Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Mike Isinger et autres

plaignants,

et

TSI Terminal Systems inc.,

intimée.

Dossier du Conseil : 29114-C

Référence neutre : 2013 CCRI 688

Le 25 juin 2013

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) se composait de Me Graham J. Clarke, Vice-président, siégeant seul en vertu du paragraphe 156(1) du Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) (le Code). Une audience a eu lieu à Vancouver, du lundi 18 mars au mercredi 20 mars 2013.

Ont comparu :
Me Bruce A. Laughton, c.r., pour Mike Isinger et autres;
Me Israel Chafetz, c.r., pour TSI Terminal Systems inc.

I – Introduction

[1] Le 17 novembre 2011, des contremaîtres travaillant pour TSI Terminal Systems inc. (TSI) ont déposé une plainte, dans laquelle ils allèguent qu’ils ont fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir exercé leur droit de refus de travailler en cas de danger en vertu de la partie II du Code. L’agent négociateur des contremaîtres, le Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 514 (contremaîtres de navire et de quai) (SIDM 514), a indiqué qu’il avait été autorisé à déposer leur plainte du 17 novembre 2011 :

Nous agissons au nom du syndicat susmentionné, qui nous a autorisés à déposer une plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail selon laquelle TSI Terminal Systems inc. a enfreint l’article 147 du Code. Le syndicat a été désigné par les employés nommés pour déposer cette plainte.

La plainte est fondée sur le fait que TSI a suspendu Mike et Dave Isinger pour une période de deux mois parce qu’ils ont agi conformément au Code canadien du travail (Partie II – Santé et sécurité au travail) en exerçant leur droit de refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code.

(traduction)

[2] En plus de contester la suspension de deux mois imposée par TSI à MM. Mike et Dave Isinger, qui sont des frères, la plainte visait aussi à contester des lettres d’avertissement ainsi qu’une réduction de salaire connexe de quatre heures au nom de 33 autres contremaîtres.

[3] Dans ses dernières observations, le SIDM 514 a indiqué qu’il ne donnait plus suite aux plaintes des autres contremaîtres, à l’exception de celle des deux frères Isinger.

[4] TSI, un membre employeur de la British Columbia Maritime Employers Association (BCMEA), allègue que les frères Isinger n’avaient pas de « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger lorsqu’ils ont refusé de travailler le 26 octobre 2011. Comme ils n’ont pas satisfait à cette exigence minimale pour pouvoir invoquer les dispositions relatives au refus de travailler prévues au paragraphe 128(1), TSI soutient que ce refus de travailler, qui a entraîné un arrêt de travail général et paralysé le plus grand terminal à conteneurs de Vancouver, est devenu une simple question de relations du travail.

[5] En l’espèce, il s’agit de déterminer si les frères Isinger avaient des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger. S’ils avaient des motifs raisonnables, TSI était alors tenue de suivre le processus d’enquête prévu au Code, même si elle ne croyait pas à l’existence d’un danger. Par contre, si les contremaîtres n’avaient aucun motif raisonnable de croire à l’existence d’un danger, la mesure disciplinaire qui leur a été imposée par la suite ne relève plus de la compétence du Conseil en vertu de la partie II.

[6] Compte tenu des faits très particuliers en l’espèce, le Conseil a conclu que les frères Isinger n’avaient pas de « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger le 26 octobre 2011. En effet, les gestes qu’ils ont posés découlaient principalement des préoccupations de M. Mike Isinger concernant des problèmes de conformité liés à la partie II qui faisaient déjà l’objet d’une intervention de la part d’une agente de santé et de sécurité (ASS) de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC).

[7] Le refus de travailler n’est pas la prochaine mesure à prendre pour dissiper des frustrations à l’égard d’un processus de mise en conformité en cours en vertu de la partie II du Code. Un employé ne peut exercer un droit de refus de travailler que s’il a des motifs raisonnables de croire qu’un « danger », dont la définition est énoncée de façon générale à l’article 122 du Code, existe.

[8] Voici les motifs de la décision du Conseil.

II – Faits

[9] TSI exploite Deltaport et Vanterm, deux terminaux à conteneurs situés dans le Lower Mainland de la Colombie Britannique. Deltaport est le plus important des deux, et il s’y trouve plus de 15 000 conteneurs. Desservi par navires, par camions et par trains, Deltaport est le plus grand terminal à conteneurs au Canada.

[10] Le SIDM 514 représente les contremaîtres, mais c’est une autre section locale du SIDM, la section locale 502 (SIDM 502), qui représente les débardeurs affectés à TSI. Les débardeurs et certains contremaîtres sont affectés à TSI par l’entremise d’un bureau d’embauchage.

[11] Les frères Isinger travaillent depuis plus de quarante ans dans le secteur du débardage. Ils sont tous les deux « contremaîtres de triage » (traduction).

[12] M. Mike Isinger siège au Comité de sécurité de TSI (le Comité). Comme en précisent les procès verbaux du Comité (pièce 2, onglet 5), plusieurs représentants de TSI, du SIDM 502 et du SIDM 514 participent aux discussions portant sur la sécurité. Le directeur des opérations à TSI, M. Colin Parker, et M. Tom Doran du SIDM 502 sont les coprésidents du Comité.

[13] Les contremaîtres ont refusé de travailler le 26 octobre 2011. Pour bien comprendre ce refus, il faut toutefois examiner le contexte dans lequel se déroulent les discussions à propos de certaines questions liées à la sécurité entre TSI, M. Mike Isinger, le Comité et les représentants de RHDCC.

[14] Par exemple, le 22 juin 2011, l’ASS Betty Ryan a envoyé à TSI ce qu’on appelle une promesse de conformité volontaire (PCV transport ferroviaire). En vertu d’une PCV, un ASS peut exiger qu’un employeur effectue certaines tâches à des fins de conformité dans un délai établi. La PCV transport ferroviaire découlait d’une plainte relative à la conformité déposée plus tôt par M. Mike Isinger.

[15] Il arrive parfois que l’ASS modifie les délais d’exécution établis, selon les circonstances.

[16] Le Conseil a compris que la PCV transport ferroviaire du 22 juin 2011 avait trait aux activités ferroviaires menées par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) sur le site de TSI. Les activités d’entretien ferroviaire de ces entreprises peuvent avoir une incidence sur le travail des débardeurs de TSI.

[17] Selon le procès-verbal d’une réunion du Comité tenue le 6 octobre 2011, les coprésidents, MM. Parker et Doran, allaient discuter de la PCV transport ferroviaire avec M. Mike Isinger.

[18] TSI a présenté diverses pièces faisant état de l’intervention continue de l’ASS Ryan à l’égard de la PCV transport ferroviaire.

[19] Par exemple, dans un courriel daté du 6 juillet 2011 (pièce 5), l’ASS Ryan a accepté de prolonger jusqu’au 31 octobre 2011 certains délais prévus dans la PCV transport ferroviaire aux fins de la mise en conformité :

Merci Colin,
J’accepte les dates que vous proposez. Je vais modifier la PCV en fonction des nouvelles dates. Je vais inscrire le 31 octobre 2011 pour les deux derniers éléments. Comme nous en avons discuté, les différents travaux n’ont pas à être terminés aux dates précisées, mais un plan d’action doit être présenté pour tout travail qui n’aurait pas été mené à terme. La PCV modifiée vous sera envoyée en format PDF.

Lorsque vous recevrez la PCV modifiée, veuillez en prendre connaissance et en signer chaque page. Veuillez ensuite m’envoyer une copie signée par télécopieur ou par courriel, et en envoyer une copie au comité.

J’apprécie beaucoup l’attention que vous portez à cette affaire, ainsi que votre coopération.

