Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Innotech Aviation Limitée,

plaignante,

et

Unifor; Association des employés de Innotech Aviation Limitée,

intimés.

Dossier du Conseil : 31503-C

Référence neutre : 2018 CCRI 884

Le 7 juin 2018

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Annie G. Berthiaume, Vice-présidente, siégeant seule en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code).

Des audiences ont eu lieu à Montréal les 17 et 18 mai 2017 et le 6 septembre 2017.

Ont comparu

Me Marie-Hélène Jetté, pour Innotech Aviation Limitée;

Me Catherine Saint-Germain, pour l’Association des employés de Innotech Aviation Limitée et Unifor.

I. Aperçu et procédure devant le Conseil

[1] Le 19 janvier 2016, le Conseil a été saisi d’une plainte de pratique déloyale déposée en vertu du paragraphe 97(1) du Code, alléguant violation des alinéas 95a) et 95b) et de l’article 96 du Code.

[2] Innotech Aviation Limitée (Innotech ou l’employeur) allègue principalement qu’Unifor s’est substitué à l’Association des employés de Innotech Aviation Limitée (l’Association) – qui est l’agent négociateur accrédité en l’espèce – en s’appropriant les prérogatives de cette dernière au moyen d’une entente de services intervenue entre les deux syndicats en novembre 2014 (l’entente de 2014), et d’une seconde entente conclue en avril 2016 (l’entente de 2016). Selon l’employeur, les ententes de services en question constituent une délégation totale des pouvoirs de l’Association à Unifor. Innotech soutient qu’Unifor a violé les dispositions du Code en lien avec l’accréditation, soulignant, entre autres, l’utilisation du logo d’Unifor et l’ajout de la mention « section locale 2410 Unifor » au nom de l’Association dans le cadre de diverses communications avec ses membres. Selon Innotech, l’Association se retrouve dans la même position que toute autre section locale d’Unifor dûment accréditée, alors qu’elle n’est pas un « syndicat Unifor ». L’employeur voit dans ces manœuvres une tactique de la part d’Unifor pour le forcer à négocier collectivement avec lui et créer de la confusion dans l’esprit des membres de l’unité de négociation quant à l’identité réelle de leur agent négociateur. Innotech soutient qu’une telle délégation de pouvoirs constitue une pratique déloyale de travail dans la mesure où Unifor devient de fait l’agent négociateur sans avoir eu à suivre les voies dictées par le Code, contournant ainsi le paragraphe 24(2) et l’article 43 du Code.

[3] Par suite de la demande de l’Association et d’Unifor (les parties syndicales), le Conseil avait rendu deux ordonnances de confidentialité en vertu du paragraphe 22(2) du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, visant les ententes de 2014 et de 2016 (ordonnances du Conseil nos 832-NB et 887-NB). Toutefois, ces ordonnances de confidentialité ont été levées avec le consentement des parties syndicales lors de la dernière journée d’audience.

[4] Par suite d’une téléconférence de gestion de l’affaire (TGA) tenue le 12 septembre 2016, le Conseil a demandé aux parties, entre autres, des observations quant à la façon dont se traduit l’engagement d’Unifor envers l’Association et quant à deux précédents jugés pertinents en l’espèce, soit Airtex Industries Ltd., [1990] Alta.L.R.B.R 509; et Yukon Energy Corporation, 2001 CCRI LD 377. Cette demande d’information avait notamment pour but de déterminer si la tenue d’une audience serait nécessaire pour trancher la plainte, ce qui a été le cas, compte tenu des faits en litige.

[5] Les audiences de la présente plainte ont eu lieu les 17 et 18 mai 2017. Tel que le Conseil en avait avisé les parties, la portée des audiences était limitée à la preuve contestée en lien avec la façon dont se traduisait l’engagement d’Unifor envers l’Association en vertu des ententes de services en litige. Les parties n’ayant pas été en mesure de présenter toute leur preuve, une troisième journée d’audience a eu lieu le 6 septembre 2017.

[6] Le 20 juin 2017, alors que les audiences étaient toujours en cours, l’employeur a déposé une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 19.1 du Code afin de suspendre la période de maraudage ou période dite « ouverte », qui devait débuter le 1er juillet 2017. L’employeur alléguait qu’il était nécessaire de suspendre la période « ouverte » prévue à l’article 24 du Code pour la présentation de demandes d’accréditation, car autrement, selon l’employeur, Unifor bénéficierait des pratiques déloyales alléguées dans le présent dossier pour obtenir son accréditation, et la présente plainte deviendrait théorique.

[7] Le Conseil a rejeté la demande d’ordonnance provisoire le 30 juin 2017 dans une décision avec motifs à suivre (voir Innotech Aviation Limitée, 2017 CCRI LD 3823). La période « ouverte » s’est écoulée et aucune demande d’accréditation n’a été présentée par Unifor ni par un autre syndicat. Les motifs de décision ont été rendus le 27 octobre 2017 (voir Innotech Aviation Limitée, 2017 CCRI 862).

[8] Le Conseil a entendu quatre témoins au cours des audiences relatives à la présente affaire. L’employeur a identifié M. Nicolas Fragassi, vice‑président aux opérations d’Innotech, et M. Alistair Price, vice-président des ressources humaines pour l’employeur. Quant aux parties syndicales, celles-ci ont identifié M. Steve Boucher, président de l’Association, et M. John Caluori, représentant national d’Unifor au moment des faits pertinents en l’espèce. Bien que les parties syndicales avaient identifié MM. Boucher et Caluori à titre de témoins, l’employeur a avisé le Conseil qu’il avait aussi l’intention de les interroger. Le Conseil a donc entendu les témoins dans l’ordre suivant : M. Fragassi, M. Boucher, M. Caluori et, enfin, M. Price, l’employeur ayant interrogé chacun des témoins en premier.

[9] Le Conseil n’a pas l’intention de décrire dans le détail le témoignage de chaque témoin entendu. Les présents motifs résument plutôt les faits pertinents de l’affaire, en faisant référence aux témoignages au besoin. En outre, le Conseil ne décrira pas chacun des éléments déposés en preuve. Le présent dossier ayant évolué au fil du temps, le Conseil a retenu les positions les plus récentes des parties, soit celles présentées lors des audiences.

[10] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve au dossier, les témoignages entendus et les plaidoiries finales des parties, le Conseil conclut qu’il n’y a eu aucune contravention aux alinéas 95a) et 95b) ni à l’article 96 du Code. Ainsi, le Conseil rejette la plainte de l’employeur. Voici les motifs de la décision du Conseil.

II. Faits et témoignages

A. Les parties

[11] Innotech est une division d’I.M.P. Group International Inc. (I.M.P.), qui fait de l’entretien, de la réparation et de l’ébénisterie d’avions d’affaires.

[12] L’Association est un syndicat accrédité par le Conseil depuis le 29 juin 1993, en vertu de l’ordonnance no 6250‑C, pour représenter :

tous les employés de Innotech Aviation Limitée à Dorval travaillant dans l’ingénierie, la production et les ventes, à l’exclusion des contremaîtres, des surveillants et de ceux de rang supérieur, du personnel de bureau, des hommes à tout faire, et des ingénieurs de l’avionique et de la tension.

[13] L’Association compte entre 250 et 300 membres répartis dans trois établissements autour de l’aéroport Pierre-Elliot-Trudeau, plus précisément un hangar de maintenance et de finition, un atelier d’ébénisterie ainsi qu’un atelier de peinture d’avions. Son comité exécutif est composé d’un président, d’un vice-président, d’un trésorier et d’un secrétaire; des représentants sont également attitrés aux divers départements d’Innotech visés par l’accréditation.

[14] L’Association et Innotech sont liées par une convention collective signée le 5 mai 2016 pour la période allant du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2020.

[15] Unifor est un syndicat national issu de l’union entre le syndicat des Travailleurs canadiens de l’automobile et le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier. Unifor regroupe maintenant plus de 300 000 membres présents dans divers secteurs de l’économie canadienne.

B. Le fonctionnement des sections locales d’Unifor

[16] Lors de son témoignage, M. Caluori a expliqué au Conseil la structure d’Unifor, plus précisément le fonctionnement de ses sections locales dûment accréditées.

[17] Unifor est composé de différentes sections locales uniques ou comportant plusieurs unités de négociation. Les membres de ces sections locales dûment accréditées sont membres en règle d’Unifor. Chacune des sections locales se voit attribuer un numéro de section locale. M. Caluori a expliqué que cette attribution est faite à des fins purement administratives, notamment pour la gestion des cotisations syndicales. Il a précisé que les sections locales n’ont pas l’obligation d’utiliser leur nom de section « numérotée » ou le nom d’Unifor dans leurs communications qui ne sont pas de nature administrative. M. Caluori a toutefois estimé qu’il y avait une certaine fierté à faire partie d’Unifor, ce qui faisait en sorte que cette utilisation était courante. Par ailleurs, les sections locales sont habilitées à posséder certains actifs, par exemple un compte bancaire, et du matériel et de l’équipement de bureau.

[18] M. Caluori a expliqué que les sections locales dûment accréditées sont assujetties à l’entièreté des statuts nationaux d’Unifor. Sans faire une énumération complète des articles de ces statuts déposés en preuve, les sections locales doivent notamment respecter la déclaration de principes (article 2), les objectifs d’Unifor (article 3), le Code d’éthique et des pratiques démocratiques (article 4), les droits et responsabilités des membres et les règles de participation à la gouvernance d’Unifor (article 5), les procédures de vote pour les scrutins et élections lors des congrès (article 6), ainsi que la cotisation nationale de 0,735 % et les cotisations régionales pour les services de représentation et du Conseil québécois de 0,0135 % (article 16). Elles doivent également respecter les règles de responsabilités des dirigeants des sections locales et de vérification des états financiers et mettre en place différents comités permanents (article 15). Des règles de supervision et de réorganisation des sections locales (article 15) et des règles de négociations collectives (article 17) sont aussi prévues.

[19] Lors de son témoignage, M. Caluori a expliqué que le représentant national d’Unifor est en quelque sorte le « point d’attache » entre les élus des sections locales et la structure nationale d’Unifor. Il est chargé d’offrir certains services d’Unifor aux sections locales, notamment des services de représentation en arbitrage de griefs et, parfois, lors des réunions des comités de relations du travail, ainsi que des services pour la négociation collective. Lors des négociations collectives, le représentant national peut agir à titre de porte-parole et parfois écrire les demandes présentées par une section locale; le président de la section locale peut cependant aussi assumer ce rôle, et le rôle du représentant national se limite alors à donner des conseils stratégiques et à s’assurer du respect de la loi et des règles de négociation votées par Unifor. Le degré d’autonomie des sections locales est fonction de leur niveau de capacité et de leur expérience. Ultimement, les membres des sections locales votent les offres et en disposent sans avoir l’obligation de suivre les recommandations du représentant national. Dans les comités de relations du travail, le rôle du représentant est tributaire des conventions collectives dûment négociées. Par ailleurs, bien que le représentant national agisse normalement à titre de représentant pour les arbitrages de griefs, rien n’empêche une section locale de faire appel à d’autres services de représentation. Le représentant national pourrait être également appelé à rédiger des griefs. Différents services additionnels sont également offerts aux sections locales, si elles souhaitent s’en prévaloir, notamment un service permettant de couvrir les frais variés liés aux arbitrages et le service de représentation pour les travailleurs accidentés.

C. Le contexte entourant l’entente de services du 7 novembre 2014

[20] L’Association et Innotech étaient liées par une convention collective qui arrivait à échéance le 30 septembre 2014. Le ou vers le 7 novembre 2014, une entente de services, l’entente de 2014, libellée comme suit est intervenue entre Unifor et l’Association :

PRÉAMBULE

L’objectif de cette entente de service est de permettre au Syndicat de mieux connaître Unifor et de favoriser une syndicalisation future.

LES PARTIES ONT CONVENU CE QUI SUIT :

1. Le Syndicat s’engage à respecter les statuts et règlements d’Unifor.

2. Le Syndicat s’engage à mettre fin à tout autre contrat ou engagement en vigueur qui pourrait exister entre lui et tout conseiller ou firme de conseillers, avocat ou firme d’avocats externe.

3. Le Syndicat accepte que l’entente de service soit en vigueur à compter de la signature et pour une période maximale d’un an.

Toutefois, s’il advenait que les négociations pour le renouvellement de la convention collective qui lie actuellement le Syndicat à Innotech Aviation ne soient pas terminées à l’échéance de la présente entente de service; les parties s’entendent pour prolonger la présente entente de service le temps nécessaire afin de compléter le renouvellement de la convention collective.

4. Pour la durée de l’entente de service, le nom du Syndicat sera l’Association des employés d’Innotech Aviation; section locale 2410 Unifor.

5. Comme décrit à l’article 16 des Statuts d’Unifor, le Syndicat accepte de payer à Unifor une cotisation syndicale de 0.735 % du salaire normal gagné dans le cadre d’heures de travail normales. Excluant toute autre prime.

