Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Association des pilotes de ligne, Internationale

requérante,

et

Air Georgian limitée,

employeur.

Dossier du Conseil : 31860-C

Unifor,

requérant,

et

Air Georgian limitée,

employeur.

Dossier du Conseil : 31861-C

Syndicat canadien de la fonction publique,

requérant,

et

Air Georgian limitée,

employeur.

Dossier du Conseil : 31862-C


 

Ontario Regional Employee Association,

requérante,

et

Air Georgian limitée,

employeur.

Dossier du Conseil : 31865-C

Référence neutre : 2017 CCRI 847

Le 26 janvier 2017

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de MGinette Brazeau, Présidente, ainsi que de MM. André Lecavalier et Gaétan Ménard, Membres.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

I. Nature de la demande

[1] Air Georgian limitée (Air Georgian ou l’employeur) est un transporteur aérien privé qui offre des vols réguliers et nolisés vers des destinations au Canada et à l’étranger. Elle exerce ses activités à partir de deux bases principales, situées à l’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto (Pearson) et à l’aéroport international de Calgary.

[2] Le 31 juillet 1998, le Conseil a accrédité la Ontario Regional Employee Association (OREA ou le syndicat) pour représenter une unité d’employés d’Air Georgian décrite comme suit :

tous les employés de Air Georgian Limited travaillant à l’Aéroport international Pearson, à l’exclusion des superviseurs et de ceux de rang supérieur, du chef d’équipage, du pilote en chef, du directeur de l’entretien, du directeur de l’exploitation, du directeur des opérations de vol, du chef de la production, du directeur de la formation, du coordonnateur des vols nolisés, de l’agent de liaison-contrat, du chef d’équipe, de l’agent préposé à la sécurité aérienne et du contrôleur.

[3] OREA a maintenant présenté une demande en vertu des articles 18 et 18.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code), en vue de faire réviser la structure de l’unité de négociation chez Air Georgian. Elle demande au Conseil de scinder l’unité actuelle composée de tous les employés de sorte qu’elle soit divisée en trois unités de négociation distinctes. Trois demandes d’accréditation distinctes ont été présentées en même temps que la présente demande de révision.

[4] L’Association des pilotes de ligne, Internationale (l’APLI) cherche à être accréditée pour représenter les pilotes d’Air Georgian (dossier 31860-C).

[5] Le Syndicat canadien de la fonction publique (le SCFP) cherche à être accrédité pour représenter les agents de bord qui travaillent pour Air Georgian (dossier 31862-C).

[6] Unifor cherche à être accrédité pour représenter les employés de l’entretien, de l’administration et du centre de contrôle des opérations (dossier 31861-C).

[7] Ces trois demandes d’accréditation sont en fait des demandes visant à déloger le syndicat en place; cependant, le syndicat en place, OREA, ne s’y oppose pas; en fait, il facilite le processus en coordonnant les demandes. Ces demandes d’accréditation peuvent donc être qualifiées de campagnes de « maraudage amical ». En vertu du pouvoir que lui confère l’alinéa 16i) du Code, le Conseil a ordonné la tenue de scrutins pour les trois demandes et la mise sous scellés des bulletins de vote en attendant que la demande de révision de la structure de l’unité de négociation soit tranchée.

[8] Étant donné que toutes ces demandes sont reliées entre elles et concernent le même groupe d’employés, le Conseil a décidé de réunir les quatre affaires et de les examiner ensemble.

[9] De plus, l’APLI, le SCFP et Unifor ont chacun demandé la qualité d’intervenant dans les demandes d’accréditation des autres, et chacun a demandé la qualité d’intervenant dans la demande de révision. Étant donné que le Conseil a décidé de réunir ces affaires, les trois syndicats ont qualité pour agir dans les procédures.

II. Contexte et faits

[10] Pour l’essentiel, les faits présentés par les parties dans leurs observations écrites ne sont pas contestés. Au moment de l’accréditation initiale en 1998, l’unité de négociation comptait 75 employés. La majorité des membres de l’unité de négociation étaient des pilotes, et, à ce moment‑là, Air Georgian n’employait pas d’agents de bord.

[11] OREA et Air Georgian ont une convention collective qui était en vigueur du 1er novembre 2013 au 31 décembre 2016. Les parties ont négocié le renouvellement de leur convention collective quatre fois depuis l’accréditation initiale, sans arrêt de travail. Elle contient les dispositions générales relatives aux conditions d’emploi de tous les employés de l’unité et comprend des annexes distinctes qui s’appliquent aux quatre catégories d’employés, soit les pilotes, les employés de l’entretien, les employés de l’administration et les employés du centre de contrôle des vols et des opérations.

