Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Section locale 419 de la Fraternité internationale des Teamsters,

plaignante,

et

Manutention Swissport Canada inc.,

intimée,

Dossier du Conseil : 32141‑C

Section locale 419 de la Fraternité internationale des Teamsters,

plaignante,

et

Manutention Swissport Canada inc.,

intimée,

Dossier du Conseil : 32232‑C

 

Référence neutre : 2017 CCRI 863

Le 15 novembre 2017

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, ainsi que de Me Richard Brabander et M. Paul Moist, Membres. Des audiences ont été tenues le 22 août, les 26 et 27 septembre et les 16 et 19 octobre 2017.

Ont comparu

Me Mike Biliski, pour la Section locale 419 de la Fraternité internationale des Teamsters;

Me Donald Jarvis, pour Manutention Swissport Canada inc.

I. Nature des plaintes

[1] Le Conseil est saisi de deux plaintes déposées par la Section locale 419 de la Fraternité internationale des Teamsters (les Teamsters ou le syndicat). La première plainte a été déposée le 19 mai 2017. Il y est allégué que Manutention Swissport Canada inc. (Swissport ou l’employeur) a manqué à son obligation de négocier de bonne foi, a contrevenu à la disposition législative sur le gel et est intervenue dans la représentation par le syndicat de ses membres lorsqu’elle a embauché plus de 100 employés d’agence et a offert des incitatifs salariaux à des employés après qu’un avis de négociation eut été signifié. La seconde plainte a été déposée le 31 juillet 2017, en vertu du paragraphe 94(2.1) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code). Il y est allégué que l’employeur avait recours à des travailleurs de remplacement afin de miner la capacité de représentation du syndicat.

[2] Pendant les audiences relatives à la première plainte, les parties ont conclu une nouvelle convention collective, qui a été ratifiée par la majorité des employés de l’unité de négociation le 15 octobre 2017. Lorsque les audiences ont repris, le 16 octobre 2017, le Conseil a demandé aux parties, de sa propre initiative, si le traitement de la plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail. Les parties ont présenté des observations orales sur cette question le 19 octobre 2017.

[3] Pour les motifs exposés ci‑après, le Conseil a estimé que le traitement des présentes plaintes ne favoriserait la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail.

II. Contexte et faits

[4] Le syndicat représente une unité de négociation composée d’employés affectés « aux services aux aéronefs et à la prestation de services au sol », qui travaillent pour Swissport à l’Aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (l’aéroport). Le syndicat et l’employeur étaient parties à une convention collective qui a expiré le 23 juillet 2017. Le syndicat a signifié un avis de négociation le 16 décembre 2016.

[5] Le ou vers le 12 mai 2017, un certain nombre d’employés d’agence ont commencé à travailler pour Swissport. Le 16 mai 2017, le syndicat a présenté un grief dans lequel il allègue que le recours par l’employeur à des employés d’agence constituait une « sous‑traitance » (traduction) illégitime du travail de l’unité de négociation. Ce grief doit être entendu le 20 septembre 2018.

[6] Le syndicat a également déposé sa première plainte de pratique déloyale de travail au Conseil le 19 mai 2017 et a par la suite ajouté des détails datés du 23 mai et du 26 juillet 2017. Dans cette plainte, le syndicat allègue que l’employeur a contrevenu au paragraphe 94(1) ainsi qu’aux alinéas 50a) et 50b) du Code (dossier du Conseil no 32141‑C – la « première plainte de pratique déloyale de travail »). Dans la première plainte de pratique déloyale de travail, le syndicat allègue que l’employeur a refusé de négocier les taux salariaux des préposés aux aires de trafic à la table de négociation et a sous‑traité du travail de l’unité de négociation à des employés d’agence qui ont été rémunérés à un taux salarial supérieur à celui des employés de l’unité de négociation. Le syndicat allègue également que l’employeur a offert directement à des employés des heures supplémentaires à taux double pour certains quarts de travail de fin de semaine pendant les négociations collectives, et ce, sans avoir consulté le syndicat. À titre de redressement, le syndicat demande, entre autres choses, « une ordonnance du Conseil en vertu de l’alinéa 99(1)b.1) du Code, selon laquelle l’employeur concédera que la convention collective entre les parties doit contenir une disposition interdisant à l’employeur de sous‑traiter du travail de l’unité de négociation » (traduction).

[7] Le 27 juillet 2017, les membres de l’unité de négociation ont entrepris une grève légale. Au cours des semaines ayant précédé celle‑ci, l’employeur avait présenté deux demandes distinctes de déclaration de grève illégale en vertu de l’article 91 du Code. Le Conseil a rejeté la première demande parce que la conduite en cause ne correspondait pas à la définition donnée au terme « grève » (voir Manutention Swissport Canada inc., 2017 CCRI LD 3826). Au regard de la seconde demande, le Conseil a estimé qu’il y avait apparence de grève illégale, mais a décidé que la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail ne serait favorisée s’il ordonnait des mesures de redressement dans une situation où pesait sur les parties la menace réelle d’un arrêt de travail légal, susceptible de commencer dans un délai de moins de 36 heures (Manutention Swissport Canada inc., 2017 CCRI LD 3830).

[8] Le 31 juillet 2017, le syndicat a présenté une nouvelle plainte de pratique déloyale de travail, en vertu du paragraphe 94(2.1) du Code. Il allègue dans cette plainte que l’employeur a eu recours à des travailleurs de remplacement dans le but de miner sa capacité de représentation. Le syndicat affirme que l’employeur a fait appel à un nombre de plus en plus grand d’employés d’agence pour qu’ils exécutent du travail de l’unité de négociation, dans les jours qui ont précédé une grève légale et au cours de celle‑ci (dossier du Conseil no 32232‑C – la « seconde plainte de pratique déloyale de travail »). Dans la seconde plainte de pratique déloyale de travail, le syndicat demande une déclaration selon laquelle l’employeur a eu recours à des travailleurs de remplacement dans le but de miner la capacité de représentation du syndicat, ainsi qu’une ordonnance d’interdiction pour la durée du conflit de travail.

[9] Le 10 août 2017, le syndicat a présenté une demande connexe en vertu de l’article 19.1 du Code, afin d’obtenir une ordonnance provisoire enjoignant à l’employeur de ne plus recourir aux services des employés d’agence jusqu’à ce que le Conseil ait rendu une décision sur le fond de la seconde plainte de pratique déloyale de travail. Le 18 août 2017, le Conseil a rejeté la demande d’ordonnance provisoire du syndicat (voir Manutention Swissport Canada inc., 2017 CCRI LD 3858).

[10] L’employeur soulève plusieurs objections préliminaires dans sa réponse aux deux plaintes du syndicat. Il avance qu’aucune preuve suffisante à première vue n’a été établie au regard des plaintes de pratique déloyale de travail du syndicat, que ces plaintes constituent un abus de procédure, et que le Conseil devrait exercer, en vertu du paragraphe 98(3) ou de l’alinéa 16l.1), son pouvoir discrétionnaire de rejeter les plaintes ou d’en reporter l’instruction à plus tard, car il y a un grief en instance concernant la question de la sous‑traitance, lequel a été renvoyé à l’arbitrage.

[11] Après avoir entendu les parties le 22 août 2017, le Conseil a rejeté les objections préliminaires de l’employeur relatives à la première plainte. Toutefois, étant donné le grief en instance et la réticence générale du Conseil à interpréter le texte d’une convention collective liant des parties, le banc a décrit comme suit la nature essentielle de la première plainte, dans Manutention Swissport Canada inc., 2017 CCRI LD 3849 (LD 3849) :

... si la conduite de l’employeur au cours des négociations collectives et si le recours à la disposition sur la sous‑traitance – que la convention collective l’autorise ou non – équivalaient à une pratique déloyale de travail. Plus précisément, le Conseil établira si les modalités, le moment et les répercussions du recours à la disposition sur la sous‑traitance par l’employeur ont entraîné un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi (alinéa 50a)), ou ont miné la capacité du syndicat à représenter ses membres dans le cadre des négociations collectives (alinéa 94(1)a)). Le Conseil a été convaincu qu’une preuve suffisante à première vue a été établie relativement à ces allégations, et il a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter la plainte ou d’en reporter l’instruction à plus tard en vertu du paragraphe 98(3) ou de l’alinéa 16l.1).