Salutations,
Betty Ryan

(traduction)

[20] Plus tard le 6 juillet 2011, l’ASS Ryan a envoyé à M. Parker une PCV transport ferroviaire modifiée (pièce 8) :

Bonjour Colin,
Pour faire suite à notre discussion, je vous envoie la PCV modifiée. Les dates ont été changées, et veuillez noter que, dans la mesure où TSI Deltaport pourra fournir un plan d’action par écrit, comme il est indiqué dans la deuxième phrase de la dernière page, et de démontrer des progrès réels sur ces questions, nous serons satisfaits.

Veuillez examiner le document et en signer (vous ou un autre directeur) chaque page. Une copie devra m’être retournée d’ici le vendredi 8 juillet 2011, pour confirmer que TSI Deltaport accepte la PCV. Veuillez aussi en fournir une copie au comité de sécurité et en afficher une autre bien en vue sur le lieu de travail. «deltaportrailavc.pdf»

Salutations,
Betty Ryan

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[21] Plus tard en juillet 2011, M. Parker a rédigé un courriel à l’intention de l’ASS Ryan (pièce 6) après avoir discuté avec M. Doran du SIDM 502 et M. Mike Isinger du SIDM 514 :

Betty,
Conformément au plan établi, j’ai eu une première rencontre avec Mike Isinger et Tom Doran mardi; malheureusement, nous n’avons pas beaucoup progressé puisque la PCV a été notre principal sujet de discussion.

Je croyais que nous allions discuter des politiques et procédures en place concernant la plainte interne, chercher à déterminer ce qui s’applique encore aujourd’hui (le cas échéant) et créer de nouvelles procédures pour favoriser un milieu de travail sécuritaire.

Nous avons finalement passé beaucoup de temps à discuter du paragraphe 19.7(1) du Code canadien du travail et des critères qui y sont énoncés, dont la plupart ont trait au programme de prévention des risques (PPR) et à l’absence d’un tel programme.

Les discussions n’ont pas progressé, et des rapports ont été demandés conformément à l’article 2 – je peux fournir volontiers les rapports que nous avons relativement à cet article du code du travail. J’ai fait comprendre que ces données seraient utiles pour le PPR, mais que cela devrait se faire pendant ou après notre examen et la modification de la politique concernant les wagonniers qui travaillent au terminal Deltaport. Cette idée n’a pas été acceptée, et d’autres précisions ont été requises (d’où l’appel).

À la fin de la réunion, j’ai essayé d’expliquer que, si c’était la voie que nous allions suivre, j’allais devoir parler à Betty Ryan parce que je ne réussirais pas à atteindre l’objectif visé dans le délai prévu dans la PCV initiale et qu’il faudrait réviser ce document.

Les deux hommes ont insisté pour qu’un PPR complet englobant toutes les activités ferroviaires soit en place avant d’aller plus loin. Cela prendra beaucoup de temps et retardera la résolution du conflit initial.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Si je n’ai pas bien compris, alors j’ai fait une erreur en signant de bonne foi la PCV pour que les deux parties puissent se rencontrer et régler les questions pertinentes.

Malheureusement, je ne serai pas au bureau vendredi, mais je serai là toute la semaine prochaine si vous voulez me parler; vous pouvez toujours m’envoyer un courriel.

Salutations,
Colin Parker

(sic)

(traduction)

[22] Le 18 juillet 2011, l’ASS Ryan a répondu à M. Parker par courriel (pièce 6) pour lui faire part de ses attentes relativement à la PCV transport ferroviaire, en prenant soin d’indiquer qu’elle avait envoyé une copie conforme de son courriel à MM. Doran et Mike Isinger :

Bonjour Colin,
(J’envoie une copie conforme du présent courriel à Tom et Mike afin d’éviter toute confusion supplémentaire.)

La PCV avait pour objet de répondre aux préoccupations liées à la plainte, c’est-à-dire la sécurité des wagonniers lorsqu’ils sont sur le site et les risques qu’ils peuvent créer pour les employés de TSI lorsqu’ils effectuent leur travail, ainsi que le mouvement sécuritaire des trains (aiguillage). La PCV repose sur l’hypothèse que, à un moment donné, le lieu de travail disposait d’un programme approprié de prévention des risques (contenant tous les éléments, à l’exception peut être de l’ergonomie), lequel devait faire l’objet d’un examen et d’une mise à jour en fonction de l’augmentation de l’achalandage, du volume et de la congestion. Dans le cadre de cet exercice d’examen et de mise à jour, tous les facteurs énumérés dans la PCV devaient être pris en compte.

Il semble que cette hypothèse était peut-être incorrecte. Si tel est le cas, un programme complet de prévention des risques et l’ensemble de ses critères devront être élaborés afin de respecter la loi.

Cependant, la PCV ne vise que les facteurs liés à la plainte. Comme vous l’avez correctement indiqué, il serait impossible de respecter les délais prévus dans la PCV aux fins de la conformité si vous cherchiez à élaborer un programme complet englobant tous les risques possibles.

Par mesure de prudence, TSI Deltaport devrait établir un plan de mise en oeuvre (comme le décrit l’article 19.2 du Règlement) qui s’appliquerait au programme de prévention global pour la gare intermodale… et le reste de l’installation s’il y a lieu, puisque cette responsabilité relève de l’employeur, qu’il en soit fait état ou non dans la PCV.

Veuillez m’appeler sur mon téléphone cellulaire si vous souhaitez discuter davantage…

Salutations,
Betty Ryan

(traduction)

[23] L’échange ci dessus donne une idée du contexte qui a mené aux événements du 26 octobre 2011. Les parties n’ont pas contesté le fait que le travail s’est arrêté à TSI le matin du 26 octobre 2011, causant ainsi, outre un arrêt général, un bouchon de circulation de 5 km, puisque les camions ne pouvaient pas se rendre sur le site de TSI pour le chargement ou le déchargement des conteneurs.

A – Événements du 26 octobre 2011

1 – Réunion no 1 (7 h – 8 h 30)

[24] Le 26 octobre 2011, au début de son quart du matin, M. Mike Isinger a informé un représentant de TSI, un certain M. Vale, qu’il refusait de travailler. Le soir du 25 octobre 2011, M. Isinger avait préparé un document (pièce 2, onglet 2) dans lequel il exposait les raisons de ce refus :

Les changements unilatéraux apportés par l’employeur aux procédés et méthodes de travail ainsi que l’incapacité constante de se conformer aux décrets d’instructions, aux promesses de conformité volontaire et à certaines dispositions de la partie II du Code canadien du travail nous portent à croire que le fait de continuer de travailler présente un danger, tel que ce terme est défini dans :

Code canadien du travail (L.R.C. 1985, ch. L 2), à jour au 21 septembre 2011 et dernières modifications le 1er janvier 2010.

Définitions

122.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

Nous croyons que l’employeur a enfreint l’article 124 et qu’il n’a pas veillé à ce que la santé et la sécurité au travail des employés soient protégées.

Nous croyons que l’employeur a enfreint un décret d’instructions daté du 13 avril 2011 en modifiant unilatéralement la date d’une réunion du Comité de sécurité sans consulter le coprésident. (La date a été changée, du 20 octobre 2011 au 31 octobre 2011.) (Une plainte a été déposée auprès de l’ASS Betty Ryan le 25 octobre 2011.)

Nous croyons que l’employeur a enfreint un décret d’instructions concernant la circulation de véhicules et le danger auquel sont exposés les travailleurs du côté du dock.

Nous croyons que l’employeur n’a pas respecté les assurances données dans une promesse de conformité volontaire dont la date prévue aux fins de la conformité était le 31 décembre 2010. L’employeur n’a pas consulté le comité local en ce qui concerne la planification des changements qui peuvent avoir une incidence sur la santé et la sécurité au travail, notamment sur le plan des procédés et des méthodes de travail. Le fait de consulter la section locale du syndicat n’élimine pas la nécessité de consulter le comité.

