Code canadien du travail, Parties I, II et III

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Contenu de la décision

Motifs de décision

Sylvain Soucy,

plaignant,

et

Syndicat National des Convoyeur(e)s de Fonds (SNCF) - Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3812,

intimé,

et

Société en commandite transport de valeurs Garda,

employeur.

Dossier du Conseil : 30561-C

Jean-Marc Guay,

plaignant,

et

Syndicat National des Convoyeur(e)s de Fonds (SNCF) - Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3812,

intimé,

et

Société en commandite transport de valeurs Garda,

employeur.


 

Dossier du Conseil : 30565-C

Référence neutre : 2015 CCRI 771

Le 31 mars 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Graham J. Clarke, Vice-président, ainsi que de M. Daniel Charbonneau et Me Richard Brabander, Membres.

Représentants des parties aux dossiers

M. Sylvain Soucy, en son propre nom;

M. Jean-Marc Guay, en son propre nom;

Me Jacques Lamoureux, pour le Syndicat National des Convoyeur(e)s de Fonds (SNCF) - Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3812;

M. Robert Champagne, pour la Société en commandite transport de valeurs Garda.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Richard Brabander, Membre.

I. Contexte et nature des plaintes

[1] Il s’agit de deux plaintes distinctes présentées par deux employés de la Société en commandite transport de valeurs Garda (Garda ou l’employeur) contre le Syndicat National des Convoyeur(e)s de Fonds (SNCF) - Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3812 (le syndicat).

[2] Bien que leur prétentions respectives soient différentes, les deux plaignants allèguent que le syndicat a manqué au devoir de représentation juste (DRJ) auquel il est tenu envers les anciens employés de G4S Solutions de sécurité (Canada) ltée (G4S), par suite de la fusion de cette dernière avec Garda, de la tenue d’un scrutin de représentation et de l’accréditation du syndicat par le Conseil à titre d’agent négociateur d’une seule unité de négociation des employés de l’employeur dans la province de Québec.

[3] Conformément à l’alinéa 18.1(2)a) du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code), le Conseil a donné aux parties la possibilité de s’entendre sur les ajustements nécessaires à l’intégration des employés au sein de la nouvelle unité de négociation et le règlement des questions liées à la fusion des unités de négociation.

[4] Les parties se sont entendues sur ces aspects le 20 juin 2014, et le Conseil a pris acte de l’entente et l’a entérinée le 26 juin 2014.

A. Plainte de M. Soucy – dossier no 30561-C

[5] Le 28 juillet 2014, M. Sylvain Soucy a déposé une plainte alléguant que l’ancienneté des employés de G4S n’était pas respectée à la suite de l’intégration des listes d’ancienneté, et en application d’une sentence arbitrale rendue le 22 mai 2014 par Me Jean-Pierre Lussier, dont une copie était jointe à la plainte.

[6] Le plaignant a aussi produit une copie d’un grief collectif alléguant le non-respect de ladite sentence et des droits d’ancienneté. Il reproche au syndicat son refus de traiter ce grief collectif et d’y donner suite, lequel grief a été signé par le plaignant et plusieurs autres employés le 24 juillet 2014.

[7] Le grief fait mention d’une prétendue violation de l’article 11.06 de la convention collective, qui traite des droits d’ancienneté, et ce, suivant l’interprétation de cet article par l’arbitre Lussier.

[8] À titre d’exemple voulant que le syndicat ait agi de façon arbitraire, le plaignant a mentionné la situation de deux employés qui avaient travaillé à l’extérieur de l’unité, ou comme superviseur ou autrement, dont l’un seulement s’est vu accorder sa date d’embauche à la suite de son retour dans l’unité. Il prétend que le syndicat aurait dû renvoyer ces cas devant un arbitre.

[9] Le plaignant est d’avis que le syndicat a mal interprété l’article de la convention collective qui autorise le tirage au sort entre les employés dont la date d’embauche est la même pour établir lequel d’entre eux est réputé avoir plus d’ancienneté. Selon lui, les anciens employés de G4S n’auraient pas dû être considérés comme étant de nouveaux employés aux fins de cet article.