En ce qui concerne le volet de la plainte fondé sur l’alinéa 50b), le Conseil a indiqué qu’il repose essentiellement sur la question de savoir si les employés d’agence sont des employés de Manutention Swissport Canada inc., ce qui nécessite d’interpréter les contrats en vigueur ainsi que la disposition sur la sous‑traitance et d’autres dispositions de la convention collective. Par conséquent, le Conseil a conclu qu’il valait mieux que cette question soit tranchée au moyen de la procédure de règlement des griefs et que ce soit un arbitre qui établisse comment la convention collective doit être interprétée et appliquée. Le Conseil a donc exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 98(3) et il refuse d’instruire ce volet de la plainte sur le fondement d’une violation alléguée de la disposition sur le gel (alinéa 50b)).

(page 2)

[12] Le 23 août 2017, le Conseil a tenu une téléconférence de gestion des affaires avec les parties aux deux plaintes de pratique déloyale de travail du syndicat. Au cours de la téléconférence, le syndicat a maintenu ses allégations de violation de la disposition sur le gel relativement aux incitatifs offerts directement par l’employeur à des membres de l’unité de négociation après la signification de l’avis de négociation. En conséquence, le Conseil a apporté des précisions à la décision citée ci‑dessus et a autorisé le syndicat à présenter des éléments de preuve concernant ce volet particulier de la plainte en vertu de l’alinéa 50b) du Code.

[13] Le Conseil a invité les parties à présenter des observations supplémentaires sur les objections préliminaires de l’employeur relativement à la seconde plainte de pratique déloyale de travail. Après avoir examiné les observations écrites supplémentaires des parties, le Conseil a rejeté les objections préliminaires de l’employeur relatives à la seconde plainte de pratique déloyale de travail dans Manutention Swissport Canada inc., 2017 CCRI LD 3861, indiquant qu’il instruirait la seconde plainte sur le fond consécutivement à la première plainte. En rejetant les objections préliminaires, le Conseil a décrit comme suit la nature de la seconde plainte de pratique déloyale de travail :

Les circonstances sur lesquelles repose la plainte fondée sur le paragraphe 94(2.1) du Code découlent de la conduite adoptée par l’employeur durant les négociations collectives, ainsi que du moment et des répercussions de la décision de l’employeur d’avoir recours à des employés d’agence, et de la façon dont cette décision a été prise. Bien que le fondement factuel de cette plainte soit similaire ou identique à l’ensemble de faits sur lequel s’appuie la plainte connexe de pratique déloyale de travail dans le dossier no 32141‑C, le syndicat allègue, dans le cadre de la présente plainte, que le recours continu à des employés d’agence par l’employeur après le début de la grève visait à miner sa capacité de représentation dans le cadre des négociations. Le syndicat met en cause la conduite adoptée par l’employeur durant les négociations collectives, eu égard à la décision de faire appel à des employés d’agence, ainsi que le recours continu à ces employés après le début de la grève, et il invite le Conseil à conclure que l’objectif de l’employeur n’est pas d’atteindre des objectifs légitimes de négociation, mais plutôt de miner la capacité de représentation du syndicat. Le Conseil est d’avis qu’il vaut mieux trancher ces questions au moyen d’une instruction et d’un examen de la preuve. Comme l’ont souligné les deux parties, le Conseil s’est rarement penché sur des plaintes de ce genre, et sa jurisprudence dans ce domaine particulier est encore en évolution. Le Conseil comprend que les parties interprètent différemment le critère et le seuil applicables auxquels il doit être satisfait pour qu’une plainte soit accueillie en vertu du paragraphe 94(2.1) du Code. Le Conseil fera donc preuve de prudence en instruisant la plainte sur le fond et en rendant une décision sur la question de savoir s’il y a eu violation du Code dans cette affaire.

Par ailleurs, le Conseil est incapable de conclure que le dépôt de la plainte fondée sur le paragraphe 94(2.1) peu après le début de la grève constitue un abus de procédure dans les présentes circonstances. Le syndicat a déposé sa plainte dès qu’il a pu le faire, et alors qu’évoluaient les circonstances relatives au recours à des travailleurs de remplacement ou à des employés d’agence. La présente plainte ne constitue pas un abus de procédure du fait qu’elle se fonde sur le même ensemble de circonstances factuelles que l’autre plainte. Il faut, lorsqu’il y a lieu de le faire, s’assurer du respect des droits prévus au Code, et le Conseil sera très réticent à rejeter une plainte sans en avoir examiné le bien‑fondé, au motif que la procédure serait abusive parce qu’elle met en cause des faits similaires à ceux d’une plainte antérieure.

En outre, le Conseil a établi que la plainte déposée par le syndicat concerne essentiellement la question de savoir si l’employeur a eu recours à des travailleurs de remplacement dans un but autre que celui d’atteindre légitimement des objectifs de négociation. Cette question relève clairement de la compétence du Conseil ainsi que de son pouvoir de donner effet aux droits conférés par le Code et de son autorité pour assurer la réalisation des objectifs qui sous‑tendent cette loi. La présente affaire ne pourrait être tranchée ou résolue au moyen d’un arbitrage de grief. Par conséquent, le Conseil ne rejette pas la plainte et n’en reporte pas l’instruction à plus tard en vertu du paragraphe 98(3) ou de l’alinéa 16l.1) du Code.

La plainte sera donc instruite par le Conseil consécutivement à la première plainte déposée par le syndicat dans le dossier no 32141‑C.

(pages 2-3)

[14] Les audiences sur le fond de la première plainte de pratique déloyale de travail du syndicat ont débuté le 26 septembre 2017. Le 15 octobre 2017, les membres de l’unité de négociation ont ratifié une nouvelle convention collective d’une durée de trois ans. Au cours de la séance du 16 octobre 2017, le Conseil a demandé aux parties si l’instruction de la plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail. Le Conseil a entendu les parties sur cette question le 19 octobre 2017.

III. Position des parties

[15] Les deux parties ont présenté des arguments détaillés sur la question du caractère théorique de la plainte et ont renvoyé le Conseil à un large éventail de décisions rendues par des tribunaux fédéraux et provinciaux. Le Conseil a examiné soigneusement les observations des parties et la jurisprudence invoquée à l’appui. Ce qui suit est un résumé des éléments clés des positions des parties.

A. L’employeur

[16] Selon l’employeur, étant donné que les parties se sont entendues sur une convention collective et que celle‑ci a par la suite été ratifiée de 15 octobre 2017, le Conseil ne devrait pas instruire la plainte de pratique déloyale de travail du syndicat.

[17] L’employeur prétend que l’affaire est devenue théorique puisqu’il n’y a plus de « litige actuel » entre les parties. Il fait également valoir que l’instruction de la plainte ne favoriserait la réalisation d’aucun objectif lié à de saines relations du travail, peu importe la décision du Conseil quant au caractère théorique de l’affaire. Renvoyant le Conseil à Westcan Bulk Transport Ltd. (1994), 95 di 169 (CCRT no 1090), l’employeur affirme que le Conseil a le pouvoir discrétionnaire intrinsèque de ne plus donner suite à l’affaire.

[18] L’employeur affirme que les allégations du syndicat sont devenues théoriques du seul fait que les parties se sont entendues sur une convention collective négociée, et en conséquence des dispositions effectives de cette convention collective. À cet égard, il explique que le protocole de retour au travail traite de la question des employés d’agence, ce qui démontre qu’il n’y a aucun litige entre les parties. L’employeur explique que l’événement factuel qui a donné lieu à la plainte est la décision d’avoir recours à la sous‑traitance et d’embaucher des employés d’agence. Les parties elles‑mêmes ont convenu, selon les dispositions de la convention collective ratifiée, que l’employeur fera de son mieux pour retirer les employés d’agence du milieu de travail.

