondant parlementaire;

7. Lecteur de nouvelles;

8. Lecteur météo;

9. Lecteur rédacteur sportif;

10. Rédacteur-ticker;

11. Rédacteur-web;

12. Reporter affaires publiques;

13. Recherchiste affaires publiques;

14. Reporter hélicoptère;

15. Correspondant parlementaire sur le web.

[12] Dans la décision de radiodiffusion CRTC 2006-40 datée du 13 février 2006, le CRTC a modifié la licence d’exploitation de LCN afin d’en changer les conditions qui portent sur la nature du service. LCN a alors été autorisé à diffuser une quantité limitée d’émissions de la catégorie 2a), « Analyse et interprétation », telle qu’elle est définie à l’annexe I de Définitions des nouveaux types d’émissions prioritaires; révisions aux définitions des catégories de teneur à la télévision; définitions des dramatiques canadiennes admissibles à des crédits de temps aux fins des exigences en matière de programmation prioritaire, avis public CRTC 1999-205, 23 décembre 1999. Depuis le 17 avril 2006, M. Lévesque anime son émission éponyme sur LCN, qui s’inscrit dans cette catégorie.

[13] M. Lévesque a notamment signé un contrat avec TVA le 4 août 2008, dans lequel il était explicitement reconnu comme un employé de TVA et acceptait de lui fournir des services à titre de journaliste-animateur, chroniqueur et invité, et ce, de manière exclusive.

[14] Le 30 août 2014, M. Lévesque a remis sa démission à TVA. Il a toutefois continué à assurer des services d’animation pour cet employeur par l’intermédiaire de l’entreprise « Les productions Ciel d’automne inc. ».

[15] Le 9 décembre 2014, M. Lévesque a signé un contrat d’embauche auprès de TVA pour l’animation des émissions « Le Québec parle » et « Denis Lévesque », pour la période du 1er septembre 2014 au 19 juin 2015. M. Lévesque a signé lesdits contrats à titre d’artiste et par l’intermédiaire de l’entreprise dont il est propriétaire avec sa conjointe. Les contrats sont assujettis aux modalités de l’accord-cadre liant l’UDA à TVA.

[16] M. Lévesque a également signé quelques contrats à titre d’artiste, de 2014 à 2017, pour diverses apparitions à des émissions variées, notamment « Tout le monde en parle » à la Société Radio-Canada, et « Salut Bonjour » et « Testé sur des humains » à TVA.

[17] Le 12 novembre 2014, le syndicat a présenté un grief libellé comme suit :

L’Employeur contrevient à la convention collective en général et plus particulièrement à l’annexe 2, au certificat d’accréditation et à la pratique établie en annonçant une « sortie d’entreprise » pour M. Denis Lévesque, lecteur de nouvelles et membre de l’unité d’accréditation, alors que celui-ci continue d’accomplir les mêmes tâches et fonctions qu’auparavant.

[18] La présente demande a été déposée auprès du Conseil le 23 janvier 2015.

[19] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve au dossier, y compris les témoignages entendus et les plaidoiries finales des parties, le Conseil conclut que M. Lévesque n’est pas visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat.

[20] Voici les motifs de la décision.

III. La preuve testimoniale

[21] Une preuve volumineuse a été présentée au Conseil par les parties, qui ont aussi déposé de nombreux documents et pièces en preuve. Douze témoins ont été entendus lors des audiences dans la présente affaire :

Pour le syndicat : M. Denis Lévesque; M. Pierre Ouimet, réalisateur chez TVA; M. Benoit Leroux, technicien à multiples fonctions chez TVA; M. Bruno Genest, chef de pupitre chez TVA; M. Réal Leboeuf, conseiller syndical au SCFP; M. Réjean Beaudet, président provincial du SCFP; M. Marc Portelance, chef de pupitre pour la chaîne Argent, délégué syndical et responsable local du Fonds FTQ; et Mme Nathalie Blais, conseillère au Service de la recherche du SCFP-Québec.

Pour TVA : M. Jean-Pierre Jodoin, rédacteur en chef à TVA; Mme Dominique Joly, productrice exécutive pour TVA Productions; et Mme Julie Leclerc, conseillère en ressources humaines chez TVA.

Pour l’UDA : M. Denis Lévesque, Mme Mireille Auger, directrice adjointe des relations du travail à l’UDA; et M. Jérôme Lebel, secrétaire archiviste du SCFP-675.

[22] De plus, le Conseil a pu visionner plusieurs enregistrements des émissions « Denis Lévesque » et « Le Québec parle », animées par M. Lévesque, ainsi que d’autres émissions de TVA et de LCN animées tant par des personnes syndiquées que non syndiquées. Les enregistrements d’émissions de personnes non syndiquées s’intitulent : « Mario Dumont », « Franchement Martineau », « Arcand », « Salut Bonjour », « Michel Jasmin », « Mongrain » et « Le Vrai négociateur ».

[23] Le 1er août 2017, les parties ont présenté, en guise de complément de preuve, un énoncé des faits admis ayant trait aux différentes émissions animées par le passé par MM. Paul Arcand, Claude Poirier, Jean-Luc Mongrain et Richard Martineau, ainsi qu’à l’émission animée actuellement par M. Mario Dumont au canal LCN.

[24] Aussi, les parties ont produit une déclaration sous serment signée par Mme Véronique Beauchesne, actuellement au service de TVA. Celle-ci atteste des catégories dans lesquelles différentes émissions sont classées au registre du CRTC.

[25] La preuve présentée au cours des onze journées d’audience portait essentiellement sur les thèmes suivants :

Les fonctions et conditions de travail de M. Denis Lévesque et le déroulement des émissions « Denis Lévesque » et « Le Québec parle »;

Les autres émissions de TVA et de LCN animées par des personnes représentées ou non par le syndicat;

La portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat;

La portée de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA.

[26] Ce qui suit est un résumé des principaux éléments des témoignages.

A. Les fonctions et conditions de travail de M. Denis Lévesque et le déroulement des émissions « Denis Lévesque » et « Le Québec parle »

1. L’embauche et la démission de M. Lévesque

[27] M. Lévesque a été engagé à TVA en septembre 2005, après avoir travaillé pour TQS. En attendant la décision du CRTC qui lui permettrait d’animer son émission éponyme, M. Lévesque a été lecteur de nouvelles pendant huit ou neuf mois. M. Lévesque témoigne qu’il est allé rencontrer des gens de la station CNN (Cable News Network) à New York avec des représentants de TVA, pour apprendre comment ce diffuseur avait intégré des émissions d’animation à son canal de nouvelles.

[28] L’émission « Denis Lévesque » a été conçue à partir de ce qui avait été fait à CNN. M. Lévesque indique que TVA lui a donné carte blanche pour l’élaboration de son émission éponyme, « Denis Lévesque », et qu’il avait la liberté de faire des entrevues sur tous les sujets voulus. Un consultant américain a été engagé par TVA pour « bâtir l’émission ». Les décors ont été faits à l’interne, selon les conseils du consultant. L’émission « Denis Lévesque » a débuté en avril 2006. M. Lévesque a négocié son salaire avec M. Martin Cloutier, directeur général de l’information pour TVA.

[29] M. Lévesque a signé d’autres contrats par la suite avec TVA. Ils étaient négociés avec M. Serge Fortin. MM. Lévesque et Fortin se rencontraient quelques mois avant la date d’expiration des contrats; M. Fortin faisait les offres pour TVA et M. Lévesque formulait ses demandes. Les augmentations salariales étaient déterminées à partir des cotes d’écoute. Les vêtements étaient payés en sus du salaire. La voiture et le stationnement n’étaient pas mentionnés aux contrats, mais M. Lévesque a confirmé jouir d’un stationnement intérieur gratuit depuis le début de son emploi. Le maquillage est fait par le personnel de TVA, comme pour tous les invités de l’émission. M. Lévesque reconnaît avoir une carte d’identité de TVA Nouvelles, dont la date d’expiration est le 9 septembre 2017.

[30] L’horaire de travail de M. Lévesque a changé depuis 2005. Au début, son émission était diffusée en direct, à 17 h, et il arrivait à la station autour de 13 h. Quelques années plus tard, il a demandé à ce que l’émission soit préenregistrée. Avant 2014, à titre d’employé syndiqué, M. Lévesque était rémunéré toutes les deux semaines. Il admet avoir participé à une assemblée générale du syndicat dans le passé lors d’un vote de grève et avoir signé une carte de membre. Il avait droit aux congés prévus à la convention collective. Pendant les vacances, des reprises de l’émission sont diffusées. Ce sont des émissions dites « intemporelles », c’est-à-dire qui ne contiennent pas d’actualités et qui sont susceptibles d’être rediffusées. M. Lévesque est en congé les vendredis depuis quelques années.

[31] M. Lévesque explique qu’il a décidé de démissionner en septembre 2014, par suite de discussions avec M. Fortin qui lui proposait une émission le midi. Après des discussions avec MM. Mario Dumont et Richard Martineau, qui sont deux animateurs, le témoin a appris que ces derniers n’étaient pas syndiqués. Il a convenu avec M. Fortin qu’il démissionnerait et que son entreprise serait par la suite mise sous contrat par TVA.

[32] L’entreprise de M. Lévesque, « Les productions Ciel d’automne inc. », a signé un contrat de quatre ans avec TVA en septembre 2014. Le contrat prévoit la production de 190 émissions de « Denis Lévesque ». Les factures sont envoyées à TVA chaque semaine. M. Lévesque ne reçoit plus de compensation financière pour les dépenses liées à ses vêtements.

[33] L’entreprise a été fondée en 2011; elle appartenait à l’époque à la conjointe de M. Lévesque. Il en est maintenant l’actionnaire majoritaire. L’entreprise compte deux employés, soit la conjointe de M. Lévesque et lui-même, et fait affaire avec six clients (peut-être d’autres), dont TVA. M. Lévesque estime à 75 % les revenus provenant de TVA. Le reste des revenus de l’entreprise provient de la radio, des livres, des revues et de son album de musique. TVA lui paie des honoraires et ne fait pas de déductions fiscales. M. Lévesque indique que les revenus de l’entreprise incluent les revenus de sa conjointe.

[34] M. Lévesque travaille actuellement sur des projets de documentaires qui seront produits ailleurs que chez TVA. Toutefois, depuis septembre 2014, l’entreprise n’a pas produit d’autres émissions.

2. L’émission « Denis Lévesque »

[35] M. Lévesque explique qu’au cours d’une journée type, il décide des sujets à traiter avec M. Genest, son chef de pupitre. M. Genest travaillait avec M. Lévesque à TQS. Ensemble, ils font le relevé des nouvelles « explosives », avec pour objectif de faire les choses autrement des autres stations. L’émission tourne davantage autour de la personne interviewée que du sujet. M. Lévesque estime être d’abord et avant tout un intervieweur.

[36] M. Jodoin est rédacteur en chef et producteur de l’émission « Denis Lévesque ». Il explique que M. Lévesque a une très grande liberté pour ce qui est du choix des sujets et de la manière de les traiter. Il a carte blanche, nous dit le témoin; M. Jodoin n’a pas à approuver les sujets abordés à l’émission. Le concept de l’émission est un « talk-show » durant lequel on discute d’actualité et on mène des entrevues.

[37] M. Lévesque explique que lorsqu’une nouvelle devient le « talk of the town » (sujet de l’heure), elle devient la nouvelle à traiter. Il cite en exemple le procès de M. Guy Turcotte et la démission de Mme Marguerite Blais comme ministre. Toutefois, il y a toujours des sujets retenus comme plans B en cas d’imprévus. MM. Lévesque et Genest élaborent ensuite l’émission, et c’est M. Genest qui résume ce que l’invité dira.

[38] À la suite du visionnement de quelques émissions (dont celles du 14 mai 2014 et du 11 au 15 avril 2016), M. Jodoin a déclaré qu’un journaliste n’aurait pas pu traiter des sujets de cette manière. En prenant comme exemple l’entrevue avec le chanteur « Boule Noire », M. Jodoin indique que M. Lévesque cherchait à faire exprimer au chanteur et à sa conjointe leurs émotions. M. Jodoin donne aussi comme exemple le lancement de l’album de Denis Lévesque, alors que celui-ci l’a fait entendre pendant sa propre émission. Cela démontre, selon M. Jodoin, la latitude dont jouit M. Lévesque dans ses émissions.

[39] Toutefois, c’est M. Genest qui décide des émissions qui seront diffusées. C’est aussi M. Genest qui décide des émissions qui feront l’objet d’une rediffusion. Il décide aussi des sujets à traiter avec M. Lévesque ainsi que de l’ordre des invités qui seront interviewés. Il arrive fréquemment que des photos ou vidéos de la salle des nouvelles de TVA soient utilisées dans le cadre des émissions. Il arrive également que M. Genest doive communiquer avec un journaliste qui a diffusé une nouvelle et que celle-ci figure parmi les sujets de l’émission de M. Lévesque. Si lui-même ou M. Lévesque obtiennent une nouvelle exclusive, cette nouvelle est transmise à la salle des nouvelles. M. Lévesque se dit en contact constant avec des journalistes de la salle des nouvelles de TVA. Des journalistes interviennent aussi dans le cadre de son émission. Lorsque des artistes se présentent à l’émission de M. Lévesque, ils reçoivent des cachets de l’UDA.

[40] C’est M. Genest qui voit à la préparation des invités et s’assure qu’ils seront maquillés. L’enregistrement de la « promo » (extrait vidéo promotionnel) débute vers 17 h et sera diffusé pendant le bulletin de nouvelles de M. Pierre Bruneau. M. Genest indique qu’il n’y a pas de réunion avec M. Jodoin, rédacteur en chef, au cours d’une journée. M. Jodoin visionne la « promo » d’une émission pendant le bulletin de nouvelles. M. Lévesque peut décider de mettre fin à une entrevue s’il estime qu’elle ne mène à rien. M. Genest estime que l’émission « Denis Lévesque » n’est pas un bulletin de nouvelles. Il ajoute que l’émission peut être et est parfois rediffusée, alors qu’un bulletin de nouvelles ne l’est pas. Il ajoute que dès son embauche, TVA lui a donné toute la latitude voulue dans son rôle. Il a été syndiqué dès le début, tout comme M. Lévesque. Il admet que tous les journalistes à TVA et LCN, y compris M. Paul Larocque, sont syndiqués. Lors de l’enregistrement de l’émission, M. Genest est en régie.

[41] M. Genest indique que depuis les cinq ou six dernières années, il y a rediffusion des émissions lorsque M. Lévesque est en congé de maladie. Dans le passé, il est arrivé que Mme Denise Bombardier remplace M. Lévesque pendant une semaine. M. Réjean Lavallée et M. Larocque ont également déjà remplacé M. Lévesque pendant de courtes périodes.

[42] M. Genest indique que lorsqu’il a été approché par TVA pour son embauche, on lui aurait dit qu’il travaillerait à LCN avec M. Lévesque pour mener des entrevues et qu’il serait responsable du contenu des émissions. Bien qu’il soit entré en poste en septembre 2005, le concept de l’émission a vu le jour en décembre 2005, par suite d’une décision du CRTC qui permettait dorénavant la production de ce type d’émissions. Il indique que LCN voulait faire un « show » d’entrevues. La première émission a eu lieu en avril 2006, et l’émission était diffusée en direct de 19 h à 20 h; la case horaire de l’émission a été modifiée par la suite.