[10] La plainte contient aussi un résumé de certaines démarches entreprises par le plaignant pour protéger les droits d’ancienneté des anciens employés de G4S.

[11] M. Soucy demande, comme mesure de redressement, que le grief collectif soit renvoyé à l’arbitrage.

B. Plainte de M. Guay – dossier no 30565-C

[12] Le 6 août 2014, M. Jean-Marc Guay a déposé une plainte, documents à l’appui, dans laquelle il prétend que les anciens employés de G4S ont été défavorisés par rapport aux employés de Garda et qu’ils ont en outre subi une perte salariale.

[13] Il explique que l’entente signée le 20 juin 2014 ne correspondait pas aux demandes des anciens employés de G4S.

[14] Il reproche au syndicat d’avoir négocié l’entente liée à la fusion des unités de négociation sans y inclure un gel des niveaux salariaux, qui étaient plus élevés pour les anciens employés de G4S, et sans pour autant la soumettre à un vote en assemblée générale, ce qu’il prétend fait état de la mauvaise foi démontrée de façon généralisée par le syndicat qui, toujours selon lui, n’apprécie pas la présence des anciens employés de G4S.

[15] M. Guay reprend aussi les reproches de M. Soucy qui portent sur les erreurs qui figuraient à la liste intégrée d’ancienneté établie par le syndicat. Il reproche au syndicat son refus d’accepter le grief pour contester ces démarches du syndicat et les effets en aval de la fusion des anciennes unités de négociation. Il déplore la façon par laquelle la fusion a été appliquée, effectuée et menée par le syndicat.

[16] Comme mesures de redressement, M. Guay réclame un gel des salaires des ex-employés de G4S « jusqu’au moment où les employés de Garda nous auront rejoint (sic) », le libre choix entre le régime de fonds de pension de Garda ou les contributions au REER qui étaient inscrites à la convention collective entre Teamsters Québec Local 931 (Teamsters) et l’ancien employeur G4S et la tenue d’une assemblée générale syndicale afin de tenir un vote sur ladite entente signée par le syndicat.

[17] Finalement, il indique qu’une demande de nomination de délégués syndicaux, parmi les anciens employés de G4S, a été faite dans le but d’améliorer les relations entre le syndicat et ceux-ci, et il déplore ce qu’il caractérise comme étant un refus catégorique par le syndicat de ce faire.

II. Réponse du syndicat

[18] Dans les deux cas, le syndicat a nié tout prétendu manquement à son DRJ et a présenté des observations détaillées et assez complètes.

[19] Dans ses observations, le syndicat fait état des événements pertinents de façon systématique, souligne les efforts déployés et les démarches qu’il a suivies et fournit un résumé des vérifications et procédures de revue en comité entamées pour gérer la situation de façon responsable.

[20] En outre, le syndicat fournit des explications à l’égard des gestes et des décisions reprochés par les plaignants qui ont présenté leurs plaintes, rappelons-le, au nom des anciens employés de G4S.

[21] Le Conseil n’estime pas nécessaire de reproduire ici tous les détails de la réponse du syndicat, mais croit avantageux et opportun d’en mentionner les points centraux qui traitent de l’essentiel des deux plaintes.

A. Réponse à la plainte de M. Soucy – dossier no 30561-C

[22] D’abord, le syndicat a soulevé un moyen préliminaire contre la plainte déposée par M. Soucy, en faisant remarquer que le plaignant n’a pas, lui-même, éprouvé un problème d’ancienneté mais prétend représenter les intérêts d’autres employés ou cherche à le faire. Le syndicat ajoute que le plaignant était auparavant délégué syndical des Teamsters auprès des employés de G4S avant la fusion des unités susmentionnée.

[23] Le syndicat souligne que les parties, y compris les Teamsters, ont choisi de soumettre la question assez complexe de l’intégration des listes d’ancienneté à l’arbitrage, que l’arbitre Lussier en a déterminé les paramètres et que le syndicat a appliqué de bonne foi la sentence arbitrale.