[19] L’employeur invite le Conseil à se pencher sur la nature essentielle des allégations soulevées par le syndicat en vertu des alinéas 50a), 94(1)a) et 50b). Selon l’employeur, ces trois volets de la plainte du syndicat sont liés à des allégations selon lesquelles des obstacles avaient été créés et empêchaient les parties d’en arriver à une convention collective.

[20] L’employeur fait valoir que l’instruction de l’affaire et la prise de mesures de redressement auraient pour objectif de permettre aux parties d’en arriver à une convention collective librement négociée, objectif qui a déjà été atteint en l’espèce. L’employeur soutient qu’il n’y a plus de redressement possible dans cette affaire et que, de toute façon, s’il existe toujours un litige concernant de la sous‑traitance illégitime, cette question sera tranchée en arbitrage.

[21] En résumé, puisque les parties ont déjà conclu une convention collective librement négociée, l’employeur affirme que toute l’affaire est théorique.

[22] En outre, l’employeur soutient que l’instruction de la plainte ne favoriserait la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail.

[23] Premièrement, l’employeur soutient que, si le Conseil peut déclarer qu’il y a eu violation, il n’a pas compétence pour prendre la mesure de redressement demandée par le syndicat, à savoir d’enjoindre aux parties d’inclure dans leur convention collective une disposition interdisant la sous‑traitance. L’employeur s’appuie sur le libellé clair de l’alinéa 99(1)b.1) du Code au soutien de sa prétention voulant qu’il ne puisse pas inclure de conditions spécifiques sur la sous‑traitance, ou abandonner une position de négociation, étant donné que les parties ne sont plus engagées dans une négociation collective. L’employeur soutient que des mesures de redressement en vertu de l’alinéa 99(1)b.1) du Code ne peuvent être prises que pendant des négociations collectives et lorsqu’il a été conclu à une violation de l’alinéa 50a) du Code.

[24] Deuxièmement, l’employeur soutient que le Conseil a pour pratique générale de ne pas formuler de déclarations théoriques ou avec effet rétroactif. À cet égard, l’employeur rappelle la décision du Conseil relative à la première demande de déclaration de grève illégale opposant les parties, dans laquelle le Conseil a refusé de rendre une ordonnance d’interdiction parce qu’aucune grève illégale n’était en cours. L’employeur soutient que les principes applicables dans le contexte d’une demande de déclaration de grève illégale s’appliquent encore dans la présente affaire.

[25] Troisièmement, et en laissant de côté l’alinéa 99(1)b.1), l’employeur reconnaît que le Conseil dispose toujours d’un pouvoir général de redressement en vertu du paragraphe 99(2) du Code. Il soutient que le syndicat n’a pas demandé de redressement en vertu de ce paragraphe et que, de toute façon, tout redressement subséquent entravant l’entente conclue entre les parties reviendrait à profaner le caractère sacré des libres négociations collectives. L’employeur affirme que le Conseil n’impose l’inclusion de dispositions dans une convention collective que dans des cas exceptionnels, comme dans l’affaire Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, dont les circonstances ne ressemblaient en rien à celles de la présente plainte. L’employeur soutient que le syndicat demande au Conseil de lui procurer un résultat qu’il a été incapable d’obtenir à la table de négociation.

[26] Quatrièmement, l’employeur soutient que l’instruction de la présente affaire constituerait un gaspillage de ressources. L’instruction supposerait vraisemblablement cinq journées d’audience supplémentaires, sans compter la seconde plainte de pratique déloyale de travail, ce qui est substantiel. L’employeur a présenté neuf déclarations résumant les témoignages anticipés en prévision de l’audience et, au moment où les parties en sont arrivées à une convention collective, le syndicat était à mi‑chemin dans son contre‑interrogatoire relatif à la première de ces déclarations.

[27] En ce qui concerne la prétention du syndicat selon laquelle le litige surviendra encore lors des prochaines rondes de négociation, l’employeur déclare qu’il s’agit de pure spéculation. Il explique que la présente affaire a découlé de son incapacité à attirer des employés en raison des taux salariaux. L’employeur a bon espoir qu’un manque de personnel comme celui qui l’a amené à sous‑traiter du travail ne se produira plus, vu les taux salariaux supérieurs fixés dans la convention collective. De plus, l’employeur affirme que la convention collective contient une clause permettant la renégociation de certaines conditions d’emploi avant l’expiration de la convention collective, qui vise à régler tout problème ultérieur qui pourrait survenir pendant la durée de la convention collective.

B. Le syndicat

[28] Le syndicat soutient que la plainte n’est pas théorique, car le redressement qu’il demande est toujours possible. Il demande au Conseil de modifier les dispositions de la convention collective de façon à interdire à l’employeur de sous‑traiter du travail. Le syndicat renvoie à sa demande du 26 juillet 2017 visant à obtenir « une ordonnance du Conseil en vertu de l’alinéa 99(1)b.1) du Code, selon laquelle l’employeur concédera que la convention collective entre les parties doit contenir une disposition interdisant à l’employeur de sous‑traiter du travail de l’unité de négociation » (traduction). Il soutient également que le Conseil devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher la plainte même s’il est conclu qu’elle est théorique.

[29] Le syndicat fait valoir que le Conseil doit examiner si un redressement est toujours possible et justifié en l’espèce, même si une convention collective a été conclue. Il soutient que les membres de l’unité de négociation avaient compris que la plainte suivrait son cours devant le Conseil quand ils ont ratifié la convention collective.

[30] Le syndicat affirme que, si le Conseil rejette la plainte au motif qu’elle est théorique après environ six mois de procédure, il fera clairement comprendre aux membres du syndicat que leurs droits légaux sont non susceptibles d’être sanctionnés en justice. Du point de vue du syndicat, une telle décision favoriserait la perturbation des relations du travail et tendrait à indiquer que la seule façon de préserver les droits légaux est le maintien d’un conflit de travail, ce qui va à l’encontre des objectifs du Code. En d’autres mots, le syndicat affirme que, si le Conseil devait rejeter la plainte au motif qu’elle est théorique, cela signifierait que la seule façon d’obtenir l’instruction de la plainte aurait été de continuer la grève.

[31] Selon le syndicat, les faits en l’espèce se distinguent de ceux dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2011 CCRI 572 (RD 572), dans laquelle aucun redressement n’était demandé. Le syndicat fait observer que dans la RD 572, la plainte est demeurée en instance pendant un an et demi après la conclusion d’une convention collective entre les parties, et que la question du caractère théorique de la plainte, soulevée de l’initiative du Conseil, avait découlé de l’inaction des parties au cours des six mois précédents.

[32] En ce qui concerne le redressement, le syndicat soutient que l’alinéa 99(1)b.1) et le paragraphe 99(2) du Code peuvent être appliqués en l’espèce. Le syndicat a demandé que l’employeur concède l’inclusion d’une disposition interdisant la sous‑traitance dans la convention collective. Selon le syndicat, le Conseil a clairement le pouvoir de modifier la convention collective lorsque les circonstances le justifient, même si les conditions prévues à l’alinéa 99(1)b.1) ne sont pas remplies. Le syndicat renvoie aux décisions rendues dans Cairns, 2003 CCRI 230, et aux principes qui y sont mentionnés pour l’évaluation des ordonnances de redressement, à savoir :

  • Il doit y avoir un rapport entre la violation, ses conséquences et la réparation;

  • Le Conseil peut légitimement exercer son expérience et ses compétences spécialisées pour concevoir un redressement;

  • Le Conseil tient compte des objectifs de la loi;

  • Le Conseil possède de vastes pouvoirs de redressement en vertu du paragraphe 99(2) du Code;

  • Le plaignant doit être replacé dans la situation où il aurait été si la violation ne s’était pas produite.

