Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Dominic Gagné,

plaignant,

et

Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes,

intimé,

et

Société canadienne des postes,

employeur.

Dossier du Conseil : 31534-C

Référence neutre : 2016 CCRI 834

Le 26 juillet 2016

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de MM. Daniel Charbonneau et André Lecavalier, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

M. Dominic Gagné, en son propre nom;

M. Sylvain Lapointe, pour le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes;

Me Richard Pageau, pour la Société canadienne des postes.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Nature de la plainte

[1] Le 4 février 2016, M. Dominic Gagné a déposé une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ), dans laquelle il allègue que son syndicat, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), a enfreint l’article 37 du Code :

37 Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] M. Gagné allègue, inter alia, que le STTP a violé le Code en refusant d’aller en arbitrage afin de contester son congédiement du 13 janvier 2015.

[3] Le 22 mars 2016, l’employeur de M. Gagné, la Société canadienne des postes (SCP), a avisé le Conseil qu’il prenait la position traditionnelle qu’adoptent les employeurs dans ce genre de plainte et n’avait pas de soumission à formuler quant au bien-fondé de la plainte. Toutefois, l’employeur a ajouté que, si le Conseil devait conclure à une violation du Code, les conséquences directes et indirectes d’une violation ne devraient pas être imputées à la SCP.

[4] Le 15 avril 2016, le STTP a déposé sa réponse, appuyée par plusieurs pièces justificatives. Le STTP a décrit les démarches qu’il a entreprises dans le cas de M. Gagné, tant en ce qui concerne le grief déposé en octobre 2013 à propos d’un licenciement pour incapacité, que le congédiement du 13 janvier 2015.

[5] Le 21 avril 2016, M. Gagné a déposé sa réplique, dans laquelle il n’a pas contesté la plupart des observations contenues dans la réponse du STTP.

[6] Cette cause soulève une question à propos des droits d’un plaignant dans le cadre de l’enquête effectuée par l’agent négociateur. Un agent négociateur peut-il se servir de l’information obtenue auprès d’un autre employé de l’unité de négociation à propos d’un point-clé, mais sans divulguer l’identité de cet individu au plaignant?

[7] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil a décidé de rejeter la plainte de M. Gagné.

II. Faits pertinents

[8] Le 24 décembre 2014, la SCP a suspendu M. Gagné aux fins d’une enquête visant à déterminer s’il avait proféré des menaces de mort à l’endroit de son superviseur. M. Gagné nie les paroles qui lui ont été attribuées par le superviseur.

[9] Le 13 janvier 2015, après avoir complété son enquête, la SCP a décidé de congédier M. Gagné.

[10] M. Gagné prétend, à la page 6 de sa plainte, que la SCP ne l’a jamais convoqué afin d’obtenir sa version des faits. Toutefois, la lettre de congédiement de la SCP en date du 13 janvier 2015 (Réponse; Pièce 3) indique que M. Gagné aurait refusé d’assister à une rencontre prévue pour le 12 janvier 2015 :

La présente fait suite aux menaces de mort que vous avez proférées à l’endroit de votre supérieur… en date du 24 décembre dernier. Vous avez d’ailleurs été suspendu de vos fonctions pour fin d’enquête suite à ces événements. Dans le cadre de notre enquête, nous souhaitions vous rencontrer en date du 12 janvier dernier mais vous avez clairement refusé de nous rencontrer par le message téléphonique que avez laissé dans la boite vocale de la succursale dont nous avons pris connaissance le 12 janvier dernier. Ainsi nous n’avons d’autre choix que de procéder unilatéralement.

