Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Jonathan André Leclerc,

requérant,

et

Banque Laurentienne du Canada,

employeur,

et

Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 32366-C

Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ,

plaignant,

et

Banque Laurentienne du Canada,

intimée.

Dossier du Conseil : 32370-C

Référence neutre : 2018 CCRI 869

Le 6 février 2018

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) est composé de Me Louise Fecteau, Vice-présidente, ainsi que de Mes Lisa Addario et Richard Brabander, Membres.

Ont comparu

Me Irving Gaul, pour M. Jonathan André Leclerc;

Me Michel A. Brisebois, pour la Banque Laurentienne du Canada;

Me Claude Tardif, pour le Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Louise Fecteau, Vice-présidente.

[1] Lors de la journée d’audience du 12 janvier 2018, Me Irving Gaul, procureur de M. Jonathan André Leclerc (requérant), a formulé une objection quant à la preuve présentée dans le cadre de l’interrogatoire principal effectué envers le témoin, M. Francis Périard, par MClaude Tardif, procureur du Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ (le syndicat).

[2] Les questions que Me Tardif a posées au témoin Périard, et qui ont mené à l’objection formulée par Me Gaul sont les suivantes :

Me Tardif : Avez-vous rencontré Me Gaul avant aujourd’hui?

Témoin Périard : Oui

Me Tardif : Dans quelle optique?

Me Gaul : Objection. Il s’agit d’une relation privilégiée. Le témoin Périard a admis m’avoir consulté et le procureur Me Tardif veut connaître la teneur de notre conversation et cela est couvert par le secret professionnel de l’avocat.

[3] L’objection de Me Gaul porte sur l’admissibilité en preuve des communications entretenues entre le témoin Périard et le procureur du requérant, dans le cadre de la préparation des dossiers en litige. Ces communications sont-elles protégées par le privilège relatif au litige ou par le secret professionnel?

I. Positions des parties

A. Me Irving Gaul, procureur du requérant

[4] Bien que Me Gaul ait invoqué le secret professionnel de l’avocat lors de l’objection verbale qu’il a soulevée à l’audience, il fait valoir dans ses observations écrites que son objection est liée à la notion de « la protection du privilège relatif au litige », telle qu’elle a été développée en common law. À cet effet, il renvoie le Conseil à une décision récente de la Cour suprême du Canada (la Cour suprême) dans l’arrêt Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, 2016 CSC 52; [2016] 2 R.C.S. 521.

[5] Me Gaul soutient que, à la lumière de cette décision, le privilège relatif au litige englobe tant les communications écrites que verbales avec des tiers identifiés comme témoins dans la préparation à un litige.

[6] Me Gaul fait valoir que, dans la présente instance, il a appelé M. Périard à titre de témoin du syndicat et que c’est dans ce contexte qu’il l’a rencontré afin de discuter de son témoignage. À cette occasion, il a entretenu des communications verbales avec le témoin Périard. En cela, indique le procureur, il s’agit d’une situation analogue à celle énoncée dans l’arrêt Lizotte, précité.

[7] Se référant toujours à l’arrêt Lizotte, précité, Me Gaul ajoute que le privilège relatif au litige est une notion fondamentale qui doit trouver son application dans toute affaire de nature contradictoire et judiciaire et qui s’applique aux règles de droit mises en place devant le Conseil dans la présente affaire.

[8] Me Gaul conclut que, tant dans la présentation de la preuve du témoin Périard que durant son interrogatoire, le procureur du syndicat ne peut pas poser de questions visant les communications verbales ou écrites entretenues entre Me Gaul et le témoin dans le cadre de la préparation au litige, car celles-ci sont inadmissibles en preuve et sont protégées par le privilège relatif au litige.

[9] Me Gaul demande au Conseil de déclarer que les communications verbales et écrites entretenues entre lui et le témoin Périard sont protégées par le privilège relatif au litige, car elles ont été établies dans le cadre de la préparation à l’audience devant le Conseil.

