Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Association des pilotes professionnels de WestJet,

requérante,

et

WestJet, an Alberta Partnership,

intimée.

Dossier du Conseil : 31187-C

Référence neutre : 2015 CCRI 782

Le 24 juillet 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, siégeant seule en vertu du paragraphe 14(3) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code).

Ont comparu

Me Jesse Kugler, pour l’Association des pilotes professionnels de WestJet;

Me Geoffrey J. Litherland et Me Jeff Landman, pour WestJet, an Alberta Partnership.

[1] Le 21 juillet 2015, l’Association des pilotes professionnels de WestJet (l’APPW ou le syndicat) a présenté au Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) une demande d’ordonnance provisoire en vertu de l’article 19.1 du Code, visant à ce que le Conseil rende certaines ordonnances concernant les communications entre WestJet, an Alberta Partnership (WestJet ou l’employeur), et l’Association des pilotes de WestJet (l’APWJ) en ce qui concerne la campagne de syndicalisation menée par l’APPW et le scrutin de représentation actuellement tenu par voie électronique conformément à l’ordonnance rendue par le Conseil le 16 juillet 2015. Plus particulièrement, l’APPW demande une ordonnance interdisant à WestJet de communiquer avec les pilotes au sujet de la demande d’accréditation, sauf conformément aux instructions du Conseil, et l’empêchant de soutenir l’APWJ dans une campagne de représentation contre l’APPW. Elle demande en outre une ordonnance accordant à l’APPW le droit de transmettre une communication en utilisant le courriel de WestJet afin de répondre à celles de WestJet et de l’APWJ.

[2] Comme la présente demande soulève des questions urgentes, étant donné qu’un scrutin de représentation se tient actuellement auprès des pilotes de WestJet, et conformément à l’article 14 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, la demande a été traitée selon une procédure expéditive. Ainsi, l’employeur a été invité à présenter des observations écrites au plus tard à la fermeture des bureaux le 22 juillet 2015. Une audience a été tenue par téléconférence le 23 juillet 2015.

[3] Le Conseil a examiné les observations et les affidavits détaillés fournis par les parties dans la présente affaire. Il a également entendu et pris en considération les arguments formulés au cours de l’audience par téléconférence. Dans les présents motifs, le Conseil n’exposera pas en détail les faits et la position des parties et mentionnera uniquement les principaux renseignements sur lesquels il s’est fondé pour rendre sa décision.

[4] Dans sa demande, l’APPW se fonde sur un affidavit et des renseignements qui ont été présentés dans le cadre d’une plainte déposée en février 2014 et qui est actuellement instruite par un banc du Conseil. Plusieurs journées d’audience sur cette affaire ont été tenues, et la poursuite de l’audience est prévue pour novembre 2015. L’employeur s’est opposé à ce que le Conseil admette ces éléments de preuve aux fins de la présente demande, car les faits ont été fortement contestés à l’audience.

[5] Pendant la téléconférence, le Conseil a indiqué qu’il limiterait la portée de la preuve aux récents événements entourant la présentation de la demande d’accréditation, le 22 juin 2015.

I. Analyse et décision

[6] L’article 19.1 du Code prévoit ce qui suit :

19.1 Dans le cadre de toute affaire dont il connaît, le Conseil peut, sur demande d’un syndicat, d’un employeur ou d’un employé concerné, rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées afin d’assurer la réalisation des objectifs de la présente partie.

[7] Pour établir si une ordonnance provisoire doit être rendue, le Conseil se demande si la plainte soulève une question sérieuse; s’il est probable qu’un préjudice irréparable soit subi; quelle est la prépondérance des inconvénients; et quelles sont les considérations globales qui doivent être prises en compte dans la perspective de relations patronales-syndicales constructives. Le Conseil dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire de rendre des ordonnances provisoires, et il le fait quand il juge que son intervention est nécessaire afin de réaliser les objectifs du Code. Cependant, le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire avec prudence et dans certaines circonstances seulement. De plus, la décision de rendre une ordonnance provisoire ne préjuge pas le bien-fondé de la plainte en instance (voir Bell Mobilité inc., 2009 CCRI 457). L’ordonnance provisoire vise à annuler l’effet possible d’une prétendue pratique déloyale de travail en attendant qu’une décision définitive soit rendue à l’égard d’une plainte.

[8] En l’espèce, le syndicat a présenté et examiné un certain nombre de communications transmises par l’employeur et par l’APWJ qui, selon lui, auront une influence indue sur la volonté des pilotes en matière de représentation syndicale, ce qui aura une incidence sur le résultat du scrutin de représentation. Il soutient que l’employeur permet à l’APWJ de faire campagne contre la représentation syndicale en acceptant la transmission de communications sur le système de courriel de l’employeur et qu’il accorde des congés payés aux représentants de l’APWJ aux fins de l’organisation « d’assemblées publiques » (traduction).

[9] L’APPW soutient que, étant donné la situation particulière en l’espèce, c’est‑à‑dire que l’APWJ est une entité semblable à un syndicat en place, l’employeur doit demeurer neutre, comme il le devrait dans le contexte d’une demande visant à déloger le syndicat en place. L’APPW mentionne que sa capacité de joindre tous les pilotes par courriel revêt une importance cruciale, étant donné que l’entité concurrente (l’APWJ) peut faire valoir sa position librement par l’entremise du système de courriel de l’employeur.

