Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Eugène Murwanashyaka,

plaignant,

et

Syndicat des employées et employés professionnels(les) et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ

intimé,

et

Banque Laurentienne du Canada,

employeur.

Dossier du Conseil : 30320-C

Référence neutre : 2015 CCRI 791

Le 25 septembre 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de MM. André Lecavalier et Norman Rivard, Membres.

Représentants des parties au dossier

M. Eugène Murwanashyaka, en son propre nom;

Me Pierrick Choinière-Lapointe, pour le Syndicat des employées et employés professionnels(les) et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ;

Me Guillaume Pelletier, pour la Banque Laurentienne du Canada.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher la plainte sans tenir d’audience.

I. Nature de la plainte

[1] Le 31 janvier 2014, M. Eugène Murwanashyaka a déposé une plainte auprès du Conseil, dans laquelle il allègue que son syndicat, le Syndicat des employées et employés professionnels(les) et de bureau, section locale 434, SEPB-CTC-FTQ (SEPB), a manqué au devoir de représentation juste (DRJ) auquel il est tenu en vertu de l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] M. Murwanashyaka a occupé à deux reprises des postes temporaires au sein de la Banque Laurentienne du Canada (Banque).

[3] En février 2014, M. Murwanashyaka a déposé une autre plainte, cette fois-ci contre la Banque, auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). À cause de cette deuxième plainte, M. Murwanashyaka a demandé au Conseil de mettre sa plainte de manquement au DRJ en suspens. M. Murwanashyaka voulait se concentrer sur des séances de médiation devant la CCDP.

[4] Le Conseil a accepté de mettre le dossier de M. Murwanashyaka en suspens le 25 avril 2014, le 30 décembre 2014 et encore le 26 mars 2015. Toutefois, le 6 avril 2015, la Banque a demandé au Conseil de constater qu’un règlement global était intervenu avec l’aide de la CCDP selon lequel, entre autres choses, M. Murwanashyaka acceptait de se désister de sa plainte devant le Conseil.

[5] M. Murwanashyaka prétend que la Banque n’a pas respecté ses obligations en vertu du règlement global.

[6] Le Conseil a donné l’occasion aux parties de présenter leurs observations écrites, avec documents à l’appui, à propos du prétendu règlement.

[7] Après avoir examiné les observations écrites ainsi que la documentation à l’appui, le Conseil a décidé de rejeter la plainte de M. Murwanashyaka pour les motifs qui suivent.

II. Faits

[8] Dans sa plainte, M. Murwanashyaka conteste la représentation fournie par le SEPB.

[9] Par contre, la présente décision du Conseil ne concerne que l’existence ou non d’un règlement de sa plainte de manquement au DRJ.

[10] Le 6 avril 2015, la Banque a pris la position que la plainte de M. Murwanashyaka devant le Conseil avait été réglée dans le cadre d’un règlement global négocié avec l’aide de la CCDP.

[11] Le 29 mai 2015, par l’entremise de sa décision dans Murwanashyaka, 2015 CCRI LD 3422, le Conseil a demandé aux parties de lui présenter leurs observations écrites, y compris une copie des documents pertinents, à propos du règlement :

Me Pelletier, représentant la Banque Laurentienne du Canada, prétend que M. Murwanashyaka, dans le cadre d’une médiation avec la Commission canadienne des droits de la personne (Commission), a accepté un règlement qui prévoyait, entre autres choses, le désistement de sa plainte devant le Conseil.

Le Conseil aura besoin de précisions afin de décider si la plainte de M. Murwanashyaka dont il est saisi a bien été réglée.

Par conséquent, le Conseil demande aux parties de lui présenter leurs observations écrites, y compris la documentation pertinente à l’appui, sur l’allégation que M. Murwanashyaka a accepté de se désister de sa plainte devant le Conseil dans le cadre d’un règlement global négocié avec l’aide de la Commission.

