Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Rajendra Lutchman,

requérant,

et

Manutention Swissport Canada inc.,

employeur,

et

Conseil canadien des Teamsters,

agent négociateur accrédité.

Dossier du Conseil : 32391-C

Référence neutre : 2018 CCRI 865

Le 18 janvier 2018

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, et de Me Thomas Brady et M. Norman Rivard, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre la présente décision sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

M. Rajendra Lutchman, en son propre nom;

M. Louis-Philippe Charland, pour Manutention Swissport Canada inc.;

M. Stéphane Lacoste, pour le Conseil canadien des Teamsters.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

[1] Le Conseil canadien des Teamsters (les Teamsters ou le syndicat) représente un groupe d’employés affectés aux services au sol de Manutention Swissport Canada inc. (l’employeur) aux aéroports internationaux de Montréal, en vertu de l’ordonnance no 11117-U émise le 6 mars 2017. Une convention collective d’une durée de trois ans est en vigueur jusqu’au 25 février 2018.

I. Contexte et faits

[2] Le 21 septembre 2017, une employée de l’unité de négociation, Mme Italia Gianciullo, a présenté une demande de révocation de l’accréditation détenue par les Teamsters (dossier du Conseil no 32300-C). La requérante a fourni une pétition au soutien de sa demande de révocation, mais n’a pas fourni de déclarations individuelles des employés, tel que l’exige le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement). Dans Gianciullo, 2017 CCRI LD 3879, émise le 23 octobre 2017, le Conseil a rejeté la demande de révocation parce qu’elle n’avait pas été présentée pendant la période ouverte et parce qu’elle n’était pas conforme au Règlement.

[3] Le 8 décembre 2017, un autre employé de l’unité, soit M. Rajendra Lutchman, a présenté une nouvelle demande de révocation visant la même unité de négociation. Teamsters allègue que la demande est irrecevable et devrait être rejetée sans qu’aucun scrutin de représentation ne soit tenu. Les motifs au soutien de sa position sont les suivants :

  1. À sa face même la demande vise Teamsters Québec 1999-931 et non le Conseil canadien des Teamsters qui est l’agent négociateur accrédité.

  2. La demande est présentée prématurément et pendant la période d’attente de six mois prévue à l’article 39 du Règlement, compte tenu du fait que le Conseil a rejeté une demande de révocation le 23 octobre 2017.

  3. Les signatures ont été obtenues sous de faux prétextes.

  4. La demande est influencée par l’employeur.

[4] L’employeur nie les prétentions du syndicat quant à l’allégation d’influence patronale. Toutefois, ni le requérant ni l’employeur n’ont fourni de commentaires à l’égard des autres allégations du syndicat, y compris l’allégation portant sur l’article 39 du Règlement.

[5] Le syndicat soutient que la version française de l’article 39 est ambiguë et que la version anglaise reflète mieux l’intention du législateur, puisque l’objectif de cet article est d’assurer la protection de la stabilité de l’accréditation contre des efforts répétés en vue d’obtenir la révocation d’une accréditation syndicale. Selon le syndicat, il n’est pas possible « pour quel qu’employé que ce soit » de présenter une nouvelle demande de révocation dans les six mois du rejet d’une demande de révocation antérieure.

[6] Le Conseil est d’avis que l’article 39 du Règlement impose une période d’attente de six mois pour présenter une nouvelle demande de révocation visant l’unité en question. Cependant, dans les circonstances du présent dossier, le Conseil juge qu’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour réduire la période d’attente de six mois afin de traiter de la demande de révocation et de promouvoir les objectifs du Code.

[7] Pour les motifs qui suivent, le Conseil estime qu’il y a lieu d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation.

II. Analyse

[8] Le Conseil traitera en premier lieu de la question de l’application de l’article 39 du Règlement. En deuxième lieu, le Conseil examinera les autres allégations soulevées par le syndicat.

