Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Syndicat international des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 864,

requérant,

et

Waycobah First Nation,

employeur.

Dossier du Conseil : 30457-C

Référence neutre : 2015 CCRI 792

Le 2 octobre 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice‑président, ainsi que de Me Richard Brabander et M. Norman Rivard, Membres. Une audience a eu lieu du 21 au 23 octobre 2014 à Halifax (Nouvelle‑Écosse). Le Conseil a entendu les arguments finaux par vidéoconférence, le 10 novembre 2014. Les parties ont présenté des arguments juridiques supplémentaires en avril 2015.

Ont comparu

Mes David C. Wallbridge et Kelly McMillan, pour le Syndicat international des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 864;

Mes Bryna Fraser Hatt et Richard Dunlop, pour Waycobah First Nation.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Nature de la demande

[1] Le 20 mai 2014, le Conseil a reçu une demande d’accréditation du Syndicat international des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 864 (le TUAC), en vue de représenter l’unité de négociation suivante :

Tous les employés, y compris les matelots de pont, les capitaines et les lieutenants qui travaillent pour Waycobah First Nation sur les bateaux de pêche, à l’exception du personnel de bureau et du personnel de direction.

(traduction)

[2] Dans sa lettre du 3 juin 2014, le TUAC a précisé que l’unité de négociation qu’il propose inclut les pêcheurs de civelle :

Ainsi, le syndicat demande de modifier la description de l’unité de négociation proposée afin d’y inclure plus clairement les pêcheurs de civelle. L’unité proposée devrait être la suivante :

Tous les employés de Waycobah First Nation qui travaillent comme pêcheurs à terre, de même que les matelots de pont, les capitaines et les lieutenants qui travaillent sur les bateaux de pêche, à l’exception du personnel de bureau et du personnel de direction.

(traduction)

[3] L’employeur intimé, Waycobah First Nation (Waycobah), a déclaré que le Conseil n’avait pas compétence pour trois motifs : i) le Code ne s’applique pas à ses activités de pêche; ii) même si une bande des Premières Nations peut être une entreprise fédérale, les activités de pêche de Waycobah n’en sont pas une partie vitale ni essentielle; iii) les activités de pêche de Waycobah n’ont aucun lien avec les droits qui lui sont conférés en vertu de traités, lesquels font encore l’objet de négociations.

[4] Pour les motifs qui suivent, le Conseil a conclu que les relations du travail liées aux activités de pêche de Waycobah sont assujetties à la compétence de la Nouvelle‑Écosse.

II. Faits

[5] Le Conseil a entendu des témoignages pendant trois jours, du 21 au 23 octobre 2014, à Halifax. Ces témoignages décrivaient la croissance considérable des activités de pêche de Waycobah, qui s’est accélérée après les décisions de la Cour suprême du Canada (CSC) dans les deux arrêts Marshall, ci‑après. Le Conseil a entendu les arguments finaux par vidéoconférence, le 10 novembre 2014.

[6] Pendant ses délibérations, le Conseil a avisé les parties que, avant de rendre sa décision, il attendrait de recevoir la décision de la Cour d’appel fédérale (CAF) découlant du contrôle judiciaire de la décision du Conseil dans l’affaire Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski, 2013 CCRI 701 (dossier de la CAF no A‑432‑13). Les plaidoiries pour ce contrôle judiciaire ont été entendues en septembre 2014. Toutefois, étant donné que la CAF n’a toujours pas rendu sa décision, le Conseil a jugé qu’il était préférable de rendre sa décision en s’appuyant sur la jurisprudence présentée par les parties.

[7] Au printemps 2015, le TUAC a avisé le Conseil de la décision rendue par la Cour fédérale du Canada dans Canada (Procureur Général) c. Nation Munsee-Delaware, 2015 CF 366 (Munsee), laquelle infirmait l’une des décisions présentées au Conseil. Chacune des parties a présenté des arguments juridiques à propos des répercussions de Munsee.

A. Waycobah

1. Survol des activités de pêche

[8] Waycobah est une communauté micmaque de l’île du Cap‑Breton, en Nouvelle‑Écosse. La bande compte environ 943 membres.

[9] Dans les années 1990, les activités de pêche de Waycobah étaient limitées. Autour de l’année 2001, elles ont connu une augmentation considérable. Au moment de l’audience du Conseil, le site Web de Waycobah décrivait ainsi ses activités de pêche (pièce 1; onglet 7) :

Les activités de pêche de Waycobah comportent deux volets : le volet commercial et le volet « alimentaire, social et rituel ».

Depuis la décision Marshall, Waycobah First Nation a vu ses biens commerciaux augmenter de façon constante. La communauté possède maintenant deux permis de pêche au homard, des permis de pêche à la crevette au casier et au chalut, trois quotas pour la pêche au crabe, des quotas pour la pêche aux poissons de fond, et elle pêche activement la civelle. Nous avons également des permis inactifs pour la pêche au thon, au buccin, à l’oursin, au maquereau et au hareng. Il en a découlé d’importantes retombées économiques pour la communauté. D’ailleurs, l’objectif à long terme est de fournir la formation et l’expérience nécessaires aux membres de la communauté pour qu’ils puissent devenir capitaines et premiers lieutenants sur les bateaux de pêche. Dans un avenir rapproché, Waycobah First Nation s’efforcera de se départir de ses accès aux pêches en zones éloignées, comme la pêche aux poissons de fond, et d’utiliser la somme obtenue afin de mettre l’accent sur les pêches en eaux littorales, comme la pêche au crabe et au homard. À long terme, cette réorganisation lui permettra de créer plus d’emplois à un niveau de compétence plus élevé pour les membres de la communauté de Waycobah.

Waycobah First Nation emploie environ 35 membres de la communauté dans ses activités de pêche commerciale. De plus, trois personnes œuvrent au sein du programme des gardes‑pêche qui vise à aider la communauté à se prévaloir de ses droits en vertu des ententes sur la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

(traduction)

[10] Les parties ont convenu que Waycobah elle‑même employait les pêcheurs. En outre, Waycobah est la partie contractante pour toutes les transactions importantes avec la Couronne. Waycobah est propriétaire de tous les biens que la Couronne lui a par la suite transférés en vertu de diverses ententes.

[11] Le chef de Waycobah, M. Rod Googoo, a déclaré que les activités de pêche généraient des revenus à l’usage de la bande. Certains départements qui ne sont pas des entreprises commerciales, comme ceux du développement social et de l’éducation, ont accusé des pertes, et les activités de pêche de Waycobah et les revenus qui en découlent ont aidé à compenser celles‑ci.

[12] Bien que Waycobah ait laissé entendre qu’un « département des pêches » distinct, non constitué en société, gérait ses activités de pêche commerciale, les éléments de preuve présentés à l’appui de l’existence d’une véritable séparation entre ce département et la bande n’étaient pas convaincants. Tous les documents internes de Waycobah, de même que ses ententes externes, indiquent que Waycobah elle‑même est la seule partie contractante en ce qui concerne ses activités de pêche commerciale.

[13] Les éléments de preuve montrent qu’en définitive, c’est au chef et au conseil de bande qu’il revient de prendre les décisions à l’égard des activités de pêche. Cette constatation de fait ne minimise en rien l’expérience manifeste de certains gestionnaires de Waycobah en matière de gestion des activités de pêche. Toutes les organisations, ou presque, ont recours à des gestionnaires pour assurer la gestion quotidienne des activités. Or, cela ne fait pas d’eux les autorités contractantes ni ne crée une entité opérationnelle distincte.

[14] En fin de compte, la conclusion du Conseil à l’égard de la compétence serait la même, peu importe que Waycobah exerce directement les activités de pêche ou ait recours à une entité distincte pour réaliser ces activités (voir ci‑après).

[15] Il est évident que Waycobah est une bande qui exerce certains pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (Loi sur les Indiens). Les membres de la bande élisent le chef de Waycobah et les membres du conseil de bande.

[16] La bande inclut les biens associés aux activités de pêche dans ses états financiers; ces biens ont été utilisés à l’occasion en tant que garantie pour des emprunts. Le département des finances de la bande travaille de concert avec le directeur des activités de pêche, M. Phil Drinnan, pour établir le budget des activités de pêche. M. Drinnan, qui relève du PDG, M. Reg Hurst, n’est qu’un des membres de l’équipe de la haute direction de Waycobah.

[17] Le bureau des activités de pêche se trouve dans le même édifice que le bureau de la bande.

[18] Les pêcheurs qui habitent dans la réserve sont assujettis à la même politique en matière de ressources humaines qui s’applique aux autres employés de la bande. Waycobah a insisté sur le fait que sa politique en matière de dépistage des drogues s’applique à ces pêcheurs, même quand ceux‑ci travaillent pour une autre entreprise de pêche commerciale dans le cadre d’une entente conjointe.

[19] Waycobah a récemment adopté une politique en matière de gouvernance, laquelle vise à exclure toute influence politique des décisions difficiles que les administrateurs doivent prendre pour gérer les différents départements de la bande. Le Conseil accepte l’affirmation du TUAC selon laquelle il n’y a pas de séparation nette, dans la politique en matière de gouvernance, entre les activités « de gouvernance » et les activités « commerciales », même si le témoin appelé par Waycobah prétend le contraire.

[20] En effet, même s’il a été insinué que le chef et le conseil de bande constituaient en fait le « conseil d’administration » des activités de pêche, la politique en matière de gouvernance ne démontre pas que ce soit le cas. Les éléments de preuve ont plutôt confirmé que, bien que Waycobah permette à ses administrateurs de faire leur travail, aucune décision d’importance touchant ses obligations juridiques ne peut être prise sans l’approbation du chef et du conseil de bande.

[21] Les comptes rendus de diverses réunions du chef et du conseil de bande qui ont été présentés étayent encore davantage cette interprétation.

[22] Tous les principaux contrats et ententes qui ont été présentés en tant qu’éléments de preuve ont été signés par Waycobah, plutôt que par les « activités de pêche » en tant qu’entité ou par les gestionnaires de Waycobah. Waycobah a signé de nombreuses ententes avec la Couronne en vertu desquelles bon nombre de biens de pêche commerciale ont été transférés, comme il en est question ci‑dessous.

[23] Un bref aperçu historique permet de mettre en contexte l’expansion des activités de pêche de Waycobah.

2. Les décisions Marshall

[24] Les activités de pêche de Waycobah ont connu une expansion considérable à la suite de deux décisions de la CSC concernant les droits de pêche issus de traités de M. Donald Marshall.

a. Marshall no 1

[25] Dans la décision rendue à la majorité par la CSC dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456 (Marshall n1), M. Marshall a été acquitté des trois chefs d’accusation suivants :

L’application aux faits de l’espèce

[62] L’appelant est accusé de trois infractions : avoir vendu des anguilles sans permis, avoir pêché sans permis et avoir pêché pendant la période de fermeture au moyen de filets illégaux. Ces actes ont eu lieu à Pomquet Harbour, dans le comté d’Antigonish. Pour se conformer aux règlements, Marshall était tenu de se procurer un permis en application du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53, du Règlement de pêche des provinces maritimes, DORS/93‑55, ou du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93‑332.

[26] Dans la décision rendue à la majorité par la CSC, il était conclu que les interdictions s’appliquant aux pêches n’étaient pas compatibles avec les droits conférés à M. Marshall en vertu de traités :

Dispositif

[67] La question constitutionnelle suivante, énoncée par le Juge en chef le 9 février 1998 :

L’interdiction de prendre et de garder du poisson sans permis, ainsi que celles de pêcher pendant la période de fermeture et de vendre du poisson sans permis, prévues respectivement par l’al. 4(1)a) et l’art. 20 du Règlement de pêche des provinces maritimes ainsi que par le par. 35(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), sont‑elles incompatibles avec les droits conférés à l’appelant par les traités conclus par les Micmacs en 1760 et 1761 et, par conséquent, inopérantes à son endroit, par l’effet du par. 35(1) et de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de- 1982 ?

doit recevoir une réponse affirmative. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner l’acquittement relativement à toutes les accusations.