 (page 2)

[12] Dans ses observations écrites en date du 11 juin 2015, la Banque a produit un document intitulé « Transaction et quittance » (TQ) daté du mois d’août 2014. La TQ contenait plusieurs dispositions, notamment les suivantes :

CONSIDÉRANT QUE le Plaignant a déposé des plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne (dossier no : 2014 0323) et auprès du Conseil canadien des relations industrielles (dossier no : 30320-C);

CONSIDÉRANT QUE les Parties ont accepté de participer à une médiation offerte par la Commission canadienne des droits de la personne;

CONSIDÉRANT QUE les Parties désirent régler à l’amiable l’ensemble des litiges les concernant, directement et indirectement;

LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT, SANS ADMISSION OU RECONNAISSANCE DU BIEN-FONDÉ DES PRÉTENTIONS DE L’AUTRE PARTIE :

1. Le préambule fait partie intégrante des présentes;

2. La Mise en cause s’engage à transmettre au Plaignant une lettre de confirmation et de références d’ordre général, laquelle sera entièrement à la discrétion de la Mise en cause en ce qui concerne les termes qui y seront contenus;

3. En considération des prétentions du Plaignant à l’effet qu’il a été victime de discrimination de la part des représentants de la Mise en cause et qu’il a de ce fait subi des préjudices moraux et encouru des dépenses non spécifiées au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Mise en cause, sans admettre le bien-fondé des prétentions du Plaignant, consent à lui verser une somme de… à titre d’indemnisation pour préjudice moral et dommages-intérêts pour la douleur et les souffrances découlant de la blessure psychologique subie par le Plaignant, et ce, au sens, notamment, de l’article 54(4) i du Règlement de l’Ontario 134/98, étant également entendu entre les Parties que ce montant n’est pas remis en contrepartie d’un travail accompli et qu’il n’est pas le résultat d’un emploi et qu’ainsi, ce montant ne doit pas faire l’objet d’une répartition de la rémunération suivant les dispositions des articles 35 et 36 du Règlement de l’assurance emploi;

7. Le Plaignant s’engage à retirer ses plaintes, dans les dix (10) jours suivant le versement par la Mise en cause du montant prévu au paragraphe 3, le tout par écrit avec copie à la Mise en cause, qu’il a logées devant la Commission canadienne des droits de la personne (dossier no : 2014 0323) et du Conseil canadien des relations industrielles (dossier no : 30320‑C). Le Plaignant accepte d’informer la Division des services de règlement lorsque les plaintes auront été retirées;

8. La Mise en cause s’engage, dans un délai de dix (10) jours de la signature par les parties de la présente, à sensibiliser le comité social du 555 Chabanel à ce que la participation des employé(e)s aux activités organisées par ledit comité soit de nature volontaire plutôt qu’obligatoire et les intervenants et responsables du comité et des activités au fait qu’ils devraient tenir compte des diversités chez le personnel pouvant participer auxdites activités;

10. En considération du respect des engagements souscrits par la Mise en cause, le Plaignant donne, par les présentes, à la Mise en cause et au Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 434, à leurs filiales, à leurs employés, préposés, dirigeants, agents, administrateurs et mandataires, quittance complète finale et définitive de toute action, cause d’action, réclamation, plainte, grief ou demande passée, présente ou future devant tout tribunal judiciaire, quasi judiciaire ou administratif, en raison de son emploi ou de la cessation de son emploi auprès de la Mise en cause;

13. Le Plaignant reconnaît avoir participé au règlement des plaintes volontairement, sans menace ni contrainte, et comprend entièrement les conditions auxquelles il a donné son accord. Le Plaignant a eu tout le temps voulu pour consulter les autorités gouvernementales appropriées au préalable ainsi que pour obtenir des conseils juridiques et/ou financiers au sujet de ses plaintes et des conditions du règlement.

(caractères gras ajoutés)

[13] La Banque a fourni avec ses observations écrites des éléments de preuve démontrant qu’elle avait rempli ses obligations en vertu de la TQ; par exemple, la Banque a transmis à M. Murwanashyaka une lettre de confirmation et de références d’ordre général (paragraphe 2 de la TQ) et elle lui a aussi versé la somme d’argent exigée (paragraphe 3 de la TQ).

