Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Melanie Paquet et autres,

plaignantes,

et

Air Canada,

intimée.

Dossier du Conseil : 28180-C

Référence neutre : 2013 CCRI 691

Le 4 juillet 2013

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (le Code). Des audiences ont été tenues du 16 au 18 mai 2012, les 29 et 30 novembre 2012 et les 12, 13 et 15 mars 2013.

Ont comparu
Me James Robbins, pour Mme Melanie Paquet et autres;
Me Maryse Tremblay, pour Air Canada.

I – Introduction

[1] Au cours des dernières années, Air Canada et des employés représentés par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont eu de nombreuses divergences d’opinions quant à l’interprétation qu’il convient de donner à la partie II du Code. Malgré leurs désaccords, Air Canada et le représentant de ces employés, le SCFP, ont essayé, aussi bien par l’entremise de processus consensuels dirigés par un tiers que par les négociations de la convention collective, d’en arriver à une compréhension pratique des obligations d’Air Canada et de ses employés en vertu du Code.

[2] En l’espèce, trois incidents distincts sont à l’origine des plaintes déposées par les employées.

[3] En mars 2010, Air Canada a envoyé des lettres aux trois membres représentant les employés au sein du Comité d’orientation en matière de santé et de sécurité (CO), qui est requis en vertu du Code, à savoir Mme Melanie Paquet, coprésidente du CO, et Mmes Julie Pelletier et Silvana DeSantis. Air Canada alléguait que les employées avaient refusé de mener à terme une réunion du CO, malgré le fait qu’elles étaient libérées de leurs fonctions habituelles et rémunérées à temps plein par Air Canada pour exercer des fonctions liées au CO.

[4] Le SCFP, qui a déposé la plainte à titre de représentant désigné des employées, soutient que les lettres d’Air Canada constituent des mesures de représailles interdites, puisque les membres représentant les employés au sein du CO cherchaient simplement à faire respecter les droits que leur confère le Code.

[5] En avril 2010, Air Canada a envoyé deux autres lettres, une à Mme Paquet et une autre, identique, à Mme DeSantis, concernant une réunion du CO devant se tenir en avril pour reprendre la réunion qui n’avait pas eu lieu en mars. Comme il était prévu que Mme Pelletier n’assisterait pas à cette réunion du CO, elle n’a pas reçu de lettre. Le SCFP soutient que ces lettres sont une conséquence directe de l’insistance soutenue de Mmes Paquet et DeSantis pour faire respecter les droits que leur confère le Code.

[6] Le dernier incident a trait à la demande de congé syndical présentée en juin 2010 par Mme Pelletier en vertu de la convention collective. Le SCFP allègue qu’Air Canada a inutilement retardé le traitement de cette demande de congé en raison du rôle que joue Mme Pelletier au sein du CO. Air Canada allègue qu’un arbitre devrait être saisi de ce troisième incident en vertu de la convention collective et, à cet égard, invoque une décision antérieure du Conseil rendue dans le cadre de la présente instance, et selon laquelle certaines questions avaient été renvoyées à l’arbitrage.

[7] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil a décidé de rejeter les plaintes des employées. Bien que, pour les motifs récemment énoncés dans Isinger, 2013 CCRI 688 (Isinger 688), les employées soient les parties à la présente plainte déposée en vertu de la partie II, le Conseil fera parfois référence, par souci de commodité, au SCFP, puisque celui ci a agi à titre de représentant des employées tout au long du processus.

II – Chronologie des faits importants

A – Contexte

[8] Au cours des dernières années, Air Canada et le SCFP ont tenté de résoudre certaines questions relatives à l’interprétation de la partie II du Code. Dans une décision antérieure rendue dans le cadre de la présente instance, soit Air Canada, 2011 CCRI 599 (AC 599), laquelle portait sur trois objections préliminaires soulevées par Air Canada, le Conseil a résumé certaines de ses décisions antérieures :

[10] Air Canada et le SCFP ont été parties à de nombreux litiges au fil du temps concernant des questions de santé et sécurité au travail sous le régime de la partie II du Code. Ces litiges ont mis en cause divers organismes décisionnels, dont le Conseil et des agents de santé et sécurité [agent de SST], et ont donné lieu à des contrôles judiciaires par la Cour fédérale du Canada.

A – Air Canada, 2006 CCRI 358

[11] Dans Air Canada, 2006 CCRI 358 (Air Canada 358), le Conseil a notamment examiné la rémunération des agents de bord au titre du travail accompli pour le compte de comités de santé et sécurité en vertu du Code.

[12] Dans Air Canada 358, le Conseil a notamment déterminé la rémunération appropriée pour les agents de bord qui exécutent des fonctions sous le régime de la partie II. Le SCFP a déposé une demande de réexamen à l’égard de cette décision le 6 septembre 2006.

B – Air Canada, 2007 CCRI 394

[13] Dans Air Canada, 2007 CCRI 394 (Air Canada 394), un banc de réexamen a infirmé la décision Air Canada 358 et a conclu que la partie II du Code ne conférait pas au Conseil le pouvoir de statuer sur une question comme la rémunération appropriée au titre de l’exécution de fonctions sous le régime de la partie II. Les questions de ce genre ne sont pas de la compétence du Conseil en vertu de la partie II, qui se limite aux plaintes d’employés en matière de représailles.

[9] Dans AC 599, le Conseil a aussi résumé un processus consensuel qu’Air Canada et le SCFP avaient négocié afin de les aider à régler les questions découlant de la partie II du Code. Comme il est décrit dans AC 599, ils avaient négocié une « Convention-cadre de médiation-arbitrage » (pièce 1; onglet 1) et avaient demandé à l’arbitre Michel Picher de les aider. Ce processus est toujours en cours :

[15] Le 12 décembre 2008, le SCFP a déposé auprès du Conseil une autre plainte alléguant violation de la partie II (dossier no 27225-C). À la demande des parties, le vice-président qui était saisi de l’affaire a agi comme médiateur relativement à la plainte pour tenter de trouver un autre mécanisme qui aiderait les parties à régler leurs différends de longue date quant à l’application de la partie II du Code.

[16] Les parties ont négocié une « Convention-cadre de médiation-arbitrage » (traduction) (la convention-cadre) en vertu de laquelle leurs divers différends ont été déférés à un médiateur-arbitre. Les parties ont nommé M. Michel Picher pour agir comme médiateur-arbitre.

[17] En vertu de la convention-cadre, le SCFP et Air Canada ont tous deux soumis des questions au médiateur-arbitre, notamment la question suivante proposée par Air Canada : « De qui relèvent les employés qui sont libérés en vertu du paragraphe 135.1(10)? »

[10] Le 22 juin 2009, Air Canada et le SCFP ont aussi négocié une entente de principe (EP) (pièce 1; onglet 2), dont certaines parties ont trait aux libérations à temps plein, aux remplacements et à l’accès à l’arbitrage :

Une nouvelle entente de principe sera conclue :

Entente de principe

l’entente)

ENTRE :

le Syndicat canadien de la fonction publique, division du transport aérien, élément Air Canada

(le syndicat)

- et -

Air Canada

(l’entreprise)

Objet : Employés libérés de leurs fonctions en vol avec rémunération pour exercer des fonctions liées à la santé et à la sécurité

Attendu que le syndicat a présenté le grief concernant le versement des salaires (CHQ-08-42) qui a trait à la rémunération des représentants en matière de santé et de sécurité,

Et attendu que les parties souhaitent régler ce grief,

Les parties conviennent par conséquent de ce qui suit :

Nombre d’employés libérés de leurs fonctions en vol pour exercer des fonctions liées à la santé et à la sécurité

L’entreprise assumera les coûts associés à la libération à temps plein (LTP) de membres du personnel de cabine – selon le nombre indiqué ci-après – pour permettre à ces membres d’exercer les fonctions de représentants des employés en matière de santé et de sécurité en vertu de la partie II du Code canadien du travail (le Code) :

Comité d’orientation en matière de santé et de sécurité – Service en vol : 3 LTP
Comité local de santé et de sécurité – YVR : 2 LTP
Comité local de santé et de sécurité – YYC : 1 ETP
Comité local de santé et de sécurité – YYZ : 3 LTP
Comité local de santé et de sécurité – YUL : 2 LTP

Les représentants des employés en matière de santé et de sécurité exerceront les fonctions prescrites par le Code ou autrement et défendront l’intérêt supérieur direct aussi bien d’Air Canada que de ses employés.

