Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Jean-Philippe Duchemin,

plaignant,

et

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada,

intimée,

et

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada,

employeur.

Dossier du Conseil : 31285-C

Référence neutre : 2016 CCRI 805

Le 07 janvier 2016

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de Me Richard Brabander et M. Daniel Charbonneau, Membres.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

M. Jean-Philippe Duchemin, en son propre nom;

Me Sylvain Beauchamp, pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada;

Me Jacynthe Girard, pour la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Nature de la plainte

[1] Le 2 septembre 2015, M. Jean-Philippe Duchemin a déposé une plainte auprès du Conseil, dans laquelle il allègue que son syndicat, la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC), a enfreint l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] Par la suite, M. Duchemin a demandé que le dossier de sa plainte devant le Conseil soit mis en suspens. La CFTC était d’accord avec cette demande, mais l’employeur de M. Duchemin, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), a contesté la demande.

[3] Le 30 novembre 2015, M. Duchemin a retiré sa demande de mise en suspens.

[4] Le Conseil a décidé de mettre en suspens le présent dossier pour les motifs suivants.

II. Faits

[5] M. Duchemin soutient que son représentant syndical lui avait assuré que plusieurs griefs avaient été déposés et soumis à la procédure de règlement des griefs en conformité avec la convention collective. Toutefois, M. Duchemin a appris par la suite que certains griefs n’avaient jamais été portés à l’attention du supérieur immédiat.

[6] Le CN a congédié M. Duchemin en mai 2015 puisque son dossier avait un total de 75 mauvais points, alors que le seuil maximum pour un congédiement automatique est de 60 points.

[7] La CFTC n’a pas nié que son représentant n’avait pas déposé quatre griefs de M. Duchemin. Dès la découverte de cette situation, la CFTC a pris certaines mesures.

[8] Par exemple, la CFTC a déposé les quatre griefs. Puisque le CN a ensuite rejeté les quatre griefs au motif qu’ils avaient été déposés après l’expiration du délai de présentation, la CFTC a indiqué qu’elle allait demander à l’arbitre de proroger les délais en conformité avec le paragraphe 60(1.1) du Code.

[9] Dans sa réponse en date du 13 novembre 2015, le CN a indiqué qu’il n’interviendrait pas quant au bien-fondé du litige opposant M. Duchemin et la CFTC. Le CN contestait la demande de mise en suspens et invitait le Conseil à rejeter la plainte de M. Duchemin.

[10] Le 30 novembre 2015, M. Duchemin a demandé au Conseil de ne plus tenir compte de sa demande de mise en suspens de son dossier et d’accueillir sa plainte.

III. Analyse et décision

[11] Les modifications apportées au Code en 1999 ont conféré certains nouveaux pouvoirs aux arbitres et au Conseil. Le paragraphe 60(1.1) du Code permet à un arbitre de proroger des délais prévus dans une convention collective :

60. (1.1) L’arbitre ou le conseil d’arbitrage peut proroger tout délai – même expiré – applicable aux procédures de grief ou à l’arbitrage prévu par la convention collective s’il est d’avis que la prorogation est justifiée et ne porte pas atteinte indûment aux droits de l’autre partie.

[12] L’alinéa 16l.1) du Code permet au Conseil de reporter à plus tard sa décision sur une question si elle peut être réglée par arbitrage :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

...

l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

[13] Le Conseil soulève souvent lui-même la question concernant l’application possible de l’alinéa 16l.1). La décision de M. Duchemin de retirer sa demande de mise en suspens n’empêche donc pas le Conseil d’examiner la question.

[14] L’alinéa 16l.1) introduit le concept d’« économie des ressources judiciaires » dans le Code. Les tribunaux administratifs doivent tenir compte de ce concept lorsqu’ils décident comment utiliser leurs ressources limitées (voir, par exemple, Air Canada, 2012 CCRI 624).

[15] Dans sa réponse en date du 13 novembre 2015, le CN a suggéré que l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, devrait trouver application dans la présente affaire et le Conseil ne devrait pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 16l.1) :

Dans la mesure où des griefs ont été déposés au nom du Plaignant par le Syndicat, leur issue n’est pas pertinente à la décision du Conseil quant aux allégations avancées par le Plaignant. Dans la mesure où le Plaignant a gain de cause en arbitrage, sa Plainte deviendra sans objet; dans la mesure où il y serait débouté, ceci n’affecterait pas la trame factuelle servant d’assise à sa Plainte ni l’analyse à laquelle le Conseil doit se livrer en vertu de l’article 37 du Code.

Avec égards, l’article 37 ne saurait être utilisé à titre de position de repli au bénéfice de plaignants insatisfaits de l’issue éventuelle de griefs ayant déjà été déposés. Le CN est en droit de s’attendre à ce que la finalité des sentences arbitrales émises par le BAMCFC ne soit pas remise en question.