B. Me Claude Tardif, procureur du syndicat

[10] D’entrée de jeu, Me Tardif soutient que le témoin Périard n’est pas un tiers dans les présents dossiers; il agit plutôt à titre de représentant collectif, par l’effet du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) et du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), à titre de partie demandant la révocation de l’ordonnance d’accréditation. Me Tardif soutient que les intérêts de M. Périard, qui a d’ailleurs admis en audience avoir signé une déclaration confidentielle suivant l’article 36 du Règlement en vue d’obtenir la révocation de l’ordonnance d’accréditation du syndicat, sont aussi représentés par Me Gaul, procureur du requérant.

[11] Concernant les règles ou principes relatifs au secret professionnel, Me Tardif renvoie le Conseil à l’arrêt Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647, de la Cour suprême, pour faire valoir que l’application du secret professionnel exige une relation entre un avocat et son client.

[12] Il fait référence à un autre arrêt, R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, au paragraphe 50, pour appuyer son argument voulant que la Cour suprême ne reconnaît pas l’ensemble des services rendus par un avocat comme étant soumis au secret professionnel.

[13] Me Tardif fait valoir que, dans la présente instance, le procureur du requérant a fait défaut d’établir que le secret professionnel trouvait une application. Il estime qu’il est nécessaire que les questions posées au témoin aient trait à des communications jugées confidentielles et établies dans le but d’obtenir des conseils juridiques. Il ajoute qu’au stade des procédures où les questions sont posées au témoin Périard, il n’est pas question d’informations confidentielles. Les questions relatives à la procédure et à la connaissance par un témoin de faits allégués dans le cadre de cette procédure ne sont pas des faits visés par le secret professionnel.

[14] Suivant l’arrêt Campbell, précité de la Cour suprême, Me Tardif indique qu’il est permis de poser des questions pour découvrir et déterminer pour quelles raisons et dans quelles circonstances le témoin Périard est allé rencontrer Me Gaul.

[15] Relativement au privilège relatif au litige soulevé par Me Gaul dans ses observations écrites, Me Tardif fait valoir qu’en principe ce privilège ne s’applique que lorsqu’un tiers agit pour aider une partie. En ce sens, il estime que le témoin Périard serait plutôt une partie à la demande de révocation plutôt qu’un tiers.

[16] Me Tardif ajoute que c’est la partie qui invoque le privilège relatif au litige qui doit porter le fardeau de la preuve et que pour ce faire, il faut, comme pour le secret professionnel, qu’il soit permis au procureur du syndicat de poser des questions pour découvrir et déterminer pour quelles raisons et dans quelles circonstances la personne visée a rencontré l’avocat de la partie adverse.

[17] S’appuyant sur l’arrêt de la Cour suprême dans Blank c. Canada (Ministère de la Justice), 2006 CSC 39; [2006] 2 R.C.S. 319, Me Tardif prétend que, contrairement au secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige n’est ni absolu quant à sa portée, ni illimité quant à sa durée.

[18] Me Tardif ajoute qu’il veut savoir si le témoin Périard a rencontré l’avocat du requérant en vue de la préparation au litige qui le concerne en tant que signataire de la demande de révocation. Il soutient être en droit de savoir ce qui a été dit ou discuté lors de la rencontre entre le témoin Périard et Me Gaul, étant donné les allégations du syndicat quant à la participation de l’employeur (la Banque Laurentienne du Canada (la Banque)) dans la campagne de désyndicalisation et que le requérant dit ignorer dans sa réplique à la demande de révocation.

[19] Me Tardif ajoute que le privilège relatif au litige ne peut protéger le témoin Périard contre la divulgation d’éléments de preuve visant des faits qui lui sont reprochés, et qui auraient fait l’objet de discussions avec le procureur du requérant.

[20] Me Tardif demande au Conseil de rejeter l’objection de Me Gaul et de déclarer que, à ce stade-ci des procédures, aucun des privilèges visant à protéger les communications entretenues entre Me Gaul et le témoin n’est applicable dans les présentes affaires.

C. Me Michel A. Brisebois, procureur de la Banque

[21] Le procureur de la Banque soutient que l’objection soulevée par Me Gaul revêt un caractère d’importance dans le cadre des présents dossiers puisqu’une telle objection risque d’être soulevée à nouveau en raison de la nature des litiges en cours ainsi que des intérêts opposés des parties impliquées.