(sic)

(c’est nous qui soulignons)

[11] M. Gagné a prétendu que le STTP a agi de mauvaise foi en refusant de le représenter. Il allègue entre autres choses que le STTP a omis de retourner plusieurs de ses appels téléphoniques. Ces appels, comme certains autres événements soulevés par M. Gagné dans sa plainte, ont été faits après que le plaignant eut été avisé de la décision formelle du STTP, le 12 novembre 2015 (Réponse; Pièce 10), de ne pas aller en arbitrage :

Le syndicat refuse de défendre ma cause et a rejetté le grief. J’ai fourni des rapports de police prouvant mon innocense et ils maintiennent, et mon employeur et mon syndicat le contraire. J’ai rempli le formulaire de demande d’accès à des renseignements personnels en date du 26/11/2015 et je n’ai toujours rien reçu de la part de Mon syndicat. J’ai téléphoné à plusieurs reprises pour pouvoir parler à celui qui s’occupait de mon dossier … et il ne me retourne j’amais mes appels, même si je lui laisse des messages sur sa boite vocale.

(sic)

(c’est nous qui soulignons)

[12] M. Gagné a aussi indiqué, à la page 6 de sa plainte, qu’il aurait donné au STTP certaines informations à propos des événements du 24 décembre 2014 :

Le 24 décembre 2014 j’ai porté plainte contre mon superviseur pour harcèlement avec l’agent de police Charest. J’ai remis se document à mon syndicat. L’agent Charest est également celui qui a été appellé pour aller voir mon superviseur pour sa plainte contre moi. L’agent Charest m’a contacté par téléphone pour me donner le numéros de la carte d’appel de la rencontre entre lui et mon superviseur. J’ai fait une demande à la police de longueuil pour avoir ce document c’est cette preuve qui confirme que mon superviseur n’a pas porté plainte contre moi et que la plainte était rejetté. Ce document je l’ai également remis avec le grief à mon syndicat et il n’a pas été pris en considération.

(sic)

[13] Aux moments pertinents aux fins de la présente plainte, le STTP était déjà en contact avec M. Gagné, étant donné l’existence d’un arbitrage visant à contester le renvoi du plaignant pour incapacité en 2013. L’arbitrage lié à son licenciement de 2013 était prévu pour le 17 février 2015. Selon la convention collective, M. Gagné avait le droit de continuer à travailler en attendant le résultat de cet arbitrage.

[14] Dans le cadre d’une lettre en date du 12 février 2015 (Réponse; Pièce 6), le STTP a décrit à M. Gagné les efforts qu’il a déployés afin de le rencontrer en vue de l’arbitrage, ainsi que pour le congédiement de 2015 :

Cette lettre fait suite aux deux (2) conversations téléphoniques que nous avons eues, les 10 et 11 février 2015, au sujet de l’arbitrage de votre grief contestant votre renvoi pour incapacité (grief # 350-12-02244), qui doit avoir lieu le 17 février 2015.

Comme je vous le mentionnais le 10 février 2015, nous devons nous rencontrer en personne, afin de se préparer pour l’audition d’arbitrage. Vous m’avez à ce moment informé ne plus être intéressé à poursuivre le grief car de toute façon, vous ne vouliez plus travailler pour Postes Canada.

Je vous ai expliqué l’importance d’une rencontre en personne et non simplement au téléphone, afin de s’assurer que votre décision de quitter Postes Canada, en soit une bien réfléchie, en toute connaissance de cause. Du plus, je vous ai indiqué qu’après vérification avec la Section locale de Montréal, nous n’avons toujours pas d’enquête de grief, ni de documents qui contestaient votre second congédiement du mois de janvier 2015 et que la rencontre servirait aussi à nous remettre ces documents. Nous avons donc convenu, lors de notre conversation du 10 février 2015, d’une rencontre à mon bureau, qui devait avoir lieu le lendemain matin soit le 11 février 2015 à 9h30.

Le 11 février 2015, vous ne vous êtes pas présenté pour la rencontre et je n’ai pas eu de vos nouvelles. Je vous ai appelé à 16h05 et à ce moment, vous m’avez informé que vous n’aviez pas pu être présent. Vous m’avez encore invoqué la même intention de ne pas poursuivre le grief. J’ai réitéré mon désir de vous rencontrer en personne, afin de discuter de votre situation et je vous ai aussi informé que nous n’avions toujours pas les documents qui contestaient votre second congédiement du mois de janvier 2015. Encore une fois, nous avons convenu d’une rencontre à mon bureau pour le lendemain soit le 12 février 2015.