A. L’application de l’article 39 du Règlement

[9] Le syndicat a soulevé une ambiguïté possible entre la version française et la version anglaise de l’article 39 du Règlement. Il est utile d’examiner également l’article 38 du Règlement, qui impose une période d’attente de six mois dans le contexte d’une demande d’accréditation. Les deux versions officielles telles qu’elles sont libellées aujourd’hui se lisent de la manière suivante :

38 A trade union or council of trade unions shall not file a new application for certification in respect of the same or substantially the same bargaining unit until six months have elapsed from the date on which its previous application was rejected.

38 Le syndicat ou regroupement de syndicats qui s’est vu refuser une demande d’accréditation doit attendre six mois suivant la date du rejet avant de présenter une nouvelle demande concernant la même unité de négociation ou une unité de négociation essentiellement similaire.

 

 

39 Any employee shall not file a new application for revocation of certification in respect of the same bargaining unit until six months have elapsed from the date on which a previous application was rejected.

39 Tout employé qui s’est vu refuser une demande de révocation d’accréditation doit attendre six mois suivant la date du rejet avant de présenter une nouvelle demande concernant la même unité de négociation.

[10] À première vue, la version française de l’article 39 du Règlement semble avoir une portée plus limitée que la version anglaise. En effet, la version française contient les termes « qui s’est vu refuser » qui n’apparaissent pas explicitement dans la version anglaise. Or, la version anglaise vise « any employee » (« tout employé »). Selon la version anglaise de cette disposition, il semblerait que la période d’attente s’appliquerait à n’importe quel employé de l’unité, tandis que la version française peut raisonnablement recevoir deux interprétations.

1. Règles d’interprétation des lois

[11] La Cour suprême du Canada a récemment eu à s’exprimer sur les règles d’interprétation d’une disposition bilingue. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21 (le Renvoi Nadon), la majorité de la Cour a dit ceci concernant le sens commun à donner aux deux versions d’une disposition bilingue :

[32] Nous concluons de la même manière si nous appliquons la règle selon laquelle l’interprétation d'une loi bilingue exige la recherche du sens commun aux deux versions. En cas d’ambiguïté d'une version, il faut examiner la version rédigée dans l’autre langue officielle pour déterminer si elle est claire et non équivoque : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, (5e éd. 2008), p. 99-116; Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), p. 375-377; R. c. Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 R.C.S. 217, par. 28. La version anglaise de la loi permet sans équivoque la nomination d'anciens avocats, alors que la version française peut raisonnablement recevoir deux interprétations : une qui exclut les anciens avocats comme personnes admissibles à une nomination et une qui les inclut. Le sens commun aux deux versions se trouve uniquement dans la version anglaise non équivoque, dont nous devons dès lors retenir le sens.

[12] Le Conseil a eu à interpréter les deux versions officielles d’une disposition du Code dans VIA Rail Canada inc., 2011 CCRI 569. Dans cette affaire, il existait une ambiguïté possible entre les deux versions de l’article 49 du Code concernant le moment où un avis de négociation peut être transmis. Le Conseil a indiqué qu’il ne peut accorder préséance à une version au détriment de l’autre, mais doit plutôt parvenir à un sens commun aux deux versions :

[35] Les versions anglaise et française du Code font également autorité. Le Conseil ne peut accorder préséance à une version aux dépens de l’autre, mais doit plutôt parvenir à un sens qui soit à la fois acceptable et commun :

La règle de base régissant l’interprétation des lois bilingues est celle du sens partagé ou commun. Lorsqu’il y a divergence entre les deux versions d’une loi bilingue, le sens commun aux deux versions ou partagé par celles-ci devrait être adopté, à moins que ce sens soit inacceptable pour une raison ou une autre.

(traduction; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, Canada, LexisNexis Canada inc., 2008, page 100)

[36] Le Conseil est d’avis que le sens commun du paragraphe 49(1) prévoit le moment où un avis peut être donné, afin d’imposer l’obligation de négocier collectivement. Le Conseil fait remarquer que l’en-tête précédant immédiatement les articles 48 à 50 du Code est « Obligation de négocier collectivement ».