[43] Dans le cadre de ses fonctions, M. Genest discute avec M. Lévesque des sujets dont ce dernier doit traiter, et parfois il doit le convaincre de traiter de certains sujets. C’est M. Lévesque qui décide des questions à poser aux invités. Il indique qu’une émission peut contenir à la fois de l’actualité, de l’information et des nouvelles. Il précise que l’émission est constituée de 15 à 20 % de nouvelles. Une nouvelle est traitée par M. Lévesque sous forme de questions ou dans le cadre d’un débat entre invités.

[44] Interrogé sur les cotes d’écoute, M. Jodoin indique qu’un suivi est effectué pour chaque émission, dont celles de Denis Lévesque. Il ajoute que si les cotes d’écoute ne sont pas au rendez‑vous, TVA peut décider de mettre fin à tout contrat de service. M. Jodoin souligne qu’il consulte les cotes d’écoute à chaque demi-heure de chaque jour, et que si une émission n’est plus assez écoutée, il met fin au contrat de l’animateur même si ce dernier est membre de l’UDA.

[45] Les locaux dans lesquels est enregistrée l’émission de M. Lévesque ont été réaménagés il y a trois ans. Ils sont équipés de quatre caméras, et les techniciens qui les manipulent sont syndiqués. Les caméras peuvent servir pour d’autres enregistrements à LCN.

[46] M. Lévesque occupe présentement un bureau fermé qu’il partage avec M. Genest. S’il y a un problème informatique ou lié à la téléphonie, M. Lévesque appelle M. Jodoin ou le service informatique de TVA.

[47] L’émission « Denis Lévesque » est réalisée par M. Ouimet, qui a travaillé à la réalisation d’émissions de variétés, dont « Cyberclub » et « J.E. ». M. Ouimet commence à travailler sur la réalisation de l’émission « Denis Lévesque » vers 14 h. Il rencontre M. Genest, le chef de pupitre de l’émission, pour connaître les sujets qui y seront traités, et il travaille sur le montage visuel. Pour ce faire, il fait les recherches nécessaires ou suit les suggestions de M. Genest. Les recherches sont faites à partir de son ordinateur, sur Internet, dans les archives de TVA et sur le site YouTube. Il travaille avec les infographistes syndiqués de TVA. Son bureau est en face de celui de M. Lévesque.

[48] L’émission est enregistrée de 17 h à 19 h. M. Ouimet dirige alors la régie, donne la cadence à M. Lévesque, et fait le tri des entrevues effectuées par ce dernier aux fins d’enregistrement.

[49] M. Leroux est affecté essentiellement au montage de l’émission « Denis Lévesque » depuis 2011. C’est le réalisateur de l’émission qui dirige ses tâches. Lorsque l’enregistrement de l’émission est terminé, le tout est transmis à la mise en ondes par blocs. Le réalisateur peut décider de couper certains enregistrements s’ils sont jugés trop longs. M. Leroux travaille également à la diffusion de l’émission avec le réalisateur. Il est notamment responsable du son, de la musique et des effets sonores.

[50] M. Leroux dit aussi avoir déjà été affecté aux émissions de MM. Dumont et Martineau, dont tous les employés étaient syndiqués.

[51] M. Portelance indique avoir eu l’occasion de travailler à l’émission « Denis Lévesque » pendant quelques semaines en 2005. Une réunion avait alors lieu le matin avec la recherchiste et M. Lévesque pour décider de l’actualité à commenter au cours de l’émission en direct à 19 h. Selon le témoin, il n’y a aucune distinction entre le travail de M. Lévesque et celui de « lecteur de nouvelles » qu’effectuent Mme Sophie Thibault et MM. Bruneau et Dumont.

[52] M. Portelance a commenté les visionnements des enregistrements de différentes émissions « Denis Lévesque ». À titre d’exemple, une émission montre que M. Lévesque présente le nouveau cabinet de M. Justin Trudeau, le 4 novembre 2015. Une discussion s’ensuit avec trois chroniqueurs pour discuter de cette nouvelle. Au bas de l’écran apparaît une bande défilante qui se trouve constamment à LCN et est aussi affichée pendant la diffusion du bulletin de nouvelles de TVA. Plus tard dans l’émission, M. Lévesque discute du procès de M. Guy Turcotte et échange avec trois reporters syndiqués de TVA Nouvelles. M. Portelance souligne que l’image qui apparaît à l’écran est la même que celle utilisée par TVA Nouvelles.

[53] Lors d’une autre émission – « Le Québec parle » du 14 décembre 2015 –, M. Lévesque traite de l’affaire Cédrika Provencher. Le même sujet est repris à l’émission « Denis Lévesque ». Des entrevues sont faites avec les reporters de TVA, tous syndiqués. M. Portelance ajoute que durant l’émission de « Denis Lévesque » du 14 décembre 2015, un topo de Mme Thibault s’affiche pour promouvoir le bulletin de nouvelles. Selon M. Portelance, cela démontre que cette émission utilisait un sujet d’actualité repris dans les bulletins de nouvelles. Plusieurs autres enregistrements dans lesquels interviennent des reporters syndiqués de TVA et des invités de l’extérieur ont été examinés lors de l’audience.

[54] M. Portelance commente une autre émission de « Denis Lévesque » où des collaborateurs sont invités à commenter l’actualité ou à donner leur opinion sur un sujet d’actualité. M. Portelance indique que ces personnes ne sont pas syndiquées, car ce sont des collaborateurs.

[55] M. Portelance est d’avis que le rôle de M. Lévesque est celui de lecteur de nouvelles et d’animateur – en fait, convient-il, il se situe « entre les deux ».

[56] Plusieurs témoins ont indiqué que le travail est demeuré le même après que M. Lévesque a démissionné de TVA en 2014. M. Portelance admet que c’est toutefois en 2006 que le CRTC a permis à LCN de ne plus être qu’une chaîne de nouvelles en continu, et il reconnaît que l’émission « Denis Lévesque » telle qu’elle a été présentée à compter de 2006 n’a pas le même format qu’en 2005.

[57] Le site Internet de l’émission est conçu par M. Benoit Leroux, qui est monteur de l’émission et employé syndiqué chez TVA. Il y a également une page Facebook. Le contenu est généralement un résumé de ce qui sera abordé durant l’émission. Les droits de l’émission et ses archives appartiennent à TVA.

3. L’émission « Le Québec parle »

[58] M. Lévesque indique qu’une nouvelle émission a vu le jour en 2014, soit « Le Québec parle ». C’est une émission de ligne ouverte au cours de laquelle une personnalité est aussi invitée pour donner son point de vue sur un sujet. Les sujets sont choisis en fonction de l’actualité.

[59] Un contrat lie l’UDA à TVA dans le cadre de l’émission « Le Québec parle ». M. Lévesque est membre de l’UDA. Il indique qu’il n’est pas soumis au devoir de réserve d’un journaliste. Il réalise des entrevues, défend son point de vue et n’a pas à respecter quoi que ce soit, sauf qu’il doit faire preuve de discernement, nous dit le témoin. Ne serait-ce que dans le langage non verbal, M. Lévesque estime que ses expressions et son comportement sont significatifs à la télé. Il soutient que jamais un lecteur de nouvelles ne pourrait agir ou s’exprimer comme il le fait.

[60] M. Jodoin est le rédacteur en chef et le producteur de cette émission. Il s’agit d’une émission « à ligne ouverte » (tribune téléphonique). Un sujet est choisi, il est affiché sur le site Facebook, et un débat s’ouvre entre M. Lévesque et les téléspectateurs. Ce sont le chef de pupitre et le recherchiste qui font le tri des appels. Les règles sont simples pour M. Lévesque : il doit animer et s’exprimer. Les seules choses qu’il ne peut pas faire sont d’être impoli, de blasphémer ou d’injurier des gens. Autrement, M. Lévesque a carte blanche.

[61] L’émission est diffusée à 13 h. Un appel téléphonique est tenu entre M. Lévesque, son chef de pupitre et M. Jodoin le matin même pour faire le choix du sujet. S’il n’y a pas d’entente entre les trois, c’est le producteur qui a le dernier mot, soit M. Jodoin. C’est par ailleurs le chef de pupitre qui choisit les images et les extraits sonores qui serviront dans l’émission. Parfois, les images proviennent des archives de TVA. Interrogé par la procureure de l’UDA, M. Jodoin a indiqué ne pas avoir été impliqué dans l’embauche du chef de pupitre de M. Lévesque. À l’égard de l’émission « Le Québec parle », M. Jodoin indique que M. Lévesque, son chef de pupitre et lui-même décident du sujet qui sera abordé. Il ajoute avoir le dernier mot sur le sujet, mais encore faut-il que M. Lévesque soit à l’aise d’en traiter.

[62] Quant à savoir si le travail de M. Lévesque à l’émission de « Le Québec parle » peut être fait par un journaliste de TVA, M. Jodoin répond par la négative, précisant que le travail d’un journaliste est de traiter des faits et de les traiter de manière objective, c’est-à-dire avec impartialité. M. Jodoin souligne que dans l’émission « Le Québec parle », M. Lévesque exprime ses opinions et, parfois, affronte les téléspectateurs. À titre d’exemple, il ajoute qu’il n’accepterait pas que M. Bruneau ou Mme Thibault, qui sont lecteurs de nouvelles, agissent de cette manière.

[63] M. Lévesque confirme avoir participé à certains tournages à l’extérieur des locaux de TVA avant 2014. Autant qu’il se rappelle, il aurait tourné des émissions dans le cadre du Grand Prix de Montréal et des spectacles de Paul McCartney et de Larry King. Il était alors accompagné d’employés syndiqués de TVA.

[64] Son horaire a changé depuis qu’il anime l’émission « Le Québec parle ». Il arrive vers 11 h et passe à la séance de maquillage. Il intervient à l’émission de Mario Dumont vers 11 h 30 pour expliquer ce dont traitera sa propre émission. Vers 12 h 15, il présente un topo avec M. Bruneau, lecteur de nouvelles. Bien que le réalisateur décide des images à diffuser, M. Lévesque le rencontre vers 11 h 45.

[65] La plupart des invités à l’émission du midi reçoivent un cachet, notamment ses collaborateurs et les journalistes du Journal de Montréal et du Journal de Québec. Ils sont payés par TVA. M. Lévesque indique qu’il occupe un bureau à TVA. Il y est du lundi au jeudi, de midi à 19 h. Il est en vacances du 17 juin au 30 août. Dans le cadre de l’émission « Le Québec parle », il n’est pas remplacé lors de congés.

[66] Le compte Twitter de l’émission « Le Québec parle » est administré par le chef de pupitre de l’émission. Il y a également une page Facebook pour cette émission. Pour « Le Québec parle », le chef de pupitre écrit le message, mais M. Lévesque intervient en amont sur le choix des sujets. Les droits de l’émission et ses archives appartiennent à TVA.

B. Les autres émissions de TVA et de LCN animées par des personnes représentées ou non par le syndicat

[67] M. Jodoin est rédacteur en chef et responsable des émissions suivantes : « Le Québec matin » (LCN), « LCN maintenant », « Dumont », « Le Québec parle », « 100% nouvelles » et « Denis Lévesque ». Les producteurs/affectateurs relèvent de lui. M. André Chevalier lui aussi rédacteur en chef – est responsable des bulletins de nouvelles tant à TVA qu’à LCN.

[68] Concernant l’émission « Le Québec matin » à LCN, dont l’animatrice est Mme Julie Marcoux, M. Jodoin admet que tout collaborateur, chef de pupitre, recherchiste, journaliste et réalisateur travaillant à cette émission est syndiqué. Selon M. Jodoin, il s’agit d’une émission constituée à 90 % de nouvelles, et à 10 % d’entrevues.

[69] M. Jodoin indique également que les lecteurs de nouvelles comme M. Bruneau et Mme Thibault sont syndiqués. Relativement à l’émission « J.E. », dont M. Jodoin est aussi le producteur, les sujets sont déterminés par les journalistes par suite de suggestions du public. M. Larocque est l’animateur de cette émission et plusieurs journalistes y participent. Tous ces gens sont syndiqués, y compris M. Larocque. Selon M. Jodoin, M. Larocque présente les reportages, et son expérience lui permet d’intervenir auprès des reporters. M. Jodoin ajoute que M. Larocque est lecteur de nouvelles, à raison de quatre jours par semaine; le vendredi, il remplace M. Bruneau. Quant à l’émission « La joute », également animée par M. Larocque, M. Jodoin indique que MM. Bernard Drainville et Luc Lavoie, qui interviennent à l’émission, ne sont pas syndiqués. M. Jodoin ajoute que M. Larocque, contrairement à M. Lévesque, ne donne pas son opinion dans le cadre des émissions qu’il anime.

[70] M. Jodoin a aussi été interrogé relativement à l’émission intitulée « Coup de chapeau », animée par M. Réjean Léveillé. Selon M. Jodoin, cette émission présentait des reportages qui rendaient hommage à une personne ou à un organisme. C’est M. Léveillé qui produisait le segment qui était diffusé une fois par semaine dans le cadre de l’émission de M. Bruneau. Réinterrogé à ce sujet, M. Jodoin a dit que M. Léveillé agissait comme journaliste dans cette émission.

[71] Commentant l’émission de M. Dumont, M. Jodoin indique qu’il en est aussi le producteur. Une réunion d’équipe est tenue le matin pour revoir l’actualité. Cette émission est d’une durée de deux heures, et des invités et des chroniqueurs y participent. Après avoir visionné quelques enregistrements de l’émission « Dumont », M. Jodoin a déclaré que M. Dumont n’est pas syndiqué et qu’un journaliste ne pourrait pas animer cette émission, car l’animateur mène des entrevues à partir d’une nouvelle et émet ses commentaires, c’est-à-dire, donne sa propre opinion. Contre-interrogé sur le statut de M. Dumont et son émission « Dumont », M. Jodoin a admis que M. Larocque l’a remplacé à la barre de l’émission, mais pas à titre de journaliste.

[72] En ce qui a trait à l’émission « Franchement Martineau », qui n’est plus en ondes, M. Jodoin indique qu’il n’aurait pas été permis à un journaliste d’animer une telle émission. Il en est de même pour l’émission de M. Paul Arcand, diffusée en 2005. Ces émissions portaient sur des témoignages d’invités et cela outrepasse le rôle d’un journaliste, indique le témoin.

[73] M. Jodoin commente également les émissions qu’animaient MM. Mongrain et Poirier, lesquelles ne sont plus à l’antenne de TVA ni de LCN. MM. Mongrain et Poirier, qui n’étaient pas syndiqués, exprimaient leurs opinions personnelles.