Aucun autre membre du personnel de cabine ne sera libéré de ses fonctions pour remplacer les représentants des employés en matière de santé et de sécurité qui s’absenteront pour quelque raison que ce soit. D’autres représentants des employés en matière de santé et de sécurité pourront être libérés de leurs fonctions de façon ponctuelle dans le seul but de faire rapport dans le cadre d’une enquête sur un refus de travailler ou d’exercer d’autres fonctions assignées aux termes du paragraphe 135.1(8) du Code qui surviennent ou doivent être exécutées en dehors des heures normales de travail des représentants des employés à temps plein. Les représentants additionnels ainsi libérés seront rémunérés conformément à la présente entente.

Nature de l’entente de principe

La présente entente peut être modifiée avec l’accord des parties ou, à l’exception de la clause relative au règlement du grief concernant le versement des salaires (CHQ-08-42) et de tous les articles portant sur le versement des salaires (appelés collectivement « versement des salaires »), à la suite des décisions du médiateur-arbitre en vertu de la convention-cadre de médiation-arbitrage datée du 21 avril 2009. La présente entente sera conclue sous réserve de la position que les parties pourront prendre à l’égard de toute question, à l’exception du versement des salaires, devant un médiateur-arbitre dans le cadre de ce processus. Cependant, la présente entente de principe peut être produite durant le processus de médiation arbitrage si le médiateur-arbitre en fait la demande.

Les parties conviennent que la présente entente de principe est exécutoire tout au long de la procédure d’arbitrage des griefs de la convention collective. La présente entente de principe sera en vigueur pendant toute la durée de la convention collective (du 1er juillet 2009 au 30 mars 2011), à moins qu’elle ne soit modifiée par le médiateur arbitre ou avec le consentement des parties. Il est entendu que la présente entente, à l’exception des dispositions relatives au versement des salaires et de toute décision rendue par le médiateur-arbitre, expirera en même temps que la convention collective, et que ses effets s’appliqueront à toute convention collective ultérieure uniquement si cette décision a été prise au terme du processus de négociation.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[11] C’est dans ce contexte que les événements décrits dans la plainte se sont produits, en mars, en avril et en juin 2010.

B – Événements survenus en mars 2010

[12] L’employeur et les membres représentant les employés au sein du CO avaient convenu au départ de se rencontrer les 25 et 26 mars 2010. Il avait été prévu que Mme Paquet, la coprésidente représentant les employés, dirigerait la réunion du CO du mois de mars.

[13] Des discussions ont ensuite eu lieu par courrier électronique à propos de la possibilité de modifier les dates de la réunion du CO en raison de l’absence probable de Mme Julie-Anne Lambert d’Air Canada, coprésidente représentant l’employeur.

[14] Un différend est survenu à propos des dates prévues pour la réunion du CO et des personnes qui pouvaient y assister. Par exemple, dans un courriel daté du 11 mars 2010 envoyé à Mme Paquet (pièce 1; onglet 7), Mme Isabelle Jourdain, membre représentant Air Canada au sein du CO, a proposé de tenir la réunion aux dates qui avaient été convenues au départ :

Bonjour,

Étant donné que nous ne sommes pas en mesure de trouver deux jours consécutifs avant juin pour tenir la réunion du CO, nous proposons de conserver les dates initiales (le jeudi 25 et le vendredi 26).

Cependant, étant donné que Julie-Anne ne pourra être présente le 25, je recommande que nous abordions les affaires anciennes de notre liste de catégories et que nous fassions le point sur nos projets le premier jour, puis que nous traitions des points restants le deuxième jour.

Mélanie, allez-vous préparer l’ordre du jour ou préféreriez-vous que je m’en charge?

Salutations,
Isabelle

(traduction)

[15] Dans sa réponse envoyée par courriel le 15 mars 2010, Mme Paquet a accepté que la réunion se tienne aux dates qui avaient été convenues au départ, et elle a fait valoir que d’autres membres du SCFP faisaient aussi partie du CO :

Bonjour Isabelle,

Je suis d’accord pour que la réunion ait lieu aux dates qui avaient été convenues au départ, soit les 25 et 26 mars.

Comme vous le savez, nous estimons que Karen Allbright et Bernadette Jean font partie des membres représentant les employés au sein du CO.

Par conséquent, j’aimerais qu’elles assistent à la prochaine réunion du comité d’orientation.

Je vais préparer l’ordre du jour comme vous le proposez, compte tenu de l’absence de Julie Anne le 25. Serez-vous la coprésidente suppléante pour cette réunion?

Salutations,
Melanie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[16] Dans un courriel envoyé à Mme Paquet le 16 mars 2010, Mme Jourdain a fait part de son désaccord en précisant que, selon l’EP, seuls trois membres du personnel de cabine pouvaient être libérés de leurs fonctions habituelles pour exercer des fonctions liées au CO, c’est-à-dire Mmes Paquet, Pelletier et DeSantis :

Bonjour Melanie,

Je vous réponds au nom de la coprésidente représentant l’employeur.

Bernadette Jean et Karen Allbright ont déjà été libérées de leurs fonctions à temps plein, à la demande du SCFP, pour agir comme représentantes au sein de comités locaux.

Selon l’EP, elles sont censées consacrer leurs 35 heures de travail aux comités pour lesquels elles ont été libérées.

Bernadette et Karen n’ont pas été libérées pour assister aux réunions du CO, pour travailler sur les dossiers du CO ni pour recevoir de la correspondance liée au CO. Conformément à l’EP conclue le 22 juin, l’entreprise doit libérer trois membres du personnel de cabine à temps plein pour le comité d’orientation. Le SCFP vous a nommées, Silvana, Julie et vous, à titre de représentantes, et personne d’autre ne peut être libéré à cette fin.

Nous devons malheureusement refuser votre demande.

J’assurerai la coprésidence par intérim le 25.

Êtes-vous en mesure de nous envoyer l’ordre du jour d’ici demain?

Veuillez nous indiquer si Stacey peut se joindre à nous à titre d’observatrice.

Salutations,
Isabelle

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[17] Mme Paquet a répondu dans un courriel qu’elle acceptait de tenir la réunion du CO sous toutes réserves. Cependant, en réponse à la demande d’Air Canada pour que Mme Stacey Cymone Aqui assiste à la réunion à titre d’observatrice, le SCFP a accepté, mais à la condition que M. Richard Balnis y assiste en tant qu’observateur du SCFP :

Bonjour Isabelle,

Nous tiendrons la réunion, une fois de plus, sous toutes réserves.

Je vous enverrai l’ordre du jour sous peu.

Pour faire suite à votre demande concernant la participation de Stacey à titre d’observatrice, je serais disposée à accepter, si vous acceptiez, en tant que coprésidente suppléante représentant l’employeur, que les membres représentant les employés invitent eux aussi un observateur, à savoir Richard Balnis.

Salutations,
Melanie

(traduction)

[18] Cette divergence d’opinions englobait aussi la question de savoir si Air Canada pouvait envoyer un suppléant à la réunion du CO. Le 23 mars 2010, la coprésidente représentant Air Canada, Mme Lambert, a informé Mme Paquet par courriel (pièce 1; onglet 9) que Mme Aqui assisterait à la réunion à sa place :

Veuillez prendre note que je ne serai pas en mesure d’assister à la réunion du CO de cette semaine. Stacey, qui a été nommée comme suppléante représentant l’employeur, y assistera en mon nom; c’est toutefois Isabelle qui assumera les fonctions de coprésidente par intérim.

