Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 175,

requérante,

et

Northern Air Solutions inc.

employeur.

Dossier du Conseil : 30810-C

Référence neutre : 2015 CCRI 773

Le 23 avril 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Ginette Brazeau, Présidente, ainsi que de M. Gaétan Ménard et Me Robert Monette, Membres.

Procureurs inscrits au dossier

Me Sarah Molyneaux, pour l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 175;

Mes Doug MacLeod et Katelyn Weller, pour Northern Air Solutions inc.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Ginette Brazeau, Présidente.

I. Contexte et faits

[1] Le 9 décembre 2014, l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 175 (le TUAC ou le syndicat), a présenté une demande d’accréditation pour l’unité de négociation suivante chez Northern Air Solutions inc. (Northern Air ou l’employeur) :

Tous les employés de Northern Air Solutions inc. qui travaillent dans la province de l’Ontario, à l’exclusion du personnel administratif et de bureau, du photographe, de l’aide‑comptable, du comptable, du directeur des activités médicales, du directeur de l’atelier d’entretien, du chef pilote, du directeur de l’exploitation, du gestionnaire supérieur responsable des activités médicales, du directeur de bureau et de ceux de niveau supérieur.

(traduction)

[2] Le 10 février 2015, le Conseil a rendu l’ordonnance no 10733-U, par laquelle il accréditait le TUAC à titre d’agent négociateur de l’unité suivante chez Northern Air :

tous les employés de Northern Air Solutions inc. qui travaillent dans la province de l’Ontario, à l’exclusion du président/gestionnaire supérieur responsable, du directeur de l’exploitation, de la personne chargée de l’entretien, du chef pilote, du contrôleur, du directeur des activités médicales, du personnel administratif et de bureau et des paramédicaux en disponibilité – soins avancés.

[3] Voici les motifs pour lesquels le Conseil a conclu que le service d’ambulance aérienne exploité par Northern Air relève de la compétence fédérale, ainsi que décidé d’inclure les paramédicaux, à l’exception des paramédicaux en disponibilité – soins avancés, dans l’unité de négociation.

[4] Northern Air est une compagnie aérienne qui offre à la fois des services d’ambulance aérienne et de vols nolisés au public. Northern Air a également conclu un contrat avec Ornge, à laquelle elle fournit des services d’ambulance aérienne sur demande.

[5] Pour fournir ces services, Northern Air emploie des pilotes, des copilotes, des paramédicaux, des employés d’entretien ainsi que du personnel de bureau.

[6] L’employeur ne croit pas que ses services d’ambulance aérienne relèvent du Conseil et s’oppose à l’inclusion des paramédicaux dans l’unité de négociation. Il est d’avis que ses services d’ambulance aérienne constituent une entreprise distincte et que les paramédicaux qui y travaillent sont assujettis à la réglementation provinciale.  

II. Position des parties

A. Le syndicat

[7] Le syndicat avance que l’employeur exploite une seule compagnie aérienne interprovinciale qui fournit au moins deux services à des clients. Il affirme que « Northern Air Solutions inc. » est la seule personne morale et qu’elle se présente publiquement comme une seule compagnie aérienne qui offre divers services, notamment des services d’ambulance aérienne. Le syndicat indique par ailleurs que l’entreprise gère ses employés comme une seule entité.   

[8] Le syndicat allègue que, bien que l’employeur fournisse des services d’ambulance aérienne et de vols nolisés à Ornge, il fournit également ces services à des compagnies d’assurances et à des particuliers. Le syndicat fait valoir que l’employeur tire la majorité de son chiffre d’affaires de ses services d’ambulance aérienne, y compris les services qu’il fournit à Ornge, les vols nolisés pour les assureurs, les fournisseurs de soins de santé et les patients ainsi que le transport de patients, de professionnels de la santé et de produits médicaux et biomédicaux.   

[9] En ce qui concerne la compétence constitutionnelle du Conseil, le syndicat est d’avis que Northern Air est une compagnie aérienne et fonctionne comme telle dans tous les volets de ses activités, y compris la prestation de services d’ambulance aérienne. Il soutient que ces services sont au cœur des activités de l’employeur. Le syndicat ajoute que l’employeur possède et exploite deux avions qui sont équipés en permanence pour être utilisés comme ambulances aériennes plutôt que comme avions de fret ou comme avions de passagers, ainsi qu’un jet, qui était utilisé uniquement à des fins d’évacuation sanitaire jusqu’au moment où il a été mis hors service à l’hiver 2014.