L’employeur n’a en outre pas consulté le comité local en ce qui concerne la mise en oeuvre des changements qui peuvent avoir une incidence sur la santé et la sécurité au travail, notamment sur le plan des procédés et des méthodes de travail.

Attribution no M7KC00353

Nous croyons que l’employeur n’a pas respecté les assurances données dans le cadre d’une promesse de conformité volontaire concernant la gare intermodale datée du 22 juin 2011.

Attribution no M7KC00394

Nous croyons que l’employeur n’a pas enquêté comme il aurait dû le faire sur le signalement d’une situation dangereuse en date du 24 juin 2011 concernant la manipulation sécuritaire des conteneurs-citernes au terminal.

Nous croyons que l’employeur n’a pas satisfait aux exigences du Code lorsqu’il a modifié récemment un procédé ou une méthode de travail lié à l’affectation de l’équipement (communément appelé le géorepérage).

Nous croyons par ailleurs que l’employeur n’a pas respecté les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail :

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

...

k) de veiller à ce que les véhicules et l’équipement mobile que ses employés utilisent pour leur travail soient conformes aux normes réglementaires;

l) de fournir le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires à toute personne à qui il permet l’accès du lieu de travail;

...

o) de se conformer aux normes réglementaires en matière de prévention des incendies et de mesures d’urgence;

...

q) d’offrir à chaque employé, selon les modalités réglementaires, l’information, la formation, l’entraînement et la surveillance nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité;

...

s) de veiller à ce que soient portés à l’attention de chaque employé les risques connus ou prévisibles que présente pour sa santé et sa sécurité l’endroit où il travaille;

t) de veiller à ce que l’équipement – machines, appareils et outils – utilisé par ses employés pour leur travail soit conforme aux normes réglementaires de santé, de sécurité et d’ergonomie, et sécuritaire dans tous les usages auxquels il est destiné;

u) de veiller à ce que le lieu de travail, les postes de travail et les méthodes de travail soient conformes aux normes réglementaires d’ergonomie;

v) d’adopter et de mettre en oeuvre les normes et codes de sécurité réglementaires;

w) de veiller à ce que toute personne admise dans le lieu de travail connaisse et utilise selon les modalités réglementaires le matériel, l’équipement, les dispositifs et les vêtements de sécurité réglementaires;

x) de se conformer aux instructions verbales ou écrites qui lui sont données par l’agent d’appel ou l’agent de santé et de sécurité;

y) de veiller à ce que la santé et la sécurité des employés ne soient pas mises en danger par les activités de quelque personne admise dans le lieu de travail;

z) de veiller à ce que les employés qui exercent des fonctions de direction ou de gestion reçoivent une formation adéquate en matière de santé et de sécurité, et soient informés des responsabilités qui leur incombent sous le régime de la présente partie dans la mesure où ils agissent pour le compte de l’employeur;

...

z.02) de répondre sans délai à tout rapport fait au titre de l’alinéa 126(1)g);

z.03) en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer et de mettre en oeuvre un programme réglementaire de prévention des risques professionnels – en fonction de la taille du lieu de travail et de la nature des risques qui s’y posent – , y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité, et d’en contrôler l’application;

z.04) relativement aux risques propres à un lieu de travail et non couverts par un programme visé à l’alinéa z.03), en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer et de mettre en oeuvre un programme réglementaire de prévention de ces risques, y compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité relativement à ces risques, et d’en contrôler l’application;

z.05) de consulter le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, en vue de planifier la mise en oeuvre des changements qui peuvent avoir une incidence sur la santé et la sécurité au travail, notamment sur le plan des procédés et des méthodes de travail;

z.06) de consulter le comité local ou le représentant pour la mise en oeuvre des changements qui peuvent avoir une incidence sur la santé et la sécurité au travail, notamment sur le plan des procédés et des méthodes de travail;

z.07) de mettre à la disposition du comité d’orientation et du comité local les installations, le matériel et le personnel dont ils ont besoin dans le lieu de travail;

z.08) de collaborer avec le comité d’orientation et le comité local ou le représentant pour l’exécution des responsabilités qui leur incombent sous le régime de la présente partie;

z.09) en consultation avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, d’élaborer des orientations et des programmes en matière de santé et de sécurité;

z.10) de répondre par écrit aux recommandations du comité d’orientation, du comité local ou du représentant dans les trente jours suivant leur réception, avec mention, le cas échéant, des mesures qui seront prises et des délais prévus à cet égard;

z.11) de fournir au comité d’orientation, ainsi qu’au comité local ou au représentant, copie de tout rapport sur les risques dans le lieu de travail, notamment sur leur appréciation;

z.12) de veiller à ce que le comité local ou le représentant inspecte chaque mois tout ou partie du lieu de travail, de façon que celui-ci soit inspecté au complet au moins une fois par année;

z.13) selon les besoins, d’élaborer et de mettre en oeuvre, en consultation – sauf en cas d’urgence – avec le comité d’orientation ou, à défaut, le comité local ou le représentant, un programme de fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection personnels, et d’en contrôler l’application;

z.14) de prendre toutes les précautions nécessaires pour que soient portés à l’attention de toute personne – autre qu’un de ses employés – admise dans le lieu de travail les risques connus ou prévisibles auxquels sa santé et sa sécurité peuvent être exposées;

z.15) de tenir au besoin avec le représentant des réunions ayant pour objet la santé et la sécurité au travail;

z.16) de prendre les mesures prévues par les règlements pour prévenir et réprimer la violence dans le lieu de travail;

z.17) d’afficher en permanence dans un ou plusieurs endroits bien en vue et fréquentés par ses employés les nom, numéro de téléphone au travail et lieu de travail des membres des comités locaux et des représentants;

z.18) de fournir, dans les trente jours qui suivent une demande à cet effet ou dès que possible par la suite, les renseignements exigés soit par un comité d’orientation en vertu des paragraphes 134.1(5) ou (6), soit par un comité local en vertu des paragraphes 135(8) ou (9), soit par un représentant en vertu des paragraphes 136(6) ou (7);

(traduction; souligné dans l’original)

[25] M. Isinger a fait chez lui cinq copies de son document de refus et les a apportées à TSI le matin du 26 octobre 2011. M. Isinger a témoigné qu’il n’avait parlé ni au SIDM, ni à son frère Dave Isinger, ni à personne d’autre de son intention de refuser de travailler le matin du 26 octobre 2011.

[26] M. Mike Isinger a aussi apporté un bulletin d’information de RHDCC (pièce 3) décrivant la procédure à suivre pour exercer le droit de refus de travailler en cas de danger. Il a témoigné que, pour lui, il était important de suivre la bonne procédure. M. Isinger n’a pas contesté l’élément de preuve de TSI selon lequel, lorsque l’employeur lui a demandé de décrire le ou les dangers qui justifiaient son refus de travailler, il s’est contenté de lire à voix haute le document dactylographié (pièce 2, onglet 2) qu’il avait préparé.

[27] Au cours de la première rencontre de TSI avec M. Mike Isinger, deux autres contremaîtres de triage qui se trouvaient à la porte du bureau, à savoir M. Dave Isinger, le frère de Mike Isinger, et M. Lawrence Cameron, ont fait allusion à d’autres éléments qui, à leur avis, constituaient un danger. Ceux ci, de même que deux autres contremaîtres de triage, avaient eux aussi refusé de travailler. En tout, cinq contremaîtres de triage de TSI ont refusé de travailler.