Pour ce qui est de la conférence téléphonique sur la sécurité des stationnements prévue vendredi, j’essaierai d’y assister en compagnie de Silvana, et Stacey se retirera à ce moment là de sorte que les membres représentant l’employeur ne soient pas plus nombreux à la réunion.

Salutations,
Julie-Anne

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[19] Le 24 mars 2010, Mmes Paquet et Lambert ont continué d’échanger des courriels sur la question des suppléants. Mme Lambert a fait valoir l’interprétation donnée par Air Canada à l’EP :

Allô Melanie,

Selon le paragraphe 135.1(6) du CCT, un employeur peut désigner des suppléants chargés de remplacer des membres. Normalement, les membres représentant les employés peuvent le faire aussi, mais votre syndicat a signé une EP selon laquelle « aucun autre membre du personnel de cabine ne sera libéré de ses fonctions pour remplacer les représentants des employés en matière de santé et de sécurité qui s’absenteront pour quelque raison que ce soit ».

Julie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[20] Le Conseil a entendu les témoignages des personnes présentes à la réunion du CO du 24 mars 2010. Le désaccord concernant le droit qu’un suppléant assiste à la réunion a persisté. Au bout du compte, la réunion n’a pas été tenue.

[21] Bien qu’il y ait eu des contestations durant les témoignages quant à savoir quelles personnes avaient quitté la réunion, le procureur du SCFP a dit ouvertement qu’aucune réunion n’aurait eu lieu ce jour-là tant qu’Air Canada aurait maintenu sa position concernant les suppléants.

[22] Les employées et Air Canada ont essayé de fixer d’autres dates pour tenir la réunion du CO. Par exemple, après avoir reçu une liste de dates possibles pour les employées, Mme Jourdain a envoyé un courriel à Mme Paquet le 29 mars 2010 pour lui proposer de tenir la réunion les 26 et 27 avril 2010 (pièce 1; onglet 12). Mme Jourdain a aussi mentionné que Mme Lambert ne serait, encore une fois, pas en mesure d’assister à cette réunion.

[23] Le 29 mars 2010, Mme Lambert a écrit (pièce 13) à M. Anup Anand, directeur, Bases du Service en vol – Est du Canada, à propos d’une lettre :

Anup,

Pouvez-vous envoyer la lettre aux trois filles du CO dès que possible? Comme Isabelle leur a déjà dit que mon emploi du temps était rempli, les problèmes sont sur le point de commencer.

Merci,
Julie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[24] Le 30 mars 2010, M. Anand a envoyé trois lettres identiques (pièce 1; onglets 13 à 15), qu’Air Canada a décrites comme des « lettres d’attentes », à Mmes Paquet, Pelletier et DeSantis concernant la réunion avortée du CO du 25 mars 2010 :

Je crois comprendre que vous avez refusé de prendre part à une réunion du comité d’orientation la semaine dernière à Montréal parce que vous ne reconnaissiez pas la suppléante d’une représentante de l’employeur. J’ai examiné le procès-verbal que vous aviez rédigé, lequel énonce :

« La coprésidente représentant les employés déclare que nous ne sommes pas d’accord pour tenir la réunion avec Stacey aujourd’hui à titre de quatrième membre du CO représentant l’employeur. En outre, sa présence n’a pas été convenue. La coprésidente représentant les employés propose que la réunion soit tenue, sans Stacey, et tel que convenu à l’origine, puisqu’il y a beaucoup de travail à faire. La coprésidente suppléante représentant l’employeur refuse.

La coprésidente représentant les employés propose alors de reporter la réunion à une date ultérieure à laquelle tous les membres du comité pourront être présents. »

[Nom de l’employée], vous êtes tenue de participer aux réunions du comité d’orientation, peu importe que vous acceptiez ou non la présence de la suppléante d’une représentante de l’employeur, et vous n’aviez pas le droit d’empêcher la tenue de la réunion jeudi dernier. Vous êtes libre de déposer un grief ou d’exercer un autre recours plus tard, mais vous devez quand même exécuter les fonctions pour lesquelles vous êtes libérée et rémunérée. Il s’agit du principe essentiel selon lequel « le travail est accompli d’abord et les griefs sont déposés plus tard », et ce principe s’applique à tous les employés, y compris aux membres d’un comité de santé et sécurité.

Julie-Anne Lambert m’informe qu’elle ne pourra probablement pas assister à une réunion du CO deux jours de suite dans un avenir rapproché et qu’elle devra envoyer un remplaçant au moins un jour. Je crois comprendre que, plus tôt aujourd’hui, vous avez avisé Isabelle Jourdain dans un courriel que vous reporteriez la réunion du CO sous toutes réserves. Voilà la démarche qu’il convient d’adopter. Votre refus de convoquer une réunion du CO ou d’y participer parce que vous n’acceptez pas que la suppléante d’une représentante de l’employeur y participe entraînera l’imposition de mesures disciplinaires.

(c’est nous qui soulignons)

[25] Les employées allèguent que la lettre de M. Anand constitue une mesure de représailles aux termes du Code.

C – Événements survenus en avril 2010

[26] Les dates pour la reprise de la réunion du CO en avril 2010 et la liste des personnes qui y assisteraient ont continué de diviser Air Canada et les employées. Le commentaire d’Air Canada à propos du fait que Mme Lambert ne serait pas en mesure d’assister à la réunion du CO prévue en avril a donné lieu à cette réponse de Mme Paquet, envoyée par courriel le 30 mars 2010 (pièce 6; onglet 16) :

Bonjour Isabelle,

Comme je l’ai indiqué dans le dernier courriel que je vous ai envoyé le vendredi 26 mars, je crois que la coprésidente représentant l’employeur devrait assister à la réunion conformément à l’EP.

Je vais aller de l’avant et reporter la réunion, même si la coprésidente représentant l’employeur n’y assistera pas, car nous avons beaucoup de travail à faire. Notre position sera consignée par écrit, et nous tiendrons cette réunion sous toutes réserves.

Nous sommes disponibles pour tenir la réunion les 26 et 27 avril.

Silvana et moi-même y assisterons. Julie sera en congé syndical cette semaine-là et n’assistera pas à la réunion du CO.

Nous pourrions être présentes toutes les trois les 21, 22 ou 23, si vous préférez.

Veuillez m’indiquer votre préférence,
Melanie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[27] Le commentaire de Mme Paquet concernant l’absence de Julie Pelletier à la réunion du CO du mois d’avril a donné lieu à une nouvelle lettre de M. Anand, adressée à Mme Pelletier et datée du 30 mars 2010 (pièce 6; onglet 17) :

Julie, on m’a informé que vous aviez l’intention de prendre un congé pour exercer des fonctions du SCFP pour assister au colloque en santé et sécurité. Sachez que je n’ai pas encore reçu de demande en ce sens de la part du syndicat et que, par conséquent, vous n’êtes pas autorisée à vous absenter du travail.

Si je reçois une demande en bonne et due forme de la part du syndicat pour que vous puissiez être libérée pour activités syndicales, je vais l’accorder parce que je crois comprendre que le comité d’orientation ne procure pas suffisamment de travail pour trois représentants des employés. Si vous n’êtes pas d’accord et que vous estimez qu’il y a suffisamment de travail pour trois représentants, vous ne devriez pas alors demander de congé syndical.

Conformément à l’EP de juin 2009, vous ne serez pas remplacée si vous obtenez un congé syndical.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[28] Le 9 avril 2010, Mme Katherine Thompson, présidente, élément Air Canada du SCFP, a répondu à la lettre de M. Anand à propos du congé de Mme Pelletier. Le SCFP s’est formalisé, entre autres choses, de l’insinuation de M. Anand selon laquelle il n’y aurait peut-être pas suffisamment de travail au sein du CO pour trois représentants des employés. Selon le SCFP, ce commentaire de M. Anand avait pour but d’obtenir un aveu qui aurait pu être utilisé dans le cadre d’autres procédures en instance qui opposaient les parties (pièce 6; onglet 18) :

2. La demande de congé n’a rien à voir avec la quantité de travail que procure le comité d’orientation, comme vous le prétendez. Il est question de l’intérêt du syndicat de pouvoir compter sur des représentants bien formés pour siéger aux comités mixtes de santé et de sécurité, y compris le comité d’orientation. Le syndicat n’apprécie pas que vous cherchiez à fabriquer des éléments de preuve ou à contraindre une employée à accepter le point de vue d’Air Canada en disant à Mme Pelletier : « Si vous n’êtes pas d’accord et que vous estimez qu’il y a suffisamment de travail pour trois représentants, vous ne devriez alors pas demander de congé syndical ».

