Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters,

requérante,

et

669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation,

employeur.

Dossier du Conseil : 31996-C

Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters,

plaignante,

et

669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation,

intimée.

Dossier du Conseil : 32004-C

Référence neutre : 2018 CCRI 882

Le 31 mai 2018

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de M. Patric F. Whyte, Vice-président, et de Me Richard Brabander et M. Norman Rivard, Membres. Des audiences ont eu lieu à Vancouver, en Colombie-Britannique, du 19 au 21 avril 2017 ainsi que les 20 et 21 juin 2017.

Ont comparu

Me David P. Reynolds, pour la Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters;

Me Israel Chafetz, c.r., pour 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par M. Patric F. Whyte, Vice-président.

I. Aperçu et procédure devant le Conseil

[1] Le 9 février 2017, le Conseil a reçu une demande d’accréditation (dossier du Conseil no 31996-C) en vertu de l’article 24 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code), par laquelle la Section locale 31 de la Fraternité internationale des Teamsters (les Teamsters ou le syndicat) demandait à représenter « tous les ouvriers d’entrepôt... qui travaillent à partir du 18744, 25 Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), à l’exclusion des chauffeurs, des propriétaires-exploitants, des chauffeurs des propriétaires-exploitants » au service de 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation (CSA ou l’employeur).

[2] Parallèlement, le Conseil a reçu des Teamsters, le 15 février 2017, une plainte de pratique déloyale de travail (PDT) (dossier du Conseil no 32004-C), dans laquelle le syndicat alléguait que l’employeur avait enfreint les alinéas 94(1)a) et 94(3)a) ainsi que l’article 96 du Code. Cette plainte était accompagnée d’une demande d’ordonnance provisoire (dossier du Conseil no 32005-C) fondée sur l’article 19.1 du Code.

[3] En substance, il était allégué dans la plainte de PDT que l’employeur avait congédié trois partisans de premier plan du syndicat, MM. Tennyson Ayles, Ziad Ali et Garrett Bunse, sur une période de moins d’une semaine pendant la campagne de syndicalisation. Le syndicat avance que ces congédiements, survenus respectivement les 3, 8 et 9 février 2017, visaient à miner la campagne de syndicalisation.

[4] Afin de maintenir le statu quo ante et de redonner aux employés la conviction que le Conseil peut protéger et protégera leur droit à la liberté d’association, le syndicat demande, à titre de redressement provisoire, que le Conseil rende une ordonnance pour que les employés congédiés soient réintégrés dans leurs fonctions ainsi qu’une ordonnance enjoignant à l’employeur de se conformer aux dispositions du Code.

[5] Le 20 février 2017, le Conseil a rendu l’ordonnance no 928-NB dans le dossier du Conseil n31996-C, déterminant que l’unité habile à négocier collectivement serait la suivante :

tous les ouvriers d’entrepôt qui travaillent pour 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation à partir de 18744, 25 Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), à l’exclusion des chauffeurs, des propriétaires-exploitants, des chauffeurs des propriétaires-exploitants, de l’auditeur d’entrepôt, des coordonnateurs de la logistique, du superviseur d’entrepôt, du gestionnaire d’entrepôt et du gestionnaire de l’exploitation.

[6] Le Conseil a aussi ordonné qu’un scrutin de représentation soit tenu et que les bulletins de vote soient conservés sous scellé jusqu’à ce que le Conseil en décide autrement. Après la tenue du scrutin, le Conseil a mis au rôle la plainte de PDT afin qu’elle soit instruite dans le cadre d’une audience.

[7] Le 18 avril 2017, dans 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation, 2017 CCRI LD 3793, le Conseil a refusé de rendre l’ordonnance provisoire demandée. Il a néanmoins précisé ce qui suit :

Le présent banc du Conseil est saisi de la plainte de PDT connexe (dossier no 32004-C), qui sera instruite sous peu. L’établissement de la preuve et les arguments des parties permettront au Conseil d’établir si le congédiement des trois employés constituait une atteinte directe aux droits des employés conférés par la partie I du Code et une menace à leur droit de se syndiquer. S’il est conclu à l’existence d’un préjudice remettant en question la validité du scrutin de représentation ou le droit des employés à la liberté d’association ou encore d’un préjudice personnel subi par les employés congédiés, le Conseil sera en mesure, afin de réaliser les objectifs de la partie I du Code, de formuler le redressement nécessaire pour replacer le syndicat et les employés congédiés dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés avant toute violation qui pourrait être constatée.

(page 6)

[8] Les audiences relatives à la présente plainte de PDT ont été tenues du 19 au 21 avril 2017 ainsi que les 20 et 21 juin 2017. Le Conseil a entendu huit témoins au cours des audiences. M. Ben Hennessy, directeur du recrutement syndical, et MM. Ayles, Ali et Bunse, les employés congédiés de CSA, ont témoigné pour le syndicat. Mme Sonja Walters, gestionnaire de bureau à Surrey, M. Harpreet Deol, gestionnaire d’entrepôt à Surrey, M. Brent Goss, manutentionnaire à Surrey, et Mme Rebecca Huebsch, directrice de l’exploitation à Toronto, ont témoigné pour CSA.

[9] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve au dossier, des témoignages entendus et des observations finales des parties, le Conseil a rendu, le 21 août 2017, une décision sommaire dans 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation, 2017 CCRI LD 3845. Le Conseil a conclu à une violation du sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code et a réintégré dans leur emploi, avec indemnisation complète, MM. Ayles, Ali et Bunse, les trois employés qui avaient été congédiés. Le Conseil a aussi enjoint à l’employeur d’afficher sur les babillards un avis confirmant le droit des employés à la liberté d’association et faisant mention de la violation du Code par CSA. Enfin, le Conseil a rendu une ordonnance d’accréditation en vertu de l’article 99.1 du Code, par laquelle il a accrédité le syndicat à titre d’agent négociateur d’une unité d’employés travaillant pour l’employeur (ordonnance du Conseil no 11169-U).

[10] Voici les motifs de cette décision.

[11] Bien que les éléments de preuve présentés par les parties et tous les témoignages aient été examinés en entier, le Conseil n’abordera pas chacun des éléments de preuve présentés au cours des audiences; il ne fera qu’un résumé des faits essentiels aux fins de son analyse.

II. Position des parties

A. Le syndicat

[12] Le syndicat soutient que l’employeur a contrevenu à l’alinéa 94(1)a) et à l’article 96 du Code en tenant une ou des « réunions à auditoire contraint » (traduction) avec certains ou la totalité des ouvriers d’entrepôt, durant lesquelles des menaces de perte d’emploi et de fermeture de terminal ont été formulées, ce qui constituait des communications inacceptables de la part de l’employeur et une intervention dans la formation d’un syndicat.

[13] Le syndicat affirme que l’employeur a contrevenu au sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code en congédiant les trois principaux partisans du syndicat durant la campagne de syndicalisation, dans le but exprès de faire savoir aux autres employés que personne n’est à l’abri de mesures de représailles.

[14] Selon le syndicat, le message que l’employeur a clairement envoyé aux employés par ses paroles et ses actions est qu’il peut y avoir et qu’il y aura d’autres répercussions négatives si le scrutin aboutit à l’accréditation du syndicat.

[15] Le syndicat fait valoir que le congédiement d’employés de premier plan pendant la campagne de syndicalisation constitue une atteinte directe au droit à la liberté d’association et à la liberté de se syndiquer. Par conséquent, l’appui donné au syndicat serait érodé eu égard au scrutin et au maintien d’un groupe d’employés unis ayant des objectifs communs.

[16] Ainsi, en plus des mesures de redressement en vertu des paragraphes 99(1) et (2), qui incluent une ordonnance d’interdiction et la réintégration des employés congédiés, le syndicat demande l’accréditation à titre de redressement en vertu de l’article 99.1 du Code, car le résultat du scrutin ne traduira vraisemblablement pas la volonté réelle des employés, étant donné la conduite illicite de l’employeur.

B. L’employeur

[17] L’employeur nie avoir contrevenu au Code de quelque façon que ce soit.

[18] Il conteste que des menaces aient été formulées ou qu’il y ait eu de l’intimidation, et soutient que la ou les « réunions à auditoire contraint » n’ont jamais eu lieu et demande que le syndicat soit tenu d’en faire la preuve.

[19] L’employeur conteste que les congédiements aient été attribuables à la participation des employés à la campagne de syndicalisation et il soutient que chacun des trois congédiements était l’aboutissement de mesures disciplinaires légitimes.

[20] Plus précisément, l’employeur affirme avoir procédé aux congédiements pour les motifs ci‑dessous.

[21] M. Ayles a été congédié en raison de son comportement agressif à l’endroit de la gestionnaire de bureau alors qu’il voulait discuter de problèmes de paye, et pour avoir régulièrement quitté le travail hâtivement lorsque cela lui convenait, sans avoir obtenu l’autorisation requise, pour aller travailler pour un autre employeur.

[22] M. Ali a été congédié en raison de l’attitude inopportune dont il a fait preuve lorsqu’il a refusé de suivre des directives de travail précises et est plutôt resté dans la salle à manger où il jouait à des jeux vidéo ou discutait avec des collègues, et pour ne pas s’être présenté au travail les 5 et 6 février 2017 sans en avoir informé le superviseur concerné. Il avait par ailleurs déjà eu des problèmes d’assiduité au travail dans le passé.

[23] M. Bunse a été congédié pour avoir laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt alors qu’il savait que ce dernier avait été congédié et n’était plus au service de l’employeur et pour lui avoir permis de rester sur les lieux quelques heures. Il y avait également eu des incidents dans le passé où M. Bunse avait refusé d’exécuter le travail qui lui avait été assigné.

[24] L’employeur affirme qu’il ne savait pas que les plaignants prenaient part à des activités syndicales. Par ailleurs, la représentante de l’employeur qui a pris la décision de congédier les trois employés n’était pas au courant qu’une campagne de syndicalisation était en cours à l’entrepôt de Vancouver, ni que les employés congédiés étaient engagés dans des activités syndicales.

III. Faits et preuve

A. Renseignements généraux

[25] CSA est une entreprise de camionnage interprovinciale et internationale qui a des terminaux et des entrepôts dans différentes provinces du Canada ainsi qu’aux États-Unis, et dont le siège social se trouve à Toronto. Elle exploite un terminal et un entrepôt à Surrey, en Colombie-Britannique. Le terminal de Surrey est un établissement de 50 000 pieds carrés, où des marchandises en provenance des États-Unis sont entreposées jusqu’à ce qu’elles soient dédouanées, avant d’être livrées à leurs acheteurs. Ce sont des propriétaires-exploitants qui se chargent du ramassage et de la livraison des marchandises, et non les ouvriers d’entrepôt de CSA.

[26] Mme Huebsch est la directrice de l’exploitation responsable des activités quotidiennes et des ressources humaines pour la majorité des terminaux canadiens, y compris celui de Surrey, en Colombie-Britannique. M. Herman Fallick, propriétaire et premier dirigeant, est responsable des autres terminaux.

[27] Mme Huebsch a expliqué qu’il y a, au bureau, un gestionnaire d’entrepôt, M. Deol, un gestionnaire de l’exploitation, M. Matt Huber, ainsi qu’une gestionnaire de bureau, Mme Walters. Le gestionnaire d’entrepôt est responsable de tous les ouvriers d’entrepôt, répartiteurs et chauffeurs ainsi que de l’établissement des horaires. Les responsabilités du gestionnaire de l’exploitation consistent à prendre en charge les camions des propriétaires-exploitants qui arrivent à Vancouver et d’assurer les fonctions de gestionnaire principal au terminal. La gestionnaire de bureau est responsable de gérer le bureau, d’aider à la supervision des activités de l’entrepôt et de s’occuper des problèmes liés à la paye.

[28] En décrivant l’établissement, Mme Huebsch a expliqué que l’entrepôt de Surrey est un entrepôt de stockage, ce qui signifie que le gouvernement lui a attribué une licence d’établissement à haute sécurité. Ses entrées sont verrouillées et la population n’y a pas accès. Mme Huebsch a témoigné qu’il y a une entrée pour les propriétaires-exploitants, mais que ceux-ci n’ont pas accès à l’entrepôt. Pour accéder à l’entrepôt, il faut passer par la zone avant, là où se trouve le pavé de touches.

[29] Le bureau de répartition se trouve à l’arrière de l’entrepôt. Les activités de l’entrepôt consistent en des tâches de manutention, c’est-à-dire que les employés chargent et déchargent les camions, leur principale responsabilité étant de recevoir les marchandises expédiées. Il y a deux quarts de travail pour les manutentionnaires : celui du matin et celui de l’après-midi. Les employés du matin reçoivent les marchandises à l’arrivée, et les employés de l’après-midi chargent les marchandises dans les camions au départ. Il y a environ 15 ouvriers d’entrepôt qui travaillent à l’établissement de Surrey.

[30] MM. Ayles, Ali et Bunse étaient des ouvriers d’entrepôt, plus précisément des manutentionnaires, qui travaillaient à l’entrepôt de Surrey. Ils ont été embauchés le 31 octobre 2016, le 14 février 2013 et le 24 mai 2016 respectivement. Lorsqu’ils ont signé leur contrat d’engagement, ils ont confirmé avoir reçu le manuel de l’employé canadien de CSA Transportation (le manuel de l’employé) et se sont engagés à respecter les règles et procédures qu’il contient pendant la durée de leur emploi.

[31] Le manuel de l’employé contient plusieurs clauses qui s’appliquent à la présente affaire, notamment les suivantes :

2.9 Cessation d’emploi

...

2.9.4 Cessation d’emploi involontaire ou congédiement : Des notes exhaustives doivent avoir été consignées par le superviseur avant toute cessation d’emploi involontaire et cette cessation d’emploi doit avoir fait l’objet d’une discussion avec le gestionnaire des ressources humaines avant qu’ait lieu toute discussion relative à un congédiement avec l’employé visé. L’approbation écrite du premier dirigeant doit avoir été obtenue avant qu’une cessation d’emploi involontaire soit mise à exécution.

...

3.4 Règles d’assiduité

...

Si vous ne vous présentez pas à un quart de travail prévu à l’horaire sans y avoir été autorisé au préalable, vous devez signaler votre absence par téléphone pour chaque journée d’absence. Vous devez joindre votre superviseur immédiat ou le gestionnaire de terminal lorsque vous téléphonez. Laisser des messages à des collègues ou signaler votre absence au moyen d’un courriel ou d’un message téléphonique est insuffisant et pourra donner lieu à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement. Il vous incombe de vous assurer de parler à l’une ou l’autre de ces personnes.

...

3.4.3 Absence considérée comme une cessation d’emploi volontaire : Si vous vous absentez deux jours consécutifs sans téléphoner ni parler à votre superviseur immédiat ou à votre gestionnaire de département, il sera considéré que vous avez mis fin volontairement à votre emploi.

...

4.4 Directive sur les congés

Seul votre superviseur ou la personne désignée peut autoriser une absence du travail. Ces personnes s’efforceront, lorsqu’elles accorderont ces autorisations, de garantir que l’administration des congés se fasse de façon uniforme. Cette directive s’applique à tous les employés.

...

5.2 Comportement ou conduite

...

5.2.4 Les superviseurs et gestionnaires sont responsables de donner rapidement une mise en garde aux employés dont la conduite ou le comportement ne respecte pas l’objet de la présente directive, et ils doivent consigner des notes sur leurs échanges avec les employés visés à des fins de suivi…

...

5.6 Procédure disciplinaire

...

5.6.5 Exemples d’infractions qui entraînent normalement un congédiement dès le premier incident

...

17. Conflit d’intérêts ou actions donnant lieu à un conflit d’intérêts.

18. Donner une raison trompeuse pour être autorisé à prendre congé, ou accepter un emploi au service d’un autre employeur pendant un congé autorisé.

(traduction)

[32] MM. Ayles, Ali et Bunse étaient les employés qui dirigeaient, à différents titres, la campagne de syndicalisation des Teamsters.

B. Campagne de syndicalisation et communications alléguées de l’employeur

[33] Au cours de l’automne 2016, les ouvriers d’entrepôt de CSA à Surrey ont commencé à discuter de syndicalisation, leurs objectifs étant de se protéger et d’obtenir de meilleures conditions de travail. MM. Ayles, Ali et Bunse ont communiqué régulièrement ensemble et discuté de la façon de former un syndicat et de faire en sorte que chacun des employés signe une carte. M. Ayles communiquait avec le syndicat et avait déclaré qu’il pourrait s’investir dans la campagne de syndicalisation pour autant que MM. Bunse et Ali lui apportent leur aide.

[34] M. Ayles a pris contact avec le syndicat et s’est fait remettre les cartes d’adhésion par M. Hennessy, un organisateur syndical, à la fin de janvier 2017. M. Ayles a commencé à faire signer des adhérents et à collecter les frais d’adhésion pendant le quart de travail du matin, et M. Ali faisait les mêmes démarches auprès des employés affectés au quart de travail de l’après-midi. Les cartes signées étaient ensuite acheminées à M. Hennessy. M. Bunse a déclaré qu’il avait parlé individuellement à des employés afin de les convaincre de se joindre au syndicat.

[35] Le 3 février 2017, M. Ayles a été congédié. M. Ali a alors pris en charge la campagne de syndicalisation. M. Bunse a déclaré que, selon lui-même et d’autres employés, M. Ayles avait manifestement été congédié parce qu’il avait travaillé à la syndicalisation des ouvriers d’entrepôt. M. Ayles discutait ouvertement avec tous ses collègues des avantages qu’il y avait à se joindre au syndicat. M. Bunse a affirmé qu’après ce congédiement, deux collègues, qui étaient visiblement perturbés et inquiets, sont venus le voir et lui ont demandé : « Qu’est-ce qu’on fait maintenant? », ce à quoi il a répondu : « Tout ira bien. Nous devons rester unis, comme une équipe » (traductions). M. Bunse a communiqué ce même message à cinq collègues au total, y compris les deux premiers. Il craignait alors d’être le prochain à se faire congédier si un collègue informait l’employeur de sa participation à la campagne.

[36] M. Ayles avait dirigé la campagne, mais M. Ali avait remis des cartes d’adhésion, et M. Bunse avait lui aussi recueilli des cartes, qui avaient ensuite été remises à M. Ali.

[37] Le 7 février 2017, après que M. Ali lui eut remis la dernière carte dont il avait besoin pour appuyer une demande d’accréditation auprès du Conseil, M. Hennessy a décidé de présenter la demande.

[38] Le 8 février 2017, M. Ali a été congédié. M. Bunse a encore eu des discussions avec certains collègues, qui semblaient encore inquiets et perturbés en raison des congédiements. M. Bunse a encouragé ses collègues à rester unis comme une équipe, à aller de l’avant et à garder confiance, et il a affirmé que le syndicat veillerait sur eux.

[39] M. Bunse a déclaré que M. Deol a commencé à convoquer les employés à son bureau. Il a indiqué que le jour du congédiement de M. Ali, soit le 8 février, alors qu’il quittait la salle à manger, M. Deol l’a convoqué à son bureau, où il a commencé à lui parler de la planification de la journée. Pendant que M. Bunse était dans le bureau de M. Deol, M. Goss, un manutentionnaire, est entré, et M. Deol lui a demandé de s’asseoir. Selon le témoignage de M. Bunse, M. Deol a alors commencé à parler du syndicat, déclarant que les syndicats sont une mauvaise chose et qu’ils ne fonctionnent pas. M. Deol a poursuivi en affirmant qu’il avait reçu un courriel de M. Fallick, premier dirigeant de CSA, lequel disait qu’il avait entendu parler du syndicat et voulait savoir qui y avait adhéré. Il était également mentionné dans ce courriel que si la campagne de syndicalisation était couronnée de succès, M. Fallick avait l’intention de fermer le terminal pour deux semaines et de congédier tout le monde.

[40] M. Bunse a reconnu que M. Deol tenait des réunions les mardis et les jeudis après-midi et qu’il avait assisté à chacune d’elles. Il a affirmé que les déclarations de M. Deol n’avaient pas été faites au cours d’une de ces réunions, mais à l’occasion d’entretiens individuels.

[41] Lorsqu’on lui a dit que cette déclaration contredisait le cinquième paragraphe de son affidavit dans lequel on pouvait lire que, « le mercredi 8 février vers 19 h, Harp [Deol], le superviseur, a réuni les ouvriers d’entrepôt et nous a informés » (traduction) , M. Bunse a expliqué qu’il avait voulu dire que M. Deol avait parlé à chacun des employés individuellement. M. Bunse a déclaré qu’il avait rencontré M. Deol seul à seul et que M. Goss s’était joint à eux dans le bureau pendant la rencontre.

[42] M. Bunse a reconnu n’avoir eu connaissance d’aucune autre convocation, mais a affirmé qu’il croyait que ce que M. Deol avait dit était vrai, étant donné que M. Ali avait été congédié ce matin-là. Il a reconnu qu’il y avait eu une réunion des employés ce mardi-là, mais il ne se rappelait pas s’il y avait eu des discussions au sujet du syndicat.

[43] M. Deol et Mme Walters ont témoigné qu’ils ignoraient qu’une campagne de syndicalisation était en cours et qu’ils n’en ont appris l’existence que lorsque l’Avis aux employés faisant état de la demande d’accréditation a été affiché sur le babillard.

[44] Cela dit, M. Deol a affirmé qu’il avait l’habitude de tenir des réunions deux fois par semaine pour discuter avec les employés de l’après-midi de questions relatives aux opérations et que, au cours d’une de ces réunions, les employés avaient soulevé la question du syndicat. La discussion avait porté sur des questions comme les avantages de la syndicalisation. M. Deol a témoigné qu’il avait dit aux employés qu’ils devraient payer des cotisations syndicales, mais qu’à part cela, il n’avait pas exprimé d’opinion et avait déclaré aux employés qu’ils devraient prendre la décision eux-mêmes. M. Deol a toutefois nié avoir entendu des employés parler du syndicat et a affirmé qu’il n’avait jamais parlé avec des employés individuellement, et qu’il n’avait jamais discuté de questions concernant le syndicat lors d’une réunion distincte tenue le ou vers le 8 février 2017 avec MM. Bunse et Goss.