6. Comme stipulé à l’article 10 paragraphe 10 des Statuts d’Unifor, le Syndicat accepte de  payer à Unifor une cotisation de 0.0135 % du salaire normal. Excluant toute autre prime. Cette cotisation sera remise par Unifor au Conseil québécois d’Unifor.

Le syndicat conserve le plein pouvoir décisionnel sur l’établissement de la cotisation à payer par leurs membres, en sus de celles prévues aux paragraphes 5 et 6.

Advenant que le Syndicat décide d’augmenter la cotisation au-dessus de ce qui est prévu aux paragraphes 5 et 6, cette augmentation de cotisation reste la propriété exclusive du Syndicat.

7. a) Le paiement des cotisations s’effectue sur une base mensuelle.

b) Le premier versement de la cotisation à Unifor et au Conseil québécois d’Unifor s’effectuera un mois après la date de signature couvrant ainsi le mois qui vient de s’écouler.

8. Toutes les sommes d’argent et les biens appartenant au Syndicat restent la propriété exclusive du Syndicat.

9. Unifor, pour sa part, s’engage à fournir au Syndicat tous les services normalement fournis à ses membres, à l’exception du droit de vote au congrès d’Unifor et au Conseil québécois.

10. Unifor s’engage à offrir, à ses frais, une formation sur la négociation collective pour les dirigeants actuels du Syndicat ainsi qu’une formation de délégué aux délégués actuels, et ce, le plus tôt possible.

11. La présente entente engage les dirigeants présents ou futurs du Syndicat et d’Unifor.

12. Les dirigeants et les délégués du Syndicat s’engagent à recommander à leurs membres de voter pour la présente entente.

13. À la fin de la présente entente, les dirigeants et les délégués actuels ou futurs du Syndicat s’engagent à recommander à leurs membres de voter en faveur d’une fusion entre le Syndicat et Unifor.

[21] M. Boucher a décrit le contexte entourant la signature de cette entente de 2014 lors de son témoignage. La convention collective alors en vigueur arrivait à échéance le 30 septembre 2014, et le comité exécutif de l’Association nouvellement élu depuis l’été 2014 s’apprêtait à entreprendre des négociations avec l’employeur. Une mésentente sur les heures de libération syndicale, jugées excessives par l’employeur, a mené au dépôt de griefs aux noms du président et du vice-président de l’Association. À l’aube des négociations, compte tenu du temps requis pour celles-ci, et suivant l’avis d’un avocat externe qui conseillait sporadiquement l’Association depuis une quinzaine d’années, il a été convenu d’entreprendre des démarches auprès de centrales syndicales pour obtenir des services d’un syndicat plus aguerri. M. Boucher a expliqué que, après avoir fait des recherches auprès d’autres centrales syndicales, il a réalisé qu’Unifor était l’agent accrédité de sociétés sœurs d’Innotech – IMP Aerospace and Defence, an Operating Unit of IMP Group limitée, à Halifax (Nouvelle-Écosse), et Cascade Aerospace Inc., à Abbotsford (Colombie-Britannique) – mais aussi d’autres compagnies du secteur de l’aviation. Les discussions avec Unifor visaient initialement une possible affiliation, mais après avoir pris le pouls auprès des membres de l’Association, le comité exécutif de cette dernière a plutôt décidé de proposer une entente de services, afin que les parties syndicales apprennent à se connaître et que, dans le cas d’une expérience positive, la possibilité soit éventuellement donnée aux membres de s’affilier à Unifor. Le projet d’entente de services et les statuts d’Unifor ont été transmis à l’avocat externe de l’Association pour qu’il s’assure qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre les statuts et règlements de l’Association et les statuts d’Unifor. Le 1er novembre 2014, l’Association a tenu une assemblée générale lors de laquelle Unifor et le projet d’entente ont été présentés. Les membres de l’Association ont voté en faveur de l’entente de 2014, qui a ultimement été signée le 7 novembre 2014.

[22] Selon M. Boucher, les membres de l’Association ne devenaient pas membres d’Unifor en vertu de l’entente de 2014. Il a expliqué que l’entente avait pour objectif de « joindre un service » et que les membres de l’Association comprenaient bien qu’ils étaient toujours membres de cette dernière, et non d’une section locale d’Unifor dûment accréditée. Toutefois, il a reconnu que l’Association devait, suivant le paragraphe 1 de l’entente de 2014, respecter l’idéologie d’Unifor, soit les articles 2 et 3 et « probablement 4 » des statuts énonçant les principes directeurs d’Unifor.

[23] M. Boucher a expliqué que lui et d’autres membres du comité exécutif de l’Association ont eu la possibilité de participer au Congrès national et au Conseil québécois d’Unifor en 2015, mais seulement à titre d’observateurs, c’est-à-dire sans avoir le droit de voter sur ce qui était discuté. M. Caluori a précisé qu’il fallait être membre en règle d’Unifor en vertu de l’article 5 des statuts d’Unifor pour être habilité à voter et briguer les suffrages. Ainsi, aucune des recommandations votées lors de ce Congrès et de ce Conseil n’étaient applicables aux signataires d’ententes de services.

[24] Pour la durée de l’entente de 2014, et à des fins purement administratives, l’Association devait également, suivant le paragraphe 4 de l’entente de 2014, se désigner sous le nom de « section locale 2410 Unifor ». Expliquant avoir compris la nécessité d’une mention numérique par Unifor à des fins administratives uniquement, M. Boucher a précisé que « 2410 » représentait de fait le numéro de poste téléphonique de l’Association. M. Boucher a précisé que les membres du comité exécutif se sont assurés que le nom de l’Association était encore utilisé pour établir une distinction, d’où la dénomination retenue : « Association des employés d’Innotech Aviation, section locale 2410 Unifor ». Il a précisé qu’Unifor n’a jamais fait de demandes particulières quant à l’utilisation de ce nom dans les communications diverses envoyées aux membres. M. Boucher a expliqué que cette initiative de l’exécutif de l’Association avait été prise simplement afin de faire connaître à ses membres le « service » que l’Association avait obtenu et pour lequel les membres cotisaient.

[25] M. Caluori a également témoigné sur la teneur de l’entente de 2014. À titre de représentant national d’Unifor, il était celui qui était chargé de fournir les services à l’Association et de créer les conditions pour favoriser la fusion envisagée entre les parties syndicales. Il a d’abord mentionné qu’il avait eu à appliquer d’autres ententes de services similaires par le passé. Il a indiqué que ce genre d’entente donnait la possibilité à un syndicat de « magasiner » les services d’Unifor, et d’apprendre à le connaître, dans le but ultime d’une fusion, ou d’une accréditation future lors de la période « ouverte » ou dans le cadre d’un maraudage « amical ». Il a indiqué que la clause portant sur le respect des statuts et règlements d’Unifor n’était pas propre à l’entente de 2014 et avait une portée limitée, contrairement à ce qui s’applique aux sections locales d’Unifor dûment accréditées. L’Association devait respecter les articles 2, 3 et 4 pour les principes généraux qui gouvernent Unifor, l’article 10 en principe, vu la cotisation exigible, l’article 16 eu égard aux cotisations syndicales, et l’alinéa 17c) pour les règles entourant la caisse de grève et de défense. M. Caluori a également précisé que la clause d’exclusivité de services prévue à l’article 2 dans l’entente de 2014 visait simplement à ce qu’Unifor ne soit pas tenu responsable de frais ultimement payés à des conseillers ou avocats externes. Par ailleurs, il a souligné que l’entente de 2014 prévoyait explicitement une procédure de fusion et que, par conséquent, il n’y avait pas d’intention de maraudage à l’époque. M. Caluori a précisé que les membres de l’Association n’étaient pas membres en règle des instances d’Unifor, soit le Congrès national et le Conseil québécois. Par contre, il a reconnu que le service pour les travailleurs accidentés offert par Unifor, qui est un service ponctuel, est aussi disponible pour les associations liées par ententes de services, si elles désirent y adhérer.

[26] L’employeur a été avisé de l’entente de 2014 au mois de novembre 2014. M. Price a indiqué avoir reçu un appel de M. Caluori, qui l’a informé qu’une entente de services avait été conclue entre les parties syndicales et qu’il serait désormais appelé à piloter les négociations collectives, tout ce qui avait trait à l’arbitrage de griefs (procédure de griefs au troisième palier) et certaines autres affaires. M. Caluori aurait toutefois refusé de fournir à M. Price une copie de l’entente de 2014. M. Price n’aurait alors pas posé de questions plus précises quant à la nature des services offerts. De fait, il n’aurait pas cherché à savoir si d’autres services pourraient être offerts par Unifor. M. Price a témoigné qu’à sa connaissance, le directeur québécois d’Unifor allait également appeler le président d’Innotech pour l’informer de l’entente de 2014. M. Fragassi en aurait pour sa part été informé pendant la même période, au moyen d’une alerte électronique « Google » sur son ordinateur. Par ailleurs, le Rapport du directeur québécois d’Unifor, préparé pour le Conseil québécois d’Unifor du 28 au 30 novembre 2014, contenait notamment les informations suivantes :

10. … Nous avons été accrédités pour une dizaine de nouveaux groupes en recrutant plus de 800 nouveaux membres. Au nombre de ces nouveaux membres, mentionnons les 300 de la compagnie Innotech avec qui nous avons conclu un contrat de service...

D. L’évolution des négociations collectives et les préoccupations de l’employeur quant à la teneur de l’entente de 2014

[27] À la suite de la signature de l’entente de 2014, M. Caluori a visité les installations de l’employeur, lors d’une visite qu’il a qualifiée de « très cordiale, très respectueuse ». M. Price et M. Fragassi l’accompagnaient. Peu de temps après, M. Caluori aurait annoncé à l’employeur que les négociations collectives débuteraient uniquement après le règlement des griefs relatifs aux libérations syndicales. Des rencontres ont été fixées les 17 et 18 décembre 2014. M. Price a expliqué qu’à la demande de l’employeur, les membres du comité exécutif de l’Association se sont présentés à la rencontre du 17 décembre 2014 sans M. Caluori. L’employeur souhaitait obtenir des précisions quant au rôle exact que tiendrait Unifor auprès de l’Association. M. Price a indiqué avoir obtenu les éclaircissements souhaités dans la mesure où on lui a dit que M. Caluori serait responsable des négociations collectives et des questions d’arbitrage et que l’entente de 2014 avait une durée d’un an. Une allusion aux services offerts en lien avec les demandes d’indemnisation pour accidents du travail aurait peut-être été faite. Les communications liées aux conventions collectives devaient également être envoyées à M. Caluori puisqu’il assurait le lien avec l’exécutif de l’Association.

[28] Les discussions entourant le règlement des griefs ont finalement débuté le lendemain, le 18 décembre 2014, menant ultimement à une entente entre les parties. Les termes des transactions ont été négociés avec M. Caluori, en présence des membres du comité exécutif de l’Association. Les documents de transactions entre l’Association et Innotech ont ultimement été finalisés par l’employeur et signés le 5 février 2015, par M. Price, M. Caluori ainsi que les membres de l’exécutif concernés.

[29] Une entente de principe étant intervenue relativement aux griefs, l’Association a remis à l’employeur le 18 décembre 2014 une copie du cahier de demandes syndicales pour les négociations. La page frontispice de ce cahier portait la mention « Association des Employés d’Innotech Aviation (Section Locale 2410) » et affichait le logo d’Unifor Québec. Des dates auraient aussi été proposées en vue de la poursuite des négociations collectives. MM. Price et Fragassi ont indiqué qu’il s’agissait du premier document officiel dont ils ont pris connaissance qui portait cette mention et affichait le logo d’Unifor. M. Boucher a affirmé que les demandes syndicales ont toutes été pensées et préparées par le comité exécutif de l’Association au cours de l’été 2014, mais que M. Caluori avait apporté son aide pour assurer la concision de ces demandes et pour la mise en page du cahier, aux bureaux d’Unifor. M. Boucher a ajouté que M. Caluori aurait d’ailleurs été « en choc » après avoir pris connaissance des demandes formulées par l’Association.

[30] Parallèlement à ce début de processus de négociation collective, différentes formes d’affichage qui donnaient à voir la présence d’Unifor ont commencé à apparaître. MM. Fragassi et Price ont affirmé que les membres de l’Association portaient des cocardes à l’effigie d’Unifor et que les membres du comité exécutif de l’Association utilisaient notamment des épinglettes, des sacs et des cartables de notes d’Unifor. Le logo d’Unifor était également apposé sur la porte du local de l’Association. Certains employés auraient aussi porté des cocardes rouges, à l’effigie d’Unifor. M. Price a précisé que cela posait un risque pour la sécurité au travail et ne faisait pas partie de l’uniforme d’Innotech. M. Boucher a précisé que, même si des membres auraient souhaité avoir des accessoires d’Unifor tels des manteaux lorsque la situation avec l’employeur était plus houleuse, l’exécutif de l’Association souhaitait éviter de mettre « de l’huile sur le feu », afin de conclure une convention collective le plus tôt possible. M. Price a confirmé qu’aucune mesure disciplinaire n’aurait toutefois été imposée par l’employeur pour des motifs liés à cette forme d’affichage ou de démonstration.