[27] La CSC a conclu que le système de délivrance des permis portait atteinte au droit de M. Marshall, conféré en vertu de traités, de pratiquer la pêche :

[64] Dans l’arrêt Badger, précité, au par. 79, le juge Cory a conclu que le critère applicable pour déterminer s’il y a atteinte à un droit visé au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 était le même et pour les droits ancestraux et pour les droits issus de traités, de sorte que, même si les propos du juge en chef Lamer dans l’arrêt Adams portaient sur une atteinte à des droits ancestraux, ils s’appliquent également en l’espèce. À l’époque, les fonctionnaires de la Couronne ne disposaient pas des « directives suffisantes » nécessaires pour être en mesure d’assurer le respect des droits issus de traité de l’appelant. Pour paraphraser les propos tenus dans l’arrêt Adams, au par. 51, dans le cadre du régime de réglementation applicable, l’appelant ne pouvait exercer son droit issu de traité de pêcher et de commercer à des fins de subsistance qu’à l’entière discrétion du ministre. Les règlements ne tiennent pas compte des droits issus de traités des Mi’kmaq parce que, peut‑on présumer, la position de la Couronne a été et continue d’être que de tels droits n’existent pas. Par conséquent, les prohibitions censément établies par les règlements, c’est‑à‑dire l’interdiction de pêcher sans permis (Règlement de pêche des provinces maritimes, al. 4(1)a)) et l’interdiction de vendre des anguilles sans permis (Règlement de pêche (dispositions générales), par. 35(2)), portent à première vue atteinte aux droits conférés à l’appelant par les traités de 1760 et 1761 et sont inopérantes à son égard sauf si elles sont justifiées suivant le critère établi dans l’arrêt Badger.

[65] En outre, l’appelant a été accusé d’avoir pêché pendant la période de fermeture au moyen de filets illégaux, contrairement à l’art. 20 du Règlement de pêche des provinces maritimes. Une telle disposition constitue également une atteinte à première vue, comme l’a souligné le juge Cory dans l’arrêt Badger, précité, au par. 90 : « Notre Cour a statué, en de nombreuses occasions, qu’on ne peut limiter l’ampleur des activités de chasse exercées par les Indiens en vertu d’un traité, ni les méthodes qu’ils utilisent à cette fin ou les périodes durant lesquelles ils s’y adonnent », sauf si, ajouterais‑je, le traité comporte une restriction de cette nature.

[66] L’appelant a pris et vendu les anguilles pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa conjointe. En conséquence, si la période de fermeture et le régime discrétionnaire de délivrance de permis étaient appliqués, ils porteraient atteinte au droit de pêcher à des fins commerciales conféré par le traité à l’appelant, et l’interdiction de vendre le produit de sa pêche porterait atteinte à son droit de commercer à des fins de subsistance. En l’absence de justification des prohibitions réglementaires, l’appelant a droit à l’acquittement.

(c’est nous qui soulignons)

b. Marshall no 2

[28] Dans R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533 (Marshall no 2), la CSC a instruit une requête visant la tenue d’une nouvelle audience. Elle a résumé les conclusions qu’elle avait tirées dans sa décision précédente, Marshall no 1 :

[4] Dans le jugement de la majorité, notre Cour a acquitté l’appelant des accusations d’avoir pêché 463 livres d’anguille et d’avoir vendu ces prises pour 787,10 $. Le fondement de l’acquittement est un traité conclu avec les Britanniques en 1760 et, de façon plus particulière, les conditions verbales de ce traité qui ressortent de documents préparés par les Britanniques durant les négociations mais qui ont été consignées de manière incomplète dans la clause relative aux « maisons de troc » figurant dans le texte du traité. Le droit issu du traité permet à la communauté mi’kmaq d’assurer sa subsistance en lui accordant un accès continu aux ressources halieutiques et fauniques pour qu’elle puisse en faire le commerce afin de pouvoir se procurer les «choses nécessaires», notion que la majorité de notre Cour a interprétée comme étant « la nourriture, le vêtement et le logement, complété[s] par quelques commodités de la vie ».

(c’est nous qui soulignons)

[29] La CSC a fait observer que, dans sa décision Marshall no 1, elle avait affirmé que le gouvernement fédéral pouvait réglementer un droit issu de traités :

[21] Le fait que le ministère public ait choisi de ne pas tenter de justifier la période de fermeture de la pêche à l’anguille en litige dans le présent cas ne saurait, contrairement à ce que laisse entendre la question de la Coalition, être généralisé en une conclusion qu’aucune période de fermeture ne peut être imposée dans le cadre de la réglementation par le gouvernement du « droit [limité] de pêcher » à des fins commerciales des Mi’kmaq. La « période de fermeture » est clairement un outil de gestion dont dispose potentiellement le gouvernement, mais son application aux droits issus de traités devra être justifiée pour des raisons de conservation ou pour d’autres motifs. En l’absence de cette justification, l’accusé qui établit l’existence d’un droit issu de traité est ordinairement autorisé à l’exercer. Comme tend à l’indiquer la preuve d’expert déposée dans le cadre de la présente requête par l’Union of New Brunswick Indians, il est possible que, dans le cas de la pêche à l’anguille, l’établissement d’une période de fermeture soulève des questions très différentes – en matière de conservation et à d’autres égards – que dans le cas d’autres espèces marines tels le saumon, la morue, le crabe ou le homard, ou encore dans le cas de l’orignal ou d’autres espèces sauvages. Comme les difficultés que pose la gestion des ressources fauniques et halieutiques ainsi que les techniques utilisées à cette fin varient d’une espèce à l’autre, les restrictions devront être justifiées au cas par cas. La preuve étayant la fermeture de la pêche au saumon n’est pas nécessairement applicable pour justifier la fermeture de la pêche à l’anguille.

[22] La gestion et la conservation des ressources ainsi que la répartition des prises autorisées soulèvent inévitablement des questions d’une complexité considérable tant pour les Mi’kmaq qui veulent gagner leur vie en se prévalant de la protection du droit issu du traité, que pour les gouvernements qui veulent justifier la réglementation de ce droit. Comme l’illustre la présente affaire, le contexte factuel revêt une grande importance, et la valeur de la justification du gouvernement peut varier selon la ressource, l’espèce, la communauté et l’époque. Comme notre Cour et d’autres tribunaux l’ont à maintes occasions signalé, il est préférable de réaliser la prise en compte du droit issu du traité par des consultations et par la négociation d’un accord moderne de participation des Mi’kmaq à l’exploitation de ressources précises plutôt que par le recours aux tribunaux. Le juge La Forest a souligné ce point dans Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010 (arrêt cité dans l’opinion majoritaire du 17 septembre 1999), au par. 207 :

Enfin, je tiens à souligner que la meilleure approche dans ce genre d’affaires est un processus de négociation et de réconciliation qui prenne dûment en compte les intérêts complexes et opposés en jeu.

[23] Les divers intéressés – gouvernementaux, autochtones et autres – ne sont évidemment pas obligés d’en arriver à une entente. En l’absence de solution satisfaisante pour toutes les parties, les tribunaux résoudront les points litigieux au fur et à mesure qu’ils leur seront soumis. La décision rendue à l’égard des présentes poursuites ne fait autorité qu’à l’égard des questions sur lesquelles il a été statué dans celle‑ci. L’acquittement ne devrait pas être écarté afin de permettre à la Coalition d’aborder de nouvelles questions qui n’ont pas été soulevées par les parties ni tranchées par la Cour dans l’opinion majoritaire du 17 septembre 1999.

3. Initiative de l’après-Marshall

[30] À la suite des décisions Marshall, la Couronne a lancé l’Initiative de l’après-Marshall (IAM) (pièce 1; onglet 17) et a souligné que son objectif était d’améliorer l’accès à la pêche pour les Premières Nations :

Dans l’arrêt Marshall prononcé le 17 septembre 1999, la Cour suprême du Canada a confirmé le droit des Autochtones, issu des traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761, de pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette en vue d’assurer une subsistance convenable. L’arrêt vise 34 Premières nations micmaques et malécites vivant au Nouveau-Brunswick, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, en Nouvelle-Écosse et au Québec (Gaspésie).

En réponse à cet arrêt, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a mis sur pied l’Initiative initiale de l’après-Marshall. Ce programme d’une durée d’un an, approuvé le 25 janvier 2000 et doté d’un montant de 159,6 millions de dollars, devait permettre au Ministère de négocier des accords provisoires sur les pêches donnant aux Premières nations un accès accru et immédiat à la pêche commerciale. En 2001, le MPO lança l’Initiative de l’après-Marshall à long terme (IAM-LT), qui prenait appui sur l’Initiative initiale. Un financement de 430,2 millions de dollars fut approuvé en vue de négocier des ententes sur les pêches jusqu’au 31 mars 2004. En janvier de cette année-là, le MPO obtint l’autorisation de prolonger de deux ans la période initiale (allant d’avril 2001 à mars 2004) jusqu’en mars 2006, et bénéficia ainsi d’un délai pour s’acquitter des engagements pris dans le cadre des ententes sur les pêches. L’initiative fut par la suite prolongée jusqu’au 31 mars 2007, mais ces prolongations ne furent assorties d’aucuns fonds additionnels.

(c’est nous qui soulignons)

[31] Le Conseil a entendu des témoignages à propos des préoccupations continues des Premières Nations quant à la question de savoir si l’IAM avait un lien avec les droits qui leur étaient conférés en vertu de traités, tels qu’ils étaient décrits dans Marshall, ou avait quelque autre effet sur ceux‑ci. Selon la perspective des parties à la présente affaire, ce point est pertinent, car les activités de pêche menées en vertu de ces droits relèveraient de la compétence du Conseil.

[32] Dans une lettre datée du 28 mars 2011, M. Herb Dhaliwal, alors ministre des Pêches et des Océans (MPO) (pièce 5; onglet 22), a répondu aux préoccupations des Premières Nations :

À la conférence de presse du 9 février 2001, à laquelle le ministre Nault et moi‑même avons assisté, il n’a pas été affirmé que M. MacKenzie avait pour mandat de négocier l’accès aux pêches fondé sur les droits issus de traités à court terme. Il a été reconnu que les questions relatives aux traités, dont l’accès aux ressources naturelles fondé sur les droits, s’inscriraient dans le mandat du ministère du ministre Nault. Étant donné que les négociations entourant les questions liées aux traités prennent généralement plus de temps, nous voulons nous assurer que les Premières Nations peuvent bénéficier immédiatement d’un accès accru. Ainsi, James MacKenzie négociera donc un accès pratique immédiat aux pêches afin d’offrir des possibilités de pêche aux Premières Nations.

La réunion tenue à Truro entre M. MacKenzie et le chef Paul de la bande Millbrook le 23 février 2001 ne pouvait être axée sur l’accès à la pêche fondé sur les droits, car ce mandat fait partie du processus de négociation global des traités mené par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ce que M. MacKenzie tente de négocier, c’est l’accès progressif aux pêches pour les bandes. Son mandat est d’une durée de trois ans, le temps qu’aient lieu les négociations des traités à grande échelle. Je comprends que vous souhaitiez négocier les questions liées à l’accès aux ressources naturelles fondé sur les droits, mais ce processus ne fait pas partie du mandat de Pêches et Océans Canada (MPO).

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[33] En 2007, une entente-cadre appelée le « Processus néo-écossais » a été conclue. Ce processus, qui est toujours en vigueur, comprend des négociations à propos de nombreuses questions touchant les Premières Nations, dont – selon ce qui a été avancé – les droits de pêche. Le Conseil a entendu un témoignage au sujet de la préoccupation continue des Premières Nations quant à l’incidence possible de l’élargissement des possibilités de pêche sur les droits qui leur sont conférés en vertu de traités. Les contrats découlant de l’IAM, négociés entre la Couronne et Waycobah, abordent expressément ces préoccupations relatives aux droits issus de traités.