Au moment d’écrire cette lettre, il est 15h00 et je n’ai toujours pas eu de vos nouvelles et nous n’avons toujours pas reçu vos documents pour le congédiement de janvier 2015.

Je vous informe donc qu’une rencontre avec vous à mon bureau est fixée pour le jeudi 19 février 2015 à 13h30. À défaut de vous présenter à cette rencontre sans raison valable, nous considérerons cela comme un désir que le Syndicat abandonne de façon définitive les recours de contestation de vos deux congédiements et nous informerons l’employeur du retrait du grief #350-12-02244 selon la clause 9.32 de la convention collective.

(sic)

[15]  Suite à cette lettre, une rencontre a eu lieu entre M. Gagné et le STTP. Le STTP a par la suite effectué son enquête.

[16] Le 12 novembre 2015, le STTP a écrit à M. Gagné (Réponse; Pièce 10) afin de confirmer leur discussion téléphonique de ce même jour. Le STTP lui a fait part des résultats de son enquête  liée à son congédiement de 2015 :

La présente fait suite à notre conversation téléphonique (9h55) du 12 novembre dernier. Lors de cette conversation, je vous ai fait état de l’enquête que nous avons menée suite au dépôt du grief contestant votre congédiement du 13 janvier 2015.

En effet, lors de notre enquête, nous avons obtenu la preuve que les propos qui vous ont été reprochés dans la lettre de congédiement du 13 janvier 2015, ont bien été mentionnés. Devant ce fait, nous avons conclu que nos chances de succès devant un arbitre de griefs étaient nulles.

Je vous confirme par cette lettre, que nous allons informer l’employeur du retrait du grief selon la clause 9.32 de notre convention collective.

(sic)

(c’est nous qui soulignons)

[17] Dans sa plainte, M. Gagné conteste le fait que le STTP ne lui a pas fourni une copie des documents émanant de son enquête, y compris certains témoignages de ses collègues. M. Gagné indique aussi qu’un dégât d’eau majeur a eu lieu dans son appartement en automne 2015 et a détruit certains documents pertinents à sa cause :

Il me manque les documents de la police et les témoignages de mes collègues car mon syndicat refuse de me les remettre et j’ai dû faire une demande pour me les faire réimprimer. Je les attends d’ici peu. Nous avons eu à l’automne un dégât d’eau majeur dans notre appartement et j’ai perdu plusieurs documents, sans compter que nous avons été relocalisé durant huit semaines pour éffectuer les rénovations. Les copies que j’avais de ces informations ont été détruitent.

(sic)

(c’est nous qui soulignons)

[18] Le Conseil constate que, dans sa lettre en date du 12 février 2015, c'est-à-dire huit mois avant sa décision ultime de ne pas aller en arbitrage, le STTP avait mentionné à M. Gagné l’importance de fournir les documents pertinents à son congédiement de 2015.

[19] M. Gagné a déposé avec sa plainte copie de certaines demandes écrites qu’il aurait faites au STTP le 26 novembre 2015, soit deux semaines après avoir été avisé de la décision finale du STTP du 12 novembre 2015.

[20] Dans sa réponse à la plainte, le STTP a décrit plusieurs démarches qu’il aurait prises lors de sa représentation de M. Gagné. Par exemple, le STTP a finalement rencontré M. Gagné en personne le 16 février 2015. Lors de cette rencontre, le STTP a convaincu M. Gagné de ne pas abandonner son droit de contester son congédiement de 2015. Un grief a été déposé ce même jour (Réponse; Pièce 7).

[21] Lors de la rencontre du 16 février, le STTP a obtenu une déclaration écrite de M. Gagné ainsi que certains documents. M. Gagné a nié l’allégation de la SCP selon laquelle il aurait dit à son chef d’unité qu’il allait le tuer.