[74] Mme Blais, conseillère au Service de la recherche du SCFP-Québec, explique que toutes les émissions qui sont diffusées par LCN apparaissent au registre du CRTC et sur le site Web du CRTC. Elle explique que, selon les informations que l’on retrouve au registre du CRTC, l’émission « Le Québec parle », animée par M. Lévesque, et celle intitulée « TVA Nouvelles » font partie de la même catégorie, puisqu’elles portent la mention « 1 ». Mme Blais indique avoir suivi les étapes en vue du renouvellement de la licence de LCN, et admet que le CRTC n’impose pas de restriction à LCN relativement à ce qui peut être présenté sur les ondes. Elle admet aussi qu’il se peut qu’une émission se retrouve dans la mauvaise catégorie au registre du CRTC.

C. La portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat SCFP

1. Le poste de journaliste-animateur et le protocole d’entente de 2004

[75] M. Leboeuf, conseiller syndical au SCFP depuis janvier 2005, a participé à la négociation de la convention collective à la suite de la décision du Conseil de fusionner les quatre unités de négociation (journalistes, réalisateurs, techniciens et employés de bureau). M. Leboeuf relate les difficultés survenues en 2003-2004 dans l’application de la nouvelle convention collective relativement aux employés affectés aux émissions d’affaires publiques, dont les journalistes‑animateurs. Ces animateurs ne payaient pas, selon lui, de cotisations syndicales. Il nomme à titre d’exemples les émissions d’affaires publiques « J.E. » et « Dans la mire ».

[76] En contre-interrogatoire, M. Leboeuf a indiqué que le poste de journaliste-animateur a été inclus dans le protocole d’entente conclu en septembre 2004. Cette entente visait, selon le témoin, tous les employés travaillant aux émissions d’affaires publiques, y compris les animateurs‑journalistes qui étaient des journalistes permanents et réguliers, comme Mme Jocelyne Cazin.

[77] M. Leboeuf admet que le poste d’animateur à l’émission d’affaires publiques « Salut Bonjour » n’est pas syndiqué. Il attribue cela au fait que cette émission ne relève pas de la salle des nouvelles.

[78] M. Jodoin, quant à lui, souligne que c’est en raison d’une erreur de la part de l’employeur que M. Lévesque a été syndiqué à partir de 2006; il admet que M. Lévesque a payé des cotisations syndicales pendant toutes ces années.

[79] M. Jodoin indique que le rôle d’un journaliste est de rapporter la nouvelle et qu’il ne doit pas teinter cette nouvelle de son opinion personnelle. Il ajoute qu’il n’y a pas de journaliste‑chroniqueur à TVA ni à LCN.

2. Les divers griefs touchant l’utilisation des services d’employés non syndiqués

[80] M. Beaudet, président provincial du SCFP, commente les différents griefs déposés en preuve par le syndicat, dont ceux touchant l’utilisation des services d’employés non syndiqués ou provenant d’autres unités. L’un de ces griefs vise l’affectation de M. Martineau au poste de lecteur de nouvelles pour l’émission « Le Québec matin ». Un autre grief touche M. Jean Pagé et reproche à l’employeur de l’avoir affecté aux tâches de lecteur de nouvelles pour l’émission « Le Québec matin week-end » à LCN alors qu’il n’était pas syndiqué.

[81] M. Beaudet ajoute que lorsqu’une émission est produite à l’extérieur des chaînes de TVA, le syndicat ne peut rien faire pour revendiquer la représentation des postes qui sont créés dans le cadre de cette émission. Quoi qu’il en soit, M. Beaudet soutient que TVA doit respecter la convention collective conclue avec le syndicat si une émission est diffusée à TVA, bien qu’elle soit produite à l’extérieur.

[82] En contre-interrogatoire, M. Beaudet a indiqué qu’il est possible que le grief relatif à M. Pagé ne soit pas encore réglé. En revanche, il a affirmé que le syndicat n’a jamais demandé que M. Pagé soit inclus dans l’unité de négociation.

[83] M. Beaudet commente également le cas de M. ClaudePoirier. Il indique que M. Poirier était une personne « spécialisée » qui animait une émission à TVA lui permettant d’exprimer son opinion. Il estime que nul autre que lui ne pouvait faire ce type de travail chez TVA. M. Poirier, qui n’a jamais été syndiqué, a animé une émission quotidienne pendant cinq ans, laquelle était diffusée à LCN. M. Beaudet admet que M. Poirier intervenait parfois dans le cadre des bulletins de nouvelles.

[84] M. Beaudet soutient que M. Lévesque faisait partie de l’unité de négociation et que, sans explication, il a été exclu de l’unité. Quant au grief de M. Pagé, le témoin indique que le syndicat reprochait à l’employeur d’avoir fait appel à un employé non syndiqué pour effectuer du travail relevant de l’unité.

[85] Selon M. Beaudet, les journalistes syndiqués font aussi un travail d’animation ou de coanimation, mais ce sont des journalistes et non des animateurs. Il nomme à titre d’exemples MM. Bruneau et Larocque ainsi que Mme Thibault, lesquels sont syndiqués. M. Beaudet reconnaît que la convention collective ne régit pas la fonction d’animateur.

[86] Toujours en contre-interrogatoire, M. Beaudet admet qu’aucun grief déposé en preuve ne visait un travail d’animation. Il soutient que si un employé syndiqué est utilisé pour remplacer un membre de l’unité, il est possible qu’il fasse de l’animation.

[87] M. Beaudet admet que M. Gino Chouinard, qui anime l’émission « Salut Bonjour », n’est pas syndiqué. Pour ce qui est de feu M. Jean Lapierre, M. Beaudet indique qu’il n’a jamais été syndiqué, mais que le syndicat le traitait comme un commentateur. Il ajoute que des griefs avaient été déposés concernant M. Lapierre lorsque le syndicat était d’avis qu’il effectuait du travail de journaliste.

[88] Quant à l’émission « Larocque-Lapierre », en ondes pendant cinq ans, M. Beaudet admet qu’elle n’a jamais été visée par des griefs. Il indique que le syndicat jugeait que les animateurs de cette émission faisaient de l’analyse politique. Pour ce qui est de M. Lévesque, M. Beaudet estime qu’un membre de l’unité de négociation pourrait faire son travail.

[89] Quant à M. Martineau, qui animait l’émission « Franchement Martineau », M. Beaudet indique que son émission n’a jamais fait l’objet d’un grief. Il estime que M. Martineau donnait son opinion sur un sujet, alors qu’un journaliste ne peut pas le faire. Ce serait la raison pour laquelle aucun grief n’a été déposé à son endroit.

[90] Concernant l’émission « Salut Bonjour », M. Beaudet admet qu’il n’y a jamais eu d’animateur syndiqué. Ainsi, Mme Ève-Marie Lortie n’est pas syndiquée. Quant à M. Benoît Gagnon, M. Beaudet ne sait pas s’il était ou non syndiqué.

[91] Relativement à l’émission « Vlog », animée par M. Dominic Arpin, M. Beaudet indique qu’il était auparavant syndiqué, mais qu’il a démissionné de TVA et a été embauché par TVA Productions à titre de producteur. Il avance que M. Arpin a subi un changement de statut et d’émission, ce qui expliquerait pourquoi il a été exclu de l’unité de négociation. Il ajoute qu’aucun employé travaillant pour l’émission Vlog n’est syndiqué. M. Beaudet estime que l’émission de M. Lévesque n’a pas changé et que ce dernier a le même statut qu’auparavant.

[92] Quant à M. Mario Dumont et son émission « Dumont », M. Beaudet admet qu’il n’a jamais été syndiqué; il ne sait pas non plus si un grief a déjà été déposé à son égard. M. Jean‑Luc Mongrain n’a jamais été syndiqué, selon M. Beaudet, car il était considéré comme un collaborateur.

[93] Contre-interrogé par la procureure de l’UDA, M. Beaudet a dit ignorer si MM. Martineau, Arcand et Mongrain avaient obtenu des contrats d’animation avec l’UDA. Il en est de même pour Mme Lortie, devenue animatrice de « Salut Bonjour Week-end ».

[94] M. Beaudet estime que M. Lévesque est un lecteur de nouvelles selon la convention collective. M. Beaudet indique que la fonction d’animateur n’est pas mentionnée dans la convention collective, car cette tâche revient aux journalistes.

[95] Selon M. Beaudet, M. Lévesque prépare ses émissions avec des employés syndiqués. De plus, il estime que lorsque M. Lévesque traite de questions d’actualité, il reste dans le cadre des tâches d’un lecteur de nouvelles. Selon le témoin, M. Lévesque ne serait pas le seul à faire cela, soit animer une émission, recueillir de l’information, la compiler et l’analyser.

[96] Réinterrogé par l’UDA, M. Beaudet a déclaré que si un lecteur de nouvelles fait des commentaires déplacés envers des invités, cette situation relève du code de déontologie.

D. La portée de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA

[97] Mme Auger est directrice adjointe des relations du travail depuis 2014 à l’UDA. Elle est responsable du service aux membres et aux employés. Mme Auger indique que l’UDA a 54 accords-cadres signés avec des diffuseurs-producteurs ou producteurs. Ces accords régissent plusieurs secteurs d’activités, dont ceux du théâtre, de la scène, de la télévision, de la danse et des spectacles. La fonction d’animateur est aussi visée par les accords-cadres. Le témoin a toutefois indiqué que les animateurs de la Société Radio-Canada ne sont pas visés par la portée de l’accréditation de l’UDA – ils seraient plutôt visés par l’ordonnance d’accréditation du Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC‑CSN).

[98] Mme Auger ajoute que l’UDA a été fondée en 1937 pour représenter les artistes. L’UDA inclut 13 000 membres, dont 1 000 animateurs. L’accréditation de l’UDA a été accordée au Québec en 1993 et celle du gouvernement fédéral en 1996.

[99] Relativement à M. Lévesque, Mme Auger indique que l’UDA croyait qu’il était journaliste et employé de TVA. Il était toutefois « permissionnaire » de l’UDA pour des apparitions à un gala. Ce serait en 2014 que l’UDA a été avisée que M. Lévesque avait démissionné comme employé de TVA. D’après l’UDA, M. Lévesque n’est plus employé de TVA depuis 2014, et il possède sa propre entreprise de production. Mme Auger admet toutefois qu’il tourne les mêmes émissions qu’auparavant pour TVA.

[100] Mme Auger ajoute qu’à sa connaissance, tous les autres animateurs de TVA sont visés par la portée de l’accréditation de l’UDA depuis 2000. Ce serait le cas pour MM. Poirier, Dumont, Chouinard et Martineau ainsi que Mme Lortie. Mme Auger indique que l’œuvre de l’artiste appartient au producteur, mais qu’un cachet est versé à l’artiste. Les artistes sont toujours des travailleurs autonomes et sont utilisés au besoin par le producteur.

[101] Au cours du contre-interrogatoire par la procureure du syndicat, Mme Auger a expliqué que ce sont des journalistes qui occupent le poste d’animateur à la Société Radio-Canada et que ce serait la raison pour laquelle cette fonction n’est plus visée par la portée de l’accréditation de l’UDA.

[102] Mme Auger indique n’avoir jamais visionné l’émission « Denis Lévesque » avant 2014. Elle ajoute qu’une seule entente a été signée avec TVA pour toutes les stations et que l’accord‑cadre couvre également TVA Productions. Mme Auger confirme que c’est à la suite de l’appel de la conjointe de M. Lévesque, en 2014, que l’UDA a conclu des contrats avec celui-ci.

[103] À titre de productrice exécutive pour TVA Productions, Mme Joly fait le lien avec le diffuseur et s’occupe des négociations avec l’UDA. Une liste d’émissions produites par TVA Productions a été déposée en preuve ainsi que la liste des animateurs. Les animateurs sont tous syndiqués avec l’UDA. Mme Joly a déclaré que si elle doit engager du personnel de TVA, ces employés seront représentés par le syndicat. Elle ajoute qu’il existe une entente entre TVA et TVA Productions depuis 10 ans relativement à l’embauche des employés de TVA.

[104] Quant à l’émission « Salut Bonjour » animée par M. Chouinard, Mme Joly indique qu’aucun grief n’a été déposé par le syndicat en vue de représenter ce poste. Si M. Chouinard est remplacé par M. Pothier ou Mme Lortie, ces personnes seront représentées par l’UDA pour les périodes de remplacement.

[105] Contre-interrogée par la procureure du syndicat, Mme Joly indique que c’est le type de fonctions exercées par la personne qui détermine lequel des syndicats la représentera, à savoir le syndicat ou l’UDA. L’UDA encadre tout ce qui est artistique, talent à l’écran ou animation. Mme Joly admet que, pour une même émission, un journaliste peut effectuer du travail visé par la portée de l’accréditation de l’UDA et du travail visé par celle du syndicat. Elle donne l’exemple d’une personne qui présente le bulletin météorologique tous les jours, dont les tâches sont englobées par l’unité représentée par le syndicat; toutefois, lorsqu’elle tourne des capsules pour le 375e anniversaire de Montréal, son travail est visé par la portée de l’accréditation de l’UDA. La personne sera rémunérée selon les taux prévus à l’accord-cadre entre l’UDA et l’employeur pour le temps qu’elle aura consacré aux capsules du 375e anniversaire.

[106] Mme Joly indique aussi que lorsqu’elle emploie du personnel technique, elle a recours aux employés syndiqués de TVA. Il en va de même pour les chefs de pupitre et les chroniqueurs. Elle ajoute qu’elle peut toutefois choisir qui elle veut.

[107] Mme Joly indique qu’aucun employé n’est syndiqué chez TVA Productions.

[108] Un document présenté par le procureur de TVA démontre que des employés ont, ou ont eu, un double statut, soit un statut d’employé représenté par le syndicat et un statut de membre de l’UDA. C’est le cas notamment de M. Benoît Gagnon, animateur jusqu’en 2005, qui était représenté par l’UDA et aussi par le syndicat. Il est depuis représenté par l’UDA seulement. Il n’a donc plus de double statut. Mme Leclerc, conseillère en ressources humaines chez TVA, indique que cette situation n’a jamais été contestée par le syndicat.

IV. Les arguments

[109] Le syndicat et l’UDA ont présenté des arguments écrits en sus de leurs plaidoiries. Ce qui suit n’est qu’un résumé des arguments écrits et verbaux des trois parties.

A. Le syndicat

[110] Le syndicat estime que M. Lévesque est un employé visé par la portée de son ordonnance d’accréditation depuis 2005, qu’il paye des cotisations syndicales et participe à la vie syndicale. Selon le syndicat, c’est en 2014 que TVA et M. Lévesque ont négocié une entente à l’issue de laquelle la décision aurait été prise de l’exclure de l’unité de négociation.

1. La portée de l’ordonnance d’accréditation

[111] Le syndicat est plutôt d’avis que le travail accompli par M. Lévesque est celui de lecteur de nouvelles. Il donne l’exemple de M. Larocque, animateur des émissions « La joute » et « J.E. », qui fait partie de l’unité de négociation en tant que lecteur de nouvelles. Il donne aussi l’exemple de Mmes Jocelyne Cazin et Annie Gagnon, qui ont été animatrices de l’émission « J.E. » et qui faisaient partie également de l’unité de négociation du syndicat. Le syndicat précise que les journalistes sont désormais appelés à donner leur opinion de manière semblable aux animateurs.