[10] En outre, le syndicat avance qu’une compagnie aérienne constitue une entreprise fédérale principale et que la présomption selon laquelle les relations du travail de Northern Air relèvent de la compétence provinciale est réfutée. Il soutient que, même si la province régit certains aspects de la conduite d’une catégorie de professionnels, comme les paramédicaux que Northern Air emploie, cela ne permet pas d’établir si un employeur constitue ou non une entreprise fédérale au sens du Code. Le syndicat allègue que cette question est déterminée uniquement par la nature du travail ou de l’entreprise à l’échelle de l’organisation, et non à l’échelle individuelle d’un employé ou d’un groupe d’employés.

[11] Le syndicat soutient que l’application proposée par l’employeur du critère énoncé dans la décision Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada et autres, [1980] 1 R.C.S. 115 (Northern Telecom n1) n’est pas appropriée. Le syndicat estime que le Conseil ne devrait appliquer ce critère que s’il conclut que l’employeur exploite effectivement deux entreprises distinctes, ce qui, à son avis, n’est pas le cas ici. Si le Conseil juge qu’il convient d’appliquer ce critère, le syndicat fait valoir que les services d’ambulance aérienne, et donc les services fournis par les paramédicaux, constituent une partie nécessaire, mais accessoire, de l’entreprise fédérale de l’employeur en tant que compagnie aérienne.

[12] Le syndicat estime que, pour effectuer l’analyse de la compétence constitutionnelle, le Conseil doit examiner la nature des activités menées par l’employeur en tant qu’entreprise active et non le travail des employés pris individuellement.  

[13] Le syndicat soutient en outre que les lois et les règlements provinciaux ne sont pas déterminants pour ce qui est de trancher la question de la compétence constitutionnelle du Conseil à l’égard de l’employeur et de ses employés.

[14] Le syndicat est d’avis qu’une unité composée de tous les employés serait habile à négocier collectivement. À l’appui de son argument, il avance que la communauté d’intérêts n’est qu’un des facteurs dont le Conseil doit tenir compte afin de déterminer une unité habile à négocier collectivement. Il mentionne que le Conseil tient aussi compte de la viabilité de l’unité de négociation, de la volonté des employés et de l’étendue territoriale des activités de l’employeur. Il indique que la politique du Conseil consiste à préférer les unités regroupant tous les employés, particulièrement chez un employeur de petite taille.

[15] Le syndicat soutient que les paramédicaux en soins avancés sont soit des employés, soit des entrepreneurs dépendants au sens du Code et qu’en tant que tels, ils devraient faire partie de l’unité de négociation.

[16] Le syndicat demande au Conseil de déclarer que les employés en question sont assujettis à la réglementation fédérale et d’accréditer l’unité de négociation proposée sur la base de la preuve d’adhésion ou, subsidiairement, sur la base d’un scrutin de représentation.   

B. L’employeur

[17] En ce qui concerne la compétence du Conseil, Northern Air reconnaît que sa compagnie aérienne relève de la compétence fédérale. Cependant, elle soutient que ses services d’ambulance aérienne sont distincts de ce qu’elle décrit comme ses services de vols nolisés. À l’appui de sa position, elle fait valoir que ses paramédicaux ne font pas partie de sa compagnie aérienne sur le plan fonctionnel et, plus précisément, qu’ils n’exercent aucune fonction nécessaire afin d’effectuer un vol. Elle avance que, quand elle fournit des services d’ambulance aérienne à Ornge, elle agit en tant que fournisseur de soins de santé, et que les paramédicaux sont régis par le gouvernement de l’Ontario. Pour étayer son argument, l’employeur cite divers textes de loi de l’Ontario ainsi que des décisions de la Commission des relations de travail de l’Ontario.

[18] Northern Air soutient que l’unité de négociation suivante est habile à négocier collectivement :

Tous les employés de Northern Air Solutions inc. qui travaillent dans la province de l’Ontario, à l’exclusion du gestionnaire supérieur responsable, du directeur de l’exploitation, du chef pilote, du directeur des activités médicales, de la personne chargée de l’entretien, du contrôleur et des paramédicaux.

[19] L’employeur soutient par ailleurs que le critère qu’il convient d’appliquer pour établir si le Conseil a la compétence constitutionnelle requise à l’égard de ses services d’ambulance aérienne est celui de l’arrêt Northern Telecom no 1. Il estime que le Conseil devrait examiner sa relation avec Ornge au regard de ce critère et conclure que ses services d’ambulance aérienne et ses paramédicaux ne relèvent pas de la compétence fédérale.  