[13] Dans La Coopérative de transport maritime et aérien, 2014 CCRI 731, le Conseil a également eu à appliquer les règles d’interprétation des lois bilingues. Dans cette affaire, le Conseil s’est penché sur l’interprétation de l’alinéa 44(3)c) qui comprenait une ambiguïté entre les deux versions officielles. Adoptant les mêmes règles d’interprétation des lois bilingues citées dans le Renvoi Nadon, précité, le Conseil attribue un sens commun entre les deux versions de l’alinéa 44(3)c) du Code, de la manière suivante :

[66] La Cour suprême du Canada a récemment réitéré dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, la méthode générale qu’il convient d’appliquer pour déterminer la portée intentionnelle d’une disposition législative :

[27] La méthode qu’il convient d’appliquer lorsqu’il s’agit d’interpréter une loi a été énoncée à de nombreuses reprises et elle est maintenant solidement établie. Il s’agit de rechercher la volonté du législateur en lisant les termes de la disposition dans leur contexte global, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi. ...

[67] Ainsi, pour déterminer la portée intentionnelle d’une disposition législative, il faut tenir compte non seulement des mots employés dans leur sens ordinaire et grammatical, mais aussi de l’esprit et de l’objet de la loi dans son contexte global.

[68] À première vue, la version française de l’alinéa 44(3)c) semble avoir une portée plus large que la version anglaise. En effet, la version anglaise contient les termes « to decide the matter » qui n’apparaissent pas explicitement dans la version française. Selon la version anglaise de cette disposition, il semblerait que seules les procédures engagées sous les lois provinciales devant une entité compétente ayant un pouvoir décisionnel sont reconnues sous le régime du Code.

[69] Le professeur Pierre-André Côté a proposé la démarche suivante afin de résoudre les divergences entre les deux versions officielles d’une disposition législative :

... sauf disposition légale contraire, toute divergence entre les deux versions officielles d’un texte législatif est résolue en dégageant, si c’est possible, le sens qui est commun aux deux versions. Si cela n’est pas possible, ou si le sens commun ainsi dégagé paraît contraire à l’intention du législateur révélée par recours aux règles ordinaires d’interprétation, on doit entendre le texte dans le sens qu’indiquent ces règles.

(Pierre-André Côté, Interprétation des lois (3e édition), Montréal, Les Éditions Thémis, 1999, page 410)

[70] Dans la présente affaire, le Conseil estime qu’il n’y a pas nécessairement antinomie entre les deux versions du Code. Il existe certes une ambigüité possible dans la version française, mais compte tenu des principes d’interprétation qui précèdent, le Conseil est d’avis qu’il est possible de parvenir à un sens commun entre les deux versions de l’alinéa 44(3)c) du Code. À cette fin, il est important d’examiner l’objet même du paragraphe 44(3) du Code.

[14] Ainsi, pour déterminer la portée intentionnelle d’une disposition législative, il faut tenir compte non seulement des mots employés dans leur sens ordinaire et grammatical, mais aussi de l’esprit et de l’objet de la loi dans son contexte global.

2. Le sens ordinaire et grammatical

[15] Lorsqu’on examine le sens ordinaire et grammatical des mots à l’article 39 du Règlement, on peut conclure que la période d’attente s’applique à l’égard de tout employé qui souhaiterait présenter une nouvelle demande de révocation concernant la même unité de négociation.

[16] Bien que les termes « qui s’est vu refuser » puissent avoir une portée restrictive, la disposition en question vise « [t]out employé qui s’est vu refuser», contrairement à l’article 38 du Règlement qui vise « [l]e syndicat ou regroupement de syndicats qui s’est vu refuser ». Or, parmi les définitions possibles de « tout », on retrouve la définition suivante dans Paul Robert, Dictionnaire Le nouveau Petit Robert de la langue française, Bureau Van DIJK Electronic Publishing, nouvelle édition, 2010 :

B. Au singulier Tout, toute (suivi d'un nom sans article) 

1. Un quelconque, n'importe quel; un individu pris au hasard parmi la totalité des individus semblables. « Tout Français jouira des droits civils » (Code civil). Toute personne. quiconque. Prov. Toute peine mérite salaire. Toute sorte de…

  • (Avec une prép.) À tout âge. À toute heure. À tout hasard*. À toute épreuve*. Contre toute attente*.