[112] Le syndicat estime que le comportement des parties démontre que les fonctions de M. Lévesque sont visées par la portée de son ordonnance d’accréditation en ce que :

TVA a attribué à M. Lévesque en 2005 le titre de lecteur de nouvelles et journaliste‑présentateur, alors que TVA savait pertinemment que M. Lévesque serait affecté à une émission de la nature de celle de « Denis Lévesque »;

Les émissions « Le Québec parle » et « Denis Lévesque », animées par M. Lévesque, sont déclarées par TVA auprès du CRTC comme étant des émissions « d’information – nouvelles » et « d’information – analyse et interprétation » du même type que l’émission « J.E. »;

Le contrat d’emploi conclu entre M. Lévesque et TVA le 4 août 2008 stipule que M. Lévesque est un employé et fait référence aux activités de journalisme accomplies par M. Lévesque; il stipule aussi que la convention collective s’applique, que la rémunération minimale de M. Lévesque s’appuie sur les salaires prévus à la convention collective et que les vacances et choix des vacances sont assujettis aux dispositions prévues à la convention collective;

Le nom de M. Lévesque est inscrit sur la liste d’ancienneté annexée aux conventions collectives du syndicat depuis au moins neuf ans;

M. Lévesque a signé volontairement sa carte d’adhésion au syndicat en 2010, et s’est présenté à une assemblée syndicale;

L’émission « Denis Lévesque » est classée dans la catégorie « émissions d’affaires publiques » tout comme l’émission « J.E. » et ces émissions sont décrites, selon le Gala Artis, comme étant des émissions journalistiques.

[113] Le syndicat indique ne pas avoir revendiqué la représentation du poste d’animateur pour plusieurs personnes, parce que l’employeur est TVA Productions, qui relève de la compétence provinciale. Le syndicat souligne d’ailleurs que certains animateurs de TVA ont démissionné de TVA pour transférer au service de TVA Productions, ce qui explique pourquoi ils sont exclus de la portée de l’unité de négociation qu’il représente.

[114] Le syndicat est d’avis que la portée de son ordonnance d’accréditation est universelle et que seuls les postes qui y sont expressément identifiés comme exclus peuvent en être exclus. Il fait référence à l’historique des accréditations délivrées par le Conseil depuis 1985. Tous les employés au service des nouvelles et ceux travaillant en ondes sont inclus dans l’unité de négociation qui accréditait le Syndicat de l’information de Télé-Métropole (SCFP) – son prédécesseur avant la fusion en 2000 – et la convention collective englobe tous les types d’émissions, dont les « émissions d’affaires publiques nationales et internationales et autres émissions qui peuvent leur être confiées ». Cette convention prévoyait également le versement d’une prime pour les animateurs.

[115] Le syndicat soutient que son unité de négociation inclut tant les animateurs que les journalistes‑animateurs, de même que les titulaires de tout autre poste au service des nouvelles et les personnes travaillant en ondes, et qu’il n’y a aucune distinction possible à faire en fonction du type d’émission.

[116] Le syndicat soutient que les parties ne peuvent décider de modifier la portée d’une ordonnance d’accréditation, et que seul le Conseil est habilité à le faire.

[117] Le syndicat fait valoir qu’il n’a pas renoncé à revendiquer la représentation de la fonction d’animateur, tel qu’en font foi les copies des nombreux griefs déposés en preuve et dans lesquels le syndicat contestait le travail qui aurait dû être effectué par des employés de l’unité qu’il représente.

[118] Le syndicat fait valoir que c’est plutôt l’UDA qui a renoncé à l’inclusion de M. Lévesque dans son unité; l’UDA n’aurait posé aucun geste concret en ce sens depuis 2006, bien qu’elle représente déjà plusieurs « animateurs » de TVA. Or, soutient le syndicat, les agents de l’UDA vérifient chaque année les contrats d’embauche et tiennent compte de ce qui se fait à l’écran pour valider leur conformité. Il ajoute que l’UDA s’est penchée sur les enregistrements de l’émission « Denis Lévesque » en 2008, et qu’elle a revendiqué le cachet des invités sans pour autant chercher à représenter le poste de M. Lévesque. L’UDA aurait par ailleurs admis, lors de la présentation de sa preuve, qu’elle croyait en 2009 que M. Lévesque était employé de TVA et qu’il était journaliste. Elle a admis qu’elle aurait pu présenter un grief.

2. La notion d’employé et d’entrepreneur dépendant

[119] Le syndicat fait valoir que le fardeau de la preuve incombe à celui ou celle qui revendique l’exclusion d’un poste d’une unité de négociation ou qui conteste son statut.

[120] Le syndicat rappelle qu’à la lumière de la jurisprudence en cette matière, il faut tenir compte du degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur et de la dépendance économique de ce dernier pour déterminer si une personne est un employé au sens du Code ou un entrepreneur indépendant. Le syndicat précise que le Conseil n’est pas lié par les ententes contractuelles qui modifient la portée de l’unité de négociation, et que la mise sur pied d’une entreprise comme celle de M. Lévesque en 2014 ne constitue pas un obstacle à la reconnaissance du statut d’employé ou d’entrepreneur dépendant au sens du Code.

[121] Le syndicat souligne que les faits en l’espèce démontrent d’abord et avant tout que M. Lévesque est un employé ou un entrepreneur dépendant au sens du Code et que TVA exerce un contrôle sur lui.

[122] Le syndicat soutient que les contrats conclus en 2008 et 2014 démontrent que TVA exerce un contrôle total sur M. Lévesque, que celui-ci est intégré à l’entreprise, qu’il travaille avec les employés syndiqués de TVA (infographistes, réalisateurs, archivistes, monteurs, etc.), qu’il n’a pas d’autres émissions ailleurs qu’à TVA, qu’il contacte de façon quotidienne les journalistes syndiqués de TVA pour obtenir des informations et les coordonnées de contacts, qu’il identifie les sujets traités par le réseau TVA et par la salle des nouvelles pour déterminer les sujets à traiter, et qu’il détermine avec M. Fortin de TVA ses congés, absences, etc.

[123] Le syndicat rappelle également au Conseil les nombreuses émissions « Denis Lévesque » qui ont été visionnées, et dans lesquelles des journalistes syndiqués font des apparitions. Il soutient que la bande qui défile au bas de l’écran pendant ces émissions donne des informations sur l’actualité en cours et que cette même bande apparaît lors des bulletins de nouvelles de TVA. Il ajoute que les sujets traités lors de l’émission « Denis Lévesque » sont souvent les mêmes que ceux qui sont abordés dans les bulletins de nouvelles. Le syndicat soutient également que les lecteurs de nouvelles, lesquels sont syndiqués, font également des entrevues, comme en fait M. Lévesque dans son émission.

[124] Pour ce qui est de l’autre émission animée par M. Lévesque, soit « le Québec parle », le syndicat soutient que c’est le producteur de l’émission qui a le dernier mot quant aux sujets qui y sont traités.

[125] Le syndicat rappelle au Conseil le témoignage de M. Jodoin, rédacteur en chef à TVA. Ce dernier a prétendu que c’était une erreur de bonne foi de ne pas avoir exclu M. Lévesque de l’unité de négociation pendant neuf ans. M. Jodoin a également indiqué que si les cotes d’écoute d’une émission étaient mauvaises, il pouvait mettre fin à l’émission. Selon le syndicat, TVA a approché M. Lévesque avec un concept d’émission en 2005. TVA et M. Lévesque ont défini ensemble le concept de l’émission; aucun changement n’est survenu depuis 2014 entre les parties, malgré le fait que M. Lévesque transige dorénavant par l’intermédiaire d’une entreprise. TVA doit être informée des changements apportés aux émissions et décide des heures d’enregistrement et du positionnement des émissions dans la grille horaire. M. Lévesque fournit ses services à TVA de façon exclusive, et tout autre projet envisagé doit être soumis à TVA; en ce sens, il n’est pas libre de négocier avec un tiers, selon le syndicat.

[126] M. Lévesque négocie ses conditions d’emploi avec M. Fortin de TVA. Il travaille à temps plein à TVA, ce qui rend improbables ses chances d’accomplir un autre travail de manière substantielle. Tout le matériel utilisé par M. Lévesque appartient à TVA. Il a un stationnement fourni gratuitement par TVA et obtient le remboursement des dépenses liées à ses vêtements. Il est maquillé et coiffé par des employés syndiqués de TVA. Il doit aviser TVA de ses absences. Les archives, les images diffusées et tous les droits sur les émissions appartiennent à TVA, et ces émissions sont filmées et diffusées comme les autres émissions de TVA. Les comptes de médias sociaux liés aux émissions appartiennent et sont gérés par TVA. TVA impose ses choix quant aux rediffusions. TVA et M. Lévesque élaborent les décors ensemble. Ultimement, M. Lévesque est lié à TVA de façon exclusive jusqu’en 2019 et n’a pas d’autres émissions de ce type ailleurs.

[127] Quant au critère de dépendance économique, le syndicat soutient que M. Lévesque ne prend aucun risque financier, et qu’il n’a aucune possibilité de faire du profit et ne court aucun risque de perdre des revenus; il reçoit une rémunération à période fixe, soit aux deux semaines, sur présentation de factures, lesquelles sont par ailleurs sensiblement toujours du même montant. En cas de poursuite, M. Lévesque n’assumerait pas les dommages, sauf en cas de faute lourde. Il n’embauche personne dans son équipe puisque l’embauche est de la responsabilité de TVA. Il ne contribue pas à assumer les coûts liés à ses émissions, et TVA paie les cachets des invités. Tous les revenus publicitaires liés aux émissions reviennent à TVA. Ultimement, si TVA mettait fin à l’entente avec M. Lévesque, ce dernier se retrouverait sans gagne-pain.

[128] En conclusion, le syndicat estime que le refus du statut d’employé à M. Lévesque irait à l’encontre des objectifs du Code.

[129] Le syndicat demande au Conseil d’accueillir la demande, et de déclarer que TVA est l’employeur de M. Lévesque, que M. Lévesque est un employé au sens du Code, et qu’il est visé par la portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat et régi par la convention collective intervenue entre le syndicat et l’employeur.

B. Groupe TVA

1. La portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation

[130] TVA fait valoir que la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation vise des fonctions et non des personnes. TVA estime que le cas de M. Lévesque comme membre du syndicat était une anomalie.

[131] TVA reconnaît que la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation vise tous les employés, et qu’elle est donc d’application générale, mais que la fonction d’animateur n’a jamais été visée, historiquement, par l’ordonnance d’accréditation du syndicat.

[132] TVA soutient que cette fonction relève de la sphère de compétence de l’UDA depuis que celle‑ci signe des ententes collectives avec elle, soit depuis 1970. Il rappelle que la fonction d’animateur n’est donc pas nouvelle.

[133] En ce sens, TVA explique que les conventions collectives conclues entre le syndicat et TVA, soit celles de 1993 et 1996, mentionnent le poste d’animateur comme étant hors convention. Il soutient que le Conseil reste toujours saisi de la description et de la portée intentionnelle des unités de négociation et que les parties ne peuvent modeler les unités de négociation à leur guise et en contourner la portée intentionnelle initiale.

[134] S’appuyant sur la jurisprudence du Conseil, TVA soutient qu’une accréditation peut avoir une portée universelle sans nécessairement englober tout ce qui n’y est pas directement inclus, et qu’il revient ultimement au Conseil de déterminer la portée d’une accréditation. Il fait valoir que, quelle que soit la portée du texte littéral de l’accréditation, il faut rechercher, à la lumière des circonstances dans lesquelles l’accréditation a été octroyée, quelles étaient véritablement les catégories d’emplois ou de fonctions que l’on entendait viser.

[135] Dans la présente affaire, TVA estime que le comportement des parties confirme que la fonction d’animateur n’a jamais été visée par l’ordonnance d’accréditation. Bien qu’il y ait une présomption selon laquelle une ordonnance d’application générale englobe l’ensemble des employés, encore faut-il, selon TVA, que les activités en cause aient été incluses initialement dans l’ordonnance d’accréditation.

[136] TVA rappelle qu’il y avait antérieurement quatre unités de négociation distinctes s’appliquant à ses employés, soit celles des réalisateurs, du personnel technique, des employés de bureau et des journalistes. Il précise que, bien qu’il soit possible pour une unité d’évoluer, il n’est pas possible qu’elle évolue au point qu’y soit incluse une fonction qui n’a jamais été visée par la portée des ordonnances, comme celle d’animateur.

[137] Quant aux animateurs Poirier, Martineau et Arcand, TVA souligne que le syndicat a admis que leurs fonctions étaient similaires à celles exercées par M. Lévesque. Or, le syndicat n’a jamais présenté de griefs pour revendiquer leur inclusion dans l’unité de négociation.

[138] TVA ajoute que la demande de renvoi déposée en 2003 devant le Conseil par le syndicat et l’entente intervenue entre les parties le 28 avril 2003 indiquent que seules les fonctions de reporter, journaliste, journaliste-recherchiste, recherchiste et journaliste-animateur sont visées. Le poste d’animateur ne l’est pas. TVA renvoie également le Conseil à la lettre d’entente intervenue entre les parties le 27 septembre 2004, par suite d’une plainte de pratique déloyale déposée par le syndicat. Cette lettre d’entente vise les journalistes affectés aux affaires publiques travaillant aux émissions « J.E. » et « Dans la mire ». TVA soutient que cette lettre d’entente confirme encore une fois que la fonction d’animateur n’a jamais été incluse dans l’unité de négociation.

2. La situation de M. Lévesque

[139] TVA reconnaît que M. Lévesque a été inclus dans l’unité de négociation représentée par le syndicat pendant un certain temps. Il a été embauché à LCN pendant une période où il n’y avait que des bulletins de nouvelles. Il était alors journaliste. TVA soutient qu’en 2011, M. Lévesque a constaté que M. Mongrain n’était pas syndiqué et qu’il bénéficiait d’avantages que lui n’avait pas. En 2014, M. Lévesque a démissionné et a donc perdu son statut d’employé. Selon TVA, M. Lévesque n’est donc plus visé depuis ce moment par la portée de l’ordonnance d’accréditation.

[140] TVA soutient qu’il est impossible de soutenir, comme le voudrait le syndicat, que M. Lévesque est un lecteur de nouvelles. La preuve démontre que M. Lévesque émet des opinions et provoque des débats, et qu’on lui permet même un ton « baveux ». Or, contrairement à M. Lévesque, un journaliste doit transmettre les faits, être neutre et présenter les deux côtés d’une médaille.

[141] M. Lévesque jouit d’une extrême liberté; les sujets n’ont pas à être approuvés par quiconque. TVA estime que l’émission de M. Lévesque est un « talk-show » qui comprend une chronique de potinage. TVA indique que l’émission « Denis Lévesque » vise à produire des émotions et à provoquer plutôt qu’à informer. TVA ajoute que les animateurs, tel M. Lévesque, peuvent exprimer librement des opinions, formuler des commentaires et tenir des propos particuliers.

[142] TVA soutient que la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat n’a jamais englobé le poste d’animateur et que M. Lévesque en est un.