[22] Pendant son enquête, le STTP a obtenu plus d’informations. Plus particulièrement, un témoin, qui était aussi un membre de la même unité de négociation que M. Gagné, a confirmé la version des faits retenue par la SCP. Ce témoin, toutefois, ne voulait pas que son identité soit divulguée. Le syndicat n’a donc pas divulgué à M. Gagné l’identité de ce témoin.

[23] Le STTP a néanmoins pris les commentaires de ce témoin en considération lors de son évaluation du grief de M. Gagné. Le STTP a aussi tenu compte des témoignages que M. Gagné lui a fournis.

[24] Le STTP a conclu qu’un arbitre ne donnerait pas gain de cause à M. Gagné. Le STTP a également obtenu une opinion juridique verbale afin de valider sa conclusion.

III. Questions en litige

[25] Selon les faits au dossier, le Conseil identifie deux questions auxquelles il doit répondre :

a.   Un agent négociateur peut-il retirer un grief en s’appuyant sur une entrevue confidentielle tenue avec un autre membre de l’unité, et sans fournir de précisions au plaignant? et

b.   Le processus mené par le STTP a-t-il respecté le devoir de représentation juste qui lui incombe?

IV. Le devoir de représentation juste

[26] Le rôle du Conseil n’est pas de s’acquitter des tâches qui reviendraient normalement à un arbitre de griefs. Le Conseil ne doit pas décider si M. Gagné aurait pu avoir gain de cause dans son dossier de grief contestant son congédiement justifié.

[27] Dans le cadre d’une plainte de manquement au DRJ, le Conseil examine plutôt le processus suivi par un agent négociateur, comme le STTP. Dans une autre cause récente impliquant le STTP, Ménard, 2015 CCRI 753 (Ménard 753), le Conseil a décrit son rôle dans le cadre des plaintes alléguant manquement au DRJ :

[5] Dans ses observations, M. Ménard conteste en grande partie la question de savoir si la SCP avait une cause juste pour le congédier. Il est important de décrire le rôle du Conseil lorsqu’il est saisi d’une plainte de manquement au DRJ.

[6] L’intention du Parlement au moment où il a ajouté le DRJ au Code n’était pas que le Conseil siège en appel des décisions d’un syndicat et porte un jugement sur la qualité ou le caractère raisonnable de sa représentation. Au contraire, l’article 37 précise qu’il y a violation du Code uniquement lorsque la conduite d’un syndicat répond au critère exigeant pour être considérée comme « arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi ».

[7] Comme il est indiqué dans Singh, 2012 CCRI 639, le Conseil examine les mesures que les représentants d’un syndicat ont prises pour représenter les intérêts d’un membre de l’unité de négociation :

[81] Étant donné que le Conseil se concentre sur le processus que suit le syndicat, plutôt que sur le bien-fondé de sa décision, une enquête liée à l’article 37 se limite aux mesures concrètes que le syndicat a prises pour décider de ne pas renvoyer une affaire à l’arbitrage. Le Conseil a fait le commentaire suivant sur la portée de son analyse dans la décision Cheema, 2008 CCRI 414 (Cheema 414) :

[12] Le rôle du Conseil, dans le contexte d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste, est d’examiner la manière dont le syndicat a traité le grief de l’employé (voir Bugay, 1999 CCRI 45). L’objet d’une plainte fondée sur l’article 37 n’est pas d’en appeler de la décision du syndicat de ne pas renvoyer un grief à l’arbitrage ou d’évaluer le bien-fondé d’un grief, mais de faire en sorte que le Conseil se penche sur la façon dont le syndicat a traité le grief (voir Presseault, 2001 CCRI 138).