  • De toute façon*. En tout cas*. En tout état de cause : quelle que soit la situation.

  • Avant toute chose, sur toute chose : avant tout, plus que tout (premièrement, préférablement).

(c’est nous qui soulignons)

[17] L’emploi de l’expression « tout employé » suggère une application plus globale de l’article 39 du Règlement, surtout lorsqu’on tient compte du fait qu’une demande de révocation vise tous les employés de l’unité. Cette interprétation de la version française est celle qui a pour effet de donner un sens commun aux deux versions.

[18] Si l’article 39 peut raisonnablement recevoir deux interprétations différentes en français, ce n’est pas le cas en anglais. Il n’est pas possible d’interpréter la version anglaise de l’article 39 de manière à ce que la période d’attente soit limitée au seul employé ayant présenté la demande de révocation antérieure. En effet, l’utilisation de l’expression « any employee » et plus loin « a previous application was rejected » dans la version anglaise de l’article 39 indique que cet article s’applique à l’égard de n’importe quel employé. Or, le choix des mots « a trade union or council of trade unions » et plus loin « its previous application was rejected » à l’article 38 du Règlement démontre que cet article ne s’applique qu’au syndicat ayant déposé une demande d’accréditation antérieure.

[19] Dans la version anglaise du Règlement, il y a donc une différence nette entre l’application de la période d’attente dans le contexte d’une révocation et l’application du délai dans le contexte d’une accréditation. La distinction est plus ambiguë dans les versions françaises de ces articles. La seule différence entre les versions françaises des articles 38 et 39, au niveau de la structure grammaticale, est l’utilisation de l’expression « tout employé » plutôt que « l’employé ». Il est donc important d’attribuer un sens à ce mot. En remplaçant l’expression « tout employé » par une expression synonyme telle que « n’importe quel employé », la version française se rapproche plus de l’anglais. Dans la présente affaire, le requérant fait partie de l’ensemble des employés visés par la demande de révocation qui s’est vu refuser la demande de révocation. Cette interprétation a pour effet de donner un sens commun aux deux versions officielles. De plus, comme nous le verrons dans la prochaine partie, cette interprétation est conforme à l’intention du Conseil lorsqu’il a adopté le Règlement.

3. L’esprit et l’objet de la disposition dans son contexte global

[20] Pour mieux comprendre l’esprit et l’objet de l’article 39 du Règlement, il est utile de reproduire les extraits de l’ancienne version des articles 38 et 39, soit l’article 31 du Règlement de 1992 concernant le Conseil canadien des relations du travail. L’article 31 se lisait ainsi :

31.(1) Lorsque le Conseil a rejeté la demande d’accréditation d’un syndicat ou d’un regroupement de syndicats, il ne peut prendre en considération aucune nouvelle demande d’accréditation de ceux-ci à l'égard de la même unité de négociation, ou de ce que le Conseil considère être sensiblement la même unité de négociation, avant l’expiration d’un délai de six mois suivant la date du rejet.

(2) Lorsque le Conseil a rejeté la demande de révocation d'accréditation de l’employé, il ne peut prendre en considération aucune nouvelle demande de révocation à l’égard de la même unité de négociation, ou de ce que le Conseil considère être sensiblement la même unité de négociation, avant l'expiration d'un délai de six mois suivant la date du rejet.

(c’est nous qui soulignons)

[21] Le contraste entre le paragraphe 31(1) qui porte sur les demandes d’accréditation et le paragraphe 31(2) qui porte sur les demandes de révocation était plus évident à l’époque. Le paragraphe 31(1) précisait qu’il n’accepterait aucune nouvelle demande d’accréditation « de ceux-ci » – soit d’un syndicat ou d’un regroupement de syndicat, tandis que le paragraphe 31(2) ne contenait pas de telle stipulation pour une nouvelle demande de révocation et a donc une portée plus large. La version anglaise contient cette même distinction entre le paragraphe 31(1) et le paragraphe 31(2) :

31.(1) Where the Board has rejected an application for certification by a trade union or a council of trade unions, the Board shall not consider a new application for certification from that trade union or council of trade unions in respect of the same or what the Board considers to be substantially the same bargaining unit until six months have elapsed from the date on which the application was rejected.