3. Le statut d’entrepreneur indépendant de M. Lévesque

[143] En ce qui a trait au statut d’entrepreneur indépendant conféré à M. Lévesque, TVA estime que le Conseil doit apprécier les éléments suivants : la dépendance économique du travailleur, la nature saisonnière du contrat, les heures de diffusion et des remplacements de M. Lévesque, la nature des ententes signées par l’UDA et la création de l’entreprise de M. Lévesque, devenu copropriétaire avec sa conjointe.

[144] TVA soutient qu’un artiste comme M. Lévesque peut accepter de travailler pour un employeur sans pour autant devenir son employé. Il fait valoir que le contrôle exercé par l’employeur doit être compatible avec le fait que l’artiste invité est un entrepreneur indépendant.

[145] TVA rappelle que M. Lévesque et TVA ont signé un contrat de cinq ans en 2014. Il soutient que l’intention des parties, dans le cadre de ce contrat, démontre qu’il s’agit bien d’une relation d’entrepreneur indépendant qu’a M. Lévesque avec TVA. D’ailleurs, il y a des conséquences directes liées à un statut d’entrepreneur indépendant; le producteur peut mettre fin unilatéralement à une émission de l’animateur.

[146] TVA est d’avis que M. Lévesque est un artiste au sens de la LSA et qu’il n’est pas visé par la portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat.

C. L’UDA

[147] L’UDA soutient que M. Lévesque a commencé à occuper des fonctions d’animateur, au sens de son accréditation, dès janvier 2006, soit lors du changement de la licence d’exploitation de la chaîne LCN, spécialisée en nouvelles, qui a permis à TVA de faire des émissions d’analyse et d’interprétation. Ainsi, selon l’UDA, M. Lévesque a cessé d’être un lecteur de nouvelles et a hérité de sa propre émission d’affaires publiques à titre d’animateur dès avril 2006.

[148] L’UDA reconnaît que ni TVA ni l’UDA n’ont fait les changements qui s’imposaient en 2006 à l’égard du nouveau statut de M. Lévesque. Cette erreur s’est perpétuée jusqu’en 2014, soutient l’UDA. L’UDA indique qu’elle n’a pas revendiqué non plus la modification requise au statut de M. Lévesque au cours des années qui ont suivi, car elle a toujours présumé de bonne foi que ce dernier occupait un poste syndiqué de journaliste, à titre d’employé de TVA.

[149] L’UDA indique par ailleurs que M. Lévesque a rempli divers engagements artistiques depuis 2006, qui ont fait en sorte qu’il relevait de la compétence de l’UDA et de la catégorie des « permissionnaires ». Par suite de sa démission de TVA à l’automne 2014, M. Lévesque est devenu membre en règle de l’UDA. En décembre 2014, M. Lévesque a donc signé pour ses deux émissions, « Denis Lévesque » et « Le Québec parle », des contrats au titre de l’accord‑cadre entre l’UDA et TVA. M. Lévesque touche également d’autres revenus découlant d’autres contrats passés selon cet accord-cadre.

1. La portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat

[150] L’UDA reconnaît que l’accréditation du syndicat a une portée universelle, mais qu’elle ne vise que les employés. Selon l’UDA, l’historique des relations du travail du syndicat avec TVA démontre qu’il n’a jamais revendiqué la représentation du poste d’animateur. Elle fait valoir que la fonction d’animateur relève d’ailleurs de la sphère de compétence de l’UDA, et ce, depuis bien avant l’obtention de l’accréditation du syndicat en 1975, qui ne visait à cette époque que les employés au service des nouvelles.

[151] L’UDA soutient également que les conventions collectives conclues entre le syndicat et TVA montrent que les animateurs au sens pur du terme ne sont pas visés par la portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat. L’UDA fait valoir que le Conseil a déterminé, dans le cadre du litige dont il était saisi en 2003, que les journalistes-animateurs affectés aux émissions d’affaires publiques font partie de l’unité (voir Groupe TVA inc., 2003 CCRI LD 932). Les animateurs n’ont donc pas été inclus dans l’unité de négociation du syndicat. L’UDA fait valoir que la requête initialement présentée auprès du Conseil par le syndicat visait à inclure le poste d’animateur dans son unité de négociation, ce qu’a refusé le Conseil. L’UDA soutient qu’elle n’a jamais été mise en cause dans ce dossier et qu’elle n’a pas pu faire valoir sa position à cet égard.

[152] L’UDA soutient de plus que la fonction de journaliste-animateur n’a pas non plus été incluse dans les conventions collectives liant le syndicat à TVA jusqu’à ce jour, et que toutes les lettres d’ententes qui ont fait suite à des litiges entre TVA et le syndicat confirment que la convention collective ne s’applique qu’aux journalistes affectés aux affaires publiques en excluant les animateurs.

[153] L’UDA estime que les animateurs, tel M. Lévesque, n’ont pas de communauté d’intérêts avec les journalistes de TVA. Les enjeux en matière de relations du travail sont divergents entre ces deux groupes de personnes. Les éléments qui les distinguent sont attribuables à l’importance de la notoriété des animateurs, à leur capacité de pouvoir maintenir des cotes d’écoute élevées et à la liberté éditoriale totale afférente à leur travail de communicateur. Les animateurs, selon l’UDA, sont assis sur un siège éjectable en tout temps, et leurs conditions de travail doivent refléter cette réalité qui n’est pas celle des journalistes permanents de TVA.

[154] En bref, l’UDA fait valoir que l’historique des relations du travail entre les parties et leurs comportements respectifs depuis l’accréditation initiale du syndicat doivent mener à la seule conclusion possible et logique, à savoir que l’accréditation ne vise aucunement les animateurs. Conclure autrement, soutient l’UDA, reviendrait à faire fi de près de 50 ans de relations harmonieuses entre les parties, y compris l’UDA, et créerait d’innombrables conflits en plus d’ébranler la paix industrielle.

2. La portée intentionnelle de l’accréditation de l’UDA

[155] L’UDA fait valoir qu’elle a été fondée en 1937 et qu’elle a signé de nombreuses ententes de reconnaissance volontaire ainsi que des accords-cadres, notamment avec TVA. De plus, dès 1970, l’UDA a signé avec TVA un premier accord-cadre pour les artistes-pigistes de langue française, laquelle visait expressément les animateurs. L’UDA ajoute que toutes les ententes subséquentes jusqu’à ce jour incluent aussi la fonction d’animateur. L’UDA soutient que la définition de la fonction d’animateur est demeurée inchangée depuis 50 ans, et qu’elle vise « la personne qui dirige, anime, présente ou relie les diverses parties d’une émission ». L’UDA ajoute que la fonction d’animateur relevait de sa sphère de compétence bien avant l’accréditation du syndicat délivrée par le Conseil en 1975, laquelle ne visait à cette époque que les employés au service des nouvelles.

[156] C’est en 1996 que l’UDA a obtenu son accréditation en vertu de la nouvelle LSA. Le tribunal de l’époque a alors entériné la liste des fonctions établie par l’UDA, dont la fonction d’animateur. L’UDA souligne que ses statuts et règlements édictent que l’animateur est l’une des quatre catégories de fonctions des membres. Sur ses 12 000 membres, l’UDA compte 1 000 animateurs.

[157] L’UDA soutient que l’accord-cadre ne s’applique pas aux employés du producteur mais aux artistes, conformément à la LSA. Elle indique que, suivant la preuve, M. Lévesque occupe une fonction visée par l’accréditation de l’UDA depuis le début de son émission en 2006, mais n’a réclamé son statut d’artiste au sens de la LSA qu’à compter du 1er septembre 2014.

[158] L’UDA soutient que depuis cette date, M. Lévesque occupe la fonction d’animateur auprès de TVA en ce qu’il est un artiste, est engagé par un producteur visé par la LSA, et représente, joue ou exécute de quelque manière que ce soit une œuvre dramatique diffusée, présentée ou exécutée au Québec. L’UDA rappelle qu’une émission de télévision de type affaires publiques est considérée comme une œuvre dramatique par la jurisprudence. Sur ces fondements, soutient l’UDA, les conditions de travail de M. Lévesque sont régies explicitement par l’accord‑cadre conclu entre l’UDA et TVA.

[159] L’UDA soutient également qu’une preuve étoffée et non contredite démontre que tous les animateurs qui ont animé des émissions diffusées à TVA depuis de nombreuses années ont signé des contrats selon l’accord-cadre entre l’UDA et l’employeur.

[160] L’UDA fait valoir que la portée intentionnelle de son accréditation est sans équivoque depuis près de 50 ans. L’UDA représente les artistes-interprètes qui occupent les fonctions d’animateur, non seulement chez TVA, mais auprès de la quasi-majorité des producteurs. Les éléments tels la portée intentionnelle, la communauté d’intérêts, la structure organisationnelle, l’historique des négociations collectives, le comportement des parties et la préservation de la paix industrielle ou de saines relations du travail appuient la position de l’UDA.

[161] L’UDA allègue ne pas avoir renoncé à sa compétence à l’égard de M. Lévesque. Elle rappelle que les accréditations de part et d’autre sont d’ordre public, et qu’une association ne peut renoncer à ses effets de par son comportement, même si elle a été négligente. En ce sens, le fait que l’UDA ait seulement traité des griefs des artistes invités et des chroniqueurs à l’émission « Denis Lévesque » n’est pas un élément significatif. De plus, l’UDA a toujours cru de bonne foi que M. Lévesque était un journaliste à TVA et qu’il était donc visé par la portée de l’ordonnance d’accréditation du syndicat. Si elle l’avait su avant, elle aurait alors réclamé le statut d’artiste à son égard et la signature d’un contrat avec l’UDA.

3. La fonction occupée par M. Lévesque : journaliste ou animateur?

[162] L’UDA soutient que M. Lévesque est un vrai animateur et que son travail n’a rien à voir avec le travail d’un journaliste ou d’un lecteur de nouvelles. M. Lévesque fait des commentaires éditoriaux et a une liberté éditoriale complète, contrairement aux journalistes. M. Lévesque n’a pas de devoir de réserve comme les journalistes. L’UDA invoque à cet égard le témoignage de M. Jodoin. Il a expliqué que, dans l’émission « Denis Lévesque », M. Lévesque a carte blanche et qu’il n’a aucune approbation à obtenir. M. Lévesque cherche l’émotion et exploite un angle différent d’un sujet qui a fait les manchettes. M. Jodoin a aussi confirmé qu’un journaliste ne peut pas faire cette émission. Il a également confirmé que le travail effectué par M. Lévesque à l’émission « Le Québec parle » ne peut pas être fait par un journaliste; TVA s’attend à ce que l’animateur donne son opinion et provoque la controverse. M. Jodoin a donc confirmé que M. Lévesque ne peut être remplacé par un journaliste ou un lecteur de nouvelles et qu’il faudrait faire appel à un autre animateur. L’UDA indique d’ailleurs que les remplacements de M. Lévesque par un employé syndiqué dans ses émissions ont été exceptionnels et de très courte durée.

[163] L’UDA soutient que la description de tâches du lecteur de nouvelles, suivant la liste d’ancienneté des employés de TVA, ne correspond en rien au travail de M. Lévesque. L’UDA fait valoir également que la clause de la convention collective prévoyant que les journalistes peuvent faire de l’animation ne saurait s’appliquer à quelqu’un qui n’occupe pas de fonctions de journaliste. M. Lévesque occupe l’entièreté de son temps à l’animation.

[164] L’UDA soutient également que la preuve a démontré que des animateurs, dont M. Gagnon et Mme Lortie, alors employés de TVA, sont devenus des entrepreneurs indépendants sans que le syndicat conteste leur sortie de l’unité de négociation. Ce comportement confirme, selon l’UDA, que le syndicat n’a jamais eu l’intention de représenter les animateurs.

4. Denis Lévesque est-il un entrepreneur indépendant ou un employé?

[165] L’UDA soutient qu’elle représente les artistes-interprètes qui sont des entrepreneurs indépendants en vertu de son certificat d’accréditation délivré sous le régime de la LSA. Elle rappelle que la LSA instaure un régime de relations du travail atypique pour régir les relations entre les producteurs et les artistes. Les artistes peuvent fournir leurs services à plusieurs producteurs en même temps ou de manière successive, selon la nature du contrat. Les accords‑cadres soumis à ce régime édictent les conditions de travail minimales de l’artiste, ce dernier étant libre de négocier des conditions plus avantageuses. En raison de ce régime, les artistes, qui sont des entrepreneurs indépendants au sens de la LSA, ont tout de même un lien de subordination avec les producteurs pour lesquels ils travaillent.

[166] L’UDA indique que la rétention des services d’un artiste par un producteur est au cœur de la relation entre les parties. Elle implique l’engagement pris par un producteur pour retenir les services d’un artiste et l’engagement de l’artiste à fournir une prestation artistique, le tout contre rémunération. En ce sens, il est tout à fait normal et commun qu’un producteur conserve le contrôle sur la programmation et le concept des émissions, les horaires et les diffusions. Ce contrôle de l’artiste par un producteur ne fait pas obstacle à son statut d’entrepreneur indépendant au sens de la LSA. Dans le cas contraire, tout le régime serait en péril. Ainsi, l’UDA invite le Conseil à interpréter la notion d’entrepreneur indépendant en tenant compte des particularités de ce régime atypique et en appliquant les nuances nécessaires aux principes établis en droit du travail traditionnel.

[167] L’UDA fait valoir que M. Lévesque doit être considéré comme entrepreneur indépendant, bien qu’il ait un certain lien de subordination avec TVA. M. Lévesque use de son talent pour contribuer à l’œuvre du producteur, qui demeure le seul responsable de la production des émissions pour lesquelles il détient des droits. Dans ce contexte, M. Lévesque doit suivre les impératifs dictés par le producteur, tout comme l’ensemble des artistes qui œuvrent au Canada. En ce sens, l’accord-cadre prévoit le devoir de l’artiste de respecter la politique du producteur en matière de programme, les horaires de travail, les activités de promotion, etc. Tous les intervenants syndiqués et artistes doivent respecter le concept d’une œuvre et les impératifs de production liés au tournage d’une émission.

[168] L’UDA estime que M. Lévesque est un véritable entrepreneur indépendant pour plusieurs raisons. Il a deux contrats d’engagement avec l’employeur depuis 2014, en vertu de la LSA. D’autres contrats de l’UDA ont aussi été signés. M. Lévesque bénéficie d’une entente datant de 2014, laquelle aborde plusieurs aspects de sa prestation et établit la relation d’entrepreneur indépendant avec TVA. Il est membre en règle de l’UDA, il a un rapport de force avec TVA en ce qui concerne les négociations de contrat et conditions de travail, et il a la possibilité de participer aux profits, est soumis à des risques de perte de contrat et jouit d’une très grande marge de manœuvre dans le cadre de la production. Bien que le producteur conserve un certain contrôle, indique l’UDA, M. Lévesque exerce ses fonctions d’animateur par l’intermédiaire d’une entreprise distincte et a, à l’extérieur de TVA, d’autres projets artistiques en cours dont il tire des revenus. M. Lévesque pourrait faire travailler des tiers par l’intermédiaire de son entreprise et générer des revenus. Selon l’UDA, le Conseil doit analyser l’ensemble des revenus de l’entreprise de M. Lévesque pour évaluer le degré d’indépendance. Quoi qu’il en soit, soutient l’UDA, M. Lévesque pourrait n’avoir qu’un seul client tout en étant entrepreneur indépendant.