[34] Afin de réaliser l’objectif de l’IAM qui consiste à accroître l’accès des Premières Nations à la pêche, la Couronne a acheté des biens de pêche commerciale, comme des permis de pêche, des bateaux et de l’équipement, à des particuliers et à des entreprises qui se livraient déjà à des activités de pêche commerciale. Ce processus a permis de veiller au respect des cibles globales en matière de conservation des ressources halieutiques tout en fournissant aux Premières Nations telles que Waycobah l’accès à la pêche ainsi que les biens dont elles ont besoin pour s’y adonner.

[35] Dans le cadre de l’IAM, la Couronne, représentée par le MPO, a exécuté de nombreuses ententes conclues avec les Premières Nations afin de transférer les biens achetés. Par exemple, le MPO et Waycobah ont exécuté une entente sur les pêches datant du 31 juillet 2001 (pièce 1; onglet 22) afin d’améliorer l’accès à la pêche.

[36] Les clauses d’introduction, de même que l’objectif et l’intention de l’entente, démontrent que celle‑ci visait à améliorer l’accès de Waycobah aux activités de pêche et à favoriser le « renforcement de la capacité » :

ATTENDU QUE le MPO demeure résolu à fournir à la Bande l’accès aux ressources halieutiques;

ET ATTENDU QUE les parties demeurent engagées dans une relation fondée sur la compréhension et le respect mutuels et qu’elles acceptent que la présente entente constitue le prolongement d’un processus existant;

ET ATTENDU QUE les parties reconnaissent l’importance de la conservation et de la protection des ressources halieutiques;

EN CONSÉQUENCE, les parties conviennent de ce qui suit :

Objet et intention

1(1)         À la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Marshall ainsi que d’autres cas de jurisprudence et considérations, l’objectif de la présente entente est de poursuivre le processus établi par le MPO afin d’accroître l’accès de la Bande aux ressources halieutiques.

1(2)         En vertu de la présente entente, le MPO fournira à la Bande l’accès aux pêches ainsi qu’une aide en matière de renforcement de la capacité.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[37] L’entente contenait les mots « sous réserve de » à plusieurs reprises en ce qui a trait aux droits issus de traités, comme l’illustre l’article 3 :

Interprétations juridiques

3(1)         Il est prévu que la présente entente, au cours de la période où elle est en vigueur, a force exécutoire pour les parties en ce qui concerne les questions abordées dans la présente, sous réserve des positions des parties à propos des droits ancestraux ou issus de traités.

3(2)         Il est entendu que les parties conviennent que la présente entente n’a pas pour effet d’éteindre un droit ancestral ou un droit issu de traités, et ne doit pas être interprétée en ce sens.

3(3)         La présente entente n’a pas pour effet de définir les droits ancestraux ou issus de traités, et ne doit pas être interprétée comme une preuve de la nature ou de la portée de tels droits. L’entente est conclue sous réserve des positions des parties à propos des droits ancestraux ou issus de traités, ou des positions de l’une ou l’autre des parties dans toute négociation future. Il est entendu que rien dans la présente entente n’empêche une partie de prendre, dans le cadre de négociations futures, des positions qui diffèrent des modalités de l’entente.

3(4)         La présente entente ne constitue pas une entente ou un traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et ne doit pas être interprétée en ce sens.


 

3(5)         La présente entente n’a pas d’effet sur les droits ancestraux ou issus de traités de tout autre groupe autochtone et ne doit pas être interprétée en ce sens.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[38] Le MPO a fourni des ressources considérables à Waycobah dans le cadre de l’IAM. L’entente faisait référence à la pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles, ainsi qu’aux activités de pêche commerciale :

Accès aux ressources halieutiques

4(1)         Le MPO doit fournir à la Bande l’accès aux ressources halieutiques à des fins alimentaires, sociales et rituelles par l’entremise d’un permis de pêche communautaire selon les modalités et à l’égard des espèces, quantités et stocks précisés à l’annexe A.

4(2)         Le MPO doit fournir à la Bande l’accès aux ressources halieutiques à des fins commerciales selon les modalités et à l’égard des espèces, quantités et stocks précisés à l’annexe B.

4(3)         La Bande convient que, pendant la durée de la présente entente, son accès aux ressources halieutiques est limité à l’accès décrit aux annexes A et B.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[39] Aux termes de l’article 5 de l’entente, le MPO a accepté de fournir un financement pluriannuel et a confirmé que tous les biens qu’il a transférés devenaient la propriété de Waycobah :

Bateaux, équipement et renforcement de la capacité

5(1)         Afin d’aider la bande à renforcer sa capacité en matière de pêche, le MPO consent à fournir un financement pluriannuel, conformément à l’annexe C, pour les éléments suivants :

a) la facilitation de la fourniture de bateaux de pêche, comme il est décrit à l’appendice 2 de l’annexe C;

b) la construction d’un bateau de pêche multifonctionnel, comme il est décrit à l’appendice 3 de l’annexe C;

c) la construction d’un Centre de services maritimes aux pêcheurs, comme il est décrit à l’appendice 3 de l’annexe C;

d) la formation en matière de navigation et de pêche, comme il est décrit à l’appendice 3 de l’annexe C;

e) l’amélioration des installations d’amarrage situées dans la réserve, comme il est décrit à l’appendice 3 de l’annexe C;

f) un programme de recherche scientifique sur l’anguille, comme il est décrit à l’appendice 3 de l’annexe C;

g) un projet de mise en valeur de l’habitat et d’autres projets et activités, comme il est décrit à l’appendice 3 de l’annexe C.

5(2)         Tous les bateaux de pêche ou tout l’équipement fourni dans le cadre de la présente entente appartiennent à la Bande.

5(3)         La Bande est responsable de tous les coûts associés à l’entretien, à la réparation et au remplacement des bateaux de pêche, de l’équipement ou des autres biens fournis dans le cadre de la présente entente.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[40] Pendant la durée de l’IAM, Waycobah a reçu un nombre important de permis de pêche et d’autres biens.

[41] Dans un tableau intitulé « Permis communautaires de pêche commerciale » (traduction) (pièce 1; onglet 25), Waycobah a dressé la liste de ses permis. Au cours de la période 1995‑1998, avant que la CSC ne rende les décisions Marshall, Waycobah avait obtenu quatre permis de pêche auprès du MPO : deux permis pour la pêche à l’oursin, un permis pour la pêche au crabe des neiges et un autre pour la pêche à la crevette.

[42] Au cours de la période 2001‑2003, Waycobah a acquis neuf autres permis, notamment pour la pêche au homard, au crabe des neiges, aux poissons de fond et à la crevette. Dans le tableau, il est indiqué qu’il s’agit de « Permis fournis par le MPO dans le cadre de l’Initiative de l’après‑Marshall » (traduction). Le tableau porte également une note manuscrite mentionnant un permis de pêche au homard obtenu en 2011.

[43] Les permis de pêche obtenus par Waycobah ressemblent beaucoup à ceux qui sont utilisés dans l’industrie de la pêche commerciale. Par exemple, les permis de pêche commerciale ordinaires définissent les quotas, la saison et la zone de pêche. Toutefois, les permis de Waycobah ont des caractéristiques particulières, comme l’illustre le permis de pêche au homard obtenu par Waycobah en 2014 (pièce 2; onglet 37).

[44] Ce permis de pêche au homard a été délivré en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 et du paragraphe 4(1) du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93-332. Ces textes législatifs exigent que soit la bande, soit le ministre désigne les pêcheurs autochtones qui sont autorisés à pêcher le homard en vertu du permis :

Pêcheurs désignés         
Les personnes qui pêchent en vertu du présent permis doivent avoir une preuve de désignation.
Les désignations sont personnelles et incessibles.

(traduction)

[45] L’IAM a pris fin en 2007. Un document du MPO décrit l’incidence du programme (pièce 1; onglet 15) :

Le 17 septembre 2009 marque le 10e anniversaire du jugement de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Marshall, qui reconnaît aux Autochtones un droit issu des traités de paix et d’amitié signés en 1760 et 1761 de pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette pour s’assurer une « subsistance convenable ». Au cours des dix années qui ont suivi ce jugement, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a négocié des ententes sur les pêches et lancé diverses initiatives afin de permettre aux trente‑quatre Premières nations micmaques et malécites des Maritimes et de la Gaspésie au Québec de participer aux pêches commerciales.

De 2000 à 2007, par exemple, le MPO a investi près de 600 millions de dollars dans l’Initiative de l’après‑Marshall, concluant des ententes avec trente‑deux des trente‑quatre Premières nations touchées par le jugement Marshall. Cette initiative, qui a pris fin le 31 mars 2007, a fourni l’appui nécessaire pour accroître leur participation aux pêches commerciales (ce qui comprend bateaux, engins et autres équipements pour la pêche commerciale) et pour améliorer leur gouvernance interne. Elle est aussi devenue un moteur important du développement économique de ces collectivités.

Grâce à l’Initiative de l’après‑Marshall, les Premières nations micmaques et malécites profitent des avantages suivants :

         Elles détiennent environ 1 300 permis communautaires de pêche commerciale et exploitent 520 entreprises de pêche.

         Elles peuvent espérer des retombées économiques dépassant les 45 millions de dollars par année – ce qui représente une augmentation substantielle par rapport aux retombées de 2000 évaluées à 15 millions de dollars.

         Plus de 1 000 membres des Premières nations micmaques et malécites tirent un revenu de la pêche.

         Environ 2 000 membres des Premières nations ont reçu une formation ou bénéficié d’un encadrement lié à un vaste éventail de compétences pratiques de pêche, dont la sécurité en mer, les compétences de base en matelotage, les tâches de quart, d’autres tâches liées à la pêche, l’entretien des bateaux et l’hiverisation.

(c’est nous qui soulignons)

[46] Après la fin de l’IAM, en 2007, la Couronne a lancé l’Initiative des pêches commerciales intégrées de l’Atlantique (IPCIA) afin de préserver les importants investissements réalisés dans le cadre de l’IAM. Le MPO a décrit l’IPCIA et son objectif qui consiste à préserver les entreprises de pêche commerciale établies aux termes de l’IAM (pièce 1; onglet 18) :

1.1 Contexte du programme

L’Initiative des pêches commerciales intégrées de l’Atlantique (IPCIA ou l’Initiative) lancée en 2007 est un programme important de paiement de transfert du ministère des Pêches et des Océans du Canada (MPO ou le Ministère) visant à préserver l’investissement public considérable consenti dans les pêches commerciales des Premières nations micmaques et malécites (PNMM) aux termes de l’Initiative de l’après-Marshall (IAM) et à collaborer avec les PNMM pour continuer de renforcer leur capacité à gérer des entreprises de pêches commerciales dynamiques et participer à la cogestion des pêches commerciales intégrées avec les autres pêcheurs commerciaux. L’Initiative touche 34 PNMM en Nouvelle‑Écosse, au Nouveau-Brunswick, dans l’Île-du-Prince-Édouard et en Gaspésie au Québec. Le programme est conçu pour être exécuté sur cinq exercices de 2007-2008 à 2011‑2012. Son budget s’élève à 55,1 millions de dollars.

(c’est nous qui soulignons)

[47] Waycobah a participé à l’IPCIA, tout comme elle avait participé à l’IAM. L’IPCIA, entre autres, prévoyait d’importantes ressources financières destinées à soutenir les activités de pêche de Waycobah. Le TUAC a renvoyé le Conseil à différentes ententes conclues entre Waycobah et le MPO dans le cadre de l’IPCIA (pièce 2; onglets 44-49).