[8] Dans McRaeJackson, 2004 CCRI 290, le Conseil a formulé les commentaires suivants sur les diverses étapes du processus du syndicat qu’il était susceptible d’examiner dans une affaire de manquement au DRJ :

[37] Par conséquent, le Conseil juge normalement que le syndicat s’est acquitté de son devoir de représentation juste s’il a : a) fait enquête sur le grief et obtenu tous les détails relatifs à l’affaire, y compris la version de l’employé; b) déterminé si le grief était fondé; c) tirer des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief et d) informé l’employé des raisons de sa décision de ne pas donner suite au grief ou de ne pas le renvoyer à l’arbitrage.

[9] Récemment, dans Heitzmann, 2014 CCRI 737 (Heitzmann 737), le Conseil a examiné le processus qu’un syndicat a suivi et qui l’a amené à sa décision de mettre fin à une audience d’arbitrage :

[145] À de maintes reprises, le STTP a informé Mme Heitzmann des difficultés juridiques que comportait sa cause et des mesures qu’elle pouvait prendre pour améliorer sa situation. Mme Heitzmann a refusé de suivre ces conseils. Ce refus, entre autres choses, a aussi empêché le STTP d’amorcer des discussions en vue d’un règlement à l’égard desquelles la SCP avait manifesté une certaine ouverture.

[146] L’absence de coopération de la part de Mme Heitzmann en ce qui a trait aux efforts déployés par le STTP a notamment été observée dans le fait qu’elle a négligé sciemment de se présenter à la première date prévue pour l’audience d’arbitrage. Selon la documentation écrite faisant état des communications entre M. Mooney et Mme Heitzmann, celle-ci était au courant de cette date d’arbitrage.

[147] Même après le premier fiasco devant un arbitre du travail chevronné, le STTP a continué de tenter de représenter les intérêts de Mme Heitzmann. Cependant, Mme Heitzmann a persisté à refuser de coopérer.

[148] Au bout du compte, après avoir examiné la situation avec son conseiller juridique, le STTP a décidé de retirer le grief de Mme Heitzmann. Il a par la suite fait part des motifs de sa décision à Mme Heitzmann par courriel.

[149] Le Conseil ne constate aucune conduite arbitraire ou discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi dans le processus qu’a suivi le STTP tout au long de cette affaire.

[10] Bien que l’affaire de M. Ménard diffère quelque peu de la situation présentée dans Heitzmann 737, précitée, étant donné que son grief n’a jamais été renvoyé à l’arbitrage, le Conseil procédera à la même analyse en ce qui concerne le processus du STTP.

[28] Dans la présente affaire, la preuve fournie par M. Gagné comme, par exemple, la carte d’appel (RAO), vise le bien-fondé du grief. Le Conseil doit plutôt examiner le processus suivi par le STTP, comme il l’a fait dans Ménard 753.

V. Analyse et décision

[29] Tel que mentionné ci-dessus, le Conseil doit répondre à deux questions en litige.

A. Un agent négociateur peut-il retirer un grief en s’appuyant sur une entrevue confidentielle tenue avec un autre membre de l’unité, et sans fournir de précisions au plaignant?

[30] Lors de son enquête, le STTP a pris en considération la preuve d’un témoin qui, dans les circonstances, désirait rester anonyme. La preuve de ce témoin a appuyé la position de la SCP à propos des paroles proférées par M. Gagné envers son superviseur. La lettre en date du 12 novembre 2015 confirme que le STTP n’a pas accepté la version des faits telle qu’elle a été suggérée par M. Gagné :

En effet, lors de notre enquête, nous avons obtenu la preuve que les propos qui vous ont été reprochés dans la lettre de congédiement du 13 janvier 2015, ont bien été mentionnés.

(sic)

[31] Dans sa réplique en date du 21 avril 2016, M. Gagné n’a pas contesté la plupart des faits soulevés par le STTP dans sa réponse. Toutefois, dans sa plainte originale, il a contesté le fait que le STTP ne lui a pas donné accès à la documentation recueillie lors de son enquête, y compris les témoignages de ses collègues de travail.

[32] Un syndicat peut-il garder confidentielle l’identité d’un témoin interrogé pendent l’enquête ou est-il obligé de la divulguer au membre qu’il représente?