[24] Il explique, entre autres choses, le défi initial qui s’est présenté au syndicat par le besoin d’établir les dates d’ancienneté à partir du système informatisé des Teamsters, qui affichait les dates d’ancienneté selon le format jour/mois/année et les rangs d’ancienneté selon trois critères (vacances/routes/succursale ou convention collective), alors qu’il a dû procéder à des modifications pour intégrer ces renseignements à une liste du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) qui affichait plutôt les dates d’ancienneté selon le format année/mois/jour et les rangs d’ancienneté selon deux critères (ancienneté et date de vacances qui constituait la date d’embauche).

[25] Dès l’affichage de la liste d’ancienneté, au début juin 2014, quand certains employés ont demandé au syndicat de présenter un grief, le responsable provincial des griefs en a fait l’analyse pour s’assurer du respect de la sentence arbitrale et a vérifié auprès de celui qui avait effectué les tirages au sort prévus à la convention collective que « tout avait été fait correctement ».

[26] La demande de présenter un grief a aussi fait l’objet d’une discussion avec les membres du comité exécutif du syndicat, qui ont validé leur position auprès de la conseillère syndicale qui, à son tour, l’a vérifiée auprès du procureur au dossier.

[27] En réponse précisément à l’allégation selon laquelle il a refusé de donner suite au grief collectif, le syndicat soutient d’abord que le plaignant n’en avait pas parlé ni n’avait fait part de ses préoccupations aux représentants syndicaux.

[28] Le syndicat avait examiné attentivement le formulaire de grief utilisé pour constater qu’il ne pouvait pas identifier, avec certitude, le nom de certains des signataires à partir de leur signature. Néanmoins, le syndicat en avait joint un par téléphone au numéro qui y était indiqué.

[29] Une semaine plus tard, le syndicat a fait état de cette demande de grief collectif de façon très détaillée dans son journal « L’Informateur » en date du 1er août 2014. Le syndicat a profité de l’occasion pour y expliquer pourquoi il n’avait pas donné suite à la demande, faisant remarquer aux employés que son analyse avait déterminé que la convention collective ainsi que la sentence arbitrale avaient été respectées.

[30] Dans ce même numéro du journal, le syndicat a expliqué sa compréhension, en fonction surtout de la sentence arbitrale et de la façon de faire pour les questions d’ancienneté. Il y a résumé la procédure de règlement des griefs à suivre et les résultats de la dernière rencontre du comité de griefs du 30 juillet 2014.

B. Réponse à la plainte de M. Guay – dossier no 30565-C

[31] Comme réponse à la plainte de M. Guay concernant les pertes de salaire, le syndicat soutient d’abord que la vente d’entreprise ainsi que l’intégration des employés ont suivi un processus judiciaire encadré, d’une part, par le Conseil et, d’autre part, par l’arbitre Lussier.

[32] Le SCFP a signé une convention collective avec l’employeur en décembre 2013 et, par suite des fusions des entreprises et des unités de négociation, a déterminé les ajustements nécessaires, lesquels ont fait l’objet d’une entente avec l’employeur, afin de concilier les différentes conventions collectives alors en vigueur.

[33] Le syndicat soutient qu’en suivant ces démarches, il a fait preuve d’un souci pour que les ex‑employés de G4S soient intégrés progressivement et que les clauses monétaires s’appliquant à eux le soient de manière équitable.

[34] En admettant que les salaires de ceux-ci n’ont pas été maintenus, le syndicat prétend avoir pris en considération la bonification de certaines conditions et d’avantages sociaux, tels que le régime de retraite, les vacances, les congés de maladie et les assurances collectives.

[35] Le syndicat reconnaît aussi que les hypothèses de règlements salariaux de M. Guay auraient pu être envisageables en période de négociation d’une convention collective. Le syndicat soutient qu’il n’était pas en période de négociation, n’a pas renégocié la convention collective et n’avait pas l’obligation de soumettre l’entente à un vote en assemblée générale avant de la faire entériner.

[36] Le syndicat souligne que l’entente sur les ajustements et le règlement des questions en aval de la fusion n’était simplement pas une convention collective.