[48] Par exemple, selon une entente de septembre 2011 (pièce 2; onglet 44), Waycobah a reçu un financement de 119 656 $ soutenant son « entreprise de pêche commerciale (EPC) » :

1.            Objet

1.1          L’objet de cette entente est :

a) de mettre en œuvre de saines pratiques de gestion des pêches comme partie intégrante du développement d’une entreprise de pêche commerciale (EPC) prospère pour les Premières Nations de l’Atlantique en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, à l’Île-du-Prince-Édouard et dans la région de la Gaspésie au Québec;

b) d’établir les modalités par lesquelles le MPO financera le BÉNÉFICIAIRE pour l’aider à réaliser les activités.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[49] Tout comme dans les ententes liées à l’IAM, les parties ont inclus des dispositions portant sur les droits ancestraux et issus de traités :

2.            Interprétation

2.1.         Les parties conviennent que la présente entente :

a) ne définit pas de droits ancestraux ou issus de traités, n’a pas pour objet de le faire et ne constitue pas une preuve de la nature ou de la portée de droits ancestraux ou de droits issus de traités;

b) est conclue sous réserve des positions défendues par l’une ou l’autre des parties à l’égard de droits ancestraux ou issus de traités;

c) n’est pas un accord sur des revendications territoriales ou un traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

d) n’a aucun effet sur les droits ancestraux ou issus de traités de tout autre groupe autochtone.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[50] L’article 5 de l’entente définit le montant de la contribution financière du MPO :

5.            Montant de la contribution

5.1          Le BÉNÉFICIAIRE fera office d’administrateur de la contribution.

5.2          Le MPO versera au BÉNÉFICIAIRE la somme maximale de CENT DIX-NEUF MILLE SIX CENT CINQUANTE-SIX dollars (119 656 $), à condition que ces fonds soient utilisés conformément aux modalités de la présente entente.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[51] Les autres ententes conclues entre Waycobah et le MPO dans le cadre de l’IPCIA, qui se trouvent à la pièce 2; onglets 45-49, indiquent d’autres contributions financières qui sont versées les années suivantes : i) 95 130 $ ii) 19 905 $ iii) 215 271 $; iv) 14 400 $ et v) 50 000 $.

5. Ententes conclues par Waycobah avec d’autres entités de pêche commerciale

[52] Le TUAC a souligné que Waycobah pouvait confier à des sous-traitants les quotas prévus à ses permis de pêche. Le PDG de Waycobah, M. Hurst, a expliqué que cela arrivait parfois, quand Waycobah n’avait pas l’expertise requise pour exploiter certains des permis elle‑même.

[53] Les comptes rendus des réunions du chef et du conseil de bande (pièce 3; onglets 54‑56) contiennent plusieurs exemples de situations où des permis de pêche ont été confiés à des sous‑traitants. Entre autres, en 2012, Waycobah a conclu une entente avec une tierce partie afin « d’exploiter le permis de pêche à la civelle » (traduction). La tierce partie a accepté d’embaucher de quatre à dix membres de la bande pour aider à la tâche. Le 20 mars 2014, le conseil de bande a approuvé la négociation d’une entente semblable, mais partielle, portant sur la pêche à la civelle.

[54] En 2014, Waycobah a adopté une résolution et a conclu une entente (l’entente Premium) avec Premium Seafoods (Premium). Premium a loué un des bateaux de Waycobah, le M/V Pielaw, et a aidé à pêcher les trois quotas de crabe des neiges de Waycobah (pièce 5; onglet 19). Un bateau n’est pas limité à l’exploitation d’un seul permis.

[55] L’entente Premium contenait une disposition prévoyant jusqu’à quatre possibilités d’emploi pour les pêcheurs autochtones de Waycobah. Ceux‑ci demeuraient des employés de Waycobah, même si Premium leur versait leur salaire. L’équipage devait être composé de pêcheurs de Waycobah et de pêcheurs non autochtones.

[56] Premium a également accepté de collaborer avec Waycobah en ce qui concerne sa politique de dépistage des drogues (article 35).

[57] Premium fournissait le capitaine du bateau affrété. Premium est assujettie à la législation provinciale. Les pêcheurs sont exclus de certaines dispositions des normes d’emploi provinciales en raison de leur horaire de travail irrégulier.

6. Stratégie de développement des activités de pêche commerciale de Waycobah (pièce 7; onglet 1)

[58] Dans les copies de travail de son Plan stratégique d’activités et de développement pour 2014‑2015, Waycobah décrit ses projets à l’égard de ses activités de pêche :

Waycobah First Nation s’est lancée dans un programme ambitieux visant à élargir sa base économique. Nous prévoyons une expansion importante de nos entreprises des secteurs de la pêche, du tourisme et des services dans la région du Cap‑Breton au cours des prochaines années. Notre plan d’action se fonde sur le renforcement de la capacité dans la communauté et le développement des compétences par l’entremise de programmes de formation, de formation en cours d’emploi et de partenariats avec d’autres entreprises appartenant à ces secteurs. Jusqu’à maintenant, ce plan a porté ses fruits : nous avons créé plus de 70 emplois pour notre communauté.

(page 3; traduction; c’est nous qui soulignons)

[59] L’un des objectifs poursuivis par rapport aux activités de pêche était la création d’emplois et le perfectionnement des personnes :

(2) Activités de pêche commerciale

À l’heure actuelle, Waycobah First Nation est près de maximiser ses possibilités de pêche avec un accès aux pêches commerciales les plus lucratives, soit le crabe des neiges et la crevette. Il y a des exceptions à cela, ainsi que des défis à relever afin de maximiser nos autres activités de pêche. Il nous faut également élargir l’accès aux autres pêches. Waycobah First Nation a choisi un juste milieu en matière de développement des activités de pêche en mettant à la fois l’accent sur le profit, la création d’emplois et le perfectionnement des personnes. Comme on peut le voir dans notre énoncé de vision (ci‑joint), nous sommes déterminés à assurer le perfectionnement de nos membres et le développement de notre potentiel de revenu. Pour cette raison, et parce que la plupart des pêches les plus lucratives sont entièrement exploitées et assorties de niveaux d’investissement initiaux dissuasifs, Waycobah aimerait se concentrer sur un certain nombre d’activités de pêche à petite échelle au cours des prochaines années, car celles‑ci peuvent constituer une bonne occasion de formation et de perfectionnement pour nos pêcheurs tout en contribuant à l’élargissement de la base économique de la communauté.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

III. Questions

[60] Le Conseil doit trancher trois questions découlant des faits constitutionnels ci-dessus :

a) Est-ce que les activités de pêche constituent une entreprise fédérale?

b) Subsidiairement, les activités de pêche sont-elles une partie vitale, essentielle ou intégrante de l'entreprise fédérale de Waycobah?

c) Subsidiairement encore, les activités de pêche sont-elles assujetties au Code en vertu des droits issus de traités?

IV. Position des parties

[61] Les parties ont fourni des arguments finaux utiles, ainsi que des arguments supplémentaires au printemps 2015. Leurs points de vue divergent quant à l’application du « critère fonctionnel » bien connu, comme il en sera question plus loin. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le critère fonctionnel devrait être appliqué à Waycobah en tant que telle ou à ses activités de pêche.

A. Le TUAC

[62] Le TUAC a demandé instamment au Conseil de conclure qu’il avait compétence pour trois raisons distinctes : i) les activités de pêche de Waycobah font partie de l’entreprise fédérale de la bande; ii) subsidiairement, les activités de pêche constituent une partie vitale, essentielle ou intégrante de l’entreprise fédérale de la bande; iii) les activités de pêche sont menées en vertu de droits ancestraux et issus de traités.

[63] L’argument principal du TUAC est qu’il n’existe aucune distinction entre Waycobah et l’exploitation des activités de pêche. Celles‑ci sont entièrement intégrées aux activités courantes de Waycobah; il ne s’agit pas d’une exploitation dissociable. Le TUAC a demandé instamment au Conseil d’examiner Waycobah en tant qu’entreprise active, plutôt que de disséquer chacune de ses activités. De l’avis du TUAC, les activités de pêche de Waycobah sont assujetties à l’article 69 de la Loi sur les Indiens, qui porte sur le droit de la bande de dépenser « l’argent de son compte de revenu ».

[64] Le TUAC souligne que, même si le Conseil examinait les activités de pêche en tant qu’entité distincte, les revenus tirés de ces activités, qui sont le résultat de programmes fédéraux précis conçus pour aider les Premières Nations sur le plan économique, permettent à Waycobah d’exercer ses fonctions de gouvernance essentielles dans la réserve.

[65] Dans les arguments supplémentaires qu’il a présentés en avril 2015, le TUAC a répété que, pour trancher la question de la compétence, le Conseil doit appliquer le critère fonctionnel à Waycobah dans son ensemble. Selon le TUAC, il serait erroné de se concentrer uniquement sur une activité ou sur un département interne.

[66] Puisqu’un conseil de bande est une entreprise fédérale, le TUAC a plutôt fait valoir que tous les employés qui travaillent directement pour Waycobah sont assujettis à la compétence fédérale. Il en est ainsi, car Waycobah exerce les droits qui lui sont conférés par la Loi sur les Indiens quand elle traite avec ses employés, qu’ils soient pêcheurs ou employés administratifs.

[67] C’est ce lien d’emploi direct entre Waycobah et les pêcheurs – une réalité qui n’était pas présente dans les autres affaires récentes dans lesquelles était analysée la portée de la compétence fédérale sur les relations du travail des Premières Nations (voir ci‑après) – qui fait la particularité de la situation actuelle.

[68] Le TUAC a rappelé au Conseil que les activités de pêche ne constituaient pas une entité distincte de Waycobah; elles sont plutôt entièrement intégrées à celle‑ci de plusieurs façons : i) Waycobah est propriétaire des bateaux et des permis de pêche; ii) le département des finances de Waycobah gère les assurances et le budget relatifs aux activités de pêche; iii) les revenus tirés de la pêche sont utilisés pour le logement et les programmes sociaux de Waycobah; iv) le bureau des activités de pêche est situé dans l’édifice principal de la bande; v) le chef et le conseil de bande sont, en dernier ressort, responsables de toutes les principales décisions touchant les activités de pêche, dont le choix des membres de la bande qui seront embauchés et désignés pour des postes.

B. Waycobah

[69] Waycobah a souligné que la Trade Union Act, R.S., c. 475, s. 1 de la Nouvelle‑Écosse régit les conditions de travail des pêcheurs dans cette province. Les pêcheurs de Waycobah ne se livrent à aucune activité de gouvernance quand ils travaillent en dehors de la réserve, dans les régions côtières où les divers permis leur donnent le droit de pêcher.

[70] Waycobah estime que c’est l’activité de pêche qui doit être au cœur de toute analyse juridique, plutôt que le fait qu’un membre de la bande pourrait y prendre part ou en retirer des avantages.

[71] Waycobah a insisté sur le fait que la pêche n’a pas lieu sur la réserve. Par ailleurs, les pêcheurs autochtones travaillent avec des pêcheurs non autochtones sur les mêmes bateaux. Le système d’octroi de permis, à quelques exceptions près, est identique pour les pêcheurs de Waycobah et les pêcheurs commerciaux non autochtones. Par exemple, un permis vise un type de poisson et un quota précis, que le pêcheur soit autochtone ou non.  

[72] Waycobah est d’avis que l’entité à laquelle le Conseil doit appliquer le critère fonctionnel est celle qui constitue les activités de pêche, non pas la bande dans son ensemble. Le fait que Waycobah se livre à une activité ne signifie pas nécessairement que cette activité relève de la compétence fédérale. Qui plus est, Waycobah a fait valoir que la pêche commerciale ne fait pas partie intégrante des fonctions de gouvernance de la bande.  

[73] Waycobah a laissé entendre que le chef et le conseil de bande ne gèrent pas les activités de pêche. Bien que ceux‑ci jouent manifestement un certain rôle à cet égard, c’est l’équipe de gestion administrative de la bande qui gère les activités de pêche de même que les autres activités commerciales. Le PDG a souligné que, bien qu’il garde le chef et le conseil de bande au courant des derniers événements relatifs aux activités de pêche, ceux‑ci adoptent généralement une approche de non‑intervention et approuvent presque toujours ses recommandations.