[20] Northern Air reconnaît que, au moment où elle a présenté sa réponse, elle employait trois paramédicaux en soins primaires à temps plein et deux à temps partiel, ainsi qu’un paramédical en soins avancés, lesquels travaillent tous dans ses avions. Cependant, l’employeur est d’avis que les paramédicaux ne sont pas employés dans le cadre d’une entreprise fédérale au sens du Code.

Subsidiairement, l’employeur avance que, si le Conseil juge que ses paramédicaux relèvent bel et bien de la compétence fédérale, alors ceux-ci devraient être exclus de l’unité de négociation, car ils ne partagent pas de communauté d’intérêts avec les autres employés. Plus particulièrement, l’employeur soutient que les paramédicaux ne retireraient aucun avantage d’une mobilité accrue et qu’ils n’ont pas les mêmes conditions d’emploi que les autres employés.

[21] Enfin, l’employeur soutient que les paramédicaux en disponibilité – soins avancés sont des entrepreneurs indépendants et qu’ils ne sont pas des employés au sens du Code. Il affirme qu’après avoir appliqué le « critère de l’arrêt Wiebe Door » (traduction) au travail des paramédicaux en soins avancés, il est évident que ceux‑ci exploitent leur propre entreprise, facturent les services qu’ils rendent à l’employeur, sont libres d’accepter ou de refuser une tâche, exercent un contrôle sur la façon dont ils fournissent leurs services et ne sont pas économiquement dépendants de l’employeur.

[22] Subsidiairement, l’employeur avance que, si le Conseil conclut que les paramédicaux en soins avancés sont des employés au sens du Code, ils devraient tout de même être exclus de l’unité de négociation, puisqu’ils sont des employés occasionnels et que le Conseil a l’habitude d’exclure ceux‑ci.  

[23] Northern Air demande au Conseil de rejeter la demande si l’appui des employés compris dans l’unité de négociation habile à négocier collectivement est de moins de 35 p. 100 et, si l’appui est de 35 à 50 p. 100, de tenir un scrutin de représentation.  

III. Analyse

A. La compétence du Conseil à l’égard des entreprises fédérales

[24] La compétence constitutionnelle du Conseil à l’égard des entreprises fédérales et de leurs employés repose sur l’article 4 du Code :

4. La présente partie s’applique aux employés dans le cadre d’une entreprise fédérale et à leurs syndicats, ainsi qu’à leurs employeurs et aux organisations patronales regroupant ceux-ci.

[25] Les entreprises fédérales en question sont définies à l’article 2 du Code, dont voici le passage pertinent :  

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« entreprises fédérales » Les installations, ouvrages, entreprises ou secteurs d’activité qui relèvent de la compétence législative du Parlement, notamment :

e) les aéroports, aéronefs ou lignes de transport aérien.

[26] Il est bien établi que l’autorité législative exclusive du Parlement en matière d’aéronautique découle de son pouvoir de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (voir l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3 (Loi constitutionnelle de 1867); Reference re Aeronautics in Canada, [1932] A.C. 54; et Johannesson v. Municipality of West St. Paul, [1952] 1 S.C.R. 292). Ainsi, les compagnies aériennes et le transport aérien en tant que tel sont généralement des entreprises fédérales principales qui relèvent de la compétence fédérale, comme il est explicitement énoncé dans le Code.  

[27] Pour la première fois, le Conseil est appelé à statuer sur la question de la compétence constitutionnelle à l’égard des services d’ambulance aérienne. Bien que le Conseil ait rendu des ordonnances d’accréditation pour diverses unités de négociation chez Ornge et ait accrédité des paramédicaux aériens chez Hélicoptères canadiens ltée, la question de sa compétence constitutionnelle à l’égard de ces activités n’était pas en cause dans ces affaires.   

[28] Cela dit, il est bien établi qu’en matière de relations du travail, la compétence provinciale constitue la règle compte tenu de la compétence exclusive des provinces à l’égard de la propriété et des droits civils, telle qu’elle est prévue au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867. Exceptionnellement, le Parlement peut faire valoir une compétence dans le domaine des relations du travail s’il est établi que cette compétence « est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet » (NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45; [2010] 2 R.C.S. 696; et Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum et autres, [1979] 1 R.C.S. 754 (Construction Montcalm)).

