Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Patrick Provencher,

plaignant,

et

Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (maintenant connu sous le nom Unifor),

intimé,

et

Bell Solutions Techniques inc.,

employeur.

Dossier du Conseil : 30808-C

Référence neutre : 2015 CCRI 787

Le 10 août 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (Conseil), composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, et de M. Daniel Charbonneau et Me Robert Monette, Membres, a étudié la plainte mentionnée ci-dessus.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre la présente décision sans tenir d’audience.

Représentants des parties au dossier

M. Patrick Provencher, en son propre nom;

M. John Caluori, pour le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (maintenant connu sous le nom Unifor);

Mme Annie Gazaille, pour Bell Solutions Techniques inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Nature de la Plainte

[1] Le 6 décembre 2014, le Conseil a reçu de M. Patrick Provencher, un employé de Bell Solutions Techniques inc. (BST), une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ), dans laquelle il allègue que son syndicat, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (maintenant connu sous le nom Unifor) (Unifor), a enfreint l’article 37 du Code :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[2] M. Provencher allègue qu’Unifor a manqué au DRJ auquel il est tenu en vertu du Code lorsqu’il ne l’a pas représenté dans le cadre de sa plainte de harcèlement déposée devant la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST). M. Provencher soutient qu’Unifor a cessé de le représenter après qu’il eut obtenu des renseignements d’un syndicat concurrent.

[3] Pour sa part, Unifor a déposé auprès du Conseil un résumé des interventions qu’il a effectuées dans le but d’aider M. Provencher.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil a décidé de rejeter la plainte de M. Provencher.

II. Analyse et Décision

[5] M. Provencher a présenté son « résumé chronologique » des faits pertinents à la page 6 de sa plainte :

le 30 aout 2014 j'ai fait une demande de CSST pour harcèlement moral au travail. Mon syndicat ma dit c est dur a prouver. Ma question etait mon medecin marrete pour ca et je me vais suivre par ma psycologue

Je m ai suis senti pas du tout epauler donc j ai fait mes recherche sur internet sur d autre syndicat pour en savoir plus sur le sujet

j ai donc fait par que j étais très insatisfait depuis 6 ans

quand je suis revenu au travail le 17 novembre 2014 le syndicat a su que j ai été m informé

depuis se temps il me repondre par couriel seulement Mais mon délégué en santé sécurité me parle plus

(sic)

[6] Dans une lettre datée du 9 décembre 2014, le Conseil a demandé à M. Provencher de lui fournir des renseignements supplémentaires :

Afin de donner suite à votre plainte, l’information additionnelle suivante est nécessaire afin de procéder au traitement de ce dossier, soit :

a) Les articles de la convention collective qui n’ont pas été respectés par l’employeur;

b) Une indication de la date à laquelle vous avez eu connaissance pour la première fois des circonstances ayant donné lieu à votre plainte;

c) Des précisions relativement à vos allégations contre le syndicat, soit une description de la conduite arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans l’exercice des droits reconnus par la convention collective, le cas échéant;

d) Des informations relatives à la demande de dépôt de grief fait à votre syndicat ainsi que l’état d’avancement de ce grief, le cas échéant.

(caractères gras ajoutés)

[7] Par la suite, M. Provencher a déposé auprès du Conseil une copie de plusieurs courriels se rapportant à sa situation.

[8] Dans sa réponse en date du 5 mars 2015, Unifor a également fourni une chronologie des événements. Entre autres choses, Unifor a été franc avec le Conseil en admettant son erreur quant au délai pour contester une décision émanant de la CSST :

9. En réplique aux allégations du plaignant que la section locale 81 d’Unifor a agi de manière arbitraire, nous désirons souligner au Conseil que la section locale 81;

c) La section locale 81 d’Unifor comprend la frustration du plaignant d’avoir passé le délai de contestation. Le plaignant allègue avoir avisé le syndicat le 31 octobre 2014 du refus de la CSST. Le syndicat admet son erreur. Toutefois, il est important de souligner que lors de la rencontre du 7 novembre 2014 tel que mentionné au paragraphe 5, M. Provencher n’a jamais soulevé la question du refus.

d) Ce n’est que le 4 décembre 2014 que le plaignant communique avec la section locale 81 par courriel pour remettre en question la contestation du refus de la CSST. e) La section locale 81 répond par courriel à M. Provencher le 5 décembre 2014 en l’invitant à poursuivre les démarches avec la section locale et c’est M. Provencher qui nous laisse tomber, comme en fait foi son courriel du 6 décembre 2014.