[74] À cet égard, Waycobah a rappelé au Conseil qu’une entreprise fédérale peut se livrer à plus d’une activité. Par conséquent, les activités de pêche, qui n’ont pas de lien avec la fonction de gouvernance de la bande, demeurent assujetties à la compétence provinciale.

[75] Waycobah a fait référence aux articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens pour décrire la portée de son entreprise fédérale. Ces articles ne mentionnent pas la pêche hors réserve ni les autres entreprises commerciales. Inversement, les services de police dans la réserve, qui sont directement mentionnés dans la Loi sur les Indiens, feraient partie de la fonction de gouvernance de Waycobah.

[76] Waycobah soutient que les activités de pêche ne sont pas une partie vitale, essentielle ou intégrante de la bande. Waycobah existait avant de se livrer à la pêche commerciale, et elle continuerait d’exister même si elle cessait complètement ses activités de pêche commerciale.  

[77] Waycobah a également soutenu que le TUAC n’avait pas démontré que ses activités de pêche étaient fondées sur les droits issus de traités. Les divers programmes de la Couronne visaient à donner accès à la pêche commerciale, qui est très différente de la pêche fondée sur les droits issus de traités, laquelle vise à assurer une subsistance convenable.

[78] Waycobah a fait observer que les Premières Nations et la Couronne ont accepté que leurs diverses ententes en matière de pêche soient signées sous réserve de tout droit issu de traités.  

[79] Dans ses arguments supplémentaires présentés en avril 2015, Waycobah a avancé que ce qui constitue essentiellement des activités de pêche commerciale ne peut relever de la compétence du Conseil. Elle a souligné que les pêcheurs, qui regroupent des Autochtones et des non‑Autochtones, se livrent à des activités de pêche commerciale entièrement hors de la réserve et des terres indiennes. Les activités de pêche en tant que telles sont assujetties aux mêmes lois et requièrent le même équipement que toute autre activité de pêche commerciale. Les activités de pêche de Waycobah constituent une entreprise à but lucratif et sont souvent réalisées en partenariat avec d’autres entreprises de pêche commerciale non autochtones.  

V.  Analyse et décision

A. Les dispositions législatives

[80] Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict., c. 3, donne au Parlement compétence à l’égard de certaines questions touchant les Premières Nations du Canada :  

Il sera loisible à la Reine, de l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l’autorité législative exclusive du parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

...

24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.

[81] L’article 4 du Code limite la compétence du Conseil en matière de relations du travail aux employés exerçant leurs fonctions dans le cadre d’une entreprise fédérale :

4. La présente partie s’applique aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu’à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux-ci.

[82] L’alinéa 2i) du Code prévoit explicitement la compétence du Parlement à l’égard des questions qui ne relèvent pas de la compétence des provinces, ce qui comprend la compétence à l’égard des Premières Nations :  

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« entreprises fédérales » Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

...

(i) les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité ne ressortissant pas au pouvoir législatif exclusif des législatures provinciales …

B. Les principes de droit constitutionnel applicables

[83] L’arrêt de la CSC dans NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45, [2010] 2 R.C.S. 696 (NIL/TU,O), a conduit à de nombreuses décisions de tribunaux et de cours qui ont eu à déterminer si les relations de travail de Premières Nations sont régies par le droit fédéral ou le droit provincial.

[84] Personne ne conteste qu’il existe une présomption selon laquelle les relations du travail relèvent de la compétence provinciale; la compétence fédérale constitue l’exception : NIL/TU,O, paragraphe 6.

[85] Dans NIL/TU,O, il est également confirmé que le même critère constitutionnel, qui prévoit l’application d’abord du « critère fonctionnel », puis, au besoin, du « critère de l’atteinte au contenu essentiel », s’applique peu importe que l’affaire concerne les Premières Nations ou non :   

[3] Au cours des quatre‑vingt‑cinq dernières années, notre Cour a constamment retenu et appliqué un critère juridique distinct pour déterminer si les relations de travail relèvent de la compétence fédérale. Ce cadre juridique, exposé de la manière la plus complète dans Northern Telecom Ltd. c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115 et Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d’Amérique, [1980] 1 R.C.S. 1031, et appliqué plus récemment dans Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, 2009 CSC 53, [2009] 3 R.C.S. 407, est employé peu importe le chef de compétence fédéral visé dans le cadre d’une affaire donnée. Ce critère requiert l’examen de la nature, des activités habituelles et de l’exploitation quotidienne de l’entité en question afin de déterminer s’il s’agit d’une entreprise fédérale. Cet examen est appelé le « critère fonctionnel ». C’est uniquement si ce critère ne s’avère pas concluant pour déterminer si une entreprise donnée est« fédérale » que la Cour vérifiera ensuite si la réglementation, par la province, des relations de travail de cette entité porte atteinte au« contenu essentiel » du chef de compétence fédérale.

(c’est nous qui soulignons)

[86] Dans de nombreux cas, c’est l’application du critère fonctionnel qui est au cœur du problème. Ce n’est que rarement qu’il a été nécessaire d’examiner le critère de l’atteinte au contenu essentiel. En l’espèce, le Conseil doit‑il se concentrer sur Waycobah ou sur ses activités de pêche?

[87] Les diverses décisions clés où la CSC a examiné les principes juridiques applicables ne portaient pas sur une bande qui était l’employeur réel et qui était responsable de l’activité en question sur le plan juridique.   

[88] Dans NIL/TU,O, par exemple, une bande des Premières Nations n’était pas le véritable employeur; une société constituée en Alberta exerçait l’activité.

[89] Dans Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d’Amérique et autre, [1980] 1 R.C.S. 1031 (Four B), quatre Autochtones exploitaient une entreprise sur une réserve. La CSC a décrit les faits constitutionnels sous‑jacents et a souligné que le conseil de bande n’était pas propriétaire de l’entreprise en question et ne gérait pas celle‑ci :

Four B a été constituée en vertu des lois de l’Ontario pour exploiter une manufacture de souliers sur la réserve indienne Tyendinaga no 38, une réserve mise de côté pour la bande indienne désignée sous le nom de Mohawks de la Baie de Quinte. Toutes les actions émises de Four B sont détenues par les quatres frères Brant, qui sont tous membres de la bande.

L’affaire ou l’exploitation de Four B consiste uniquement à coudre à contrat l’empeigne d’un soulier manufacturé par Bata Shoe Company, le Bata North Star Jogger.

Four B n’est en aucune façon la propriété du conseil de bande, qui ne participe pas à ses profits. À l’origine, il avait été envisagé que la bande soit propriétaire et exploitant de l’usine, mais la majorité de la bande a voté contre ce projet, pour des raisons fiscales semble-t-il; c’est alors que les frères Brant ont décidé d’en devenir propriétaires et de l’exploiter en simples particuliers, initialement sous la raison sociale Tyendinaga Mohawk Limited. Cependant, comme le conseil de bande était d’avis que l’utilisation de ce nom n’était pas dans le meilleur intérêt de la réserve, il a été changé pour le nom actuel.

Four B occupe des locaux sur la réserve conformément à un permis de trois ans renouvelable et délivré par Sa Majesté la Reine du chef du Canada avec le consentement du conseil de bande. Le permis, qui ne crée aucun droit sur le bien-fonds et peut être annulé à la discrétion du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien prévoit notamment :

[TRADUTION] Que le titulaire embauche de préférence des gens de l’endroit pour travailler dans la zone autorisée; cependant, s’il n’y a pas suffisamment de demandes de la part des gens de l’endroit, le titulaire est autorisé à demander l’aide du Centre de main-d’œuvre du Canada afin d’embaucher de personnel des districts environnants.

Four B a reçu du gouvernement du Canada un total de $284,000 dont $51,000 à titre de subvention et le solde à titre de prêt. Ces fonds ont été avancés conformément aux programmes du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, conçus pour favoriser la coopération entre les hommes d’affaires Indiens et non-Indiens afin d’aider les Indiens à créer et à promouvoir des entreprises viables et afin de créer des emplois pour les Indiens sur les réserves et ailleurs.

(pages 1044-1045; c’est nous qui soulignons)

[90] La CSC a expliqué pourquoi ces faits constitutionnels ne suffisaient pas pour soustraire les relations du travail de Four B à la compétence provinciale :

Rien dans l’affaire ou l’exploitation de Four B ne pourrait permettre de la considérer comme une affaire de compétence fédérale: la couture d’empeignes sur des souliers de sport est une activité industrielle ordinaire qui relève nettement du pouvoir législatif provincial sur les relations de travail. Ni la propriété de l’entreprise par des actionnaires indiens, ni l’embauchage par cette entreprise d’une majorité d’employés indiens, ni l’exploitation de cette entreprise sur une réserve indienne en vertu d’un permis fédéral, ni le prêt ou les subventions du fédéral, pris séparément ou ensemble, ne peuvent avoir d’effet sur la nature de l’exploitation de cette entreprise. Donc, compte tenu du critère fonctionnel et traditionnel, The Labour Relations Act s’applique aux faits de l’espèce et la Commission a compétence.

(page 1046; c’est nous qui soulignons)

[91] Bien que ni NIL/TU,O ni Four B ne concernent une bande qui agit à titre d’employeur afin d’exercer une activité donnée, des situations ressemblant davantage à la présente affaire ont été examinées dans d’autres décisions. Ces décisions, dont celles de la Cour d’appel fédérale (CAF) et de la Cour fédérale du Canada, fournissent une orientation quant à la portée de la compétence des tribunaux fédéraux à l’égard des Premières Nations.

[92] Dans Francis c. Conseil canadien des relations du travail, [1981] 1 C.F. 225 (Francis) (infirmée par la CSC pour un autre motif dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et autres, [1982] 2 R.C.S. 72), la CAF s’est penchée sur la question de savoir si le prédécesseur du Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), pouvait accréditer l’Alliance de la fonction publique du Canada (l’Alliance) pour représenter une unité de négociation constituée des employés d’une bande.

[93] Au paragraphe 20 de la décision, la CAF a fait observer que les services fournis par les employés étaient tous liés à « l’administration de la bande » :  

[20] D’après les pouvoirs que confère à la bande et à son conseil la Loi sur les Indiens, tel que nous venons de le voir, et d’après la preuve qui a été faite de l’exercice de ces pouvoirs par la bande et son conseil, je suis convaincu que l’unité d’employés en question participe directement à des activités étroitement reliées au statut d’Indien. A la page 1048 de ses motifs dans l’arrêt Four B précité, le juge Beetz donne des exemples des catégories de droits qui devraient être considérés comme des accessoires indissociables du statut d’Indien. Il mentionne la possibilité d’être enregistré, la qualité de membre d’une bande, le droit de participer à l’élection des chefs et des conseils de bande et les privilèges relatifs à la réserve. A mon avis, ces exemples se rapportent directement à l’administration de la bande, compte tenu des pouvoirs conférés à la bande et au conseil en vertu de la Loi et, d’après moi, relèvent de la même catégorie que les pouvoirs exercés par la présente bande et son conseil comme nous l’avons vu plus haut. Toutefois, sur le plan des faits, l’arrêt Four B (précité) est tout à fait différent de la présente affaire. Dans l’arrêt Four B, quatre Indiens de la réserve exploitaient une entreprise commerciale dans une réserve indienne. Le statut et les droits de l’unité d’employés en tant qu’Indiens et en tant que membres de la bande n’étaient aucunement touchés. En l’espèce, il est impossible de dissocier les employés de l’unité en cause du droit d’élire les conseils et les chefs, du droit de posséder des terres dans les réserves, du droit pour les Indiens de la réserve à ce que leurs enfants soient instruits dans des écoles se trouvant dans la réserve, du droit au bien-être lorsque les circonstances le justifient, du droit d’habiter dans un foyer pour personnes âgées, pourvu de remplir les conditions requises, etc. Dans son ensemble, l’administration de la bande se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Je suis donc fermement convaincu que les relations de travail en l’espèce font « partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens », établissant ainsi la compétence législative fédérale en vertu des dispositions du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R-U) [S.R.C. 1970, Appendice II, no 5].