[45] M. Goss a témoigné qu’il assistait aux réunions bihebdomadaires du personnel dirigées par M. Deol et que, lorsque le syndicat avait été mentionné, la question soulevée était celle de savoir qui pourrait participer au scrutin. M. Goss a déclaré que M. Deol n’avait pas fait mention d’un courriel du propriétaire mentionnant que si les employés se syndiquaient, tout le monde serait congédié. Selon son impression, M. Deol s’était montré plutôt neutre. Selon lui, la question du scrutin avait été soulevée avant que soit affiché l’Avis aux employés.

[46] M. Goss savait que M. Ayles avait été congédié le 3 février 2017, mais il a nié avoir entendu dire que c’était à cause du syndicat. Il avait appris que M. Ali avait été congédié, mais n’était pas sûr du moment où cela s’était produit. Il avait également eu connaissance du fait que des collègues parlaient des congédiements, mais il n’avait pas souvenir que des liens étaient établis avec les activités syndicales. M. Goss ne se souvenait pas que les employés avaient été si perturbés que cela par les congédiements et ne savait pas que M. Bunse avait parlé du syndicat avec des employés.

[47] M. Goss a reconnu qu’il avait entendu parler de la demande du syndicat et que c’était peut-être le 8 février, avant que l’Avis aux employés soit affiché le 9 février. Il a également confirmé que les employés recevaient des cartes de MM. Ayles et Ali et que, bien qu’il n’en fût pas sûr, il avait entendu parler du syndicat pour la première fois à la fin de janvier ou au début de février 2017. Il a indiqué n’avoir jamais vu M. Deol convoquer des employés un à la fois pour s’entretenir avec eux et ne pas avoir eu connaissance que M. Deol tenait des réunions de groupe pour discuter de la syndicalisation. Lorsqu’on lui a dit qu’il s’était rendu au bureau de M. Deol avec des documents pendant que M. Bunse s’y trouvait, et que M. Deol lui avait demandé de prendre un siège, M. Goss a contesté que cela se fût produit. Il a nié qu’une réunion avec M. Deol et M. Bunse ait eu lieu. Il a témoigné que M. Deol n’avait jamais dit que le terminal pourrait être fermé, et le nom de « Herman Fallick » ne lui disait rien.

[48] Le 9 février 2017, M. Bunse a été congédié. La demande d’accréditation a été présentée le même jour.

[49] M. Goss a témoigné que s’il y avait eu des discussions au sujet du congédiement de ses collègues, personne ne lui en avait parlé et il avait été exclu de ces discussions.

[50] M. Hennessy a témoigné qu’il était resté en contact avec certains employés pour leur communiquer des renseignements sur la campagne et discuter des trois congédiements. Il voulait qu’ils sachent qu’ils étaient protégés. Il a également déclaré que différents employés lui avaient fait part des craintes que leur inspiraient les menaces de l’employeur relatives à la demande du syndicat, et que certains employés, qui étaient auparavant de fervents partisans du syndicat, ne l’avaient même pas rappelé après qu’il leur eut téléphoné et laissé des messages à quelques reprises. De façon générale, les communications se sont faites plus rares. Selon M. Hennessy, les menaces et les congédiements avaient manifestement porté atteinte à l’appui dont bénéficiait le syndicat, et il était improbable, dans ces circonstances, que le scrutin rende compte de la volonté réelle des employés. M. Hennessy a toutefois confirmé que personne n’avait fait de démarches pour faire annuler sa carte.

[51] Mme Huebsch a déclaré qu’elle ignorait l’existence de la campagne de syndicalisation lorsqu’elle a décidé de congédier MM. Ayles, Ali et Bunse. Elle en a seulement appris l’existence après que le syndicat eut présenté sa demande auprès du Conseil.

C. Congédiements

1. Congédiement de M. Ayles

[52] M. Ayles était un employé de CSA depuis le 31 octobre 2016 et il travaillait à l’entrepôt de Surrey. Il a été congédié le 3 février 2017. L’employeur lui a dit ce jour-là que son congédiement résultait d’un manque de travail.

[53] Mme Huebsch a décrit l’embauche de M. Ayles, déclarant qu’il n’y avait pas de gestionnaire d’entrepôt à l’époque et que M. Huber et Mme Walters géraient l’entrepôt. Elle a également indiqué que M. Ayles avait été embauché par M. Huber et qu’elle n’avait pas vu son curriculum vitæ.

[54] Dans son témoignage, M. Ayles a confirmé qu’il avait un casier judiciaire pour des infractions commises avant 2007. Il a déclaré qu’il n’était pas fier de ce qu’il avait fait, mais qu’il tâchait de s’améliorer. Il a témoigné qu’à sa connaissance, une vérification du casier judiciaire n’avait pas été demandée, et que si cette demande était faite maintenant, il dirait la vérité à ce sujet. Il a indiqué qu’il avait travaillé dans un autre entrepôt de stockage avant d’être au service de CSA et que, bien qu’il ne se souvînt pas s’il en avait parlé à qui que ce soit d’autre, il l’avait dit à M. Ali et à M. Adrian Gallicano, superviseur du quart de travail du matin.

[55] M. Ayles travaillait également pour Comox Valley Freightways depuis le 5 décembre 2016. Il a déclaré qu’il avait demandé à M. Gallicano s’il pouvait être affecté au quart de travail du matin, et qu’il lui avait dit qu’il avait un autre emploi et qui était l’autre employeur. Il a affirmé que plusieurs autres personnes savaient également qu’il occupait cet autre emploi. Il était certain d’en avoir informé M. Gallicano mais ne pensait pas l’avoir dit à M. Deol. Il commençait à travailler à 14 h ou 15 h pour ce second employeur. Il a reconnu qu’il aurait pu rester plus longtemps au travail, mais il ne voulait pas rester inactif à la cafétéria toute la journée. Il demandait à M. Gallicano s’il pouvait partir. Il a contesté qu’il y ait eu beaucoup de travail à faire.

[56] M. Ayles a déclaré qu’il lui était égal d’être renvoyé à la maison plus tôt que prévu s’il n’y avait pas de travail à faire. Selon son témoignage, il avait à plusieurs reprises quitté le travail plus tôt que prévu, avec l’approbation ou à la demande de son superviseur. Il a ajouté qu’il n’avait jamais quitté le travail sans y avoir été autorisé par le superviseur. Il a également déclaré que ni Mme Huebsch ni aucun autre représentant de l’employeur n’avait exprimé de préoccupations quant à ses départs prématurés dans de telles circonstances. Il a affirmé que la question de ses heures de travail n’avait été discutée qu’avec son superviseur et que, pendant cette période, il n’y avait pas beaucoup de travail. S’il devait rester plus longtemps, il le faisait, et s’il avait terminé son travail, le superviseur le laissait partir plus tôt.

[57] M. Ali a témoigné qu’il savait qu’en janvier et en février 2017, M. Ayles quittait le travail avant l’heure normale parce qu’il avait un autre emploi. Il a déclaré qu’il avait entendu MM. Ayles et Gallicano en parler. Il a précisé que ces départs hâtifs de M. Ayles n’étaient pas gardés secrets et a confirmé que l’horloge de pointage se trouvait dans la salle à manger et que les deux répartiteurs pouvaient la voir à partir du bureau. Il a également déclaré que lorsqu’il n’y avait pas beaucoup de travail, il demandait lui aussi à M. Gallicano s’il pouvait partir avant l’heure prévue, et que soit celui-ci l’y autorisait, soit il lui demandait de rester encore une demi‑heure.

[58] M. Deol a affirmé qu’il n’était pas au fait qu’un ou des employés ne complétaient pas leurs quarts de travail de huit heures. Il a déclaré qu’en tant que superviseur, il arrivait rarement d’avance, si cela s’était déjà produit. Il a confirmé que M. Ayles était initialement affecté au quart de travail de l’après-midi et était ensuite passé au quart de travail du matin. Il a témoigné qu’il ne savait pas pourquoi M. Ayles avait demandé que son horaire de travail soit modifié, et il ignorait que celui-ci avait un second emploi. Ce n’est qu’au cours de la dernière semaine de janvier 2017 qu’il a appris que M. Ayles quittait le travail avant l’heure prévue. Il en avait alors avisé Mme Huebsch. M. Deol a indiqué que rien n’avait été consigné par écrit, mais que les superviseurs n’avaient pas le droit d’autoriser un départ prématuré; seuls les gestionnaires pouvaient accorder une telle autorisation. Toutefois, il a également reconnu que, s’il existait une consigne officielle à cet égard, il en ignorait l’existence. Il n’avait pas dit à M. Gallicano qu’il n’avait pas le droit d’autoriser les employés à quitter le travail avant l’heure normale, car il n’était pas au courant d’une telle consigne à l’époque.

[59] Mme Huebsch a déclaré que Mme Walters l’avait avisée que M. Ayles quittait le travail avant l’heure prévue en décembre 2016. Elle a indiqué que la pratique habituelle, pour quiconque souhaitait quitter le travail avant l’heure normale, était de le dire à un gestionnaire ou à un superviseur. Elle avait appris que M. Ayles avait un second emploi quelque part en janvier 2017, mais elle ne se souvenait pas exactement à quel moment. Elle a confirmé que les employés n’avaient pas le droit de travailler pour un compétiteur, comme le précise le manuel de l’employé.

[60] Au début de décembre 2016, M. Ayles est allé voir Mme Walters pour discuter d’un problème relatif à sa paye, et il a demandé un relevé de paye détaillé, avec ventilation des heures de travail effectuées chaque jour. Il croyait que les heures payées ne correspondaient pas aux heures travaillées. Elle a expliqué que l’horloge de pointage fonctionnait à partir d’une numérisation des empreintes digitales, que l’information était envoyée dans un nuage informatique, et que l’employeur pouvait ensuite aller y récupérer l’information relative aux heures de travail d’un employé, selon les besoins.

[61] Après l’avoir reçue, Mme Walters a fait suivre la demande de renseignements de M. Ayles à Mme Huebsch. Cette dernière a déclaré que c’était la première fois qu’elle était informée de toute préoccupation que M. Ayles pouvait avoir. Mme Huebsch a expliqué que M. Ayles soutenait qu’il lui manquait 20 heures sur sa première paye, et une partie des heures travaillées sur la deuxième. Elle a avisé Mme Walters que l’entreprise n’avait pas de formulaires pouvant être communiqués aux employés. Finalement, la réponse que Mme Walters a reçue était que toutes les heures de M. Ayles avaient été payées.

[62] Mme Walters était dans le bureau avec M. Ayles lorsqu’elle lui a communiqué cette information. Elle a affirmé qu’il s’était visiblement fâché et avait proféré des jurons à voix forte. M. Ayles a juré deux ou trois fois et a expliqué qu’il n’était pas en colère contre elle, mais contre l’employeur. M. Ayles a confirmé qu’il était en colère. Il a indiqué qu’il était frustré et avait seulement donné libre cours à ses émotions, par excès de frustration. Mme Walters avait alors demandé à M. Ayles de lui fournir les relevés des heures de travail qu’il croyait avoir faites pour qu’elle les fasse suivre à Mme Huebsch, ce qu’elle a fait le ou vers le 12 janvier 2017. La réponse a encore été que toutes les heures consignées par l’horloge de pointage avaient été payées à M. Ayles. Mme Walters a reconnu que M. Ayles avait demandé qu’une copie imprimée de ses heures de travail lui soit remise, mais elle ne se rappelait pas avoir reçu un tel document de Mme Huebsch. M. Ayles a témoigné qu’il n’avait jamais reçu de document étayant la conclusion de l’employeur.

[63] Mme Walters a témoigné que, lorsqu’elle a informé M. Ayles des résultats de cette seconde vérification, il était avec elle à son poste de travail, s’est fâché, et s’est mis à proférer des jurons encore plus fort que la fois précédente. Selon elle, ce comportement n’était pas acceptable au travail, et elle en a informé Mme Huebsch, qui lui a dit qu’elle ferait un suivi auprès de M. Ayles. Mme Huebsch a indiqué que ce n’est qu’après le problème lié à la paye qu’elle a appris que le dossier de M. Ayles faisait état d’une réprimande verbale antérieure, pour un accident de chariot élévateur.

[64] Mme Huebsch a déclaré qu’elle avait eu l’occasion de parler à M. Ayles en janvier 2017, lorsqu’elle avait téléphoné à l’entrepôt. Elle avait téléphoné deux fois, car il avait quitté le travail pour le reste de la journée la première fois qu’elle avait tenté de le joindre. Elle a déclaré qu’elle lui avait donné une réprimande verbale pour sa conduite dans le bureau et pour avoir quitté le travail hâtivement. Elle lui avait aussi dit de ne plus commettre d’inconduite, car son emploi pour CSA prendrait fin en cas de récidive.

[65] M. Ayles a nié que Mme Huebsch ait discuté de cette question avec lui. Il a déclaré qu’il venait d’entrer dans le bureau de Mme Walters pour discuter avec celle‑ci et qu’elle lui avait alors tendu le téléphone pour qu’il parle avec Mme Huebsch. Selon son témoignage, Mme Huebsch avait engagé la conversation en lui disant : « Ne jurez pas » (traduction), et elle lui avait ensuite dit qu’elle lui donnerait plus de détails la prochaine fois qu’elle serait à Vancouver. M. Ayles a contesté qu’elle lui ait dit que sa conduite au bureau était inacceptable et qu’elle lui ait également parlé de ses départs prématurés. Mme Walters n’était pas au courant de la teneur de la discussion entre Mme Huebsch et M. Ayles. Elle a également mentionné que M. Ayles n’avait plus communiqué avec elle après sa discussion avec Mme Huebsch.

[66] Mme Huebsch était à Vancouver pendant la semaine du 16 janvier 2017. Elle est ensuite retournée à Toronto, puis est partie en vacances, et elle a repris le travail le mardi 31 janvier. Selon son témoignage, pendant qu’elle était à l’entrepôt de Surrey, elle avait voulu parler à M. Ayles avant la fin du quart de travail de celui-ci, mais M. Ayles était déjà parti pour le reste de la journée. Elle l’a finalement rencontré à Vancouver et a déclaré que des mesures disciplinaires ont été prises contre lui une seconde fois en raison de sa conduite au terminal et de ses départs prématurés. À son retour de vacances, elle a téléphoné à l’entrepôt et a été informée que M. Ayles continuait de quitter le travail avant l’heure prévue.

[67] M. Ayles a affirmé que ni Mme Huebsch ni aucun autre membre de la direction ne lui avait parlé auparavant du fait qu’il quittait le travail hâtivement et qu’il n’avait reçu aucune plainte concernant son rendement.

[68] M. Deol avait aussi parlé à Mme Huebsch du fait que M. Ayles quittait le travail avant l’heure prévue. Mme Huebsch lui avait dit d’en parler à M. Ayles. M. Deol n’était pas certain du moment où il avait tenté de parler à M. Ayles, car il ne prenait pas de notes, mais il a convenu que c’était peut-être le 27 décembre 2016. Il a affirmé que M. Ayles avait déjà quitté le travail à ce moment-là.

[69] Mme Huebsch a dit à M. Deol de congédier M. Ayles le ou vers le 3 février 2017. Toutefois, elle ne se rappelait pas si elle avait donné des instructions à M. Deol quant aux motifs du congédiement. Elle a déclaré qu’elle ne voulait plus que M. Ayles soit à l’entrepôt parce qu’il mettait les autres personnes mal à l’aise. Mme Huebsch a déclaré qu’elle n’était pas au courant de la campagne de syndicalisation à cette époque et qu’elle a été informée plus tard que le syndicat avait présenté une demande, par un message reçu par télécopieur. Elle a également affirmé qu’elle n’avait consulté personne au sujet du congédiement.

[70] Mme Huebsch a témoigné que si M. Ayles avait indiqué n’avoir reçu aucune réprimande, ce serait faux. Il n’y a aucune preuve écrite parce qu’elle était au volant au moment où l’entretien téléphonique a eu lieu. Elle a affirmé qu’elle lui avait parlé pendant qu’elle était à Vancouver et a confirmé que c’est à ce moment qu’elle avait décidé de le congédier.

[71] M. Deol s’est présenté au travail de bonne heure le 3 février 2017 pour parler avec M. Ayles. M. Ayles a affirmé qu’il avait vu le propriétaire, M. Fallick, entrer dans l’édifice. Il a déclaré qu’il l’avait vu entrer à d’autres occasions. Il a dit qu’il avait vu M. Deol ce jour-là entre 11 h et midi et qu’il s’en souvenait parce que M. Deol ne s’était jamais présenté au travail aussi tôt auparavant.

[72] M. Deol a dit qu’il n’avait pas parlé à M. Ayles avant le 3 février 2017, car, chaque fois qu’il avait tenté de le faire, M. Ayles avait déjà quitté le travail. M. Ayles a été congédié ce jour-là. M. Deol a déclaré qu’il ne savait pas à quel moment avait été prise la décision de congédier M. Ayles; on lui avait seulement dit de le congédier, ce qu’il avait fait. Il a déclaré ne jamais avoir tenté de communiquer avec M. Gallicano pour discuter de la situation, et il n’était au courant aucune mesure disciplinaire qui pouvait figurer au dossier de M. Ayles. Il a également confirmé qu’il n’avait alors pas accès aux feuilles de temps de M. Ayles. Il a déclaré ne rien avoir consigné par écrit au sujet du congédiement et n’avait vu aucune approbation écrite du premier dirigeant, contrairement aux exigences prescrites dans le manuel de l’employé

[73] M. Deol a témoigné qu’il avait parlé avec M. Ayles et lui avait dit qu’il était congédié parce qu’il n’y avait pas assez de travail. Il a déclaré avoir pris ce parti parce qu’il voulait éviter un esclandre. Il a ensuite escorté M. Ayles jusqu’à la sortie de l’édifice. M. Deol a indiqué qu’il y avait en fait suffisamment de travail. M. Ayles a confirmé que M. Deol était venu le voir et lui avait dit que les affaires tournaient au ralenti et que CSA n’avait plus besoin de ses services. M. Deol lui avait alors dit de s’en aller et de pointer pour indiquer l’heure de son départ, ce qu’il avait fait.

[74] M. Deol a nié s’être présenté à l’entrepôt plus tôt que d’habitude ce jour-là parce qu’il avait entendu parler du syndicat et du rôle de M. Ayles. Il a également nié que le congédiement ait été lié aux activités du syndicat et qu’on lui ait dit de trouver une raison.

[75] M. Deol a confirmé qu’aucun motif de congédiement n’avait été mis par écrit et que M. Ayles n’avait jamais reçu de lettre de congédiement ni de relevé d’emploi.

2. Congédiement de M. Ali

[76] M. Ali a commencé à travailler pour CSA le 13 février 2013. Au cours de la période en cause, il exerçait, entre autres, les fonctions de chef d’équipe pendant le quart de travail du dimanche. Il était responsable de diverses tâches administratives et liées à la sécurité et à la direction des employés. Par exemple, il était chargé de l’ouverture de l’entrepôt le matin ainsi que des formalités administratives à remplir.

[77] M. Ali a déclaré avoir reçu trois augmentations salariales pendant qu’il travaillait pour CSA. Il a dit qu’il avait obtenu sa dernière augmentation à la suite d’une discussion avec son gestionnaire au cours de laquelle il avait dit à ce dernier que si une augmentation ne lui était pas accordée, il ne reviendrait pas après son voyage de noces. M. Ali a déclaré qu’il avait discuté avec Mme Huebsch du fait qu’il voulait obtenir une promotion et une augmentation.

[78] Mme Huebsch a déclaré qu’elle n’était pas au courant que M. Ali avait obtenu plusieurs augmentations ni qu’il avait présenté sa candidature pour un poste de direction. Elle ne se rappelait pas l’avoir rencontré pour en discuter. Elle savait par ailleurs qu’il avait été marié, mais a nié qu’il lui ait dit qu’il devrait quitter CSA s’il n’obtenait pas une augmentation.

[79] Mme Huebsch a affirmé que M. Ali avait un problème d’attitude, qu’il aimait n’en faire qu’à sa tête et que, selon lui, il aurait dû être gestionnaire. Elle a affirmé lui en avoir parlé. Il n’y avait pas d’enjeu relatif à sa paye, puisqu’il avait reçu deux augmentations. Elle a soutenu ne pas lui avoir remis d’avertissement écrit, bien qu’elle lui eût parlé de son attitude au fil des ans; il était un bon manutentionnaire, et un avertissement verbal était suffisant. M. Ali a affirmé avoir parlé avec Mme Huebsch de temps en temps et qu’ils n’avaient jamais discuté de son leadership ni du fait qu’il avait un problème d’attitude. Il se rappelait lui avoir demandé qu’un plus grand nombre de travailleurs soient affectés au quart de travail du dimanche.

[80] Il était prévu que M. Ali travaille le dimanche 5 février 2017. M. Deol a témoigné qu’il avait reçu un appel de M. Ali, qui lui avait dit qu’il était dans l’impossibilité de se rendre au travail en raison de la grande quantité de neige qui était tombée. M. Ali a initialement déclaré qu’il avait tenté de téléphoner à Mme Walters, mais qu’elle n’avait pas répondu. Il avait dit à M. Deol qu’il n’avait pas de pelle et était incapable de dégager sa voiture de la neige. Il avait ajouté qu’il tenterait de se rendre au travail, dans un délai de 30 minutes si tout se passait bien. Toutefois, il ne s’est pas présenté au travail ce jour-là.