[29] Trois facteurs peuvent faire en sorte qu’une entité relève de la compétence fédérale qui constitue l’exception et, par conséquent, de la compétence du Conseil (voir Tessier Ltée c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 2012 CSC 23 (Tessier); et Exploration Production inc., 2011 CCRI 583). D’abord, le Conseil examine les activités de l’entité en cause en tant qu’entreprise active afin d’établir si l’entité en tant que telle constitue une entreprise fédérale principale (voir Construction Montcalm). Dans la négative, le Conseil vérifie si l’entité est exploitée en commun avec une autre entreprise fédérale principale comme une entreprise unique, indivisible et intégrée sur le plan fonctionnel (voir Travailleurs unis des transports c. Central Western Railway Corp., [1990] 3 R.C.S. 1112; et Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322). Dans la négative, à la dernière étape de son analyse, le Conseil se demandera si les activités de l’entité constituent une partie vitale, essentielle ou intégrante d’une entreprise fédérale principale (voir Northern Telecom n1; et Northern Telecom Canada Limitée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733 (Northern Telecom n2). Le Conseil effectue de manière progressive l’analyse visant à établir si une entité constitue une entreprise fédérale et passe à l’étape suivante uniquement si le résultat de l’étape précédente n’est pas concluant. Une fois qu’il est conclu qu’une entité constitue une entreprise fédérale, la présomption selon laquelle ses relations du travail relèvent de la compétence provinciale est réfutée, et celles‑ci sont donc assujetties au Code et relèvent de la compétence du Conseil.  

[30] En l’espèce, Northern Air ne conteste pas qu’elle mène ses activités dans le secteur du transport aérien. Cependant, elle soutient qu’elle exploite deux entreprises distinctes : l’une offre des services de vols nolisés, l’autre des services d’ambulance aérienne. Elle reconnaît que ce qu’elle décrit comme son entreprise offrant des services de vols nolisés constitue une entreprise fédérale, mais estime que ce n’est pas le cas de son entreprise offrant des services d’ambulance aérienne.   

B. Le critère fonctionnel

[31] Comme il a été indiqué précédemment, la première étape de l’analyse visant à décider si Northern Air est une entreprise fédérale consiste à établir si Northern Air en tant que telle constitue une entreprise fédérale principale. Pour ce faire, le Conseil applique le critère fonctionnel décrit dans la décision Construction Montcalm :

… La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l’exploitation : le juge Pigeon, dans l’arrêt Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife, à la p. 736. Mais pour déterminer la nature de l’exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l’affaire en tant qu’« entreprise active » (le juge Martland dans l’arrêt Salaire minimum chez Bell Canada, à la p. 772), sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière : Agence Maritime Inc. c. Conseil canadien des relations ouvrières (l’arrêt Agence Maritime); l’arrêt Facteurs.

(page 769; c’est nous qui soulignons)

[32] Il est bien établi qu’en appliquant le critère fonctionnel, le Conseil examine la nature des activités de l’employeur, et non la nature du rôle qu’un employé en particulier joue dans ces activités (voir El Al Lignes aériennes d’Israël, 2009 CCRI 437).

[33] L’employeur reconnaît qu’il est titulaire d’un permis d’aviation délivré par l’Office des transports du Canada et a décrit certaines des obligations au titre de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2; et du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433, qu’il doit remplir afin de conserver son permis. Grâce à ce permis, l’employeur peut faire voler ses avions, qu’il utilise dans la prestation de tous ses services, y compris ses services d’ambulance aérienne.  

[34] Selon les extraits du site Web de l’employeur qui ont été fournis, Northern Air se présente comme ayant été fondée afin de combler les lacunes dans les services d’évacuation sanitaire dans la région de Muskoka. Elle indique qu’elle offre des « services d’ambulance aérienne, de vols nolisés, de photographie aérienne et plus encore » (traduction).

[35] En ce qui concerne les services d’ambulance aérienne, les extraits du site Web de l’employeur précisent que Northern Air transporte plus de 1000 patients par année vers diverses destinations en Amérique du Nord et peut fournir des services d’ambulance aérienne privés aux particuliers, aux hôpitaux, aux organisations et aux compagnies d’assurance ayant besoin de transport médical. Il est également indiqué que Northern Air compte plus de 10 ans d’expérience dans ce genre de transport aérien. Par ailleurs, il est écrit que Northern Air n’est pas un courtier en services d’ambulance aérienne et que ses avions sont dotés en personnel et prêts à partir dans l’heure. Son expertise, son équipement et son équipage sont décrits en ces termes :  

Entièrement équipée pour fournir des soins intensifs, Northern Air Solutions utilise du matériel de transport médical de pointe, dont un LP-12 doté d’une gamme complète d’options de surveillance invasive, des pompes à perfusion intraveineuse IVAC 3 ainsi qu’un ventilateur de transport LTV 1200 offrant toutes les options nécessaires pour assurer la ventilation des patients pendant leur transport. Nos paramédicaux aériens en soins avancés et en soins intensifs comptent au moins 10 années d’expérience dans un environnement d’ambulance aérienne dynamique et peuvent être accompagnés par des médecins spécialistes, au besoin.   