[28] Le Conseil a entendu le témoignage de TSI à propos des efforts qu’elle a déployés pour obtenir des précisions sur le danger qui avait incité M. Mike Isinger à refuser de travailler. Les seules notes prises à ce moment (pièce 2, onglet 3) et présentées à l’audience (par TSI) contenaient les renseignements suivants sur cette question :

...
7 h 59 – CP demande à MI « en quoi consiste le danger précisément? »
MI dit que la nature de son refus est expliquée dans le document.
MI dit que tous les problèmes soulevés dans le document constituent un danger.
MI dit qu’il se sent « harcelé » par toutes nos questions.
8 h 05 – CP et NW demandent une fois de plus en quoi consiste le danger précisément.
MI refuse de donner des précisions sur le danger.
8 h 11 – CP demande en quoi consiste le danger précisément.
MI ne donne aucune réponse.
8 h 14 – MI continue de se plaindre du fait que CP et NW cherchent à réduire la portée de la plainte ou du danger.
8 h 18 – CP dit à MI : Votre liste contient environ 30 éléments. Quel est exactement l’enjeu que vous soulevez?
8 h 18 – MI affirme : « Je ne peux rien faire de plus pour vous. »
8 h 23 – CP confirme avec MI que MI, DI, SP, JB et LC refusent de travailler.
8 h 24 – MI répond « oui » à la question de CP.
...

(traduction)

[29] À la suite de cette première rencontre, les cinq contremaîtres de triage sont retournés à la salle à manger. Environ 33 autres contremaîtres ont aussi refusé de travailler. Les débardeurs représentés par le SIDM 502 n’ont pas travaillé non plus, puisque les contremaîtres n’avaient pas réparti leur travail. Ils ne voulaient pas travailler sans la supervision des contremaîtres.

[30] Le terminal Deltaport de TSI avait en effet cessé ses activités.

2 – Réunion no 2 (milieu de l’avant-midi)

[31] Pendant que les événements se déroulaient, M. Frank Morena, secrétaire-trésorier du SIDM 514, qui s’occupait aussi d’affaires liées à la santé et à la sécurité, a rencontré les contremaîtres dans la salle à manger. Des représentants de TSI sont arrivés et ont demandé si les contremaîtres retourneraient au travail. Selon les éléments de preuve, les contremaîtres ont informé collectivement TSI qu’ils « appuyaient le Comité de sécurité en ne travaillant pas » (traduction).

3 – Réunion no 3 (11 h 30)

[32] Les représentants de TSI ont de nouveau rencontré les contremaîtres dans la salle à manger vers 11 h 30 ce matin-là.

[33] TSI a une fois de plus demandé aux contremaîtres des précisions sur leur refus de travailler. Au bout du compte, TSI a supposé que deux questions étaient en cause dans ce conflit. La première était liée à la PCV transport ferroviaire. La deuxième avait trait aux cargaisons mixtes (et à l’empilage des conteneurs) et au fait que la procédure n’avait prétendument pas été soumise au Comité de sécurité.

[34] Le Conseil a entendu des témoignages contradictoires à l’égard de certains points. Par exemple, TSI et M. Mike Isinger, de même que M. Morena, ne s’entendent pas sur la question de savoir qui a convoqué la réunion de 11 h 30. Selon TSI, ce sont les contremaîtres qui ont demandé à la rencontrer.

[35] Les parties ne s’entendent pas non plus sur la question de savoir si TSI a offert de retenir les services d’un ASS. Selon les témoins de TSI, les contremaîtres avaient indiqué que cette mesure ne serait pas nécessaire. Dustin Stoker de TSI, directeur, Opérations du terminal à Deltaport, a été le seul à prendre des notes pendant cette rencontre (pièce 2, onglet 4). Ni les contremaîtres ni M. Morena n’ont pris de notes.

[36] Au bout du compte, le Conseil n’a pas eu à clarifier ces différences dans les éléments de preuve pour pouvoir tirer sa conclusion.

[37] Peu après la fin de cette rencontre, les contremaîtres ont décidé de retourner au travail. Tous les débardeurs sont eux aussi retournés travailler.

[38] Le 26 octobre 2011, TSI a imposé une suspension de deux mois à Mike et Dave Isinger pour ce qu’elle a décrit comme « un arrêt de travail illégal » (traduction) (pièce 2, onglet 7) :

Le 26 octobre 2011, vous avez été l’un des instigateurs d’un arrêt de travail illégal au terminal Deltaport de TSI. Cet arrêt de travail illégal a non seulement perturbé les activités de TSI mais a aussi nui au transport des conteneurs par camions, à la circulation du CN et aux opérations des navires. Ce type d’interruption est coûteux pour toutes les parties intéressées et ternit notre réputation auprès de nos clients. À notre avis, les gestes que vous avez posés en vue de perturber intentionnellement les activités de l’entreprise constituent un manquement à la discipline des plus graves eu égard à vos obligations en tant qu’employé. Par ailleurs, nous nous sommes fondés sur votre dossier pour décider de la mesure disciplinaire à imposer.

Vous êtes suspendu pour une période de deux mois à compter du 27 octobre 2011. Vous êtes tenus de retourner au travail le 27 décembre 2011 et de reprendre vos fonctions habituelles. Toute autre participation à un arrêt de travail illégal ou tout autre manquement grave à vos obligations d’emploi entraînera l’imposition d’autres mesures disciplinaires, pouvant aller jusqu’au congédiement.

(traduction)

III – Analyse et décision

[39] Le SIDM 514 soutient qu’un banal arrêt de travail en vertu du Code a dégénéré lorsque TSI, plutôt que d’enquêter sur les circonstances de l’arrêt de travail, a décidé d’imposer des mesures disciplinaires aux contremaîtres.

[40] TSI affirme que, lorsqu’ils ont refusé en bloc de travailler le 26 octobre 2011, les contremaîtres n’avaient pas de « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger, exigence essentielle aux termes du paragraphe 128(1). Par conséquent, TSI soutient qu’elle était en droit de traiter ce dossier comme s’il s’agissait d’une question de relations du travail.

[41] La partie II du Code contient des dispositions qui visent à protéger la sécurité des travailleurs. Elle prévoit un droit de refus de travailler qui, sans le Code, pourrait constituer une insubordination.

A – Dispositions législatives pertinentes

[42] Le paragraphe 128(1) du Code prévoit le droit des employés de refuser de travailler en cas de danger :

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

(c’est nous qui soulignons.)

[43] Les articles 128 et 129 du Code établissent le processus à suivre pour enquêter sur un refus de travailler. Ce processus se déroule d’abord en présence de l’employé qui refuse de travailler, de l’employeur et d’un représentant du comité local ou du comité de santé et de sécurité. Si l’affaire n’est pas réglée par ces intervenants aux termes de l’article 128, l’employeur doit alors en informer un ASS, qui mènera une enquête (article 129).

[44] La définition de « danger » aux fins d’exercer un refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) est énoncée au paragraphe 122(1) :

122.(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats –, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[45] L’article 147 du Code interdit à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires contre des employés qui cherchent à exercer leurs droits prévus à la partie II :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[46] Cependant, sous réserve de certaines garanties procédurales, le paragraphe 147.1(1) permet à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui a délibérément exercé le droit de refus de travailler de façon abusive :

147.1(1) À l’issue des processus d’enquête et d’appel prévus aux articles 128 et 129, l’employeur peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé qui s’est prévalu des droits prévus à ces articles s’il peut prouver que celui-ci a délibérément exercé ces droits de façon abusive.