[81] M. Deol a déclaré que tous les autres employés s’étaient présentés, certains ayant fait un déplacement de 35 à 45 km. Il a déclaré qu’il avait dû téléphoner à Mme Walters pour obtenir le numéro de la compagnie de sécurité et qu’il avait réussi à la joindre du premier coup. L’absence de M. Ali impliquait des retards pour l’ouverture de l’entrepôt et la préparation des documents administratifs, et sept ou huit employés dépendaient de lui. M. Ali a confirmé que le bureau est fermé le dimanche et qu’il n’y avait ni gestionnaire ni superviseur au bureau. Il a reconnu que des gardes de sécurité et d’autres employés devaient se trouver dans l’entrepôt et que c’est lui qui remplissait les documents administratifs le dimanche.

[82] M. Ali a témoigné qu’il y avait eu d’abondantes chutes de neige le 5 février 2017. Lorsqu’il s’était rendu à sa voiture, il y avait de la glace sous ses roues; il avait donc demandé à son frère de le pousser, mais la voiture était tout de même restée coincée. Il a affirmé avoir appelé M. Deol et l’avoir avisé qu’il était dans l’impossibilité de se présenter au travail. Il a nié avoir dit à M. Deol qu’il tenterait de se rendre au travail dans un délai d’une demi-heure. Il a concédé, en contre-interrogatoire, qu’il n’était pas certain d’avoir téléphoné à Mme Walters en premier lieu. Quoi qu’il en soit, il a déclaré qu’il avait été autorisé par M. Deol à téléphoner à M. Bunse, car on lui avait demandé de trouver un remplaçant et de donner le code d’accès à cette personne, ce qu’il avait fait. La preuve documentaire démontre que M. Ali a également envoyé un message texte à M. Gallicano ce matin-là pour l’informer de son absence, et qu’il précisait dans ce message que sa voiture était coincée.

[83] M. Bunse a témoigné qu’il était arrivé au travail à 7 h 30 le 5 février 2017. Un garde de sécurité l’avait laissé entrer, il s’était rendu au bureau, et il y avait attendu M. Ali puisque c’est lui qui devait ouvrir l’entrepôt. Selon son témoignage, à ou vers 8 h 15, il a téléphoné à M. Ali pour vérifier s’il réussirait à se rendre au travail. M. Ali avait répondu par la négative et donné à M. Bunse le code pour désactiver le système d’alarme de l’entrepôt. Il avait dit qu’il tenterait de s’extirper de sa rue, mais avait rappelé une heure plus tard pour dire qu’il n’y parviendrait pas.

[84] M. Bunse a déclaré avoir reçu de la formation de M. Andrew Deveau, qui était superviseur avant M. Deol, ainsi que de Mme Walters. Mme Walters avait donné des explications sur les liaisons transfrontalières ainsi que sur la question de savoir si les marchandises avaient été dédouanées ou s’il s’agissait de marchandises en douane. M. Bunse a expliqué que cela était arrivé parce qu’un après-midi, M. Deveau avait remarqué qu’il avait terminé son travail et lui avait demandé s’il aimerait recevoir une formation sur le système.

[85] M. Bunse a expliqué que M. Ali savait qu’il avait reçu de la formation sur l’utilisation de l’ordinateur et qu’il lui avait demandé de le remplacer. M. Ali lui avait dit de lui téléphoner s’il avait des questions ou des préoccupations. M. Bunse a témoigné qu’il avait téléphoné à M. Ali quatre ou cinq fois, qu’il était parvenu à le joindre chaque fois et que M. Ali avait répondu à ses questions.

[86] M. Ali a confirmé que les formalités administratives ont été remplies ce jour-là et qu’il savait que M. Bunse était capable de s’en charger parce qu’il savait que M. Bunse recevait de la formation. Il avait dit à M. Bunse qu’il serait possible de le joindre toute la journée et ils s’étaient parlé quatre ou cinq fois ce jour-là. Ils avaient discuté de la façon de faire certaines choses avec l’ordinateur et de ce qui se passait pendant la journée, et il avait donné à M. Bunse le code frontières, à la demande de ce dernier.

[87] M. Ali a également été absent du travail le 6 février. M. Deol a témoigné que M. Ali ne s’était pas présenté et que, lorsque des explications lui avaient été demandées, il avait répondu qu’il n’avait pas de pelle.

[88] M. Ali a déclaré qu’il avait téléphoné à M. Deol, à Mme Walters et à M. Gallicano le 6 février 2017, mais que personne n’avait répondu et qu’il avait donc envoyé un message texte à M. Gallicano pour l’aviser que sa voiture était toujours coincée et qu’il était toujours dans l’impossibilité de se rendre au travail à cause de la neige. Il a affirmé que personne ne l’a rappelé. M. Ali a reconnu qu’il connaissait M. Gallicano et il a dit que celui-ci était le superviseur du matin au cours de la période précédant l’audience.

[89] M. Ali a reconnu qu’il n’a rien fait d’autre pour tenter de se rendre au travail, car il n’y avait pas d’autre façon pour lui de s’y rendre. Il savait que tous les autres employés s’étaient présentés au travail le 5 février 2017 mais n’en était pas sûr pour le jour suivant.

[90] M. Deol a confirmé que M. Ali avait bel et bien communiqué avec lui le matin du 5 février 2017 et lui avait dit qu’il avait communiqué avec son superviseur, M. Gallicano, pour l’aviser que sa voiture était coincée dans la neige et qu’il serait incapable de se rendre au travail. Les messages texte échangés avec M. Gallicano confirment que M. Ali s’est absenté le 6 février 2017 pour la même raison, à savoir que sa voiture était toujours coincée.

[91] M. Hennessy a témoigné que, comme les autres habitants du sud-ouest de la Colombie‑Britannique, il savait qu’il y avait eu des conditions météorologiques extrêmes et des tempêtes de neige dans cette région les 5 et 6 février 2017 et aux alentours de ces dates, et que, de façon générale, les administrations municipales manquaient de préparation pour assurer l’entretien des routes dans de telles conditions. Les bulletins de circulation diffusés autour de cette période pressaient les conducteurs d’éviter de prendre le volant dans la mesure du possible.

[92] M. Deol a témoigné qu’il avait communiqué avec Mme Huebsch et l’avait informée de l’absence de M. Ali. Elle lui avait répondu que c’était inacceptable et lui avait demandé de le congédier. M. Deol a affirmé avoir congédié M. Ali sans fournir de motif de congédiement.

[93] M. Deol a indiqué qu’il n’était au courant d’aucune mesure disciplinaire prise contre M. Ali à l’exception de ce qui figurait à son dossier, à savoir une réprimande verbale pour un incident survenu en 2014. Il a également mentionné qu’il avait déjà parlé à M. Ali du fait que celui-ci regardait des vidéos dans la salle à manger en dehors des périodes de pause, mais qu’il n’avait pas consigné officiellement cet incident et n’avait pas pris de notes à ce sujet.

[94] Mme Huebsch a expliqué que, selon la procédure en place à CSA, un employé doit communiquer avec un gestionnaire ou un superviseur s’il est dans l’impossibilité de se rendre au travail. Elle ne nie pas que M. Ali a communiqué avec M. Gallicano le lundi, mais elle a affirmé qu’elle ne considérerait pas ce dernier comme un superviseur, bien qu’il porte ce titre. M. Deol a confirmé que, selon les règles de l’employeur en matière d’assiduité, un employé qui ne se présentait pas au travail était tenu de joindre par téléphone son superviseur immédiat ou le gestionnaire du terminal chaque jour où il serait absent.

[95] Mme Huebsch a soutenu que l’absence de M. Ali a occasionné un retard dans les opérations, puisque les documents administratifs ont été imprimés tardivement. Elle avait parlé à M. Deol et lui avait dit que M. Ali devait être congédié. Elle a confirmé qu’elle savait qu’un avertissement verbal avait été donné à M. Ali en 2014 parce que son travail ne satisfaisait pas aux normes. Elle a affirmé qu’elle n’était pas au courant de la participation de M. Ali à la campagne de syndicalisation et n’a pas fait de lien entre la conduite de M. Ali et le syndicat.

[96] Mme Huebsch s’est rappelé avoir discuté avec M. Ali du fait qu’il n’avait pas exécuté du travail qui lui avait été assigné. Elle a indiqué qu’on l’avait informée de l’inexécution de ce travail, mais elle ne se rappelait pas si on lui avait dit quel était le problème. Elle a indiqué qu’elle avait entendu ce que M. Deol avait affirmé dans son témoignage au sujet de M. Ali qui regardait des jeux vidéo, mais elle a déclaré qu’elle ne savait pas si des mesures disciplinaires avaient été prises.

[97] M. Ali a nié avoir jamais refusé de travailler et être plutôt resté assis dans la salle à manger. Il a reconnu avoir reçu un avertissement verbal en raison d’un chargement auquel il manquait un traîneau de manutention, mais il a affirmé qu’aucune autre mesure disciplinaire n’avait été prise contre lui. Selon son témoignage, on ne lui avait jamais donné de mises en garde concernant des problèmes d’assiduité et il ne s’était jamais fait signaler de problèmes de cette nature avant la semaine où il a été congédié. Il a affirmé que M. Deol ne lui avait jamais parlé de son rendement et que Mme Huebsch n’avait formulé aucune critique quant à la façon dont il s’acquittait de ses tâches le dimanche.

[98] M. Deol a déclaré qu’il ne savait pas que M. Ali avait refusé d’exécuter du travail ce mois-là. Il a nié avoir dit à M. Ali qu’il était un bon employé.

[99] M. Ali a affirmé que, lorsqu’il est retourné au travail le 7 février 2017 pour son quart de travail régulier, M. Deol lui a dit qu’il n’aurait pas dû manquer deux jours de travail, car il était un employé important pour l’employeur. Il a témoigné que, le jour suivant, il a été convoqué au bureau par M. Deol, qui lui a dit qu’il était congédié pour avoir manqué deux jours de travail sans avoir téléphoné à un gestionnaire ou à un superviseur. M. Ali a rappelé à M. Deol qu’il était l’une des personnes à qui il avait parlé. Selon le témoignage de M. Ali, M. Deol lui aurait dit que les « haut placés », les « grands patrons » (traductions) lui avaient dit qu’il devait le congédier. D’après M. Ali, l’employeur devait se débarrasser de certaines personnes, et le véritable motif de son congédiement était son engagement auprès du syndicat.

[100] M. Deol a indiqué qu’il avait entendu dire qu’il y avait eu beaucoup de neige et que certaines rues n’avaient pas été déblayées. Il a confirmé n’avoir pris aucune note concernant ses discussions avec M. Ali et Mme Huebsch et ne pas avoir communiqué avec le superviseur de M. Ali. M. Deol a déclaré qu’il était la seconde personne avec qui un employé s’absentant du travail devait communiquer le dimanche, après Mme Walters, et que le lundi, c’était avec M. Gallicano qu’il fallait communiquer.

[101] M. Deol a confirmé que la position de l’employeur était que M. Ali n’avait pas téléphoné pour signaler son absence et que c’était pour cette raison qu’il avait été congédié. Il avait demandé si M. Ali avait appelé le lundi et on lui avait répondu par la négative. Il l’avait dit à M. Ali, qui lui avait répondu : « Harp, tu sais que c’est faux » (traduction). Selon son témoignage, M. Ali l’avait bien prévenu qu’il serait absent le 5 février, mais il ne lui avait pas dit que M. Bunse était capable de faire le travail.

[102] M. Bunse a indiqué qu’il était arrivé à l’établissement une heure d’avance le 8 février et que, lorsqu’il avait quitté la salle à manger, il avait vu M. Deol congédier M. Ali et l’avait entendu dire : « C’est parce que tu n’as pas signalé que tu serais absent le 5 et le 6 » (traduction). Il avait entendu M. Ali répondre : « J’ai envoyé un courriel à Adrian [Gallicano] et j’ai dit à Garrett [Bunse] que je serais absent » (traduction).

3. Congédiement de M. Bunse

[103] M. Bunse a commencé à travailler à l’entrepôt de Surrey en mai 2016. Il a été congédié dès le début de son quart de travail le 9 février 2017. Selon M. Bunse, le gestionnaire de l’exploitation, M. Huber, lui avait dit qu’il avait reçu un appel du siège social à Toronto et que l’entreprise n’avait plus besoin de ses services. Lorsqu’il avait demandé des explications, M. Huber lui avait répondu qu’on ne lui en avait donné aucune.

[104] Le 5 février 2017, M. Bunse est arrivé au travail à 7 h 30. Il a déclaré qu’il avait remplacé M. Ali comme chef d’équipe ce jour-là. Quant à lui, M. Deol a affirmé que M. Bunse était au travail en sa qualité d’employé régulier qui connaissait très peu le fonctionnement du système.

[105] M. Goss a témoigné qu’il avait vu M. Ayles traverser l’entrepôt seul le 5 février 2017. Il a déclaré que M. Ayles était venu à sa rencontre, s’était présenté, et lui avait dit qu’il avait été remercié mais qu’il récupérerait son emploi. M. Ayles avait parlé du syndicat et demandé à M. Goss de signer une carte d’adhésion, ce que M. Goss avait refusé de faire. M. Goss a raconté que M. Ayles s’était dirigé vers le bureau, y était entré et y était resté une vingtaine ou une trentaine de minutes. Il a déclaré que la première fois qu’il est sorti fumer, il avait vu M. Ayles parler à M. Bunse dans le parc de stationnement et qu’il avait été présenté à M. Ayles et à son épouse. Il a également affirmé qu’ils étaient toujours là lorsqu’il est rentré dans l’édifice 15 ou 20 minutes plus tard. M. Goss a affirmé que lorsqu’il est ressorti, une demi-heure plus tard, ils étaient toujours là. M. Bunse a déclaré qu’il n’avait pas vu M. Goss à ce moment et que celui-ci n’avait pas été présenté à M. Ayles.

[106] M. Bunse a déclaré qu’il était dans le bureau, entre la salle à manger et la salle des chauffeurs, et qu’il était en train de travailler sur l’ordinateur lorsque M. Ayles est entré. Il a affirmé qu’il ignorait depuis combien de temps M. Ayles pouvait se trouver dans l’entrepôt. Il a déclaré qu’il était possible d’entrer en passant par la grille de la barrière, car elle était brisée. Selon lui, c’était probablement de cette façon que M. Ayles avait pu entrer dans l’entrepôt. M. Ali a également confirmé qu’il était possible d’entrer dans l’entrepôt puis de se rendre au bureau en passant par la barrière située à l’arrière puis par la porte des chauffeurs qui, a-t-il déclaré, est ouverte tous les jours. M. Bunse avait demandé à M. Ayles comment il était entré dans l’édifice. M. Bunse a indiqué qu’il savait que la barrière de la porte extérieure menant au bureau et à l’entrepôt était brisée. Il a nié avoir laissé M. Ayles entrer dans l’édifice.

[107] Selon le témoignage de M. Bunse, M. Ayles avait dit qu’il était venu récupérer quelques effets personnels qu’il avait oubliés dans son casier. Il n’a pas escorté M. Ayles jusqu’à son casier, car il était capable de voir dans la pièce à travers une fenêtre. Il a déclaré avoir vu M. Ayles prendre son étui à cigarettes et un gilet de haute visibilité dans son casier. M. Ayles est retourné au bureau pour une dizaine de minutes, puis M. Bunse l’a raccompagné à son véhicule. Il a expliqué qu’il n’escortait pas, normalement, une personne qui sortait de l’édifice, mais qu’il avait escorté M. Ayles jusqu’à son camion parce que celui-ci avait été remercié par CSA et que, puisque l’entrepôt était un entrepôt de stockage sécurisé, il avait voulu s’assurer que M. Ayles ne s’approcherait pas des marchandises. Il a confirmé qu’ils sont sortis par la porte des chauffeurs et qu’il a observé M. Ayles pendant que celui-ci quittait la cour.

[108] M. Bunse a indiqué qu’il n’est pas monté dans le véhicule mais a discuté avec l’épouse de M. Ayles, qui était là avec leur fils de deux ans et demi. Il a aussi indiqué qu’il a vu M. Goss pendant qu’ils étaient près du camion de M. Ayles. Il est resté là et a discuté avec M. Ayles pendant environ cinq minutes, puis est retourné à ses tâches dans l’entrepôt. Il a nié que sa discussion avec M. Ayles ait concerné le syndicat. L’essentiel de la discussion avait porté sur la vie familiale, le travail et la façon dont allaient les choses. M. Bunse a indiqué qu’il ne savait pas à ce moment-là que M. Ayles n’avait aucune raison d’être dans l’entrepôt. Il ne savait pas si M. Ayles avait parlé à qui que ce soit d’autre pendant qu’il s’y trouvait.

[109] M. Bunse a affirmé qu’il avait été avec M. Ayles pendant 15 ou 20 minutes au total, à partir du moment où M. Ayles était entré dans l’entrepôt et jusqu’à ce qu’il ait quitté le secteur. Il a nié s’être trouvé avec M. Ayles pendant toute la période entre les deux moments où M. Goss était sorti.

[110] M. Bunse a déclaré avoir communiqué avec Mme Walters parce qu’il voulait l’aviser que M. Ayles était venu ramasser ses choses, car il estimait que la direction devait en être avisée.

[111] M. Ayles a témoigné qu’après son congédiement, il s’était rendu compte qu’il avait oublié de ramasser certaines choses, que son épouse l’avait conduit au parc de stationnement arrière de CSA, et qu’il était entré dans l’édifice à partir de là, par la porte des chauffeurs. Il y a une barrière qui était tordue depuis qu’il travaillait à cet endroit et il était impossible de verrouiller la porte. Il s’était rendu à la salle à manger et avait ramassé sa gourde et son gilet de haute visibilité.

[112] Lorsqu’il était sorti de la salle à manger, il avait aperçu M. Bunse à l’extérieur du bureau et s’était approché pour lui parler. Il ne se rappelait rien de particulier au sujet de cette conversation. Selon lui, M. Bunse était sorti fumer. Ils sont retournés à son camion en passant par le bureau, ont discuté quelques minutes, puis il est monté dans son camion et a quitté les lieux. M. Ayles a dit qu’il avait parlé à un autre employé, Riyaz Khan, mais il ne se rappelait pas avoir discuté avec M. Goss.

[113] M. Deol a témoigné qu’un conducteur de manœuvre lui avait dit que M. Ayles s’était trouvé dans l’entrepôt ce jour-là et qu’il avait été vu assis au poste de répartition. Selon M. Deol, M. Bunse avait confirmé le 6 février 2017 que M. Ayles avait été dans l’établissement pendant environ une demi-heure et était resté à l’extérieur, sur le chemin, pendant une trentaine de minutes également. M. Bunse lui avait dit que c’était lui qui avait laissé M. Ayles entrer dans l’édifice.

[114] M. Deol a déclaré que M. Bunse avait expliqué que M. Ayles était revenu à l’entrepôt pour récupérer des effets personnels qu’il avait laissés dans son casier. M. Deol a dit que, ce jour-là, il y avait eu un problème avec le pavé de touches. Il s’était bloqué parce qu’un code avait été saisi à répétition. Selon son témoignage, lorsqu’un employé est congédié, le code du pavé de touches est changé. Il a indiqué que cette situation ne s’était jamais produite avant et ne s’est jamais reproduite depuis.

[115] Au sujet de certaines caractéristiques physiques de l’édifice et des mesures de sécurité qui assurent sa protection, Mme Huebsch a témoigné que l’édifice comporte une entrée où se trouve le pavé de touches. Cette entrée est ouverte lorsqu’un camion arrive, et c’est par cette porte qu’entre le chauffeur. Elle a reconnu qu’une clôture se rend jusqu’à cette porte et que cette clôture a une porte qui donne accès à l’entrepôt.

[116] Elle a affirmé qu’à sa connaissance, les portes n’étaient pas toujours verrouillées. Elle a également indiqué qu’il y avait deux portes verrouillées, mais a contesté que des gens puissent entrer dans l’entrepôt. Elle a déclaré qu’elle ne les avait jamais vues ouvertes.

[117] Le 8 février, M. Deol a remis un avertissement écrit à M. Bunse pour avoir laissé M. Ayles entrer dans l’édifice. M. Bunse a indiqué qu’à sa connaissance, c’était la première fois qu’un avertissement lui était remis.

[118] M. Deol a nié avoir dit à M. Bunse que, dans son esprit, la remise de l’avertissement écrit concluait l’incident. Il a contesté que M. Bunse lui ait dit à ce moment qu’il n’avait pas laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt. Il a également nié avoir dit à M. Bunse qu’il deviendrait le superviseur pour les quarts du dimanche. M. Deol a déclaré qu’il croyait que ce serait lui ou M. Gallicano qui exercerait cette fonction.

[119] M. Bunse a témoigné que M. Deol lui avait dit que c’était lui, M. Bunse, qui avait laissé M. Ayles entrer dans l’édifice, qu’il ne devait plus le faire, et qu’il aurait dû téléphoner à M. Deol ou à un autre gestionnaire à ce moment. M. Bunse a attesté qu’il n’avait pas laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt. Il a déclaré que M. Deol lui avait demandé pendant combien de temps M. Ayles s’était trouvé dans l’entrepôt, et qu’il lui avait répondu qu’il avait été dans l’édifice de 15 à 20 minutes, puis était sorti fumer une cigarette. M. Bunse a affirmé que, lorsqu’il avait parlé à M. Deol, il lui avait dit immédiatement ce que M. Ayles était venu faire. Il a nié avoir dit à M. Deol que M. Ayles avait été dans l’entrepôt pendant une longue période ou avoir affirmé que M. Ayles n’avait jamais été dans l’entrepôt.

[120] M. Bunse a indiqué que M. Deol lui avait alors remis l’avertissement écrit et lui avait dit que, si une personne ne travaillant pas pour CSA tentait d’entrer dans l’édifice, il devait téléphoner à un des gestionnaires. Il a affirmé que M. Deol avait le document sur lui et qu’il le lui avait remis sans y apporter de modification après qu’il eut nié avoir autorisé M. Ayles à entrer dans l’édifice. Il a déclaré avoir accepté le document.

[121] M. Bunse a témoigné qu’au même moment, M. Deol lui a dit qu’il, M. Bunse, dirigerait le quart de travail du dimanche, et qu’il avait hâte au prochain quart du dimanche.