[33] Premièrement, le syndicat affirme que le redressement demandé est très bien adapté, et rationnellement lié, à la conduite illicite adoptée par l’employeur en l’espèce. Le syndicat soutient, dans ses observations, que c’est le recours manifeste de l’employeur à son droit légal de sous‑traiter du travail qui a entraîné la violation du Code. Par conséquent, le syndicat affirme que le Conseil devrait ordonner un redressement qui limiterait ce droit. Le syndicat s’appuie sur les motifs dissidents du juge Dickson dans Syndicat canadien de la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (N.‑É.) et autre, [1983] 2 R.C.S. 311 (l’arrêt Commission scolaire de Digby), pour appuyer sa prétention selon laquelle le Conseil a le pouvoir de rendre une ordonnance de ce genre, interdisant la sous‑traitance pour la durée de la convention collective. La majorité s’était appuyée sur les motifs dissidents du juge Dickson dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), précité.

[34] Deuxièmement, le syndicat presse le Conseil d’utiliser ses compétences spécialisées pour examiner la probabilité qu’une convention collective ait pu être ratifiée si le syndicat avait pensé que le Conseil rejetterait la plainte de sa propre initiative. Le syndicat soutient que la conduite de l’employeur a causé un préjudice irréparable à sa capacité de représenter adéquatement ses membres et de négocier sur un terrain neutre. Selon le syndicat, il serait injuste de rejeter la plainte parce qu’il a signé une convention collective et mis fin au conflit de travail. Le syndicat invite le Conseil à se demander, dans son examen du redressement, pourquoi l’employeur n’a pas invoqué l’argument du caractère théorique. À cet égard, le syndicat avance que l’employeur tenait pour acquis que le syndicat maintiendrait sa plainte en dépit de la conclusion d’une convention collective.

[35] Troisièmement, en ce qui concerne les objectifs de la loi, le syndicat fait valoir que les libres négociations collectives ne sont pas le seul objectif visé par le Code. Le syndicat soutient que rejeter la plainte au motif qu’elle serait théorique irait à l’encontre de relations du travail saines et donnerait à penser aux membres de l’unité de négociation qu’ils auraient dû rester en grève.

[36] Quatrièmement, le syndicat soutient que l’alinéa 99(1)b.1) et le paragraphe 99(2) du Code confèrent tous deux au Conseil le pouvoir d’ordonner la modification de la convention collective.

[37] Cinquièmement, en ce qui concerne le rétablissement du syndicat dans la situation où il se serait trouvé si la violation n’avait pas eu lieu, le syndicat soutient que ce serait impossible dans la présente affaire. Selon le syndicat, le redressement demandé ne peut corriger que partiellement le préjudice qu’il a subi. Le syndicat renvoie à sa dernière offre faite à l’employeur, le 21 juillet 2017, dans laquelle il modifiait sa proposition et proposait l’arbitrage exécutoire sur la question de l’interdiction de sous‑traiter du travail. Selon le syndicat, il n’est que juste, en l’espèce, de demander ce redressement, qui ne revient pas à imposer une disposition dans la convention collective. Le syndicat soutient qu’on ne peut raisonnablement contester que le Conseil a le pouvoir d’ordonner le redressement demandé.

[38] Le syndicat soutient en outre que, même si la plainte est théorique, le Conseil devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de poursuivre les audiences, car l’affaire est « susceptible de se répéter et de ne jamais être soumise aux tribunaux » (traduction). En d’autres mots, le syndicat soutient que le litige surviendra à nouveau entre les parties, mais qu’il est improbable que la procédure faisant suite à la plainte soit menée à terme, étant donné la nature et la complexité d’une plainte de ce genre. Le syndicat allègue que, pour obtenir une décision dans cette affaire, il lui faudrait attendre un an, ce qui suppose qu’il aurait dû continuer la grève pendant sept ou huit mois.

[39] En conséquence, le syndicat presse le Conseil d’exercer son pouvoir discrétionnaire de poursuivre l’instruction de la plainte, à défaut de quoi le litige ne sera jamais tranché. À cet égard, le syndicat renvoie à la décision Trillium Lakelands District School Board and Upper Canada District School Board, [2013] OLRB Rep. March/April 427, dans laquelle la CRTO a fait observer qu’en qualifiant le différend de théorique, on ferait en sorte qu’il serait toujours écarté avant qu’il ne puisse être instruit. Dans la présente affaire, il y a déjà eu cinq journées d’audience devant le Conseil. Selon les observations du syndicat, on ne saurait gaspiller les ressources déjà investies. Le syndicat estime qu’il n’aura pas accès à la justice si la plainte n’est pas tranchée sur le fond.

IV. Analyse et décision

[40] Dans la présente affaire, le Conseil a soulevé la question du caractère théorique de sa propre initiative. Après que la nouvelle convention collective a été conclue, le Conseil a demandé aux parties de présenter des observations sur la question de savoir si l’instruction de la première plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail.

[41] Dans Westcan Bulk Transport Ltd., précitée, le Conseil a confirmé qu’il a le pouvoir de refuser d’instruire une plainte lorsqu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties et qu’une décision n’aurait aucune portée pratique pour ces dernières. Il s’est exprimé comme suit, relativement à son pouvoir de rejeter une plainte au motif qu’elle est théorique :

... le fait que le Conseil est obligé d’« instruire » une plainte déposée en vertu de l’article 98 ne signifie pas qu’il doive entendre sur le fond des plaintes qui sont théoriques et qu’il rende une décision qui n’aurait aucune portée pratique pour les parties. Le Conseil a à maintes reprises fait allusion dans des décisions antérieures à son pouvoir de rejeter des plaintes qui sont théoriques, sans toutefois s’attarder sur la question; voir Terminaux Portuaires du Québec Inc. (1991), 85 di 71 (CCRT no 870); Halifax Grain Elevator Limited (1991), 85 di 42; 15 CLRBR (2d) 191; et 91 CLLC 16,033 (CCRT no 867); et Purolator Courrier Ltée (1981), 45 di 300 (CCRT no 344).

(pages 173-174)

[42] Le Conseil, en tant que maître de sa procédure, a le pouvoir de soumettre aux parties la question de savoir si, étant donné un changement de circonstances, l’instruction d’une plainte favoriserait ou non la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail. Le Conseil a exercé ce pouvoir plus récemment dans Fredericton International Airport Authority inc., 2012 CCRI 647.

[43] Les deux parties ont rappelé au Conseil l’analyse en deux temps applicable à la détermination du caractère théorique, telle qu’elle a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général (sic) s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer...

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire…

(page 353)

[44] Bien que l’approche adoptée dans Borowski c. Canada (Procureur général), précité, puisse servir de guide, la question centrale que se pose le Conseil, lorsqu’il décide s’il refusera d’instruire une plainte, est généralement celle de savoir si le traitement de la plainte favorisera la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail.

[45] En gardant ces principes à l’esprit, le Conseil établira d’abord s’il existe un litige actuel qui oppose les parties, puis il examinera si l’instruction de la plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail.

A. Existe‑t‑il un litige actuel?

[46] En règle générale, le Conseil ne rejette pas automatiquement une plainte de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi au motif qu’elle est théorique pour la seule raison qu’une convention collective a été conclue. De fait, le Conseil a statué sur le bien‑fondé d’une plainte de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi dans Énergie atomique du Canada limitée, 2001 CCRI 110, en dépit du fait qu’une convention collective avait déjà été conclue. Dans cette affaire, le syndicat alléguait que l’employeur avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi en refusant de communiquer des renseignements au sujet des augmentations salariales et des promotions. Concluant que l’affaire n’était pas théorique, le Conseil s’est exprimé ainsi :

[47] Tant que le syndicat n’a pas obtenu les renseignements demandés, la négociation d’un tel redressement ou même l’administration de la convention collective elle‑même pourraient n’être qu’un simple trompe‑l’œil. En refusant de divulguer des renseignements si manifestement pertinents après la signification de l’avis de négocier collectivement, l’employeur a clairement contrevenu aux dispositions des sous‑alinéas 50a)(i) et (ii). Le défaut continu de fournir ces renseignements constitue une violation continue. Le fait qu’une nouvelle convention collective a été signée ne change rien à la situation, surtout dans des circonstances comme celles dont le Conseil est saisi en l’espèce où il a été très clairement indiqué au moment de la signature de la convention collective que les renseignements étaient toujours jugés nécessaires et pertinents, et où ils continuent de revêtir de l’importance.