[12] Au moment de l’accréditation initiale, Air Georgian exploitait des vols seulement depuis l’aéroport Pearson. En 2011, elle a ouvert deux bases additionnelles à Calgary, en Alberta, et à Halifax, en Nouvelle‑Écosse, puis a fermé la base de Halifax en 2014. Jusqu’en 2014, la flotte d’Air Georgian consistait en 14 aéronefs Beechcraft 1900. Cet aéronef peut accueillir jusqu’à 19 passagers et possède une autonomie de 1 400 à 1 900 milles.

[13] En raison d’une modification du contrat d’achat de capacité conclu entre Air Canada et Air Georgian en décembre 2013, la flotte d’Air Georgian est maintenant constituée de 18 avions à réaction régionaux canadiens CRJ-100 de Bombardier, qui peuvent accueillir 50 passagers et voler sur une distance pouvant aller jusqu’à 2 300 milles. Grâce à cette capacité additionnelle, Air Georgian exploite maintenant des vols vers 26 destinations au Canada et aux États‑Unis, comparativement aux huit destinations régionales qu’elle desservait auparavant.

[14] Ayant acquis les CRJ, Air Georgian a dû embaucher des agents de bord au sein de l’équipage comme l’exige le Règlement de l’aviation canadien. Par suite de son expansion, le transporteur compte actuellement 73 agents de bord et 236 pilotes qui font partie de l’unité de négociation, qui compte désormais quelque 400 employés.

[15] En janvier 2014, OREA et Air Georgian ont signé une lettre d’entente (LE) dans laquelle elles ont convenu des conditions d’emploi des agents de bord et des pilotes de CRJ. Le 20 juillet 2015, OREA et Air Georgian ont convenu de réviser l’ordonnance d’accréditation existante en fonction des opérations actuelles et d’y inclure les équipes travaillant à d’autres aéroports que l’aéroport Pearson, notamment au centre d’opérations à l’aéroport international de Calgary.

[16] Il existe actuellement 14 échelles salariales à Air Georgian : les pilotes en ont deux; les employés de l’entretien, cinq; les employés de l’administration, trois; les employés du centre de contrôle des vols et des opérations, trois; les agents de bord, une seule, selon la LE en vigueur.

III. Position des parties

[17] OREA fait valoir que la structure à une seule unité de négociation en place ne permet pas aux différents groupes d’employés de négocier des conditions d’emploi qui conviennent à leurs propres préoccupations et intérêts. Selon le syndicat, comme les pilotes représentent plus de la moitié de l’unité de négociation, leurs intérêts éclipsent ceux de tous les autres groupes et deviennent le point focal de l’employeur dans sa gestion globale de l’effectif. Le syndicat avance que, dans ce contexte, les autres employés de l’unité de négociation ne peuvent pas faire valoir leurs propres buts et intérêts. De plus, les employés des autres groupes que celui des pilotes s’intéressent peu aux activités syndicales, car leur voix au chapitre est limitée.

[18] OREA a également fourni des copies de plusieurs griefs qui ont été présentés en 2015 et en 2016 relativement à des problèmes d’affectation, ce qui, à son avis, démontre le conflit d’intérêts qui découle du fait que les préposés à l’affectation des équipages fassent partie de la même unité de négociation que les pilotes et les agents de bord. Il rejette l’affirmation de l’employeur selon laquelle il s’agit d’un conflit entre le syndicat et la direction, car tous les griefs sont pris en charge par le syndicat au nom des membres de l’unité. Il affirme que la question en litige provient du conflit entre les préposés à l’affectation et les autres groupes, compte tenu de leur rôle dans la répartition du travail des pilotes et des agents de bord.

[19] Le syndicat avance par ailleurs que les pilotes n’ont pas de communauté d’intérêts avec les autres membres de l’unité de négociation, et il attire l’attention sur la différence concernant les conditions de travail et les horaires, une échelle salariale qui se rapporte au type d’aéronef piloté et la hiérarchie interne. En outre, il n’y a aucune mobilité entre le groupe des pilotes et les autres catégories d’employés.