[31] Dans la foulée de l’entente de 2014, l’Association a également commencé à afficher des communiqués et des convocations pour les assemblées générales, adressés aux membres afin de les tenir informés des négociations collectives. Du 1er novembre 2014 au 9 avril 2016, sept avis d’assemblée ont été affichés. Trois de ces avis portaient le logo d’Unifor. Quant aux communiqués, environ 17 ont été affichés sur les différents babillards de l’Association dans les établissements de l’employeur du 19 décembre 2014 au 30 mars 2016. Ces communiqués, à l’exception d’un seul, portaient la mention « Association des Employés de Innotech Aviation, Local 2410 Unifor » et affichaient le logo d’Unifor. Ils étaient rédigés par M. Boucher avec l’aide des membres de son comité exécutif, et M. Caluori était ponctuellement appelé à faire une relecture pour éviter l’oubli de certains détails. Un de ces communiqués, daté du 27 janvier 2015 et portant sur les efforts pour régler les griefs sur les libérations syndicales, était ainsi rédigé :

… Soit qu’[Innotech] ne digère pas notre décision de joindre les rangs du Syndicat Unifor et tente de nous provoquer, ou soit qu’elle panique devant le fait que nous sommes dorénavant mieux organisés pour défendre nos membres, comme nous l’avons démontré en déposant un grief qui conteste le non-respect de l’entente au sujet du bonus pour ceux qui ont travaillé durant la période des Fêtes…

[32] M. Boucher a reconnu lors de son témoignage que les mots choisis pour parler de l’entente de 2014 dans ce communiqué pouvaient porter à confusion à la lecture, mais il a précisé qu’il n’y avait toutefois pas d’ambiguïté pour les membres. À cet égard, il a expliqué que les membres savaient qu’ils avaient voté en faveur d’une entente de services sans affiliation. Il a indiqué que certains membres et représentants syndicaux s’étaient posé des questions supplémentaires lorsqu’ils avaient vu apparaître la mention « section locale 2410 Unifor » en 2014, mais il a précisé que les membres du comité exécutif de l’Association ont tenu une rencontre avec les représentants syndicaux et discuté avec les membres concernés pour répondre à ces interrogations. En substance, M. Boucher a expliqué avoir pris cette initiative pour les membres. Le message était que l’Association – et, dans les faits, les membres – payaient pour un service fourni par Unifor, et que l’Association voulait que ce service ait une visibilité, l’objectif étant de montrer qu’elle avait obtenu du soutien. M. Boucher affirme que les membres ont rapidement compris.

[33] C’est à partir de janvier 2015 que la mention « Association des Employés de Innotech Aviation, Local 2410 Unifor » a commencé à apparaître dans la signature électronique des membres du comité exécutif de l’Association.

[34] M. Price a indiqué lors de son témoignage avoir eu des discussions avec M. Caluori sur la présence d’Unifor, au fil des négociations collectives. La première rencontre a eu lieu le 17 décembre 2014. Toutefois, M. Caluori n’a été présent qu’à partir de la deuxième journée, soit le 18 décembre 2014. M. Price a expliqué qu’il considérait qu’il y avait confusion et « fausse représentation » quant au rôle d’Unifor, et que cela constituait une entrave à son travail dans la mesure où la haute direction d’I.M.P. se questionnait sur les intentions d’Unifor et sa volonté d’obtenir une accréditation. Selon M. Price, l’employeur était préoccupé par le fait qu’Unifor « s’introduisait par des moyens détournés » (traduction). Il a indiqué que M. Caluori estimait être en droit d’être là. M. Price a témoigné que M. Caluori lui aurait expliqué être le porte-parole de l’Association. Ainsi, il avisait M. Price de lui transmettre toute communication à l’intention de l’Association.

[35] Le 24 avril 2015, après plusieurs rencontres de négociations, M. Price a transmis un courriel à M. Boucher dans lequel il signalait avoir noté que le logo d’Unifor apparaissait sur un communiqué adressé aux membres, et non celui de l’Association. Soulignant que, selon sa compréhension, l’Association avait seulement conclu une entente de services d’une durée d’un an pour qu’Unifor l’assiste dans le cadre des négociations et des griefs, M. Price demandait à M. Boucher de clarifier la nature de l’entente de 2014. M. Boucher a précisé qu’il s’agissait d’une simple erreur, qui était corrigée, et il a annexé une nouvelle pièce jointe. M. Price soulignait le 27 avril 2015, être embêté, car il voyait sur la nouvelle pièce jointe le logo d’Unifor et la mention « Local 2410 ». Il a alors réitéré sa demande de clarification, et une nouvelle fois le 5 mai 2015. Le 11 mai 2015, il a également écrit un courriel à M. Caluori pour reformuler sa demande et annoncer que les négociations seraient suspendues jusqu’à ce qu’il reçoive les informations demandées :

John,

Je vous écris pour vous aviser que les négociations sont suspendues jusqu’à ce que la nature de la relation entre Unifor et l’Association nous ait été confirmée officiellement par écrit.

Actuellement, Unifor est représenté comme l’agent négociateur de l’Association des employés de Innotech, en l’absence d’une accréditation légale. Tant que nous n’aurons pas reçu une confirmation écrite de la part de l’Association quant à la nature de sa relation avec Unifor, vous ne serez pas autorisé, ni aucun autre représentant d’Unifor, à assister aux négociations.

(traduction)

[36] Le 11 mai 2015, M. Caluori a répondu à M. Price pour réitérer l’information sur la nature de l’entente de 2014 qu’il lui avait donnée à l’automne 2014 :

Alistair,

Vous faites maintenant cette demande, après 13 journées de négociation? Nous croyions que la nature de la relation entre Unifor et l’Association était claire, après que nous vous l’ayons décrite à notre première réunion, à l’automne 2014.

Quoi qu’il en soit, je vous reconfirme que nous avons un contrat de services avec l’Association pour représenter cette dernière dans le cadre des négociations, ainsi que pour l’administration des griefs et pour tout autre service que nous pouvons assurer.

(traduction)

[37] Un communiqué a également été envoyé aux membres de l’Association pour leur expliquer l’état de la situation quant aux demandes d’informations de l’employeur. La démarche de l’employeur a été qualifiée ainsi :

… À notre avis, il s’agit d’une tentative de saboter la possible association avec Unifor dans le futur…

[38] Le 13 mai 2015, M. Price a confirmé la reprise des négociations collectives, intimant toutefois à l’Association de cesser de laisser entendre, dans ses communications ou toute autre forme de représentation, qu’elle était affiliée à Unifor :

John et Steve,

Je vous remercie pour vos courriels confirmant qu’Unifor a un contrat officiel avec l’Association des employés de Innotech pour apporter son aide à cette dernière dans le cadre du processus de négociation collective actuel. À la lumière de cette information, l’entreprise reprendra les négociations à la date prévue, mercredi prochain, le 20 mai, à 8 h 30.

Toutefois, IMP demande que l’Association mette fin à toute communication ou représentation sous quelque forme que ce soit donnant à penser qu’elle est membre de la section locale 2410 d’Unifor, ou affiliée à cette dernière, ce qui comprend entre autres l’utilisation des en-têtes et blocs-signature d’Unifor.

(traduction)

[39] Les négociations se sont poursuivies et l’Association a refusé de donner suite à la mise en demeure d’Innotech. L’Association a continué de se désigner comme « l’Association des Employés de Innotech Aviation, Local 2410 Unifor » et à utiliser le logo d’Unifor. M. Caluori a agi à titre de porte-parole principal pour l’Association. M. Price a confirmé que M. Caluori tenait fréquemment des réunions à huis-clos afin de consulter l’Association et ne prenait pas position sur-le-champ lorsqu’il siégeait à la table de négociations.

[40] Le 10 juin 2015, M. Price a transmis une autre mise en demeure à laquelle l’Association ne s’est pas conformée. Cette mise en demeure était ainsi rédigée :

Par suite de nos discussions et communications, je vous écris pour vous exprimer à nouveau et officiellement notre préoccupation selon laquelle Unifor se présente de façon trompeuse quant à sa capacité juridique à l’égard de notre entreprise et de ses employés. L’Association des employés de Innotech continue de se désigner sous le nom de section locale 2410 d’Unifor, au su et avec le soutien actif d’Unifor. Malgré nos demandes antérieures, nous n’avons reçu aucune notification attestant qu’Unifor est accrédité comme agent négociateur exclusif de nos employés. Nous n’avons rien reçu qui démontrerait que l’Association ou Unifor est juridiquement habilité à se présenter comme la section locale 2410 d’Unifor. Par conséquent, puisque nos demandes visant à obtenir une preuve d’habilitation sont demeurées sans suite, nous tenons Unifor et l’Association responsables conjointement et individuellement de toutes les conséquences de cet acte illicite.

Nous continuons, sans que cela puisse être interprété comme une reconnaissance quelconque, de négocier de bonne foi avec l’Association des employés de Innotech dans le but de parvenir à une nouvelle convention collective. Nous vous demandons d’agir en conséquence.

(traduction)

[41] Le 20 décembre 2015, les membres de l’Association ont rejeté à 93 % une offre patronale dans le cadre des négociations collectives. Le 24 décembre 2015, l’employeur a fait parvenir à l’Association et à Unifor une ultime mise en demeure, signée cette fois par le vice-président sénior d’Innotech, les accusant de fausses représentations et de pratiques déloyales. La mise en demeure faisait état de ce qui suit :

La présente fait suite à la question que nous avons soulevée auprès de l’Association des employés (l’« AE ») et d’Unifor dès le printemps 2015, à savoir la représentation trompeuse et qui se poursuit de l’AE en tant que section locale 2410 d’Unifor. Malgré des demandes répétées formulées par lnnotech-Execaire Aviation Group (« lnnotech »), l’AE et Unifor ont persisté dans cette représentation trompeuse, ce qu’Innotech considère comme des mesures coercitives et une pratique déloyale de travail. Innotech reconnaît que l’AE a le droit de retenir les services d’une tierce partie pour l’aider dans les négociations. Cependant, la relation entre l’AE et Unifor a nettement dépassé les limites acceptables dans le contexte de cette représentation par une tierce partie, et l’AE et Unifor doivent à partir de maintenant respecter les limites légitimes d’une telle relation d’aide à la négociation par un tiers.

Bien qu’Innotech reconnaisse le droit de ses employés de se syndiquer sous le régime du Code canadien du travail (le « Code »), toute tentative de syndicalisation de ce genre faite par Unifor doit se dérouler conformément au Code. Innotech n’acceptera pas qu’Unifor excède l’autorité dont il jouit en tant que tierce partie au service de l’agent négociateur autorisé. Nous comprenons en outre que l’AE a retenu les services d’Unifor pour l’aider dans les négociations, qu’Unifor est simplement une tierce partie dont les services ont été retenus par l’AE à cette fin, et n’est pas accrédité pour représenter les employés de l’AE à quelque autre titre que ce soit, et que l’entente a expiré en novembre 2015. En conséquence, Innotech exige qu’Unifor cesse immédiatement de se conduire de cette façon et que l’AE prenne les mesures suivantes :

• faire parvenir à tous les membres de l’AE une communication précisant que l’AE n’est pas une section locale d’Unifor, contrairement à des représentations trompeuses faites dans des communications de l’AE;

• confirmer que l’AE demeure l’unité de négociation accréditée de ses employés relativement à toute question qui concerne Innotech, et que c’est l’AE, et non Unifor, qui communiquera avec ses membres à l’avenir.

Nous estimons que notre position est claire quant à ce qui précède. À défaut de recevoir copie de la correspondance adressée par l’AE à ses employés qui contiendra l’information ci-dessus au plus tard le jeudi 7 janvier 2016 à 16 h (HNE), nous prendrons des mesures pour présenter les demandes pertinentes au Conseil canadien des relations industrielles.

Nous espérons et prévoyons que nous n’aurons pas à prendre de telles mesures et que l’AE et Innotech pourront mener à terme leur processus de conciliation actuel efficacement et de bonne foi, de sorte que les employés et l’entreprise puissent surmonter les grandes difficultés économiques auxquelles ils font face.

(traduction)

[42] Le 6 janvier 2016, le procureur d’Unifor a répondu à cette mise en demeure en affirmant qu’elle était non fondée, et le 11 janvier 2016, l’Association a envoyé un communiqué à ses membres pour les informer de la situation en ces termes :

… Devant cette nouvelle sommation injustifiée de la part de la Compagnie et comme dans le cadre de leur représentation dans nos autres dossiers, le département légal d’Unifor c’est vu forcé de répondre par voie légale en réitérant que nos membres sont bien au fait de tous les détails de notre contrat de service et qu’en aucun temps nous avons et/ou tenterons de les berner de quelques façons que ce soit quant à leur représentation.