(caractères gras dans l’original; caractères gras italiques ajoutés)

[9] Unifor a joint en annexe à sa réponse un courriel daté du 15 décembre 2014, dans lequel il fait un compte rendu de ses interactions avec M. Provencher :

Depuis votre accident de travail du 29 aout dernier, nous avons eu de votre part une pleine collaboration pour le suivi de votre dossier. Quand je parle de pleine collaboration, je veux dire des conversations téléphoniques, suivi d’envoi de courriels de votre part. Le 7 novembre dernier, vous avez rencontré votre représentant à la prévention à nos bureaux pour mettre votre dossier à jour.

Nous faire parvenir la lettre de refus de la CSST par courriel le 31 octobre sans vous assurez pendant le délai de 30 jours qu’elle soit traité, tien de votre responsabilité, surtout que vous savez que la contestation à la révision administrative se fait en votre présence.

Nous avons discuté à plusieurs reprises de votre accident de travail, et notre objectif à tous étaient de se rendre minimalement au SDAT (le service de défense des accidenté(e)s du travail) afin d’avoir leur opinion sur votre dossier. Cet objectif n’a jamais été remis en question. La lettre du refus de la CSST est datée du 23 octobre 2014, vous l’avez probablement reçu quelques jours plus tard, donc le délai de 30 jours se terminait aux alentours du 24 novembre. Ce n’est que le quatre décembre dernier que vous nous questionnez sur la contestation, alors qu’elle est déjà hors délai. Suite à ma réponse du cinq décembre, le lendemain, vous me répondez « que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même et que vous prendrez arrangement avec la CSST ». De plus vous me mentionnez que vous déposerez une plainte au CCRI.

Nous ne savons pas si vous avez pris arrangement avec la CSST, mais il est évident que vous ne voulez plus de nos services dans votre dossier d’accidenté du travail. De plus, vous avez confirmé, vendredi dernier à votre délégué syndical avoir déposé votre plainte au conseil. Nous tenons quand même à vous mentionner, si ce n’est déjà fait, que vous pouvez quand même contester la décision de la CSST à la révision administrative, elle vous demandera de justifier votre retard. Soyez assuré que nous déplorons cette situation, cependant la section locale vous offrira, ainsi qu’à tous ses membres le meilleur service possible si vous en faites la demande.

(sic) (caractères gras ajoutés)

[10] Dans la présente affaire, tel que le démontrent sa lettre datée du 9 décembre 2014 à M. Provencher, et celle du 21 avril 2015 à Unifor, dans lesquelles il leur demandait de lui fournir une copie de la convention collective, le Conseil essayait d’établir l’existence d’un lien entre la plainte de M. Provencher déposée auprès de la CSST et la convention collective conclue entre Unifor et BST.


 

[11] Ce lien est important, tel qu’indiqué récemment dans la décision Torabi, 2015 CCRI 781, puisque l’article 37 renvoie explicitement aux droits reconnus par la convention collective :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

(caractères gras ajoutés)

[12] Lors de son examen de la convention collective, le Conseil n’a trouvé aucun renvoi à la CSST. Dans Dumontier, 2002 CCRI 165, le Conseil a conclu qu’un agent négociateur n’avait pas généralement l’obligation de représenter des employés devant d’autres tribunaux administratifs comme la CSST :

[22] La jurisprudence du Conseil est à l’effet que le devoir de représentation juste d’un syndicat n’inclut pas l’obligation de représenter ses membres devant d’autres instances ou tribunaux administratifs (tels que la CSST ou la CLP) si cette obligation n’est pas prévue clairement dans la convention collective.

[23] Dans Judah (Joe) Zegman (1996), 100 di 25 (CCRT no 1151), M. Zegman a porté plainte contre son syndicat, car celui-ci ne lui avait fourni aucune assistance pour l’envoyer à un centre de traitement, pour sa toxicomanie selon la politique de l’employeur. Le Conseil a rejeté sa plainte:

En ce qui concerne les allégations de comportement discriminatoire de la part du syndicat relativement à la toxicomanie du plaignant, le programme d’aide aux employés existant ne fait pas partie de la convention collective. Compte tenu de ce fait, il est impossible de rendre une décision fondée sur l’article 37 du Code, puisque le devoir de représentation juste ne s’applique qu’aux seuls droits créés en vertu de la convention collective (voir Donald Publicover, 21 février 1994 (LD 1268)).