(2) Where the Board has rejected an application by an employee for revocation of certification of a trade union or council of trade unions, the Board shall not consider a new application for revocation in respect of the same or what the Board considers to be substantially the same bargaining unit until six months have elapsed from the date on which the application was rejected.

(c’est nous qui soulignons)

[22] Lors des modifications au Règlement apportées en 2001, le libellé de l’article a été modifié et deux articles ont été créés, soit un portant sur les demandes d’accréditation (l’article 38) et un autre portant sur les demandes de révocation (l’article 39). Lorsque le Conseil a présenté les modifications à sa clientèle, il a précisé que les modifications à ces articles n’étaient pas de nature substantielle. De plus, le Conseil n’a pas énoncé un changement de politique quant à l’application de la période d’attente dans sa jurisprudence. En effet, dans les décisions Ferguson, 2008 CCRI 427; et Brunet 2011 CCRI 560, le Conseil a indiqué, sans pour autant faire d’analyse approfondie, que le délai de six mois est un délai pendant lequel « aucune demande de révocation subséquente » ne peut être présentée pour la même unité.

[23] Lorsque le Règlement a été modifié en 2012, les modifications à la version française des articles 38 et 39 visaient simplement à remplacer les termes « six mois avant de présenter une nouvelle demande » par « six mois suivant la date du rejet avant de présenter une nouvelle demande ».

[24] Cette situation ressemble quelque peu à celle qui s’est présentée dans le Renvoi Nadon, précité, concernant l’article 5 de la Loi sur la Cour suprême. L’article 5 ne présentait aucune ambiguïté en anglais, mais la version française soulevait des ambiguïtés qui ont été créées par une révision de la Loi en 1985. La majorité de la Cour a donc examiné la portée de l’article tel qu’il était libellé à l’époque et a indiqué que la modification en question n’en avait pas changé la portée. Par conséquent, les deux versions avaient la même portée et le sens commun aux deux versions se trouvait dans la version anglaise sans équivoque.

[25] Le libellé du paragraphe 31(2) du Règlement de 1992 ainsi que la version anglaise non ambiguë de l’article 39 sont convaincants; l’intention de cette disposition était d’imposer une période d’attente à n’importe quel employé qui présenterait une nouvelle demande de révocation après le rejet d’une demande de révocation antérieure. Cette interprétation a également pour effet de mieux respecter l’objectif global de cette disposition qui est d’assurer une période de stabilité et de paix industrielle. Il faut donc interpréter l’article 39 du Règlement comme imposant un délai de six mois pour toute demande de révocation visant la même unité.

4. Pouvoir discrétionnaire du Conseil et objectifs du Code

[26] Dans l’affaire Zubic, 2014 CCRI 732, le Conseil a appliqué la période d’attente de six mois pour rejeter une deuxième demande de révocation présentée peu de temps avant la première. Toutefois, aucune des deux demandes n’avait respecté l’article 36 du Règlement concernant la preuve nécessaire au soutien d’une demande de révocation. Le Conseil ne s’est donc pas penché sur l’objectif visé par la période d’attente de six mois. Ainsi, pour mieux comprendre l’objectif de la période d’attente dans le contexte d’une demande de révocation, il y a lieu d’examiner la jurisprudence du Conseil portant sur la période d’attente de six mois.

[27] Dans l’affaire Bell Canada (1979), 30 di 104; et [1979] 2 Can LRBR 429 (CCRT no 191), le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), tel qu’il existait à l’époque a examiné le but de l’imposition de la période d’attente de six mois dans le contexte d’une demande d’accréditation. Il a dit ceci :

… Le but de cette limitation de six mois est d'éviter que des requêtes trop rapprochées ne soient présentées ce qui aurait pour effet de perpétuer une période d'insécurité et de remous dans les relations entre l'employeur, les employés et le ou les syndicats concernés. Elle assure également une période de stabilité et de paix nécessaire pour permettre, le cas échéant, à l'employeur et au syndicat en place de négocier le renouvellement de leur convention collective.