(sic)

[43] La présente plainte a été déposée le 19 janvier 2016. M. Caluori a expliqué avoir demandé à l’employeur si cette plainte faisait en sorte que les négociations collectives étaient suspendues tant que le Conseil n’aurait pas rendu une décision. M. Price a indiqué que les négociations se poursuivraient, son intention étant de conclure une convention collective.

[44] Le 20 février 2016, une autre offre patronale a été présentée lors d’une assemblée générale de l’Association. M. Boucher a expliqué qu’après de longues négociations et une procédure de conciliation, les membres du comité exécutif de l’Association estimaient que les négociations ne progressaient plus. Ils avaient alors demandé à l’employeur de soumettre une offre pour qu’ils la présentent aux membres. M. Boucher a présidé l’assemblée générale de l’Association. Il a demandé aux membres l’autorisation de laisser M. Caluori présenter l’offre, et il commentait, clarifiait ou précisait au besoin la présentation. M. Boucher a témoigné que les membres du comité exécutif de l’Association ont proposé de rejeter l’offre patronale. Selon M. Boucher, M. Caluori n’était pas du même avis. Les membres de l’unité ont voté, et 50 % se sont prononcés pour l’acceptation de l’offre, et 50 % contre. M. Caluori a qualifié la situation de « tempête parfaite » et il a donc fallu se référer aux statuts de l’Association pour déclarer si l’offre patronale était ratifiée ou non. Conformément aux statuts de l’Association, le président de l’Association avait un vote prépondérant et a donc eu à trancher. L’offre de l’employeur a alors été acceptée. M. Price a indiqué que le texte final de la convention collective a été passé en revue par M. Caluori ainsi que par les membres du comité exécutif de l’Association. M. Price a précisé qu’il y aurait eu 29 séances de négociation au total. Par ailleurs, après la ratification de la convention collective, M. Price a constaté que le logo d’Unifor n’était plus affiché sur la porte du local de l’Association.

E. Le contexte entourant l’entente de 2016 et la présence d’Unifor après la signature de la convention collective

[45] Le 19 mars 2016, l’Association a tenu un vote secret sur la fusion de l’Association et d’Unifor, conformément à ce qui était prévu dans l’entente de 2014. M. Fragassi a expliqué que lors d’une discussion avec M. Caluori concernant la fusion, ce dernier l’aurait avisé qu’Unifor était là pour rester, lui disant : « Vous pouvez être sûr que le vote sera en notre faveur » (traduction). M. Boucher a expliqué que 238 des 265 membres avaient exercé leur droit de vote, et que 172 avaient voté en faveur de la fusion, soit une proportion de 64,4 % des membres. En vertu de l’article 56 de la Constitution de l’Association, les deux tiers des membres devaient être favorables à la fusion pour qu’elle ait lieu. M. Caluori a précisé que les règles de fusion dans les statuts d’Unifor sont différentes de celles de l’Association, et que la Constitution de l’Association a prévalu pour le vote. Plus généralement, il a indiqué n’avoir jamais appliqué les statuts d’Unifor dans l’exercice de son rôle auprès de l’Association, mais a souligné avoir appliqué à plusieurs reprises les statuts et règlements de l’Association.

[46] M. Boucher a expliqué qu’en raison de l’importante proportion de membres souhaitant la fusion, l’entente de 2016 a alors été conclue avec Unifor. Le communiqué de l’Association daté du 30 mars 2016, et qui ne portait pas le logo d’Unifor ni la mention « section locale 2410 », avisait les membres de ce qui suit :

Le moment est venu de divulguer le résultat du scrutin concernant notre fusion avec Unifor. Une proportion de 90 % de nos membres ayant voté, soit 238 membres sur 265, c’est avec regret que nous vous annonçons officiellement que la fusion avec Unifor ne peut avoir lieu à ce moment-ci. Les résultats officiels du scrutin sont les suivants : 172 POUR et 66 CONTRE.

Alors que les résultats démontrent clairement et sans équivoque que nous souhaitons la fusion avec Unifor, 27 membres n’ont pas exercé leur droit de vote, ce qui nous a empêchés de satisfaire à la disposition énoncée à l’article 56 de nos statuts, laquelle prévoit qu’une fusion nécessite l’appui des deux tiers des membres, ce qui correspond en fait à 177 voix.

...

Soyez assurés que nous avons pris note de la forte majorité, et nous n’avons pas l’intention de vous laisser tomber. Pour cette raison, et dans le but d’accroître notre professionnalisme et d’améliorer les services que nous offrons à nos membres, nous prolongeons le contrat de services jusqu’au 30 septembre 2017...

(traduction)

[47] Cette entente de 2016, pour la période allant du 26 avril 2016 au 31 décembre 2017, était similaire à l’entente de 2014, mais prévoyait cette fois que les dirigeants et délégués actuels ou futurs de l’Association s’engageaient à recommander à leurs membres « d’adhérer au Syndicat lors de la prochaine période ouverte », alors que l’entente de 2014 prévoyait un processus et un vote de fusion. Le 9 avril 2016, une assemblée générale de l’Association a eu lieu afin, notamment, de voter la modification de l’article 20 de la Constitution de l’Association, qui porte sur le quorum nécessaire pour la tenue des assemblées générales. Cet article exigeait initialement la présence de 40 % des membres pour qu’une assemblée puisse être tenue, mais le contexte de mises à pied rendait cette obligation difficile à remplir. Ce pourcentage a été réduit à 10 % à la suite du vote des membres.

[48] Le 5 mai 2016, l’Association et Innotech ont signé la nouvelle convention collective couvrant la période du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2020.

[49] Les 16 mai et 22 septembre 2016 et le 28 février 2017, M. Jean-Stéphane Mayer, représentant national d’Unifor alors en fonction auprès de l’Association, a envoyé des avis d’arbitrage à l’employeur sur le papier à en-tête d’Unifor. Sur l’un d’eux, on pouvait lire ce qui suit dans le bloc-signature de M. Mayer : « Représentant national Unifor Pour l’Association des employés de Innotech Aviation (AEIA) ».

[50] En mai 2017, par suite d’une entente intervenue entre les parties, dont le Conseil a pris acte lors des audiences, les parties syndicales se sont engagées à cesser d’utiliser le nom « section locale 2410 Unifor », et ce, jusqu’à ce que le Conseil rende sa décision dans le présent dossier. L’entente de 2016 continuait toutefois à s’appliquer.

F. Les relations du travail entre l’employeur et l’Association depuis l’entente de 2014

[51] De manière générale, M. Fragassi a témoigné des changements ayant eu lieu depuis la signature de l’entente de 2014 et l’arrivée d’Unifor. En dehors des périodes de négociations collectives, l’employeur et l’Association ont un comité de communications conjoint (le CCC), qui tient des rencontres mensuelles pour discuter de problèmes liés à la convention collective et aux griefs, et pour résoudre des enjeux ou problèmes d’intérêts mutuels liés aux opérations. Les membres du comité exécutif de l’Association et, parfois, un représentant syndical sont présents pour l’Association. M. Fragassi et M. Price sont notamment présents pour l’employeur. M. Fragassi estime que, depuis la signature de la convention collective, les rencontres sont plus formelles et qu’il faut davantage de temps pour résoudre les problèmes. Les décisions sont reportées, car les membres du comité exécutif de l’Association disent devoir en discuter au-delà des rencontres du CCC. M. Boucher a indiqué que le représentant d’Unifor ne participe pas au CCC et que l’Association est beaucoup mieux structurée depuis les dernières négociations collectives. Il est en désaccord avec le témoignage M. Fragassi quant à la longueur de la prise de décisions, mais il souligne qu’il est important de prendre des décisions réfléchies, en connaissance de cause. L’Association règle toutefois certains enjeux de façon autonome, sans l’aide du représentant d’Unifor. M. Price a aussi témoigné du fait que le nombre de griefs déposés depuis l’arrivée du comité exécutif de l’Association qui est en poste depuis 2014 avait considérablement augmenté.

[52] Par ailleurs, M. Boucher a indiqué que le rôle d’Unifor depuis la signature de la convention collective est principalement le suivant : fournir des avis juridiques concernant le Code ou des dossiers complexes; assurer des services de représentation en arbitrage, de révision de dossiers et d’accompagnement des membres; et donner des conseils sur les dossiers soumis à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. L’Association aimerait également pouvoir obtenir de la formation fournie par Unifor.

III. Positions des parties

[53] Bien que le Conseil ait attentivement pris connaissance des documents à sa disposition, les présents motifs de décision ne reprennent pas en détail tous les arguments écrits ou invoqués par les parties. Ce qui suit est un résumé de leurs principaux arguments relatifs aux questions en litige.

A. Innotech

[54] En sus des plaidoiries de sa procureure, l’employeur a déposé un cahier de jurisprudence et de doctrine à l’appui de sa position, ainsi qu’un sommaire d’argumentation détaillée.

[55] L’employeur allègue essentiellement qu’en désignant l’Association dans ses communications auprès des employés comme étant la « section locale 2410 Unifor » et en s’arrogeant les attributs importants du rôle d’agent négociateur, Unifor le force à négocier avec lui et oblige par le fait même les membres de l’Association à adhérer à Unifor, bien que ce dernier ne soit pas dûment accrédité. L’employeur soutient que l’utilisation de ces tactiques vise à contourner les dispositions d’ordre public du Code qui pourraient lui permettre d’être légitimement accrédité, en vertu des articles 24 et 43, et viole les alinéas 95a) et 95b) et l’article 96 du Code.

[56] Reconnaissant qu’un syndicat peut souscrire des ententes de services afin qu’un tiers l’aide à s’acquitter de certaines obligations, l’employeur prétend d’abord que l’Association a plutôt complètement abdiqué, au profit d’Unifor, son rôle de représentant syndical à l’égard de ses membres, par le biais des ententes de 2014 et de 2016. Il souligne d’emblée que l’objectif de ces ententes est précisément d’assurer qu’Unifor devienne l’agent négociateur des membres de l’Association. Évoquant les clauses de ces ententes entre les parties syndicales, l’employeur conclut qu’en obligeant l’Association à s’afficher comme une section locale d’Unifor, en s’assurant de fournir de façon exclusive tous les services relatifs à la représentation syndicale, en subordonnant l’Association à l’entièreté de ses statuts au même titre que toute section locale d’Unifor, en forçant l’Association (ses représentants actuels et futurs) à recommander et à procéder à un vote de fusion avec lui dans l’entente de 2014, ou à recommander son adhésion lors de la prochaine période « ouverte » dans l’entente de 2016, Unifor obtient une délégation complète des pouvoirs de l’Association. Pour l’employeur, la série de changements qui se seraient produits depuis la signature de l’entente de 2014 démontre clairement cette délégation. Il cite notamment les changements suivants : les cotisations syndicales auraient augmenté de façon substantielle, le logo d’Unifor était présent sur plusieurs communications officielles, Unifor aurait pris le contrôle du processus de négociation collective, et les griefs de l’Association auraient été réglés et signés par M. Caluori.

[57] L’employeur soutient également que plusieurs dispositions des statuts d’Unifor que l’Association s’engage à respecter en vertu des ententes de 2014 et de 2016 démontrent que l’Association s’est assujettie par contrat au pouvoir de contrôle d’Unifor. Il cite notamment le pouvoir de contrôle d’Unifor quant au contenu des règlements de l’Association (article 7), le pouvoir de tutelle sur les sections locales (article 15), et le pouvoir de direction et de contrôle sur le déroulement des négociations collectives et sur l’autorisation des grèves (article 17). Pour l’employeur, les faits démontrent que l’Association se retrouve exactement dans la même position que toutes les autres sections locales d’Unifor, alors qu’elle n’est pas un « syndicat Unifor ».

[58] L’employeur plaide que le Code confère à une association précise, par la procédure d’accréditation, le droit exclusif de négocier et de représenter ses membres auprès d’un employeur à titre d’agent négociateur dûment accrédité. Ce droit est strictement encadré par le Code. Cette position est étayée par la jurisprudence ainsi que par les articles 18.1, 24, 38 et 43, et le paragraphe 36(1), en particulier l’alinéa 36(1)a), du Code. Bien que le Conseil reconnaisse la validité des ententes de services que peut souscrire un syndicat, l’employeur soutient que le Conseil reconnaît uniquement le droit d’un syndicat accrédité de désigner un représentant pour l’aider à s’acquitter de certaines obligations, et non le droit de procéder à une délégation totale de ses pouvoirs. Le transfert des droits de représentation d’une association à une autre peut se faire uniquement selon les procédures prévues au Code. L’employeur précise que l’accréditation a un caractère d’ordre public et que les parties ne peuvent pas la modifier par entente. En outre, citant la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19; [2006] 1 R.C.S. 666, l’employeur précise que les dispositions relatives à l’accréditation ne visent pas seulement à protéger les droits des salariés, mais assurent également à un employeur une stabilité à l’égard de l’identité de l’agent négociateur avec lequel il doit traiter.

[59] Citant la décision de la Cour d’appel du Québec dans Martin c. Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’industrie et du commerce, numéro 705, 2007 QCCA 899, laquelle s’appuie sur le principe de l’exclusivité du droit à la représentation syndicale, l’employeur insiste sur le fait qu’un syndicat ne peut pas abandonner les principaux attributs de son rôle d’agent négociateur par l’entremise d’une entente de services.