(page 31; c’est nous qui soulignons)

[26] Un examen de la convention collective déposée auprès du Conseil révèle qu’il n’y a aucune obligation du syndicat de représenter le plaignant devant la CSST ou toute autre instance. Malgré le fait qu’il n’y avait aucune obligation de la part du syndicat, de le représenter, le Syndicat assurait tout de même la représentation de M. Dumontier devant la CSST par les services d’une avocate jusqu’à ce que le plaignant l’avise qu’il avait son propre avocat et en affirmant de plus au syndicat qu’il avait les moyens de payer.

(caractères gras dans l’original; caractères gras italiques ajoutés)

[13] Le Conseil est arrivé à une conclusion semblable dans Leduc, 2010 CCRI 495, en ce qui concerne l’obligation d’un syndicat de demander le contrôle judiciaire (requête en évocation) d’une sentence arbitrale :

[17] Dans l’affaire sous étude, le Conseil n’est saisi d’aucune preuve selon laquelle la convention collective entre le syndicat et l’employeur, applicable pendant la période pertinente, l’obligeait à demander une révision judiciaire d’une sentence arbitrale et rien dans le dossier ne démontre que le syndicat a traité le dossier du plaignant de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi en refusant de contester la sentence arbitrale.

[18] De plus, le Conseil s’est déjà prononcé sur l’étendue du devoir de représentation auquel le syndicat est tenu relativement à l’obligation de demander la révision judiciaire d’une décision arbitrale. Dans John Presseault, 2001 CCRI 138, le Conseil dit ceci :

[33] Le devoir de représentation auquel le syndicat est tenu n’englobe pas l’obligation de demander l’examen judiciaire d’une décision arbitrale (voir Aditya N. Varma (1991), 86 di 66; 15 CLRBR (2d) 307; et 92 CLLC 16,020 (CCRT no 894)). Dès qu’une convention collective ne reconnaît pas aux syndiqués le droit d’exiger l’examen judiciaire d’une décision arbitrale, la décision du syndicat de ne pas demander un tel examen ne peut être considérée comme un manquement à l’article 37 (voir Gordon Newell (1987), 69 di 119 (CCRT no 623)). En conséquence, le syndiqué n’a pas le droit absolu à l’examen judiciaire d’une décision.

[34] Il appartient au syndicat de déterminer quelle suite il entend donner à une décision. Même si le syndicat prend une mauvaise décision, en l’absence de motivation illicite ou de négligence grave, il n’y a aucun recours possible en vertu du Code. À moins que la convention collective contienne des dispositions contraires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le traitement d’un grief relève de la compétence du syndicat, et, partant, la décision de demander un examen judiciaire ...

(caractères gras ajoutés)

[14] En ce qui concerne la cause de M. Provencher devant la CSST, le Conseil est d’avis que celui-ci n’a pas démontré l’existence d’un droit explicite que lui reconnaît la convention collective. Le Conseil, dans sa lettre en date du 9 décembre 2014, a demandé à M. Provencher de lui fournir la preuve de l’existence d’un droit en lien avec la convention collective.

[15] Même si le Conseil accepte, aux fins de l’argumentation seulement, que la pratique constante d’un agent négociateur d’aider ses membres dans des affaires devant la CSST puisse faire l’objet d’une plainte de manquement au DRJ, il est convaincu qu’Unifor n’a pas enfreint le Code.

[16] La procédure suivie par Unifor indique qu’il a rencontré M. Provencher et a répondu à ses courriels. Unifor lui a même donné des conseils sur la façon de procéder.

[17] Unifor était au courant des faits pertinents. Il avait peut-être fait une erreur à propos du délai de 30 jours pour la contestation d’une décision de la CSST, mais l’article 37 n’exige aucunement la perfection. Unifor a également indiqué à M. Provencher qu’il pourrait demander une prorogation du délai, mais il semble que ce dernier ait décidé de s’occuper de l’affaire lui‑même.

[18] M. Provencher, à qui incombait le fardeau de la preuve, n’a pas réussi non plus à démontrer que la conduite d’Unifor était arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi. M. Provencher a soutenu qu’Unifor avait refusé de le représenter au motif qu’il avait cherché à obtenir de l’information d’un syndicat concurrent. Par contre, il n’a pas présenté de preuve à l’appui de cette allégation.

[19] Les faits indiquent, au contraire, qu’Unifor a aidé M. Provencher à plusieurs reprises relativement à sa situation. Le différend entre M. Provencher et Unifor semble venir plutôt de l’opinion subjective de M. Provencher à propos des agissements d’Unifor.

[20] Par conséquent, le Conseil rejette la plainte.

[21] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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