[20] OREA a fourni un résumé de la structure des unités de négociation qui existent chez d’autres transporteurs aériens, dont Porter Airlines, Canadian North, First Air, Air Inuit, West Wind Aviation, Wasaya Airways LP et Bearskin Airlines, dont la flotte est de taille semblable ou inférieure à celle d’Air Georgian. Chez tous ces transporteurs, les pilotes forment une unité de négociation distincte. Quand les agents de bord et les autres groupes ont cherché un représentant afin de négocier collectivement, ils ont également formé des unités de négociation distinctes. Aucun des 15 transporteurs aériens nommés par le syndicat n’a une unité composée de tous les employés.

[21] Air Georgian soutient que tous ces transporteurs aériens comportent un plus grand nombre d’employés, quoiqu’aucun chiffre précis n’ait été évoqué. Elle souligne aussi que, dans cinq cas, il n’existe qu’une seule unité de négociation, soit celle des pilotes.

[22] L’employeur conteste l’affirmation du syndicat selon laquelle les intérêts des divers groupes ne sont pas abordés à la table de négociation parce que les intérêts des pilotes passent avant ceux‑ci. Il affirme n’être au courant d’aucun cas où les employés de l’unité de négociation n’ont pas été représentés de façon juste par le syndicat.

[23] L’employeur soutient que la LE qui a été négociée pour établir les conditions d’emploi des pilotes et des agents de bord des nouveaux aéronefs CRJ démontre que les parties arrivent à négocier avec succès des conditions qui tiennent compte des intérêts des différents groupes au sein d’une seule unité de négociation. Selon l’employeur, rien ne prouve que les différents groupes ne puissent pas faire valoir les buts et les intérêts qui leur sont propres au sein de la structure actuelle.

[24] En réponse aux griefs relatifs à des problèmes d’affectation invoqués par le syndicat comme exemple de conflit au sein de l’unité de négociation, l’employeur affirme que ceux‑ci démontrent seulement un conflit potentiel entre OREA et la direction en ce qui concerne les règles énoncées dans la convention collective. De l’avis de l’employeur, le fractionnement proposé en trois unités de négociation entraînerait la multiplication des procédures pour résoudre les questions en litige. L’employeur souligne que le syndicat n’a pas présenté d’éléments de preuve montrant que les parties ne sont pas en mesure de régler les questions liées aux relations du travail au sein de la structure actuelle.

[25] En outre, l’employeur soutient que le fait de fractionner en trois l’unité de négociation serait difficile sur le plan administratif pour un petit transporteur aérien comme Air Georgian, car cela lui imposerait un fardeau et des coûts additionnels. Il avance qu’une telle structure pourrait entraîner une incertitude et des risques accrus sur le plan des relations du travail, en particulier pour les unités de plus petite taille. Selon lui, la création d’une unité de négociation distincte pour les pilotes ne ferait qu’exacerber l’inégalité des forces au détriment des employés minoritaires, car l’unité constituée de pilotes ne serait plus tenue par la loi de tenir compte équitablement des employés qui ne sont pas des pilotes ni de défendre leurs intérêts.

[26] Air Georgian avance que le Conseil privilégie généralement des unités de négociation plus vastes qui englobent le plus grand nombre d’employés possible et que, en l’espèce, le syndicat n’a pas présenté des motifs valables sur le plan des relations du travail pour justifier la révision de l’unité de négociation existante ni démontré en quoi l’unité de négociation, selon sa structure actuelle, n’est plus habile à négocier collectivement.

IV. Analyse et décision

[27] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. L’employeur a indiqué qu’il y aurait lieu de tenir une audience en l’espèce, mais le Conseil estime que les documents versés au dossier sont suffisants pour lui permettre de rendre une décision sans tenir d’audience.

[28] L’article 18.1 du Code confère au Conseil un vaste pouvoir de révision des unités de négociation à la suite d’un changement de circonstances :

18.1(1) Sur demande de l’employeur ou d’un agent négociateur, le Conseil peut réviser la structure des unités de négociation s’il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement.

[29]  Pour décider s’il y a lieu de réviser la structure d’une unité de négociation, le Conseil évalue l’efficacité de la structure actuelle de négociation et essaie d’équilibrer les intérêts divergents en jeu afin d’assurer que la structure de l’unité de négociation engendre des négociations efficaces et des relations de travail harmonieuses. Il incombe au requérant de démontrer que la structure actuelle n’est plus habile à négocier collectivement et de préciser quel objectif valable lié aux relations du travail la révision de la structure de négociation existante permettrait d’atteindre.