[122] M. Deol a nié avoir dit à M. Bunse qu’il exercerait les fonctions de superviseur le dimanche et a contesté que, dans son esprit, l’avertissement écrit mettait un terme à l’incident. Lorsqu’il a été dit à M. Bunse qu’il aurait été improbable qu’il ait fait l’objet d’une mesure disciplinaire et qu’il ait reçu une promotion au même moment, il a soutenu qu’il croyait avoir obtenu le poste.

[123] Par la suite, M. Deol a numérisé l’avertissement écrit pour le consigner dans le système et il l’a transmis à Mme Huebsch. Le lendemain, Mme Huebsch lui a téléphoné et lui a dit que, puisque l’entrepôt était un entrepôt de stockage, M. Bunse devait être congédié.

[124] M. Deol a confirmé avoir congédié M. Bunse le 9 février, entre 13 h 30 et 14 h, au début de son quart de travail. Il lui a dit que le motif du congédiement était qu’il avait laissé entrer dans l’édifice M. Ayles, qui n’était pas un employé de CSA, et qu’il avait discuté avec lui pendant plus d’une demi-heure. Il a également confirmé que M. Huber était avec lui à ce moment et que c’était peut-être ce dernier qui avait congédié M. Bunse.

[125] M. Bunse a déclaré qu’aucun motif de congédiement ne lui avait été fourni et que c’est M. Huber qui l’avait informé qu’il était congédié. M. Deol l’avait escorté jusqu’à son casier pour qu’il y récupère ses effets personnels, puis il avait été escorté jusqu’à l’extérieur de l’édifice.

[126] M. Deol ne se rappelait pas avoir entendu M. Huber dire à M. Bunse qu’il venait d’avoir un entretien téléphonique avec le bureau de Toronto et qu’on ne lui avait mentionné aucun motif de congédiement.

[127] Mme Huebsch a contesté que M. Bunse ait été congédié à cause du syndicat, étant donné qu’elle n’était pas au courant des démarches faites par le syndicat à ce moment. Elle a affirmé que la décision avait été prise par M. Deol à la suite d’une discussion avec elle.

[128] Selon son témoignage, M. Deol avait eu l’occasion de parler avec M. Bunse à deux reprises de son travail, et il l’avait renvoyé chez lui une fois avant la fin du quart de travail en décembre 2016. Mme Huebsch a expliqué qu’elle ne connaissait pas M. Bunse et n’était pas au courant de son existence jusqu’à ce que M. Deol lui fasse savoir qu’il n’était pas sûr de vouloir le garder, car il ne travaillait pas bien et avait été renvoyé chez lui à deux reprises pour avoir refusé de travailler.

[129] M. Bunse a nié que des mesures disciplinaires aient été prises contre lui auparavant.

IV. Observations finales des parties

A. L’employeur

[130] L’employeur a fait observer que les pratiques déloyales de travail alléguées dont était saisi le Conseil étaient de deux types : la première, de portée générale, concernait la conduite de l’employeur, et la seconde concernait le congédiement de trois ouvriers d’entrepôt.

[131] L’employeur a affirmé qu’il ignorait que MM. Ayles, Ali et Bunse prenaient part à une campagne de syndicalisation. Plus précisément, c’est Mme Huebsch qui a pris la décision de les congédier, et elle ne savait pas que les employés de l’entrepôt de Surrey faisaient des démarches pour se syndiquer.

[132] L’employeur a soutenu qu’il avait procédé aux congédiements pour des motifs disciplinaires, et non parce que les employés concernés prenaient part à la campagne de syndicalisation.

[133] L’employeur a déclaré que M. Ayles avait été congédié pour avoir quitté le travail trop tôt, sans y avoir été autorisé, pour aller exercer un second emploi, et pour s’être montré irrespectueux à l’endroit de la gestionnaire de bureau.

[134] L’employeur a donné à entendre que M. Ayles n’était pas crédible, puisqu’il n’avait pas révélé qu’il avait un casier judiciaire au moment de son embauche et que ce casier judiciaire n’aurait pas été mis au jour si l’employeur n’avait pas fourni de la documentation à ce sujet. L’employeur a également fait mention du comportement affiché par M. Ayles pendant qu’il présentait son témoignage, ainsi que de son incapacité à contrôler ses émotions, affirmant que son incapacité à conserver son sang‑froid concorde bien avec ses antécédents de violence.

[135] L’employeur a affirmé que M. Ali a été congédié parce qu’il ne s’est pas présenté au travail les 5 et 6 février 2017 et parce qu’il n’en a pas avisé le superviseur concerné et n’a communiqué d’aucune façon avec l’employeur. En outre, en décembre 2016, on avait parlé à M. Ali de la nécessité qu’il exécute le travail qui lui était assigné au lieu de socialiser dans la salle à manger, et il lui avait été dit que s’il ne modifiait pas son attitude, il ferait l’objet d’autres mesures disciplinaires.

[136] En ce qui concerne le témoignage de M. Ali selon lequel il avait téléphoné pour signaler qu’il serait absent, le procureur a mis en question la crédibilité de M. Ali, demandant s’il fallait croire l’affidavit de ce dernier ou celui de M. Hennessy, dans lequel il est affirmé que M. Ali avait d’abord téléphoné et laissé un message vocal à Mme Walters, la gestionnaire de bureau. M. Deol a déclaré qu’il avait reçu un appel de M. Ali à ou vers 7 h 40 et que M. Ali lui aurait alors dit qu’il serait au travail dans une demi-heure, ce que M. Ali a contredit. Le procureur a soulevé la question de savoir si M. Ali avait réellement essayé de se rendre au travail, étant donné qu’il y a eu un autre appel fait à une autre personne à 8 h 13 et rien d’autre par la suite. Le procureur a déclaré que M. Deol avait rapporté que, au cours de la conversation qu’il avait eue avec M. Ali le lundi, celui-ci avait dit qu’il n’avait pas de pelle. Le procureur a également déclaré que M. Ali n’avait pris aucune mesure pour se rendre au travail par un autre moyen le lundi. Le procureur a indiqué que M. Ali avait également nié qu’on lui eût parlé de son rendement au travail.

[137] Le procureur a fait observer que, lorsqu’un élément de preuve lui était favorable, M. Ali se rappelait l’événement, mais que lorsqu’un élément n’allait pas dans son sens, il ne s’en souvenait pas. Le procureur a affirmé que c’était une différence curieuse.

[138] L’employeur a déclaré que M. Bunse avait été congédié après avoir laissé M. Ayles accéder au lieu de travail le 5 février 2017, même s’il savait que M. Ayles avait été congédié. Par ailleurs, M. Bunse avait auparavant été renvoyé chez lui à deux reprises parce qu’il avait refusé d’exécuter le travail qui lui avait été assigné. L’employeur a décidé de le congédier pour ces motifs.

[139] L’employeur a déclaré que CSA est non seulement participant au programme Partenaires en protection (PEP), un programme de coopération entre le secteur privé et l’Agence des services frontaliers du Canada, mais qu’elle est également membre de l’Organisation mondiale des douanes, qui, avec le programme PEP, régit les critères applicables aux entrepôts d’attente dans le monde entier, y compris les exigences pour pouvoir devenir et demeurer membres. CSA doit mettre en application un système qui démontre qu’elle prend activement des mesures pour garantir la sécurité de son établissement.

[140] L’employeur a fait valoir qu’il a, pour cette raison, pris très au sérieux la présence de M. Ayles à l’entrepôt le 5 février. Une personne dans sa situation n’aurait pas dû être autorisée à y entrer.

[141] L’employeur a souligné que, selon le témoignage de M. Goss, M. Bunse était resté longtemps avec M. Ayles. L’employeur a fait valoir qu’il fallait croire M. Goss, parce que son témoignage était désintéressé, contrairement à celui de M. Bunse. L’employeur a ajouté que M. Bunse avait nié que M. Ayles se fût trouvé dans l’entrepôt pendant une longue période et qu’ils eussent discuté du syndicat et de la campagne de syndicalisation, malgré le fait que c’était la première fois qu’il voyait M. Ayles depuis que celui-ci avait été congédié et que M. Bunse avait pris les commandes de la campagne de syndicalisation. L’employeur a demandé pourquoi M. Bunse avait escorté M. Ayles à l’extérieur de l’édifice s’il ne doutait pas que M. Ayles avait le droit de s’y trouver. Le procureur a affirmé que c’était une contradiction fondamentale.

[142] Finalement, en ce qui concerne la réunion à auditoire contraint alléguée, l’employeur a affirmé que seul M. Bunse avait présenté un témoignage à ce sujet. Selon son témoignage, il avait été convoqué individuellement, il n’y avait jamais eu de réunion à auditoire contraint et, à sa connaissance, aucune autre réunion n’avait eu lieu. L’employeur a souligné que M. Goss avait déclaré que la question du syndicat avait été soulevée au cours d’une réunion de routine avec le personnel, des employés ayant posé des questions à ce sujet.

[143] L’employeur a déclaré que M. Bunse s’était exprimé en termes généraux quant au fait que les employés avaient des inquiétudes, et que le syndicat n’avait appelé aucun témoin pour corroborer les allégations à cet égard. L’employeur a déclaré qu’il était important de constater que personne n’avait été appelé pour présenter des éléments de preuve supplémentaires à cet égard, qu’on n’avait nommé personne qui aurait pu confirmer qu’il y avait eu de l’intimidation, et qu’il n’avait été présenté aucun élément de preuve attestant que quiconque n’avait pas signé de carte en conséquence d’une conduite intimidante. L’employeur a ajouté que personne n’avait demandé de révocation et que les employés avaient tous voté dans le cadre d’un scrutin secret. Les éléments de preuve présentés étaient circonstanciels et très loin de corroborer les allégations.

[144] Pour conclure, l’employeur a cité un certain nombre de précédents relatifs à la preuve circonstancielle, à l’accréditation à titre de redressement et aux mesures de redressement.

[145] Fondamentalement, il a soutenu que, s’il est vrai que le Conseil peut accepter une preuve circonstancielle et des renseignements figurant dans un affidavit, les parties n’ont pas, selon ce que l’employeur avance, la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire concernant la véracité de la preuve, s’il n’existe pas de preuve directe concernant un certain point. Ce principe repose sur les règles de justice naturelle et le besoin d’équité. L’employeur avance donc que le pouvoir discrétionnaire du Conseil d’accepter une telle preuve est assujetti à des considérations de justice naturelle.

[146] L’employeur a fait référence aux paragraphes 38 et 44 de la décision A.G. Transport ltée, 2008 CCRI 406, dans lesquels le Conseil s’est exprimé ainsi :

[38] Dans son examen des arguments avancés par l’employeur dans une plainte en vertu du sous-alinéa 94(3)a)(i), le Conseil n’agit pas comme un arbitre pour juger si l’employeur avait une cause juste pour congédier un employé (voir Fiset (1985), 55 di 233; et 85 CLLC 16,041 (CCRT no 473)). Le Conseil prend en considération toutes les circonstances du congédiement sans rechercher une preuve directe de l’existence d’un sentiment  antisyndical : le Conseil peut conclure à l’existence d’un tel sentiment en s’appuyant sur les événements qui sont survenus dans la période entourant le congédiement (Emery Worldwide (1990), 79 di 150 (CCRT no 775)).

...

[44] L’employeur n’a pas appelé de témoins qui auraient eu une connaissance directe des incidents qui, prétend-il, ont motivé sa décision de congédier M. Garcha. Son unique témoin, M. Aheer, a appuyé une grande partie de son témoignage sur ce que d’autres lui avaient rapporté. Il a été incapable ou il a refusé de nommer les personnes qui lui avaient fourni l’information sur laquelle il prétend avoir fondé sa décision de congédier M. Garcha. Le Conseil a certes le droit d’accepter une preuve par ouï-dire, mais il a également le droit de tirer une conclusion défavorable de la décision de l’employeur de ne pas appeler de témoins qui auraient eu une connaissance directe des incidents sur lesquels il a fondé sa décision de congédier M. Garcha.

(c’est nous qui soulignons)

[147] L’employeur a poursuivi en examinant la réintégration comme mesure de redressement et son application au cas particulier de M. Ayles. L’employeur a souligné que l’exploitation était celle d’un entrepôt d’attente, pour lequel une caution d’environ 25 000 $ avait dû être fournie. Le procureur a indiqué que CSA est un participant au programme PEP, qui est un programme de coopération entre le secteur privé et l’Agence des services frontaliers du Canada.

[148] Le programme PEP comporte un profil de sécurité, décrit comme le document fondamental du programme PEP dans lequel les demandeurs ou participants fournissent des renseignements de base et de l’information détaillée sur leurs activités d’exploitation, notamment en ce qui concerne les partenaires dans la chaîne d’approvisionnement, les installations et procédures de manutention des marchandises, les pratiques de sécurité, les contrôles matériels de l’accès, les protocoles relatifs aux scellés, l’infrastructure des technologies de l’information.

[149] On procède tous les quatre ans à une validation des lieux, lors de laquelle on effectue une inspection matérielle des locaux d’un participant ou d’un demandeur dans le but de vérifier les renseignements fournis dans le profil de sécurité.

[150] L’employeur a affirmé qu’une personne déclarée coupable ne peut pas postuler un emploi dans un entrepôt sécurisé et que, lorsque l’employeur est au courant d’une déclaration de culpabilité, il ne contrevient pas à la loi fédérale s’il refuse d’embaucher la personne. L’employeur a déclaré que, selon son casier judiciaire, M. Ayles pouvait représenter un risque pour la sécurité, ce qui pourrait faire perdre à CSA sa licence du PEP.

[151] L’employeur a fait valoir qu’une personne ayant un casier judiciaire pour des infractions sérieuses comme M. Ayles n’est pas le genre de personne qu’il devrait avoir à son service. Le retour de M. Ayles dans l’entrepôt pourrait mettre en péril son statut de participant au programme PEP. Si M. Ayles était réintégré, l’employeur se verrait dans l’obligation de mettre fin à son emploi ou de le placer en congé administratif. Selon l’employeur, le Conseil devrait trouver une autre mesure de redressement que la réintégration, le cas échéant.

[152] En ce qui concerne la demande présentée par le syndicat pour que le Conseil rende une ordonnance d’accréditation en vertu de l’article 99.1 du Code, l’employeur a fait valoir que, dans Transx Ltd., 1999 CCRI LD 44, le Conseil avait conclu à de multiples violations du Code et ordonné qu’un scrutin soit tenu. Entre le moment où l’ordonnance avait été rendue et celui où le scrutin avait été tenu, l’employeur ne s’était pas conformé à l’ordonnance du Conseil et avait continué de contrevenir au Code. Par conséquent, dans une décision subséquente, Transx Ltd., 1999 CCRI 46, le Conseil avait accueilli la demande d’accréditation à titre de redressement. L’employeur a affirmé que les mesures qu’il a prises, en l’espèce, ne ressemblent pas aux violations commises dans les affaires Transx, et que, même si le Conseil concluait à une violation du Code, cette violation ne serait pas de nature à légitimer une accréditation automatique. Le procureur a soutenu que l’accréditation en vertu de l’article 99.1 n’était pas appropriée, dans les circonstances de la présente affaire.

B. Le syndicat

[153] Le syndicat a expliqué qu’une campagne de syndicalisation a été entreprise en janvier 2017 pour les ouvriers d’entrepôt au service de CSA à Surrey. L’unité de négociation visée comptait une quinzaine d’employés. M. Ayles était l’un des principaux organisateurs syndicaux. Les employés avaient discuté entre eux de la syndicalisation et avaient convenu que M. Ayles prendrait contact avec le syndicat. M. Ayles avait distribué des cartes à signer, qui lui avaient été retournées après que les employés y eurent apposé leur signature. Ce processus s’est poursuivi jusqu’à ce que M. Ayles soit soudainement congédié le 3 février 2017.

[154] Le syndicat a déclaré que M. Ali s’était occupé en partie de la distribution et de la collecte des cartes, surtout après le congédiement de M. Ayles. M. Ali a été congédié le 8 février 2017.

[155] Le syndicat a avancé que M. Bunse était un partisan du syndicat reconnu, qui était venu en aide à MM. Ali et Ayles pendant la campagne de syndicalisation. Le syndicat a affirmé que, le 8 février, après que MM. Ayles et Ali eurent été congédiés, et à la suite de certaines menaces proférées par l’employeur, M. Bunse avait tenté d’apaiser les craintes des employés et de faire en sorte qu’ils continuent à appuyer le syndicat. Le 9 février 2017, l’employeur a congédié M. Bunse. Le syndicat a affirmé que l’employeur a congédié ces trois partisans de premier plan du syndicat durant la campagne de syndicalisation, dans le but exprès de faire savoir aux autres employés que personne n’est à l’abri de mesures de représailles. Le syndicat a soutenu que les congédiements faisaient peser une menace sur les autres employés dans l’éventualité où le scrutin soit serait favorable à la syndicalisation.

[156] Le syndicat fait valoir, sur ce fondement, que le Conseil doit conclure que l’employeur a enfreint le sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code. Autrement, l’employeur aura réussi à miner la campagne de syndicalisation et à compromettre la réalisation des objectifs du Code, plus particulièrement en ce qui concerne la protection de la liberté d’association.

[157] En réponse aux motifs allégués par l’employeur pour le congédiement de M. Ayles, le syndicat a reconnu que ce dernier avait reçu un avertissement verbal pour un accident mineur fait avec un chariot élévateur, mais que cet avertissement avait été mis par écrit, en conformité avec le manuel de l’employé.

[158] Le syndicat a également souligné que l’employeur a affirmé que, à au moins deux occasions, Mme Huebsch avait donné à M. Ayles des avertissements concernant son attitude, plus précisément parce qu’il avait élevé la voix et employé un langage grossier. Toutefois, l’employeur n’a produit aucun document témoignant des avertissements allégués, malgré la demande très claire que le syndicat avait présentée afin que de tels documents soient communiqués, s’ils existaient. Le syndicat a fait observer que, selon la politique de l’employeur lui-même, des notes doivent être consignées lorsqu’un superviseur ou un gestionnaire donne une mise en garde à un employé.

[159] En ce qui concerne les départs hâtifs de M. Ayles en décembre 2016 et en janvier 2017, le syndicat a souligné que l’employeur avait déclaré qu’« [o]n avait discuté de cette situation avec M. Ayles et on l’avait avisé que la procédure à suivre était de demander à son superviseur de quart s’il pouvait s’en aller » (traduction). Le syndicat a soutenu qu’aucun document attestant un avertissement de cette nature n’avait été produit par l’employeur ou déposé en preuve.

[160] Le syndicat a également soutenu que l’employeur n’avait jamais contesté que M. Ayles avait été autorisé par le superviseur à quitter le travail avant l’heure prévue, et que l’employeur n’avait pas appelé M. Gallicano à témoigner pour confirmer ou infirmer le témoignage de M. Ayles selon lequel M. Gallicano lui avait donné son autorisation. Le syndicat a également soutenu que M. Deol a affirmé que le superviseur n’avait pas le pouvoir d’autoriser un employé à quitter le travail plus tôt que prévu, et que seul le gestionnaire pouvait donner cette autorisation. Le syndicat a soutenu que cette affirmation allait complètement à l’encontre de la directive de l’employeur telle qu’elle est énoncée dans le manuel de l’employé, selon laquelle « [s]eul [le] superviseur ou la personne désignée peut autoriser une absence du travail » (traduction).

[161] Le procureur du syndicat a poursuivi en affirmant que Mme Huebsch, qui, à son avis, semblait dire n’importe quoi qui appuierait sa cause, a présenté un témoignage qui ne concordait pas avec celui de M. Deol. Elle avait déclaré que M. Gallicano n’était pas un superviseur, contrairement à ce qu’ont déclaré d’autres témoins, selon qui il était le superviseur et était exclu de l’unité de négociation étant donné ses responsabilités de supervision. En contre-interrogatoire, Mme Huebsch a déclaré qu’« [elle] ne considérerait pas M. Gallicano comme un superviseur » (traduction), en dépit du fait qu’il avait mis par écrit, en sa qualité de superviseur, l’avertissement donné à M. Ayles à la suite de l’accident de chariot élévateur. De l’avis du procureur, cet élément du témoignage met en question la crédibilité de Mme Huebsch.

[162] Le procureur a fait observer que, selon le témoignage de M. Deol, celui-ci avait congédié M. Ayles le 3 février 2017, à la demande de Mme Huebsch. M. Deol avait affirmé que la raison donnée à M. Ayles était un manque de travail. Le procureur a souligné qu’un employé ayant moins d’ancienneté que M. Ayles avait conservé son emploi à la suite de ce congédiement pour « manque de travail ».

[163] Le procureur a tenu à préciser que M. Deol et Mme Huebsch n’avaient fourni absolument aucune note, aucun mémorandum, aucun courriel ni aucun autre document témoignant de leurs entretiens l’un avec l’autre ou de supposés avertissements donnés à M. Ayles. Le procureur a déclaré qu’aucune approbation écrite du premier dirigeant n’avait été produite relativement au congédiement de M. Ayles, ni à celui des autres employés congédiés, et qu’aucune lettre de congédiement n’avait été remise à l’un ou l’autre d’eux – ce qui allait à l’encontre de la procédure décrite dans le manuel de l’employé.

[164] En ce qui concerne le congédiement de M. Ali, le syndicat a souligné qu’aucun document ne témoignait de mises en garde reçues relativement à ses supposés problèmes d’assiduité ou d’attitude. Pendant les quatre années que M. Ali avait passées au service de l’employeur, la seule mesure disciplinaire prise à son endroit avait été un avertissement verbal donné en 2014 pour un traîneau de manutention manquant dans une livraison de cinq plateformes – ce qui constitue la mesure disciplinaire la plus bénigne.