(c’est nous qui soulignons)

[94]  La CAF a souligné que l’exercice, par la bande, de ses fonctions de gouvernance faisait de celle‑ci une entreprise fédérale pour l’application de ce qui est maintenant l’article 4 du Code.

[95] Cependant, la CAF a conclu que la bande n’était pas un employeur au sens du Code et, donc, que l’Alliance ne pouvait pas être accréditée. La CSC a plus tard infirmé cette conclusion, et a confirmé que la bande était un employeur et pouvait donc faire l’objet d’une ordonnance d’accréditation du CCRT.

[96] Dans Saskatchewan Indian Gaming Authority Inc. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, 2000 SKQB 176 (CanLII) (SIGA), confirmée par la Cour d’appel de la Saskatchewan (Saskatchewan Indian Gaming Authority Inc. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, 2000 SKCA 138), la Cour s’est demandé si la Commission des relations de travail de la Saskatchewan avait accrédité avec raison une unité d’employés travaillant pour la Saskatchewan Indian Gaming Authority inc. (SIGA). La Cour a conclu que les activités liées au jeu, qui étaient exercées par une société distincte sans but lucratif, ne relevaient pas de la compétence fédérale.

[97]  Dans SIGA, la Cour a examiné la décision Four B, dans laquelle la CSC avait conclu qu’une entreprise appartenant à des Autochtones qui exerce ses activités sur une réserve relevait tout de même de la compétence provinciale. La Cour a aussi tenu compte de la décision rendue par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans Whitebear Band Council v. Carpenters Provincial Council of Saskatchewan (1988), 135 D.L.R. (3d) (Sask. CA) (Whitebear), dans laquelle elle concluait que les charpentiers embauchés par la bande afin de travailler sur un projet d’habitation sur la réserve relevaient de la compétence fédérale.

[98] Dans SIGA, la Cour a décrit comment, dans la décision Whitebear, le raisonnement de la CAF dans Francis avait été adopté comme fondement de la conclusion selon laquelle la construction d’habitations sur la réserve ne pouvait pas être séparée de la fonction de gouvernement local d’un conseil de bande :

[48] S’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale, le juge Cameron a conclu que « le pouvoir général de régir les relations du travail d’un conseil de bande et de ses employés qui se livrent aux activités mentionnées dans la Loi sur les Indiens fait partie intégrante de la compétence fédérale principale », au titre du paragraphe 91(24) (à 138; c’est nous qui soulignons.) Il a par ailleurs fait valoir que l’activité particulière que constitue la construction de maisons ne peut être séparée de la fonction générale de gouvernement local dont le conseil de bande est investi. Ces passages du jugement sont instructifs :  

Comme je l’ai observé, la principale fonction d’un conseil de bande indienne consiste à fournir une forme d’autonomie gouvernementale aux Indiens sur les réserves indiennes. En promulguant des règlements en vertu du pouvoir qui lui est conféré à cet égard, et en exerçant sa fonction générale de gouvernement local, un conseil de bande indienne fait ce que le Parlement est exclusivement habilité à faire aux termes du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, le Parlement, par l’entremise de la Loi sur les Indiens, lui ayant délégué ce pouvoir. En ce sens, la fonction d’un conseil de bande indienne est en grande partie une fonction fédérale. Il en va de même, à mon avis, pour ses fonctions connexes : agir à la fois en tant qu’organe représentatif des habitants de la réserve et en tant qu’agent du ministre à l’égard des programmes fédéraux destinés aux réserves et à leurs résidents, et participer à la prise de certaines décisions du ministre relativement à la réserve. Par conséquent, et compte tenu des dispositions de la Loi sur les Indiens auxquelles j’ai fait référence, ainsi que de l’origine, de la nature, de l’objet et de la fonction d’un conseil de bande indienne, je suis convaincu que le pouvoir général de régir les relations du travail d’un conseil de bande, ainsi que de ses employés qui se livrent aux activités prévues dans la Loi sur les Indiens, fait partie intégrante de la compétence fédérale principale en ce qui a trait aux « Indiens et [aux] terres réservées pour les Indiens », aux termes du paragraphe 91(24). ... [p. 138]

...

Selon moi, l’activité particulière réalisée par le Conseil de bande Whitebear et ses menuisiers — la construction de maisons dans la réserve conformément à l’accord « de contribution unique » — ne peut être séparée de l’activité du conseil de bande dans son ensemble et isolée, ni se voir attribuer une nature différente de celle dont elle fait partie, à savoir la fonction générale du conseil de bande. Cela équivaudrait à aller à l’encontre des principes de détermination cités dans Montcalm, précitée [Construction Montcalm inc. c. Com. Sal. Min., 1978 CanLII 18 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 754 à 769], et à prendre en considération des exceptions ou des facteurs occasionnels, au lieu des activités professionnelles normales ou habituelles de l’employeur en tant qu’« entreprise active », afin d’éviter que la Constitution cesse de s’appliquer, tel que l’a expliqué le juge Beetz dans Montcalm. Par conséquent, je suis convaincu que la construction de résidences dans la réserve, dans les circonstances, s’inscrit dans l’exploitation générale du conseil de bande et ne peut être retirée de ses activités normales et considérée comme une activité industrielle ordinaire dans la province et tomber dans un champ de compétence provincial. [p. 139]

(traduction; c’est nous qui soulignons; italiques dans l’original)

[99] Dans SIGA, la Cour, dans ce qui semble être une remarque incidente, s’est demandé si une bande qui exploite un casino directement serait assujettie à la compétence fédérale. La Cour a conclu que l’exploitation d’un casino par une bande était fondamentalement différente de la construction d’habitations pour ses membres dans la réserve, étant donné qu’une entreprise de jeu ne relève d’aucun pouvoir particulier conféré par la Loi sur les Indiens ni d’un autre pouvoir délégué :

[60] Quelle serait alors la situation d’une telle entreprise, si elle était exploitée par un conseil de bande?

[61] Pour que les choses soient claires, j’estime que l’exploitation d’une telle entreprise ne répondrait pas aux critères de la décision Whitebear Band Council, car, de toute manière, le conseil de bande n’est habilité à exploiter une telle entreprise en vertu ni de la Loi sur les Indiens ni d’aucun autre pouvoir délégué. Selon moi, le conseil de bande ne ferait pas non plus ce que, dans les mots du juge Cameron, « le Parlement est exclusivement habilité à faire aux termes du paragraphe 91(24) ».

[62] Le requérant a fait valoir que le raisonnement de Whitebear Band Council s’appliquait à toutes les activités des conseils de bande, puisque la Cour a déclaré que la construction d’habitations par le conseil de bande ne peut être dissociée de l’administration générale de la bande. Pour déterminer la nature de l’exploitation ou du service, la Cour a cité le principe tiré de Montcalm, précité, selon lequel il faut tenir compte des activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu'« entreprise active », sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière.

[63] Le requérant s’appuie sur ces remarques pour avancer que la Cour ne devrait pas établir de distinction entre l’exploitation d’un casino, par l’entremise de la SIGA, et le pouvoir général des conseils de bande relativement à l’administration municipale des bandes des Premières Nations de la Saskatchewan. Le commentaire suivant, que le juge Pigeon a formulé au nom de la majorité dans Conseil canadien des relations du travail c. Yellowknife, 1977 CanLII 230 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 729, une autre décision citée dans Whitebear Band Council, est important dans l’analyse de cet argument :

...on doit se rappeler qu’il est bien établi que la compétence en matière de travail relève du pouvoir législatif sur l’exploitation et non sur la personne de l’employeur. Dans Canadian Pacific Railway v. Corporation of the Parish of Notre-Dame de Bonsecours [[1899] A.C. 367] (à la page 372), lord Watson a dit:

[TRADUCTION] ... selon leurs Seigneuries, le Parlement du Canada a le droit exclusif de prescrire des règlements pour la construction, les réparations et les modifications des chemins de fer et pour leur gestion et pour réglementer la constitution et les pouvoirs de la compagnie.

Conformément à ce critère de la répartition de la compétence législative, on a jugé que les employés d’hôtels relevaient de la compétence provinciale, même dans le cas d’hôtels appartenant à une compagnie fédérale de chemins de fer: Le Canadien Pacifique c. Le Procureur général de la Colombie-Britannique et Le Procureur général du Canada [1950] A.C. 122]; Le Conseil canadien des relations du travail c. La Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada [[1975] 1 R.C.S. 786.].

[64] Ainsi, bien que le juge Cameron ait souligné, dans la décision Whitebear Band Council, qu’il ne serait pas approprié d’établir des distinctions subtiles entre les diverses activités réalisées par un conseil de bande dans l’exercice du pouvoir fédéral qui lui est conféré d’administrer les affaires municipales de la bande, ce principe ne va pas jusqu’à exclure toute distinction entre les activités auxquelles un conseil de bande pourrait se livrer, même indirectement. Bien que les conseils de bande participent indirectement à l’exploitation de la SIGA, et que les bandes indiennes retirent manifestement des avantages économiques des casinos – notamment la création d’emplois pour leurs membres –, ces facteurs ne permettent pas, à mon avis, d’établir une distinction entre l’exploitation d’un casino par un conseil de bande et l’exploitation d’un hôtel par une compagnie de chemin de fer fédérale – situation qui, selon la conclusion tirée dans Empress Hotel, précitée, relève de la compétence provinciale.

[65] Je souligne encore une fois que, dans ce contexte, le casino dont il est question en l’espèce est exploité comme une entreprise commerciale afin de divertir un large éventail de personnes, non pas seulement les membres Premières Nations, et n’est pas expressément destiné à ceux‑ci, et qu’en général, les casinos relèvent de la compétence provinciale.

[66] En définitive, je conclus que l’affaire dont je suis saisi diffère de la situation présentée à la Cour dans Whitebear Band Council et répond aux critères établis dans Four B Manufacturing. Peu importe la façon dont est décrit le rôle joué par les conseils de bande en ce qui concerne la propriété et l’exploitation de la SIGA, il est impossible de conclure que les casinos sont exploités en vertu d’un pouvoir conféré aux conseils de bande par la Loi sur les Indiens. Il est évident que le pouvoir conféré à la SIGA d’exploiter le casino Northern Lights ne découle pas du pouvoir législatif fédéral. Ce pouvoir est plutôt établi par des ententes conclues entre la province de la Saskatchewan et la FSIN et par la législation provinciale décrite précédemment.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[100] Dans Munsee, la Cour fédérale a confirmé que la décision Francis était toujours valide pour ce qui est du principe selon lequel la compétence fédérale s’appliquait aux employés dont le travail touchait directement la gouvernance de la bande. Toujours dans Munsee, la Cour a infirmé la décision d’un arbitre qui avait conclu qu’il n’avait pas compétence sur un employé d’une bande qui travaillait dans les bureaux d’administration de la bande.

[101] Dans Munsee, le juge LeBlanc a établi une distinction entre la situation des employés dans NIL/TU,O et celle d’une personne employée directement par une bande pour participer à l’administration des affaires internes de celle‑ci :

[40] Empruntant les mots employés par madame la juge Abella dans l’arrêt NIL/TU,O, je ne crois pas que l’on puisse dire, dans la présente affaire, que l’employeur est une agence « qui est réglementée à tous égards par la province », que sa fonction est « incontestablement provinciale » et que Mme Flewelling exerçait « des pouvoirs délégués de compétence exclusivement provinciale » conférés par une loi provinciale. En l’espèce, l’employeur est un conseil de bande auquel s’applique la Loi sur les Indiens, et Mme Flewelling s’occupait de l’administration générale des affaires de la bande, notamment du logement dans la réserve, ainsi que des affaires concernant les terres de la réserve indienne. Ses activités ont été décrites ainsi par l’arbitre :

[traduction]

La plaignante travaillait au service des finances de l’employeur, dans les bureaux de la Nation. Étant la seule employée de ce service, elle accomplissait toutes les tâches habituelles liées à la comptabilité. Elle tenait les registres financiers de l’employeur, notamment les comptes fournisseurs, les comptes clients, le livre de paie, les dépôts bancaires et les états de rapprochement bancaire.