[30] Dans Rogers Cablesystems Limited, 2000 CCRI 51, le Conseil a indiqué qu’il fallait des raisons impératives pour réviser la structure de l’unité de négociation en vertu de l’article 18.1 :

[31] Aux termes des nouvelles dispositions de l’article 18.1, il ne suffit pas de démontrer que la structure demandée est plus appropriée que celle qui existe actuellement; il doit exister des motifs contraignants pour lesquels la structure de négociation n’est plus appropriée et nécessite l’intervention du Conseil...

[31] Dans Société Radio-Canada, 2003 CCRI 253, le Conseil a été appelé à réexaminer une décision dans laquelle il avait décidé de réviser la structure d’une unité de négociation. Dans sa décision rendue au terme du réexamen, le Conseil a abordé la question du critère à remplir ainsi que des raisons pour lesquelles il avait décidé d’intervenir dans la configuration de l’unité de négociation :

[67] Dans leur analyse, les membres de la majorité commencent par confirmer que le fardeau de la preuve appartient à la partie qui soutient que les unités de négociation existantes ne sont plus habiles à négocier collectivement. Concernant la nature de ce fardeau, le banc initial en arrive à la conclusion que le paragraphe 18.1(1) du Code n’impose pas nécessairement l’application d’un « test élevé » ou d’un fardeau de la preuve élevé. À ce stade-ci, il convient de reproduire le passage de la décision dans lequel le banc initial décrit les facteurs dont il faut tenir compte aux fins d’application du paragraphe 18.1(1) du Code et qui sont contestés en l’espèce.

[114] Comme il est généralement tenu de le faire pour déterminer si des unités sont habiles à négocier collectivement en vertu du Code, le Conseil doit tenir compte globalement et de façon équilibrée des facteurs pertinents pour décider si une unité n’est plus habile à négocier en vertu du paragraphe 18.1(1). Ce nouveau paragraphe ne devrait pas être considéré seulement comme un remède conçu pour réagir seulement à de gros problèmes, comme c’était le cas lorsque les révisions étaient fondées sur l’article 18. Les parties et le Conseil devraient être disposés à s’attaquer aux problèmes et aux situations auxquelles ils sont confrontés d’une façon souple, en visant à assurer des relations du travail efficaces ainsi qu’une gestion du personnel et des pratiques de négociation collective saines et constructives. Le Conseil ne devrait pas refuser de s’attaquer à des problèmes dans les cas où des unités ne sont plus habiles à négocier collectivement avant qu’ils ne deviennent graves, voire complètement intolérables, s’il est évident que les unités en question ne sont plus habiles à négocier dans la mesure où ces problèmes sapent nettement l’efficacité des relations du travail.

[115] Cette interprétation plus globale du critère justifiant la révision des unités de négociation se reflète déjà dans son application par le Conseil lorsqu’il est appelé à rendre une déclaration d’employeur unique fondée sur l’article 35 du Code. Dans ce cas-là, le changement du critère applicable est dû à l’introduction des nouvelles dispositions législatives, quoique, même avant ce changement de la législation, l’ancien Conseil se rendait compte de la nécessité d’une approche plus globale. Le Conseil a décrit cette évolution dans Landtran Systems Inc. et autres, [2002] CCRI no 170.

...

[116] Dans certains cas, les changements qui rendent une restructuration nécessaire peuvent rendre manifeste la nécessité d’une restructuration des unités de négociation, alors qu’ils peuvent parfois aussi être plus subtils, mais tout aussi impératifs. Quoi qu’il en soit, le Conseil se doit d’étudier la structure des unités de négociation existante, la preuve qui lui est soumise et les observations des parties déclarant pourquoi ou pourquoi pas les unités ne sont peut-être plus habiles à négocier collectivement, en tirant la conclusion qui s’impose compte tenu des dispositions législatives pertinentes et du contexte. Cela dit, le Conseil ne doit pas appliquer un critère artificiellement limitatif ou restrictif, mais rendre une décision logique basée sur tous les facteurs pertinents. Avant d’appliquer le paragraphe 18.1(1), il faut le situer dans son contexte et se demander, après avoir examiné minutieusement les facteurs pertinents dans les circonstances de l’affaire, si, tous ces facteurs bien pesés, les unités en question ne sont plus habiles à négocier collectivement dans la mesure où les conséquences juridiques prévues aux paragraphes 18.1(2) à (4) devraient s’appliquer. La décision initiale d’entreprendre ou pas une révision des unités de négociation doit être prise par le Conseil, en vertu du paragraphe 18.1(1). Une fois la décision prise, la question doit être renvoyée aux parties pour qu’elles tentent de s’entendre.