[22] Me Brisebois insiste pour dire que les observations de la Banque sont faites dans le seul but de permettre au Conseil de faire une analyse approfondie et complète de la question.

[23] Selon Me Brisebois, les communications entre le témoin Périard et Me Gaul relèvent soit du secret professionnel, soit du privilège relatif au litige.

[24] En ce qui a trait au secret professionnel, la Banque renvoie le Conseil aux enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; et Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) Inc., 2004 CSC 18; [2004] 1 R.C.S. 456.

[25] Quant au privilège relatif au litige, la Banque renvoie le Conseil aux arrêts de la Cour suprême dans Lizotte et Blank, précités. Me Brisebois soutient qu’il s’agit d’un principe de common law, mais que ce principe est applicable aux présents dossiers compte tenu de la compétence fédérale du Conseil.

II. Analyse et décision

[26] Il est bien reconnu que le Conseil, comme tribunal administratif, est maître de sa procédure dans le cadre de l’administration de la preuve. L’alinéa 16c) du Code stipule ce qui suit :

16 Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

c) accepter sous serment, par voie d’affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu’à son appréciation, il juge indiqués, qu’ils soient admissibles ou non en justice.

[27] Ainsi, dans le cadre de l’administration de la preuve, le Conseil peut parfois jouer un rôle plus interventionniste que les tribunaux de droit commun et, tel que le stipule l’alinéa 16c) du Code, il peut parfois requérir la production de tout document ou témoignage qu’il juge nécessaire.

[28] Néanmoins, et aux fins d’assurer une administration saine et efficace de la justice, le Conseil est d’avis que le privilège relatif au litige trouve son application dans la présente instance et peut servir de guide dans le cadre de sa décision. Toute preuve, même pertinente, n’est pas automatiquement admissible devant le Conseil.

[29] Suivant les enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Lizotte et Blank, précités, on sait que la notion du secret professionnel est parfois confondue avec celle du privilège relatif au litige issue de la common law, laquelle a été introduite au Québec.

[30] L’arrêt Lizotte, précité, porte sur l’enquête d’un expert en sinistre dans laquelle la syndique adjointe de la Chambre de l’assurance de dommages demandait à l’assureur de lui communiquer une copie complète de son dossier de réclamation relatif à une de ses assurées. En réponse, l’assureur avait retranché certains documents au motif que ceux-ci étaient soit visés par le secret professionnel de l’avocat, soit par le privilège relatif au litige. Devant ce refus, la syndique a présenté une requête en jugement déclaratoire.

[31] Ayant pris soin de distinguer la notion du privilège relatif au litige de celle du secret professionnel de l’avocat, la Cour suprême a confirmé les décisions rendues par la Cour supérieure du Québec puis par la Cour d’appel du Québec, qui ont toutes deux déterminé que le privilège relatif au litige est opposable aux tiers à moins qu’un texte clair le mette à l’écart.

[32] Alors que le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat, le privilège relatif au litige s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers, et il englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication. Dans Blank, précité, la Cour suprême explique clairement la distinction entre ces deux privilèges :

Ainsi, la Cour a expliqué dans Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, et a réitéré depuis que le secret professionnel de l’avocat a d’abord été une règle de preuve qui s’est transformée au fil des ans en une règle de fond. En outre, la Cour n’a pas cessé d’insister sur l’étendue et la primauté du secret professionnel de l’avocat. Voir par exemple : Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, 2001 CSC 14; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, 2002 CSC 61; et Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), [2006] 2 R.C.S. 32, 2006 CSC 31. Dans un extrait souvent cité de l’arrêt McClure, le juge Major, s’exprimant au nom de la Cour, a dit que « le secret professionnel de l’avocat doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent » (par. 35).

Toutefois, il ressort clairement du texte et du contexte de ces décisions qu’elles ne portent que sur le privilège de la consultation juridique, ou sur le secret professionnel de l’avocat proprement dit, et non sur le privilège relatif au litige.