[47] La décision rendue dans Énergie atomique du Canada limitée, précitée, est importante dans la mesure où elle démontre qu’une plainte de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi ne devient pas automatiquement théorique du fait qu’une convention collective a été conclue. Le Conseil avait également fait porter son attention sur le lien entre le redressement demandé et son importance au regard de la relation de négociation considérée dans son ensemble, ce qui comprenait l’administration de la convention collective. Or, les renseignements non divulgués par l’employeur étaient en effet essentiels à la capacité de représentation de l’agent négociateur.

[48] Cela dit, le Conseil a également conclu, à la lumière des circonstances propres aux différentes affaires, que certaines plaintes liées à la conduite d’une partie pendant des négociations collectives sont devenues théoriques par suite de la conclusion d’une convention collective.

[49] Dans Can‑Ar Transit Services, Division of Tokmakjian Limited, 17 octobre 1997 (LD 1750), le syndicat demandait qu’une plainte qu’il avait déposée des années auparavant, et dans laquelle il alléguait que l’employeur avait enfreint les articles 50, 94 et 96, soit réunie et instruite conjointement avec une demande plus récente dont le Conseil avait été saisi, laquelle visait à obtenir l’extinction des droits de négociation du syndicat. Le syndicat affirmait que la position soutenue par l’employeur pendant les négociations et la présentation subséquente de la demande d’extinction des droits de négociation du syndicat démontraient que l’employeur n’agissait pas de bonne foi au moment de sa plainte. Le Conseil n’avait pas tranché la plainte fondée sur l’article 50, mais il avait formulé une déclaration concernant les obligations des parties dans le contexte d’une relation de négociation collective. À la suite de cette déclaration, les parties avaient négocié et conclu une convention collective. Toutefois, dans sa déclaration, le Conseil avait indiqué qu’il demeurait saisi de l’affaire pour le cas où d’autres questions litigieuses surgiraient, et le syndicat s’était appuyé sur cette déclaration pour tenter de réactiver sa plainte. Dans sa décision rejetant la plainte au motif qu’elle était théorique, le Conseil s’est exprimé ainsi :

Il doit être reconnu que la conclusion d’une convention collective n’empêche pas le Conseil d’examiner le fond de la plainte relative au refus de l’employeur de se réunir et de négocier avec le syndicat, tel qu’il est allégué dans sa plainte. Des faits de ce genre, s’ils sont prouvés, justifieraient une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu au Code en se livrant à une pratique déloyale de travail. Toutefois, il y a toujours lieu de se demander s’il convient que le Conseil examine et tranche ces questions maintenant.

Le Conseil estime qu’une audience concernant des enjeux liés aux négociations collectives qui n’ont plus de raison d’être ne favoriserait pas la promotion de saines relations du travail. Cela est particulièrement vrai dans une situation où aucun redressement ne serait possible...

Puisqu’une convention collective a été conclue après le dépôt de la plainte, une ordonnance du Conseil serait sans effet pratique sur les parties en ce qui a trait à la conduite qu’aurait adoptée l’employeur en 1995 et au début de 1996. Les questions litigieuses en cause, relativement à ces négociations, sont désormais théoriques (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342).

Dans ces circonstances, et en l’absence de tout facteur qui justifierait que nous exercions notre pouvoir discrétionnaire d’examiner la plainte sur le fond en dépit du fait qu’elle est théorique, le Conseil a décidé de ne pas instruire la plainte. Par conséquent, la plainte est rejetée au motif qu’elle est théorique, et le Conseil rejette la demande visant à ce que le dossier 745‑5316 soit réuni avec la demande visant l’extinction des droits de négociation du SUT.

(pages 3-4; traduction)

[50] De même, dans Société Radio‑Canada (1997), 104 di 34 (CCRT no 1201), l’employeur avait déposé une plainte de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi, alléguant qu’on le forçait – sans avoir le droit de le faire – à négocier conjointement avec trois agents négociateurs qui avaient conclu une entente de négociation conjointe, et que cette entente était illégale. Le Conseil a rejeté cette plainte au motif qu’elle était théorique, étant donné que des conventions collectives avaient été conclues relativement à chacune des trois unités de négociation visées et que l’instruction de la plainte n’aurait favorisé la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail. Le Conseil a déclaré ce qui suit :

Comme des conventions collectives ont été conclues pour chacune des trois unités en question, il n’y a pas lieu à notre avis d’entendre ce qui pourrait être une preuve longue et contestée concernant l’entente et son application. L’affaire n’a plus de raison d’être et, après avoir entendu les arguments des parties sur ce point, nous concluons qu’il ne servirait à aucune fin valable en matière de relations de travail de statuer pour l’instant sur le bien‑fondé des plaintes.

(page 37)

[51] Plus récemment, dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, précitée, la CFTC a déposé une plainte alléguant que le CN avait manqué à son obligation de négocier de bonne foi en formant, à titre préventif, des travailleurs de remplacement au travail et en leur faisant exécuter des tâches relevant de l’unité de négociation, à titre d’outil de formation. Le syndicat alléguait en outre qu’en agissant ainsi, l’employeur s’était ingéré dans l’administration du syndicat et avait miné sa capacité de représentation. Après le dépôt de la plainte et le déclenchement d’une grève par le syndicat, les parties se sont entendues pour soumettre toutes les questions non réglées relatives aux salaires et aux avantages sociaux à l’arbitrage exécutoire. Le Conseil avait initialement décidé de poursuivre l’instruction de l’affaire malgré l’entente des parties. Pour en arriver à cette décision, le Conseil avait tenu compte en particulier des négociations collectives parallèles que les parties menaient eu égard à une unité de négociation distincte, au regard de laquelle avait été soulevée une question identique, relativement à la formation de travailleurs de remplacement. Toutefois, après que ce second différend relatif aux négociations collectives eut été réglé et que les parties eurent omis de produire un rapport des progrès, le Conseil a demandé aux parties, de sa propre initiative, d’expliquer pourquoi la plainte ne devrait pas être tenue pour périmée, en application du paragraphe 29(2) du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles. Après avoir examiné les observations des parties, le Conseil a estimé qu’il n’y avait plus de litige actuel dans cette affaire :

[16] Dans la présente affaire, il est manifeste que les circonstances ayant donné lieu à la plainte, soit la formation de cadres pour, allègue‑t‑on, agir à titre de travailleurs de remplacement en cas de grève des membres de l’unité de négociation des ME ou de celle des CATAT, n’existent plus, et que l’affaire est donc théorique. Par conséquent, la question dont le Conseil est saisi est de savoir s’il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur le bien‑fondé de la plainte, en dépit de l’absence d’un litige actuel.

[52] Le Conseil a finalement refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la plainte, puisque cela n’aurait favorisé la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail.

[53] Dans la présente affaire, les parties défendent des positions différentes sur la question de savoir si la plainte est elle‑même devenue théorique par suite de la conclusion d’une convention collective. D’un côté, l’employeur soutient qu’il n’y a plus de litige actuel du fait que les négociations collectives étaient au cœur de chacune des allégations de la plainte et que la convention collective a levé les obstacles sous‑jacents à la négociation collective. De l’autre côté, le syndicat avance que la plainte n’est pas théorique, car un redressement est possible au‑delà de simples déclarations. Dans ses observations du 26 juillet 2017, le syndicat a demandé « une ordonnance du Conseil en vertu de l’alinéa 99(1)b.1) du Code, selon laquelle l’employeur concédera que la convention collective entre les parties doit contenir une disposition interdisant à l’employeur de sous‑traiter du travail de l’unité de négociation » (traduction).