(pages 59-61; c’est nous qui soulignons)

[32] Le Conseil a ainsi conclu que le critère préliminaire à remplir pour procéder à une révision des unités de négociation n’avait pas changé. Cependant, le Conseil dispose d’une latitude considérable dans son évaluation de toutes les circonstances afin de décider s’il est convaincu que, selon sa structure actuelle, l’unité n’est plus habile à négocier collectivement :

[74] Un examen attentif de la décision en cause amène le présent banc à conclure que le banc initial a continué d’interpréter comme avant le test à appliquer en vertu de l’article 18.1 du Code. Ce test consiste toujours à déterminer si le Conseil est convaincu que les unités de négociation ne sont plus habiles à négocier collectivement. Le banc initial a toutefois précisé sa pensée en déclarant qu’il n’est pas nécessaire d’attendre que surgissent des problèmes graves ou totalement intolérables pour obtenir la conviction que les unités de négociation ont bel et bien cessé d’être habiles à négocier collectivement et que, pour les fins de cette révision, le Conseil doit tenir compte globalement et de manière équilibrée de tous les facteurs pertinents.

[33] Lorsqu’il effectue une révision en vertu du paragraphe 18.1(1), le Conseil dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour redéfinir la structure des unités de négociation et veiller à ce que celles‑ci demeurent habiles à négocier et favorables à des relations du travail productives. Dans son analyse, le Conseil évaluera différents éléments dont l’historique des négociations collectives, le climat de négociation, la stabilité des relations du travail, la communauté d’intérêts entre les employés, le niveau de mobilité entre les catégories professionnelles, la volonté des employés, les conditions de travail et l’efficacité administrative.

[34] Il est indéniable que le Conseil et son prédécesseur ont exprimé leur préférence pour des unités de négociation globales plus grandes. Toutefois, il a également souligné qu’il ne faut pas déduire de cette approche qu’il existe une présomption favorable à l’égard des unités de négociation plus larges.

[35] Il est bien compris que le Conseil, tout comme les commissions des relations de travail provinciales, est réticent à fractionner une unité de négociation existante qui englobe tous les employés, à moins qu’il n’existe des motifs impérieux de le faire. Il ne suffit pas de simplement affirmer que, selon une autre structure, l’unité de négociation serait plus habile à négocier collectivement; il faut plutôt avancer des faits et des circonstances qui mèneraient le Conseil à conclure que son intervention est requise afin d’assurer une structure favorable à des relations du travail efficaces et constructives.

[36] D’après son expérience en matière de négociation collective dans l’industrie du transport aérien, le Conseil a reconnu les intérêts divergents des pilotes, des agents de bord et des autres groupes d’employés. Dans AirBC Limited (1990), 81 di 1; 13 CLRBR (2d) 276; et 90 CLLC 16,035 (CCRT no 797), le Conseil était saisi d’une affaire qui ressemble beaucoup à celle qu’il doit maintenant trancher. Dans cette affaire, le Conseil était saisi de trois demandes d’accréditation (demandes visant à déloger le syndicat en place) ainsi que d’une demande de révision de la structure de l’unité de négociation. Le Conseil a fait les observations suivantes :

... Néanmoins, en dépit du poids de la jurisprudence et des autres documents favorables à l’élargissement des unités de négociation, et dont beaucoup sont pour le moins remplis d’érudition, il reste que la détermination d’une unité habile à négocier collectivement n’est pas une question de droit, mais bien une question qu’il faut déterminer dans chaque affaire en fonction des faits et des circonstances. Le facteur le plus important à cet égard est la communauté d’intérêts des groupes d’employés. Par conséquent, et bien que la prépondérance de la jurisprudence contre la fragmentation des unités puisse sembler très convaincante, le Conseil décide dans la présente affaire que, dans l’intérêt des relations du travail chez AirBC, il convient que la structure des unités de négociation reflète la pratique dans le secteur du transport aérien. À notre avis, la structure que nous imposons est la plus susceptible d’équilibrer le rapport de forces entre l’employeur et les divers groupes professionnels d’employés, qui sont en mesure de négocier directement avec celui-ci en fonction de leurs propres intérêts communs. En outre, cette structure tient compte, de façon indirecte, des désirs des employés, ce qui est un aspect fondamental de l’esprit du Code.