[165] Le procureur a déclaré que l’employeur avait allégué qu’à deux reprises, en décembre 2016, M. Ali avait refusé d’exécuter des tâches que son superviseur lui avait assignées, et que Mme Huebsch avait témoigné que M. Deol l’avait mise au courant de ces incidents. Le procureur a affirmé que M. Deol n’avait fourni aucune information à cet égard. En fait, M. Ali avait démenti cette allégation, et l’employeur n’avait fourni ni date ni détails s’y rapportant. En contre-interrogatoire, la question suivante a été posée à M. Deol : « À votre connaissance, M. Ziad a‑t‑il déjà refusé d’exécuter une tâche qui lui avait été assignée? » (traduction). M. Deol a répondu par la négative.

[166] En ce qui concerne les absences du travail de M. Ali les 5 et 6 février 2017, le syndicat a affirmé que le Conseil avait à sa disposition des éléments de preuve attestant qu’il y avait eu des tempêtes de neige au début de février et que, de façon générale, il avait été extrêmement difficile de déblayer les rues dans la région des basses-terres continentales, parce que les municipalités ne possèdent pas beaucoup d’équipement de déneigement.

[167] Le syndicat a affirmé que M. Ali avait été incapable de se rendre au travail le dimanche 5 février 2017, qu’il en avait avisé son superviseur, M. Gallicano, par message texte, et qu’il n’avait reçu aucune réponse à ce moment. M. Ali avait également téléphoné et parlé à M. Deol. M. Ali avait dit à M. Deol qu’il serait incapable de se rendre au travail, mais qu’il serait disponible pendant la journée pour assister les employés par téléphone afin de garantir que les documents à imprimer et les autres tâches à exécuter le soient adéquatement. M. Ali avait parlé à M. Bunse à plusieurs reprises pour l’aider à remplir les formalités administratives.

[168] Le syndicat a souligné que M. Ali avait communiqué avec M. Gallicano le 6 février 2017 et l’avait informé qu’il était toujours dans l’impossibilité de se rendre au travail. Il est retourné au travail le mardi, et M. Deol lui a alors parlé de la nécessité d’être assidu au travail. Dans son esprit, l’affaire était close, mais lorsqu’il s’est présenté au travail le lendemain, il a appris qu’il était congédié.

[169] En ce qui concerne le congédiement de M. Bunse, le syndicat a indiqué que celui-ci avait un dossier vierge, et que l’employeur n’a présenté aucun document attestant des mises en garde qui lui auraient été données eu égard à sa conduite ou à son comportement, ou de mesures disciplinaires de quelque nature que ce soit prises à son endroit. Le procureur a affirmé que lorsque M. Ali ne s’est pas présenté au travail le 5 février 2017, M. Bunse a accompli certaines des tâches normalement exécutées par le chef d’équipe en poste le dimanche.

[170] Le procureur a poursuivi en disant que, dans son témoignage, Mme Huebsch avait affirmé catégoriquement qu’aucune responsabilité particulière relative à l’édifice n’incombait à M. Bunse ce jour-là, et que celui-ci avait été congédié parce qu’elle croyait qu’il avait laissé M. Ayles y entrer, bien qu’aucune preuve n’ait été présentée au Conseil à cet égard. Mme Huebsch avait également déclaré que M. Bunse était sorti de l’édifice et était resté quelque temps à l’extérieur avec un employé congédié. Encore une fois, aucun élément de preuve ne démontrait que cela s’était produit. Tant M. Bunse que M. Ayles ont démenti les allégations à cet égard. M. Ayles a affirmé que son épouse et son fils étaient dans la voiture avec lui à ce moment.

[171] Le syndicat a affirmé que M. Huber avait congédié M. Bunse à la demande de Mme Huebsch, malgré le fait que M. Deol avait donné un avertissement verbal à M. Bunse la veille parce qu’il aurait laissé entrer M. Ayles dans l’édifice, ce que M. Bunse avait nié. Le procureur a souligné qu’aucune raison n’avait été donnée à M. Bunse relativement à son congédiement.

[172] Pour conclure son argumentation, le procureur du syndicat a résumé son propos en déclarant que, dans la présente affaire, l’organisateur syndical de l’entreprise le plus visible et le plus actif, M. Ayles, a été congédié le 3 février 2017. À la suite de son congédiement, la campagne de syndicalisation s’est poursuivie, et un autre organisateur, M. Ali, qui avait continué de recueillir des cartes signées, a été congédié le 8 février 2017. Le même jour, un troisième militant du syndicat, M. Bunse, a reçu un avertissement écrit qui n’était pas raisonnablement motivé. M. Bunse ayant continué de faire la promotion du syndicat auprès d’autres employés, il a été congédié le 9 février 2017, à son arrivée au travail. Ce jour-là, le syndicat a par ailleurs présenté sa demande d’accréditation, avec une majorité des cartes signées à l’appui.

[173] En règle générale, les employeurs ne révèlent pas qu’ils congédient des employés pour des motifs antisyndicaux. Il est également habituel qu’ils affirment n’avoir pas été au courant de la campagne de syndicalisation. Il est très bien établi que le Conseil doit se pencher sur toutes les circonstances de l’espèce pour établir si un employeur a réfuté la présomption de sentiment antisyndical. Le procureur a cité A.G. Transport ltée, précitée, à l’appui.

[174] Le procureur a avancé que, comme dans Air Atlantic Limited (1986), 68 di 30; et 87 CLLC 16,002 (CCRT no 600) où les congédiements n’étaient pas conformes au manuel de l’employé de l’employeur lui-même et où il n’y avait aucun motif plausible à l’appui des congédiements , le Conseil peut conclure à un sentiment antisyndical. Finalement, le procureur a abordé la demande de redressement relative à la réintégration de M. Ayles. Il a soutenu que le Cadre de normes SAFE, dont l’objectif est de rendre sécuritaire et de faciliter le commerce international, est un cadre international, qui ne contraint aucune personne et aucune entreprise dans le monde. Ce sont plutôt les exigences des programmes nationaux particuliers qui lient les entreprises. Plus précisément, les exigences du programme PEP du Canada, auxquelles sont assujetties individuellement les entreprises, sont celles qui sont exposées dans les Exigences minimales relatives à la sécurité (EMS).

[175] Le procureur a souligné que le Règlement sur les entrepôts d’attente des douanes établit les motifs pour lesquels un agrément peut-être annulé, et que le fait qu’un employé ait un casier judiciaire ne fait pas partie de ces motifs. Les déclarations de culpabilité sont mentionnées dans le programme PEP, mais seulement en ce qui concerne le demandeur, lequel, en l’espèce, serait CSA. Le syndicat a soutenu que l’employeur n’avait jamais procédé à des vérifications du casier judiciaire avant d’embaucher des employés ou pour quelque autre raison que ce soit, mais que lorsqu’il avait décidé de congédier M. Ayles, la vérification des antécédents judiciaires était soudainement devenue d’une grande importance pour l’employeur.

[176] Il appert que seul M. Ayles a fait l’objet d’une vérification du casier judiciaire par l’employeur et, comme on l’a mentionné ci-dessus, il semble que CSA n’a jamais été tenue de procéder à des vérifications de ce genre selon ses EMS, puisqu’elle ne semble pas avoir agi ainsi. Le procureur a soutenu que si l’employeur avait fourni le dossier de déclaration de culpabilité en temps opportun, le syndicat aurait très bien pu examiner la divergence apparente, que ce soit au moyen de témoignages ou d’un contre-interrogatoire, ou grâce à de simples recherches.

[177] Dans ses observations finales, le procureur du syndicat a reconnu que le procureur de l’employeur avait dit vrai lorsqu’il avait souligné que c’était la première fois que l’employeur était partie à une audience en matière de pratique déloyale de travail, et que la situation était donc différente de celle dans l’affaire Transx, dans laquelle il avait été conclu que cette dernière était une « récidiviste » parce que non seulement elle avait contrevenu au Code, mais qu’elle avait par la suite dérogé à une ordonnance rendue par le Conseil lorsqu’il avait conclu à la violation initiale.

[178] Toutefois, le procureur du syndicat a fait valoir qu’en l’espèce, une violation du paragraphe 94(3) du Code résultant du congédiement, en l’espace d’une semaine, des trois employés qui avaient agi au nom du syndicat – ce qui correspondait au congédiement de 20 % de l’effectif –, considérée conjointement avec la preuve selon laquelle les autres employés étaient inquiets en conséquence de ces événements, constituait un motif suffisant pour que soit appliqué l’article 99.1 du Code et pour que le Conseil accorde l’accréditation demandée à titre de redressement.

V. Analyse et décision

A. Intervention de l’employeur et communications illégitimes

[179] Le syndicat a allégué que les mesures prises par CSA dans la présente affaire enfreignaient l’alinéa 94(1)a) et l’article 96 du Code, qui sont ainsi libellés :

94 (1) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’un syndicat ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des employés par celui-ci;

96 Il est interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger une personne à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à un syndicat.

[180] Le syndicat a allégué que la conduite de l’employeur, lorsqu’il a tenu des réunions à auditoire contraint durant lesquelles il a menacé les employés de pertes d’emploi et d’arrêt des activités au terminal, équivalait à une intervention dans la formation d’un syndicat et à de l’intimidation, en violation de l’alinéa 94(1)a) et de l’article 96 du Code.

[181] Il est aussi pertinent de souligner que le Code permet aux employeurs d’exprimer leur point de vue, pourvu que ce point de vue soit exempt d’intimidation et d’autres formes de menace :

94 (2) Ne constitue pas une violation du paragraphe (1) le seul fait pour l’employeur :

...

c) soit d’exprimer son point de vue, pourvu qu’il n’ait pas indûment usé de son influence, fait des promesses ou recouru à la coercition, à l’intimidation ou à la menace.

[182] Le fardeau de prouver qu’il y a eu violation de l’alinéa 94(1)a) et de l’article 96 incombe au plaignant. Il revient à celui-ci de démontrer que les actes de l’employeur ont nui au syndicat et miné les efforts qu’il a déployés pour former un syndicat dans le milieu de travail, ou qu’il y a eu de l’intimidation ou de la coercition exercée dans le but d’influer sur les choix des employés. Aux termes des dispositions précitées, l’existence d’un sentiment antisyndical n’a pas à être prouvée.

[183] L’alinéa 94(1)a) vise à assurer une protection contre les conduites visant à nuire au syndicat ou à intervenir dans ses affaires, et contre toute conduite qui aurait simplement un tel effet, que ce soit volontaire ou non (Société canadienne des postes (1985), 63 di 136 (CCRT no 544)). Ainsi, un employeur peut ne pas avoir eu l’intention d’intervenir dans la représentation par un syndicat, mais sa conduite peut néanmoins constituer une violation du Code s’il peut être démontré que cette conduite a eu pour effet de nuire au syndicat ou constituait une intervention dans ses affaires.

[184] En l’espèce, le syndicat a affirmé que, le ou vers le 8 février 2017, M. Deol a tenu des réunions avec certains ou l’ensemble des employés, soit individuellement ou en groupe. Au cours de ces réunions, M. Deol aurait avisé les employés qu’il avait reçu un courriel du premier dirigeant de l’employeur, M. Fallick, qui voulait connaître le nom des personnes qui avaient signé des cartes d’adhésion. Il leur avait aussi affirmé que le courriel laissait entendre que, si les employés se syndiquaient, l’employeur fermerait le terminal pour deux semaines et embaucherait de nouveaux employés.

[185] L’employeur a démenti les allégations de menaces et a nié que ces réunions aient eu lieu.

[186] La preuve relative à ces allégations était clairsemée. Le seul témoin du syndicat qui a parlé de ces réunions et du courriel menaçant de l’employeur est M. Bunse. Son témoignage oral ne correspondait pas à celui que contenait l’affidavit qu’il a présenté au Conseil. Dans son affidavit, M. Bunse affirmait que M. Deol avait rassemblé les ouvriers d’entrepôt à 19 h le mercredi 8 février pour les informer tous de la teneur du courriel qu’il avait reçu du premier dirigeant. Toutefois, à l’audience, M. Bunse a indiqué qu’une telle réunion n’avait jamais eu lieu. C’est plutôt au cours d’une réunion entre lui et M. Deol, tenue dans le bureau de ce dernier, que ce courriel avait fait l’objet d’une discussion, et M. Goss les avait rejoints dans le bureau pendant cette réunion.

[187] M. Bunse a initialement déclaré que M. Deol avait commencé à convoquer les employés à son bureau. Toutefois, il a ensuite reconnu qu’il n’était au courant de la tenue d’aucune autre réunion individuelle ou de groupe, et il ne se souvenait pas s’il avait été question du syndicat à l’occasion de l’une ou l’autre des réunions bihebdomadaires que M. Deol avait l’habitude de tenir.

[188] La preuve de l’employeur réfutait les allégations à cet égard. M. Deol et M. Goss ont tous deux nié qu’une telle réunion ou rencontre dans le bureau de M. Deol avec M. Bunse ait eu lieu. Tous deux ont témoigné qu’au cours d’une des réunions du personnel animées par M. Deol, la question du syndicat avait été soulevée par certains employés, qui avaient posé des questions à ce sujet. M. Deol a affirmé qu’il croyait que la question concernait les avantages de la syndicalisation, alors que M. Goss croyait qu’elle portait sur l’admissibilité au scrutin. M. Deol a déclaré avoir mentionné la nécessité de payer des cotisations syndicales mais n’avoir, pour le reste, exprimé aucune opinion et avoir dit aux employés que le choix leur appartenait. Tous deux ont nié que M. Deol ait dit aux employés qu’il avait reçu un courriel du premier dirigeant qui laissait entendre que, si les employés se syndiquaient, les activités seraient arrêtées au terminal et les employés seraient congédiés.

[189] Aucun élément de preuve n’a été présenté pour contredire directement ces témoignages, et il n’a été produit aucun élément de preuve établissant que d’autres réunions avec des employés ont été tenues, que ce soit individuellement ou en groupe. Il n’y a par ailleurs eu aucun autre élément de preuve à l’appui de l’allégation voulant que l’employeur ait menacé de procéder à des licenciements et à une fermeture du terminal si les démarches du syndicat étaient couronnées de succès.

[190] Par conséquent, le Conseil n’est pas convaincu que le syndicat s’est acquitté de son fardeau de démontrer que des menaces et des réunions à auditoire contraint ont véritablement eu lieu, comme l’a allégué le syndicat, et le Conseil conclut que le syndicat n’a pas démontré que l’employeur a contrevenu de cette façon à l’alinéa 94(1)a) et à l’article 96 du Code.

B. Congédiements

[191] Le syndicat a allégué que l’employeur a congédié les trois principaux partisans du syndicat, MM. Ayles, Ali et Bunse, pendant la campagne de syndicalisation menée afin d’obtenir l’appui des ouvriers d’entrepôt de l’entrepôt de Surrey, en violation du sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code, qui est ainsi libellé :

94 (3) Il est interdit à tout employeur et à quiconque agit pour son compte :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de la suspendre, muter ou mettre à pied, ou de faire à son égard des distinctions injustes en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son encontre pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à un syndicat ou en est un dirigeant ou représentant – ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir –, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’un syndicat,

[192] Le paragraphe 98(4) du Code est une disposition qui prévoit le renversement du fardeau de la preuve dans le cadre des plaintes fondées sur le paragraphe 94(3) du Code :

98 (4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[193] Étant donné ce fardeau de la preuve inversée, il incombe à l’employeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les mesures qu’il a prises à l’endroit des employés en question étaient exemptes de tout sentiment antisyndical.

[194] Le Conseil a souvent décrit l’approche qu’il adopte pour trancher les plaintes de PDT dans lesquelles est alléguée une violation du paragraphe 94(3) du Code, étant donné que dans la majorité des affaires de ce genre, il n’existe pas de preuve directe d’une motivation de l’employeur découlant d’un sentiment antisyndical. Ainsi, le Conseil doit examiner les faits soigneusement pour voir s’il peut en déduire que la conduite de l’employeur a découlé d’un sentiment antisyndical (Clipper Navigation Limited (1991), 86 di 118; et 92 CLLC 16,004 (CCRT no 900)).

[195] Dans la décision Conseil des Innus de Pessamit, 2011 CCRI 565, le Conseil a fait une analyse approfondie de sa jurisprudence relative aux plaintes fondées sur le paragraphe 94(3) du Code :

[62] Dans Larose-Paquette Autobus Inc. (1990), 83 di 175 (CCRT no 840), le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (le CCRT), a énoncé ce qui suit quant au devoir du Conseil dans le cadre d’une plainte fondée sur le sous-alinéa 94(3)a)i) du Code :

Le Conseil se doit donc d’examiner l’ensemble de la preuve avec vigilance pour déterminer s’il existait effectivement un sentiment antisyndical. Pour démontrer que son geste était dénué d’animus antisyndical, l’employeur pourra faire valoir la rationalité et le bien-fondé de la sanction imposée à l’employé au strict plan de la saine gestion de l’entreprise.

(page 177)

[63] Dans Echo Bay Mines Ltd. (1995), 99 di 78 (CCRT no 1140), le CCRT a résumé comme suit les principes qui s’appliquent aux plaintes présentées en vertu du sous-alinéa 94(3)a)i) du Code :

Le Conseil a à maintes reprises réitéré la politique qu’il applique lorsqu’il y a allégation qu’une personne a été congédiée pour activités syndicales. Il est rare qu’on puisse faire la preuve directe que les mesures prises par un employeur ont été motivées par un sentiment antisyndical. Le sentiment antisyndical n’a pas à être la cause principale des gestes posés par l’employeur pour que celui-ci soit réputé avoir violé le Code. Cette politique a été résumée par le Conseil dans Air Atlantic Limited (1986), 68 di 30; et 87 CLLC 16,002 (CCRT no 600) :

« Les règles de droit en matière de mesures discriminatoires contre les employés qui ont exercé les droits que leur confère le Code sont bien établies. Si la décision d’un employeur de prendre contre un employé une des mesures énumérées à l’alinéa 184(3)a) [maintenant alinéa 94(3)a)] a été influencée de quelque façon que ce soit par le fait que cet employé a exercé ou est sur le point d’exercer les droits que lui confère le Code, les mesures prises par l’employeur seront jugées enfreindre le Code. Il suffit, pour que la conduite d’un employeur soit jugée contraire au Code, que les motifs antisyndicaux constituent une cause même accessoire ou ancillaire :

« ... Il est rare qu’un employeur ne puisse justifier devant une commission de relations du travail sa décision de congédier; par exemple, une absence non justifiée, une insubordination à l’égard d’un supérieur, ou simplement une réévaluation du rendement de l’employé pour démontrer qu’il n’a pas su maintenir la norme fixée. De tels motifs sont justifiables, mais l’expérience nous démontre que l’employeur y a recours surtout lorsque l’employé tente d’exercer le droit qui lui est acquis en vertu du paragraphe 110(1) [maintenant paragraphe 8(1)] ou qu’il l’a exercé. Pour donner effet aux principes énoncés dans la loi et protéger adéquatement les droits de l’employé, il ne faut pas que l’employeur puisse justifier un acte discriminatoire en invoquant d’autres motifs non discriminatoires.

Pour ces raisons, si la mesure adoptée par l’employeur découle de sentiments antisyndicaux, même si ce motif est accessoire et si son geste tombe sous le coup de l’alinéa 184(3) [maintenant al. 94(3)], cet employeur sera considéré comme étant coupable de pratique déloyale de travail. »

(Yellowknife District Hospital Society et autres (1977), 20 di 281; et 77 CLLC 16,083 (CCRT no 82), pages 284‑285; et 461) »

(page 81)

[64] Dans National Pagette (1991), 85 di 1 (CCRT no 862), le CCRT a aussi résumé l’approche qu’il doit prendre lorsqu’il est saisi d’une plainte fondée sur le sous-alinéa 94(3)a)i) du Code et plus particulièrement quand il s’agit d’un congédiement comme dans la présente affaire :

Lors de l’examen du bien-fondé d’une plainte de pratique déloyale, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un cas de congédiement, la fonction du Conseil est fort différente de celle d’un arbitre. Les motifs sous-jacents à la décision de congédier une employée ne sont pertinents que dans la mesure où par leur teneur, leur déroulement dans le temps, leur côté excessif ou leur portée ils indiquent une décision entachée d’un sentiment antisyndical. Dans le cadre du renversement de la charge de la preuve invoqué au paragraphe 98(4) du Code, il incombe à l’employeur de démontrer qu’à ses motifs de congédiement ne se mêle d’aucune façon quelque sentiment antisyndical...

(pages 9-10)

[65] Il est important de se rappeler que chaque plainte est un cas d’espèce. Pour les plaintes alléguant l’existence d’un sentiment antisyndical, le Conseil examine généralement la conduite de l’employeur en tenant compte de la preuve circonstancielle, y compris la coïncidence entre le moment où les activités syndicales ont eu lieu et la décision ou les actes qui font l’objet de la plainte. Peu importe si les motifs pour lesquels un employeur congédie un employé sont justifiés; il commet une pratique déloyale de travail si la preuve d’un sentiment antisyndical est relevée.

[196] Dans A.G. Transport ltée, précitée, le Conseil a indiqué qu’il doit déterminer si l’employeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que le congédiement n’était pas entaché d’un sentiment antisyndical :

[36] Comme nous l’avons indiqué précédemment, le simple fait de déposer une plainte faisant état d’une violation du sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code constitue en soi la preuve que le congédiement de l’employé était entaché d’un sentiment antisyndical, une présomption que l’employeur doit réfuter. Le Conseil doit donc déterminer si l’employeur s’est acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir que le congédiement n’était pas entaché d’un sentiment antisyndical.

...

[38] Dans son examen des arguments avancés par l’employeur dans une plainte en vertu du sous-alinéa 94(3)a)(i), le Conseil n’agit pas comme un arbitre pour juger si l’employeur avait une cause juste pour congédier un employé (voir Fiset (1985), 55 di 233; et 85 CLLC 16,041 (CCRT no 473)). Le Conseil prend en considération toutes les circonstances du congédiement sans rechercher une preuve directe de l’existence d’un sentiment  antisyndical : le Conseil peut conclure à l’existence d’un tel sentiment en s’appuyant sur les événements qui sont survenus dans la période entourant le congédiement (Emery Worldwide (1990), 79 di 150 (CCRT no 775)).