[14] Malgré l’envoi de la lettre de références et du chèque, la Banque soutient que M. Murwanashyaka a refusé de respecter son obligation de retirer ses deux plaintes, l’une devant la CCDP et l’autre devant le Conseil.

[15] Dans ses observations écrites en date du 30 juin 2015, M. Murwanashyaka n’a pas contesté le fait qu’il a signé la TQ le 27 août 2014. Toutefois, il allègue que la Banque n’a pas respecté son obligation en vertu de la clause 8 de la TQ :

A l’annexe 6 des observations initiales de la BLC, le représentant a fournie juste un simple message qu’il a rédigé lui-même qui reproduit le contenu de la clause 8 de l’entente sans toutes fois présenter une réelle preuve d’exécution. En l’espèce, le représentant de la BLC a déclaré dans sa défense déposée au CCRI dans sa lettre datée du 4 avril 2014, que la croyance en Dieu du plaignant par rapport aux activités de Halloween et autres « n’est qu’une simple question de perception », ce qui montre un manque de considération et du respect des droits de croyance des chrétiens qui sont à l’emploi de la BLC. Dans les circonstances, une preuve convenable serait par exemple un mémo de service, des directives ou autres documents rédigés par une personne responsable à l’attention de tous les employés. Pour retrouver l’information facilement dans le dossier au CCRI, veuillez vous référer à la table des matières cumulative jointe à l’Annexe 2 de la présente.

(sic)

(page 2)

[16] La Banque, dans sa réplique en date du 29 juillet 2015, a contesté les prétentions de M. Murwanashyaka et surtout le fait qu’il n’a jamais auparavant soulevé son argument à propos d’un prétendu non-respect de la clause 8 de la TQ :

D’emblée, nous vous soumettons que monsieur Murwanashyaka, dans le cadre de sa réponse datée du 30 juin 2015, n’a absolument rien soulevé qui permettrait de statuer qu’il n’y a pas eu transaction et quittance en l’espèce. Au contraire, au deuxième paragraphe de la page 2 de sa réplique, il reconnait lui-même qu’une entente a été signée de sa part.

Au surplus, nous réitérons que la Banque a exécuté en entier ses obligations prévues à cette même transaction. Quant à la prétention du plaignant à l’effet que la clause 8 n’aurait pas été exécutée par la Banque, nous vous soumettons qu’elle ne correspond aucunement à la vérité. Tel que démontré dans notre lettre du 11 juin dernier, cette obligation a bel et bien été exécutée. Il est à noter qu’en aucun temps il a été convenu que cette obligation devait s’exécuter d’une certaine façon plutôt qu’une autre. Jamais monsieur Murwanashyaka a exigé ou même mentionné quoi que ce soit pendant les négociations de l’entente quant au moyen d’exécution de cette obligation. La Banque avait donc toute la liberté quant au moyen d’exécuter cette obligation. Nous vous référons à notre lettre du 11 juin 2015 quant au moyen choisi pour l’exécution de la clause 8 de la transaction et quittance, exécution qui a eu lieu.

D’ailleurs, ce n’est qu’en date du 30 juin 2015 que le soussigné à été informé de la position de monsieur Murwanashyaka quant à l’exécution de la clause 8 de la transaction. Ce fait est plutôt surprenant. Le délai entre la signature par ce dernier de l’entente, soit le 3 août 2014, et la transmission de sa position concernant la clause 8 de l’entente, soit le 30 juin 2015, nous laisse plus que perplexe quant à la position du plaignant sur ce point.

De surcroît, nous vous rappelons que la CCDP a reconnu la transaction et quittance tel que démontré dans notre lettre du 11 juin dernier. Conclure qu’il n’y a pas eu transaction irait à l’encontre du principe de la cohérence décisionnelle dans son sens large.

(sic)

(pages 2 et 3; caractères gras ajoutés)

III. Analyse et décision

[17] L’alinéa 16p) donne au Conseil le pouvoir de trancher toute question qui peut se poser à l’occasion de la procédure :

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

p) trancher, dans le cadre de la présente partie, toute question qui peut se poser à l’occasion de la procédure, et notamment déterminer...