(pages 106; et 431)

[28] La période d’attente de six mois ne doit donc pas être punitive. Elle vise plutôt à promouvoir la paix industrielle en réduisant au minimum les perturbations des relations existantes de négociation collective. Dans l’affaire Dynamex Canada Inc. (1998), 52 CLRBR (2d) 274 (CCRT LD 1802), le CCRT a d’ailleurs exercé son pouvoir discrétionnaire alors prévu au paragraphe 31(3) du Règlement pour abréger le délai de six mois et ainsi permettre au même syndicat de présenter une nouvelle demande d’accréditation trois mois suivant la date de rejet de sa demande antérieure. Dans cette affaire, il n’y avait pas d’agent négociateur en place et aucune relation de négociation collective en ce qui concerne les employés visés. Par conséquent, le CCRT était d’avis que le risque de perturber les relations du travail n’était pas présent. Dans Dynamex Canada Inc. c. Syndicat des postiers du Canada, [1999] 3 C.F. 349 (C.A.), la majorité de la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du CCRT ainsi que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Conseil d’abréger le délai de six mois.

[29] D’une part, l’objectif recherché par l’imposition du délai de six mois prévu au Règlement est d’assurer une période de stabilité afin de permettre au syndicat en place de négocier le renouvellement de la convention collective sans avoir à faire face de façon répétée à un scrutin au sein de l’unité qu’il représente. D’autre part, les employés qui sont représentés par un agent négociateur ont une période très précise durant laquelle ils peuvent faire valoir leur voix et manifester leur désir de ne plus être représentés par un syndicat. Cette période dite « ouverte » est bien définie aux articles 24 et 38 du Code, et les employés d’une unité négociation ne peuvent faire une demande pour révoquer les droits de représentation du syndicat ou changer de syndicat que dans les délais prévus au Code.

[30] En l’espèce, un employé de l’unité a présenté une demande de révocation le 21 septembre 2017. Cette demande a été rejetée par le Conseil de façon sommaire le 23 octobre 2017, puisqu’elle avait été déposée à l’extérieur de la période des trois derniers mois de l’application de la convention collective qui vient à échéance le 25 février 2018. Le Conseil ne s’est pas penché sur le fond de la demande et n’a pas évalué la volonté des employés.

[31] Dans le cas qui nous occupe, les employés n’ont pas eu l’occasion d’exprimer leur voix puisque la première demande de révocation n’a pas été étudiée sur le fond, la demande ayant été rejetée sur une question de délai. Le Conseil n’a pas tenu de scrutin pour évaluer le souhait des employés dans le cadre de la première demande de révocation. L’imposition de la période d’attente de six mois dans le cas présent aurait pour effet de supprimer la période prévue au Code pour déposer une demande de révocation et de brimer le droit des employés d’exercer leur droit de choisir d’être représentés ou non par le syndicat en place pendant la période ouverte. Ce n’est pas l’objectif recherché par l’imposition de la période d’attente de six mois suivant le rejet d’une demande de révocation. La période d’attente cherche à éviter des demandes répétitives où les employés seraient appelés à se prononcer sur leur désir ou non d’être représentés par le syndicat en place et évite de plonger le milieu du travail en campagne de représentation perpétuelle. La période d’attente de six mois offre donc une période de stabilité pour permettre au syndicat et à l’employeur de négocier le renouvellement de la convention collective.

[32] Étant donné les objectifs visés par le Code et le Règlement, le Conseil est d’avis qu’il est opportun dans les circonstances du présent dossier d’exercer la discrétion que lui confère l’article 46 du Règlement afin de modifier le délai de six mois. Cette approche permet au Conseil de réconcilier les deux objectifs recherchés en lui permettant d’évaluer la demande de révocation sur le fond.

[33] Le Conseil accepte donc la demande de révocation et l’étudiera sur le fond.