[54] Afin d’établir si un litige actuel oppose toujours les parties, il faut examiner attentivement la nature de chacune des allégations du syndicat. Dans la présente plainte, le syndicat allègue ce qui suit :

  1. L’employeur a manqué à l’obligation de négocier de bonne foi à laquelle il est tenu en vertu de l’alinéa 50a) du Code lorsqu’il a refusé de négocier des taux salariaux pour les préposés aux aires de trafic à la table de négociation et qu’il a décidé d’embaucher des employés d’agence qui touchaient une rémunération supérieure à celle des préposés aux aires de trafic.

  2. L’employeur a miné la capacité du syndicat à représenter ses membres durant les négociations collectives, en violation de l’alinéa 94(1)a) du Code.

  3. L’employeur a offert une rémunération incitative au taux double après qu’un avis de négociation eut été signifié et a ainsi contrevenu à la disposition sur le gel énoncée à l’alinéa 50b) du Code.

 

 

[55] Dans la LD 3849 le Conseil a décrit de la façon suivante la nature essentielle de la plainte du syndicat fondée sur les alinéas 50a) et 94(1)a) du Code :

… si la conduite de l’employeur au cours des négociations collectives et si le recours à la disposition sur la sous‑traitance – que la convention collective l’autorise ou non – équivalaient à une pratique déloyale de travail. Plus précisément, le Conseil établira si les modalités, le moment et les répercussions du recours à la disposition sur la sous‑traitance par l’employeur ont entraîné un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi (alinéa 50a)), ou ont miné la capacité du syndicat à représenter ses membres dans le cadre des négociations collectives (alinéa 94(1)a))…

(page 2)

[56] Dans cette même décision, le Conseil a expressément refusé de rendre une décision qui aurait exigé qu’il interprète les contrats en vigueur et la disposition de la convention collective sur la sous‑traitance. De l’avis du Conseil, il était préférable que ces enjeux soient examinés dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et que l’arbitre de grief se penche sur l’interprétation et l’application de la convention collective.

[57] Les circonstances qui ont donné lieu à la plainte du syndicat fondée sur les alinéas 50a) et 94(1)a) du Code sont le refus par l’employeur de négocier les taux salariaux des préposés aux aires de trafic à la table de négociation et la décision de l’employeur d’embaucher plus de 100 employés d’agence après que l’avis de négociation eut été signifié. L’employeur a souligné, et le syndicat n’a pas contesté, que la convention collective nouvellement négociée établit des taux salariaux supérieurs pour les préposés aux aires de trafic et permet aux parties de renégocier certaines conditions d’emploi avant l’expiration de la convention collective. En outre, il est expressément stipulé, dans le protocole de retour au travail dont ont convenu les parties, que l’employeur fera « tout en son pouvoir pour ne plus avoir recours aux services des employés d’agence ou travailleurs de remplacement actuellement engagés par l’employeur dans un délai de 60 jours après la ratification de l’entente de principe » (traduction). Les parties avaient également convenu, dans le protocole de retour au travail, que les employés d’agence ou travailleurs de remplacement pourraient être engagés à des postes appartenant à l’unité de négociation. Du point de vue du Conseil, ces éléments, considérés conjointement, démontrent qu’il n’y a plus de litige actuel en ce qui a trait aux circonstances qui ont mené au dépôt de la plainte fondée sur les alinéas 50a) et 94(1)a) du Code. La convention collective qu’ont conclue les parties a réglé les questions principales qui étaient au cœur de la plainte.

[58] De la même façon, le Conseil est d’avis qu’il n’y a plus de litige actuel relativement à la violation de la disposition du Code sur le gel. Dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2014 CSC 45, la majorité de la Cour suprême du Canada a récemment confirmé en ces termes l’objet de la disposition législative sur le gel des conditions d’emploi :

[34] À mon avis, en encadrant les pouvoirs de l’employeur, l’art. 59 ne vise pas seulement à créer un équilibre ni à assurer le statu quo, mais plus exactement à faciliter l’accréditation et à favoriser entre les parties la négociation de bonne foi de la convention collective (Bergeron, p. 142 et 147; F. Morin, Le Code du travail : sa nature, sa portée, ses effets (1971), p. 16‑17; Club coopératif de consommation d’Amos c. Union des employés de commerce, section locale 508, [1985] AZ‑85141201 (T.A.), p. 11‑12; Association des juristes de l’État c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [2003] R.J.D.T. 579 (T.A.), par. 71).

[59] Ainsi, la disposition sur le gel n’a pas seulement pour objet de maintenir le statu quo, mais elle sert également de garde‑fou qui assure que les parties négocient de bonne foi, dans l’intention de conclure une convention collective. Étant donné que les parties ont été en mesure d’en arriver à une convention collective librement négociée, il n’y a plus de litige actuel en ce qui concerne les démarches que l’employeur aurait faites pour tenter d’influencer les négociations collectives lorsqu’il a offert des incitatifs à des employés pendant la période de gel. Par conséquent, le Conseil conclut qu’il n’y a plus de litige actuel relativement aux circonstances qui ont mené au dépôt de la plainte fondée sur l’alinéa 50b) du Code.

[60] Le syndicat a invité le Conseil à considérer que la plainte n’est pas théorique, car il réclame toujours un redressement, qui inclurait une ordonnance « selon laquelle l’employeur concédera que la convention collective entre les parties doit contenir une disposition interdisant à l’employeur de sous‑traiter du travail de l’unité de négociation » (traduction). L’employeur affirme que le Conseil n’est pas habilité à accorder une telle mesure de redressement dans la présente affaire.

[61] Le syndicat a invoqué l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), précité, et la décision Cairns, précitée, à l’appui de sa position selon laquelle le Conseil a le pouvoir de rendre l’ordonnance de redressement demandée. Toutefois, ces décisions ont été rendues dans un contexte complètement différent. Dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), précité, la majorité de la Cour suprême a maintenu l’ordonnance de redressement du Conseil qui enjoignait à l’employeur de faire certaines offres, sous réserve de l’arbitrage exécutoire. Toutefois, en rendant cette décision, la Cour suprême a souligné le caractère exceptionnel de cette affaire, qui était notamment caractérisée par un conflit de travail long et violent. De plus, les parties n’avaient toujours pas conclu de convention collective au moment où le Conseil avait rendu sa décision. Quant à l’affaire Cairns, précitée, elle avait découlé d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste. Aucune partie à une convention collective ne demandait au Conseil de modifier une disposition de la convention collective librement négociée qu’elle venait tout juste de ratifier.

[62] L’argument du syndicat à cet égard revient essentiellement à dire que, pour autant que le Conseil ait le pouvoir d’ordonner un redressement et que le syndicat maintienne sa demande de redressement, il y aurait des motifs suffisants pour que le traitement de la plainte se poursuive, et ce, même si les parties ont déjà résolu le différend sous‑jacent en matière de relations du travail. Le Conseil n’est pas convaincu par cet argument. Le fait que le syndicat maintienne sa demande de redressement ne peut, en soi, susciter un litige actuel si la plainte est devenue théorique.

[63] Pour les motifs ci‑dessus, le Conseil conclut qu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties relativement aux questions litigieuses qui sous‑tendent la plainte

[64] Cela dit, le Conseil examinera si l’instruction de la plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail, en dépit du fait que la plainte est théorique.