[169] Par ailleurs, insiste l’UDA, c’est M. Lévesque qui contrôle tout le contenu de ses émissions. Le fait qu’il offre ses services de manière exclusive à TVA est la norme dans le milieu des artistes afin de protéger la réputation et les intérêts de l’employeur. Le fait que M. Lévesque ne soit pas remplaçable est également habituel dans la relation producteur-artiste, puisque celle-ci est nécessairement et toujours axée sur la personne et le physique.

[170] L’UDA soutient que le critère de l’intégration de M. Lévesque à TVA doit être nuancé en raison du fait que plusieurs artistes-animateurs offrent leurs services depuis plusieurs années sans devenir pour autant des employés. C’est la nature même de son contrat qui justifie le fait que M. Lévesque passe beaucoup de temps chez TVA. La présence de M. Lévesque est temporaire; il pourrait éventuellement être écarté de ce travail et ne serait pas pour autant pris au dépourvu puisqu’il pourrait poursuivre ses activités professionnelles avec d’autres producteurs. Cela montre qu’il n’est pas une partie intégrante de TVA.

[171] L’UDA ajoute que M. Lévesque est un entrepreneur indépendant et que, de ce fait, il est un artiste-interprète relevant de la compétence de l’UDA. Le Conseil doit donc appliquer les critères de la LSA et déclarer que M. Lévesque est un artiste-interprète.

[172] L’UDA plaide par ailleurs que M. Lévesque ne peut être considéré comme un entrepreneur dépendant au sens du Code. La définition de dépendance économique ne trouve pas application dans ce cas particulier. M. Lévesque a une notoriété et un large pouvoir de négociation auprès de TVA, en plus de bénéficier d’une grande indépendance quant au contenu de ses émissions. Cet état de fait n’est pas compatible avec la notion d’employé ou d’entrepreneur dépendant au sens du Code.

[173] Par ailleurs, l’UDA rappelle que M. Lévesque a démissionné volontairement de son poste pour acquérir son autonomie et exploiter son entreprise. Son entreprise tire des revenus correspondant à environ 25 à 30 % de son chiffre d’affaires auprès de sources autres que l’employeur, ce qui est non négligeable compte tenu du temps que M. Lévesque consacre à TVA. Il a de nombreux projets en cours de réalisation qui vont lui rapporter ou lui rapportent déjà d’autres revenus; en ce sens, il n’est donc pas dans un état de dépendance économique et il pourrait conclure d’autres contrats rapidement en raison de sa notoriété, soutient l’UDA.

[174] L’UDA indique que, de façon générale, les artistes sont soumis au quotidien aux décisions des producteurs, qui peuvent mettre fin à leurs contrats en tout temps, et que les principes jurisprudentiels applicables à la notion d’entrepreneur dépendant doivent être nuancés et appliqués avec prudence dans le contexte du milieu artistique. En cela, elle soutient que TVA exerce peu de contrôle sur le travail de M. Lévesque.

[175] L’UDA souligne que la démission libre et volontaire de M. Lévesque et le caractère irrévocable de celle-ci doivent être pris en considération par le Conseil. M. Lévesque doit être libre d’adhérer au syndicat de son choix et il a exercé son choix auprès de l’UDA.

[176] En conclusion, l’UDA demande au Conseil de déclarer que M. Lévesque est un entrepreneur indépendant, que les tâches d’animateur qu’il exerce relèvent de l’UDA, et que l’ensemble des conditions de travail de M. Lévesque sont stipulées dans l’accord cadre entre l’UDA et TVA.

V. Analyse et décision

[177] Le Conseil est ainsi saisi d’une demande en vertu de l’article 18 du Code présentée par le syndicat, qui allègue que les fonctions exercées par M. Lévesque sont visées par l’ordonnance d’accréditation qu’il détient. La description de l’unité de négociation représentée par le syndicat est universelle. Elle vise tous les employés de TVA, sauf les fonctions nommément exclues.

[178] L’UDA, quant à elle, est une association d’artistes reconnue en vertu de la LSA qui a obtenu une accréditation auprès du TCRPAP le 29 août 1996. Cette accréditation a été confirmée par notre Conseil lors de l’abolition du TCRPAP le 29 avril 2013. L’UDA demande au Conseil de déclarer que M. Lévesque est visé par la portée intentionnelle de son ordonnance d’accréditation délivrée en vertu de la LSA. Ainsi, les activités liées au Groupe TVA relèvent à la fois de la juridiction du Conseil en vertu du Code et de la LSA. Ce sont deux juridictions parallèles.

[179] Le présent dossier soulève deux questions :

  1. M. Lévesque est-il visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat?

  2. Si la réponse à la première question est « non », M. Lévesque est-il un artiste au sens de la LSA qui est visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA?

A. M. Lévesque est-il visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat?

[180] L’article 18 du Code permet au Conseil de préciser la portée intentionnelle des ordonnances d’accréditation. Dans le cadre d’une demande en vertu de l’article 18, le Conseil peut trancher toute question qui peut se poser, et notamment déterminer si une personne est un employé au sens du Code et si une personne est liée par une convention collective, et ce, en vertu des sous-alinéas 16p)(i) et (vii) du Code.

[181] Le Conseil examinera ci-dessous les fonctions exercées par M. Lévesque ainsi que la portée de l’ordonnance d’accréditation.

1. Les fonctions et les conditions de travail de M. Lévesque

[182] Il est admis que M. Lévesque a signé un contrat d’emploi comme lecteur de nouvelles en 2005. Ce contrat d’embauche indique que M. Lévesque est lecteur de nouvelles, journaliste‑présentateur pour LCN. M. Jodoin a déclaré que le fait que M. Lévesque a été syndiqué à partir de 2006 constitue une erreur de la part de l’employeur, admettant que M. Lévesque avait pendant toutes ces années payé des cotisations syndicales.

[183] TVA soutient que, bien que M. Lévesque ait été embauché à titre de journaliste‑présentateur, lecteur de nouvelles, ces assignations ont cessé le 17 mars 2006, c’est-à-dire à la suite de la modification par le CRTC de la licence d’exploitation de LCN en 2006. Avant cette modification, LCN était une station d’informations continues limitée à la diffusion d’émissions de nouvelles, de reportages et d’actualités. À cet égard, le témoignage de M. Jodoin est clair. Avant 2006, LCN ne pouvait diffuser que des bulletins de nouvelles. Ce serait à la suite de la modification de la licence de LCN en 2006 que M. Lévesque a cessé de faire du travail de reporter-journaliste et a cessé de lire des nouvelles. À compter du 17 avril 2006, M. Lévesque serait devenu animateur de l’émission « Denis Lévesque ». Quant à elle, l’UDA estime également que M. Lévesque a commencé à occuper la fonction d’animateur au sens de l’accréditation de l’UDA après la modification de la licence d’exploitation de LCN, bien qu’elle ait toujours présumé que M. Lévesque occupait un poste de journaliste à TVA. Ce serait d’ailleurs la raison pour laquelle elle n’a pas cherché à faire valoir que le poste de M. Lévesque relevait de sa sphère de compétence.

[184] Le syndicat soutient essentiellement que la situation juridique de M. Lévesque n’a pas changé en 2006 et encore moins en septembre 2014 lors de sa démission. Pour le Conseil, ce n’est pas tant la démission de M. Lévesque à la fin d’août 2014 qui amène un changement dans les fonctions de ce dernier. TVA reconnaît d’ailleurs que les tâches accomplies par M. Lévesque n’ont pas changé en septembre 2014, mais que ce dernier exécute des tâches d’animateur depuis 2006, et que celles-ci ne sont pas visées par l’ordonnance d’accréditation du syndicat. Cela amène le Conseil à déterminer si les fonctions de M. Lévesque exercées depuis 2006 sont celles d’animateur, comme le soutiennent TVA et l’UDA, ou celles de journaliste-présentateur-lecteur de nouvelles, fonctions similaires à celles exercées par les employés syndiqués travaillant au service de l’information, tels les journalistes.

[185] Une longue preuve a été présentée par le syndicat sous forme de visionnement de plusieurs enregistrements des émissions « Denis Lévesque » et « Le Québec parle », toutes deux animées par M. Lévesque. Celle intitulée « Denis Lévesque » a débuté en avril 2006, soit à la suite de la modification de la licence de LCN par le CRTC. L’autre, intitulée « Le Québec parle », a vu le jour le 9 décembre 2014. Le syndicat a aussi soumis les descriptions de tâches du lecteur de nouvelles, reporter affaires publiques et reporter, toutes des fonctions syndiquées et visées par son ordonnance d’accréditation.

[186] Suivant le témoignage de M. Beaudet, les journalistes font aussi un travail d’animation ou de co-animation. Ce sont des journalistes et non des animateurs. Il a donné l’exemple de MM. Bruneau et Larocque, notamment, lesquels sont des employés syndiqués. M. Beaudet a reconnu néanmoins que la fonction d’animateur n’était pas incluse dans la convention collective du syndicat, soutenant que cette tâche fait partie de celle des journalistes. Aucun grief n’a d’ailleurs été déposé par le syndicat visant un travail d’animation.

[187] M. Portelance, qui exerce comme M. Beaudet des fonctions syndicales, a aussi travaillé pour l’émission « Denis Lévesque » pendant quelques semaines en 2005. Selon lui, il n’y aurait aucune distinction entre le travail de M. Lévesque et celui de « lecteur de nouvelles » exercé par Mme Thibault et M. Bruneau. En contre-interrogatoire, M. Portelance a toutefois admis que l’émission « Denis Lévesque », tel que présentée à compter de 2006, n’a pas le même format qu’en 2005.

[188] M. Portelance a aussi commenté les visionnements des enregistrements des émissions « Denis Lévesque » et « Le Québec parle ». Il voulait montrer que les sujets abordés dans les émissions animées par M. Lévesque se retrouvent dans les bulletins de nouvelles de TVA et de LCN. Il a donné comme exemple le cas de Cédrika Provencher. Le sujet a été repris à l’émission « Denis Lévesque » et des entrevues ont été faites par les reporters de TVA, tous syndiqués. En fait, M. Portelance estime que le rôle de M. Lévesque est celui de lecteur de nouvelles et animateur – il se situe entre les deux, convient-il. M. Portelance reconnaît par ailleurs que les sujets abordés à l’émission « Salut Bonjour » sont aussi traités dans d’autres émissions. Il en va de même, selon le témoin, pour l’émission de M. Dumont.

[189] M. Leboeuf, qui exerce également des fonctions syndicales et a participé à la négociation de la convention collective après la fusion en 2004 de quatre unités de négociation, soutient pour sa part que le poste de journaliste-animateur a été inclus dans l’entente de règlement intervenue en septembre 2004. Cette entente, soutient le témoin, visait tous les employés travaillant aux émissions d’affaires publiques, y compris les animateurs-journalistes. Il donne l’exemple de Mme Cazin. Il admet toutefois que le poste d’animateur à l’émission d’affaires publiques « Salut Bonjour » n’est pas syndiqué, ce qu’il attribue au fait que cette émission ne relève pas de la salle des nouvelles.

[190] Le témoignage de M. Jodoin convainc le Conseil que les émissions qu’anime M. Lévesque ne sont pas du même acabit que celles des lecteurs de nouvelles que sont Mme Thibault ou M. Bruneau. Ce qui différencie M. Lévesque des journalistes/animateurs et des lecteurs de nouvelles, selon le témoin, c’est en fait que M. Lévesque donne son opinion personnelle. Selon le témoin, les journalistes et lecteurs de nouvelles ne peuvent donner leur opinion personnelle dans l’exécution de leur travail. Rappelons que M. Jodoin occupe aujourd’hui le poste de rédacteur en chef, TVA Nouvelles; il est responsable des émissions chez TVA, dont celles animées par M. Lévesque. TVA est en fait le producteur de ces émissions.

[191] M. Jodoin a été catégorique quant à la question de savoir si le travail de M. Lévesque aux émissions « Le Québec parle » ou « Denis Lévesque » peut être fait par un journaliste de TVA : le travail d’un journaliste, c’est de traiter des faits et de les traiter de manière objective, c’est‑à‑dire avec impartialité. M. Lévesque, selon le témoin, exprime ses opinions et parfois argumente contre les téléspectateurs. Il ajoute qu’il n’accepterait pas que M. Bruneau ou Mme Thibault, qui sont des lecteurs de nouvelles, agissent ou se comportent de cette manière.

[192] Quant à l’émission « Denis Lévesque », M. Jodoin indique que M. Lévesque a une très grande liberté quant au choix des sujets ainsi qu’à la manière de les traiter. Il ajoute que M. Lévesque « a carte blanche ». M. Jodoin n’approuve d’ailleurs pas les sujets qui sont abordés à l’émission. Le concept est celui d’un « talk show » durant lequel l’actualité est discutée et des entrevues sont tenues, selon le témoin. Un ou des invités y participent, et parfois des journalistes, qui décrivent une situation.

[193] M. Jodoin a également commenté le visionnement de quelques émissions présentées en cours d’audience, dont celles du 14 mai 2014 et du 11 au 15 avril 2016. M. Jodoin déclare qu’un journaliste n’aurait pas pu traiter de cette manière des sujets qui étaient abordés. Il relate l’entrevue avec le chanteur « Boule Noire ». M. Lévesque cherchait à faire exprimer au chanteur et à sa conjointe leurs émotions. Pour montrer la pleine liberté qu’a M. Lévesque à l’égard des sujets traités lors de ses émissions, M. Jodoin a aussi donné l’exemple du lancement du CD de M. Lévesque. Il l’a fait jouer à sa propre émission.

[194] M. Jodoin a également commenté l’émission « Mario Dumont », à laquelle des invités et des chroniqueurs participent. À la suite de la présentation de quelques enregistrements de cette émission, M. Jodoin a soutenu qu’un journaliste ne pourrait pas faire cette émission, car M. Dumont fait des entrevues à partir d’une nouvelle, émet ses commentaires et donne sa propre opinion. M. Dumont n’est pas syndiqué, bien que le syndicat revendique le poste de M. Dumont.

[195] M. Jodoin a également commenté les émissions qu’animaient MM. Mongrain et Poirier. Ces deux animateurs exprimaient également leurs opinions personnelles et n’étaient pas syndiqués.

[196] Relativement à M. Larocque, lequel est syndiqué et anime une émission d’affaires publiques intitulée « J.E. », ainsi que « La Joute », M. Jodoin affirme que M. Larocque présente des reportages et, compte tenu de son expérience, intervient avec les reporters. M. Jodoin estime que M. Larocque ne donne pas son opinion personnelle pendant les émissions qu’il anime.

[197] M. Jodoin a aussi commenté les émissions animées par MM. Martineau, Arcand, Mongrain et Poirier – respectivement « Franchement Martineau », « Arcand », « Mongrain » et « Claude Poirier ». Tous ces animateurs n’étaient pas syndiqués et tous exprimaient leur opinion personnelle, selon M. Jodoin.