(Non souligné dans l’original.)

[41] Selon la preuve produite à la Cour, le salaire de Mme Flewelling était payé à même les deniers fédéraux reçus par la Nation; des deniers qui représentaient la majeure partie du financement de la Nation.

[42] Selon l’arrêt Francis, les affaires ou activités d’un conseil de bande sont celles d’un gouvernement local qui tient son pouvoir de la Loi sur les Indiens et des règlements applicables. Les fonctions ainsi exercées sont considérées comme une « responsabilité globale de la nature d’un gouvernement local » (Francis, le juge Le Dain, au paragraphe 27). Il exerce ses fonctions de gouvernance en recrutant des employés des services administratifs. Madame Flewelling comptait parmi ces employés.

(c’est nous qui soulignons)

[102] Par ailleurs, toujours dans Munsee, la Cour a confirmé que l’administration d’une bande des Premières Nations était une entreprise fédérale :

[45] Je ne suis pas disposé à dire que l’arrêt Francis a été renversé par l’arrêt NIL/TU,O. L’absence de tout examen de ce facteur capital justifie à mon avis l’annulation de la décision de l’arbitre. Autrement dit, compte tenu de l’arrêt Francis, le critère fonctionnel permet d’affirmer que l’administration de la bande de la Nation est une entreprise fédérale au sens du Code.

(c’est nous qui soulignons)

[103] Dans Nation crie de Fox Lake c. Anderson, 2013 CF 1276 (Fox Lake), la Cour fédérale a conclu que le « Bureau de négociation » de la bande, une unité distincte qui ne faisait pas partie de l’administration et de la gouvernance générales de la bande, relevait de la compétence provinciale.

[104] Dans Fox Lake, le juge Zinn a décrit les faits entourant l’établissement, par une bande, d’un « Bureau de négociation » chargé de négocier en son nom :  

[3] Vers l’an 2000, la NCFL a créé un bureau près de Winnipeg, au Manitoba, afin de mener des négociations contractuelles en son nom avec Hydro-Manitoba (Hydro) concernant d’importants projets hydroélectriques sur les réseaux hydrographiques de la rivière Churchill, du fleuve Nelson et de la rivière Rat‑Burntwood ainsi que l’aménagement du système de régulation des niveaux d’eau du lac Winnipeg, au nord du 53e parallèle. On appelait ce bureau le Keeyask Project Negotiations Office (le Bureau de négociation ou le Bureau), et, lors de sa création, il était considéré comme étant un bureau consultatif « interne ». Il n’a pas été constitué en entité juridique distincte. Avant la création du Bureau de négociation, la NCFL avait eu recours à un cabinet de consultants externe pour négocier en son nom avec Hydro.

(c’est nous qui soulignons)

[105] Dans Fox Lake, le litige portait sur la question de savoir si un employé congédié par le Bureau de négociation pouvait déposer une plainte de congédiement injustifié en vertu de la partie III du Code.

[106] La Cour a conclu qu’il fallait axer l’analyse de la compétence sur les activités du Bureau de négociation en tant que tel afin d’établir si celui‑ci constituait une entreprise fédérale :  

[20] Par conséquent, pour savoir si l’emploi de M. Anderson est de compétence fédérale ou provinciale, il faut préciser si les activités du Bureau de négociation peuvent être dûment qualifiées d’entreprises fédérales au sens de l’article 2 du Code. Si tel est le cas, la présomption de compétence provinciale exclusive sur ses relations de travail est écartée.

(c’est nous qui soulignons)

[107] La Cour a rejeté l’argument selon lequel le critère devait être appliqué à la bande de Fox Lake dans son ensemble :

[25] Contrairement à l’argumentation du procureur général, la bonne façon d’aborder la question de la compétence n’est pas d’étudier les activités de la NCFL dans leur ensemble, mais plutôt, comme le disait Me Graham, [traduction] « d’examiner le fonctionnement et les activités habituelles de la bande de la NCFL visées par la contestation en matière de compétence, nommément les fonctions et les activités habituelles du Bureau de négociation ». La raison de cela est qu’un même employeur peut être réglementé en partie par le fédéral et en partie par la province : NIL/TU,O, au paragraphe 22; Tessier Ltée c Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23 (CanLII), [2012] 2 RCS 3, au paragraphe 49 (Tessier).  

(c’est nous qui soulignons)

[108] La Cour a conclu que les activités du Bureau de négociation relevaient de la compétence de la province :

[32] Vues sous un éclairage adéquat, les activités habituelles du Bureau de négociation sont de négocier avec Hydro, société de l’État provincial établie et régie par une loi provinciale, concernant l’aménagement de nouveaux projets hydroélectrique en général, projets entièrement situés dans la province. Hormis le fait que la NCFL est une bande indienne et que certaines des dispositions négociées prennent en considération les effets néfastes que ces projets auront sur les membres de la bande, le travail du Bureau de négociation ne comporte aucun aspect fédéral. En outre, la Cour suprême du Canada, dans NIL/TU,O, au paragraphe 45, a clairement précisé que la « communauté visée par les activités de [l’entité] ne change pas ce qu’elle fait » [souligné dans l’original] et que le fait que « les services de [l’entité] visent à répondre à des besoins précis sur le plan culturel » ne supplante pas, en soi, la nature provinciale de cette entité.  

[33] Le procureur général du Manitoba soutient que, si l’employeur est une bande indienne, l’employé devrait relever de la réglementation fédérale, sauf si l’employé s’occupe d’une activité qui est vraiment distincte et séparée de la bande. Cette observation fait fi des directives expresses de la Cour suprême du Canada dans NIL/TU,O, à savoir que le critère fonctionnel vise particulièrement à examiner les activités habituelles de l’entité visée, et non à déterminer qui fournit les services ou en bénéficie. De plus, l’analyse ne change pas simplement parce que le paragraphe 91(24) est en cause. La Cour suprême a statué ceci au paragraphe 20 de NIL/TU,O : « En principe, rien ne justifie que la compétence relative aux relations de travail d’une entité soit abordée différemment lorsque le par. 91(24) est en cause. La nature fondamentale de l’examen est – et devrait être – la même que pour les autres chefs de compétence. » Le fait qu’en l’espèce, l’employeur soit une bande indienne n’est pas pertinent en ce qui a trait aux critères fonctionnels. Cet argument fait également abstraction de la présomption que les relations de travail sont de compétence provinciale.

(c’est nous qui soulignons)

[109] Les principes juridiques applicables découlant de l’examen jurisprudentiel qui précède peuvent être résumés ainsi :

      i)        La détermination de la compétence à l’égard des relations du travail de toute entité, y compris dans les affaires touchant les Premières Nations, passe par le même critère en deux volets : i) le critère fonctionnel et, si nécessaire, ii) le critère de l’atteinte au contenu essentiel (NIL/TU,O);     

     ii)        Les activités de gouvernance d’une bande constituent une entreprise fédérale; le Code s’applique aux employés d’une bande qui réalisent des tâches associées à cette entreprise fédérale (Francis; Munsee; White Bear);

    iii)        Dans les affaires concernant une bande des Premières Nations, le critère fonctionnel s’applique à l’activité en tant que telle plutôt qu’à l’ensemble des activités du conseil de bande (Fox Lake);      

 

    iv)        Ce ne sont pas toutes les activités auxquelles se livre directement une bande qui constituent une entreprise fédérale; le Bureau de négociation d’une bande ne mène pas d’activités qui sont nettement assujetties à la compétence fédérale et qui pourraient donc renverser la présomption selon laquelle les relations du travail relèvent de la compétence provinciale (Fox Lake);

 

     v)        Un casino, même s’il est exploité directement par une bande, est assujetti à la compétence provinciale, étant donné que cette activité en particulier ne relève d’aucun pouvoir délégué en vertu de la Loi sur les Indiens (SIGA).

C. Décision

[110] Le TUAC a présenté trois motifs subsidiaires pour lesquels le Conseil aurait compétence pour accréditer l’unité de négociation demandée, constituée de pêcheurs. Les arguments du TUAC sont bien présentés, mais le Conseil a malgré tout conclu que les principes constitutionnels actuels l’obligent à conclure qu’il n’a pas compétence.  

1.  Est-ce que les activités de pêche constituent une entreprise fédérale?

[111] Le Conseil a conclu que le critère fonctionnel exige qu’il se concentre sur les activités de pêche pour décider si la compétence provinciale ou la compétence fédérale s’applique aux relations du travail en l’espèce.  

[112] Waycobah est manifestement l’employeur dans cette affaire. Cet élément différencie les faits en l’espèce de ceux décrits dans les décisions NIL/TU,O et Four B.

[113] Dans les décisions Francis et Munsee, il a été conclu qu’un conseil de bande était une entreprise fédérale. Il a par ailleurs été souligné que les employés qui travaillent directement pour le conseil de bande et qui fournissent des services directement liés à l’administration générale et à la gouvernance centrale de la bande sont assujettis à la compétence fédérale.  

[114] Dans Fox Lake (Bureau de négociation) et, dans une certaine mesure, SIGA (casino), une autre distinction a été faite : toutes les activités auxquelles se livre directement une bande ne relèvent pas nécessairement de la compétence fédérale. L’analyse appropriée doit tenir compte de la question de savoir si l’activité en question découle des obligations qui incombent à une bande au titre de la Loi sur les Indiens ou d’un autre pouvoir délégué.

[115] En l’espèce, les pêcheurs que le TUAC souhaite représenter se livrent à des activités de pêche commerciale en dehors de la réserve. Rien ne démontre que les pêcheurs aident Waycobah à exercer ses fonctions générales d’administration ou de gouvernance.

[116] Les témoignages contenaient peu de détails à propos de la pêche à la civelle. Les civelles se trouvent dans l’océan, mais migrent vers des ruisseaux d’eau douce. Le Conseil n’a reçu aucun élément de preuve selon lequel des activités de pêche à la civelle se déroulent dans la réserve de Waycobah. Le PDG de Waycobah a déclaré que seulement deux employés travaillent dans la réserve et qu’ils exercent des fonctions administratives. Par conséquent, la présente affaire porte exclusivement sur la pêche commerciale en dehors de la réserve.

[117] Le Conseil accepte que les activités des pêcheurs peuvent procurer des avantages économiques à Waycobah, tout comme les sommes obtenues en confiant l’exploitation des permis et des bateaux de pêche à des sous‑traitants. Waycobah serait en mesure d’utiliser ces fonds additionnels à des fins sociales utiles dans la réserve.

[118] Toutefois, le fait qu’une activité commerciale, comme des activités de pêche, un casino, une station-service ou un magasin général, puisse procurer à la bande des ressources additionnelles qui lui permettent d’améliorer la vie de ses membres n’est pas concluant par rapport à l’analyse du critère fonctionnel.

[119] Le Conseil doit plutôt examiner la nature opérationnelle, les activités habituelles et l’exploitation quotidienne des activités de pêche de Waycobah afin d’établir s’il s’agit ou non d’une entreprise fédérale. En l’espèce, cette analyse montre que les activités de pêche habituelles consistent à pêcher commercialement en dehors de la réserve, essentiellement de la même manière que toute entreprise de pêche commerciale.  

[120] En examinant les activités de pêche de ce point de vue, le Conseil n’a pu identifier aucun lien entre celles‑ci et les fonctions de gouvernance de Waycobah. Cela permet d’établir une distinction entre les faits en l’espèce et ceux de la décision Munsee, dans laquelle le travail de l’employé était directement lié à l’administration de la bande.