[197] Le Conseil examinera un certain nombre de facteurs différents pour faire son évaluation, y compris la proximité dans le temps du congédiement et des activités syndicales, le dossier disciplinaire de l’employé congédié et les pratiques habituelles de l’employeur dans le traitement des questions de mesures disciplinaires (Quick Coach Lines Ltd., 2001 CCRI 144).

[198] Le Conseil examinera les trois congédiements séparément, en tenant compte de ces principes.

C. M. Ayles

[199] M. Ayles travaillait à l’entrepôt de l’employeur à Surrey depuis le 31 octobre 2016. La preuve révèle qu’il était un partisan de premier plan de la campagne de syndicalisation. C’est lui qui a pris contact avec le syndicat et qui a dirigé la campagne de syndicalisation dans l’entrepôt. Des cartes d’adhésion lui avaient été remises, et il avait commencé à recruter des membres et à collecter les frais d’adhésion fin janvier 2017. Ces faits n’ont pas été contredits.

[200] M. Ayles a été congédié le 3 février 2017. M. Deol lui a dit ce jour-là qu’il était congédié en raison d’un manque de travail, comme MM. Ayles et Deol l’ont confirmé dans leur témoignage. M. Deol a également admis que le véritable motif du congédiement n’était pas un manque de travail et il a affirmé avoir donné cette raison pour éviter un esclandre.

[201] Bien qu’il eût dit à M. Ayles qu’il était congédié en raison d’un manque de travail, l’employeur a affirmé que le congédiement avait en réalité résulté de motifs disciplinaires. L’employeur a soutenu que M. Ayles avait été congédié pour avoir parlé agressivement à la gestionnaire de bureau, Mme Walters, en décembre 2016 et à la mi-janvier 2017, alors qu’il soutenait que ses heures de travail n’avaient pas été entièrement rémunérées, et pour avoir, au cours de la même période, quitté le travail hâtivement lorsque cela lui convenait, sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire, afin d’aller travailler pour un autre employeur. L’employeur a soutenu que M. Ayles avait également à son dossier un avertissement verbal antérieur pour un accident de chariot élévateur survenu en 2016.

[202] Le syndicat n’a pas nié que certains de ces incidents se sont produits. Toutefois, il a contesté le fait que l’un ou l’autre d’entre eux constituait la véritable raison du congédiement de M. Ayles. M. Ayles lui-même a déclaré qu’il avait accepté sans histoire la mesure disciplinaire infligée pour l’accident de chariot élévateur. Il a confirmé avoir élevé la voix et proféré des jurons pendant qu’il discutait avec la gestionnaire de bureau, mais il lui avait dit que ce n’était pas contre elle qu’il était en colère, mais contre l’employeur, et que c’était le résultat de sa frustration. Il a également confirmé avoir quitté le travail hâtivement, mais a contesté qu’il n’y avait pas été autorisé ou que ces départs hâtifs étaient blâmables. Il a déclaré avoir toujours obtenu la permission de son superviseur, M. Gallicano, avant de partir.

[203] Il est évident, lorsqu’on examine globalement le contexte dans lequel M. Ayles a été congédié, qu’il y a des divergences et des contradictions importantes.

[204] D’une part, Mme Huebsch a indiqué qu’elle avait réprimandé M. Ayles de vive voix à deux reprises, pour sa conduite dans le bureau de Mme Walters de même que pour ses départs du travail prématurés. Elle lui avait adressé une première réprimande pendant qu’elle conduisait, à la mi-janvier, et l’avait réprimandé une seconde fois pendant qu’elle était à l’entrepôt de Surrey, au cours de la semaine du 16 janvier 2017.

[205] D’autre part, M. Ayles a nié avoir jamais fait l’objet de mesures disciplinaires ou de réprimandes, que ce soit pour son comportement dans le bureau de Mme Walters ou pour ses départs prématurés. M. Ayles a témoigné que, tout au plus, Mme Huebsch lui avait dit, au téléphone, de ne pas proférer de jurons et qu’elle lui donnerait plus d’explications la prochaine fois qu’elle serait à Vancouver.

[206] En outre, M. Ayles a avancé qu’il n’avait jamais quitté le travail sans avoir obtenu la permission de son superviseur et que de nombreuses personnes savaient qu’il avait un autre emploi. Ce n’était pas un secret lorsqu’il quittait le travail avant l’heure prévue puisque, lorsqu’il le faisait, il pointait pour consigner l’heure de son départ et que les répartiteurs pouvaient le voir. Il n’y avait aucune tromperie. À sa connaissance, ces départs hâtifs ne posaient absolument aucun problème. M. Ali a confirmé qu’il savait que M. Ayles avait un autre emploi et qu’il avait entendu MM. Ayles et Gallicano en parler ouvertement. M. Ali a également confirmé qu’il avait fait la même chose : il demandait à s’en aller avant l’heure prévue lorsqu’il y avait peu de travail, et soit on lui permettait de partir, soit on lui demandait de rester encore un peu.

[207] Aucune preuve écrite n’étaye la position de l’employeur selon laquelle M. Ayles a été réprimandé pour ces raisons. Il n’y a aucune note qui témoignerait de conversations que M. Ayles aurait eues avec Mme Huebsch ou M. Deol. Le dossier disciplinaire de M. Ayles ne contient aucune réprimande écrite. En revanche, il existe de la documentation témoignant de l’accident de chariot élévateur, lequel a été entièrement reconnu et accepté par M. Ayles. En outre, le défaut de consigner par écrit une mesure disciplinaire irait à l’encontre des exigences énoncées dans le manuel de l’employé. Personne d’autre n’a pu confirmer que les mesures disciplinaires susmentionnées avaient été prises par Mme Huebsch pour sanctionner l’une ou l’autre des conduites en question.

[208] M. Deol a reconnu qu’il n’avait jamais parlé à M. Ayles de ses départs prématurés, même s’il a affirmé que Mme Huebsch lui avait demandé de le faire.

[209] Il ressort également de la preuve que Mme Huebsch et M. Deol n’ont jamais consulté M. Gallicano pour vérifier s’il avait autorisé M. Ayles à quitter le travail hâtivement, comme M. Ayles l’a allégué. Mme Huebsch a témoigné que la façon de procéder, pour quiconque souhaitait quitter le travail avant l’heure prévue, était d’en aviser un gestionnaire ou un superviseur, ce que confirme le manuel de l’employé, qui précise que les absences peuvent être autorisées par un « superviseur ou la personne désignée » (traduction). Cependant, Mme Huebsch n’a pas demandé au superviseur direct de M. Ayles si ce dernier avait demandé et obtenu une autorisation. Au moment des réprimandes, Mme Huebsch ne savait donc pas si les absences avaient été autorisées ou non et s’il était approprié de prendre des mesures disciplinaires à cet égard.

[210] Même si l’on acceptait que M. Ayles ait fait l’objet de mesures disciplinaires en conséquence de sa conduite à la mi-janvier, il y a peu d’éléments de preuve qui expliquent pourquoi on a décidé de le congédier le 3 février 2017. Mme Huebsch a témoigné qu’elle avait décidé de le congédier pendant qu’elle se trouvait à l’entrepôt de Surrey à la mi-janvier, après l’avoir réprimandé pour son inconduite dans le bureau et pour avoir quitté le travail avant l’heure prévue. M. Deol a affirmé qu’il n’était pas encore au courant, à ce moment, des départs hâtifs de M. Ayles. Mme Huebsch aurait pris des vacances jusqu’au 31 janvier 2017, après avoir passé une semaine à Surrey, mais il est par ailleurs manifeste qu’il n’aurait rien fallu de plus qu’un simple appel à M. Deol pour dire à celui‑ci de congédier M. Ayles. Toutefois, aucune mesure n’a été prise avant le 3 février 2017.

[211] Il est également notable que la période probatoire de M. Ayles s’est terminée à la fin janvier. Si ces problèmes disciplinaires étaient d’une gravité telle, aux yeux de Mme Huebsch, qu’elle avait décidé de congédier M. Ayles à la mi-janvier, il est curieux qu’elle n’ait pris aucune mesure pour qu’il soit congédié avant la fin de sa période probatoire, et non tout juste après.

[212] Mme Huebsch a témoigné qu’elle n’a consulté personne relativement à sa décision de congédier M. Ayles, et qu’elle n’a pas obtenu l’autorisation du premier dirigeant comme l’exigeait le manuel de l’employé. Elle a enjoint à M. Deol de congédier M. Ayles le ou vers le 3 février 2017, mais elle ne se rappelait pas si elle avait mentionné le motif de congédiement à M. Deol. Le motif du congédiement n’a jamais été mis par écrit, et M. Ayles n’a jamais reçu de lettre de congédiement ni de relevé d’emploi. M. Deol a dit à M. Ayles, au moment du congédiement, que c’était en raison d’un manque de travail, mais il a été admis que ce n’était pas la véritable raison. Il a toutefois nié qu’on lui eût dit de trouver une raison. À l’audience, Mme Huebsch a donné encore une autre raison pour justifier le congédiement, déclarant qu’elle ne voulait plus qu’il soit dans l’entrepôt parce qu’il rendait les autres mal à l’aise.

[213] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le Conseil estime qu’il est incertain que M. Ayles quittait véritablement le travail hâtivement sans y avoir été autorisé et, même si c’était le cas, qu’il est incertain qu’il ait effectivement fait l’objet de mesures disciplinaires pour cette raison avant son congédiement. Il semble que le congédiement lui-même a été mis à exécution de façon précipitée, sans enquête, consultation ou préparation et sans qu’aucune note n’ait été consignée à ce sujet. De plus, la preuve ne permet même pas d’établir clairement si M. Deol, qui a procédé au congédiement, était en fait au courant des motifs de celui-ci.

[214] M. Ayles a déclaré qu’il n’était pas au courant des motifs de son congédiement à l’époque, outre le fait qu’on lui avait dit que c’était en raison d’un manque de travail, et qu’il n’a appris qu’au cours de la présente instance les motifs de congédiement invoqués par l’employeur.

[215] À la lumière de tout ce qui précède, et en tenant compte du rôle non contesté de M. Ayles dans la campagne de syndicalisation ainsi que du moment de son congédiement précipité pour cause d’une inconduite discutable lequel congédiement coïncidait avec ladite campagne , le Conseil n’est pas convaincu que M. Ayles a été congédié seulement pour des motifs disciplinaires légitimes. Le Conseil conclut que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que le congédiement de M. Ayles n’était pas entaché d’un sentiment antisyndical.

D. M. Ali

[216] M. Ali travaillait à l’établissement de l’employeur à Surrey depuis février 2013. Il participait à la campagne de syndicalisation depuis le début et était un membre actif du groupe qui avait lancé cette campagne en janvier 2017. Il a brièvement dirigé la campagne de syndicalisation après que M. Ayles a été congédié le 3 février 2017, et il a recruté des membres jusqu’à son congédiement.

[217] Le 8 février 2017, M. Ali a été congédié, supposément parce qu’il ne s’était pas présenté au travail les 5 et 6 février 2017, et parce qu’il n’en avait pas avisé le superviseur concerné et n’avait communiqué d’aucune façon avec l’employeur pour motiver son absence. L’employeur a soutenu que M. Ali avait également reçu un avertissement verbal en décembre 2016 pour avoir joué à des jeux vidéo et être resté à discuter avec des collègues dans la salle à manger au lieu de suivre les directives de travail, ce qui démontrait qu’il avait un problème d’attitude. Il n’est pas contesté que M. Ali avait auparavant reçu un avertissement verbal, consigné dans son dossier disciplinaire, en raison d’un traîneau de manutention qu’il n’avait pas inclus dans une livraison de cinq plateformes en 2014.

[218] M. Ali a contesté qu’on lui ait parlé antérieurement d’un problème d’attitude, du défaut d’avoir exécuté le travail demandé, ou du fait qu’il aurait joué à des jeux vidéo en dehors de la pause dîner. Il a maintenu que son absence était justifiée par la tempête de neige des 5 et 6 février 2017 et qu’il en avait avisé adéquatement l’employeur.

[219] La preuve démontre que, pendant les quatre années que M. Ali a travaillé pour CSA, il a reçu un certain nombre d’augmentations salariales et s’est vu attribuer des responsabilités de chef d’équipe le dimanche, lesquelles comprenaient l’ouverture de l’entrepôt et la préparation des documents administratifs nécessaires. Ces faits ne sont pas contestés.

[220] Bien que Mme Huebsch ait déclaré avoir donné un avertissement à M. Ali concernant son attitude, elle a concédé qu’elle ne lui a jamais donné d’avertissement écrit, car elle estimait qu’un avertissement verbal était suffisant. Toutefois, il n’y a aucune note et aucun autre élément de preuve concernant un avertissement verbal qui aurait été donné et qui aurait été consigné dans le dossier disciplinaire, comme l’exige le manuel de l’employé et comme cela avait été fait à la suite de l’avertissement verbal de 2014 relatif au traîneau de manutention.

[221] M. Deol n’était au courant d’aucune mesure disciplinaire antérieure prise contre M. Ali pour sanctionner son attitude ou le fait qu’il n’avait pas suivi des directives de travail. Il a déclaré qu’il n’était au courant d’aucune mesure disciplinaire antérieure, à l’exception de celle qui concernait le traîneau de manutention manquant en 2014. Il a avancé qu’il avait parlé à M. Ali du temps passé à jouer à des jeux vidéo dans la salle à manger en dehors des heures de pause, mais qu’il n’avait rien consigné par écrit ni infligé une réprimande officielle par suite de cet incident. En outre, M. Deol n’était au courant d’aucune situation où M. Ali avait refusé de suivre des directives de travail.

[222] En ce qui concerne l’absence de M. Ali les 5 et 6 février 2017, il n’a pas été contesté qu’il y avait eu des conditions de tempête de neige et qu’une énorme quantité de neige s’était abattue sur la région du Grand Vancouver, de sorte que certaines personnes avaient été incapables de se rendre au travail. M. Ali a affirmé que sa voiture était coincée et qu’il lui avait été impossible de se rendre au travail. M. Deol a déclaré que tous les autres employés s’étaient présentés au travail le 5 février 2017.

[223] Pour ce qui est de l’absence du dimanche 5 février 2017, la preuve ne corrobore pas que M. Ali n’a pas avisé le superviseur ou le gestionnaire concerné de son absence. M. Ali a témoigné qu’il avait appelé directement le gestionnaire, M. Deol, ce qui a été confirmé par M. Deol lui-même. M. Ali avait avisé M. Deol que sa voiture était coincée dans la neige et qu’il ne serait donc pas présent au travail ce jour-là.

[224] Il y a des divergences quant à la suite de la discussion. M. Deol a affirmé que M. Ali lui avait dit qu’il tenterait de se rendre au travail dans les 30 minutes suivantes, mais M. Ali a nié avoir dit cela. Quoi qu’il en soit, la preuve confirme que M. Ali a communiqué avec M. Deol pour lui faire part de son absence. La preuve documentaire témoigne également du fait que M. Ali a également communiqué par message texte ce matin-là avec M. Gallicano, le superviseur, pour l’aviser que sa voiture était coincée et qu’il serait incapable d’aller travailler ce jour-là.

[225] M. Deol a déclaré que l’absence de M. Ali avait posé problème parce qu’il n’y avait aucun superviseur ou gestionnaire sur place le dimanche et que M. Ali était censé ouvrir l’entrepôt. Toutefois, M. Ali et M. Bunse, lequel devait travailler et s’est présenté au travail ce matin-là, ont tous deux témoigné qu’ils ont communiqué ensemble tout au long de la journée, et que M. Bunse avait accepté d’ouvrir l’entrepôt, et l’avait fait, et qu’il avait pris en charge les tâches de M. Ali ce jour-là. Ils ont tous deux témoigné que M. Bunse avait appelé M. Ali à plusieurs reprises pendant la journée pour lui poser les questions, et qu’il avait été capable de le joindre et avait obtenu les conseils et l’aide dont il avait besoin. Ces faits ne sont pas contestés.

[226] M. Ali a également été absent le 6 février 2017 en raison de la tempête de neige. Il a déclaré qu’il avait tenté de joindre M. Deol, Mme Walters et M. Gallicano par téléphone, mais que personne n’avait répondu. Finalement, il a envoyé un message texte à M. Gallicano. Le syndicat a produit une copie des messages texte, lesquels indiquent que M. Ali a communiqué avec M. Gallicano et l’a informé qu’il serait incapable de se présenter au travail le 6 février parce que sa voiture était toujours coincée.

[227] L’employeur ne conteste pas que M. Ali a communiqué avec M. Gallicano le 6 février 2017. M. Deol a confirmé que la règle, telle qu’elle est énoncée dans le manuel de l’employé, exige d’un employé qu’il appelle et joigne son superviseur immédiat ou son gestionnaire de département. Mme Huebsch n’a pas non plus nié que M. Ali a communiqué avec M. Gallicano, mais elle a affirmé qu’elle ne considérait pas ce dernier comme un superviseur, malgré son titre, et malgré tous les éléments de preuve qui vont dans le sens contraire et qui démontrent qu’il était le superviseur du quart de travail du matin à l’entrepôt et qu’il avait de fait signé la réprimande verbale adressée à M. Ayles, en sa qualité de superviseur.

[228] Le 7 février 2017, lorsque M. Ali est retourné au travail, M. Deol lui a parlé et lui a dit qu’il n’aurait pas dû s’absenter. M. Ali a dit qu’il avait cru que l’incident était clos. Toutefois, ce n’était pas le cas, puisqu’il a été congédié dès le lendemain. La raison donnée était qu’il avait manqué deux jours de travail sans avoir téléphoné à un gestionnaire ou à un superviseur.

[229] Mme Huebsch a témoigné que, lorsque M. Deol l’a informée de l’absence de M. Ali ces deux jours-là, elle a décidé que M. Ali devait être congédié et a demandé à M. Deol de procéder au congédiement. Elle n’a pas fait enquête pour vérifier si M. Ali avait dûment avisé l’employeur de son absence. Elle n’a pas consulté M. Gallicano pour vérifier si M. Ali l’avait joint l’une ou l’autre de ces deux journées, mais elle a confirmé dans son témoignage qu’elle s’était appuyée sur l’alinéa 3.4.3 du manuel de l’employé comme motif de congédiement. Comme on l’a mentionné ci-dessus, selon cette clause, un employé est réputé avoir mis fin volontairement à son emploi s’il s’absente pendant deux journées consécutives sans téléphoner et parler à son superviseur immédiat ou à son gestionnaire de département. Mme Huebsch a alors dit à M. Deol – le même gestionnaire à qui M. Ali avait téléphoné pour l’aviser de son absence – de congédier M. Ali pour ne pas avoir signalé son absence.

[230] Mme Huebsch a déclaré que l’absence de M. Ali avait été problématique parce qu’elle avait occasionné un retard dans les opérations du fait que les formalités administratives avaient été remplies tardivement. Toutefois, il semble que Mme Huebsch n’a mené aucune enquête pour vérifier si les opérations avaient été retardées ou si d’autres personnes avaient pu remplacer M. Ali et exécuter le travail nécessaire.

[231] M. Ali a confirmé que la raison qui lui a été donnée au moment de son congédiement était le fait qu’il avait manqué deux jours de travail et n’avait pas téléphoné pour signaler son absence à un superviseur ou à un gestionnaire. Selon M. Ali, lorsqu’il avait opposé à M. Deol qu’il lui avait téléphoné directement, ce dernier avait répondu que les « haut placés », les « grands patrons » lui avaient dit de le congédier.

[232] À la lumière d’un examen de tous ces éléments de preuve, le Conseil pourrait difficilement conclure que M. Ali a été congédié seulement pour des motifs disciplinaires légitimes. Le Conseil convient qu’il ne lui revient pas d’établir ou d’évaluer si l’employeur avait un motif valable pour congédier M. Ali. Toutefois, dans les présentes circonstances, où des éléments de preuve – y compris le témoignage d’un témoin de l’employeur lui-même – indiquent que les absences ont été signalées, les motifs invoqués à l’appui du congédiement ne sont tout simplement pas plausibles ni convaincants.

[233] La preuve de l’employeur relative à des mesures disciplinaires antérieures n’est pas non plus bien étayée. À l’exception de la mesure disciplinaire mineure prise en 2014, l’employeur a été incapable de produire quelque document que ce soit concernant d’autres mesures disciplinaires, en dépit du fait qu’il était tenu de prendre des notes écrites relativement à toutes les réprimandes et à toute mise en garde à l’intention d’un employé eu égard au comportement ou à la conduite de ce dernier. Aucune note écrite ne corroborait les allégations de l’employeur concernant un problème d’attitude et un défaut d’avoir exécuté du travail, et les allégations à cet égard ont toutes été niées par M. Ali. Mme Huebsch semblait se rappeler avoir parlé à M. Ali du fait qu’il n’avait pas exécuté le travail qui lui avait été assigné, mais elle ne pouvait se souvenir des situations précises. Quant à lui, M. Deol, qui est le gestionnaire sur place, ne se rappelait aucune mesure disciplinaire antérieure, excepté l’incident de 2014 qui avait fait l’objet de notes écrites, et il n’était au courant d’aucun refus d’exécuter le travail assigné qui aurait été opposé par M. Ali.

[234] Comme M. Ayles, il semble que M. Ali a été congédié de façon précipitée, sans enquête sur les circonstances, sans consultation et sans préparation, et sans qu’aucune note n’a été consignée à ce sujet.

[235] À cela s’ajoute le moment du congédiement de M. Ali qui s’est produit non seulement pendant la campagne de syndicalisation, mais précisément après le congédiement de M. Ayles, alors que M. Ali avait pris le relais pour assumer la direction de la campagne de syndicalisation et qu’il continuait à recueillir des cartes. Selon M. Hennessy, ce congédiement est survenu le jour suivant celui où M. Ali lui avait remis la dernière carte nécessaire pour appuyer la demande d’accréditation.