[47] L’article 133 du Code établit le mécanisme de plainte pour les prétendues violations de l’article 147. Le paragraphe 133(1) indique comment un employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut déposer une plainte. Le paragraphe 133(4) confirme la compétence exclusive du Conseil à l’égard des plaintes déposées en vertu de la partie II contre des employeurs du secteur privé relevant de la compétence fédérale en empêchant le renvoi des plaintes à l’arbitrage. Le paragraphe 133(6) prévoit que, dans le cas de plaintes portant sur le droit de refus, le fardeau de la preuve est transféré à l’employeur :

133.(1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(5) Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

(c’est nous qui soulignons)

[48] Dans la décision Snively (1982), 48 di 93 (CCRT no 373), le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), a mentionné l’importance de suivre le processus établi relativement au refus de travailler dans ce qui était à l’époque la partie IV du Code :

La Partie IV du Code constitue un ensemble cohérent de procédures conçues pour protéger les employés contre les dangers à la santé ou à la sécurité, et ses clauses visent par une procédure graduée à faire progresser le traitement des problèmes de sécurité vers une solution ordonnée. Les mesures disciplinaires prématurées vont à l’encontre des exigences en matière de procédures prévues par le Code parce qu’elles constituent une anticipation de la façon dont la question sera tranchée…

(page 5)

[49] Les modifications apportées à la partie II du Code en 2000, comme l’ajout du paragraphe 147.1(1), précité, réitéraient l’importance des exigences procédurales du Code. Ce n’est pas à l’employeur de décider de la validité du refus de travailler d’un employé. Cette analyse est effectuée en collaboration avec d’autres intervenants, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation, par l’entremise d’ASS spécialement formés.

[50] Néanmoins, le Conseil peut tout de même être appelé à trancher une question préliminaire importante pour ce qui est de savoir si un employé avait des « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger lorsqu’il a exercé son droit de refus de travailler. Cette exigence relative aux « motifs raisonnables de croire » est demeurée inchangée quand la partie II du Code a été modifiée en 2000.

[51] Dans l’arrêt Saumier c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 51 (Saumier), la Cour d’appel fédérale a résumé comment ces dispositions de la partie II fonctionnent ensemble :

[43] Une lecture attentive de ces dispositions législatives mène aux constatations suivantes :

(i) le paragraphe 128(1) prévoit qu’un « employé au travail » est en droit, inter alia, de refuser de travailler dans un lieu ou d’accomplir certaines tâches « s’il a des motifs raisonnables de croire » qu’il existe un danger pour lui de travailler dans son lieu de travail ou que l’exercice de ses tâches constitue un danger pour lui;

(ii) l’exception à ce principe se retrouve au paragraphe 128(2) qui prévoit qu’un employé ne peut invoquer l’article 128 au soutien d’un refus de travailler dans un lieu ou d’accomplir certaines tâches lorsque « le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi »;

(iii) un employeur ne peut, aux termes de l’article 147, prendre ou menacer de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui exerce, de façon légitime, des droits en vertu de la partie II du Code intitulée « Santé et sécurité au travail » dont fait partie l’article 128;

(iv) lorsque l’employeur a agi de façon contraire à l’article 147, un employé peut déposer une plainte écrite au Conseil, aux motifs « que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147 »;

(v) par ailleurs, l’article 147.1 permet à un employeur, lorsque le processus d’enquête et d’appel prévu aux articles 128 et 129 est complété, de prendre des mesures disciplinaires contre un employé qui a exercé ses droits « délibérément » de façon abusive.

[44] Voilà le contexte législatif dans lequel se situe la plainte de la demanderesse, qui prétend que suite à l’exercice de ses droits en vertu de l’article 128, la GRC lui a donné un ordre de retour au travail, ordre qu’elle a réitéré à plus d’une reprise, en la menaçant de mesures disciplinaires si elle maintenait son droit de refus.

[52] Le paragraphe 128(1) comporte deux questions préliminaires : i) l’employé était il « au travail » (traduction) et ii) avait il des « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger. Dans l’arrêt Saumier, précité, la Cour a conclu que la plaignante n’avait pas satisfait à la condition selon laquelle elle devait être « au travail » pour exercer son droit de refus de travailler. Ayant conclu que la plaignante n’était pas au travail, la Cour ne s’est pas prononcée sur la deuxième question, soit celle de savoir si la plaignante avait des « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger.

B – Qui sont les parties à une plainte en matière de sécurité?

[53] Dans le cadre de la présente instance, le Conseil a demandé à TSI et au SIDM 514 de lui fournir des observations quant à l’identification des parties en cause dans une plainte déposée en vertu de la partie II. Ils ont tous les deux présenté des interprétations juridiques convaincantes, mais contradictoires. Le paragraphe 133(1), qui permet à un employé de désigner quelqu’un pour le représenter, peut être interprété de différentes façons :

133. (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

[54] Ce libellé est susceptible de donner lieu à au moins trois interprétations différentes : i) l’employé demeure la partie, mais la personne désignée peut déposer la plainte en son nom; ii) si la personne désignée dépose la plainte, elle devient alors la partie; ou iii) la personne désignée et l’employé deviennent parties à la plainte.

[55] Afin d’éviter toute confusion à propos des parties en cause dans une plainte déposée en vertu de la partie II, le Conseil donne à l’article 133 l’interprétation selon laquelle l’employé demeure toujours la partie ou le plaignant, même s’il est possible que la « personne qu’il désigne à cette fin » ait déposé la plainte auprès du Conseil. La personne désignée, y compris un syndicat, peut représenter cet employé ou, comme en l’espèce, des employés, mais le fait d’exercer un rôle de représentation ne lui confère pas la qualité de partie unique ou distincte.

[56] Si un employé dépose lui-même la plainte, cela n’empêche pas une autre personne ou entité de demander la qualité d’intervenant, si elle satisfait aux exigences de l’article 12.1 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.

[57] Diverses raisons soutiennent l’interprétation que donne le Conseil à l’article 133. Par exemple, il n’est pas fait mention de la « personne désignée » dans l’article 133 ailleurs qu’au paragraphe (1). Bien que le terme « plaignant », qui peut être ambigu, soit utilisé au paragraphe 133(2), le paragraphe 133(3) et, surtout, le paragraphe 133(4) ne font référence qu’à « l’employé ».

[58] Par souci de commodité, le paragraphe 133(4) est reproduit ci-dessous :

133.(4) Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(c’est nous qui soulignons)

[59] Le Conseil a la compétence exclusive à l’égard des plaintes déposées en vertu de la partie II touchant des employeurs du secteur privé relevant de la compétence fédérale. Le paragraphe 133(4) vise clairement à ce que ce soit le Conseil qui tranche les plaintes déposées en vertu de la partie II conformément au Code.

[60] La Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) joue un rôle identique à celui du Conseil en ce qui a trait aux plaintes déposées en vertu de l’article 133, mais pour les employés qui travaillent dans la fonction publique fédérale. Une plainte fondée sur la partie II devant la CRTFP ne peut être renvoyée à l’arbitrage. La CRTFP a recours à l’arbitrage pour régler les griefs présentés dans le secteur public, habituellement aux termes d’une convention collective, mais non pas exclusivement.

[61] Ainsi, tant pour le Conseil que pour la CRTFP, les plaintes déposées en vertu de la partie II qu’ils reçoivent doivent être tranchées en vertu de l’article 133 du Code.

[62] Le paragraphe 133(4) interdit expressément à un employé de renvoyer à l’arbitrage une plainte déposée en vertu de la partie II. Si une personne désignée, comme un syndicat, devenait la partie, elle pourrait alors faire valoir que, puisqu’elle n’est pas « un employé », le Code ne l’empêche pas de renvoyer à l’arbitrage une plainte déposée en vertu de partie II.

[63] Ce scénario irait à l’encontre du sens autrement évident du paragraphe 133(4). Dans le secteur privé relevant de la compétence fédérale, les syndicats sont presque toujours les seuls à pouvoir décider de renvoyer ou non une affaire à l’arbitrage. Le paragraphe 133(4) perdrait une grande partie de son sens si le syndicat d’un employé devenait partie à une plainte déposée en vertu de la partie II et pouvait alors renvoyer cette plainte à l’arbitrage. Selon une interprétation plus convaincante de l’article 133, l’employé conserve sa qualité de partie et le Conseil ou la CRTFP, le cas échéant, tranche la plainte déposée en vertu de la partie II du Code.