[16] Le Conseil n’est pas persuadé par cet argument. La question dont l’arbitre est saisi est distincte de la question dont le Conseil est saisi. Un arbitre exerce son pouvoir de proroger un délai en conformité avec le paragraphe 60(1.1) du Code. Selon sa décision, l’arbitre pourrait être obligé d’interpréter la convention collective lorsqu’il examinera les quatre griefs.

[17] Le Conseil n’examine pas les mêmes questions. Le rôle du Conseil, potentiellement, serait d’analyser les faits afin de décider si une violation de l’article 37 du Code a eu lieu en l’espèce.

[18] Le Conseil s’est déjà penché sur une situation semblable dans Bell Mobility Inc., 2012 CCRI 626 :

[14] Les principes découlant de Figliola ne s’appliquent pas à la plainte déposée par le SCEP.

[15] Premièrement, BMI n’a mentionné aucune décision d’un autre tribunal administratif qui aurait déjà tranché la question juridique dont le Conseil est saisi. Les arrêts Figliola et Air Canada portaient tous deux sur des tentatives visant à remettre en cause des questions de droits de la personne qui avaient déjà été tranchées.

[16] Deuxièmement, les arrêts Figliola et Air Canada portaient tous deux sur une question de droits de la personne à l’égard de laquelle deux tribunaux administratifs avaient compétence. La présente affaire ne porte pas sur les droits de la personne.

[17] Troisièmement, même si les principes énoncés dans Figliola et Air Canada ne s’appliquaient pas seulement aux recours visant des questions identiques de droits de la personne, l’arbitre désigné en vertu de la partie III du Code (le cas échéant) se penchera sur une question distincte de la question dont le Conseil est saisi.

[18] L’arbitre désigné en vertu de la partie III du Code devra décider si, en congédiant M. Doherty, BMI a pris une décision « injuste ». Essentiellement, l’analyse portera sur la question de savoir si BMI avait un motif valable de congédier M. Doherty.

[19] En revanche, comme le Conseil est saisi d’une plainte de PDT fondée sur la partie I du Code, son analyse porte seulement sur la question de savoir si la décision de BMI de congédier M. Doherty était motivée, de quelque manière que ce soit, par un sentiment antisyndical. Le Conseil ne se prononce pas sur le bien-fondé du congédiement et donc non plus sur l’existence d’un motif valable (voir la décision National Pagette (1991), 85 di 1 (CCRT no 862)).

[19] Dans Rees, 2010 CCRI 499, le Conseil a décidé de reporter à plus tard sa décision sur une question puisque le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes voulait demander à un arbitre de proroger un délai dans la convention collective en se fondant sur le paragraphe 60(1.1) du Code :

[20] Le législateur a ajouté l’alinéa 16l.1) précisément pour ce genre de situation. Un arbitre est présentement saisi du grief de congédiement de M. Rees. L’arbitre est compétent, en vertu du paragraphe 60(1.1) du Code, pour décider s’il prorogera le délai prévu à la convention collective et entendra l’argumentation sur le bien-fondé du grief de M. Rees.

[21] Le Conseil préfère ne pas court-circuiter l’arbitre. Chose plus importante encore, l’arbitre examinera la question simple de savoir s’il va proroger les délais, mais l’affaire dont le Conseil est saisi est plus complexe. En bref, la présente affaire porte sur la question de savoir si l’omission d’un agent négociateur de respecter un délai prévu à la convention collective constitue un manquement au devoir de représentation juste.

[22] Le Conseil devrait probablement entendre les arguments des parties sur cette question, puisque sa jurisprudence n’établit pas que chaque erreur commise par un syndicat constitue nécessairement un manquement au devoir de représentation juste. Le Conseil n’exige pas la perfection des syndicats.

[23] Plutôt que d’amorcer un processus qui pourrait s’avérer caduque, et puisque l’audience devant le Conseil pourrait ne pas se terminer avant la date d’arbitrage prévue, le Conseil préfère reporter sa décision sur la question du manquement au devoir de représentation juste et permettre à l’arbitre de décider s’il proroge le délai de présentation du grief de M. Rees, en vertu du paragraphe 60(1.1) du Code.

[20] En l’occurrence, un arbitre n’examinera aucunement la conduite de la CFTC et les responsabilités qui lui incombent en vertu de l’article 37 du Code. Étant donné que la plainte de M. Duchemin « pourrait être réglée par arbitrage », au sens des termes utilisés dans l’alinéa 16l.1), le Conseil est d’avis qu’il est approprié de reporter à plus tard sa décision dans le présent dossier.

[21] Le Conseil évite ainsi que deux procédures juridiques, impliquant des questions distinctes, se poursuivent en même temps. Cette façon de procéder respecte le concept d’économie des ressources judiciaires prévu à l’alinéa 16l.1) du Code.

[23] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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