[33] Cette question spécifique est un peu différente des situations examinées dans le passé par le Conseil, où le syndicat aurait accepté presque aveuglément la preuve d’un employeur. Dans Singh, 2012 CCRI 639 (Singh 639), le Conseil a donné raison à un plaignant qui n’a jamais eu l’occasion de connaître, et de donner ses commentaires à propos de, la preuve de l’employeur :

[104] De l’avis du Conseil, le fait que les Teamsters et UPS se soient entendus pour ne pas montrer des documents clés à M. Singh, à titre de condition imposée à M. Randall pour qu’il puisse les examiner, a privé M. Singh d’une occasion importante de prendre connaissance des faits qu’on lui reprochait et de les commenter. À une audience d’arbitrage, il serait nécessaire de produire dans son intégralité n’importe quel élément de preuve à l’appui d’un congédiement justifié, sous réserve de toute ordonnance autorisant une rédaction et une admissibilité restreintes.

[105] Les employeurs et les syndicats d’expérience s’échangent souvent des renseignements tôt dans le processus de règlement d’un grief. Cette façon de procéder aide les syndicats à trancher les questions de jugement difficiles. Cependant, si l’employeur insiste sur la confidentialité de certains renseignements, et si cette demande empêche un employé s’estimant lésé d’aider son syndicat, il faut dans ce cas que le syndicat et l’employeur assument les répercussions possibles de cette pratique.

[106] Le Conseil a déjà déclaré que l’employé s’estimant lésé est la personne la mieux placée pour aider le syndicat à analyser les éléments de preuve de l’employeur :

[17] En bref, le Conseil respectera la décision du syndicat, qu’il soit d’accord ou non avec cette décision, en autant que le syndicat se soit appliqué à faire une enquête raisonnable, ait évalué équitablement les faits du dossier et les conséquences de sa décision par rapport à l’employé s’estimant lésé et ait informé l’employé des motifs du syndicat de ne pas poursuivre le grief à l’arbitrage.

...

[19] Dans la présente affaire, le Conseil estime que le syndicat n’a pas fait d’enquête sérieuse ou objective sur le grief qu’il a déposé au nom de M. Baribeau et donc n’a pas été en mesure d’évaluer le bien-fondé de ses chances de succès à l’arbitrage. Pour les motifs qui suivent, le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste.

[20] Selon la preuve, le syndicat s’est fié entièrement aux observations de l’employeur pour prendre position. Eu égard aux questions soulevées par le grief de M. Baribeau et aux effets négatifs à long terme sur ses prestations de retraite, le syndicat devait au moins obtenir des explications raisonnables appuyées sur des faits ou un fondement juridique avant de décider que son dossier n’avait pas de chances de succès à l’arbitrage.

(Baribeau 2004 CCRI 302; c’est nous qui soulignons)

[107] Un syndicat prendra en considération tous les éléments de preuve, soit avant de prendre la décision d’aller en arbitrage, soit, si l’employeur refuse de communiquer ces éléments à l’avance, à la veille de l’arbitrage et au cours de ce dernier. Quel que soit le moment où il reçoit de l’employeur les éléments qui appuient le congédiement, le syndicat a besoin dans bien des cas de l’aide de l’employé s’estimant lésé pour l’aider à apprécier la preuve de l’employeur.

[108] Il ressort des faits que M. Randall n’a pas montré à M. Singh les diverses déclarations signées dans lesquelles des allégations défavorables avaient été formulées à son égard. M. Randall n’a pas non plus rencontré toutes les personnes qui avaient signé les déclarations, mais il s’est quand même fié à ces dernières.

[109] M. Randall n’a pas montré à M. Singh le chèque de 350 $.

[110] De l’avis du Conseil, un commentaire de nature générale fait à M. Singh par téléphone sur des éléments de preuve préjudiciables, sans que soit divulgué le document proprement dit et sans que les auteurs soient identifiés, a empêché M. Singh de commenter en toute connaissance de cause les faits qui lui étaient reprochés.