[64] Pour arriver à cette interprétation, le Conseil a aussi tenu compte du fait que l’article 133 s’applique aussi bien aux employés syndiqués qu’aux employés non syndiqués. Toute interprétation de l’article 133 doit être tout aussi valable pour les employés non syndiqués. Si un employé non syndiqué demandait à une personne qu’il a désignée en vertu du paragraphe 133(1) de déposer la plainte, il serait peu sensé de considérer cette troisième personne, qui est essentiellement étrangère à l’affaire, comme partie à la plainte. La personne désignée demeurerait, tout au plus, représentant de l’employé, comme un avocat pour son client.

[65] Pour ces motifs, le Conseil est convaincu que l’employé, et non pas la personne qu’il a désignée, est la seule personne qu’il convient de nommer comme partie à une plainte déposée en vertu de la partie II. Le paragraphe 133(1) n’accorde pas la qualité de partie à la personne que désigne l’employé. Par conséquent, le SIDM 514 n’est pas une partie en l’espèce, mais il agit plutôt comme représentant désigné des employés, comme un avocat ou un parajuriste le ferait pour un client.

[66] L’intitulé de l’affaire utilisé en l’espèce rend compte de l’interprétation donnée à l’article 133 par le Conseil.

C – MM. Mike et Dave Isinger avaient-ils des « motifs raisonnables de croire »?

[67] Par souci de commodité, le paragraphe 147.1(1) est reproduit ci-dessous :

147.1(1) À l’issue des processus d’enquête et d’appel prévus aux articles 128 et 129, l’employeur peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé qui s’est prévalu des droits prévus à ces articles s’il peut prouver que celui-ci a délibérément exercé ces droits de façon abusive.

[68] Le Conseil s’est déjà penché sur l’incidence que pouvait avoir l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code dans les affaires liées au droit de refus de travailler. Le Conseil et son prédécesseur, le CCRT, ont toujours tenu compte des questions préliminaires découlant du libellé du paragraphe 128(1) pour ce qui est de savoir si le plaignant était ou non « au travail » ou s’il avait eu des « motifs raisonnables de croire » à l’existence d’un danger.

[69] Selon la jurisprudence, si les réponses à ces questions préliminaires étaient affirmatives, le Conseil traitait les plaintes relatives au refus de travailler comme il aurait traité une plainte de pratique déloyale de travail déposée en vertu de la partie I du Code. Si le Conseil concluait que des préoccupations liées à la sécurité étaient d’une quelconque façon à l’origine des mesures disciplinaires imposées par l’employeur, il y avait alors violation du Code.

[70] Inversement, si l’employeur imposait des mesures disciplinaires pour des raisons n’ayant aucun lien avec les dispositions du Code liées à la sécurité, alors le Conseil n’intervenait pas, quelle que soit la sanction imposée aux employés.

[71] Les modifications apportées en 2000 à la partie II du Code ont soulevé une question quant à la façon de concilier l’exigence relative aux « motifs raisonnables de croire » du paragraphe 128(1), et le nouveau paragraphe 147.1(1) qui, sous réserve de certaines garanties procédurales, permettait à un employeur d’imposer des mesures disciplinaires si l’employé avait « délibérément » exercé le droit de refus de travailler « de façon abusive ».

[72] Compte tenu des principes que la Cour d’appel fédérale a résumés dans l’arrêt Saumier, précité, le Conseil doit faire preuve de prudence lorsqu’il interprète l’exigence relative aux « motifs raisonnables de croire » du paragraphe 128(1) et la notion de droits exercés de façon abusive énoncée au paragraphe 147.1(1). L’interprétation donnée à l’une ne peut rendre l’autre illusoire. Il est clair que l’intention du législateur était la coexistence de ces principes.

[73] Dans la décision Court, 2010 CCRI 498 (Court 498), le Conseil a décrit l’incidence qu’a eue l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code sur son analyse traditionnelle dans le cadre des plaintes relatives au droit de refus de travailler :

[115] Le paragraphe 147.1(1) influence la façon dont le Conseil analyse les plaintes en matière de sécurité. Avant l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code, le Conseil intervenait lorsqu’il concluait qu’un employeur avait pris des mesures disciplinaires parce qu’un employé avait exercé ses droits en matière de sécurité. Cette pratique était comparable à celle qui s’applique aux affaires de pratiques déloyales de travail visées par la partie I du Code, où le Conseil accorde un redressement si la mesure disciplinaire contestée avait trait, en tout ou en partie, à un sentiment antisyndical.

[116] Par contre, le nouveau paragraphe 147.1(1) permet explicitement à l’employeur de prendre des mesures disciplinaires même si la conduite de l’employé avait trait à l’expression de préoccupations en matière de sécurité. Cependant, il y a un délai pour la prise de telles mesures disciplinaires. De plus, l’employeur doit démontrer que l’employé a délibérément exercé de façon abusive les droits importants que lui confère la partie II du Code à cet égard.

[117] Le paragraphe 147.1(1) du Code accorde d’importantes garanties procédurales aux employés : avant de pouvoir prendre des mesures disciplinaires à l’égard d’un employé qui a délibérément exercé ses droits de façon abusive, l’employeur doit faire enquête et, le cas échéant, attendre la conclusion du processus d’appel. Cette restriction garantit qu’il existera un dossier de preuve complet lorsque le Conseil sera saisi de l’affaire.

[121] Depuis l’ajout du paragraphe 147.1(1) au Code, il faut appliquer un critère à trois volets aux affaires de refus de travailler en cas de danger:

i) L’employé a-t-il satisfait au faible seuil des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger?

ii) L’employeur a-t-il enfreint l’article 147 du Code en prenant des mesures disciplinaires à l’encontre d’un employé parce que celui-ci s’était prévalu des droits en matière de sécurité prévus à la partie II du Code?

iii) Si l’employeur a pris des mesures disciplinaires, l’a-t-il fait après la tenue d’une enquête complète et, le cas échéant, après la conclusion du processus d’appel, et ces mesures disciplinaires ont-elles été imposées seulement parce que l’employé avait délibérément exercé de façon abusive les droits prévus à la partie II du Code?

[74] Le CCRI et le CCRT ont tous les deux souligné l’importance de veiller à ce qu’un employé ait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger. Sans cette condition préalable, toute croyance subjective, si irréaliste soit-elle, pourrait donner lieu à l’obligation considérable, et souvent exigeante, de tenir une enquête en vertu du Code.

[75] Le Conseil doit déterminer si MM. Mike et Dave Isinger avaient des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger le 26 octobre 2011.

[76] Dans la décision Court 498, précitée, le Conseil a indiqué que le seuil auquel doit satisfaire un employé pour démontrer qu’il avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger est faible. De plus, le critère utilisé ne vise pas à déterminer si un employé avait raison de croire qu’un danger existait, mais seulement s’il avait des motifs raisonnables de croire à l’existence de ce danger :

[107] Forcément, le seuil nécessaire pour conclure qu’il existait des « motifs raisonnables de croire » est faible. Il s’agit d’une question distincte de celle de savoir s’il existait réellement un danger. Le Conseil a appliqué le critère des motifs raisonnables à des cas exceptionnels. Dans la grande majorité des cas, le Conseil a conclu que l’employé avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait un danger, et ce, même lorsqu’il a été démontré plus tard que cette croyance était erronée.

[77] Dans la décision Aleksandrov, 2011 CCRI 602, le Conseil a conclu qu’un employé avait des « motifs raisonnables » et lui a par la suite accordé un redressement :

[26] Le Conseil est convaincu que M. Aleksandrov avait des motifs raisonnables de croire qu’il existait un danger. Le Conseil n’évalue pas si M. Aleksandrov avait raison de croire à l’existence de ce danger. À cet égard, l’enquête ultérieure de l’ASS a conclu qu’il n’y avait aucun danger au sens du Code.