Ces décisions, parmi d’autres, traitent abondamment de l’origine et du fondement du secret professionnel de l’avocat, fermement établi depuis des siècles. Il reconnaît que la force du système de justice dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir. La société a confié aux avocats la tâche de défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l’expertise propres à ceux qui ont une formation en droit. Ils sont les seuls à pouvoir s’acquitter efficacement de cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance. Le rapport de confiance qui s’établit alors entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice.

Par ailleurs, le privilège relatif au litige n’a pas pour cible, et encore moins pour cible unique, les communications entre un avocat et son client. Il touche aussi les communications entre un avocat et des tiers, ou dans le cas d’une partie non représentée, entre celle-ci et des tiers. Il a pour objet d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et non de favoriser la relation entre l’avocat et son client. Or, pour atteindre cet objectif, les parties au litige, représentées ou non, doivent avoir la possibilité de préparer leurs arguments en privé, sans ingérence de la partie adverse et sans crainte d’une communication prématurée.

R. J. Sharpe (maintenant juge de la Cour d’appel) a particulièrement bien expliqué les différences entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat :

[TRADUCTION] Il est crucial de faire la distinction entre le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat. Au moins trois différences importantes, à mon sens, existent entre les deux. Premièrement, le secret professionnel de l’avocat ne s’applique qu’aux communications confidentielles entre le client et son avocat. Le privilège relatif au litige, en revanche, s’applique aux communications à caractère non confidentiel entre l’avocat et des tiers et englobe même des documents qui ne sont pas de la nature d’une communication. Deuxièmement, le secret professionnel de l’avocat existe chaque fois qu’un client consulte son avocat, que ce soit à propos d’un litige ou non. Le privilège relatif au litige, en revanche, ne s’applique que dans le contexte du litige lui-même. Troisièmement, et c’est ce qui importe le plus, le fondement du secret professionnel de l’avocat est très différent de celui du privilège relatif au litige. Cette différence mérite qu’on s’y arrête. L’intérêt qui sous-tend la protection contre la divulgation accordée aux communications entre un client et son avocat est l’intérêt de tous les citoyens dans la possibilité de consulter sans réserve et facilement un avocat. Si une personne ne peut pas faire de confidences à un avocat en sachant que ce qu’elle lui confie ne sera pas révélé, il lui sera difficile, voire impossible, d’obtenir en toute franchise des conseils juridiques judicieux.

Le privilège relatif au litige, en revanche, est adapté directement au processus du litige. Son but ne s’explique pas valablement par la nécessité de protéger les communications entre un avocat et son client pour permettre au client d’obtenir des conseils juridiques, soit l’intérêt que protège le secret professionnel de l’avocat. Son objet se rattache plus particulièrement aux besoins du processus du procès contradictoire. Le privilège relatif au litige est basé sur le besoin d’une zone protégée destinée à faciliter, pour l’avocat, l’enquête et la préparation du dossier en vue de l’instruction contradictoire. Autrement dit, le privilège relatif au litige vise à faciliter un processus (le processus contradictoire), tandis que le secret professionnel de l’avocat vise à protéger une relation (la relation de confiance entre un avocat et son client).

(« Claiming Privilege in the Discovery Process », dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada (1984), 163, p. 164-165)

À l’exception de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Hodgkinson c. Simms (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 129, les juridictions d’appel du pays ont conclu de façon constante que le privilège relatif au litige repose sur un fondement différent de celui sur lequel repose le secret professionnel de l’avocat : Liquor Control Board of Ontario c. Lifford Wine Agencies Ltd. (2005), 76 O.R. (3d) 401; Ontario (Attorney General) c. Ontario (Information and Privacy Commission, Inquiry Officer) (2002), 62 O.R. (3d) 167 (« Big Canoe »); College of Physicians & Surgeons (British Columbia) c. British Columbia (Information & Privacy Commissioner) (2002), 9 B.C.L.R. (4th) 1, 2002 BCCA 665; Gower c. Tolko Manitoba Inc. (2001), 196 D.L.R. (4th) 716, 2001 MBCA 11; Mitsui & Co. (Point Aconi) Ltd. c. Jones Power Co. (2000), 188 N.S.R. (2d) 173, 2000 NSCA 96; General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 45 O.R. (3d) 321.