5. Autres motifs soulevés par l’agent négociateur

[34] Teamsters allègue que la demande devrait être rejetée pour trois autres motifs que nous traiterons très brièvement.

[35] Dans un premier temps, Teamsters fait valoir qu’à sa face même, la demande vise un local de Teamsters Québec et non l’agent négociateur accrédité, soit le Conseil canadien des Teamsters. De plus, il soutient que l’employeur a influencé la demande de révocation et qu’elle est appuyée de façon indirecte « mais réelle » par celui-ci. Enfin, Teamsters allègue que les signatures ont été obtenues sous de faux prétextes, soit avec promesses de meilleures conditions de travail ou pour changer de syndicat.

[36] Le Conseil est d’avis que le nom inscrit à la demande et sur les déclarations des employés est un vice de forme plutôt qu’une erreur de fond. Contrairement aux faits qui étaient présents dans l’affaire AJW Technique inc., 2016 CCRI 814, le Conseil ne peut conclure dans le cas en l’espèce qu’il y a confusion au sein des employés sur l’identité de l’agent négociateur qui les représente dans les négociations collectives avec l’employeur.

[37] En ce qui concerne les allégations d’influence patronale, le syndicat a déposé des copies de pages qui se trouvent sur deux sites web d’une tierce partie, soit les sites « infotravail.ca » et « labourwatch.com », affirmant que cette organisation est bien connue pour représenter les employeurs et s’opposer au syndicalisme. Il soutient que le cabinet d’avocats Lavery deBilly fournit des conseils pour le contenu de ces sites et que ce même cabinet représente habituellement l’employeur, ce que l’employeur nie. Le syndicat prétend également que les responsables de la campagne de révocation ont recueilli des signatures sur les lieux du travail et pendant les heures de travail. L’employeur, quant à lui, explique que lorsqu’il a été mis au courant de ce qui se déroulait sur les lieux du travail, il a immédiatement informé les responsables et les individus de l’interdiction de faire campagne pendant le travail et sur les lieux du travail. Le Conseil note qu’il n’a pas reçu de plainte de pratique déloyale distincte concernant les agissements de l’employeur. Le Conseil n’a pas été convaincu qu’il y a eu ingérence de l’employeur dans la demande de révocation qui lui a été présentée. Les informations contenues sur les sites web d’une tierce partie ne peuvent, en soi, établir une influence patronale. De plus, le Conseil est satisfait des explications fournies par l’employeur eu égard aux activités qui se sont déroulées sur les lieux du travail et pendant les heures de travail.

[38] Par ailleurs, le Conseil fait enquête sur la preuve qui est déposée au soutien des demandes d’accréditation ou de révocation. Par l’entremise des agents de relations industrielles, les déclarations déposées par les employés sont vérifiées au hasard par l’entremise d’appels auprès de certains employés. Un rapport confidentiel de cette enquête est déposé au Conseil faisant état de toute irrégularité ou tout questionnement par rapport à la preuve soumise avec la demande. Cette procédure est bien établie et a été décrite dans plusieurs décisions portant sur les demandes d’accréditation (voir IMS Marine Surveyors Ltd., 2001 CCRI 135, au paragraphe 16; et TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363; et confirmée par la Cour d’appel fédérale dans TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l'énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285; (2007), 370 N.R. 267).

[39] Dans le cas présent, le Conseil a pris connaissance du rapport confidentiel de l’agent faisant état de son enquête. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil est satisfait qu’il n’y a pas eu d’influence patronale et accepte les déclarations confidentielles déposées au soutien de la demande de révocation comme témoignant de la volonté des employés à la date du dépôt.


 

III. Conclusion

[40] Après avoir pris en considération la preuve au dossier et les représentations des parties, le Conseil est d’avis que la demande de révocation est soutenue par une majorité des employés et a donc décidé d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. Les parties trouveront donc en pièce jointe une ordonnance de scrutin de représentation pour l’unité en question.

[41] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

 

____________________

Ginette Brazeau

Présidente

 

____________________

Thomas Brady

Membre

 

 

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Norman Rivard

Membre

 

 

 

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