[27] Cependant, les faits révèlent que M. Aleksandrov croyait que l’éruption cutanée, qui l’avait poussé à consulter un médecin et pour laquelle il avait reçu une ordonnance, était causée par son milieu de travail. De plus, la veille de son refus de travailler, M. Aleksandrov avait demandé la permission d’installer son propre matelas dans son camion pour s’en servir lorsqu’il aurait à dormir dans la cabine pour effectuer certains trajets.

[28] Comme l’a souligné l’ASS au point 5 de la section II de son rapport, Zavitz avait « proposé d’installer le nouveau matelas après que l’employé aurait effectué le trajet prévu » (traduction; souligné dans l’original).

[29] Zavitz a contesté auprès de l’ASS l’existence d’un quelconque danger – ce qu’il avait le droit de faire –, mais il n’a pas soutenu que le refus de travailler de M. Aleksandrov était en quoi que ce soit un prétexte visant à régler une autre situation en milieu de travail, par exemple un conflit de travail de longue date.

[30] M. Aleksandrov a rempli l’exigence d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’il s’exposait à un danger dans le milieu de travail. Le Code prévoit que, dans un tel cas, la situation doit faire l’objet d’une enquête en bonne et due forme, y compris, au besoin, en la soumettant à l’examen d’un ASS indépendant.

[78] Néanmoins, cet important seuil exigeant d’avoir des motifs raisonnables de croire oblige le Conseil à examiner les motifs qui incitaient un employé à affirmer qu’un danger existait. Il est arrivé au CCRT d’examiner soigneusement des situations pour s’assurer que le droit de refus de travailler n’était pas exercé à d’autres fins.

[79] Dans la décision Miller (1980), 39 di 93 (CCRT no 243), le CCRT a décrit certains des facteurs dont il pouvait tenir compte afin de déterminer si des motifs raisonnables existaient :

Pour déterminer s’il existait un motif raisonnable de croire à la présence d’un danger imminent, il faudra dans une large mesure tenir compte de l’évaluation, faite par le Conseil, des différents facteurs qui ont amené l’employé à décider de refuser de travailler; notamment de ses motifs, qu’ils soient de bonne foi ou non, de son expérience et sa connaissance du travail et du lieu de travail, ainsi que du degré de sa connaissance des circonstances l’ayant amené à redouter un danger. Il est également possible de soutenir que l’anxiété peut avoir influé sur son jugement au moment de son refus. Toutefois, pour que cet élément ait une incidence favorable sur la détermination de la légitimité de sa conviction, son état d’esprit devra avoir été motivé de façon directe et compréhensible par des préoccupations fondées sur la situation qui existait déjà au lieu de travail, en matière de sécurité.

(souligné dans l’original; page 103)

[80] Dans la décision Pratt (1988), 73 di 218 (CCRT no 686) (Pratt), le CCRT a aussi mentionné que « ...le droit de refuser de travailler n’est pas le principal moyen d’atteindre les objectifs de la partie IV [maintenant la partie II] du Code » (page 226).

[81] Dans la décision Berry (1990), 83 di 86 (CCRT no 837), le CCRT a examiné ce qui a motivé l’employé à déposer sa plainte :

Le Conseil reconnaît qu’en vertu du paragraphe 133(6) l’intimée doit prouver que M. Berry n’a pas fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir légitimement exercé son droit de refuser de travailler. Un aspect crucial, quoique difficile, de la décision que doit rendre le Conseil a trait à l’absence, en l’espèce, d’une situation claire sur laquelle les parties pourraient être en désaccord quant à son risque pour la sécurité, une situation qui, selon le Code, constituerait un danger. La question à trancher ici n’est pas de savoir si le fait de travailler sans chaussures de protection dans la zone du glacis servant au vidage des sacs est dangereux ou non; essentiellement, ce n’est pas non plus l’état des chaussures qui est en cause (facteur qui, pour des raisons que nous examinerons plus loin, n’a pas beaucoup retenu l’attention des intéressés). Ce qui est en litige, purement et simplement, c’est le motif qui a incité M. Berry à refuser de vider les sacs de courrier et celui qui a amené l’employeur à lui imposer une mesure disciplinaire. La décision de M. Berry reposait-elle sur un souci authentique pour sa sécurité? Les superviseurs du plaignant avaient-ils des motifs raisonnables de croire que sa motivation était autre? Voilà les questions que le Conseil doit trancher.

(page 92)

[82] Dans la décision Simon et autres (1993), 91 di 1 (CCRT no 988), le CCRT s’est penché sur le cas de deux facteurs qui avaient refusé de livrer le courrier alors qu’il neigeait. Le CCRT a conclu que l’abolition d’un comité sur les conditions atmosphériques défavorables avait été la véritable cause à l’origine du refus :

20 Les raisons données par MM. Gélinas et Fontaine pour expliquer leur refus ne constituent pas un motif raisonnable. Le Conseil n’est pas prêt à accepter que des facteurs, qui ont une longue expérience de travail, décident, de l’intérieur d’un taxi, en se contentant de regarder dehors, que la livraison du courrier constitue un danger pour leur santé et leur sécurité justifiant un refus de travailler fondé sur un motif raisonnable.

21 Les plaignants n’ont pas convaincu le Conseil que le motif allégué était le motif véritable et raisonnable du refus. Le Conseil est plutôt convaincu que la vraie raison du refus est l’insatisfaction et la frustration résultant de l’abolition du comité sur les conditions atmosphériques défavorables. Le Conseil est disposé à admettre que la décision de l’employeur de mettre fin à une entente négociée, de façon unilatérale, sans aviser le syndicat et sans discuter de solutions alternatives avec lui, soit une source de mécontentement et de frustration.

[83] Le Conseil doit faire preuve de prudence lorsqu’il fait référence aux affaires du CCRT. Bien qu’elles tiennent compte de la question des « motifs raisonnables », elles ont été tranchées à une époque où le Code ne contenait pas les garanties procédurales prévues au paragraphe 147.1(1), qui doivent être exécutées avant qu’un employeur puisse imposer des mesures disciplinaires à un employé pour avoir délibérément exercé le droit de refus de travailler de façon abusive.

[84] Dans la décision Caponi, 2002 CCRI 177, le Conseil a conclu qu’une plaignante n’avait pas de motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger. La plaignante avait plutôt refusé de travailler parce qu’elle croyait que le travail était régi par une convention collective différente :

[22] Bien que la jurisprudence ait donné une interprétation large à l’expression « motifs raisonnables de croire », et que l’article 128 n’indique pas le langage de choix pour faire part du refus, les propos rapportés ci-dessus n’évoquent aucune préoccupation d’un danger réel ou appréhendé qui puisse permettre au Conseil de conclure que la santé ou la sécurité de la plaignante était compromise. La plaignante a tout simplement refusé de faire le travail parce que ça fait quinze ans qu’elle refuse de le faire et qu’elle refuse de faire le travail d’une autre unité de négociation.

[85] Le Conseil a déjà conclu, dans la décision Rathgeber, 2010 CCRI 536 (Rathgeber 536), que la partie II du Code contient deux régimes. Le premier est le régime de conformité. Le Code exige que les employeurs et les employés travaillent en collaboration pour assurer la conformité.

[86] Par exemple, l’article 127.1 établit le « processus de règlement interne des plaintes », ajouté au Code en 2000, et oblige les employeurs et les employés à essayer de régler eux mêmes les allégations de contravention à la partie II. Il est possible de faire appel à un ASS, mais seulement aux dernières étapes de ce processus.

[87] Le deuxième régime prévu par le Code a trait aux plaintes de représailles fondées sur l’article 133. Le Code confère au Conseil la compétence exclusive à l’égard des plaintes déposées en vertu de l’article 133 qui touchent les employeurs du secteur privé relevant de la compétence fédérale. Les représailles peuvent être liées au fait d’avoir exercé un droit de refus de travailler, ou d’avoir exercé d’autres droits liés à la partie II.