[198] Le témoignage de M. Jodoin concernant la distinction entre, d’une part, le rôle d’un journaliste, lecteur de nouvelles ou journaliste-animateur et, d’autre part, le rôle que jouent des animateurs, comme MM. Lévesque, Arcand, Mongrain, Poirier ou Martineau, n’a pas été contredit par le syndicat. D’ailleurs, M. Beaudet, témoin du syndicat, a confirmé qu’un journaliste ne peut donner son opinion sur un sujet. Le fait qu’un journaliste ou lecteur de nouvelles ne puisse exprimer son opinion personnelle dans l’exercice de ses fonctions comme le fait M. Lévesque lorsqu’il anime ses émissions distingue sans conteste le travail de ce dernier des autres personnes, qu’il s’agisse de journalistes-animateurs ou de lecteurs de nouvelles.

[199] Pour le Conseil, la preuve démontre que M. Lévesque est un animateur, et non un journaliste-animateur, et son rôle dans les émissions qu’il anime ne peut être assimilé à celui exercé par les employés syndiqués, comme le voudrait le syndicat. M. Lévesque jouit d’une liberté d’expression similaire à celle qu’avaient les animateurs Arcand, Mongrain, Martineau et Poirier, lesquels n’ont jamais été représentés par le syndicat. Cela amène maintenant le Conseil à déterminer si le poste d’animateur est visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation que détient le syndicat.

2. La portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat

[200] Tous admettent que l’accréditation que détient le syndicat est universelle, ce qui veut dire que toute nouvelle classification ou tout nouveau poste doit être inclus, à moins que les parties ne conviennent de son exclusion ou qu’il soit expressément exclu.

[201] En 2012, le Conseil a eu à se pencher sur la portée de l’unité de négociation du syndicat dans le cadre d’une demande visant à obtenir une déclaration selon laquelle les postes des employés de TVA Interactif étaient inclus dans l’unité de négociation. Dans Groupe TVA inc., 2012 CCRI 665, le Conseil s’est exprimé ainsi :

[94] Dans la présente affaire, compte tenu des politiques et de la jurisprudence du Conseil, et s’appuyant sur le fait que la description de l’unité de négociation dont il est question comprend les mots « tous les employés », le Conseil est d’avis que l’unité de négociation est universelle. Par conséquent, toute nouvelle classification ou tout nouveau poste à Groupe TVA est inclus dans l’unité de négociation, à moins que les parties ne conviennent de son exclusion ou qu’il y soit expressément exclu, soit parce qu’il s’agit de postes répondant aux critères d’exclusion énoncés à l’article 3 du Code ou de postes occupés par des employés d’autres employeurs de Groupe TVA ayant leur place d’affaires au 1600, boulevard de Maisonneuve Est.

[202] Or, la fonction d’animateur n’est pas nouvelle. La preuve a démontré que la fonction d’animateur existait depuis 1970, bien avant l’accréditation du syndicat et de l’UDA.

[203] L’ordonnance d’accréditation délivrée par le Conseil en faveur du syndicat le 10 mai 2000 décrit l’unité de négociation comme suit : « tous les employés travaillant pour Groupe TVA inc. de Montréal, à l’exclusion des postes identifiés à l’annexe A jointe à la présente ». Le poste d’animateur n’y est pas exclu. Dans Groupe TVA inc., précitée, le Conseil a résumé les trois types d’exclusions énumérés dans l’ordonnance d’accréditation du syndicat :

[96] Voici les trois types d’exclusions qui sont énumérées à l’annexe A de l’ordonnance d’accréditation rendue le 10 mai 2000 (no 7776‑U) :

- les personnes occupant un poste de cadre ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations de travail tel que le prévoit la définition d’employé à l’article 3 du Code;

- les employés d’autres employeurs de Groupe TVA ayant leur place d’affaires au 1600 de Maisonneuve Est; Y sont exclus notamment JPL Production inc., JPL Production II inc., TVA Ventes et Marketing inc., HSS Canada inc., TVA International inc., TVA Direct inc., et Club TVAchat inc.; puis,

- les employés déjà couverts par d’autres certificats d’accréditation.

[204] Avant l’ordonnance délivrée en faveur du syndicat en l’an 2000, le Conseil avait d’abord rendu une première ordonnance d’accréditation pour les employés de Télé-Métropole inc. (aujourd’hui Groupe TVA) pour les employés au service des nouvelles en 1975, puis une autre en 1985, pour les employés travaillant en ondes. En 1992, ces deux unités avaient été fusionnées. En 2000, se sont ajoutés les réalisateurs et les employés des services techniques – c’est alors que le Conseil a rendu l’ordonnance d’accréditation visant tous les employés du Groupe TVA (anciennement Télé-Métropole), à l’exclusion des postes identifiés en annexe.

[205] En mars 2002, le syndicat a demandé au Conseil de déclarer que « tous les employées et « employés réguliers » et surnuméraires occupant les fonctions de reporters, journalistes, journaliste-recherchiste, recherchistes, animateurs et animatrices aux émissions d’affaires publiques » du Groupe TVA faisaient partie de son unité de négociation. Les parties ont ultimement convenu que les fonctions de reporter, journaliste, journaliste-recherchiste, recherchiste et journaliste-animateur appartenaient à l’unité de négociation du syndicat. Cette entente ne visait pas la fonction d’« animateurs et animatrices », mais plutôt la fonction de journaliste-animateur, dont les fonctions d’animateur sont accessoires au rôle de journaliste. Le Conseil a confirmé cette entente dans Groupe TVA inc., 2003 CCRI LD 932, de la manière suivante :

À la lumière du dossier et de toute la documentation pertinente, de l’enquête et de l’analyse du Conseil, ce dernier est d’avis qu’il est approprié de déclarer que les postes et fonctions ainsi visés par l’entente des parties sont désormais compris dans ladite unité de négociation représentée par le syndicat, et qu’il n’est pas nécessaire de modifier le libellé de celle-ci.

Par conséquent, le Conseil déclare que les postes et fonctions de reporter, journaliste, journaliste-recherchiste, recherchiste et journaliste-animateur, affectés aux émissions d’affaires publiques diffusées sur les ondes du réseau TVA, font partie de l’unité de négociation accréditée le 10 mai 2000 (ordonnance no 7776‑U) par le Conseil, et représentée par le syndicat.

[206] De plus, la classification des emplois que l’on trouve dans la convention collective en vigueur du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016 n’inclut pas le poste d’animateur à son annexe 5. Les descriptions de tâches déposées en preuve, soit celles de lecteur de nouvelles, reporter affaires publiques, reporter et réalisateur, ne visent pas non plus le poste d’animateur. M. Beaudet a d’ailleurs indiqué lors de son témoignage que la convention collective n’incluait pas le poste d’animateur.

[207] Par ailleurs, le litige survenu en 2003‑2004, qu’a relaté le témoin M. Leboeuf, touchait les journalistes/animateurs travaillant aux émissions d’affaires publiques, lesquels étaient des journalistes permanents et réguliers, comme la journaliste Cazin. En fait, cette entente, que l’on trouve à l’annexe 2 de la convention collective, couvre les assignations ponctuelles d’animateur exercées par des journalistes et ne vise donc pas le poste d’animateur exercé à plein temps, tel celui exercé depuis 2006 par M. Lévesque. Il ne semble pas non plus, du moins la preuve ne l’indique pas, que cette entente ait touché le poste d’animateur exercé par MM. Mongrain, Martineau, Arcand ou Poirier, qui ont été animateurs après l’entente intervenue en 2004 entre le syndicat et TVA.

[208] La preuve démontre également que les animateurs tels MM. Poirier, Dumont, Martineau, Mongrain et Arcand, qui ont été animateurs au fil des ans à TVA, ont signé des contrats avec l’UDA lesquels ont été déposés en preuve. Le syndicat n’a d’ailleurs jamais revendiqué, au titre de son accréditation, les fonctions exercées par ces animateurs. Les griefs déposés en preuve par le syndicat ne touchent que des journalistes et des lecteurs de nouvelles ayant des fonctions accessoires d’animateur et ne visent pas la fonction d’animateur qu’exerce M. Lévesque.

[209] Le Conseil ne peut, à la lumière de la preuve, conclure que le poste d’animateur en est un qui était visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation que détient le syndicat. Par ailleurs, le poste d’animateur qu’exerce M. Lévesque ne figure pas à l’annexe 5 jointe à la convention collective liant le syndicat à TVA, et il n’y a pas non plus de description de tâches afférente à ce poste. Par conséquent, le Conseil conclut que M. Lévesque n’est pas visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation du syndicat.

3. Si la réponse à la première question est « non », M. Lévesque est-il un artiste au sens de la LSA qui est visé par la portée intentionnelle de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA?

[210] L’UDA est une association d’artistes reconnue autant en vertu de la LSA que de la loi provinciale.

[211] La LSA est entrée en vigueur en 1992. L’article 7 de cette loi énonce de la manière suivante l’objet de la Partie II, qui porte sur les relations professionnelles :

7 La présente partie a pour objet l’établissement et la mise en œuvre d’un régime de relations de travail entre producteurs et artistes qui, dans le cadre de leur libre exercice du droit d’association, reconnaît l’importance de la contribution respective des uns et des autres à la vie culturelle canadienne et assure la protection de leurs droits.

[212] Un « artiste » au sens de cette loi est un « entrepreneur indépendant » visé à l’alinéa 6(2)b) de la LSA dont le caractère professionnel est déterminé conformément à l’alinéa 18b). Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

6 (2) La présente partie s’applique :

b) aux entrepreneurs indépendants professionnels – déterminés conformément à l’alinéa 18b) :

(i) qui sont des auteurs d’œuvres artistiques, littéraires, dramatiques ou musicales au sens de la Loi sur le droit d’auteur, ou des réalisateurs d’œuvres audiovisuelles,

(ii) qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent de quelque manière que ce soit une œuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes,

(iii) qui, faisant partie de catégories professionnelles établies par règlement, participent à la création dans les domaines suivants : arts de la scène, musique, danse et variétés, cinéma, radio et télévision, enregistrements sonores, vidéo et doublage, réclame publicitaire, métiers d’art et arts visuels.

18 Le Conseil tient compte, pour toute question liée :

a) à l’application de la présente partie, des principes applicables du droit du travail;

b) à la détermination du caractère professionnel de l’activité d’un entrepreneur indépendant – pour l’application de l’alinéa 6(2)b)–, du fait que ses prestations sont communiquées au public contre rémunération et qu’il a reçu d’autres artistes des témoignages de reconnaissance de son statut, qu’il est en voie de devenir un artiste selon les usages du milieu ou qu’il est membre d’une association d’artistes.

[213] Le sous-alinéa 17p)(i) de la LSA permet au Conseil de déterminer si une personne est un « artiste » au sens de cette loi :

17 Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il est saisi au titre de la présente partie…

p) trancher toute question qui peut survenir, et notamment déterminer :

(i) si une personne est un producteur ou un artiste,

(ii) si un artiste adhère à une association d’artistes ou est représenté par celle-ci,

(iii) si une organisation est une association de producteurs, d’associations d’artistes ou d’artistes,

(iv) si un groupe d’artistes constitue un secteur pouvant faire l’objet de négociations,

(v) si un accord-cadre a été conclu, est en vigueur et quelles sont ses dates de prise d’effet et d’expiration,

(vi) si une personne ou une association est partie à un accord-cadre ou liée par celui‑ci.

[214] Bien que le Conseil ne soit pas directement saisi d’une demande présentée en vertu de la LSA, l’UDA a demandé au Conseil, et ce, dès le début des procédures dans cette affaire, de déclarer que M. Lévesque est visé par l’ordonnance d’accréditation qu’elle détient et qu’il est lié par l’accord-cadre. À cet égard, l’UDA a allégué que M. Lévesque était un artiste au sens de la LSA. Une grande partie des témoignages et plaidoiries dans cette affaire portait justement sur la question de savoir si M. Lévesque est un entrepreneur indépendant ou dépendant. Dans la mesure où le sous-alinéa 6p)(i) du Code permet au Conseil de déterminer si une personne est un « employé » au sens du Code, le Conseil estime qu’il peut examiner la question du statut de M. Lévesque dans le cadre de ce dossier.

[215] Le certificat d’accréditation de l’UDA a été délivré par le Tribunal le 29 août 1996, puis confirmé par le Conseil le 29 avril 2013 dans l’ordonnance no 10419-U. Dans la décision partielle Union des artistes (UdA), 1996 TCRPAP 017, qui portait sur la demande d’accréditation de l’UDA, cette dernière a clarifié le secteur de négociation proposé de la manière suivante :

[19] Afin de clarifier l’envergure du secteur proposé, le Tribunal a demandé à la requérante de lui fournir une liste énumérant les catégories professionnelles comprises dans le secteur proposé. Sans limiter la généralité de sa demande, la requérante a indiqué que les fonctions suivantes seraient incluses dans ce qu’elle considère être la catégorie « artistes interprètes » : acteur (notamment acteur principal, 1er rôle, 2e rôle, 3e rôle, rôle muet, figurant), animateur, annonceur, artiste invité, artiste de cirque, artiste de variétés, cascadeur, compagnon de cascade, coordonnateur de cascade, chanteur (notamment le chanteur soliste, duettiste, choriste soliste, choriste, chanteur qui s’accompagne d’un instrument pour la partie vocale et non instrumentale de sa performance), chef de chœur (sauf s’il agit comme chef d’orchestre), chef de groupe, chef de troupe, chef d’orchestre (s’il agit comme comédien ou acteur), chroniqueur, clown, comédien (notamment 1er rôle, 2e rôle, 3e rôle, rôle muet, figurant), commentateur, danseur (notamment soliste, duettiste, choriste‑soliste, choriste), démonstrateur, directeur de répétitions, diseur, doublure, folkloriste, illustrateur, imitateur, interviewer, lecteur, magicien, maître de cérémonie, manipulateur, mannequin, marionnettiste, mime (notamment soliste, duettiste, choriste), musicien (s’il agit comme comédien ou acteur), monologuiste, narrateur, paneliste, postulant, présentateur, remplaçant, réplique et reporter.

[216] L’UDA négocie avec les producteurs des accords-cadres qui définissent l’ensemble des conditions de travail des artistes-interprètes, y compris la fonction d’animateur exercée par des entrepreneurs indépendants au sens de la LSA. La preuve démontre d’ailleurs que l’UDA et le Groupe TVA ont signé depuis 1970 plusieurs ententes collectives, dont l’une est toujours en vigueur et contient une définition de la fonction d’animateur à son article 1-1.02 : « celui qui dirige, anime, présente ou relie les diverses parties d’une émission… ». La définition de la fonction d’animateur n’a d’ailleurs jamais été modifiée depuis près de 50 ans.