(traduction)

[36] Comme il a été mentionné précédemment, l’employeur fournit également des services d’ambulance aérienne sur demande à Ornge. Il n’est pas contesté que l’employeur fournit ces services à Ornge au moyen de ses propres avions.   

[37] La particularité des services d’ambulance aérienne offerts par Northern Air, que ce soit à Ornge ou dans un autre contexte, réside dans le transport de patients par avion. Sans l’avion, il n’y aurait pas de services d’ambulance aérienne.

[38] D’après les documents dont dispose le Conseil, il est évident que l’activité habituelle de l’employeur est le transport aérien, et que pour mener cette activité, l’employeur utilise ses propres avions. Peu importe pour qui ou dans quel but il fait voler ces avions, il demeure que l’employeur fournit des services de transport aérien. Puisque le Parlement a estimé qu’il convenait d’accorder explicitement au Conseil la compétence à l’égard des aéronefs et du transport aérien, le Conseil conclut que l’ensemble des activités de Northern Air, y compris ses services d’ambulance aérienne, constitue une entreprise fédérale. Compte tenu de cette conclusion, les relations du travail de Northern Air sont assujetties au Code et relèvent de la compétence du Conseil.

[39] Ayant conclu que Northern Air est une entreprise fédérale à part entière, le Conseil n’a pas besoin de passer aux étapes suivantes de son analyse de la compétence constitutionnelle, lesquelles consistent à établir si deux entreprises distinctes fonctionnent comme une entreprise fédérale unique, indivisible et fonctionnellement intégrée, ou si les activités d’une entreprise provinciale constituent une partie vitale, essentielle ou intégrante d’une entreprise fédérale principale.

[40] Ainsi, le Conseil rejette l’analyse de l’employeur sur la question de la compétence constitutionnelle, laquelle reposait en grande partie sur les facteurs de l’arrêt Northern Telecom no 2. L’analyse proposée par l’employeur passe directement à la troisième étape, c’est‑à‑dire celle qui consiste à établir si une entreprise locale qui relève autrement de la compétence provinciale peut être transformée en entreprise fédérale parce qu’elle constitue une partie vitale, essentielle ou intégrante d’une telle entreprise. Une telle analyse néglige d’abord de trancher la question de savoir si les activités de Northern Air, y compris ses services d’ambulance aérienne, constituent une entreprise fédérale principale en tant que telle ou en tant qu’entreprise unique, indivisible et fonctionnellement intégrée à une autre entreprise fédérale principale.

[41] Les arguments formulés par l’employeur à l’appui de son analyse, notamment que les services d’ambulance aérienne de Northern Air, de même que ses paramédicaux, entrent dans la catégorie des fournisseurs de soins de santé et que les paramédicaux ne sont pas essentiels à ses services de vols nolisés, ne tiennent pas la route au regard de la conclusion du Conseil selon laquelle les activités de l’employeur constituent une entreprise fédérale à part entière. Ni la relation entre Northern Air et Ornge, ni le rôle des paramédicaux lors d’un vol ne changent le fait que l’employeur exploite une entreprise qui transporte des personnes par avion. De l’avis du Conseil, les services d’ambulance aérienne fournis par les employés de Northern Air ne peuvent se distinguer, sur le plan constitutionnel, du reste de l’entreprise de transport aérien.

[42] Enfin, l’employeur a formulé divers arguments quant à l’importance de l’ordonnance d’accréditation rendue par la Commission des relations de travail de l’Ontario à l’égard d’une unité de négociation constituée de paramédicaux chez Ornge. Il est d’avis que, étant donné que cette ordonnance d’accréditation existe, les paramédicaux employés par Northern Air devraient également être assujettis à la réglementation provinciale. Le Conseil s’oppose à cet argument. L’accréditation provinciale, laquelle, comme le souligne le Conseil, a été rendue sans égard aux questions constitutionnelles qui sont en jeu en l’espèce, n’est pas un facteur déterminant pour trancher la question de la compétence du Conseil (voir Dilico Anishinabek Family Care, 2012 CCRI 655).