[88] Dans la décision Rathgeber 536, le Conseil a comparé ces deux régimes :

[36] En résumé, ce sont les agents de santé et de sécurité qui traitent initialement les allégations de contravention à la partie II du Code. Le Conseil s’occupe seulement des représailles, et ce, dans le cadre du régime restreint établi par les articles 133 et 147 du Code. Comme on l’a vu dans Tony Aker, précitée, une affaire peut porter à la fois sur une question d’observation et sur une plainte de représailles. Cependant, le Conseil n’a pas le pouvoir de surveiller les contraventions importantes aux dispositions de la partie II du Code. C’est à RHDCC qu’il incombe de décider s’il y a eu contravention.

[89] Compte tenu des faits particuliers de l’espèce, le Conseil a conclu que MM. Mike et Dave Isinger n’avaient pas de motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger lorsqu’ils ont exercé leur droit de refus de travailler.

[90] Comme l’a indiqué le CCRT dans la décision Pratt, précitée, le droit de refus de travailler n’est pas le principal moyen d’atteindre les objectifs de la partie II du Code. Selon le Conseil, le document présenté par M. Mike Isinger le 26 octobre 2011 pour expliquer son refus de travailler visait à accélérer la résolution des problèmes liés à la conformité sur lesquels TSI, le Comité, l’ASS et d’autres personnes travaillaient.

[91] Le droit de refus de travailler n’est pas un mécanisme d’appel permettant de régler les frustrations découlant du régime de conformité du Code.

[92] Après avoir écouté le témoignage de M. Mike Isinger, le Conseil n’a aucun doute que celui ci, tout comme son frère, a un intérêt sincère à l’égard de la sécurité à TSI. Mais malgré cette sincérité, il faut examiner le contexte dans son ensemble pour déterminer s’ils avaient des motifs raisonnables.

[93] M. Isinger s’est servi de son document de refus dactylographié (pièce 2, onglet 2) pour exprimer une frustration à l’égard de plusieurs problèmes liés à la conformité, plutôt que pour décrire le ou les dangers qu’il percevait. Par exemple, le document de refus faisait référence à la PCV transport ferroviaire. Dans le cadre du processus de mise en conformité en cours, TSI, le Comité et l’ASS Ryan étaient déjà intervenus de façon importante pour donner suite à la PCV transport ferroviaire.

[94] M. Mike Isinger a témoigné que le Comité ne faisait aucun progrès relativement à la résolution de ces problèmes. Il est possible que M. Isinger ait ressenti de la frustration parce que sa plainte relative à la conformité, qui a mené à la PCV transport ferroviaire, n’avait pas encore été réglée à sa satisfaction, mais l’exercice du droit de refus de travailler ne constitue pas « la prochaine mesure » (traduction) à prendre pour que les choses progressent plus rapidement.

[95] Dans son témoignage, M. Morena a déclaré franchement que les contremaîtres croyaient que TSI n’avait pas respecté la PCV transport ferroviaire. Mais M. Morena n’avait pas été informé de la décision de l’ASS de modifier certaines dates prévues aux fins de la conformité dans la PCV transport ferroviaire pour les reporter au 31 octobre 2011, c’est à dire cinq jours après le refus de travailler du 26 octobre 2011, qui est au coeur de l’affaire qui nous occupe.

[96] Parallèlement, le document de refus de M. Mike Isinger contient aussi des allégations de non respect d’articles complets de la partie II du Code, c’est à dire les articles 124 et 125. Un autre facteur dont le Conseil doit tenir compte pour déterminer s’il existait des motifs raisonnables tient au fait qu’aucune précision n’a été présentée à l’appui de ces allégations.

[97] La nature collective du refus de travailler des contremaîtres remettait aussi en question l’existence de motifs raisonnables. Dans son document, M. Isinger n’exprimait pas uniquement son propre point de vue, mais il utilisait constamment le pronom « nous ». Certains pourraient faire valoir que le mot « nous » utilisé est en fait un pluriel de majesté et ne fait référence qu’à l’auteur, mais les faits n’appuient pas cette interprétation.

[98] Mike Isinger a apporté cinq copies du document. Ce nombre correspond au nombre de contremaîtres de triage à TSI. Par ailleurs, le Conseil a été frappé par les commentaires non contestés qu’auraient faits les 33 autres contremaîtres, qui ont indiqué à TSI qu’ils « appuyaient le Comité de sécurité en ne travaillant pas » (traduction). Ces commentaires ne pouvaient que faire allusion au Comité, et plus particulièrement aux efforts faits par Mike Isinger en leur nom en tant que représentant du SIDM 514 au sein du Comité.

[99] Ici aussi, le contexte permet au Conseil de penser que le refus de travailler était destiné à accélérer la résolution des problèmes de conformité, plutôt qu’à remédier à des situations dangereuses identifiables.

[100] Au cours de l’audience, et en particulier pendant le témoignage de Dave Isinger, il est devenu évident que les contremaîtres ont soulevé d’autres dangers éventuels lorsque TSI a tenté d’obtenir des précisions sur le refus de travailler. Le Conseil a entendu des témoignages contradictoires sur les problèmes à régler, notamment en ce qui a trait aux wagons réfrigérants et à l’empilage des conteneurs.

[101] Le contexte a convaincu le Conseil que les contremaîtres ont commencé à soulever ces autres dangers lorsqu’ils ont compris que M. Mike Isinger n’allait rien faire d’autre que lire le document dactylographié qu’il avait préparé la veille. Les faits semblent indiquer qu’il s’agissait d’abord d’un refus de travailler, et que des allégations de danger ont été formulées par la suite.

[102] Le Conseil souscrit à l’affirmation du SIDM 514 selon laquelle le simple fait qu’un ASS ait émis une PCV n’empêche pas un employé d’exercer son droit de refus de travailler. Il est toujours possible qu’un danger, selon la définition élargie donnée par le Code, survienne et justifie un refus de travailler.

[103] Mais en l’espèce, étant donné que M. Mike Isinger n’a fourni aucune précision sur les dangers allégués lorsqu’on le lui a demandé, et compte tenu des problèmes de conformité qu’il a décrits dans son document, le Conseil est convaincu que ni lui ni son frère n’avaient de motifs raisonnables de croire à l’existence de ce type de danger le 26 octobre 2011.

[104] Compte tenu de cette conclusion, le rôle du Conseil en l’espèce prend fin. Le Conseil n’a pas à déterminer si TSI avait un motif valable pour imposer une suspension de deux mois aux frères Isinger.

IV – Conclusion

[105] Le Conseil a examiné si MM. Mike et Dave Isinger avaient des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger lorsqu’ils ont refusé de travailler le 26 octobre 2011.

[106] Le Conseil n’a aucun doute que les frères Isinger avaient des opinions sincères concernant les questions de sécurité. Mais ces opinions à elles seules ne constituent pas des motifs raisonnables dans le contexte de l’affaire qui nous occupe.

[107] Le Conseil a plutôt été convaincu que le refus de travailler, qui a, au bout du compte, eu des conséquences sur l’ensemble de l’effectif de TSI, découlait d’une frustration liée à des problèmes de conformité, y compris à des problèmes qui faisaient déjà l’objet d’une intervention importante de la part d’une ASS.

[108] Le droit de refus de travailler n’est pas le mécanisme indiqué pour essayer de favoriser la résolution de problèmes de conformité. Le régime de conformité que prévoit le Code est distinct du processus limité dont dispose le Conseil pour régler les plaintes de représailles.

[109] L’absence de précisions concernant le danger au moment où le droit de refus a été exercé et les nombreuses références aux problèmes de conformité ont convaincu le Conseil que les frères Isinger n’avaient pas de motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger identifiable, actuel ou futur, lorsqu’ils ont prétendu exercer leur droit de refus de travailler le 26 octobre 2011.

[110] Par conséquent, la plainte est rejetée.

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