3. Le commentaire que vous avez fait à Mme Pelletier, selon lequel elle ne serait pas remplacée si elle obtenait un congé syndical, est gratuit, injustifié et incorrect. L’EP du 22 juin 2009 ne concerne pas le remplacement des personnes en congé syndical. Les remplacements et les libérations ponctuelles dont il est question dans l’EP ont trait à des absences payées par Air Canada, comme des vacances ou des congés de maladie, et au surplus de travail exécuté par les membres du comité en dehors des heures normales de travail. L’EP ne prévoit aucun avantage pour Air Canada lorsque le syndicat souhaite qu’un membre représentant les employés au sein d’un comité mixte de santé et de sécurité participe à des activités syndicales. Rien n’empêche Air Canada d’accepter le remplacement d’un membre du comité d’orientation qui doit s’occuper d’activités syndicales. Air Canada a reconnu cette interprétation de l’EP dans sa réponse au grief AC-YYZ-10-20 datée du 18 février 2010.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[29] Mme Thompson a aussi informé M. Anand que Mmes Paquet et DeSantis étaient disposées à tenir une réunion, à la condition qu’un membre suppléant représentant les employés, qui serait rémunéré par Air Canada, y assiste aussi (pièce 6; onglet 18) :

Enfin, nous croyons comprendre que les membres représentant les employés au sein du comité d’orientation ont proposé plusieurs dates pour la tenue de la réunion trimestrielle et qu’elles sont disposées à tenir une réunion lorsque Mme Pelletier sera en congé syndical, à la condition qu’un membre suppléant représentant les employés assiste à la réunion. Si la réunion a lieu pendant que Mme Pelletier est en congé syndical, nous nous attendons aussi à ce que la personne qui la remplacera soit libérée de ses fonctions habituelles avec rémunération versée par l’entreprise.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[30] Les divergences d’opinions entre le SCFP et Air Canada à propos de la réunion suivante du CO se sont poursuivies, comme en témoigne le courriel que Mme Paquet a envoyé à Mme Jourdain le 14 avril 2010 (pièce 6; onglet 19) :

Bonjour Isabelle,

Comme je vous l’ai déjà écrit, nous sommes disposées à vous rencontrer les 26 et 27 avril à la condition que vous acceptiez d’accorder une libération ponctuelle pour le remplacement de Julie Pelletier, qui a demandé un congé syndical en vue d’assister au colloque sur la sécurité des cabines.

Autrement, Julie, Silvana et moi-même sommes disponibles pour tenir la réunion du CO les 21, 22 et 23 avril.

Pouvez-vous m’envoyer une confirmation?

Salutations,
Melanie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[31] Le 15 avril 2010, M. Anand a répondu (pièce 1; onglet 20) à la lettre de Mme Thompson datée du 9 avril 2010. En plus de formuler des commentaires sur le processus d’autorisation des congés syndicaux, M. Anand a indiqué que Mme Pelletier ne serait pas remplacée :

Lorsqu’un agent de bord est déjà libéré de ses fonctions pour exercer des fonctions liées à un comité de santé et de sécurité, il importe de déterminer si le comité peut se passer de lui. Cette question ne relève pas de l’affectation des équipages, mais de moi-même, en consultation avec les membres du comité concernés. Mme Pelletier a demandé à s’absenter et la coprésidente représentant les employés était au courant; elles croient donc manifestement que cette absence n’aura pas d’incidence sur les travaux du comité. Les représentants de l’employeur sont d’accord. Par conséquent, j’accepte d’accorder le congé demandé puisqu’il ne nuira pas au comité.

Mme Pelletier ne sera toutefois pas remplacée. L’EP de juin 2009 ne pourrait indiquer plus clairement que personne ne remplacera les représentants des employés qui « s’absenteront pour quelque raison que ce soit ». Il ne s’agit pas seulement de limiter le nombre de libérations pour lesquelles Air Canada doit payer, mais aussi de limiter le nombre d’agents de bord que l’entreprise doit libérer de leurs fonctions habituelles.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[32] En outre, M. Anand a indiqué qu’il enverrait une lettre d’avertissement à Mmes Paquet et DeSantis concernant le fait qu’Air Canada s’attendait à ce qu’elles assistent à la prochaine réunion du CO (pièce 1; onglet 20) :

En bref, Air Canada permettra à Julie Pelletier de s’absenter pour activités syndicales, mais ne la remplacera pas. Veuillez noter que je vais prévenir les deux autres représentantes des employés au sein du comité d’orientation qu’elles seront tenues d’assister à la réunion du comité d’orientation aux dates convenues au départ et qu’elles ne pourront pas refuser de le faire simplement parce que Mme Pelletier risque de s’absenter à la demande du syndicat pour mener des activités syndicales.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[33] Le 19 avril 2010, M. Anand a envoyé des lettres d’avertissement identiques (pièce 1; onglets 21 et 22) à Mmes Paquet et DeSantis concernant leur présence à la réunion du CO du mois d’avril :

On m’informe que vous êtes disponible pour une réunion du comité d’orientation les 26 et 27 avril, mais que la coprésidente représentant les employés refuse d’accepter cette réunion à moins qu’Air Canada remplace Julie Pelletier, qui a demandé un congé syndical.

On m’informe également que les 26 et 27 avril sont des dates convenues à l’origine pour cette réunion et que les représentants de l’employeur sont seulement disponibles à ces dates.

Veuillez prendre note qu’à titre de représentant des employés, vous n’avez pas le droit de refuser d’assister à une réunion du comité d’orientation lorsque vous êtes disponible au seul motif que vous, Mme Paquet ou votre syndicat n’êtes pas d’accord avec l’interprétation que fait Air Canada des dispositions de l’EP de juin 2009 relatives aux remplacements.

En conséquence, vous devrez participer à la réunion du comité d’orientation les 26 et 27 avril, sans quoi des mesures disciplinaires pourront être prises contre vous. Si vous avez des réserves quant à la convocation de la réunion du comité les 26 et 27 avril, vous pourrez déposer un grief plus tard.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[34] La lettre de M. Anand datée du 19 avril 2010 constitue la deuxième mesure de représailles alléguée en l’espèce. La réunion du CO du mois d’avril a finalement eu lieu comme prévu.

D – Événements survenus en juin 2010

[35] Le mardi 22 juin 2010, Mme Cathie Bumbaca du SCFP a demandé un congé syndical pour Mme Pelletier (pièce 6; onglet 25), en vertu de la convention collective conclue entre Air Canada et le SCFP. Mme Pelletier prévoyait assister à une conférence sur la santé et la sécurité du 28 au 30 juin 2010.

[36] Vingt minutes après avoir reçu cette demande par courriel, M. François Chiquette d’Air Canada a répondu (pièce 6; onglet 25) en informant Mme Bumbaca de la marche à suivre :

Comme il a déjà été mentionné, toute demande concernant la santé et la sécurité doit être adressée à Julie-Anne Lambert.

Aucune modification ne sera apportée jusqu’à ce que celle-ci donne son autorisation.

(traduction)

[37] Quelques minutes plus tard, le SCFP a envoyé la demande à Mme Lambert, qui a répondu peu de temps après (pièce 6; onglet 26) :

Je dois d’abord consulter le comité d’orientation afin de déterminer si les travaux du comité seront perturbés par la libération de Julie. J’informerai ensuite Christian, son superviseur, de ma décision.