[121] La situation pourrait être différente pour les activités clairement décrites aux articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens. Cependant, la Loi sur les Indiens ne fait aucune mention d’activités de pêche commerciale en dehors de la réserve ou d’autres activités à but lucratif comparables, comme l’exploitation d’un casino. La seule mention de la pêche à l’article 81 de la Loi sur les Indiens se limite aux activités « dans la réserve » : 

81.(1) Le conseil d’une bande peut prendre des règlements administratifs, non incompatibles avec la présente loi ou avec un règlement pris par le gouverneur en conseil ou par le ministre, pour l’une ou l’ensemble des fins suivantes :

o) la conservation, la protection et la régie des animaux à fourrure, du poisson et du gibier de toute sorte dans la réserve;

(c’est nous qui soulignons)

[122] Par ailleurs, le TUAC n’a pas convaincu le Conseil que, d’une manière ou d’une autre, l’article 69 de la Loi sur les Indiens assujettissait à la compétence fédérale toutes les activités pour lesquelles une bande pourrait dépenser l’argent de son compte de revenu :  

69.(1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, permettre à une bande de contrôler, administrer et dépenser la totalité ou une partie de l’argent de son compte de revenu; il peut aussi modifier ou révoquer un tel décret.

[123] Si un tel décret existait, et que la dépense subséquente « d’argent du compte de revenu » établissait la compétence fédérale, alors toutes les activités commerciales qui font l’objet d’un soutien financier fédéral seraient assujetties au Code. Cette conclusion éliminerait pour ainsi dire la nécessité d’appliquer le critère fonctionnel.

[124] Après avoir appliqué le critère fonctionnel, le Conseil conclut que les activités de pêche ne constituent pas une entreprise fédérale.

2. Subsidiairement, les activités de pêche sont-elles une partie vitale, essentielle ou intégrante à l’entreprise fédérale de Waycobah?

[125] Subsidiairement, le TUAC a avancé que, selon l’analyse de la compétence dérivée, le Conseil avait compétence pour rendre l’ordonnance d’accréditation demandée.

[126] Dans Tessier Ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23, [2012] 2 R.C.S. 3 (Tessier), la CSC a résumé l’analyse concernant la compétence dérivée :

[18] S’agissant de la compétence fédérale directe en matière de travail, on détermine si la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage, du commerce ou de l’entreprise le fait tomber dans un champ de compétence fédérale, tandis que dans le cas de la compétence dérivée, on détermine si cette nature est telle que l’ouvrage fait partie intégrante d’une entreprise fédérale. Dans les deux cas, l’attribution de la compétence en matière de relations de travail nécessite l’établissement de la nature fonctionnelle essentielle de l’ouvrage.

(c’est nous qui soulignons)

[127] Au paragraphe 49 de l’arrêt Tessier, la CSC a cité deux de ses arrêts sources, soit Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada et autres, [1980] 1 R.C.S. 115 (Northern Telecom no1); Northern Telecom Canada Limitée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733 (Northern Telecom no2). Elle a expliqué pourquoi elle avait conclu, au terme de son analyse de la compétence dérivée, que les installateurs de Northern Telecom jouaient un rôle vital et essentiel dans l’entreprise de télécommunications de Bell Canada :

[49] Deuxièmement, la Cour a reconnu qu’il pourrait pareillement être justifié d’appliquer la réglementation fédérale lorsque les services fournis à l’entreprise fédérale sont exécutés par des employés appartenant à une unité fonctionnelle particulière qui peut se distinguer structuralement sur le plan constitutionnel du reste de l’entreprise connexe. Dans Northern Telecom 2, par exemple, les installateurs formaient un groupe opérationnellement indépendant du reste de Telecom. La Cour a donc pu considérer que la nature opérationnelle essentielle du service d’installation en faisait une entité distincte, comme l’a indiqué le juge Dickson :  

… les installateurs sont assez distincts, pour ce qui est de leurs fonctions, du reste des opérations de Telecom. … Ils ne travaillent jamais dans les locaux de Telecom; ils travaillent dans les locaux de leurs clients. Quant à Bell Canada, l’installation se fait principalement dans ses locaux mêmes et non chez ses clients. … Les installateurs n’ont aucun contact véritable avec les autres opérations de Telecom. Les opérations principales de fabrication de Telecom tombent, de l’aveu des parties, sous la compétence provinciale, mais il n’y a absolument rien d’artificiel à conclure que les installateurs de Telecom relèvent d’une compétence constitutionnelle différente. [p. 770-771]

(Voir aussi Ontario Hydro, où seules les personnes travaillant dans le cadre des installations de production d’énergie nucléaire étaient assujetties à la réglementation fédérale; Johnston Terminals and Storage Ltd. c. Association des employés du port de Vancouver, section locale 517, [1981] 2 C.F. 686 (C.A.), et Actton Transport Ltd. c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 272, 5 B.C.L.R. (5th) 1, où le travail de certains employés pouvait être séparé de l’entreprise générale de l’employeur et relevait, par conséquent, d’une compétence différente en matière de travail.)

(c’est nous qui soulignons)

[128] Dans Syndicat des agents de sécurité Garda, section CPI-CSN c. Corporation de sécurité Garda Canada, 2011 CAF 302, la CAF a récemment décrit le critère de la compétence dérivée :

[38] Je me propose donc dans un premier temps d’examiner l’exploitation fédérale en cause, pour ensuite examiner les services fournis par Garda, afin de finalement parvenir à une conclusion sur l’existence ou non d’un lien « fondamental », « essentiel » ou « vital » entre l’exploitation de l’entreprise fédérale en cause et ces services.

[129] Dans Raytheon Canada limitée, 2015 CCRI 789 (Raytheon 789), le Conseil a effectué une analyse de la compétence dérivée et a conclu que les activités distinctes que constituent « l’entretien, la garde et le contrôle » du Système d’alerte du Nord (NWS) du Canada par un entrepreneur relevaient de la compétence fédérale.

a. L’entreprise fédérale

[130] Les parties ne contestent pas que Waycobah est une entreprise fédérale. Dans les décisions Munsee et Francis, il a été confirmé que l’administration d’une bande des Premières Nations constitue une entreprise fédérale.

b. Quel service les activités de pêche fournissent-elles à l’entreprise fédérale?

[131] Certains des importants biens que le MPO a donnés à Waycobah au titre de l’IAM et de l’IPCIA sont exploités dans le cadre des activités de pêche. Les pêcheurs autochtones n’exploitent pas ces biens seuls; ils travaillent avec des pêcheurs non autochtones à bord des mêmes bateaux. L’exploitation de certains biens associés aux activités de pêche est confiée en sous‑traitance à des entreprises de pêche commerciale, ce qui procure des fonds additionnels à Waycobah et plus de possibilités d’emploi à ceux qui vivent dans la réserve.   

c. Les services découlant des activités de pêche sont-ils une partie vitale, essentielle ou intégrante de l’entreprise fédérale de Waycobah?   

[132] Le Conseil ne peut pas conclure que les services de l’exploitation des activités de pêche sont une partie vitale ou essentielle de l’entreprise fédérale de Waycobah de la manière qu’exige l’analyse de la compétence dérivée.

[133] Il est certain que Waycobah retire des avantages économiques des revenus que rapportent les activités de pêche. Ces revenus permettent à Waycobah d’offrir des services additionnels à ses membres qui vivent dans la réserve.

[134] Toutefois, si le seul fait de contribuer aux revenus de la bande était suffisant pour que les activités de pêche satisfassent au critère de la compétence dérivée, alors le Conseil devrait accepter d’exercer sa compétence à l’égard de toute entité commerciale exploitée par une bande des Premières Nations. Cette conclusion serait contraire à la jurisprudence établie selon laquelle ce type d’activités commerciales n’est pas lié aux responsabilités d’une bande en matière de gouvernance.

[135] Pour l’essentiel, une bande, comme toute autre entreprise fédérale, peut exploiter des entreprises fédérales et provinciales, selon l’activité en question. Cependant, les activités purement commerciales, même si elles tirent leur origine d’un financement fédéral considérable, ne sont pas assujetties à la compétence fédérale du simple fait qu’elles sont exercées par une bande des Premières Nations ou au profit de celle‑ci.  

[136] Le Conseil n’est pas convaincu que les activités de pêche commerciale de Waycobah sont suffisamment vitales et essentielles pour satisfaire au critère de la compétence dérivée. Les éléments de preuve ne tendent pas à démontrer que Waycobah ne pourrait fonctionner sans le soutien continu des activités de pêche.

[137] En revanche, dans Northern Telecom no 2, Bell Canada n’aurait pas pu exploiter son entreprise de télécommunication sans le travail continu des installateurs de Telecom. De manière semblable, dans Raytheon 789, les Forces canadiennes n’auraient pas pu surveiller les intrusions dans l’espace aérien du Canada sans que l’entrepreneur s’acquitte de son obligation d’assurer le bon fonctionnement de l’infrastructure radar du NWS.  

3. Également à titre subsidiaire, les activités de pêche de Waycobah sont-elles assujetties au Code en vertu de droits issus d’un traité?

[138] Le Conseil a décidé de rejeter le troisième argument subsidiaire du TUAC, car il n’est étayé par aucun élément de preuve. Bien que les activités de pêche fondées sur les droits puissent constituer une entreprise fédérale, le Conseil ne dispose d’aucun élément de preuve qui le convaincrait que la présente affaire concerne ce genre d’activité de pêche.

[139] Premièrement, dans le cadre de l’IAM et de l’IPCIA, la Couronne et les Premières Nations participantes ont convenu que l’important transfert de biens utilisés pour établir des activités de pêche commerciale se ferait sous réserve de tout droit issu de traités. Malgré son nom, l’IAM visait à aider les bandes des Premières Nations à développer des activités de pêche commerciale plutôt que des activités de pêche fondées sur les droits. La demande d’accréditation du TUAC vise à représenter les employés qui participent à ces activités de pêche commerciale.

[140] Deuxièmement, les activités de pêche en question, loin d’être des activités qui permettraient aux membres de la bande de s’assurer une « subsistance convenable », sont de nature purement commerciale. Pour des raisons liées à la conservation, le MPO n’a pas simplement délivré de nouveaux permis de pêche aux bandes des Premières Nations; il a plutôt acheté de la capacité au secteur de la pêche commerciale et a transféré celle‑ci aux bandes des Premières Nations participantes. 

[141] Les bandes participantes ont utilisé les biens reçus afin de créer des emplois pour leurs membres. Ils ont également confié à des entreprises de pêche commerciale, en sous‑traitance, l’exploitation des permis et des bateaux de pêche en échange de revenus additionnels.

[142] Enfin, il semble que les négociations liées aux traités se poursuivent en Nouvelle‑Écosse à propos de nombreuses questions, dont la pêche.  

[143] Pour ces motifs, le Conseil est convaincu que les activités de pêche de Waycobah ne constituent pas des activités de pêche fondées sur des droits issus de traités et ne relèvent donc pas de sa compétence.

VI. Conclusion

[144] Le TUAC a présenté une demande d’accréditation visant une unité de négociation constituée de pêcheurs qui travaillent pour Waycobah. Waycobah a contesté la compétence du Conseil d’accréditer cette unité de négociation.

[145] Le Conseil a conclu que les activités de pêche de Waycobah, même si elles sont exercées directement par la bande et par ses propres employés, relèvent de la compétence provinciale.  

[146] C’est la nature fonctionnelle essentielle des activités de pêche qui détermine la compétence du Conseil.

[147] Les activités de pêche commerciale hauturière, n’étant pas liées à l’entreprise fédérale exploitée par Waycobah en vertu de la Loi sur les Indiens, demeurent assujetties à la législation provinciale en matière de relations du travail.  

[148] Par conséquent, le Conseil doit rejeter la demande d’accréditation du TUAC.

[149] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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