[43] Comme il a été souligné précédemment, s’il est conclu que les activités de l’employeur constituent une entreprise fédérale, alors les relations du travail de ses employés, y compris les paramédicaux, dont les services font partie de ses activités de transport aérien, relèvent de la compétence fédérale. La question de savoir si les paramédicaux devraient faire partie de l’unité de négociation proposée constitue une question distincte que le Conseil doit trancher en se fondant sur sa conclusion relative à l’unité qu’il juge habile à négocier collectivement.

C. Unité de négociation habile à négocier collectivement

[44] Lorsqu’il est saisi d’une demande d’accréditation pour un groupe d’employés non représentés, le Conseil doit d’abord déterminer la portée de l’unité qu’il juge habile à négocier collectivement. Le Code confère au Conseil le pouvoir exclusif de déterminer l’habileté d’une unité à négocier collectivement. Les dispositions pertinentes de l’article 27 sont libellées comme suit :

27. (1) Saisi par un syndicat, dans le cadre de l’article 24, d’une demande d’accréditation pour une unité que celui-ci juge habile à négocier collectivement, le Conseil doit déterminer l’unité qui, à son avis, est habile à négocier collectivement.

(2) Dans sa détermination de l’unité habile à négocier collectivement, le Conseil peut ajouter des employés à l’unité proposée par le syndicat ou en retrancher.

[45] Il est bien compris que, pour en arriver à cette détermination, le Conseil n’a pas à déterminer l’unité idéale, ni même l’unité la plus habile à négocier. Il exercera plutôt son pouvoir discrétionnaire de façon à donner une occasion réaliste aux employés d’exercer leurs droits en vertu du Code. Ce faisant, le Conseil évalue plusieurs facteurs, y compris la structure organisationnelle de l’employeur, la communauté d’intérêts et la viabilité de l’unité. Dans Time Air Inc. (1993), 91 di 34 (CCRT n° 991), le Conseil a décrit son approche à cet égard de la façon suivante :

Lorsqu’il doit statuer sur les demandes d’accréditation, le Conseil a le pouvoir de déterminer, à sa discrétion, quelle est l’unité habile à négocier collectivement…

Dans les nombreuses décisions rendues par le Conseil portant sur l’habilité des unités à négocier, qu’il s’agisse de demandes d’accréditation ou de demandes de révision de la composition des unités de négociation, le Conseil a toujours pris grand soin de préserver son pouvoir discrétionnaire dans la détermination de l’unité habile à négocier collectivement, compte tenu des circonstances de l’affaire dont il était saisi. Ce faisant, le Conseil a énoncé un grand nombre de critères dont il tient compte dans la détermination de l’unité habile à négocier. Il va sans dire que tous ces critères ne sont pas appliqués, ni ne seraient applicables, dans chaque cas. Certains d’entre eux favorisent les unités de négociation plus petites, d’autres, les unités plus grandes; certains s’appliquent davantage aux nouvelles accréditations, tandis que d’autres s’appliquent plutôt aux révisions de la composition d’une unité de négociation. Qui plus est, les critères appliqués en définitive dans un cas pourraient peser différemment dans un autre cas. Le Conseil a toujours maintenu qu’il n’avait pas à déterminer l’unité idéale, mais seulement une unité habile à négocier. L’ensemble de cette détermination dépend toujours des faits de chaque cas.

Comme le montre la décision rendue dans Royal Bank of Canada v. S.O.R.W.U.C., dossier no A-849-77, 4 octobre 1978 (C.A.F.), le Conseil n’est tenu ni de faciliter ni d’entraver l’accréditation des syndicats. Cependant, il peut user de son pouvoir discrétionnaire de façon à accorder une possibilité raisonnable aux employés d’exercer les droits que leur confère le Code. Bien que le Conseil ait généralement exprimé une préférence marquée pour les unités de négociation collective de grande taille, regroupant tous les employés d’un même secteur, il a toujours eu à pondérer cette préférence en fonction de la nécessité de donner aux employés une possibilité raisonnable et réelle d’exercer la liberté d’association qui leur est reconnue dans le Code.