(traduction)

[38] Divers témoins ont parlé des courriels échangés concernant la demande de congé de Mme Pelletier. Par exemple, le 22 juin 2010, Mme Lambert a demandé à Mme Jourdain une liste des tâches attribuées à Mme Pelletier au sein du CO, laquelle a été fournie le jour même (pièce 6; onglet 27).

[39] Le 23 juin 2010, Mme Thompson a écrit à M. Stephen Knowles d’Air Canada (pièce 6; onglet 29) pour lui dire que, selon elle, la façon dont Mme Lambert traitait la demande de congé de Mme Pelletier constituait une intervention dans les affaires du syndicat :

Bonjour Stephen,

Veuillez lire le courriel ci-après.

Il est évident que Julie-Anne ne comprend pas les conséquences d’une intervention dans les fonctions que nous exerçons en tant que syndicat. Comme vous avez beaucoup plus d’expérience qu’elle en la matière, peut-être pourriez-vous lui offrir quelques conseils?

Nous cherchons à obtenir un congé, payé par le syndicat, pour permettre à Julie Pelletier d’exercer des fonctions syndicales liées à la santé et à la sécurité.

Merci,
Katherine

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[40] M. Knowles, en désaccord avec l’évaluation de la situation faite par Mme Thompson, a répondu le jour même (pièce 6; onglet 29) qu’Air Canada devait examiner toutes les demandes de congé syndical avant de prendre une décision :

Bonjour Katherine,

Aucun conseil ne sera nécessaire.

Comme vous le savez, à quelques exceptions près, le SCFP ne dispose pas d’un droit à l’autorisation automatique de congés syndicaux. Il importe peu que l’agent de bord pour lequel vous demandez un congé doive, selon l’horaire, voler ou travailler pour un comité de santé et de sécurité. Dans les deux cas, l’entreprise décidera d’accorder ou non la demande.

Lorsqu’un agent de bord est libéré de ses fonctions et rémunéré par l’entreprise pour travailler à temps plein au sein d’un comité de santé et de sécurité, il faut déterminer si son absence aurait des effets négatifs sur les travaux du comité. Si l’on ne prévoit pas d’effets négatifs, le congé est accordé. Si l’on en prévoit, le congé est refusé.

Il s’agit là d’un exercice raisonnable des droits de la direction qui ne constitue aucunement une intervention dans les affaires du syndicat. Ces précisions devraient clarifier la position de l’entreprise.

Merci, Stephen.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[41] Le jeudi 24 juin 2010 était un jour férié au Québec, où se trouve le siège social d’Air Canada.

[42] Le 24 juin 2010, Mme Pelletier a demandé à Mme Lambert de lui dire où en était sa demande de congé. Mme Lambert a répondu le lendemain en précisant qu’elle n’avait toujours pas eu de nouvelles de Mme Paquet (pièce 6; onglet 31).

[43] Peu de temps après, soit le vendredi 25 juin à 15 h 39, Mme Paquet a répondu (pièce 6; onglet 32) que la demande de congé de Mme Pelletier était « raisonnable » :

Bonjour Julie-Anne,

Le syndicat de même que les représentantes qu’il a désignées sont d’avis que cette demande de congé est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

Melanie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[44] Mme Lambert lui a répondu quelques minutes plus tard :

Melanie,

Ce n’est pas ce que je vous demande. En tant que présidente du CO, je vous demande votre avis, en votre qualité de présidente du CO (non pas en tant que représentante syndicale), à la lumière des tâches que Julie doit exécuter. Croyez-vous qu’elle a aussi le temps de s’absenter pour exercer des fonctions syndicales?

Julie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[45] Le 25 juin 2010, à 16 h 46, Mme Paquet a répondu ce qui suit (pièce 6; onglet 32) :

Julie-Anne,

En ma qualité de coprésidente du CO désignée par le syndicat, je considère qu’il est raisonnable que Julie s’absente les 28, 29 et 30 juin.

Melanie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[46] Le dimanche 27 juin, après avoir pris connaissance du courriel de Mme Paquet, Mme Lambert a transmis la demande de congé syndical (pièce 6; onglet 32) :

1. Allô Melanie,

Étant donné que les fonctions principales de Julie sont liées à la santé et à la sécurité, je ne peux que supposer que vous convenez qu’aucune activité du CO n’est urgente ou que les travaux du CO ne seront pas interrompus par le congé pris par Julie pour exercer des fonctions du SCFP. En me fondant sur cette hypothèse, je transmets la demande à Christian qui décidera d’accorder ou non le congé. Christian, à notre avis, aucun tort ne sera causé au CO si Julie s’absente pour exercer des fonctions du SCFP. Veuillez noter que le SCFP a demandé un congé les 28, 29 et 30 juin.

Julie

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[47] Mme Pelletier, malgré la réception tardive de la confirmation de son congé syndical, a pu assister à la conférence. Cet incident constitue la troisième mesure de représailles alléguée.

[48] Comme il a été indiqué précédemment, la décision rendue par le Conseil le 4 juillet 2011 dans AC 599 portait sur trois objections préliminaires soulevées par Air Canada. Dans l’une de ces objections, Air Canada avait demandé au Conseil de rejeter certaines parties de la plainte du SCFP au motif qu’elles pouvaient être tranchées par un arbitre du travail.

[49] Bien que le Conseil ait rejeté deux des trois objections formulées par Air Canada, il a tout de même reconnu qu’un arbitre pouvait statuer sur certaines parties de la plainte initiale en l’espèce (voir plus loin).

[50] Air Canada a fait valoir que la troisième question liée à la demande de congé syndical présentée en juin 2010 par Mme Pelletier en vertu de la convention collective avait été tranchée de façon définitive par le Conseil dans AC 599.

III – Régime législatif

[51] L’article 135.1 du Code traite de façon générale des obligations des comités d’orientation et des comités locaux. Le Code régit diverses questions touchant ces comités, comme le nombre minimal, et égal, de membres; les membres suppléants; la présidence; de même que le droit à des congés et au salaire pour les membres qui exercent des fonctions liées à la sécurité.

[52] Voici quelques-uns des principaux paragraphes de l’article 135.1 auxquels le procureur a fait référence :

135.1(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le comité d’orientation et le comité local sont composés d’au moins deux personnes. Au moins la moitié des membres doivent être des employés qui :

a) d’une part, n’exercent pas de fonctions de direction;

b) d’autre part, sous réserve des règlements pris en vertu du paragraphe 135.2(1), ont été choisis :

(i) soit par les employés s’ils ne sont pas représentés par un syndicat,

(ii) soit par le syndicat représentant les employés, en consultation avec les employés non représentés par un syndicat.

(6) Tant l’employeur que les employés peuvent désigner des suppléants chargés de remplacer, en cas d’empêchement, les membres désignés par eux; les suppléants des membres désignés par les employés ou en leur nom doivent répondre aux critères prévus aux alinéas (1)a) et b).

(7) La présidence du comité est assurée par deux personnes choisies parmi les membres, l’une par les membres désignés par les employés ou en leur nom, l’autre par les membres désignés par l’employeur.

(8) Les fonctions qui incombent au comité sous le régime de la présente partie sont assignées aux membres conjointement par les deux présidents conformément aux règles suivantes :

a) lorsqu’une fonction est assumée par plusieurs membres, au moins la moitié doivent avoir été désignés par les employés ou en leur nom;

b) lorsqu’une fonction est assumée par un seul membre, celui-ci doit avoir été désigné par les employés ou en leur nom.

(10) Les membres du comité peuvent consacrer, sur leurs heures de travail, le temps nécessaire :

a) à l’exercice de leurs fonctions au comité, notamment pour assister aux réunions;

b) aux fins de préparation et de déplacement, dans la mesure autorisée par les deux présidents.

(11) Pour le total des heures qu’il consacre à ces activités, l’employé a le droit d’être rémunéré par l’employeur au taux régulier ou majoré selon ce que prévoit la convention collective ou, à défaut, la politique de l’employeur.