[10] Le syndicat avance que l’intervention du Conseil est requise d’urgence pour faire en sorte que les règles du jeu soient équitables pendant la période du scrutin et que les pilotes puissent exercer leur droit de choisir un syndicat librement, sans coercition, intimidation ou influence indue.

[11] L’employeur s’oppose à l’intervention du Conseil, alléguant que WestJet a toujours entretenu une culture de communication ouverte. Il soutient qu’il n’existe aucun élément nouveau ou différent dans le contexte du scrutin de représentation qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les pilotes ou perturber leur droit de choisir librement. Il fait valoir que les courriels dont il est question dans la présente demande constituent tous des communications acceptables, et il ne peut être considéré qu’ils ont eu un effet dissuasif sur les pilotes, car ceux‑ci bénéficient d’une immense liberté pour s’exprimer et communiquer sur toutes les questions qui les touchent directement.

[12] Par ailleurs, l’employeur soutient que, même s’il finance partiellement les activités de l’APWJ, il n’y a eu aucun changement dans l’utilisation de longue date par celle‑ci du système de courriel de l’employeur pour communiquer des renseignements à propos des enjeux liés au milieu de travail des pilotes. Il fait valoir en outre qu’aucune preuve ne démontre que des employés ont mentionné avoir subi une influence indue ou des menaces ou qu’ils se sentent forcés de faire un certain choix au moment d’exercer leur droit de vote.

[13] L’employeur souligne le fait que le syndicat dispose de ses propres mécanismes pour communiquer avec les pilotes et leur fournir tous les renseignements qu’ils veulent afin d’obtenir leur soutien.

[14] Une ordonnance provisoire a pour but d’assurer la « réalisation des objectifs » de la partie I du Code. L’un des principaux objectifs du Code, tel qu’il est énoncé à l’article 8, est d’assurer la protection de la liberté qu’il accorde aux employés d’adhérer au syndicat de leur choix et de participer à ses activités licites. Un autre objectif principal du Code est d’empêcher les employeurs de recourir à la coercition, à l’intimidation, aux menaces, aux promesses ou à une influence indue quand les employés exercent leur droit d’adhérer à un syndicat.

[15] En l’espèce, la majorité des communications portées à l’attention du Conseil étaient antérieures à la présentation de la demande d’accréditation. De l’avis du Conseil, il ne fait aucun doute que les employés touchés par la demande d’accréditation sont bien au courant du scrutin de représentation et des différents moyens à leur disposition afin d’obtenir des renseignements. Bien que la portée des communications de l’employeur et l’étendue des liens entre ce dernier et l’APWJ restent à établir en fonction du bien‑fondé des plaintes de pratique déloyale de travail, le Conseil n’est pas en mesure de conclure que les allégations soulevées dans les plaintes justifient son intervention immédiate afin de protéger la liberté de choix des pilotes.

[16] Il n’est pas inhabituel, dans le contexte de campagnes de syndicalisation, que des plaintes de pratique déloyale de travail soulèvent de sérieuses questions quant à savoir si les employés peuvent exercer leurs droits sans coercition, menaces ou intimidation. Toutefois, l’intervention du Conseil n’est pas requise dans toutes les plaintes. Au moment d’examiner la prépondérance des inconvénients en l’espèce, le Conseil doit évaluer soigneusement l’incidence potentielle de son intervention afin de veiller à ne pas créer d’effets préjudiciables ou de conséquences imprévues.

[17] Dans l’affaire qui nous occupe, le bien‑fondé des allégations de pratiques déloyales de travail fait l’objet d’un examen par un autre banc du Conseil. Si le Conseil juge que ces allégations sont fondées, de sorte que la validité du scrutin de représentation soit remise en question, il peut ordonner d’importantes mesures de redressement pour remédier à toute conséquence que ces pratiques déloyales auront pu entraîner et réparer le préjudice causé par la conduite reprochée.

[18] Le syndicat a été en mesure de communiquer avec les pilotes à l’aide de différents mécanismes, comme leurs adresses de courriel personnelles, un site Web et un compte Twitter. Bien entendu, au cours de la période du scrutin de représentation, il voudra communiquer avec tous les pilotes pour leur fournir le plus de renseignements qu’il peut pour tenter d’obtenir leur soutien et devenir leur agent négociateur. Cependant, rien ne démontre que les pilotes ne peuvent pas accéder librement à ces renseignements. De plus, le Conseil n’est pas convaincu que les déclarations et la conduite de l’employeur s’éloignent à ce point de ses communications ou pratiques antérieures qu’il y a lieu de conclure qu’elles pourraient influencer indûment les pilotes à l’heure actuelle. La situation en l’espèce ne ressemble pas à celle de l’affaire Transpro Freight Systems ltée, 2008 CCRI 422, dans laquelle il a été conclu que les actes de l’employeur avaient eu une incidence directe sur les activités de syndicalisation. Dans les présentes circonstances, le Conseil ne peut conclure qu’il existe un préjudice réel ou irréparable. Compte tenu des documents et des éléments de preuve dont il dispose, et après avoir soupesé les droits et les obligations des parties dans le contexte d’un scrutin de représentation, le Conseil est d’avis qu’il ne s’agit pas d’une situation où son intervention est requise.

[19] Le Conseil conclut qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de rendre une ordonnance provisoire et rejette la demande de l’APPW à cet égard.

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