[60] L’employeur a répondu de manière détaillée à la demande du Conseil de fournir des observations sur les affaires Airtex Industries Ltd. et Yukon Energy Corporation, précitées, portant sur des ententes de services entre syndicats. Il explique que l’entente de services dans l’affaire Yukon Energy Corporation, précitée, prévoyait expressément que l’association accréditée conservait le contrôle sur les activités limitées de l’association tierce, qui agissait uniquement comme fournisseur de services, alors que l’entente de services dans l’affaire Airtex Industries Ltd., précitée, avait plutôt été conclue dans le but de procéder à une fusion temporaire jusqu’à ce que la fusion réelle puisse se concrétiser. L’employeur soutient que les faits démontrent que l’entente de services dans la présente instance vise à reproduire une situation de fusion, tout comme dans Airtex Industries Ltd., précitée, et ce, dans l’attente du dépôt d’une demande d’accréditation lors de la prochaine période ouverte.

[61] L’employeur rappelle que la fusion a été rejetée par les membres de l’Association dans la présente affaire. Il prétend que, pour contourner ce résultat défavorable et favoriser l’accréditation d’Unifor, les parties syndicales ont conclu une deuxième entente de services, soit l’entente de 2016, et qu’elles ont modifié les règles de quorum. L’employeur souligne que le comité exécutif de l’Association s’est lié et a lié quiconque pourrait lui succéder.

[62] Par ailleurs, l’employeur soutient que, non seulement Unifor s’est arrogé de facto les pouvoirs de l’agent négociateur par le biais des ententes de 2014 et de 2016, mais qu’il laisse également croire, par de fausses représentations, qu’il est le représentant accrédité des employés. En ce sens, Unifor s’identifierait, dans le cadre de ses communications et au moyen de diverses formes d’affichage, comme étant « l’Association des Employés de Innotech Aviation, Local 2410 Unifor », bien qu’il ne soit pas accrédité. Compte tenu de l’objectif des ententes de 2014 et de 2016, l’employeur estime qu’Unifor cherche à créer une certaine confusion auprès des membres par ces fausses représentations, de manière à favoriser son accréditation future; Unifor préserverait ainsi l’ambigüité quant à l’identité véritable de l’agent négociateur des membres pendant plusieurs mois, pour s’assurer d’être finalement accrédité. Dans l’intervalle, Unifor forcerait les membres de l’Association à être représentés par lui, et l’employeur à négocier avec lui.

[63] En ce qui concerne le fait qu’une convention collective a ultimement été conclue, l’employeur soutient avoir simplement été bon joueur et que le Conseil ne devrait pas le pénaliser pour cela.

[64] Finalement, en réponse au moyen préliminaire des intimés en lien avec la prescription de la plainte, l’employeur soutient que sa plainte n’a pas été soumise hors délai. Les alinéas 95a) et 95b) et l’article 96 du Code doivent être respectés de manière continue, puisque les violations alléguées ont trait à des obligations qui visent à protéger le processus de négociation collective et qui concernent l’intérêt public.

[65] Le dossier ayant évolué, l’employeur demande maintenant au Conseil trois redressements pour sanctionner le comportement des parties syndicales. Il lui demande d’interdire à l’Association de se présenter comme étant une section locale Unifor. Il lui demande également de mettre un terme à toute entente de services entre l’Association et Unifor. Enfin, il lui demande d’interdire à l’Association et à Unifor de conclure une nouvelle entente de services, ou d’interdire à Unifor de fournir, directement ou indirectement, des services à l’Association ou à ses membres, jusqu’à l’expiration de la présente convention collective, soit le 30 septembre 2020, ou jusqu’à ce qu’Unifor ait été dûment accrédité en vertu des dispositions contenues à l’alinéa 24(2)d) du Code.

B. L’Association et Unifor

[66] Les parties syndicales soutiennent que la présente plainte a été déposée hors des délais prévus au Code, soit plus de 90 jours après la date à laquelle l’employeur a eu ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte. Elles sont d’avis que les faits allégués par l’employeur étaient connus par ses représentants en décembre 2014, par suite des discussions entre M. Price et M. Caluori, ou au plus tard dès le 10 juin 2015, soit la date de la mise en demeure transmise par Innotech.

[67] Les parties syndicales allèguent avoir fait preuve de toute la transparence possible auprès des membres de l’Association et auprès de l’employeur relativement aux ententes de 2014 et de 2016. L’Association a soumis lesdites ententes à l’approbation et à la ratification des membres lors d’assemblées générales et a tenu les membres informés du déroulement de tout développement et de la teneur des négociations collectives. Les parties syndicales soutiennent que les membres étaient parfaitement au courant du fait que l’Association était liée par un contrat de services avec Unifor, mais qu’elle conservait toute son autonomie. Elles soutiennent également que l’employeur a été mis au courant de l’entente dès novembre 2014 et qu’il ne peut prétendre de façon crédible avoir été floué, manipulé ou faussement informé de la nature des liens entre les parties syndicales.

[68] Les parties syndicales soutiennent ne pas avoir enfreint les dispositions des alinéas 95a) et 95b) ni de l’article 96 du Code. Elles prétendent que l’Association est dûment accréditée par le Conseil comme agent négociateur des employés concernés. À titre de fournisseur de services, Unifor aurait agi en toute légalité en désignant un représentant pour conseiller et assister l’Association, notamment dans la négociation du renouvellement de la convention collective, dans l’interprétation et l’application de la convention collective, dans le cadre de diverses procédures administratives et judiciaires, et pour la gestion des affaires internes de l’Association. Unifor serait simplement un mandataire dûment autorisé par l’Association et ses membres. En ce sens, l’Association n’aurait pas renoncé à ses prérogatives et à son monopole d’agent négociateur accrédité. Elle demeure souveraine et autonome, contrairement aux sections locales dûment accréditées d’Unifor. L’Association serait uniquement liée à Unifor par l’entente de 2016, une entente qu’elle pouvait répudier à la date d’échéance prévue, soit le 31 décembre 2017, ou dans un délai plus court, sous réserve des dispositions de droit commun applicables qui auraient pu permettre à l’une des parties syndicales de répudier l’entente pour motif valable. Cette même possibilité existait également pour l’entente de 2014.

[69] Les parties syndicales plaident que l’utilisation du logo d’Unifor et de l’appellation « section locale 2410 Unifor » par l’Association et ses membres relève de la liberté syndicale, de la liberté d’association et de la liberté d’expression, qui sont les pierres d’assises du droit du travail au Canada, et que cette question ne concerne pas l’employeur, qui s’ingérerait illégalement dans l’exercice de ces libertés fondamentales.

[70] Les parties syndicales rappellent que l’employeur s’est opposé, en mai 2015, à poursuivre les négociations en présence de M. Caluori, à moins que l’Association lui communique les détails de l’entente de 2014 et cesse d’utiliser le logo d’Unifor et l’appellation « section locale 2410 Unifor », et qu’il a réitéré son opposition en décembre 2015. Sans déposer de plaintes formelles, elles soutiennent que l’employeur a volontairement et indûment tenté de miner leur crédibilité auprès des membres de l’Association, en violation de l’alinéa 94(1)a) du Code. Par le fait même, l’employeur aurait également manqué à son obligation de négocier de bonne foi prévue au sous-alinéa 50a)(i) du Code.

[71] Eu égard aux affaires Airtex Industries Ltd. et Yukon Energy Corporation, précitées, les parties syndicales avancent que l’entente de services en cause dans Yukon Energy Corporation, précitée, est essentiellement similaire à celle intervenue entre elles, soit une entente pour des services de conseil et d’assistance technique relativement aux négociations pour le renouvellement de la convention collective, à l’interprétation et à l’application de la convention collective et à la gestion des affaires internes, ainsi que pour des services de représentation dans les procédures administratives et judiciaires et des services de formation. La différence entre les deux services étant que le représentant syndical ne participe pas aux réunions conjointes avec l’employeur dans le présent dossier. Les parties syndicales affirment que le syndicat accrédité avait délégué en bloc tous ses pouvoirs et toutes ses prérogatives dans Airtex Industries Ltd., précitée, en attendant de compléter une fusion approuvée par ses membres. Ainsi, tous les pouvoirs liés au statut d’agent négociateur et tous les pouvoirs de régie interne du syndicat accrédité, tels que l’embauche, la gestion des finances et la perception des revenus, avaient été cédés, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

[72] En réponse aux allégations de l’employeur voulant qu’Unifor cherche à contourner l’échec de la procédure de fusion prévue dans l’entente de 2014, les parties syndicales font valoir que ce type d’entente de services, qui envisage une fusion ou une accréditation future, n’est pas illégal.

[73] En définitive, les parties syndicales soutiennent que l’Association a tout simplement conclu un contrat avec Unifor, un syndicat d’expérience disposant de ressources considérables, aux termes duquel ce dernier lui offrait un soutien et une assistance technique, et que ce type d’entente est courant dans le monde syndical, où des associations non affiliées recherchent une alliance avec des syndicats forts et efficaces, dans l’intérêt de leurs membres. Les parties syndicales demandent au Conseil de rejeter la plainte.

IV. Analyse et décision

A. La prescription

[74] Selon le paragraphe 97(2) du Code, toute plainte déposée en vertu du paragraphe 97(1), ce qui inclut les plaintes alléguant une violation des articles 95 ou 96, doit être déposée dans un délai de 90 jours :

97 (2) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à la plainte.

[75] En se fondant sur ce paragraphe, les parties syndicales soutiennent que la plainte d’Innotech est irrecevable, ayant été présentée à l’extérieur des délais prescrits par le Code. Plus particulièrement, les intimés avancent que tous les faits allégués par Innotech étaient connus de ses représentants dès le mois de décembre 2014, et au plus tard au mois de juin 2015. À cet égard, les intimés renvoient le Conseil au « COMMUNIQUÉ No. 1 », daté du 19 décembre 2014, qui avisait les membres des derniers développements à la suite de la signature de l’entente de 2014; aux échanges de courriels entre M. Price et M. Boucher du 24 avril au 11 mai 2015; aux courriels échangés entre M. Price et M. Caluori les 11 et 13 mai 2015; et à la mise en demeure d’Innotech du 10 juin 2015.

[76] Bien que la règle du paragraphe 97(2) du Code soit appliquée par le Conseil dans le cadre de plaintes où les doléances d’un plaignant sont ponctuelles ou liées à un événement précis, tel que le refus de déposer un grief, le Conseil a élaboré une politique particulière pour les situations où la plainte vise plutôt la violation d’une obligation continue qui concerne l’intérêt public en général.

[77] Dans la décision Transport Rapide International D.H.L. Ltée, 2001 CCRI 129, le Conseil s’est penché sur la question de la prescription dans le cadre d’allégations de violation de l’alinéa 50b) et de l’alinéa 94(1)a) du Code. Le Conseil a conclu que la violation d’une obligation qui concerne l’intérêt public en général, telle que l’obligation de négocier de bonne foi et de ne pas intervenir dans la formation d’un syndicat, constituait une violation continue :

[77] Même si le Conseil souscrit à l’argument de l’entreprise selon lequel la plainte dont il est saisi en l’espèce est « reliée à un moment précis » au même titre qu’un congédiement, il n’en demeure pas moins que les obligations qui incombent à DHL en vertu des alinéas 50b) et 94(1)a) du Code ne se limitent pas aux événements qui se produisent durant la période de 90 jours fixée pour la présentation de la plainte. Nous sommes d’avis que ces obligations existent en tout temps et qu’elles visent à protéger l’intégrité du processus de la négociation collective. Étant donné que les devoirs énoncés aux alinéas 50b) et 94(1)a) concernent l’intérêt public en général, un manquement à cet égard constitue une infraction continue. Ainsi que le Conseil l’a fait observer dans la décision rendue dans l’affaire CFTO-TV Limited (1995), 97 di 35; et 95 CLLC 220-045 (CCRT no 1111) :

... La politique du Conseil en ce qui concerne la question des délais a été initialement établie dans Upper Lakes Shipping Ltd. c. Mike Sheehan et autre, [1979] 1 R.C.S. 902. Conformément à cette politique, il est clair qu’une plainte fondée sur le paragraphe 97(1) du Code doit être déposée dans la période de 90 jours prévue par le paragraphe 97(2). Le Conseil décide de la façon d’agir après avoir établi si la question du respect des délais a été soulevée dans le contexte d’une même infraction répétée plusieurs fois ou dans le contexte d’une infraction continue. Lorsque l’objectif d’un devoir imposé par le Code est d’intérêt public général, le Conseil soutient qu’un défaut de s’y conformer donne lieu à une infraction continue. Par exemple, dans Air Alliance Inc. (1991), 86 di 13; et 92 CLLC 16,013 (CCRT no 887), le Conseil a dit ce qui suit :

« Cela dit, le but du paragraphe 97(2) relatif à la prescription n’est pas de conférer une quelconque impunité à celui qui violerait le Code de façon systématique mais plutôt d’empêcher les poursuites répétées. Dans ce genre de cas, le délai ne court qu’une fois que la conduite illégale a cessé...