(caractères gras ajoutés)

[18] Ce pouvoir de décider « toute question » inclut la nécessité de déterminer si une partie a accepté de se désister d’une plainte devant le Conseil dans le cadre d’un règlement global négocié avec l’aide d’un autre tribunal administratif.

[19] Le Code prévoit à l’alinéa 16l.1) qu’une plainte devant le Conseil pourrait être réglée « par tout autre mode de règlement ».

16. Le Conseil peut, dans le cadre de toute affaire dont il connaît :

l.1) reporter à plus tard sa décision sur une question, lorsqu’il estime qu’elle pourrait être réglée par arbitrage ou par tout autre mode de règlement.

(caractères gras ajoutés)

[20] Le Conseil a mis la plainte de M. Murwanashyaka en suspens exactement parce qu’il était possible que les séances de médiation devant la CCDP aient comme résultat le règlement des différends entre les parties.

[21] Dans Maritime-Ontario Freight Lines Limited et autres (1989), 78 di 219 (CCRT n° 762) (Maritime-Ontario), le Conseil canadien des relations du travail, le prédécesseur du Conseil, a noté que les litiges à propos d’un prétendu non-respect d’un règlement ne sont pas instruits par le Conseil, mais qu’ils peuvent être tranchés par un tribunal civil, au besoin :

Ce qui importe, pour les besoins de notre décision, c’est que M. Pomeroy a conclu l’accord du 22 juillet 1988 en toute connaissance de cause et sur les conseils de son avocat. Il est lié par cet accord et, par conséquent, il peut à son tour réclamer les sommes qui doivent être portées à son crédit. Il existe peut-être un litige en ce qui concerne les sommes exigibles aux termes de l’accord en question, mais ce litige pourra être résolu par le tribunal ou à partir des comptes rendus comptables, et il n’en compromet en rien la validité.

(page 221)

[22] Ce serait un abus de droit qu’une partie puisse tirer les bénéfices d’un règlement, y compris le paiement d’une somme d’argent, et à la fois refuser de respecter ses propres engagements. Le Conseil ne peut être complice d’une telle stratégie.

[23] M. Murwanashyaka admet qu’il a signé la TQ avec la Banque. Il a obtenu de la Banque, entre autres choses, le paiement d’une somme d’argent. Il a de plus donné quittance finale à la Banque ainsi qu’au SEPB.

[24] M. Murwanashyaka a accepté de régler sa plainte devant le Conseil dans le cadre de la TQ négociée avec l’aide de la CCDP. Avant sa réponse datée du 30 juin 2015, M. Murwanashyaka n’avait jamais indiqué à la Banque sa position à propos d’un prétendu non-respect de la clause 8 de la TQ. M. Murwanashyaka a fait part de cette nouvelle position environ 10 mois après avoir accepté les bénéfices de la TQ.

[25] Le Conseil est convaincu que M. Murwanashyaka et la Banque ont conclu un règlement global selon lequel M. Murwanashyaka se désisterait de sa plainte de manquement au DRJ contre le SEPB. Le SEPB ne s’est jamais opposé à l’application de la TQ à cette plainte. Le refus de M. Murwanashyaka de respecter ses engagements en vertu de la TQ n’empêche aucunement le Conseil d’exercer son pouvoir de rejeter sa plainte.

[26] Si M. Murwanashyaka maintient son allégation selon laquelle la Banque n’a pas respecté ses obligations en vertu de la TQ, le Conseil estime, tel qu’il a été décrit ci‑dessus dans Maritime-Ontario, précitée, qu’il n’est pas l’instance appropriée pour examiner ce genre d’allégation.

[27] Pour ces motifs, le Conseil rejette la plainte de M. Murwanashyaka.

[28] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

 

 

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Graham J. Clarke

Vice-président

 

____________________

André Lecavalier

Membre

 

 

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Norman Rivard

Membre

 

 

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