(pages 7-8; 282; et 14,296-14,297)

[37] Bien que cette affaire précède l’adoption de l’article 18.1 du Code, la reconnaissance de l’existence, au sein de l’industrie, d’intérêts divergents entre les pilotes, les agents de bord, les répartiteurs et les autres groupes d’employés est très pertinente pour ce qui est d’analyser et de trancher la question de savoir s’il existe des motifs impérieux justifiant la révision de la structure d’une unité de négociation existante.

[38] Certainement, dans le cas d’une demande d’accréditation visant un groupe d’employés nouvellement syndiqués, le Conseil favorise habituellement des facteurs qui permettent aux employés d’exercer leurs droits de négociation collective même si l’unité de négociation ainsi créée n’est pas idéale du point de vue de l’employeur. Inversement, quand les parties ont une relation de négociation collective établie, le Conseil ne se préoccupe pas autant de l’accès aux droits de négociation collective et tient plutôt compte de l’exercice de ces droits par les employés et de la capacité de l’employeur d’exploiter son entreprise efficacement (Sécur Inc., 2001 CCRI 109).

[39] La situation d’Air Georgian a changé considérablement depuis que le Conseil a rendu l’ordonnance d’accréditation en 1998. À ce moment‑là, il y avait 75 employés, dont la plupart étaient des pilotes. Le transporteur exerçait ses activités à partir d’une seule base à l’aéroport Pearson et exploitait des aéronefs pouvant accueillir 19 passagers. Le poste d’agent de bord ne faisait pas partie des catégories d’emploi à Air Georgian.

[40] Aujourd’hui, la situation est très différente. L’unité de négociation unique est maintenant cinq fois plus grande qu’elle ne l’était au moment de l’accréditation initiale. Depuis 2014, le transporteur a ajouté un nouveau type d’aéronef à sa flotte et emploie désormais des agents de bord au sein de son équipage. Il exploite maintenant des vols vers 26 destinations au Canada et aux États‑Unis.

[41] Le Conseil reconnaît qu’il n’existe actuellement aucune preuve d’échec des négociations collectives. Cependant, il est aussi vrai que la convention collective en place a été négociée avant l’expansion majeure qu’a connue le transporteur en 2013-2014. Le Conseil est d’avis que, dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, il ne devrait pas attendre que le processus de négociation devienne dysfonctionnel avant d’intervenir pour promouvoir de saines relations du travail.

[42] Par ailleurs, le Conseil ne peut faire abstraction du contexte et des circonstances dans lesquels la demande de réexamen a été présentée en l’espèce. Les différents groupes d’employés ont exprimé leur volonté d’être représentés séparément dans les négociations collectives avec leur employeur. Les trois demandes d’accréditation qui ont été présentées en même temps que la présente demande de révision témoignent de la volonté des pilotes, des agents de bord et des employés des bases d’être représentés de façon distincte. Le syndicat en place appuie ces demandes et reconnaît lui‑même la difficulté de représenter les intérêts divergents de chacun de ces groupes.

[43] Le Conseil doit alors concilier la volonté des employés d’être représentés séparément au sein d’unités ayant une forte communauté d’intérêts et la réticence générale à fragmenter une unité de négociation existante. Le Conseil a été saisi d’une question semblable quand un groupe d’employés faisant partie de l’unité de l’appui technique et de l’entretien à Air Canada ont voulu créer une unité de négociation constituée des employés d’entretien. Bien que, dans cette affaire, le Conseil ait refusé de diviser davantage cette unité de négociation au sein de la structure globale, il a fait la déclaration suivante :

[49] Quoi qu’il en soit, le Conseil ne nie pas qu’il peut être nécessaire de retrancher de petites unités dans certaines circonstances. Dans AirBC Limited, précitée, le Conseil a conclu qu’il convenait de morceler les trois unités existantes chez le transporteur aérien et que les cinq unités proposées étaient habiles à négocier collectivement. Plus récemment, dans Groupe TVA Inc., [2000] CCRI no 67, le Conseil a admis qu’il privilégiait l’établissement d’unités générales dans le secteur du transport aérien, en indiquant toutefois que certaines situations pourraient ne pas se prêter à l’application de ce principe :

[83] Même si le Conseil privilégie une unité englobant tout l’effectif ou la création et le maintien d’unités de négociation plus importantes, il lui arrive de créer des unités qui n’englobent pas tout l’effectif ou de fragmenter l’ensemble des employés lorsqu’il a des motifs impérieux de le faire. Parmi les facteurs qui militent en faveur d’unités plus petites, mentionnons l’absence de communauté d’intérêts, la situation géographique, des dispositions législatives particulières, la probabilité qu’une unité plus importante ne soit pas viable et le désir de permettre aux employés d’être représentés.