(pages 22; et 14,093) »

(c’est nous qui soulignons)

[78] Il est allégué, en l’espèce, que les parties syndicales ont manqué aux alinéas 95a) et 95b) ainsi qu’à l’article 96 du Code. De l’avis du Conseil, les interdictions et obligations que prévoient ces dispositions concernent l’intérêt public en général, puisqu’elles protègent, d’une part, l’intégrité du processus de négociation collective et, d’autre part, le droit fondamental des employés de choisir librement leur agent négociateur. Dans ces circonstances, eu égard au fait que les manquements allégués ont trait aux ententes de 2014 et 2016, la dernière entente de services étant en vigueur au moment de l’audience, le Conseil accepte les prétentions de l’employeur et appliquera à la présente instance sa politique telle qu’elle est décrite dans la décision Transport Rapide International D.H.L. Ltée, précitée. Le Conseil estime ainsi que le défaut allégué en l’espèce donne lieu à une infraction continue. Par conséquent, le Conseil rejette le moyen préliminaire soulevé par les intimés et traitera la plainte sur le fond.

B. Le bien-fondé de la plainte

[79] Dans la présente instance, l’employeur reproche aux parties syndicales d’avoir agi en violation des alinéas 95a) et 95b) et de l’article 96 du Code, notamment en concluant les ententes de 2014 et 2016, par l’entremise desquelles, selon Innotech, Unifor est devenu, dans les faits, l’agent négociateur avec qui il devait transiger alors qu’il ne s’agissait pas du syndicat accrédité.

[80] Les alinéas 95a) et 95b) et l’article 96 du Code sont ainsi libellés :

95 Il est interdit à tout syndicat et à quiconque agit pour son compte :

a) de chercher à obliger un employeur à négocier collectivement avec lui alors qu’il n’a pas qualité d’agent négociateur pour quelque unité de négociation comprenant des employés de cet employeur;

b) de négocier collectivement en vue de conclure une convention collective ou de conclure une telle convention pour une unité de négociation qu’il sait ou, selon le Conseil, devrait savoir représentée à titre d’agent négociateur par un autre syndicat;

96 Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

[81] Essentiellement, le Conseil doit déterminer si Unifor a cherché à obliger Innotech, de façon directe ou même détournée, à négocier avec lui. Pour ce faire, il convient dans un premier temps de rappeler certains principes fondamentaux qui sont au cœur de la plainte, soit les principes liés à l’exclusivité du rôle d’agent négociateur et aux ententes de services. Dans un deuxième temps, le Conseil examinera le volet de la plainte portant sur les alinéas 95a) et 95b) et analysera si, par l’entremise des ententes de 2014 et 2016, l’Association a complètement délégué son pouvoir exclusif de représentation à Unifor, ou encore si Unifor s’est substitué à l’Association par diverses manœuvres pour représenter les membres de l’Association. Dans un troisième temps, le Conseil examinera le volet de la plainte relatif à l’article 96 du Code.


 

1. L’exclusivité du rôle d’agent négociateur et les ententes de services

[82] Le pouvoir d’un syndicat de conclure une entente de services afin qu’un tiers l’aide à s’acquitter de certaines de ses obligations n’est pas remis en question dans la présente affaire. L’examen du Conseil découle plutôt, en l’espèce, du fait que le Code accorde des droits et des privilèges et impose des obligations aux agents négociateurs, dont le devoir exclusif de représentation. Or, il est allégué que ces droits et obligations n’ont pas été respectés dans la présente affaire.

[83] Par l’entremise de la procédure d’accréditation prévue à l’article 24 du Code, le Conseil accorde à un syndicat le droit exclusif de négocier et de représenter les membres visés par un certificat d’accréditation. Le syndicat devient ainsi le seul porte-parole des employés compris dans son unité de négociation. Le paragraphe 36(1) du Code prévoit ce qui suit :

36 (1) L’accréditation d’un syndicat à titre d’agent négociateur emporte :

a) droit exclusif de négocier collectivement au nom des employés de l’unité de négociation représentée;

b) révocation, en ce qui touche les employés de l’unité de négociation, de l’accréditation de tout syndicat antérieurement accrédité;

c) substitution du syndicat – en qualité de partie à toute convention collective s’appliquant à des employés de l’unité de négociation, mais pour ces employés seulement – à l’agent négociateur nommément désigné dans la convention collective ou à tout successeur de celui-ci;

d) assimilation du syndicat à l’agent négociateur, pour l’application de l’alinéa 50b).

[84] Toutefois, le Code ne précise pas que le syndicat doit représenter les membres de son unité de négociation en faisant appel à ses propres dirigeants. Il est établi depuis longtemps, dans la jurisprudence du Conseil, qu’un syndicat a le droit de gérer ses affaires et de choisir ses représentants à cette fin (voir Société canadienne des postes (1989), 79 di 122; et 7 CLRBR (2d) 245 (CCRT n° 772)). Par ailleurs, il est bien établi que le syndicat a la liberté de choisir ses représentants à la table de négociations, et qu’il peut même choisir des personnes qui ne sont ni membres de l’unité de négociation ni des employés de l’employeur désigné dans l’ordonnance d’accréditation (voir Lethbridge Television, une division de Westcom TV Group Ltd. et autres (1997), 105 di 68; 39 CLRBR (2d) 180; et 98 CLLC 220-021 (CCRT n° 1214)). Ainsi, les syndicats retiennent parfois les services d’un conseiller juridique pour la négociation de conventions collectives et la représentation du syndicat dans la procédure de griefs. Les syndicats peuvent également embaucher ou désigner des mandataires pour exécuter certaines tâches de façon régulière ou à titre spécial, par l’entremise d’une entente de services ou d’une autre façon. De telles ententes ne contreviennent pas en soi au Code, à condition que le mandataire agisse pour le compte de l’agent négociateur accrédité plutôt qu’en son propre nom.

[85] D’ailleurs, les affaires Yukon Energy Corporation et Airtex Industries Ltd., précitées, démontrent bien que les ententes de service, fréquentes dans le milieu syndical, ne seront pas remises en question dans la mesure où les droits et privilèges juridiques exclusifs et dévolus à l’agent négociateur accrédité sont préservés.

[86] Dans Airtex Industries Ltd., précitée, la Commission des relations de travail de l’Alberta (la Commission) avait conclu que l’employeur avait usé d’une pratique déloyale en refusant de transiger avec un représentant d’un syndicat qui n’était pas accrédité auprès de l’employeur, mais qui était partie à une entente de services et de fusion avec l’agent négociateur dûment accrédité, l’Engineered Air Employees Association (EAEA).

[87] Dans cette affaire, l’EAEA avait conclu une entente de fusion avec le United Food and Commercial Workers Union, Local 421P (section locale 421P). Comme la fusion nécessitait une modification des statuts du syndicat accrédité, laquelle n’avait pas été entérinée, une entente de services était intervenue entre les parties, en attendant que la modification soit adoptée et la fusion complétée. Il est utile de rappeler ici les termes de l’entente de services entre l’EAEA et la section locale 421P :

(1) La section locale 421P fournira et rémunérera des agents syndicaux qui agiront au nom de l’E.A.E.A. pour la conduite de campagnes de syndicalisation et pour l’application des conventions collectives de l’E.A.E.A.

Le président de la section locale 421P, ou son représentant, constituera les comités de négociation, qui seront composés de membres de l’E.A.E.A., et il conduira les négociations collectives au nom de cette dernière. Les contrats proposés seront signés par le comité de négociation ou la majorité de celui-ci.

Lors des assemblées des membres tenues à des fins de ratification de contrats, les contrats, ou des copies des changements apportés à ces derniers par suite des négociations, seront disponibles pour être distribués.

L’E.A.E.A. délègue par les présentes à la section locale 421P et à ses agents tous ses pouvoirs et toutes ses responsabilités touchant l’embauche, la direction et le remplacement du personnel, la syndicalisation de nouveaux membres, ainsi que la négociation et l’administration des conventions collectives.

(2) Tout revenu touché par l’E.A.E.A., y compris les cotisations, les frais, les amendes et les droits d’adhésion, sera versé à la section locale 421P, qui acquittera toutes les factures et dépenses de l’E.A.E.A., tiendra tous ses dossiers financiers, rendra compte des dépenses et rédigera et présentera tous les rapports exigés de la part de l’E.A.E.A. Toutes les factures et dépenses de l’E.A.E.A. devront être approuvées par son comité exécutif, à l’exception des dépenses de fonctionnement régulières et normales, lesquelles seront payées à l’échéance par la section locale 421P, et comprennent notamment les loyers, les services publics, les taxes, les salaires, les frais, le téléphone, les fournitures de bureau, l’équipement, ainsi que tout paiement à d’autres organisations auxquelles l’E.A.E.A. est affiliée.

Tout solde créditeur restant à la suite des dépenses effectuées au nom de l’E.A.E.A. sera conservé par la section locale 421P à titre de paiement pour ses services aux membres de l’E.A.E.A.

(3) La section locale 421P aura la garde de tous les livres et dossiers de l’E.A.E.A.

(4) Les sommes reçues de l’E.A.E.A. par la section locale 421P aux fins du paiement de la capitation ne pourront en aucune circonstance être utilisées pour le paiement des dépenses de la section locale 421P ou de l’E.A.E.A., et devront être transmises sans délai au United Food & Commercial Workers International Union et à ses organismes subsidiaires.

(5) Aucune entente verbale qui n’aura pas été mise par écrit et signée par les parties aux présentes ne sera considérée comme une modification valide aux modalités de la présente entente. La présente entente ne peut être modifiée que par un document signé par les dirigeants de la section locale 421P et de l’E.A.E.A. et ratifiée par leurs membres respectifs.

(6) La présente entente sera en vigueur à partir du 1er février 1990 et restera valide jusqu’à ce que le processus de fusion avec la section locale 421P de l’U.F.C.W. soit terminé.

(traduction)

[88] En révision judiciaire de la décision de la Commission, la Cour du Banc de la Reine d’Alberta a conclu que la Commission avait commis une erreur de droit en concluant que l’entente de services était valide. Selon la Cour, l’employeur était ainsi fondé à refuser de transiger ou de négocier avec les représentants de la section locale 421P. Bien que certaines dispositions applicables dans cette affaire diffèrent des dispositions prévues au Code, la Cour expliquait ce qui suit à propos de l’entente de services à la base du litige, laquelle, selon elle, se voulait une délégation totale de l’ensemble des pouvoirs de l’agent accrédité en place :


 

L’entente de services est censée attribuer à l’UFCW tous les droits et responsabilités concevables qui reviennent à l’Association en tant qu’agent négociateur accrédité et que partie à la convention collective. L’Association a continué d’exister et de tenir des réunions. Il semble toutefois que ces réunions aient principalement été tenues dans le but de procéder à la fusion envisagée avec l’UFCW. Par suite de l’entente, l’Association n’était rien de plus qu’un agent de l’UFCW eu égard à ses droits et responsabilités sous le régime du Code et en vertu de la convention collective.

...

Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle a jugé que l’entente de services était valide à quelque titre que ce soit. L’entente de services n’est pas simplement un moyen par lequel l’Association a embauché des consultants externes pour lui venir en aide, comme la Commission l’a déclaré. Elle a entraîné le transfert de pratiquement tous les droits et de toutes les fonctions qui revenaient à l’Association en conséquence de son accréditation en vertu du Code et de son statut de partie à la convention collective. Il n’y a, selon moi, aucune autre façon rationnelle d’interpréter l’entente de services, que l’on considère celle‑ci isolément ou en tenant compte des circonstances de l’espèce. Selon moi, la façon dont la Commission a interprété l’entente de services n’était ni logique ni raisonnable dans les circonstances. La conclusion de la Commission selon laquelle l’entente de services est en vigueur et effective constitue une erreur de droit manifestement déraisonnable.