Les jurisprudences américaine et anglaise vont dans le même sens : voir In re L. (A Minor), [1997] A.C. 16 (H.L.); Three Rivers District Council c. Governor and Company of the Bank of England (No. 6), [2004] Q.B. 916, [2004] EWCA Civ 218, et Hickman c. Taylor, 329 U.S. 495 (1947). Aux États-Unis, les communications avec les tiers et les autres documents préparés en vue d’une instance sont protégés par une doctrine semblable relative « aux préparatifs de l’avocat » (« attorney work product »). La majorité des auteurs adhèrent aussi à cette théorie du « fondement différent » : Sharpe; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 745-746; D. M. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (3e éd. 2002), p. 197-198; J.C. Royer, La preuve civile (3e éd. 2003), p. 868-871; G. D. Watson et F. Au, « Solicitor-Client Privilege and Litigation Privilege in Civil Litigation » (1998), 77 R. du B. can. 315. Pour l’opinion contraire, voir J. D. Wilson, « Privilege in Experts’ Working Papers » (1997), 76 R. du B. can. 346 et « Privilege : Watson & Au (1998) 77 Can. Bar Rev. 346 : REJOINDER : “It’s Elementary My Dear Watson” » (1998), 77 R. du B. can. 549.

Bien que distincts d’un point de vue conceptuel, le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique servent une cause commune : l’administration sûre et efficace de la justice conformément au droit. En outre, ils sont complémentaires et n’entrent pas en concurrence l’un avec l’autre. Cependant, le fait de considérer le privilège relatif au litige et le privilège de la consultation juridique comme deux composantes d’un même concept tend à en occulter la vraie nature.

Contrairement au secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige prend naissance et produit ses effets même en l’absence d’une relation avocat-client et il s’applique sans distinction à toutes les parties, qu’elles soient ou non représentées par un avocat : voir Alberta (Treasury Branches) c. Ghermezian (1999), 242 A.R. 326, 1999 ABQB 407. La partie qui se défend seule a autant besoin d’une « zone » de confidentialité; elle devrait donc y avoir droit. Une autre distinction importante mène à la même conclusion. La confidentialité, condition sine qua non du secret professionnel de l’avocat, ne constitue pas un élément essentiel du privilège relatif au litige. Lorsqu’ils se préparent en vue de l’instruction, les avocats obtiennent ordinairement des renseignements auprès de tiers qui n’ont nul besoin ni attente quant à leur confidentialité, et pourtant ces renseignements sont protégés par le privilège relatif au litige.

Bref, le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat reposent sur des considérations de principe différentes et entraînent des conséquences juridiques différentes.

(pages 329-333)

[33] Dans la présente affaire, Me Gaul, procureur du requérant, invoque dans ses observations écrites que le privilège relatif au litige trouve une application. Il rappelle que le témoin Périard a été appelé à témoigner par le syndicat, pour les fins des audiences devant le Conseil, et il indique que c’est dans ce contexte qu’il a rencontré M. Périard pour discuter de son témoignage. Il ajoute que des communications verbales ont alors été échangées entre lui et le témoin Périard et que les questions du procureur du syndicat au témoin Périard visant les communications verbales ou écrites qu’il aurait eues avec lui dans le cadre de la préparation de la cause sont inadmissibles en preuve, car elles sont protégées par le privilège relatif au litige.

[34] Le procureur du syndicat estime plutôt que, vu le contexte particulier d’une demande de révocation, le témoin Périard est le client du procureur du requérant. Par conséquent, ce témoin serait une partie à la demande de révocation plutôt qu’un tiers, et le privilège relatif au litige dans la présente instance est inapplicable. Me Tardif soutient que le requérant a fait défaut d’établir que le secret professionnel trouvait application dans les circonstances.