(c’est nous qui soulignons)

[34] Dans Singh 639, le syndicat a tenu le plaignant dans l’ignorance à propos d’une large portion de la preuve de l’employeur. Par exemple, le syndicat a refusé de montrer à son membre un rapport d’enquête de l’employeur à propos d’un prétendu vol.

[35] Dans la cause de M. Gagné, par contre, il n’y avait qu’un élément de preuve en litige. Le STTP a rencontré M. Gagné à propos d’un incident très spécifique, qui visait à déterminer s’il avait proféré des menaces de mort envers son superviseur. M. Gagné a indiqué sans équivoque qu’il n’avait pas menacé son superviseur.

[36] Lors de son enquête subséquente, le STTP a rencontré plusieurs témoins potentiels. La plupart des témoins n’avaient pas de renseignements utiles. Toutefois, un membre de l’unité de négociation a confirmé les faits, tels qu’ils étaient allégués par la SCP. Ce témoin ne voulait pas que son nom soit dévoilé à M. Gagné.

[37] Le Conseil est d’avis que le STTP n’était pas tenu de divulguer l’identité du témoin à M. Gagné.

[38] Le processus d’enquête d’un syndicat n’est pas semblable au processus juridique d’un tribunal administratif ou civil. L’équité procédurale et la justice naturelle ne s’appliquent pas à un syndicat lorsqu’il doit décider quels griefs de ses membres seront renvoyés à l’arbitrage.

[39] Un syndicat doit plutôt, selon ses moyens, faire enquête et, tel qu’exigé par le Code, s’abstenir d’agir de mauvaise foi, de façon arbitraire ou de façon discriminatoire. Dans le cadre de leurs fonctions au quotidien, il serait erroné d’imposer aux syndicats les mêmes normes que celles qui s’appliquent aux tribunaux administratifs ou encore aux policiers dans le cadre d’une enquête criminelle.

[40] Ces commentaires du Conseil ne s’appliquent que dans le cadre de l’administration des conventions collectives. D’autres normes peuvent s’appliquer à un syndicat dans un processus régi par ses propres statuts légaux.

[41] Le Conseil est d’accord avec l’analyse qu’a faite la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique (CRTCB) dans une situation semblable. Dans Northern Health Authority (Prince Rupert Regional Hospital), [2012] B.C.L.R.B.D. No. 65 (Northern Health), la CRTCB se penchait sur une plainte de manquement au DRJ qui impliquait également des allégations de menaces et des entrevues confidentielles.

[42] Dans Northern Health, le plaignant contestait le fait que son syndicat ne lui avait pas fourni de précisions à propos des commentaires venant d’autres personnes dans l’unité :

[21] M. Yates affirme qu’il a été privé du droit de savoir qui l’avait accusé ou de connaître les détails des accusations d’actes répréhensibles portées contre lui, ce qui a nui à sa capacité de se défendre contre celles‑ci. Il est d’avis que les lettres de plainte anonymes sont aussi intrinsèquement peu fiables que les autres types de preuve par ouï‑dire, et ne devraient donc pas être prises en considération. Il soutient que cela démontre que le syndicat a agi de mauvaise foi et de façon discriminatoire à son endroit.

...

[24] M. Yates avance que le processus d’appel du comité exécutif du syndicat est vicié, car il n’a pas pu connaître tous les détails et n’a pas eu l’occasion de contre‑interroger les personnes qui ont fait des déclarations contre lui, ce qui a nui à sa capacité de se défendre. Il estime que cela était arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi. M. Yates affirme que la Commission ne devrait pas se fier à une enquête dans laquelle les accusateurs ont pu demeurer anonymes ni accorder de poids à celle‑ci.