(traduction)

[89] Dans Yukon Energy Corporation, précitée, le Conseil a aussi eu à se pencher sur la validité d’une entente de services, différente de celle qui était en cause dans Airtex Industries Ltd., précitée. Dans cette affaire, le Conseil devait aussi déterminer, entre autres, si une entente de services à durée déterminée intervenue entre la Yukon Utility Worker’s Association (YUWA) et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) constituait une délégation illégale des pouvoirs de la YUWA à titre d’agent négociateur exclusif, en violation des principes et objectifs fondamentaux du Code. En vertu de ladite entente, l’AFPC s’engageait, entre autres, à représenter les membres lors des procédures de griefs et d’arbitrage, à offrir des conseils portant sur l’interprétation de la convention collective, ainsi que de la formation, de l’assistance et des services de représentation lors de rencontres officielles avec l’employeur, et à fournir des conseils à l’exécutif du syndicat sur des questions administratives internes. Les cotisations syndicales de la YUWA devaient être remises à l’AFPC, sous réserve d’une remise d’excédent au syndicat accrédité. Par ailleurs, la YUWA préservait ses investissements. L’entente précisait aussi qu’il ne s’agissait pas d’une fusion au sens de l’article 43 du Code et que l’AFPC n’aurait aucune obligation continue auprès des membres de la YUWA après l’expiration de l’entente, à moins que celle-ci soit renouvelée ou que les membres de la YUWA décident de joindre les rangs de l’AFPC. La YUWA avait avisé l’employeur qu’elle avait conclu une entente de services avec l’AFPC et avait confirmé que l’AFPC avait autorité pour participer à toutes les rencontres de la procédure de griefs et des comités conjoints employeur-syndicat. Après avoir analysé les dispositions de l’entente de services en litige, le Conseil a estimé que la YUWA n’avait pas délégué illégalement ses pouvoirs exclusifs à titre d’agent négociateur et, par conséquent, qu’elle n’avait violé aucune disposition du Code. Distinguant Airtex Industries Ltd., précitée, de l’affaire en cause, le Conseil s’est exprimé ainsi :

La décision dans Airtex Industries Ltd., précitée, qu’invoque l’employeur, concerne, de l’avis du Conseil, une situation passablement différente de celle en l’espèce. Dans Airtex Industries Ltd., précitée, alors qu’une majorité des membres avaient voté pour l’entente de services, il avait été conclu que l’entente elle-même constituait une « délégation complète, par l’Association, de ses droits et responsabilités à titre d’agent négociateur accrédité » (page 520; traduction). Dans cette affaire, la section locale 421P de l’United Food and Commercial Workers Union (« UFCW ») avait été intentionnellement substitué à l’Association en tant qu’agent négociateur, comme le démontraient les efforts qui étaient en cours pour mener leur fusion à terme. La Commission avait souligné que l’entente de services « était simplement une entente provisoire en attendant que la fusion avec l’UFCW puisse être complétée et que l’UFCW remplace l’Association en tant qu’agent négociateur accrédité par déclaration de la Commission » (page 521; traduction).

...

L’entente de services stipule que, alors que l’AFPC fournira divers services de représentation aux membres de la YUWA, les dirigeants de la YUWA ont toujours autorité pour exercer le contrôle sur les services limités offerts par l’AFPC.

Il est bien établi qu’un syndicat a le droit de gérer ses affaires internes et de prendre ses décisions administratives sans craindre une intervention externe. En l’espèce, ayant examiné l’entente de services, le Conseil est d’avis que l’entente relève de la régie interne de la YUWA. La personne ou les personnes que le syndicat choisit pour le représenter n’est pas l’affaire de l’employeur. (Voir Société canadienne des postes (1989), 79 di 122; et 7 CL RBR (2d) 245 (CCRT no 772).

(pages 6 et 8-9; c'est nous qui soulignons)

[90] Ainsi, un agent négociateur peut conclure une entente de services avec un autre syndicat, à condition que le mandataire ou le représentant agisse pour le compte du syndicat accrédité et non pour son propre compte. La question de savoir si l’agent négociateur accrédité a totalement abdiqué son pouvoir exclusif de représentation est une question de fait, qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque affaire.

[91] C’est donc à la lumière de ces principes fondamentaux que le Conseil examinera la façon dont s’est traduit l’engagement d’Unifor envers l’Association par l’entremise des ententes de 2014 et 2016, et si, dans les faits, les syndicats ont contrevenu aux alinéas 95a) et 95b) et à l’article 96 du Code.

2. La plainte en vertu des alinéas 95a) et 95b) du Code et les ententes de services en litige

[92] Les alinéas 95a) et 95b) du Code ont fait l’objet de très peu de jurisprudence à ce jour. Dans la décision Szabo et Jarkovsky (1977), 25 di 345; et [1978] 1 Can LRBR 161 (CCRT n° 103), le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), le prédécesseur du présent Conseil, s’est penché sur la raison d’être de ces dispositions dans le cadre d’une demande de révocation des droits de négociation d’un agent négociateur acquis par reconnaissance volontaire :

Le moyen le plus répandu d’obtenir des droits de négociation est l’accréditation. L’existence de la méthode de l’acquiescement volontaire sanctionne des relations traditionnelles qui existaient avant l’entrée en vigueur du Code, autorise l’expansion volontaire des unités accréditées et par voie de conséquence, favorise l’établissement de relations syndicales-patronales par accord de l’employeur. Mais un syndicat ne peut obliger un employeur à le reconnaître (alinéas 185a) [maintenant l’alinéas 95a)] et 185b) [maintenant 95b)] et 184(3)(g) [maintenant 94(3)g)]). Il ne peut pas non plus faire la grève pour obtenir la reconnaissance syndicale (Radiodiffusion Mutuelle Limitée, 18 di 56). La procédure d’accréditation repose sur les vœux des employés et l’accréditation ne peut être accordée avant que ceux-ci soient connus. Une fois l’accréditation accordée, les principes généraux dont s’inspire le Code visent à permettre au syndicat de consacrer son attention à la négociation sans être distrait par le fait que des employés souhaitent changer de syndicat ou cherchent à faire révoquer l’accréditation…

(page 350-351; et 165; c’est nous qui soulignons)

[93] Le Conseil et son prédécesseur ont rarement eu à se prononcer sur une violation de l’alinéa 95a) du Code. Dans la décision H.M. Trimble & Sons Limited (1976), 14 di 87 (CCRT no 52), le CCRT a conclu que la section locale d’un syndicat avait eu recours à des méthodes coercitives en exerçant des pressions économiques sur l’employeur qui avait déposé la plainte, une compagnie de transport interprovincial de marchandises en vrac, afin que celui-ci enjoigne à ses employés de changer d’allégeance syndicale et afin de l’obliger à embaucher des membres du syndicat intimé. Le CCRT détaillait des situations où la pression économique exercée par l’intimé, qui n’était pas l’agent négociateur accrédité en place à ce moment, tombaient sous le coup de l’alinéa 95a). Les exemples cités par le CCRT à titre de mesures visées par l’alinéa 95a) étaient notamment d’empêcher les employés de la plaignante d’accéder à des sites de livraison de marchandises transportées par la plaignante et d’empêcher le déchargement de ses produits. Le CCRT expliquait par ailleurs que « [p]our tomber sous le coup du paragraphe 185(a) [maintenant alinéa 95a)], il n’est pas nécessaire que le syndicat réussisse à contraindre l’employeur à négocier collectivement avec lui, il suffit qu’il cherche à y arriver ».

[94] Ainsi, en interdisant aux syndicats n’ayant pas la qualité d’agent négociateur exclusif de chercher à obliger un employeur à négocier avec eux, l’alinéa 95a) protège l’intégrité du processus de négociation collective.

[95] L’alinéa 95b) du Code, quant à lui, protège les unités de négociation telles que définies par le Conseil dans une ordonnance d’accréditation en interdisant à un syndicat de conclure ou de tenter de conclure une convention collective qui empièterait sur une ordonnance d’accréditation appartenant à un autre syndicat. Une disposition parallèle, soit l’alinéa 94(3)g), vise à empêcher les employeurs de faire la même chose. Par le fait même, ces alinéas contribuent aussi à assurer l’intégrité du processus de négociation collective et réduisent ainsi le risque de conflits de compétence entre syndicats. Le Conseil note n’avoir jamais été appelé à trancher une plainte fondée sur l’alinéa 95b) du Code dans une situation telle que celle qui l’occupe dans le présent dossier. De fait, les décisions antérieures du Conseil et de son prédécesseur qui concernaient ces dispositions traitent principalement de conflits de compétence entre syndicats dûment accrédités (voir Eastern Provincial Airways (1963) Limited (1978), 30 di 82; et [1978] 2 Can LRBR 572 (rapport partiel) (CCRT no 142); Bell Canada (1982), 50 di 105 (CCRT no 393); et Société Radio-Canada, 2000 CCRI 68).

[96] Après avoir attentivement considéré la preuve documentaire et testimoniale présentée, ainsi que les arguments des parties, le Conseil ne peut conclure que les parties syndicales ont contrevenu aux alinéas 95a) et 95b) du Code.

[97] Il convient de rappeler que, lors du dépôt de la présente plainte, Innotech alléguait initialement, entre autres, une violation de l’alinéa 95a) du Code, lequel empêche un syndicat de chercher à obliger un employeur à négocier collectivement avec lui alors qu’il n’a pas qualité d’agent négociateur. Or, malgré l’évolution du dossier, plus particulièrement la conclusion d’une convention collective en mai 2016, l’employeur maintenait qu’il y avait eu, dans les faits, violation des alinéas 95a) ainsi que 95b) du Code.

[98] De l’avis du Conseil, les témoignages entendus confirment qu’Unifor n’a aucunement cherché à obliger ni forcé Innotech à négocier avec lui de façon à s’arroger les droits de l’Association. La preuve a de plus confirmé qu’il ne pouvait y avoir aucune confusion pour l’employeur ni même les employés quant au rôle joué par Unifor, qui était d’assister l’Association dans le cadre de ses obligations et non de la remplacer.

[99] Il convient de rappeler certains faits issus de la preuve entendue. Innotech avait été avisée dès le mois de novembre 2014 de l’intention de l’Association d’obtenir l’aide d’Unifor par l’entremise d’une entente de services. Loin d’avoir agi en catimini, l’Association, après avoir fait voter cette initiative par ses membres, a aussi tenu ces derniers au courant de la suite des événements par divers communiqués affichés sur les lieux du travail, au vu et au su des représentants de l’employeur. M. Caluori a même visité les installations avec des représentants de l’employeur. Bien qu’Innotech ne fût pas au courant des termes précis de l’entente de 2014, n’en n’ayant pas reçu copie, l’employeur avait tout de même été clairement avisé en novembre et en décembre 2014 de la durée et de la teneur de celle-ci, soit l’assistance qu’Unifor offrirait lors des négociations qui débuteraient une fois réglés les griefs sur les libérations syndicales, ainsi que l’assistance qui serait fournie par Unifor dans le cadre des griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. La preuve révèle que l’employeur ne s’est alors aucunement opposé à poursuivre les discussions avec le comité exécutif de l’Association, en présence de M. Caluori. D’ailleurs, le Conseil note que l’employeur a négocié une entente relative auxdits griefs avec M. Caluori, qui agissait à titre de représentant des membres du comité exécutif de l’Association, lesquels étaient aussi présents. Les négociations collectives ont finalement débuté le 18 décembre 2014.

[100] Ainsi, les négociations avec l’employeur ont été entreprises dès le 18 décembre 2014, et elles se sont poursuivies 13 jours sans objection, en présence du comité exécutif de l’Association, qui était lui-même accompagné du représentant d’Unifor, lequel agissait à titre de porte-parole. Le Conseil remarque que sur la page frontispice du cahier des demandes syndicales remis le 18 décembre 2014, les membres du comité de négociation listés sont les membres de l’exécutif de l’Association et, en dernier lieu, M. Caluori, à titre de « Représentant national d’Unifor‑Québec ». Nonobstant les précisions fournies dès novembre et décembre 2014 quant au rôle joué par Unifor, M. Caluori a expliqué à nouveau ce rôle dans un courriel envoyé le 13 mai 2015, par suite de la demande de précisions d’Innotech du 11 mai 2015, déclarant que le rôle d’Unifor était d’apporter son aide dans le cadre des négociations et de « l’administration » des griefs et de fournir tout autre service qu’Unifor pouvait offrir. Le Conseil note que l’employeur a dès lors accepté de reprendre les négociations, sommant toutefois l’Association de cesser d’émettre toute communication laissant entendre qu’elle était la « section locale 2410 d’Unifor ».

[101] Le Conseil tient à souligner qu’au total, 29 rencontres auraient eu lieu avec l’employeur avant qu’une convention collective soit conclue au mois de mai 2016, laquelle a été signée par les membres du comité exécutif de l’Association. Le Conseil estime que les prétentions d’Innotech selon lesquelles l’employeur a été forcé de négocier avec Unifor sont donc difficilement conciliables avec la preuve présentée. De l’avis du Conseil, la preuve démontre que, non seulement Unifor agissait à titre de représentant de l’Association, laquelle demeurait en tout temps le vis-à-vis de l’employeur, mais qu’en outre, Innotech avait bien saisi le rôle limité joué par M. Caluori.

[102] En effet, le Conseil ne peut conclure, après avoir entendu les témoignages de MM. Price et Fragassi, qu’il y avait quelque confusion ou doute que ce soit quant au rôle joué par Unifor. Le Conseil retient par ailleurs les courriels échangés entre les parties à cet égard. M. Caluori a expliqué avoir été très clair auprès de l’employeur en 2014, et même quant aux intentions futures d’Unifor, soit d’ultimement devenir l’agent négociateur accrédité lors d’une éventuelle fusion. M. Price n’a pas convaincu le Conseil que la situation créait une confusion réelle. Il a expliqué que la situation créait une « entrave » (hindrance) pour l’employeur. Or, cela ne suffit pas à justifier l’intervention du Conseil.