[35] À tout évènement, le procureur du syndicat rappelle que le requérant dit ignorer les faits qui sont reprochés à M. Périard relativement à la plainte alléguant ingérence de l’employeur dans la campagne de désyndicalisation et qu’il est alors normal de pouvoir interroger ce témoin sur la rencontre qu’il a affirmé avoir eue avec le procureur du requérant.

[36] Selon le procureur du syndicat, cette situation justifierait par ailleurs de lever le privilège relatif au litige, si privilège il y a, sur le fondement d’un abus de procédure, d’une conduite répréhensible du syndicat ou d’une renonciation expresse ou implicite au privilège.

[37] En l’espèce, le procureur du requérant a modifié la nature de son objection et ne soulève donc plus une objection fondée sur le secret professionnel de l’avocat. Par conséquent, le Conseil se penchera uniquement sur l’objection dont il est maintenant saisi, à savoir si les communications entre le témoin Périard et le procureur du requérant sont protégées par le privilège relatif au litige.

[38] Il ressort clairement des enseignements de la Cour suprême que le privilège relatif au litige vise à protéger un processus plutôt qu’une relation entre un avocat et un client. Comme mentionné dans l’arrêt Blank, précité, ce privilège vise les communications entre l’avocat et des tiers; il a pour objectif de créer une zone de confidentialité, d’assurer l’efficacité du processus contradictoire et de permettre aux parties au litige de préparer leur cause en privé, sans ingérence de la partie adverse. Dans l’arrêt Lizotte, précité, la Cour suprême est venue dire que le privilège relatif au litige crée une immunité de divulgation pour les documents et les communications dont l’objet principal est la préparation à un litige.

[39] Or, c’est exactement dans ce contexte qu’a été soulevée l’objection du procureur du requérant face aux questions posées par le procureur du syndicat, et qui concernent les échanges que le témoin Périard aurait eus avec le procureur du requérant en vue de la préparation de son témoignage pour les audiences devant le Conseil.

[40] Le témoin Périard a admis avoir rencontré le procureur du requérant. L’objection de MGaul porte sur la teneur des conversations qu’il a eues avec le témoin dans le cadre de sa préparation au litige en l’instance.

[41] À la lumière des enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Blank et Lizotte, précités, le Conseil estime que le privilège relatif au litige s’applique en la présente instance et crée une immunité de divulgation pour tous les documents et toutes les communications verbales qu’aurait pu avoir le témoin Périard avec le procureur du requérant et dont l’objet principal est la préparation au présent litige.

[42] Le Conseil est également d’avis que les observations du procureur du syndicat ne l’ont pas convaincu qu’il doit lever le privilège relatif au litige, car le procureur n’a pas établi le fondement factuel nécessaire au soutien de l’application d’exceptions au privilège relatif au litige. Le Conseil n’est pas en mesure de conclure à une conduite répréhensible ou à un abus de procédure prima facie simplement parce que le requérant, et non pas nécessairement M. Périard, « ignore » certaines des allégations faites par le syndicat et qui n’ont par ailleurs pas encore été mises en preuve.

[43] Le Conseil n’est pas non plus en mesure de conclure à une renonciation expresse ou implicite au privilège simplement parce que le témoin a indiqué avoir rencontré le procureur du requérant ou parce que le requérant a allégué certains faits dans sa réponse à la plainte du syndicat. Le Conseil note que ces faits allégués ne font pas mention de communications avec le procureur du requérant. Les intérêts du témoin ne sont vraisemblablement pas ceux du syndicat. Rien n’empêche le procureur du syndicat de poser des questions pertinentes au témoin Périard, sans que ne soient dévoilées les discussions que ce témoin aurait eues avec le procureur du requérant.

[44] Pour ces motifs, le Conseil accueille l’objection soulevée par le procureur du requérant relativement à toute question portant sur les communications verbales ou écrites entre le témoin Périard et le procureur du requérant. Le Conseil déclare donc que ces communications sont inadmissibles en preuve dans la présente instance.

[45] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

 

 

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Louise Fecteau

Vice-présidente

 

____________________

Lisa Addario

Membre

 

____________________

Richard Brabander

Membre

 

 

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