(c’est nous qui soulignons)

[53] L’article 147 du Code énonce l’interdiction imposée à l’employeur au regard des mesures disciplinaires sous le régime de la partie II :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[54] Essentiellement, un employeur ne peut user de représailles envers un employé parce que celui-ci a participé à un processus prévu aux termes de la partie II. La participation de l’employé peut consister à avoir témoigné dans une poursuite ou à avoir fourni un renseignement dans une affaire visée à la partie II. Elle peut aussi consister à avoir observé les dispositions de la partie II ou à avoir cherché à les faire appliquer. Par souci de commodité, nous désignerons par « processus de la partie II » ces diverses activités prévues à l'article 147.

[55] Un employé peut déposer auprès du Conseil une plainte dans laquelle il allègue une violation de l’article 147 :

133. (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

(c’est nous qui soulignons)

[56] Le paragraphe 133(6) inverse le fardeau de la preuve pour l’imposer à l’employeur si un employé a dûment exercé son droit de refus de travailler en cas de danger en vertu de l’article 128. Dans tous les autres cas, le fardeau de la preuve incombe au plaignant : Anderson c. IMTT-Québec Inc., 2013 CAF 90.

[57] Rien n’indique que Mmes Paquet, Pelletier ou DeSantis ont refusé de travailler en raison d’un danger en vertu de l’article 128 du Code. Comme il n’était pas question d’un refus de travailler en l’espèce, les plaignantes devaient prouver que les mesures prises par Air Canada constituaient des représailles à l’égard de leur participation à un processus de la partie II.

[58] Dans Rathgeber, 2010 CCRI 536, le Conseil a formulé des commentaires sur le rôle qu’il exerce dans les plaintes déposées en vertu de la partie II :

[21] Pour l’application de la partie II du Code, le Conseil est chargé de statuer sur les plaintes où il est allégué qu’un employeur a pris des mesures disciplinaires ou toute autre mesure contre un employé parce que ce dernier aurait exercé les droits que lui confère le Code.

[22] Ce régime est établi par les articles 133, 134 et 147 du Code. Ainsi, le Conseil doit décider si des représailles ont été exercées, à peu près de la même manière qu’il examine les plaintes de pratique déloyale de travail fondées sur la partie I du Code:

[la citation des paragraphes 133, 134 et 147 a été retranchée]

[23] Le libellé de l’article 147 et son titre, « Mesures disciplinaires », confirment les conditions qui donnent compétence au Conseil en la matière– : l’employeur doit avoir exercé des représailles ou pris des mesures disciplinaires.

[24] Dans Tony Aker, 2009 CCRI 474, le Conseil a décrit sa compétence actuelle relativement à la partie II du Code et son application à deux questions distinctes. D’abord, le Conseil doit décider si des représailles ont été exercées parce que le plaignant avait exercé le droit de refuser de travailler en cas de danger que lui confère l’article 128 du Code. Pour ce cas précis de représailles, le paragraphe 133(6) du Code crée une disposition relative à l’inversion du fardeau de la preuve.

[25] Ensuite, le Conseil examine aussi les allégations de représailles fondées sur la partie II pour d’autres situations prévues à l’article 147 qui ne sont pas liées au refus de travailler en cas de danger. Toutefois, le fardeau de la preuve n’est pas inversé pour cette protection générale contre les représailles.

[26] Dans Air Canada, 2007 CCRI 394, le Conseil a statué sur une plainte relative au fonctionnement des comités de santé et de sécurité et a expliqué les limites de sa compétence en la matière :

[59] La partie II du Code n’accorde pas de pouvoirs au Conseil en ce qui concerne l’administration ou l’application des dispositions régissant le fonctionnement des comités de santé et de sécurité. Son libellé actuel n’autorise pas le Conseil à statuer sur la myriade de différends ayant trait à l’administration ou au fonctionnement de ces comités, qui existent aussi bien dans des entreprises syndiquées que dans des entreprises non syndiquées. À titre d’exemple, la partie II ne permet pas au Conseil de déterminer l’étendue de la formation requise, le niveau de ressources ou le nombre d’heures pendant lesquelles les membres des comités doivent être libérés de leurs fonctions en vol, dans les centaines, voire les milliers de lieux de travail de compétence fédérale. Elle n’accorde pas non plus au Conseil le pouvoir de fixer le taux régulier de rémunération des employés qui siègent aux comités de santé et de sécurité.

[60] La seule compétence qui est accordée au Conseil sous le régime de la partie II du Code est celle d’instruire les plaintes alléguant que l’employeur a sévi contre un employé qui s’est prévalu des droits que lui accorde l’article 147 du Code ...

(c’est nous qui soulignons)

[27] Dans George Court, 2010 CCRI 498, le Conseil a comparé sa compétence à celle d’un agent de santé et de sécurité :

[80] Dans Tony Aker, 2009 CCRI 474, le Conseil a examiné comment un seul incident pouvait donner lieu à des plaintes devant plusieurs instances. Cette décision concernait le congédiement d’un employé qui avait entraîné le dépôt d’une plainte pour représailles auprès du Conseil, d’une plainte de violation de la partie II du Code auprès d’un agent de santé et de sécurité et d’une plainte de congédiement injuste fondée sur la partie III du Code.

[81] La compétence du Conseil à l’égard de la partie II du Code se limite aux représailles (voir les articles 133 et 147). C’est à l’agent de santé et de sécurité que le Code confère le pouvoir général d’enquêter sur la violation des autres dispositions de la partie II du Code et le pouvoir de donner des instructions correctives (voir notamment l’article 127.1 et le paragraphe 145(1) du Code).

(souligné dans l’original)

[59] En résumé, le Conseil n’est pas chargé de l’application ou de l’interprétation de la plupart des dispositions de la partie II. Les allégations de non-conformité ou de violation relèvent d’un agent de santé et de sécurité (agent de SST), si les parties ne parviennent pas à les résoudre elles mêmes. Le Conseil n’a pas non plus à régler les différends découlant d’une convention collective, même si ceux ci ont trait à des questions touchant la santé et la sécurité visées à la partie II. Le Code confie plutôt au Conseil le rôle de déterminer si un employeur a imposé ou a menacé d’imposer des mesures disciplinaires, y compris un congédiement, à un employé qui a participé à un processus de la partie II, selon la définition donnée précédemment.

[60] Cette interaction entre les articles 147 et 133 conduit à une analyse en trois étapes. Chaque étape doit être franchie avec succès pour que le Conseil puisse conclure à une violation du Code.

  1. Air Canada a-t-elle imposé ou menacé d’imposer des mesures disciplinaires?
  2. Les employées prenaient-elles part à un processus de la partie II?
  3. Un lien existait-il entre le processus de la partie II et les mesures disciplinaires imposées par Air Canada?

IV – Analyse et décision

A – Position d’Air Canada et du SCFP

[61] Air Canada et le SCFP demandent au Conseil de tirer des conclusions opposées à partir des faits.

[62] Selon le SCFP, les lettres disciplinaires envoyées en mars et en avril 2010 avaient pour but d’obliger les membres représentant les employés au sein du CO à accepter l’interprétation du Code donnée par Air Canada. Par exemple, le SCFP allègue que le Code garantit un nombre égal de représentants de l’employeur et des employés parmi les membres du CO. Le SCFP soutient que, lorsque les employées ont exercé ce droit en contestant le recours par Air Canada à des suppléants, Air Canada a usé de représailles en envoyant des lettres disciplinaires.

[63] En ce qui concerne la demande de congé syndical de Mme Pelletier, le SCFP soutient que Mme Pelletier a exercé les droits que lui confère le Code en participant au CO en tant que membre représentant les employés. Le SCFP fait valoir que l’acceptation tardive par Air Canada de la demande de congé présentée en juin 2010 en vertu de la convention collective était une mesure de représailles à peine voilée prise contre Mme Pelletier parce qu’elle avait exercé ses droits aux termes de la partie II.