[103] Bien qu’Innotech se soit opposée à poursuivre les négociations le 11 mai 2015 jusqu’à ce que l’Association clarifie la nature de sa relation avec Unifor, l’employeur a accepté de poursuivre les discussions après que M. Caluori eut réexpliqué la nature de l’entente de services. Quant à la mise en demeure du 10 juin 2015, celle-ci ne s’opposait alors pas à la présence de M. Caluori à la table de négociations, mais soulevait plutôt les préoccupations de l’employeur quant au fait que le nom d’Unifor apparaissait toujours dans les communications de l’Association à l’intention d’Innotech et de ses employés. L’employeur avait aussi des préoccupations quant aux intentions d’Unifor. Toutefois, la preuve révèle que MM. Fragassi et Price, une fois les précisions obtenues quant à la nature de l’entente de services, se seraient plutôt accommodés de la situation, avec l’intention ferme de conclure une convention collective avec l’Association, ce qui s’est produit.

[104] Le Conseil examinera maintenant si Unifor a obligé l’employeur à négocier avec lui de manière détournée par l’entremise d’autres stratagèmes. Innotech a tenté de démontrer que l’Association était, dans les faits, devenue une section locale d’Unifor sans avoir passé par les voies dictées par le Code, soulignant entre autres l’obligation de l’Association de s’identifier comme une section locale d’Unifor et celle de respecter les statuts et règlements d’Unifor, de même que l’absence de toute différence avec une section locale dûment accréditée. Toutefois, le Conseil ne peut accepter une telle proposition.

[105] La preuve a révélé que, bien que certains termes de l’entente de services à durée déterminée aient certes pu, à première vue, sembler lourds de conséquences – tels le nom devant être employé, l’article 1 de l’entente de 2014, qui prévoyait le respect des statuts et règlements d’Unifor, ou l’article 9, selon lequel Unifor s’engageait à fournir à l’Association « tous les services normalement fournis à ses membres » –, les faits reflètent une autre réalité et confirment que l’Association n’a pas délégué l’ensemble de ses pouvoirs à Unifor.

[106] De fait, tout comme dans l’affaire Yukon Energy Corporation, précitée, l’Association est demeurée autonome et a en tout temps conservé le contrôle dans le cadre de tout processus décisionnel. La preuve a révélé que, même sur des enjeux critiques, comme les demandes de l’Association lorsqu’elle préparait son cahier de demandes ou au moment de la présentation de l’offre patronale en 2016, l’Association n’a pas suivi tous les conseils d’Unifor. Il convient de rappeler, à cet égard, le témoignage de M. Boucher selon lequel M. Caluori était étonné des demandes de l’Association. L’Association a continué de remplir ses obligations, par exemple en participant aux négociations, en prenant part à tout échange avec l’employeur et en tenant ses membres informés des enjeux. Par ailleurs, l’Association a continué de participer aux réunions du CCC et a maintenu toute son autorité pour prendre des décisions de façon autonome.

[107] Quant au respect des statuts et règlements d’Unifor par l’Association, le Conseil accepte le témoignage de M. Caluori selon lequel certains articles seulement pouvaient trouver application. D’ailleurs, la preuve entendue a confirmé que l’Association a continué d’opérer selon ses propres statuts, par exemple lors du vote de fusion et du vote sur l’offre patronale en vue de la conclusion de la convention collective de 2016.

[108] Le Conseil est convaincu que la mention « section locale 2410 », dans les ententes de 2014 et 2016, n’était initialement exigée, de fait, qu’à des fins administratives. Par ailleurs, bien que le Conseil ait certes trouvé particulier que le logo d’Unifor et la mention « section locale 2410 » aient figuré sur les communications de l’Association, et que cela ait pu initialement causer une certaine confusion, M. Boucher a présenté un témoignage franc et honnête selon lequel il ne s’agissait que d’une initiative prise de bonne foi par le comité exécutif de l’Association, pour faire de la promotion auprès de ses membres – afin de justifier les cotisations syndicales requises pour le service retenu, lesquelles étaient certes beaucoup plus onéreuses que celles de l’Association –, et pour démontrer à l’employeur les ressources dont bénéficiait maintenant l’Association pour mener les négociations. M. Boucher a reconnu avoir eu à expliquer à certains membres la raison de l’ajout du logo d’Unifor.

[109] Par ailleurs, le Conseil n’a entendu aucune preuve concernant les fausses représentations qui, selon l’employeur, auraient été faites auprès des membres de l’Association. Seul M. Boucher a témoigné sur le fait qu’il n’y avait aucun doute dans l’esprit des membres de l’Association quant à l’identité de l’agent négociateur accrédité, et il a expliqué que c’était d’ailleurs à la suite d’un vote démocratique que les ententes de services ont été approuvées. M. Boucher a affirmé que les membres étaient tout à fait au courant qu’ils n’étaient liés à Unifor que par une entente de services. Le Conseil note que les communiqués transmis aux membres tout au cours de la période en litige étaient aussi très limpides quant aux intentions de l’Association et au rôle que jouait Unifor. Par ailleurs, si, grâce à l’entente de services, Unifor obtenait une certaine visibilité en vue d’une possible fusion ou d’un possible maraudage « amical » à l’occasion de la période ouverte suivante, à nouveau, le Conseil est d’avis que tout exercice du choix démocratique des membres aurait été fait en connaissance de cause.

[110] D’ailleurs, le fait que les ententes de services exigeaient de recommander la fusion ou l’adhésion par maraudage n’a eu aucune incidence sur les droits et obligations de l’Association à titre d’agent négociateur accrédité, ni sur la liberté de choix des membres de l’unité de négociation. La preuve démontre en fait que les membres ont manifestement voté librement, certains d’entre eux ayant été en désaccord avec la fusion proposée en 2016. Ainsi, il est difficile pour le Conseil d’accepter que les membres de l’Association aient pu être bernés ou aient cru qu’Unifor les représentait.

[111] Bien que le Conseil reconnaisse les similitudes alléguées par Innotech entre une section locale dûment accréditée et la situation de l’Association lorsqu’elle était liée par les ententes de services, le Conseil accepte que l’Association ne bénéficiait pas de tous les droits et privilèges d’une section locale « Unifor ». Même si l’entente de services prévoyait entre autres qu’Unifor s’engageait à offrir à l’Association « tous les services normalement fournis à ses membres », le Conseil ne peut, compte tenu de la preuve entendue quant à la façon dont s’est traduit l’engagement d’Unifor, accepter que l’Association ait abdiqué tous ses pouvoirs de représentation à titre d’agent négociateur exclusif, ou ait tenté de reproduire une situation de fusion. Il n’y a eu aucune preuve devant le Conseil démontrant que l’Association s’est libérée de ses obligations, comme le soutient Innotech. La preuve a plutôt révélé que le comité exécutif de l’Association est demeuré en tout temps présent, engagé, et responsable de toute décision en lien avec ses obligations. Son rôle est demeuré sensiblement le même, avec toutefois des ressources bonifiées et des services additionnels.

[112] Ainsi, compte tenu de ce qui précède, le Conseil n’a devant lui aucune preuve témoignant de manœuvres, tactiques ou autres actions d’Unifor qui auraient fait en sorte qu’Innotech aurait été tenue de négocier avec Unifor en son propre nom, ou que d’autres « stratagèmes » auraient été mis en œuvre pour qu’Innotech soit ultimement obligée de négocier avec Unifor en sa qualité d’agent négociateur.

[113] Le Conseil souscrit aux propos exprimés par son prédécesseur dans H.M. Trimble & Sons Limited, précitée, selon lesquels il n’est pas nécessaire, pour qu’il y ait violation de l’alinéa 95a) du Code, que le syndicat réussisse à contraindre l’employeur à négocier collectivement avec lui; il suffit qu’il cherche à y arriver. Or, tel qu’on l’a mentionné ci‑dessus, la preuve devant le Conseil ne justifie pas une telle conclusion.

[114] Le Conseil ne peut donc conclure qu’Unifor a cherché à obliger Innotech à négocier avec lui ou qu’il s’est substitué à l’Association pour obliger l’employeur à négocier avec lui d’une quelconque façon, au sens de l’alinéa 95a) et n’a pas non plus contrevenu à l’alinéa 95b), puisqu’Unifor n’agissait pas en son propre nom lorsqu’il représentait l’Association dans le cadre des négociations collectives. Ainsi, les négociations collectives demeuraient en tout temps entre Innotech et l’agent négociateur dûment accrédité. Dans la même veine, le Conseil ne peut non plus conclure qu’Unifor a tenté de contourner les voies dictées par le Code afin de devenir l’agent négociateur des employés d’Innotech.

[115] Tel que le Conseil l’a expliqué, il n’interviendra pas dans les ententes de services ou au regard de leurs particularités, à moins que leurs modalités aient pour conséquence une violation du Code – ce qui, d’après la preuve présentée, n’est pas le cas dans la présente affaire.

[116] Ainsi, le Conseil n’a aucune raison d’intervenir dans les affaires internes du syndicat et de s’ingérer dans l’engagement contractuel entre l’Association et Unifor, puisque les ententes de 2014 et 2016 n’outrepassent pas, dans les faits, le cadre et les principes fondamentaux protégés par le Code.

[117] Par conséquent, le Conseil rejette la plainte de l’employeur alléguant violation des alinéas 95a) et 95b) du Code.

3. La plainte en vertu de l’article 96 du Code

[118] L’employeur reproche également aux parties syndicales d’avoir contrevenu à l’article 96 du Code, qui interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

[119] Cette disposition, qui a une portée plus vaste que les alinéas 95a) et 95b), vise elle aussi à protéger le droit fondamental des employés de choisir leur agent négociateur librement, et ce, sans aucune influence.

[120] Dans la décision Desgagnés Marine St-Laurent inc., 2016 CCRI 825, le Conseil a donné certaines indications quant au sens à donner à cette interdiction, soit le type de comportement prohibé et l’analyse à effectuer dans le cadre d’une plainte formulée en vertu de l’article 96 :

[79] Selon le Dictionnaire DION, les termes suivants se définissent comme suit :

Coercition : Contrainte, intimidation.

Contrainte : Violence, entrave physique ou morale exercée contre quelqu’un pour le forcer à poser un acte ou à l’amener à s’en abstenir.

Intimidation : Menace ou pression indue exercée sur une personne ou sur un groupe dans l’intention de faire poser un acte qui ne serait pas posé autrement.

[80] Dans l’affaire Fedex Ground Package System ltée, 2011 CCRI 614, le Conseil a précisé la manière dont il perçoit cette définition :

[234] … la définition d’intimidation, de coercition et d’influence indue dans le contexte des relations de travail comporte un élément fondamental, à savoir toute tentative de recourir à une forme de force, de menace, de pression ou de contrainte indue dans le but d’exercer un contrôle ou une influence sur la liberté d’association d’un employé.

[81] Dans l’affaire Desgagnés Marine Petro inc. et Desgagnés Marine Cargo inc., précitée, le Conseil a donné des indications quant à l’analyse à effectuer dans le cadre d’une plainte sous l’article 96 du Code :

[72] Le Conseil doit analyser si les activités de représentation ou de communications reprochées aux représentants de l’intimé constituent des menaces ou mesures coercitives assimilables à de la contrainte ou à de l’intimidation…

[82] Il a aussi souligné l’effet que doivent avoir ces activités de représentations ou ces communications :

[85] Finalement, le Conseil tient à souligner que le plaignant n’a pas démontré que les activités de représentation ou communications reprochées à l’intimé ont pu avoir sur ses membres un effet perturbateur les incitant à quitter les rangs…

[121] Pour le Conseil, une violation de l’article 96 requiert ainsi une preuve de menace, de contrainte ou d’intimidation, et les activités reprochées doivent avoir eu un effet perturbateur suffisant pour influencer la liberté d’association des membres d’un syndicat. Le dénominateur commun de ces comportements est un certain seuil de gravité, de force, et une intention d’exercer ou de tenter d’exercer un certain contrôle. Or, le Conseil n’a entendu aucun élément de preuve de cette nature au cours des audiences. Au contraire, le Conseil note que les membres de l’unité ont exercé leur choix librement lors du vote de fusion.

[122] Ainsi, la preuve ne permet pas de conclure à une contravention de l’article 96. Par conséquent, le Conseil rejette la plainte d’Innotech alléguant violation de l’article 96.

V. Conclusion

[123] Le Conseil reconnaît qu’à la lumière des circonstances entourant l’engagement entre l’Association et Unifor, il était légitime pour l’employeur d’avoir, initialement, certaines préoccupations quant au respect des obligations de l’Association à titre d’agent négociateur exclusif des employés d’Innotech. Cela dit, le Conseil estime, après examen de la preuve et des observations des parties, que les parties syndicales n’ont pas enfreint, par la conclusion des ententes de 2014 et 2016, les alinéas 95a) et 95b), ni l’article 96 du Code. Ainsi, le Conseil n’a aucune raison d’intervenir et rejette la présente plainte.

 

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Annie G. Berthiaume

Vice‑présidente

 

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