B. Objectif lié aux relations du travail

[65] Le syndicat soutient qu’il ne devrait pas être pénalisé pour avoir conclu une convention collective et que la conduite alléguée de la part de l’employeur ne devrait pas être autorisée du fait que le syndicat a accepté de mettre fin à l’arrêt de travail. Le syndicat affirme qu’il avait l’intention de maintenir sa plainte devant le Conseil lorsqu’il a conclu la convention collective et convenu de mettre fin à la grève. Il déclare que, s’il n’avait pas agi de la sorte, il aurait dû continuer une longue grève pour attendre le résultat de la présente procédure et un redressement satisfaisant.

[66] Premièrement, le Conseil sait fort bien que les plaintes de ce type peuvent entraîner de très longues procédures, et il n’est pas insensible à cette situation. Les allégations de négociation de mauvaise foi et d’intervention dans la représentation par le syndicat sont généralement difficiles à traiter rapidement et sur la foi du dossier. Les plaintes de pratique déloyale de travail peuvent soulever des questions de fait et de droit complexes, et elles exigent souvent que des preuves soient présentées sous forme de témoignages de vive voix et que la crédibilité des témoins soit évaluée. Bien que le Conseil tente de mettre ces affaires au rôle à des dates aussi rapprochées que possible, trouver des dates qui conviendront à différentes parties constitue un défi, et cela s’est révélé difficile dans la présente affaire.

[67] Deuxièmement, le Conseil comprend que les membres du syndicat ont peut‑être accepté la convention collective en se fondant sur des déclarations faites pendant le processus de ratification, selon lesquelles les plaintes devant le Conseil suivraient leur cours. Le syndicat presse le Conseil de considérer l’information fournie aux membres et l’acceptation de la convention collective qui en a dépendu comme des éléments fondamentaux et pertinents eu égard à la question de savoir si le Conseil favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail en poursuivant le traitement de ces affaires et en se prononçant sur le redressement demandé par le syndicat. Du point de vue du Conseil, les déclarations faites ou informations communiquées aux assemblées respectives des parties durant les négociations collectives ou pendant le processus de ratification ne sont pas pertinentes au regard de l’évaluation du Conseil concernant la question de savoir si la poursuite du traitement de la plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail. Le Conseil n’entreprendra pas l’examen de l’information qui a été fournie aux membres du syndicat pendant le processus de ratification. De toute façon, des déclarations selon lesquelles le traitement d’une plainte se poursuivra, que ces déclarations aient influencé le résultat du vote ou non, ne lient pas le Conseil en ce qui a trait à sa décision d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire la plainte ou non.

[68] Troisièmement, le syndicat soutient que, pour obtenir un redressement satisfaisant, les membres auraient dû continuer leur grève pendant plusieurs mois, afin d’attendre le résultat de la présente procédure. Le syndicat affirme que l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives n’est pas le seul principe mis de l’avant dans le Code, et qu’il faut mettre ce principe dans la balance avec l’application d’autres dispositions qui interdisent les pratiques déloyales de travail pendant les négociations collectives de façon à garantir de saines relations du travail. Le syndicat presse le Conseil de poursuivre la procédure et de trancher les plaintes sur le fond afin que lui‑même et ses membres aient accès à la justice.

[69] Bien que le syndicat rappelle le vieil adage selon lequel justice différée est justice refusée, le Conseil a le souci, en évaluant si la poursuite du traitement de ces demandes favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail, de ne pas entreprendre une démarche qui viserait à punir ou à blâmer l’une ou l’autre des parties. Comme l’employeur l’a mentionné, le Conseil est réticent à rendre des ordonnances ou à formuler des déclarations qui auraient des effets rétroactifs quand la question au cœur de la demande ou de la plainte est devenue théorique. Le principe général sur lequel s’appuie le Conseil lorsqu’il ordonne des redressements est d’indemniser intégralement la partie lésée par une violation du Code et de la replacer dans la situation où elle aurait été si cette violation ne s’était pas produite. Pour déterminer s’il doit rendre une ordonnance avec effet rétroactif, le Conseil tient compte du rôle qui lui est dévolu dans la promotion du règlement constructif des différends, ainsi que de l’objectif lié aux relations du travail que favoriserait une telle ordonnance.

[70] Le cadre des négociations collectives est soigneusement circonscrit de façon à soutenir les parties dans leurs efforts visant à conclure une convention collective librement négociée. Le rapport intitulé Vers l’Équilibre : Code canadien du travail, Partie I, Révision, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada, 1995, analyse les raisons pour lesquelles les libres négociations collectives jouent un rôle aussi fondamental pour assurer la stabilité des régimes de relations du travail :

... ce sont les parties qui sont le mieux en mesure de décider de ce qu’elles doivent faire. Il [le Code] encourage le volontarisme et les parties à définir leur propre convention collective. Elles ont donc toute la latitude pour négocier les conditions d’emploi de même que pour concevoir des mécanismes de règlement des désaccords. Le cadre légal leur offre l’occasion et la responsabilité de codifier leurs propres affaires et restreint leurs droits le moins possible.

...

Par ailleurs, ils reconnaissent que le régime de négociation collective le plus efficace et le plus pratique est celui qui accorde la plus grande responsabilité décisionnelle aux parties elles‑mêmes. La législation du travail et la réforme doivent donc viser à établir et à protéger un cadre global de négociation collective permettant aux parties de faire leur travail.

(pages 40-41 et 45)

[71] Les dispositions du Code qui concernent les négociations collectives sont conçues de façon à promouvoir les libres négociations collectives et à permettre aux parties respectives de faire intervenir leur « pouvoir économique ». Elles visent également à permettre aux parties d’obtenir le meilleur résultat possible en utilisant ce pouvoir comme moyen de pression. Dans le cadre du présent litige, le syndicat et l’employeur ont tous deux fait jouer leur pouvoir économique, et ils ont finalement conclu une convention collective, après 11 semaines de grève.

[72] Le Conseil aura soin de ne pas se mêler des résultats atteints grâce à ce processus. Même dans les situations les plus extrêmes, le Conseil et les tribunaux sont réticents à imposer l’inclusion de dispositions dans une convention collective. Par exemple, dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), précité, la majorité de la Cour suprême du Canada a maintenu le redressement ordonné par le Conseil, qui enjoignait à l’employeur de faire certaines offres, sous réserve de l’arbitrage exécutoire. En rendant cette décision, la Cour a déclaré ce qui suit :

... une ordonnance extraordinaire comme celle‑ci, encore qu’elle soit justifiée dans les circonstances, va à l’encontre des codes du travail fédéral et provinciaux car elle déroge au principe cher des « libres négociations collectives » qui inspire nos lois sur les relations du travail... je suis d’avis qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles et contraignantes comme celles de la présente instance il sera manifestement déraisonnable normalement qu’un conseil des relations du travail impose une telle ordonnance réparatrice envahissante étant donné que les libres négociations collectives représentent une valeur fondamentale consacrée par le Code.

(page 379)

[73] Dans les circonstances de la présente affaire, le syndicat demande un redressement qui amènerait le Conseil à imposer une nouvelle disposition dans la convention collective, laquelle vient d’être conclue par les parties grâce au processus des libres négociations collectives. Bien que le syndicat reconnaisse qu’il demande un redressement qui est rarement ordonné, il soutient que la question que doit trancher le Conseil est celle de savoir si un redressement est toujours possible. Toutefois, le Conseil est d’avis que le redressement demandé en l’espèce n’a plus de fondement depuis que les parties ont conclu une nouvelle convention collective et un protocole de retour au travail. Le Conseil doit prendre garde de ne pas permettre à une partie d’obtenir grâce à lui des résultats qu’elle a été incapable d’obtenir à la table de négociation. Le Conseil n’est pas disposé à accorder une ordonnance qui représenterait une ingérence importante dans la convention collective librement négociée par les parties, en l’absence de circonstances exceptionnelles et impérieuses.