[64] Le SCFP fait valoir que l’EP a peu d’utilité en l’espèce. En outre, même si elle était utile, Air Canada a la fausse impression que l’EP lui permettait de se soustraire à l’application du Code. Le SCFP soutient qu’il est question ici des droits conférés par le Code plutôt que de droits découlant de l’EP.

[65] Selon Air Canada, il est question d’employées qui ont été libérées avec rémunération pour exercer à temps plein des fonctions liées au CO. À son avis, lorsque des employés sont ainsi libérés avec rémunération, ils doivent malgré tout continuer de répondre de leurs actes. Par conséquent, si des employés refusent d’exécuter les fonctions pour lesquelles ils sont rémunérés, Air Canada pourrait alors, en tant que leur employeur, imposer des mesures disciplinaires.

[66] Selon Air Canada, il s’agit simplement d’une question touchant les relations du travail. Les mesures disciplinaires ont été imposées parce que les employées n’avaient pas exécuté les fonctions pour lesquelles elles étaient rémunérées. Elles n’ont pas été imposées à la suite de différends quant à l’interprétation du Code. Pour tout différend relatif à l’interprétation, les employées étaient libres de déposer une plainte auprès d’un ASS ou de présenter un grief en vertu de la convention collective. Dans l’intervalle, cependant, il fallait appliquer le principe selon lequel « le travail est accompli d’abord et les griefs sont déposés plus tard ».

[67] Air Canada soutient que le recours exercé à l’initiative des employées a mis fin à la réunion du CO dont l’employeur demeurait responsable. Air Canada affirme qu’elle conservait le pouvoir qu’elle avait toujours eu de prendre des mesures si les employées refusaient d’effectuer le travail pour lequel elles étaient rémunérées.

[68] Air Canada soutient aussi que l’EP ne constitue pas une entente lui permettant de se soustraire à l’application du Code. Au contraire, l’entreprise estime que les 11 libérations avec rémunération à temps plein qu’elle a accordées dépassent largement la norme minimale prévue au Code. En échange de ces libérations avec rémunération, Air Canada soutient que les parties s’étaient entendues sur diverses questions, comme les remplacements et le nombre de suppléants. Air Canada affirme que, en cas de différend, la présentation d’un grief était le recours indiqué. Le refus de tenir une réunion du CO ne faisait pas partie des solutions possibles.

[69] En ce qui concerne le congé syndical demandé en juin 2010, Air Canada soutient que le Conseil avait déjà décidé que la question serait tranchée par un arbitre du travail. Air Canada fait observer que, dans les observations initiales, il était clairement indiqué que cette question constituait une intervention dans les affaires du syndicat, en violation de la partie I du Code. Ce n’est que par la suite que le SCFP y a fait référence comme une question à traiter en vertu de la partie II.

[70] Subsidiairement, même si la question relevait de la partie II, Air Canada affirme qu’elle n’a jamais imposé de mesures disciplinaires à Mme Pelletier pour sa demande de congé syndical. Air Canada affirme aussi que Mme Pelletier n’a exercé aucun droit prévu à la partie II.

B – Bien-fondé

[71] Deux questions principales peuvent faire l’objet de l’analyse en trois étapes. Premièrement, les lettres envoyées aux plaignantes en mars et en avril 2010 soulèvent la question de savoir si Air Canada a exercé des représailles interdites aux termes de l’article 147.

[72] Deuxièmement, et sous réserve de l’objection d’Air Canada selon laquelle un arbitre avait déjà été saisi des événements de juin 2010 concernant la demande de congé de Mme Pelletier, la situation soulève la question de savoir si l’acceptation tardive par Air Canada de la demande de congé syndical présentée en vertu de la convention collective constituait, elle aussi, des représailles interdites.

1 – Les lettres envoyées par Air Canada en mars et en avril 2010

a – Air Canada a-t-elle imposé ou menacé d’imposer des mesures disciplinaires?

[73] Le SCFP a convaincu le Conseil que les lettres de mars et d’avril 2010 constituaient des mesures disciplinaires ou correspondaient à une menace d’imposer des mesures disciplinaires, au sens de l’article 147 du Code. Que les lettres aient été qualifiées de « lettres d’attentes » ou non, les membres du SCFP ont été clairement avertis que, si l’impasse du mois de mars se reproduisait à la réunion suivante du CO, il y aurait des répercussions d’ordre disciplinaire.

[74] Les lettres envoyées en avril 2010 à Mmes Paquet et DeSantis étaient explicitement de nature disciplinaire (voir ci-dessus).

[75] Air Canada n’a pas contesté cette façon de qualifier les lettres.

b – Les employées prenaient-elles part à un processus de la partie II?

[76] Le SCFP a aussi convaincu le Conseil que les événements survenus en mars et en avril 2010 ont eu lieu dans le contexte d’un processus de la partie II. La tenue des réunions du CO est prescrite par le Code.

[77] Les divers différends qui ont découlé des réunions du CO ont trait, entre autres, au nombre de membres au sein du CO, ainsi qu’au recours à des suppléants. L’article 135.1 du Code et l’EP traitent tous deux de ces sujets.

c – Un lien existait-il entre le processus de la partie II et les mesures disciplinaires imposées par Air Canada?

[78] Pour justifier une conclusion de violation du Code, il ne suffit pas de démontrer que des mesures disciplinaires ont été imposées dans le contexte général d’un processus de la partie II. Le Code protège les employés contre les mesures disciplinaires qui leur ont été imposées parce qu’ils ont pris part à un processus de la partie II. Si, toutefois, les mesures disciplinaires ont été imposées pour d’autres raisons, le lien essentiel est alors inexistant.

[79] Le SCFP n’a pas convaincu le Conseil que le lien requis existait entre les lettres disciplinaires et la participation des employées à un processus de la partie II.

[80] Malgré les déclarations indiquant le contraire, le Conseil est convaincu que l’EP joue un rôle essentiel au regard de tout élément à prendre en considération en l’espèce. Le Conseil a cité certains extraits de l’EP, ainsi que des nombreux courriels échangés entre plusieurs des personnes qui ont témoigné, pour illustrer le rôle primordial que ce document a joué dans les différends entre les parties. Air Canada, le SCFP et les membres représentant les employés au sein du CO ont tous régulièrement fait mention de l’EP.

[81] Selon le libellé de l’EP, celle-ci découle du règlement d’un grief concernant une affaire visée à la partie II. Air Canada et le SCFP ont convenu que l’EP existait en parallèle avec leur convention collective et que tout différend qui en découlerait serait renvoyé à un arbitre du travail.

[82] C’est l’EP qui a mené aux positions contradictoires à l’égard du nombre de membres représentant les employés au sein du CO. Le SCFP était d’avis que deux employées nommées pour faire partie de certains comités locaux étaient aussi membres du CO. Air Canada a contesté cette interprétation.

[83] Le différend concernant les remplacements ainsi que la question relative aux suppléants découlent eux aussi de l’EP.

[84] Air Canada croyait, à tort ou à raison, qu’elle avait négocié, par l’entremise de l’EP, certains droits en échange d’un nombre fixe de libérations avec rémunération à temps plein pour les membres du SCFP.

[85] Quand Air Canada et les employées ont défendu les droits que leur conférait respectivement l’EP, ce qui a donné lieu à une réunion avortée du CO, Air Canada a envoyé des lettres d’avertissement de nature disciplinaire. La question de savoir si Air Canada avait les droits qu’elle prétendait avoir en vertu de l’EP relève d’un arbitre du travail, et non pas du Conseil.

[86] Cependant, dans la perspective qui est celle du Conseil en l’espèce, les différends qui découlent clairement de l’EP constituent un motif distinct pour ce qui est des mesures disciplinaires imposées par Air Canada. Ces mesures disciplinaires sont la conséquence de l’EP, plutôt que de la participation des employées à un processus de la partie II, selon la définition donnée précédemment.