(pages 38-39; souligné dans l’original)

[46] Comme l’habileté d’une unité à négocier collectivement est une question de fait, le poids donné à chacun des facteurs dépendra des circonstances de chaque cas. Lorsqu’il prend sa décision, le Conseil s’appuie sur l’objectif fondamental du Code, qui est de faciliter l’accès à la négociation collective (voir Téléglobe Canada (1979), 32 di 270; [1979] 3 Can LRBR 86; et 80 CLLC 16,025 (rapport partiel) (CCRT n° 198), confirmée par la Cour d’appel fédérale, non rapportée 3 octobre 1980, dossiers nos A-487-79 et A-514-79). Le Conseil cherche également à favoriser la stabilité des relations du travail en établissant une structure viable pour la négociation collective qui prend également en considération la volonté des employés (voir AirBC Limited (1990), 81 di 1; 13 CLRBR (2d) 276; et 90 CLLC 16,035 (CCRT n° 797) (AirBC).

[47] En l’espèce, le syndicat a demandé que l’unité englobe tous les employés, y compris les pilotes, les copilotes et les paramédicaux, à l’exclusion du personnel administratif et de bureau, des directeurs et de ceux de niveau supérieur. L’unité proposée par le syndicat est constituée de 33 employés, ce qui représente la majorité de l’effectif de l’employeur.

[48] L’employeur n’approuve pas l’unité proposée et souhaite en outre que les paramédicaux en soient exclus. L’employeur soutient que les paramédicaux et les autres employés de l’unité proposée ne partagent aucune communauté d’intérêts, car ils n’ont pas les mêmes conditions de travail. Il soutient par ailleurs que les paramédicaux en disponibilité – soins avancés ne devraient pas être exclus de l’unité de négociation, car ils sont soit des entrepreneurs indépendants, soit des employés occasionnels n’ayant pas de liens suffisants avec l’unité de négociation.

[49] Dans la décision AirBC, le Conseil canadien des relations du travail, prédécesseur du Conseil, a décrit son approche relativement à la détermination d’une unité habile à négocier collectivement dans le secteur du transport aérien et a précisé ce qui suit :

Au fil des années, et compte tenu de l’importance de la compagnie aérienne (nationale, régionale, etc.), le Conseil a généralement jugé que la spécialisation des unités de négociation devait être proportionnelle à la taille de l’employeur. Autrement dit, les unités uniques (ou les grosses unités regroupant des employés de nombreuses spécialités différentes) se trouvaient généralement dans de petites compagnies aériennes. (Voir Victoria Flying Services Ltd. (1977), 23 di 13; et 77 CLLC 16,072 (CCRT n° 74); et General Aviation Services Limited (1979), 34 di 791; et [1979] 2 Can LRBR 98 (CCRT n° 182).)

Il n’existe pas de règle immuable quant à la structure des unités de négociation des petites compagnies aériennes; globalement, la décision du Conseil lui est dictée par les circonstances...

En réalité, au gré des circonstances, toutes les combinaisons de groupes professionnels sont possibles dans une petite compagnie aérienne. On peut y former une unité habile à négocier collectivement par n’importe quel regroupement de pilotes, d’agents de bord, de régulateurs et de préposés à l’entretien, aux réservations, à l’aire de trafic, aux bagages, etc. Toutefois, quand le nombre des employés le justifie, le Conseil les répartit en unités distinctes. Le facteur clé est toujours l’existence ou l’absence d’une communauté d’intérêts. En outre, dans la mesure du possible, le Conseil préfère créer dans le secteur du transport aérien des unités à l’échelle de l’entreprise plutôt que des unités limitées à un seul point d’exploitation, comme celles qu’on voit fréquemment dans les autres secteurs d’activité de compétence fédérale, comme la radiodiffusion, le débardage et, jusqu’à un certain point, le camionnage.

(page 8; souligné dans l’original)

[50] Il ne fait aucun doute que Northern Air est une petite compagnie aérienne. Il ressort clairement de l’organigramme fourni par l’employeur que les employés relèvent d’une petite équipe de gestion, et que chaque directeur de service relève du directeur de l’exploitation qui, lui, rend des comptes au président/gestionnaire supérieur responsable.

[51] Qui plus est, compte tenu de l’envergure limitée des activités de Northern Air, la question de la communauté d’intérêts ne se pose pas de la même façon que s’il s’agissait d’une compagnie aérienne de plus grande taille et d’envergure nationale. En l’espèce, étant donné le petit nombre d’aéronefs que possède l’employeur, il est évident pour le Conseil que les pilotes, les copilotes, le personnel d’entretien et les paramédicaux ont des conditions de travail semblables. Même s’il n’y a pas de mobilité possible au sein de l’unité de négociation, ce facteur ne suffit pas, à lui seul, pour conclure qu’il n’existe aucune communauté d’intérêts. Les préoccupations de l’employeur à propos des différences entre les qualifications professionnelles et les modalités relatives aux salaires, aux heures supplémentaires et aux horaires de travail des paramédicaux et des autres employés de l’unité de négociation peuvent être surmontées par l’incorporation de conditions précises dans la convention collective.