[217] La preuve démontre également que depuis de nombreuses années, tous les animateurs qui ont animé des émissions diffusées sur le réseau TVA ont signé des contrats avec l’UDA. C’est le cas notamment de M. Poirier pour l’émission « Le Vrai négociateur », de M. Dumont pour l’émission « Mario Dumont », de M. Martineau pour l’émission « Franchement Martineau », de Mme Lortie pour l’émission « Salut Bonjour Week-end », de M. Chouinard pour l’émission « Salut Bonjour », de M. Mongrain pour l’émission « Mongrain », de M. Arcand pour l’émission « Arcand », puis, finalement, de M. Lévesque depuis le mois d’août 2015, pour l’émission « Denis Lévesque ».

[218] Pour le Conseil, et comme l’a fait valoir l’UDA, cela signifie que la fonction d’animateur relevait de la sphère de compétence de l’UDA bien avant l’obtention de son accréditation en 1975.

[219] Toutefois, la portée de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA est limitée aux artistes-interprètes qui sont des « entrepreneurs indépendants » au sens de la LSA. De plus, l’alinéa 9(3)b) de la LSA exclut de son application les employés au sens de la Partie I du Code « pour les activités qui relèvent de leurs fonctions ».

[220] Le syndicat a invité le Conseil à déterminer en premier lieu si M. Lévesque est un employé au sens du Code. Essentiellement, le syndicat fait valoir que TVA avait et a toujours le contrôle véritable sur la prestation de travail de M. Lévesque, même depuis sa démission en août 2014, et soumet des éléments qui, selon la jurisprudence du Conseil, pourraient amener celui-ci à conclure que M. Lévesque est un entrepreneur dépendant au sens du Code. L’UDA, quant à elle, estime que le régime de relations du travail entre producteurs et artistes est atypique, et que les artistes sont considérés sous ce régime législatif, comme des entrepreneurs indépendants, mais qu’ils ont tout de même un lien de subordination avec les producteurs avec qui ils travaillent.

[221] Dans la décision Canadian Actors’ Equity Association, 1996 TCRPAP 010, le Tribunal a fait les observations suivantes concernant le statut d’« entrepreneur indépendant » au sens de la LSA :

[29] À diverses fins d’ordre juridique, le droit a dû faire une distinction entre les employés qui travaillent en vertu d’un contrat de service et les entrepreneurs indépendants qui fournissent des services à un individu dans le cadre d’un marché de services. Les tribunaux ont élaboré plusieurs critères permettant de déterminer si un travailleur est un entrepreneur indépendant. Tous ces critères ont en commun le fait que chaque situation doit être évaluée individuellement et qu’il est impossible de tirer des conclusions d’ordre général en se fondant uniquement sur le titre du poste.

[30] Puisque la PACT et Equity ont toujours traité les régisseurs de production, régisseurs et assistants régisseurs comme des entrepreneurs indépendants dans le cadre des négociations avec le CTA, le Tribunal propose qu’Equity et les producteurs qui relèvent de la compétence fédérale continuent de tenter de s’entendre sur le statut de ces professionnels au cas par cas. Si une affaire en particulier soulève un litige, il faudra déposer une demande en vertu de l’alinéa 17p) de la Loi sur le statut de l’artiste afin que le Tribunal détermine si une personne est un entrepreneur indépendant visé par l’accord-cadre.

[222] À notre connaissance, ni le Tribunal ni le Conseil n’a eu à traiter de la question à savoir si un artiste est réellement un entrepreneur indépendant au sens de la LSA. En effet, le statut des personnes qui exercent des fonctions visées à l’alinéa 6(2)b) et qui ont le caractère « professionnel » au sens de l’alinéa 18b) fait souvent l’objet d’une entente entre les parties à l’accord‑cadre.

[223] Dans l’affaire qui nous occupe, le Conseil est convaincu que M. Lévesque représente, joue et exécute une œuvre dramatique au sens de l’alinéa 6(2)b) et qu’il est un « professionnel » au sens de l’alinéa 18b), puisqu’il est membre de l’UDA et reçoit une prestation pour ses services d’animateur.

[224] Groupe TVA, l’UDA et M. Lévesque se sont entendus sur le statut de M. Lévesque lorsqu’il a décidé, en 2014, de démissionner et de conclure deux contrats d’engagement à titre d’animateur pour les deux émissions pour TVA. En concluant ces contrats d’engagement, M. Lévesque s’est assujetti aux modalités et conditions de l’entente collective entre l’UDA et Groupe TVA en tant qu’« artiste interprète qui est un entrepreneur indépendant » engagé par un producteur visé par la LSA.

[225] Le présent dossier soulève pour la première fois la question de savoir si un artiste est réellement un entrepreneur indépendant au sens de la LSA, ou plutôt un entrepreneur dépendant au sens du Code.

[226] À l’appui de ses prétentions, le syndicat a cité l’affaire Société Radio-Canada (1982), 44 di 19; et 1 CLRBR (NS) 129 (CCRT n° 383), qui portait, entre autres, sur le statut des pigistes à contrat de la SRC. Le Conseil a fait une analyse détaillée de la notion d’« entrepreneur dépendant » et a conclu que, « tant à cause de leur intégration dans l’entreprise, leur dépendance économique et juridique, de même que pour des motifs de saines relations de travail », les pigistes étaient des employés au sens du Code. Le Conseil a alors pris en compte les critères suivants, donnant toutefois préséance au critère de dépendance économique :

L’intégration dans l’entreprise et la dépendance économique;

Le contrôle du travail;

La relation avec les autres personnes effectuant un travail similaire;

L’exclusion du poste et le climat des relations de travail.

[227] Cette décision, rendue uniquement dans le contexte du Code, met l’accent sur les considérations de politique liées aux objectifs du Code. Par exemple, le Conseil s’y exprimait ainsi :

Il faut éviter, au nom de la paix sociale et de l’existence même de la négociation collective, d’exclure de l’application de la loi des personnes exécutant des fonctions similaires dans des conditions similaires de subordination auprès du même employeur. Si ces personnes étaient exclues, il s’ensuivrait des tensions et des remous dans les relations de travail, tensions qui bien souvent débouchent sur des conflits ouverts. L’expérience nous apprend également que l’employeur, pour éviter d’avoir à traiter de façon collective avec ses employés, tentera, si l’occasion s’y prête, de les transformer en « entrepreneurs » et ainsi échapper à l’application du Code (lire à ce sujet Arthurs, supra, pp. 96-101, « Denial or Rejection of Employee Status as a Source of Labour Relations Unrest ». Il nous faut donc également nous demander si la négation du statut d’« employé » à une personne va à l’encontre des objectifs du Code.

Comme on vient de le voir, le Parlement du Canada, et toutes les provinces canadiennes d’ailleurs, ont reconnu, en matière de relations de travail, le bien-fondé de la négociation collective comme moyen de contrebalancer le déséquilibre économique des parties à telles relations. D’un autre côté, la société et le Parlement ont également reconnu qu’il était essentiel, dans l’intérêt public, de favoriser la concurrence, et illégal de permettre le regroupement d’entrepreneurs, si tel regroupement avait pour effet de restreindre ou compromettre indûment cette concurrence (Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, art. 32 et suivants, Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 425). L’article 4 de la Loi relative aux enquête sur les coalitions prévoit qu’elle ne s’applique pas aux coalitions « d’ouvriers » ou « employés » (workmen or employees) formées en vue d’assurer raisonnablement leur protection professionnelle ni à leurs activités à cette fin. En d’autres termes, autant le Parlement, en matière de relations de travail, favorise le regroupement d’employés, autant en matière de commerce, il réprouve le regroupement d’entrepreneurs.

Si l’on considère les buts et objectifs du Code, il y a donc intérêt à ce que les termes « employé » ou « travailleur » soient définis de façon à inclure toute personne qui, dans ses relations de travail avec son employeur, est juridiquement ou économiquement dépendante. En effet, cette personne constitue une composante naturelle du groupe au nom de qui on recherche l’accréditation ou le certificat permettant la négociation collective. Il y a cependant une limite à cette affirmation. Cette limite se trouve au croisement des objectifs contradictoires de la négociation collective et de la libre concurrence. Nous constatons, dans notre régime qui se veut d’économie de libre marché, mais que l’on réglemente de plus en plus, qu’un grand nombre de personnes, incluant de nombreuses sociétés commerciales, sont en état de dépendance économique par rapport à d’autres. Nous sommes à l’ère des géants de l’industrie, de la finance et du commerce où l’on assiste, à toutes les semaines, à une prise de contrôle ou à une autre et à la création constante de tels géants qui, par leur main‑mise sur des marchés particuliers, créent constamment, par rapport à eux, des états de dépendance de plus en plus accentués. Pensons par exemple à une compagnie comme General Motors qui fait fabriquer des pièces d’auto par des compagnies qui peuvent elles‑même employer des centaines d’employés. Ces compagnies sont sûrement dépendantes économiquement de General Motors. On pourrait multiplier ces exemples par milliers.

(pages 104-105)

[228] Il est important de noter que cette décision a été rendue avant l’entrée en vigueur de la LSA et que le Conseil n’avait donc pas à analyser la question d’entrepreneur dépendant ou indépendant en tenant compte également des objectifs de cette loi.

[229] À cet égard, le Conseil tient à rappeler les principes suivants, énoncés aux articles 2 et 3 de la LSA :

2 Le gouvernement du Canada reconnaît :

a) l’importance de la contribution des artistes à l’enrichissement culturel, social, économique et politique du Canada;

b) l’importance pour la société canadienne d’accorder aux artistes un statut qui reflète leur rôle de premier plan dans le développement et l’épanouissement de sa vie artistique et culturelle, ainsi que leur apport en ce qui touche la qualité de la vie;

c) le rôle des artistes, notamment d’exprimer l’existence collective des Canadiens et Canadiennes dans sa diversité ainsi que leurs aspirations individuelles et collectives;

d) la créativité artistique comme moteur du développement et de l’épanouissement d’industries culturelles dynamiques au Canada;

e) l’importance pour les artistes de recevoir une indemnisation pour l’utilisation, et notamment le prêt public, de leurs œuvres.

3 La politique sur le statut professionnel des artistes au Canada, que met en œuvre le ministre du Patrimoine canadien, se fonde sur les droits suivants :

a) le droit des artistes et des producteurs de s’exprimer et de s’associer librement;

b) le droit des associations représentant les artistes d’être reconnues sur le plan juridique et d’œuvrer au bien-être professionnel et socio-économique de leurs membres;

c) le droit des artistes de bénéficier de mécanismes de consultation officiels et d’y exprimer leurs vues sur leur statut professionnel ainsi que sur toutes les autres questions les concernant.

[230] Dans The Writers’ Union of Canada, 1998 TCRPAP 028, le Tribunal a énoncé l’objectif visé par la LSA de la manière suivante :

[57] Le Tribunal est d’avis que l’objectif visé avec la Loi sur le statut de l’artiste était de compléter le régime prévu dans la Loi sur le droit d’auteur. Elle le fait en offrant aux artistes un mécanisme d’indemnisation additionnel pour l’utilisation de leurs œuvres, favorisant ainsi leur liberté de choix quant à la manière d’exploiter le fruit de leur talent créatif.

[58] La Loi doit recevoir une interprétation permettant de réaliser l’objectif visé par le législateur d’améliorer la situation socio-économique des artistes au Canada. La Loi confère aux associations d’artistes accréditées le mandat d’œuvrer au bien-être socio-économique des artistes. Par conséquent, toute exclusion du régime de négociation collective que le législateur a prévu pour les artistes indépendants devrait être clairement stipulée dans la Loi. Or, le législateur n’a pas expressément exclu de la portée des négociations collectives les questions se rapportant au droit d’auteur. De fait, la Loi ne renferme aucune restriction expresse quant au droit d’une association d’artistes de négocier avec les producteurs toute question touchant au bien-être socio-économique de ses membres. Cela est conforme aux principes généraux du droit du travail canadien, en vertu desquels il a été statué que l’obligation de négocier englobait toute question que les parties consentent à inclure dans leur convention collective.

[231] Le Conseil est d’avis que les critères permettant de déterminer si un travailleur est un entrepreneur indépendant doivent être appliqués en tenant compte de la réalité des artistes et de la réalisation de l’objectif visé par la LSA. Les artistes peuvent avoir un certain lien de subordination envers le producteur et être intégrés dans l’entreprise pour une période donnée tout en préservant une indépendance quant à leurs conditions de travail et une liberté de choix quant à la manière d’exploiter le fruit de leur talent créatif.

[232] Ainsi, bien qu’il y ait un contrôle, du moins en apparence, exercé par un producteur sur l’artiste, notamment en ce qui concerne la programmation, le concept des émissions, les horaires, les diffusions et une certaine intégration dans le cadre de productions, ces éléments en eux-mêmes ne peuvent faire obstacle au statut d’entrepreneur indépendant de l’artiste. Autrement, la LSA n’aurait aucun effet pratique sur le droit des artistes-interprètes qui peuvent avoir un certain lien de subordination envers le producteur.

[233] Dans la présente affaire, l’accord-cadre conclu sous le régime de la LSA prévoit d’ailleurs une certaine subordination de l’artiste, dans la mesure où ce dernier doit respecter la politique du producteur, notamment en matière de programme, ainsi que les horaires de travail et les activités de promotion.

[234] Comme il était indiqué dans Canadian Actors’ Equity Association, précitée, lorsqu’on détermine si un travailleur est un entrepreneur indépendant, chaque situation doit être évaluée individuellement. En ce qui concerne M. Lévesque en particulier, même si ses fonctions d’animateur n’ont pas changé depuis 2006 dans le cadre de ses émissions, le Conseil est d’avis que son statut a effectivement changé lorsqu’il a rompu la relation employeur employé avec Groupe TVA et qu’il a conclu avec celui ci des contrats d’engagement en vertu de l’accord‑cadre entre l’UDA et Groupe TVA.

[235] En effet, la preuve a démontré que M. Lévesque est en véritable situation de négociation avec TVA, notamment eu égard à la valeur de ses services et à sa prestation de travail. Depuis 2014, il n’est plus rémunéré aux deux semaines; il fournit plutôt une facture à TVA chaque semaine. Il maintient également un contrôle sur ses conditions de travail, en choisissant, entre autres, ses vacances et ses collaborateurs. De plus, comme la preuve l’a indiqué, M. Lévesque a une grande liberté de choix lorsqu’il exerce ses fonctions d’animateur, notamment quant aux sujets choisis et au style d’animation, ce qui constitue le cœur de sa prestation de travail. M. Lévesque exerce notamment plusieurs activités artistiques en parallèle et les revenus de son entreprise ne proviennent pas uniquement de TVA : il participe à des publicités et peut écrire des articles dans les journaux. Par ailleurs, comme on l’a mentionné ci-dessus, M. Lévesque exerce une fonction similaire à d’autres artistes-interprètes engagés par Groupe TVA et visés par l’ordonnance d’accréditation de l’UDA.

[236] Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que M. Lévesque est un « artiste » au sens de la LSA et qu’il exerce des fonctions d’animateur qui relèvent de la portée de l’ordonnance d’accréditation de l’UDA.

VI. Conclusion

[237] En conclusion, le Conseil rejette la demande du syndicat et déclare que M. Lévesque est visé par l’ordonnance d’accréditation de l’UDA.

[238] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

____________________

Louise Fecteau
Vice-présidente

 

____________________

Richard Brabander
Membre

 

____________________

Daniel Charbonneau
Membre

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.