[87] La négociation de l’EP n’a pas conféré au Conseil une compétence élargie en vertu de la partie II pour trancher les différends découlant de l’application de l’EP. En fait, le SCFP et Air Canada ont convenu explicitement que les différends découlant de l’application de l’EP seraient renvoyés à un arbitre du travail.

[88] Par conséquent, le lien essentiel entre les mesures disciplinaires imposées et la participation à un processus de la partie II est inexistant en l’espèce. Les mesures disciplinaires ont été imposées par suite de différends relatifs à l’interprétation découlant de l’EP, et non en conséquence d’un processus de la partie II. En l’absence de ce lien, la plainte doit être rejetée.

[89] Compte tenu de cette conclusion, le Conseil n’a pas eu à déterminer si les employés relèvent toujours d’Air Canada lorsqu’ils exercent des fonctions liées au CO. Cette question fait déjà l’objet de discussions dans le cadre d’une autre instance.

2 – La demande de congé syndical présentée par Mme Pelletier en juin 2010

a – L’objection préliminaire d’Air Canada

[90] Air Canada soutient que le Conseil a réglé de façon définitive cette troisième question en appliquant le paragraphe 98(3) dans AC 599. Le paragraphe 98(3) se lit comme suit :

98.(3) Le Conseil peut refuser de statuer sur la plainte s’il estime que le plaignant pourrait porter le cas, aux termes d’une convention collective, devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage.

[91] Dans AC 599, le Conseil a décrit l’application du paragraphe 98(3) à certaines parties de la présente affaire :

[95] Le Conseil est convaincu qu’il peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 98(3) pour amener les parties à soumettre la plainte de PDT fondée sur la partie I à l’arbitrage. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est conditionnel à ce qu’Air Canada accepte que l’affaire soit renvoyée à l’arbitrage, même si aucun grief n’a encore été présenté.

[96] Le Conseil entendra la plainte du SCFP alléguant violation de la partie II concernant des représailles. Cependant, il y a une différence fondamentale selon le Conseil entre une plainte en matière de représailles d’un employé alléguant violation de la partie II et un différend plus général touchant les relations du travail entre un employeur et un syndicat accrédité. Le Conseil entendra la plainte et décidera si des employés pris individuellement ont subi des représailles aux termes de la partie II lorsqu’ils ont reçu des lettres d’Air Canada. Ces employés ont droit à ce que le SCFP plaide leurs plaintes en matière de représailles à titre de représentant.

[97] Le paragraphe 133(4) du Code oblige le Conseil à statuer sur ces plaintes.

[98] Pour ce qui concerne la plainte de PDT alléguant violation de la partie I, le Conseil est convaincu que la convention collective des parties et le Code confèrent une compétence suffisante à un arbitre. Cette compétence peut également englober les allégations de sentiment antisyndical relié aux lettres en litige et au congé syndical connexe sous le régime de la convention collective. Un grief a déjà été déposé au sujet de cette dernière question.

[101] En conséquence, le Conseil est convaincu que la plainte de PDT du SCFP alléguant violation de la partie I, qui, sur le fond, diffère grandement d’une plainte en matière de représailles alléguant violation de la partie II, peut être réglée sous le régime de la convention collective et doit l’être.

(c’est nous qui soulignons)

[92] Dans la décision AC 599, qui se fondait sur les observations des parties, le Conseil a affirmé que la demande de congé syndical présentée en juin 2010 ne ferait plus partie de la présente affaire. Au paragraphe 96 d’AC 599, le Conseil a accepté d’entendre la plainte selon laquelle les lettres qu’Air Canada a envoyées aux employées en mars et en avril 2010 auraient constitué des représailles aux termes de la partie II du Code.

[93] Le Conseil a aussi indiqué au paragraphe 98 d’AC 599 que la convention collective conférait la compétence nécessaire à un arbitre pour trancher la question relative au congé syndical.

[94] La décision du Conseil dans AC 599 suffit pour trancher cette troisième question.

b – Bien-fondé

[95] De toute évidence, la question de savoir si Air Canada a violé la convention collective relativement à la demande de congé syndical de Mme Pelletier relève directement de la compétence d’un arbitre du travail. Or, même si le Conseil avait décidé d’examiner cette troisième question au motif que l’un de ses aspects aurait relevé de la partie II, il n’aurait pas conclu à une violation du Code.

[96] Premièrement, à l’aide de l’analyse en trois étapes décrite précédemment, il a été difficile pour le Conseil de cerner les mesures disciplinaires qui ont apparemment été imposées par Air Canada. Bien qu’il y ait eu un retard dans le traitement de la demande de congé, chaque partie en a rejeté la responsabilité sur l’autre. Selon les éléments de preuve, un échange de correspondance continu avait eu lieu concernant le processus approprié qu’Air Canada devait suivre lorsqu’un membre du CO, déjà libéré de ses fonctions habituelles avec rémunération à temps plein, demandait un congé syndical ou un autre type de congé.

[97] Le SCFP a soutenu que le traitement des demandes de congé pour les employées membres du CO changeait constamment et que ces changements avaient pour but d’essayer de les punir.

[98] Même si l’on présumait, aux fins de la discussion, que des mesures disciplinaires avaient été imposées, le Conseil n’a pas été convaincu que la demande de congé syndical de Mme Pelletier constituait une participation à un processus de la partie II, selon la définition donnée précédemment, même si l’objectif de cette demande était de permettre à Mme Pelletier d’assister à une conférence sur la sécurité.

[99] Selon le SCFP, Air Canada a retardé le traitement de la demande de congé pour se venger des activités menées par Mme Pelletier en tant que membre représentant les employés au sein du CO. Air Canada avait affirmé que le simple fait de siéger au CO ne suffisait pas pour satisfaire au critère relatif aux processus de la partie II. Les éléments de preuve devaient plutôt montrer qu’une quelconque activité concrète avait donné lieu aux représailles.

[100] De toute façon, en ce qui concerne le lien requis, le différend découle de l’application du processus de congé prévu dans la convention collective conclue entre Air Canada et le SCFP. Le Conseil aurait eu beaucoup de mal à conclure que ce contexte correspondait à la participation à un processus de la partie II qui devait avoir suscité la mesure disciplinaire alléguée.

[101] Si le Conseil avait examiné cette question sur le fond, le SCFP ne l’aurait pas convaincu que le retard dans le traitement de la demande de congé était une mesure de représailles prise à l’égard de la participation de Mme Pelletier à un processus de la partie II.

V – Conclusion

[102] Le Conseil a examiné la question de savoir si cinq lettres disciplinaires envoyées par Air Canada à des membres représentant les employés au sein d’un comité d’orientation constituaient des mesures de représailles interdites aux termes de l’article 147.

[103] Le Conseil a conclu que les mesures prises par Air Canada découlaient de désaccords persistants concernant l’interprétation de l’entente de principe qu’elle avait négociée avec le SCFP. Les éléments de preuve ont démontré que les questions relatives à l’identité et au nombre de membres du SCFP au sein du comité d’orientation, y compris la possibilité pour eux d’avoir des suppléants ou d’être remplacés en cas d’absence, découlaient toutes de cette entente.

[104] Le Conseil n’a pas été convaincu que les mesures prises par Air Canada découlaient de la participation des employées à un processus de la partie II.

[105] Le Conseil a aussi conclu que la question relative au congé syndical demandé en juin 2010 avait été renvoyée à l’arbitrage dans la décision AC 599. Même si le Conseil avait examiné cette question dans le cadre de la plainte en l’espèce déposée en vertu de la partie II, il aurait conclu que l’acceptation tardive de cette demande de congé syndical ne constituait pas une mesure de représailles interdite aux termes de la partie II du Code. L’affaire portait plutôt sur un différend concernant les droits que la convention collective confère aux parties.

[106] Cette décision ne sous-entend pas que le SCFP ou les employées ne disposent d’aucun recours pour faire valoir leurs préoccupations, mais le Conseil n’est pas le tribunal approprié.

[107] Pour tous les motifs énoncés ci-dessus, la présente plainte est rejetée.`

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