(page 24)

(Air Canada, 2005 CCRI 341)

[44] Le Conseil reconnaît qu’une structure d’unités de négociation qui comprend des unités distinctes pour les pilotes, les agents de bord et les employés des bases est conforme à l’approche et à la pratique de l’industrie, même chez les transporteurs aériens de petite taille. Le Conseil observe, dans ses dossiers, que, lorsqu’il a accrédité Unifor pour qu’il représente les pilotes chez Sunwing en 2008, l’unité était constituée de 108 pilotes. En 2012, il a également accrédité le SCFP pour qu’il représente une unité constituée de 680 membres du personnel de cabine chez Sunwing. Le Conseil a accrédité une unité constituée de 58 pilotes chez Pascan en août 2014. Chez Air Inuit, le Conseil a accrédité Teamsters Canada pour qu’il représente deux unités de négociation constituées respectivement de 34 pilotes et de 12 agents de bord.

[45] Le fait que ces groupes d’employés à Air Georgian ne partagent pas de communauté d’intérêts est étayé par l’absence de mobilité professionnelle entre eux, les différentes conditions de travail et structures de rémunération et le lourd environnement réglementaire qui régit chaque fonction. Il est important de tenir compte du fait que les agents de bord ne constituaient pas un groupe distinct d’employés quand le Conseil a rendu l’ordonnance d’accréditation initiale pour Air Georgian, car le Conseil n’a pas eu l’occasion d’évaluer si une unité comprenant cette catégorie d’employés était habile à négocier collectivement. De l’avis du Conseil, en l’espèce, il est possible d’avancer l’argument d’une solide communauté d’intérêts en faveur d’unités de négociation distinctes et de taille plus petite.

[46] L’employeur attire l’attention sur l’unité de négociation composée de tous les employés que le Conseil a récemment accréditée chez Northern Air Solutions inc. en 2015 pour avancer que le Conseil ne suit pas nécessairement la pratique de l’industrie. Le Conseil souligne toutefois que, dans cette affaire, il s’agissait d’une première demande d’accréditation pour un groupe d’employés non représentés. De plus, l’employeur, qui offre des services d’ambulance aérienne, était une toute petite entreprise dont la flotte ne comptait que deux aéronefs. Le Conseil a accordé un poids considérable à la volonté des employés d’exercer leurs droits de négociation collective et a, en fin de compte, accrédité une unité de négociation constituée de moins de 30 employés, dont des pilotes, des employés d’entretien et des paramédicaux. Les mêmes facteurs étaient en jeu quand le Conseil a accrédité une unité constituée des 75 employés d’Air Georgian.

[47] Le Conseil est conscient du fait que les milieux de travail évoluent et qu’il doit être prêt à réagir afin de s’assurer que les employés peuvent effectivement exercer leurs droits de négociation collective. Le Conseil conserve le pouvoir de définir et de redéfinir les unités de négociation en fonction des nouvelles réalités et veille à ce que les employés continuent de pouvoir exercer leurs droits de négociation collective de manière significative malgré les changements organisationnels. Pour ce faire, le Conseil est guidé par les objectifs du Code, qui visent l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives ainsi que l’établissement d’un cadre permettant aux employés d’exercer un pouvoir compensateur suffisant face à celui de l’employeur afin qu’ils puissent négocier efficacement leurs conditions d’emploi.

[48] En l’espèce, le Conseil est convaincu que, selon sa structure actuelle, l’unité de négociation constituée de tous les employés n’est plus habile à négocier collectivement pour assurer sa viabilité ainsi que la stabilité des relations du travail à long terme. Le syndicat requérant a fait ressortir un certain nombre de problèmes, notamment les groupes d’employés nouveaux et beaucoup plus importants qui sont apparus au sein de l’unité de négociation depuis que l’ordonnance d’accréditation initiale a été rendue. Il a également expliqué qu’il était difficile de gérer les griefs qui témoignent d’un véritable conflit entre les rôles et les responsabilités de deux groupes distincts au sein de la même unité de négociation. Les observations contiennent suffisamment de motifs et font allusion à un certain nombre de problèmes en évolution, de sorte que le Conseil est convaincu qu’il est justifié qu’il intervienne pour réviser la structure des unités de négociation existante. Comme il est indiqué dans Canadian Broadcasting Corporation, précitée, et compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, le Conseil est d’avis qu’il ne devrait pas attendre que la situation en matière de relations du travail devienne intolérable ou complètement dysfonctionnelle pour réviser l’unité et intervenir pour définir une structure qui tient compte de l’évolution des activités chez Air Georgian. En l’espèce, le Conseil estime qu’il est important d’agir en amont afin de veiller à ce que les employés soient en mesure de continuer d’exercer leurs droits de négociation collective de façon significative.