[236] De façon générale, le Conseil considère que l’allégation voulant que M. Ali ait été congédié parce qu’il ne s’était pas présenté au travail et n’en avait pas avisé l’employeur n’est pas convaincante, et que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir que ses actions n’étaient pas entachées d’un sentiment antisyndical.

E.  M. Bunse

[237] M. Bunse travaillait pour CSA comme ouvrier d’entrepôt à l’entrepôt de Surrey depuis mai 2016. Il a été congédié le 9 février 2017. Il était un partisan du syndicat et parlait ouvertement de syndicalisation avec ses collègues.

[238] L’employeur a allégué que M. Bunse a été congédié parce qu’il avait permis à M. Ayles d’entrer dans l’entrepôt le 5 février 2017, alors qu’il savait que M. Ayles avait été congédié et qu’il n’était pas autorisé à se trouver dans l’établissement, pour des raisons de sécurité. L’employeur a affirmé que M. Bunse avait permis à M. Ayles de rester dans l’entrepôt pendant environ deux heures et qu’il était resté avec lui dans le parc de stationnement pendant 45 minutes supplémentaires.

[239] L’employeur a mentionné, en ce qui concerne des inconduites antérieures, que M. Bunse avait été renvoyé chez lui à deux reprises pour ne pas avoir exécuté le travail qui lui avait été assigné. Le syndicat a allégué que M. Bunse avait un dossier vierge et que l’employeur n’avait présenté aucun document faisant état de mesures disciplinaires de quelque nature que ce soit prises contre lui, ou de situations dans lesquelles des mises en garde lui auraient été données relativement à sa conduite ou à son comportement.

[240] D’abondants témoignages ont été présentés par un certain nombre de témoins en ce qui a trait aux événements du 5 février 2017 liés à la présence de M. Ayles dans l’entrepôt, et beaucoup de ces témoignages semblent se contredire à de nombreux égards. De l’avis du Conseil, il n’est toutefois pas nécessaire, en l’espèce, de débrouiller tous ces témoignages contradictoires; quelques faits essentiels suffiront.

[241] Malgré les contradictions dans la preuve, au bout du compte, l’employeur a été incapable, selon le Conseil, de démontrer que M. Bunse avait bel et bien permis à M. Ayles d’entrer dans l’entrepôt. À cet égard, M. Goss a témoigné qu’il avait vu M. Ayles marcher seul dans l’entrepôt ce jour-là, mais il n’a pas pu dire comment il était entré.

[242] M. Bunse a nié avoir laissé M. Ayles accéder à l’entrepôt. Il a témoigné qu’il était dans le bureau et que M. Ayles était entré. Il avait demandé à M. Ayles comment il était entré dans l’entrepôt, et celui‑ci lui avait répondu qu’il avait pu entrer par la porte extérieure des chauffeurs en passant par une barrière brisée, et ainsi accéder au bureau.

[243] M. Ayles a témoigné qu’il était entré dans l’entrepôt par la porte des chauffeurs, là où la grille d’une barrière tordue ne peut être verrouillée. Il ne savait pas qu’il n’était pas autorisé à retourner dans l’entrepôt et y était simplement revenu pour ramasser des effets personnels qu’il avait oubliés.

[244] M. Deol a témoigné qu’on l’avait avisé que M. Ayles était dans l’entrepôt et qu’il avait été vu assis au poste de répartition. Il était allé en parler à M. Bunse, et celui-ci lui avait dit que c’était lui qui avait laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt. Par conséquent, il avait remis un avertissement écrit à M. Bunse pour avoir laissé M. Ayles entrer dans l’édifice.

[245] M. Bunse a nié avoir laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt et a témoigné que, lorsque M. Deol lui avait remis l’avertissement écrit, il avait dit à M. Deol qu’il n’avait pas laissé M. Ayles entrer. M. Deol a contredit cette allégation. Bien qu’il y ait contestation au sujet de ce qui a été dit au moment où l’avertissement écrit a été remis, il reste qu’aucun élément de preuve ne démontre que M. Bunse a bel et bien laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt. C’était tout au plus ce que M. Deol croyait. Aucun élément de preuve n’a été produit pour démontrer que M. Ayles n’aurait pas pu entrer par lui-même, par la porte extérieure des chauffeurs. Il n’y a pas non plus de preuve démontrant que M. Deol aurait fait enquête sur l’incident autrement qu’en en parlant directement à M. Bunse, et rien ne démontre que M. Deol a parlé à M. Goss ou à qui que ce soit dans l’entrepôt à ce moment pour obtenir d’autres informations.

[246] Il en va de même pour ce qui est de la preuve contradictoire relative au temps passé par M. Ayles dans l’entrepôt ou au temps que M. Bunse a passé avec celui-ci dans la cour extérieure par la suite. M. Bunse a nié que cela ait duré deux heures et a témoigné que M. Ayles avait été environ 20 minutes à l’intérieur et de 5 à 10 minutes à l’extérieur, le temps de fumer une cigarette. Il ne semble pas que M. Deol ait fait enquête sur ces événements ou qu’il ait discuté avec qui que ce soit qui aurait pu détenir de l’information à ce sujet immédiatement après les faits. L’avertissement écrit mentionne simplement que M. Bunse a permis à M. Ayles de rester quelques heures. Toutefois, l’avertissement semble mettre l’accent sur le fait que M. Bunse a laissé entrer dans l’entrepôt une personne qui n’était pas un employé de CSA, et qu’il ne devait pas recommencer.

[247] Quoi qu’il en soit, M. Bunse a accepté l’avertissement écrit le 8 février 2017, et il croyait que l’affaire était close. Cependant, il a été congédié au début de son quart de travail le lendemain.

[248] En ce qui concerne ce congédiement, Mme Huebsch a déclaré qu’elle avait reçu une copie de l’avertissement écrit remis à M. Bunse et qu’elle avait décidé que ce dernier devait être congédié, étant donné que l’entrepôt était un établissement sécurisé. Elle avait téléphoné à M. Deol le lendemain pour lui dire de procéder au congédiement.

[249] M. Deol a affirmé qu’il avait lui-même congédié M. Bunse et qu’il lui avait dit qu’il était congédié pour avoir laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt. Toutefois, lorsqu’il a été questionné à ce sujet, M. Deol a admis que ce n’était peut-être pas lui qui avait congédié M. Bunse, mais peut-être M. Huber.

[250] M. Bunse a témoigné que c’était en fait M. Huber qui l’avait congédié et que ce dernier ne lui avait donné aucune raison. Lorsque M. Bunse lui avait demandé quel était le motif du congédiement, M. Huber lui avait répondu qu’il avait reçu du siège social, à Toronto, la directive de le congédier, mais qu’on ne lui avait pas dit pourquoi. M. Deol ne se souvenait pas de cela, et M. Huber n’a pas témoigné.

[251] En ce qui concerne les allégations voulant qu’on ait parlé à M. Bunse et qu’il ait été renvoyé chez lui à deux reprises pour avoir refusé d’exécuter du travail, le Conseil constate encore une fois que l’employeur n’a produit aucun document concernant les mesures disciplinaires qui auraient été infligées à M. Bunse pour avoir refusé d’accomplir ses tâches. Le seul élément de preuve à cet égard était le témoignage de M. Deol selon lequel il avait parlé à deux reprises avec M. Bunse et l’avait renvoyé chez lui une fois, le 1er décembre 2016, parce qu’il ne faisait pas son travail adéquatement. Mme Huebsch n’avait jamais entendu parler de M. Bunse auparavant et n’était pas au courant de cette situation à l’époque. Elle a déclaré se souvenir que M. Deol lui avait dit qu’il n’était pas certain de vouloir garder M. Bunse parce qu’il ne travaillait pas bien et qu’il avait dû le renvoyer chez lui deux fois parce qu’il refusait de faire son travail.

[252] M. Bunse a nié ces allégations et maintenu que son dossier était vierge et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire avant l’avertissement écrit relatif à l’incident avec M. Ayles.

[253] Selon les constatations du Conseil, même si des mises en garde avaient été données à M. Bunse antérieurement au sujet de sa conduite ou de son comportement, aucune note ne semble avoir été prise à ce sujet, contrairement à ce qu’exigeait le manuel de l’employé, et cela ne semble de toute façon pas avoir été invoqué à l’appui du congédiement. Mme Huebsch a indiqué que c’était elle qui avait décidé de congédier M. Bunse mais, dans son témoignage, elle n’a pas affirmé s’être appuyée sur cette supposée mesure disciplinaire antérieure.

[254] Après avoir examiné la preuve concernant M. Bunse, le Conseil est d’avis que l’employeur n’a pas démontré de manière concluante que M. Bunse a bel et bien laissé M. Ayles entrer dans l’entrepôt et que c’est véritablement pour cette raison que M. Bunse a été congédié. La preuve de l’employeur lui‑même n’est pas claire en ce qui concerne la personne qui a congédié M. Bunse, les motifs du congédiement, ou la raison qui a été donnée à M. Bunse au moment des faits.

[255] Au bout du compte, le Conseil conclut que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de réfuter la présomption voulant que le congédiement de M. Bunse ait été entaché d’un sentiment antisyndical. M. Bunse agissait à titre de partisan de premier plan dans le cadre de la campagne de syndicalisation au moment où il a été congédié. Il était le dernier des trois principaux partisans du syndicat, et son congédiement est survenu le jour même où la demande d’accréditation a été présentée, et ce, en dépit du fait qu’une mesure disciplinaire officielle avait déjà été prise contre lui en conséquence de l’incident qui aurait donné lieu au congédiement.

[256] Le moment du congédiement est également suspect, puisqu’il était évident, à ce moment, que l’employeur savait que les employés posaient des questions au sujet de la syndicalisation, et que M. Deol en particulier avait abordé certaines de ces questions lors de sa réunion de routine avec le personnel. Dans le cas de M. Bunse, le congédiement est survenu dès le lendemain du congédiement de M. Ali, et le lendemain du jour où M. Bunse affirme avoir parlé aux employés pour tenter d’apaiser leurs craintes et pour les encourager à continuer d’appuyer le syndicat malgré les mesures prises par l’employeur.

[257] Le Conseil conclut par conséquent que l’employeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que sa décision de congédier M. Bunse était totalement étrangère aux activités syndicales de celui‑ci.

VI. Conclusion

[258] Comme l’indique sa jurisprudence, le Conseil dispose rarement d’éléments de preuve directs témoignant d’un sentiment antisyndical, et le Conseil peut donc examiner la preuve circonstancielle pour en tirer des conclusions, en situant tous les éléments dans leur contexte à la lumière des circonstances globales de chaque affaire.

[259] Ayant examiné séparément chacun des congédiements, le Conseil ne peut s’empêcher de constater une répétition dans la conduite de l’employeur en l’espèce. La proximité dans le temps des trois congédiements établit de façon convaincante l’existence d’un sentiment antisyndical. Les trois congédiements ont eu lieu sur une période d’une semaine, laquelle se trouve avoir été la semaine finale de la campagne de syndicalisation, avant la présentation de la demande d’accréditation le 9 février 2017. Il se trouve que les trois employés congédiés étaient les trois principaux organisateurs et partisans du syndicat, lesquels avaient discuté activement de la syndicalisation avec les employés et sollicité leur adhésion au cours de la période en question. À la connaissance du Conseil, aucun autre employé n’a été congédié pendant cette période.

[260] Ces trois congédiements sont survenus très soudainement et étaient liés à un incident ou à une conduite qui, semble-t-il, a pris une importance quelque peu exagérée. Dans les trois cas, l’employeur n’a pas clairement établi que l’inconduite alléguée s’était produite ou allait à l’encontre des règles disciplinaires de l’employeur, telles qu’elles ont été décrites ou telles qu’elles sont énoncées dans le manuel de l’employé de CSA.

[261] Il n’a été démontré dans aucun des trois cas qu’une enquête adéquate avait été menée pour confirmer les faits et les circonstances entourant la conduite alléguée. Des personnes clés qui auraient pu faire la lumière sur ces incidents n’ont pas été consultées au moment des faits. En particulier, M. Gallicano, le superviseur du matin, a été mêlé à deux des trois incidents, mais il n’a été ni questionné ni consulté au moment des inconduites alléguées. Il n’a pas non plus été appelé à témoigner dans la présente affaire pour expliquer les incidents en cause ou donner son point de vue à leur égard.

[262] Dans deux des trois cas, à savoir les congédiements de MM. Ali et Bunse, des mesures disciplinaires ont été prises au moment de l’inconduite, ou une réprimande moins sévère a été infligée, mais par la suite, Mme Huebsch a soudainement décidé qu’il fallait les congédier pour la même raison, sans qu’une enquête ou des consultations plus poussées aient été menées.

[263] Il est allégué dans les trois cas que des « problèmes » antérieurs relatifs au rendement au travail, comme des problèmes d’attitude ou d’assiduité, étaient mentionnés au dossier disciplinaire de l’employé. Toutefois, chacun des trois employés a contesté que des mesures disciplinaires avaient été prises ou que des mises en garde leur avaient été données avant le congédiement relativement à ces problèmes ou à ces situations excepté en ce qui concerne des mesures disciplinaires antérieures qui avaient été consignées et qui ne sont pas liées à la présente affaire, comme les incidents du traîneau de manutention et du chariot élévateur. Qui plus est, l’employeur a été incapable de fournir des documents qui auraient confirmé qu’il avait déjà constaté de tels problèmes, qu’ils avaient fait l’objet de discussions avec les employés, ou qu’ils étaient mentionnés dans leurs dossiers disciplinaires.

[264] Dans deux des trois cas, la preuve est contestée ou contradictoire en ce qui concerne les motifs de congédiement et la raison donnée à l’employé au moment où il a été congédié. Mme Huebsch a indiqué qu’elle avait enjoint à M. Deol de congédier M. Ayles, mais elle ne se souvenait pas si elle lui avait dit pourquoi. M. Deol avait à l’époque donné à M. Ayles une raison complètement différente de celle qui est maintenant alléguée par l’employeur et, en particulier, par Mme Huebsch. Dans le cas de M. Bunse, M. Deol ne pouvait même pas se souvenir si c’était lui qui l’avait congédié, ou si c’était en fait M. Huber, et il ne se rappelle pas exactement ce qui a été dit. M. Bunse a déclaré qu’on ne lui avait pas donné de raison du tout, si ce n’est que M. Huber s’était fait dire de le congédier.

[265] Si l’employeur était d’avis que l’inconduite de chacun des employés était si grave et si préoccupante qu’elle justifiait leur congédiement, on peut penser que les motifs des congédiements auraient été établis et communiqués plus clairement. Le fait qu’ils ne l’ont pas été porte le Conseil à se demander si les motifs allégués étaient les véritables motifs des congédiements, ou simplement des motifs qui ont été donnés pour maquiller ou légitimer des congédiements découlant de motifs antisyndicaux, auxquels l’employeur a procédé au moment où la campagne de syndicalisation atteignait son apogée et où l’employeur en apprenait l’existence.

[266] Qui plus est, dans les trois cas, la procédure disciplinaire habituelle ou appropriée, telle qu’elle est établie dans le manuel de l’employé, n’a pas été suivie. Par exemple, on ne constate dans aucun des cas une série de mesures disciplinaires progressives qui auraient été consignées et auraient abouti au congédiement. En outre, il n’y a eu dans aucun des cas consultation avec d’autres dirigeants de l’entreprise ou avec le premier dirigeant, et c’est Mme Huebsch qui a à elle seule pris la décision de procéder aux congédiements, ce qu’elle a apparemment fait très rapidement et soudainement. Il n’y a eu, dans aucun des cas, une lettre de congédiement qui aurait été rédigée ou remise à l’employé et qui aurait expliqué les motifs du congédiement.

[267] Il est frappant que les trois congédiements se soient déroulés de la même façon ou selon une façon de procéder similaire et soient survenus au cours d’une seule semaine, pendant la campagne de syndicalisation. Comme le Conseil l’a affirmé dans Air Atlantic Limited, précitée, les employeurs sont souvent capables de justifier leurs décisions. Cependant, l’expérience démontre que de telles justifications sont surtout invoquées lorsque l’employé tente d’exercer les droits qui lui sont acquis en vertu du Code. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, il semble au Conseil que c’est ce que l’employeur a tenté de faire en l’espèce.

[268] L’employeur soutient néanmoins qu’il ignorait qu’une campagne de syndicalisation était en cours au moment des congédiements et, en particulier, que Mme Huebsch, qui travaillait à Toronto et non à Surrey, n’était pas au courant de la campagne de syndicalisation ni du fait que ces trois employés en particulier y participaient. Selon leurs témoignages, M. Deol et Mme Huebsch n’ont appris l’existence de la campagne de syndicalisation qu’au moment où l’Avis aux employés du Conseil a été affiché, le 9 février 2017.

[269] Quoi qu’il en soit, des discussions générales concernant la syndicalisation avaient commencé à l’automne 2016, et la campagne pour solliciter l’adhésion des employés a été entreprise sérieusement à la fin janvier. La preuve démontre que Mme Huebsch était à l’entrepôt de Surrey au cours de la semaine du 16 au 20 janvier 2017, alors que la campagne de syndicalisation se mettait en branle. Par ailleurs, M. Deol, qui était en contact quotidiennement avec la majorité des employés de l’entrepôt, a, au plus tard, été mis au courant de discussions concernant la syndicalisation le ou vers le 8 février 2017. Il a lui-même témoigné que des employés avaient posé des questions concernant les avantages de la syndicalisation au cours d’une de ses réunions de routine avec le personnel et qu’il avait répondu à certaines de leurs questions, leur disant que des cotisations syndicales devraient être versées et qu’ils devaient prendre cette décision eux-mêmes.

[270] M. Deol a communiqué fréquemment avec Mme Huebsch au cours de cette période, et ils ont discuté des congédiements de MM. Ayles, Ali et Bunse. M. Ayles a par ailleurs témoigné que M. Fallick, le premier dirigeant de l’employeur, était à l’entrepôt le 3 février 2017, soit le jour où M. Ayles a été congédié.

[271] En plus du témoignage de M. Deol, il y a également eu le témoignage de M. Goss, qui a confirmé qu’il y avait eu des discussions au sujet du syndicat entre les employés. Il était lui aussi présent à la réunion du personnel durant laquelle la question de la syndicalisation avait été soulevée en présence de M. Deol. M. Goss a également témoigné qu’il était au courant des congédiements de MM. Ayles et Ali. M. Ayles a en outre témoigné qu’il croyait que d’autres personnes étaient au courant des activités du syndicat, car certains chauffeurs avaient commencé à l’éviter.

[272] Le lieu de travail est relativement petit, et les rumeurs sont très susceptibles de s’y répandre rapidement, ou les paroles d’être entendues par des tiers, et s’il y avait dans le terminal des employés défavorables au syndicat, il n’est pas déraisonnable de penser que l’un ou plusieurs d’entre eux pourraient avoir informé l’employeur des activités syndicales qui se déroulaient alors.

[273] De l’avis du Conseil, il n’est pas déraisonnable de conclure, à la lumière de l’ensemble des circonstances, que l’employeur avait en fait une certaine connaissance de la campagne de syndicalisation et savait qui étaient les principaux partisans, ni de conclure qu’un sentiment antisyndical est intervenu dans les décisions prises par l’employeur de congédier les trois principaux organisateurs cette semaine-là.

[274] À la lumière de tout ce qui précède, de son évaluation de la preuve et des conclusions qu’il a tirées, le Conseil conclut que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que les congédiements étaient exempts de tout sentiment antisyndical. Le Conseil conclut que l’employeur a contrevenu au sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code.

VII. Redressements

[275] Ayant conclu que l’employeur a contrevenu au sous-alinéa 94(3)a)(i) du Code, le Conseil a examiné les nombreux redressements demandés par le syndicat, et il a rendu les ordonnances et formulé les déclarations contenues dans sa décision sommaire 669779 Ontario limitée s/n CSA Transportation (LD 3845), précitée, qui sont reproduites ci-dessous :

1) le Conseil déclare que l’employeur a contrevenu à l’alinéa 94(3)a) du Code en congédiant MM. Ayles, Ali et Bunse;

2) le Conseil enjoint à l’employeur de réintégrer MM. Ayles, Ali et Bunse sur-le-champ dans les postes qu’ils occupaient au moment de leur congédiement, si ceux-ci le souhaitent, selon les conditions qui étaient auparavant les leurs;

3) le Conseil enjoint à l’employeur d’indemniser chacun des employés susmentionnés pour le salaire qu’ils auraient touché et les autres avantages sociaux dont ils auraient bénéficié de la date de leur congédiement à celle de leur réintégration, moins toute rémunération touchée au cours de la période indemnisable et qui sera prise en compte au titre de l’atténuation des pertes, le cas échéant;

4) le Conseil enjoint à l’employeur d’afficher sur des babillards répartis dans tout l’entrepôt un Avis semblable à celui qui est joint à la présente, qui confirmera le droit des employés à la liberté d’association et leur droit de se joindre au syndicat de leur choix, et qui les informera de la violation des dispositions du Code par l’employeur. Cet avis devra demeurer affiché pour une période de soixante (60) jours à compter du 21 août 2017;

5) le Conseil accueille la demande présentée par le syndicat afin d’obtenir une accréditation immédiate, et il ordonne que les bulletins de vote du scrutin tenu le 22 février 2017 soient détruits 30 jours après la date à laquelle la présente décision a été rendue. Les parties trouveront ci-joint l’ordonnance d’accréditation du Conseil.

(pages 3-4)

[276] Deux aspects des redressements ordonnés par le Conseil méritent d’être commentés.

A. Réintégration de M. Ayles

[277] L’employeur a fait valoir que, si le Conseil concluait à une violation de l’alinéa 94(3)a) et envisageait la réintégration des employés congédiés, il devrait envisager une mesure de redressement différente dans le cas de M. Ayles.