[52] Enfin, comme il a été mentionné précédemment, il s’agit d’une première accréditation des employés de Northern Air. Le Conseil accorde donc plus d’importance au fait de permettre aux employés d’avoir accès à la négociation collective au sein d’une unité viable. Une structure de négociation collective qui comprend tous les groupes favorise l’accès à un processus de négociation collective qui soit significatif. Cependant, le Conseil accepte l’argument de l’employeur selon lequel les paramédicaux en disponibilité – soins avancés doivent être exclus de l’unité au motif qu’ils sont des employés occasionnels.   

[53] En général, le Conseil exclut les employés occasionnels de l’unité de négociation, car ils ne partagent pas de communauté d’intérêts avec les employés réguliers et les employés à temps partiel. À propos du caractère distinct de l’emploi occasionnel, le Conseil a formulé les commentaires suivants dans Banque de Montréal, Sherbrooke (Québec) (1987), 69 di 102; 19 CLRBR (NS) 112; et 87 CLLC 16,044 (CCRT n° 621) :

Selon lui, les employés véritablement occasionnels n’ont pas suffisamment de communauté d’intérêts avec les autres employés pour les inclure dans les mêmes unités de négociation que les employés réguliers et les employés à temps partiel.

Qu’est-ce qu’un véritable employé occasionnel? Dans la notion de travail occasionnel, on retrouve un élément de hasard ou un facteur accidentel qui fait qu’à un besoin imprévu de prestation de travail chez un employeur devra correspondre une disponibilité volontaire et ponctuelle chez un employé putatif. Inversement, dès que le besoin est prévisible, il ne peut que procréer un emploi à temps partiel: l’employé n’est pas un occasionnel mais un temps partiel. Et dès que la disponibilité d’un employé devient garantie et assurée, elle ne peut que procréer un emploi à temps partiel.

Un emploi occasionnel est donc le fait d’un besoin imprévu de prestation de travail chez un employeur donné et d’une disponibilité accidentelle, aléatoire et volontaire chez un employé donné. Donnons des exemples.

(page 108; souligné dans l’original)

[54] Plus récemment, dans Parrish & Heimbecker, limitée, 2008 CCRI 420, le Conseil a énoncé sa pratique générale concernant les employés occasionnels :

[54] Le Conseil a généralement pour pratique d’exclure les employés occasionnels des unités composées d’employés permanents à temps plein et à temps partiel, pour la bonne raison que les employés occasionnels n’ont généralement pas une communauté d’intérêts suffisante avec les autres employés. Par exemple, dans Alberta Wheat Pool (1991), 86 di 172 (CCRT no 907), annulée pour d’autres motifs par Alberta Wheat Pool v. Canada Labour Relations Board and Grain Services Union (C.L.C.) (1993), 157 N.R. 91; et 93 CLLC 14,051 (C.A.F., dossier no A-1271-91), le Conseil n’a pas inclus les employés occasionnels et à temps partiel dans l’unité jugée habile à négocier collectivement, de manière à ne pas affaiblir les droits des employés à temps plein. Dans les circonstances, le Conseil détermine que l’employé occasionnel doit être exclu de l’unité de négociation parce qu’il n’a pas une communauté d’intérêts suffisante avec les autres employés permanents de l’unité proposée.

[55] En l’espèce, le Conseil accepte les éléments de preuve et l’argument de l’employeur selon lesquels les paramédicaux en disponibilité – soins avancés travaillent selon un horaire irrégulier et imprévisible à la demande de l’employeur et que certains d’entre eux n’ont jamais travaillé pour ce dernier. Par conséquent, le Conseil conclut que les paramédicaux en disponibilité – soins avancés n’ont pas de liens suffisants avec la main‑d’oeuvre pour que l’on estime qu’ils partagent une communauté d’intérêts avec les membres de l’unité de négociation.

IV. Conclusion

[56] Ayant déterminé que Northern Air est une entreprise fédérale, et en se fondant sur la preuve d’adhésion présentée à l’appui de la demande d’accréditation, le Conseil est convaincu que, à la date de la demande, la majorité des employés de l’unité souhaitaient être représentés par le syndicat. Par conséquent, le Conseil accrédite le syndicat requérant à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation décrite dans son ordonnance no 10733-U.

[57] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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