(traduction)

[43] La CRTCB a conclu que le syndicat n’avait pas le devoir de tenir une audition formelle et de tout divulguer à son membre :

[41] En l’espèce, ni le comité d’évaluation des griefs ni le comité exécutif n’avaient l’obligation de tenir un procès complet ressemblant à un procès criminel à l’égard des accusations portées contre M. Yates. Bien que de tels droits existent devant les tribunaux pénaux ou civils, l’enquête menée par un syndicat sur des allégations formulées contre l’un de ses membres ne s’accompagne pas des mêmes exigences puisqu’il s’agit d’un contexte complètement différent. Dans les contextes pénaux et civils, les procédures sont très strictes et officielles. La Commission s’en remet au processus d’enquête d’un syndicat, dans la mesure où l’enquête menée était raisonnable au regard des faits en cause.

[42] En l’espèce, étant donné que les allégations concernent notamment des propos violents tenus à l’endroit d’autres membres du syndicat, il n’est pas surprenant que le syndicat ait interrogé les membres concernés séparément, en l’absence de M. Yates. Bien que ce dernier ait pu préférer être en mesure de contre‑interroger directement ses accusateurs, dont il croit manifestement qu’ils mentent, le syndicat n’était pas tenu, sous le régime de l’article 12, de lui donner l’occasion de le faire.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[44] En l’espèce, le STTP n’avait non plus une obligation de donner à M. Gagné une opportunité de contester en menu détail son enquête. Il n’y avait qu’un élément de preuve à vérifier, à savoir si M. Gagné a menacé son superviseur. La position de la SCP était claire.

[45] Le STTP a obtenu la version des faits de M. Gagné et a parlé avec d’autres membres de l’unité. Le STTP avait le droit, après avoir consulté d’autres témoins potentiels, d’évaluer ses chances de gain de cause devant un arbitre. Étant donné qu’il n’y avait qu’un élément de preuve à déterminer, le STTP n’était aucunement obligé de tenir une audition formelle ni de divulguer à M. Gagné l’identité du témoin-clé.

[46] Les faits dans la cause de M. Gagné se distinguent de ceux présents dans Singh 639, où le plaignant a été tenu dans l’ignorance à propos des allégations et de la preuve de l’employeur.

B.  Le processus mené par le STTP a-t-il respecté le devoir de représentation juste qui lui incombe?

[47] Le Conseil est d’avis que, dans le cadre de son enquête, le STTP a respecté ses obligations en vertu du Code.

[48] Par exemple, le STTP a réussi à convaincre M. Gagné de contester son congédiement de 2015. Par la suite, il a rencontré M. Gagné afin d’obtenir sa version des faits. M. Gagné aurait signé une déclaration et a remis au STTP certains documents.

[49] Le STTP a rencontré des témoins potentiels, y compris un autre membre de l’unité qui avait entendu les menaces proférées.

[50] Un avocat aurait donné au STTP une opinion juridique verbale quant aux chances d’avoir gain de cause en arbitrage. Le STTP a ensuite expliqué à M. Gagné, lors d’une conversation téléphonique, les motifs de sa décision de ne pas aller en arbitrage. Une lettre confirmant leur discussion a été envoyée le même jour au plaignant.

[51] Ce processus décisionnel est assez routinier pour un syndicat. Le Conseil ne doit pas décider, dans un tel contexte, si le syndicat aurait dû renvoyer le grief à l’arbitrage. Le Conseil ne révise pas les décisions des syndicats de cette manière. Il examine plutôt si le STTP a enfreint l’article 37 du Code. M. Gagné, à qui appartenait le fardeau de la preuve, n’a pas persuadé le Conseil que le STTP a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

VI. Conclusion

[52] Dans les circonstances spécifiques à cette plainte, le Conseil conclut que le STTP n’était pas obligé de divulguer à M. Gagné l’identité d’un autre membre de l’unité qui aurait confirmé un élément de preuve-clé, tel qu’il a été allégué par la SCP.

[53] Le STTP a aussi suivi un processus approprié avant d’arriver à sa conclusion de ne pas renvoyer en arbitrage le grief visant à contester le congédiement de M. Gagné.

[54] Par conséquent, le Conseil rejette la plainte.

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