[278] Le procureur de l’employeur a fait valoir qu’en raison de son casier judiciaire, M. Ayles ne serait pas admissible à un cautionnement, ce qui le rendait inhabile à travailler dans un entrepôt sécurisé. En outre, le procureur a affirmé qu’en raison de son casier judiciaire, M. Ayles représente un risque pour la sécurité de l’employeur et pour son statut et sa licence au titre du PEP. Par conséquent, si le Conseil devait réintégrer M. Ayles, l’employeur se verrait contraint de le congédier ou de le mettre en congé administratif.

[279] Le Conseil a pris cet argument en considération lorsqu’il a élaboré la mesure de redressement qu’il a ordonnée eu égard à M. Ayles. Toutefois, le Conseil est d’avis que la conduite illégale de l’employeur, relativement au congédiement de M. Ayles, justifiait que celui-ci soit réintégré, afin de redresser la violation du Code commise par l’employeur. Bien que le Conseil comprenne que l’employeur puisse considérer cette situation comme problématique, il doit lui revenir de résoudre ce problème. L’employeur ne semble pas avoir été préoccupé au point de procéder à une vérification du casier judiciaire au moment où il a embauché M. Ayles, et il devra examiner les options qui s’offrent à lui à partir de maintenant. Le Conseil, cependant, doit envisager les mesures de redressement à la lumière des objectifs du Code, et en conformité avec ceux-ci, et il est d’avis qu’en l’espèce, la réintégration constitue la mesure de redressement appropriée.

B. Accréditation à titre de redressement aux termes de l’article 99.1

[280] La décision du Conseil d’accueillir la demande d’accréditation à titre de redressement présentée par le syndicat, et de refuser de procéder au dépouillement du scrutin de représentation tenu le 22 février 2017, mérite également d’être plus amplement expliquée.

[281] Dans sa demande, le syndicat a demandé au Conseil de l’accréditer en vertu de l’article 99.1 du Code, qui prévoit ce qui suit :

99.1 Le Conseil est autorisé à accorder l’accréditation même sans preuve de l’appui de la majorité des employés de l’unité si l’employeur a contrevenu à l’article 94 dans des circonstances telles que le Conseil est d’avis que, n’eût été la pratique déloyale ayant donné lieu à la contravention, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité des employés de l’unité.

[282] L’accréditation à titre de redressement en vertu de l’article 99.1 du Code est une forme de redressement extraordinaire, que le Conseil peut accorder lorsqu’il estime que les circonstances le justifient. De façon générale, une telle mesure de redressement vise à dissuader un employeur d’employer des tactiques illicites, en le privant du fruit de son inconduite et en tentant par ailleurs de redresser les préjudices que sa conduite a causés, eu égard à la capacité des employés de choisir librement et volontairement s’ils souhaitent ou non être représentés par un syndicat. L’article 99.1 a été ajouté au Code en 1999, à la suite d’un examen exhaustif de la partie I du Code et d’un processus de consultation entrepris par un groupe de travail dirigé par Andrew Sims. Le rapport du groupe de travail Sims, Vers l’Équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995 (le rapport Sims), et les recommandations qu’il contient, sont riches en enseignements sur la raison d’être de la disposition que le législateur a finalement adoptée.

[283] Le groupe de travail avait remarqué que dans certaines situations, les efforts déployés par des employés pour se syndiquer se heurtent à une forte opposition des employeurs, à un point tel qu’il devient impossible d’évaluer la volonté véritable des employés, du fait que ceux-ci craignent des représailles. Le groupe de travail a donc recommandé que, dans ces situations plutôt exceptionnelles où l’employeur se conduit d’une façon inadmissible, et lorsque, n’eût été cette conduite de l’employeur, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité, le Conseil devrait avoir le pouvoir d’accorder l’accréditation sans preuve de l’appui de la majorité des employés. Le groupe de travail a exprimé son point de vue en ces termes :

Accréditation : remède aux pratiques de travail déloyales

Dans certains cas, l’employeur s’oppose énergiquement aux tentatives des employés de se syndiquer, à tel point qu’il devient vraiment impossible de déterminer si la majorité des employés désirent adhérer à un syndicat. Les pratiques de travail déloyales, comme le congédiement de syndicalistes connus, peuvent déjouer les efforts déployés par le syndicat et empêcher ce dernier d’obtenir l’appui de la majorité des employés. Dans les cas extrêmes, il peut même être inutile de tenir un scrutin parce que les employés craignent des représailles. Au Canada, les codes du travail laissent en général aux conseils le soin de décider s’il convient d’accorder l’accréditation, même sans preuve de l’appui de la majorité des employés, lorsque l’employeur a par une conduite illicite empêché les employés de manifester leur appui.

L’objectif visé ici est double : premièrement, dissuader les rares employeurs qui ont recours à l’intimidation d’agir ainsi; deuxièmement, donner aux employés la représentation qu’ils auraient obtenue, n’eût été de la conduite de l’employeur.

Les syndicats nous ont vivement conseillé de recommander que l’on donne au Conseil le pouvoir d’accorder l’accréditation dans des cas semblables. Nous souscrivons à cette proposition, mais à certaines conditions. Une telle mesure ne devrait être prise qu’à titre exceptionnel, et uniquement lorsque la conduite de l’employeur est tout à fait inacceptable. L’accréditation devrait être accordée si l’on constate le recours à une pratique de travail déloyale de la part de l’employeur et si l’on juge que, sans l’intervention de l’employeur, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité des membres de l’unité de négociation.

Recommandations :

Que la loi confère explicitement au Conseil un pouvoir discrétionnaire lui permettant de remédier à une pratique de travail déloyale en accordant l’accréditation, même sans preuve de l’appui de la majorité des employés, dans les cas où il est raisonnable de croire que, n’eût été de cette pratique déloyale, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité des membres de l’unité de négociation. 

(pages 71-72; c’est nous qui soulignons)

[284] Le libellé de l’article 99.1 montre que le législateur a, pour l’essentiel, adopté la recommandation du groupe de travail à cet égard. Il a créé un pouvoir de redressement exceptionnel qui n’était pas illimité, mais visait à remédier à certaines circonstances particulières. Ce pouvoir a pour objet de remédier aux situations dans lesquelles la conduite d’un employeur fait en sorte qu’il est impossible de déterminer la volonté réelle des employés et le niveau d’appui dont bénéficie le syndicat au moyen des méthodes habituelles, c’est-à-dire au moyen d’une preuve d’adhésion ou d’un scrutin de représentation. Lorsque la conduite d’un employeur rend inefficaces ou peu fiables ces moyens de vérifier l’appui des employés, le Conseil peut avoir recours à un tel redressement en vertu de l’article 99.1, et l’accréditation peut être accordée sans que l’appui de la majorité ait été démontré. Toutefois, cela ne peut être fait que si le Conseil peut également conclure que, n’eût été la conduite illégale, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité.

[285] La question suivante qu’il faut trancher est celle-ci : Quel genre de conduite d’un employeur fait en sorte que la volonté véritable des employés et le niveau d’appui deviennent impossibles à déterminer au moyen des méthodes habituelles? Deux types de conduites qui pourraient avoir des conséquences, dans les affaires de ce genre, seraient de congédier les organisateurs syndicaux connus, comme le mentionnait le rapport Sims, ou de faire peser des menaces sur la sécurité d’emploi et les conditions de travail des employés, comme la perte d’avantages sociaux, ou des licenciements, des interruptions des activités ou des fermetures d’établissement. Toutefois, il n’y a pas de critères préétablis et, dans chaque affaire, le Conseil doit se pencher sur la nature et la gravité de la conduite illégale de l’employeur ainsi que sur ses répercussions probables sur les employés et sur leur capacité d’exprimer librement leur volonté véritable, compte tenu des circonstances particulières.

[286] Depuis que l’article 99.1 a été ajouté au Code, le Conseil n’a exercé qu’une seule fois le pouvoir discrétionnaire conféré par cet article d’accorder l’accréditation à titre de redressement, dans Transx Ltd. (46), précitée. Dans une décision initiale, Transx Ltd. (LD 44), précitée, le Conseil avait conclu que l’employeur avait contrevenu aux paragraphes 94(1) et 94(3) ainsi qu’à l’article 96 du Code, parce qu’il avait, entre autres choses, congédié des organisateurs syndicaux connus pour des motifs antisyndicaux. À titre de redressement, le Conseil avait rendu une ordonnance d’interdiction afin que l’employeur cesse de porter atteinte aux droits des employés, il avait ordonné que les employés congédiés soient réintégrés avec indemnisation pour le salaire et les avantages perdus, et il avait ordonné que l’employeur permette que des réunions syndicales soient tenues pendant les heures de travail, et ce, dans les locaux de l’entreprise ou à tout autre endroit choisi par le syndicat, aux frais de l’employeur. Le Conseil avait aussi ordonné la tenue d’un scrutin de représentation.

[287] À la suite de cette décision du Conseil, le syndicat avait présenté une seconde plainte, dans laquelle il alléguait que l’employeur continuait de contrevenir au Code par ses activités antisyndicales. Dans Transx Ltd. (46), précitée, le Conseil avait conclu que l’employeur avait embauché des détectives privés pour surveiller les activités de certains employés qui prenaient part aux activités syndicales, et que ces employés avaient été la cible de congédiements, pour la seconde fois dans certains cas. L’employeur n’avait pas non plus respecté d’autres aspects de l’ordonnance de redressement initiale du Conseil. Ayant conclu à la continuation des violations du Code pour des motifs antisyndicaux, ainsi qu’à l’inobservation de ses ordonnances, le Conseil avait en fin de compte accordé l’accréditation à titre de redressement et décidé que le scrutin qu’il avait ordonné dans sa décision précédente ne serait pas dépouillé.

[288] Le Conseil, lorsqu’il s’est penché sur la demande d’accréditation à titre de redressement présentée par le syndicat, avait conclu que les circonstances de l’affaire correspondaient à celles que visait clairement l’article 99.1. Estimant aussi que le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité, le Conseil avait conclu que les conditions de l’article 99.1 étaient remplies.

[289] Pour en arriver à cette conclusion, le Conseil s’était demandé si la nature et la gravité de l’inconduite de l’employeur avaient suscité un climat dans lequel les employés craignaient que l’employeur use de représailles s’ils manifestaient leur appui au syndicat, à tel point que les résultats du scrutin tenu ne rendraient pas compte de la volonté véritable des employés. Dans Transx Ltd. (46), précitée, le Conseil avait expliqué ainsi son raisonnement :

[127] Il a notamment été démontré au Conseil que les actions de l’employeur, dont le congédiement récent de syndiqués, avaient suscité parmi les employés la crainte de représailles de la part de l’employeur s’ils étaient reconnus comme des partisans du syndicat. La preuve a démontré que l’employeur déménagerait peut-être ses bureaux en cas de syndicalisation. En outre, le banc initial a conclu que l’employeur avait enfreint les paragraphes 94(1) et 94(3) et l’article 96 du Code en congédiant bon nombre d’employés.

[128] Par conséquent, le Conseil doit examiner non pas une, mais deux séries de congédiement.

[129] Certains éléments de preuve ont convaincu le présent banc que l’employeur n’avait pas respecté l’ordonnance du 10 mai 1999 de l’ancien Conseil.

[130] L’employeur a pris au travail de nombreuses mesures d’intimidation, y compris la surveillance clandestine d’employés, qui, dans les circonstances, semblent avoir été motivées par un sentiment antisyndical et avoir eu pour but de trouver des motifs pour congédier les partisans du syndicat.

[131] La preuve a également démontré que l’agent négociateur jouissait d’un appui considérable tant avant qu’après la première série de congédiements. Toutefois, il ne fait pas de doute que, en raison des congédiements, du refus de se conformer promptement aux ordonnances du Conseil, des mesures prises contre les syndiqués au travail et de l’insinuation que les bureaux fermeraient en cas de syndicalisation, le risque est grand qu’un scrutin ne traduirait pas les désirs véritables des employés. Dans les circonstances, le présent Conseil estime que, n’eût été les pratiques déloyales de travail, la section locale no 31 des Teamsters aurait raisonnablement pu s’attendre à obtenir l’appui de la majorité des employés.

[290] Malgré l’absence de preuve quant à l’appui de la majorité, le Conseil avait donc accrédité le syndicat, « en vue de dissuader l’employeur de continuer de contrevenir à l’article 94 et de tenter de corriger les torts déjà causés à la liberté de choix des employés » par les violations du Code commises par l’employeur.

[291] Par contraste, dans Hameau de Kugaaruk, 2010 CCRI 502, le Conseil avait refusé d’accorder l’accréditation à titre de redressement après avoir constaté qu’une lettre envoyée par le Hameau à ses employés outrepassait les communications permises sous le régime du Code et constituait une intervention dans la relation du syndicat avec ses membres au cours d’un processus d’accréditation, en violation du sous-alinéa 94(3)a)(i) et de l’alinéa 94(1)a) du Code. Dans cette affaire, une lettre avait été envoyée aux employés, dans laquelle on donnait à entendre qu’ils pourraient être privés de certaines pratiques de travail avantageuses et de certaines primes s’ils adhéraient au syndicat. Toutefois, la preuve démontrait également qu’après avoir appris de quelle teneur était la lettre envoyée par l’agent administratif, le Hameau s’était rétracté et avait adressé des excuses écrites aux employés.

[292] Dans Hameau de Kugaaruk, précitée, aucun organisateur syndical n’avait été congédié, et la communication interdite susmentionnée n’était assortie d’aucune menace de congédiement ou de licenciement. En outre, cette communication écrite avait été suivie d’une rétractation, il avait été garanti aux employés qu’aucune perte de la nature de celles qui étaient mentionnées dans la lettre ne surviendrait si un scrutin était favorable à la syndicalisation, et des excuses écrites avaient été adressées aux employés. On peut à juste titre affirmer que le Conseil a estimé que ces circonstances ne créaient pas un climat de crainte de représailles de la part de l’employeur semblable à celui qui planait dans l’affaire Transx Ltd. (46), précitée.

[293] Il est peut-être encore plus important de souligner que, dans Hameau de Kugaaruk, précitée, le Conseil avait déjà accrédité le syndicat, sur le fondement d’une démonstration de l’appui de la majorité des employés au moyen d’une preuve d’adhésion présentée avec la demande d’accréditation. Il ne s’agissait pas d’une situation dans laquelle la conduite de l’employeur rendait la volonté des employés difficile ou impossible à vérifier, ce qui constitue la situation qu’une accréditation à titre de redressement vise à corriger. Ainsi, il n’y avait pas lieu, dans ces circonstances, de recourir à une accréditation à titre de redressement en vertu de l’article 99.1.

[294] C’est bien souvent cette situation qui s’observe dans les affaires dont est saisi le Conseil, lequel emploie depuis longtemps un système d’accréditation fondé sur des cartes d’adhésion présentées par le syndicat avec sa demande d’accréditation comme preuve de l’appui de la majorité. Selon ce système de cartes, un scrutin de représentation n’est pas obligatoire, et le Conseil peut accréditer un syndicat si ce dernier est en mesure de présenter une preuve d’adhésion suffisant à démontrer qu’il a l’appui de la majorité. Si la preuve d’adhésion témoigne déjà du fait qu’il a l’appui de la majorité, le syndicat n’aura pas besoin de demander l’accréditation à titre de redressement en conséquence de l’inconduite de l’employeur.

[295] Ce système de carte était également en vigueur à l’époque où l’affaire Transx Ltd. (46), précitée, a été tranchée, mais un scrutin avait été ordonné parce que le niveau d’appui dont rendait compte la preuve d’adhésion présentée avec la demande se situait seulement entre 35 % et 50 %. Dans les circonstances de cette affaire, le syndicat était incapable de démontrer qu’il avait l’appui de la majorité au moyen de la preuve d’adhésion, et il affirmait que c’était en raison des effets dissuasifs de l’inconduite de l’employeur. Le Conseil était donc incapable d’accorder l’accréditation sur le fondement des cartes, et il était tenu d’ordonner un scrutin de représentation. Dans ces circonstances, le Conseil devait évaluer les répercussions de la conduite illégale de l’employeur sur la volonté des employés, et examiner si les résultats du scrutin rendraient compte de la volonté véritable de ceux-ci. Le Conseil avait conclu que ce ne serait pas le cas dans cette affaire.

[296] Pendant une brève période, de 2015 à 2017, des dispositions modifiées du Code ont été en vigueur, de sorte que le scrutin de représentation était obligatoire pour toute demande d’accréditation. Pendant que ce système était en vigueur, le Conseil ne pouvait accréditer un syndicat sur le fondement d’un appui de la majorité démontré au moyen des cartes d’adhésion, et la loi exigeait qu’il tienne un scrutin de représentation afin que l’appui de la majorité à l’égard du syndicat demandeur soit établi (ou confirmé). Un scrutin devait être ordonné dès lors que la preuve d’adhésion présentée avec la demande démontrait un appui de plus de 40 %. Pendant que ce système était en vigueur, il pouvait être plus fréquent que le Conseil doive vérifier si les résultats d’un scrutin traduisaient la volonté réelle des employés, compte tenu d’une inconduite de l’employeur.

[297] C’est au cours de cette brève période durant laquelle le scrutin était obligatoire en vertu du Code que la présente demande d’accréditation a été présentée. Bien que le Code ait depuis été modifié et que le Conseil soit revenu au système d’accréditation fondé sur les cartes d’adhésion, la présente demande d’accréditation et la plainte de PDT connexe sont régies par les dispositions du Code qui étaient alors en vigueur, y compris en ce qui concerne le système d’accréditation fondé sur le scrutin de représentation obligatoire.

[298] C’est sur le fondement de tous ces principes qu’il a été demandé au Conseil, en l’espèce, d’envisager d’appliquer l’article 99.1, afin d’accorder l’accréditation à titre de redressement en conséquence des pratiques déloyales de travail auxquelles l’employeur a eu recours.

[299] Dans la présente affaire, la preuve démontre – et le Conseil a déjà conclu – que l’employeur a enfreint l’article 94 du Code. Le Conseil a conclu que l’employeur a contrevenu au sous-alinéa 94(3)a)(i) lorsqu’il a congédié successivement, pendant la campagne de syndicalisation, et sous l’influence d’un sentiment antisyndical, les trois principaux organisateurs syndicaux travaillant pour l’entreprise.

[300] À la lumière de la preuve présentée, le Conseil a pu conclure que l’employeur était au courant des activités syndicales qui se déroulaient avant que la demande d’accréditation soit présentée et qu’il connaissait l’identité des organisateurs syndicaux. Un système a alors été élaboré, selon lequel le principal organisateur au service de l’entreprise était congédié et, dès qu’un autre employé le remplaçait, celui-ci se faisait congédier à son tour. Les trois congédiements ont eu lieu pendant la campagne de syndicalisation, le dernier étant survenu le jour même où la demande d’accréditation a été présentée. Ils se sont tous produits au cours d’une très brève période d’environ une semaine. Il était évident aux yeux du Conseil que les organisateurs travaillant pour l’entreprise étaient ciblés par l’employeur dans le cadre d’une stratégie visant à intimider les employés et à faire passer un message selon lequel les employés prenant part aux activités du syndicat seraient exposés à la perte de leur emploi ou à d’autres conséquences graves.

[301] Il convient de souligner que, dans la présente affaire, le lieu de travail était petit, et que l’unité de négociation proposée n’était composée que d’une quinzaine d’employés. L’incidence du congédiement des trois principaux organisateurs d’un effectif aussi peu nombreux, au cours d’une période aussi brève et pendant la brève période durant laquelle la campagne s’est déroulée, ne pouvait vraisemblablement qu’avoir une incidence considérable sur les employés restants. Le Conseil a été convaincu qu’une telle combinaison de facteurs et de mesures prises par l’employeur a occasionné un climat d’appréhension parmi les employés restants et a eu un effet très dissuasif sur la volonté des employés de manifester leur appui à l’égard du syndicat dans le cadre du vote imminent.

[302] Encore une fois, selon le régime qui était alors en vigueur, le scrutin de représentation était obligatoire dans le cadre de toute demande d’accréditation. Ainsi, malgré le niveau d’appui dont rendaient compte les cartes d’adhésion présentées avec la demande d’accréditation, un scrutin de représentation devait tout de même être tenu. Or, la preuve a démontré que les employés se présenteraient au scrutin en sachant que, s’ils appuyaient le syndicat, ils pourraient subir le même sort que les organisateurs syndicaux et perdre leur emploi, ou subir d’autres préjudices sous forme d’une détérioration de leurs conditions de travail. Dans ces circonstances, le Conseil a conclu que les résultats du scrutin qui avait été ordonné le 22 février 2017 ne traduiraient probablement pas la volonté réelle des employés.

[303] Finalement, le Conseil a également été convaincu, à la lumière des faits de la présente affaire et de la preuve d’adhésion suffisante qui lui a été présentée à l’appui de la demande d’accréditation, que, n’eussent été les mesures prises par l’employeur, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité des employés de l’unité. Les conditions qui justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil en vertu de l’article 99.1 du Code – lequel article permet au Conseil d’accréditer un syndicat sans que l’appui de la majorité ait été démontré conformément à la méthode prévue par la procédure d’accréditation établie dans le Code au moment de la présentation de la demande – sont remplies dans les circonstances de la présente affaire.

[304] Comme le Conseil l’a déclaré dans Transx Ltd. (46), précitée, il préférerait que l’accréditation soit fondée sur l’exercice du libre choix des employés. Toutefois, lorsque, comme dans la présente affaire, un employeur a, par ses actions contrevenant au Code, sérieusement compromis ou infléchi le libre choix des employés, le Conseil accrédite le syndicat en l’absence d’une preuve d’appui de la majorité si, n’eussent été les violations du Code par l’employeur, le syndicat aurait vraisemblablement obtenu l’appui de la majorité.

[305] Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil a ordonné, en vertu de l’article 99.1 du Code, que le syndicat soit accrédité à titre d’agent négociateur de l’unité proposée.

[306] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

Traduction

 

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Patric F. Whyte

Vice-président

 

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Richard Brabander

Membre

 

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Norman Rivard

Membre

 

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