[49] Dans les situations où le Conseil conclut que la structure des unités de négociation n’est plus habile à négocier collectivement, il demande normalement aux parties de tenter de s’entendre sur une nouvelle structure, conformément au paragraphe 18.1(2). Habituellement, les parties se voient allouer un délai défini pour revenir devant le Conseil et indiquer si elles se sont entendues. Dans la négative, c’est le Conseil qui établit la nouvelle structure des unités de négociation. Il est logique de procéder ainsi quand il existe plusieurs unités de négociation et que les parties doivent consolider et reconfigurer une structure complexe.

[50] En l’espèce, la structure existante comporte une seule unité de négociation. L’agent négociateur en place a exprimé sa volonté d’être remplacé à titre d’agent négociateur de l’unité telle qu’elle est constituée actuellement et, avec son appui, trois nouveaux syndicats ont sollicité l’appui des employés de l’unité. De plus, le Conseil a établi qu’il était approprié de réunir les quatre demandes et d’examiner ensemble les trois demandes d’accréditation présentées en même temps que la demande de révision. Les trois syndicats qui ont présenté les demandes d’accréditation (l’APLI, le SCFP et Unifor) n’ont pas de relation préalable avec l’employeur, et le syndicat en place pourrait ne plus représenter aucun des employés dans l’avenir. Dans ces circonstances particulières, il semble peu pratique, et tout simplement illogique du point de vue des relations du travail, de demander aux parties de négocier une nouvelle structure. Ainsi, le Conseil estime qu’il est approprié, plutôt que de demander aux parties de discuter d’une nouvelle structure des unités de négociation, d’accueillir les demandes d’accréditation présentées par l’APLI, le SCFP et Unifor et de séparer l’unité actuelle qui englobe tous les employés en trois unités distinctes.

[51] Le Conseil juge que, dans ce contexte, il est approprié de prendre en considération les demandes d’accréditation qui ont été présentées en même temps que la demande de révision plutôt que de demander aux parties de discuter de la structure des unités de négociation et de définir une structure de négociation qui est conforme aux pratiques courantes de l’industrie et qui correspond à la volonté des employés telle qu’elle est exprimée dans les trois demandes d’accréditation.

[52] Pour tous les motifs susmentionnés, le Conseil accueille la demande de révision et conclut que la nouvelle structure sera constituée de trois unités de négociation. Ces unités sont les suivantes :

  1. Tous les pilotes à l’emploi d’Air Georgian limitée, à l’exclusion des superviseurs et de ceux de niveau supérieur, du chef d’équipage, du pilote en chef, du directeur de l’entretien, du directeur de l’exploitation, du directeur des opérations de vol, du chef de la production, du directeur de la formation, du coordonnateur des vols nolisés, de l’agent de liaison-contrat, du chef d’équipe, de l’agent préposé à la sécurité aérienne et du contrôleur.

  2. Tous les employés d’Air Georgian limitée affectés au Service en vol, à l’exclusion des superviseurs de bord, des directeurs et de ceux de niveau supérieur.

  3. Tous les employés de Air Georgian limitée à l’exclusion des pilotes et des employés au service en vol, des superviseurs et de ceux de niveau supérieur, du directeur de l’entretien, du directeur de l’exploitation, du directeur des opérations de vol, du chef de la production, du directeur de la formation, du coordonnateur des vols nolisés, de l’agent de liaison-contrat, du chef d’équipe, de l’agent préposé à la sécurité aérienne et du contrôleur.

[53] Ces trois unités distinctes continuent d’être représentées par OREA.

[54] Étant arrivé à cette conclusion, le Conseil indiquera à son directeur de scrutin de prendre les dispositions nécessaires pour le comptage des bulletins de vote qui ont été mis sous scellés à l’égard des trois demandes d’accréditation connexes afin d’établir quel syndicat représentera les employés de chaque unité de négociation.

[55] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

Traduction

 

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Ginette Brazeau

Présidente

 

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André Lecavalier

Membre

 

 

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Gaétan Ménard

Membre

 

 

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