[74] Le Conseil comprend la complexité des négociations et les décisions difficiles que le syndicat a dû prendre quant à la continuation ou à la cessation de la grève lorsqu’il évaluait son pouvoir de persuasion à la table de négociation. Toutefois, le Conseil ne croit pas qu’il favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail s’il statuait sur le bien‑fondé des plaintes eu égard à la conduite adoptée durant les négociations collectives. Dans les circonstances de la présente affaire, qui sont caractérisées par une modification du contexte des relations du travail et la ratification d’une convention collective après que le syndicat eut exercé son droit de grève pendant 11 semaines, le Conseil est d’avis que l’instruction ne pourrait mener qu’à des déclarations de nature punitive, si le Conseil établissait qu’il y a eu violation du Code.

[75] Toutefois, cette conclusion ne signifie pas que le Conseil ne dispose pas de vastes pouvoirs pour concevoir des mesures de redressement appropriées, qui indemnisent intégralement les parties, lorsque les circonstances le justifient. L’employeur a soutenu avec véhémence que le Conseil n’a pas compétence pour accorder le redressement demandé par le syndicat, étant donné qu’une convention collective a déjà été conclue. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de trancher cette question dans le contexte de la présente requête, le paragraphe 99(2) du Code confère une grande marge d’appréciation et de vastes pouvoirs au Conseil pour élaborer des mesures de redressement remédiant à des violations et permettant de réaliser les objectifs du Code.

[76] Quatrièmement, le syndicat avance que, indépendamment du fait que les parties ont conclu une convention collective, il est nécessaire de se pencher sur la conduite de l’employeur pendant les négociations collectives, afin de garantir que la situation ne se reproduise pas lors de la prochaine ronde de négociation. Les circonstances dans lesquelles se déroulera le prochain cycle de négociations collectives pour cette unité sont hypothétiques, et toute plainte future devra être évaluée sur son propre fond. Quoi qu’il en soit, le Conseil est d’avis que c’est aux parties qu’il revient de déterminer de quelle façon elles souhaitent aborder les négociations dans l’avenir. En l’espèce, la plainte du syndicat soulève un certain nombre de préoccupations relativement à la conduite de l’employeur. Le syndicat a allégué que l’employeur avait tenté de remédier aux problèmes liés à la rémunération des préposés aux aires de trafic à l’extérieur de la table de négociation, alors que le syndicat insistait pour que ces problèmes soient réglés dans le cadre des négociations collectives. Peu après que l’avis de négociation a été signifié, l’employeur a commencé à faire travailler plus de 100 employés d’agence, lesquels exerçaient leurs fonctions aux côtés des préposés aux aires de trafic. Si cette situation peut avoir contribué à la durée du conflit de travail, les parties ont finalement trouvé un terrain d’entente et conclu une convention collective librement négociée. Du point de vue du Conseil, le fait de poursuivre le traitement de la plainte à ce stade pourrait avoir des répercussions négatives sur les relations du travail futures des parties.

[77] Finalement, le Conseil est également conscient des ressources que les parties et lui‑même devraient investir pour mener les affaires à terme. Tel qu’il a été mentionné dans la description du contexte ci‑dessus, le Conseil a déjà rendu trois décisions relativement aux présentes plaintes, pour trancher une demande d’ordonnance provisoire et des questions préliminaires. À cela s’ajoutent deux décisions rendues par le Conseil relativement à des demandes de déclaration de grève illégale, présentées par l’employeur alors que les parties faisaient face à la menace d’un arrêt de travail légal et complet. Qu’il suffise de dire que, sur une période de quatre mois, le Conseil a consacré d’importantes ressources aux affaires qui ont découlé de la relation de négociation collective entre ces parties. Au moment d’instruire la présente requête, neuf témoins devaient encore déposer, ce qui exigerait au moins cinq journées d’audience supplémentaires. Bien que la question de l’économie de la justice ne soit pas décisive, il est important que le Conseil répartisse ses ressources limitées d’une manière conforme aux objectifs du Code et de façon à remplir le mieux possible son mandat.

[78] Ayant soigneusement examiné les arguments et la jurisprudence présentés par les parties, le Conseil a décidé de ne pas examiner plus avant la plainte du syndicat relative à la conduite de l’employeur durant les négociations collectives, puisque cela ne favoriserait en ce moment la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail.

C. Incidence sur la deuxième plainte de pratique déloyale de travail

[79] Dans la LD 3861 le Conseil a expressément souligné que les circonstances à l’origine de la seconde plainte de pratique déloyale de travail dérivaient de la conduite de l’employeur pendant les négociations collectives, ainsi que du moment et des répercussions de la décision de l’employeur de faire appel à des employés d’agence, et de la façon dont cette décision a été prise. Le Conseil a également reconnu que le fondement factuel de la seconde plainte était similaire, ou identique, à l’ensemble de faits sur lequel reposait la première plainte de pratique déloyale de travail. Dans la LD 3849, communiquée aux parties le 24 août 2017, le Conseil s’est exprimé ainsi :

La plaignante a demandé au Conseil de réunir les deux plaintes et de les instruire ensemble, mais de reporter à plus tard sa décision concernant l’un des volets de la plainte sur les travailleurs de remplacement, d’ici à ce que la procédure d’arbitrage ait permis de clarifier le statut des employés d’agence. L’employeur s’est opposé à cette façon de procéder et a suggéré que les plaintes soient instruites consécutivement. L’employeur a indiqué que la preuve et le fardeau applicables aux deux plaintes ne sont pas les mêmes, et que la possibilité que la plainte relative au recours à des travailleurs de remplacement puisse être accueillie dépend nécessairement du résultat de la première plainte de pratique déloyale de travail.

Le Conseil est prêt à entreprendre l’instruction de la première plainte de pratique déloyale de travail (dossier no 32141‑C) le 26 septembre 2017. Dans l’éventualité où le Conseil rejetterait les objections préliminaires et déciderait d’instruire la plainte relative au recours à des travailleurs de remplacement (dossier no 32232‑C), il instruira les deux plaintes consécutivement, en vertu de l’article 20 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.

(page 3)

[80] Pour les motifs déjà exposés ci‑dessus, le Conseil conclut qu’il n’existe plus de litige actuel relatif à la conduite de l’employeur pendant les négociations collectives, ainsi qu’au moment et aux répercussions de la décision de l’employeur de faire appel à des employés d’agence et à la façon dont cette décision a été prise. À la suite d’une conférence de gestion des affaires tenue avec les parties dans le cadre des deux plaintes de pratique déloyale de travail, le Conseil a décidé d’instruire la seconde plainte de pratique déloyale de travail consécutivement à la première. Étant donné les circonstances de la présente affaire, le Conseil ne voit aucun motif lié aux relations du travail qui justifierait la poursuite du traitement de la seconde plainte de pratique déloyale de travail, dont le résultat dépendait de la première.

D. Requête pour la production de documents

[81] Au cours de l’audience du 16 octobre 2017, le syndicat a demandé que soient produites des versions caviardées de quatre présentations PowerPoint préparées par la direction en vue de leur présentation à l’administration centrale de Swissport, à Zurich. L’employeur s’est vivement opposé à cette demande. Le Conseil a réservé sa décision sur cette question jusqu’à ce qu’il ait établi si l’instruction de la plainte favoriserait la réalisation d’un objectif lié aux relations du travail.

[82] Étant donné la décision du Conseil de ne pas instruire la première plainte, il n’est pas nécessaire d’examiner la demande du syndicat relative à la production de documents.

V. Conclusion

[83] Pour les motifs exposés ci‑dessus, le Conseil conclut qu’une décision dans les présentes affaires ne favoriserait la réalisation d’aucun objectif lié aux relations du travail, et il exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas examiner plus avant le bien‑fondé des deux plaintes de pratique déloyale de travail.

[84] Par conséquent, le Conseil ferme ses dossiers et annule les journées d’audience prévues le 6, le 19 et le 20 décembre 2017.

[85] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

Traduction

 

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Ginette Brazeau

Présidente

 

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Richard Brabander

Membre

 

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Paul Moist

Membre

 

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