[37] Le syndicat admet que certaines questions au sujet de l’absence des anciens représentants de G4S et d’un vote sur l’entente du 20 juin 2014 sont légitimes. Cependant, il insiste sur le point que le plaignant aurait pu et aurait dû les soulever auprès des représentants syndicaux « qui lui auraient très certainement répondu », au lieu de les soulever par l’entremise de cette plainte devant le Conseil.

[38] Pour répondre aux critiques concernant la liste d’ancienneté, le syndicat a repris ses explications détaillées telles qu’elles ont été énoncées dans le dossier de M. Soucy. Aussi, il a repris l’argument selon lequel le plaignant n’a pas l’intérêt juridique pour soulever les erreurs dans la date d’embauche qui figuraient à la liste d’ancienneté s’il n’a pas lui-même été lésé dans ses droits à cet égard.

[39] Le syndicat soutient encore une fois avoir fait une étude sérieuse du dossier en tenant compte des intérêts de l’ensemble des employés de l’unité et des conséquences pour ces derniers, pour acquérir de bonne foi une appréciation objective et honnête.

[40] Pour ce qui est de la nomination d’anciens employés de G4S comme délégués syndicaux au sein du SCFP pour améliorer la situation, le syndicat dit ne pas avoir insisté sur le critère voulant que ceux-ci soient membres du syndicat pendant au moins un an; le comité exécutif du syndicat en avait rencontré quelques-uns au début juin 2014 dans le but de mieux tenir compte des intérêts de tous.

[41] Enfin, le syndicat soutient qu’il s’est acquitté de son obligation de représentation juste de tous les employés de l’unité de négociation, sans faire preuve d’une conduite arbitraire ou empreinte de mauvaise foi.

[42] Bref, la position du syndicat en réponse aux deux présentes plaintes se résume par son observation selon laquelle l’entente « ne correspondait pas aux demandes des ex-employés de G4S ».

[43] Le syndicat a cité plusieurs décisions du Conseil à l’appui de ses conclusions selon lesquelles le fardeau de la preuve qui incombe aux plaignants exige plus que de faire valoir de simples prétentions, et qu’un processus de fusions d’entreprises et d’unités de négociation peut souvent occasionner des mécontentements et qu’il est impossible de satisfaire tous ceux concernés en pareil cas. Plusieurs de ces décisions reprennent et renforcent le principe de base voulant que, dans la prise de ses décisions, le syndicat doive prendre en considération les intérêts de tous les membres de l’unité de négociation.

III. Répliques des plaignants

[44] Le plaignant, M. Soucy, explique que, même s’il ne s’est pas plaint lui-même de sa date d’ancienneté à l’époque, des employés lui avaient demandé de l’aide parce qu’il est ancien délégué des Teamsters avec plus de dix ans d’expérience en affaires syndicales.

[45] Il réitère sa compréhension du processus à suivre concernant l’établissement des dates d’ancienneté, ainsi que son opinion relativement aux cas d’exception de deux personnes.

[46] Le plaignant, M. Guay, dans une réplique assez détaillée, a présenté plusieurs éléments au soutien de ses arguments, y compris les points suivants :

-     le fait que le syndicat, en 2013, n’avait pas suspendu les négociations collectives ou même demandé une injonction pour les suspendre, au lieu de procéder au renouvellement en décembre 2013 de la convention collective avec l’employeur, démontre sa mauvaise foi;

-     une comparaison de certaines conditions d’emploi et d’avantages sociaux (régime de retraite, vacances, coûts des permis requis, prime de nuit, assurances collectives pour maladie, médicaments et autres frais et soins pour la vue) démontre que l’ancien régime de G4S était plus avantageux;

-     plusieurs exemples d’une autre façon de faire pour régler les questions et corriger les erreurs d’ancienneté;

-     d’autres désaccords avec les prétendus effets de l’entente du 20 juin 2014.

IV. Questions à trancher par le Conseil

1.   Est-ce qu’une plainte de manquement au DRJ remplit les critères du Code pour la présentation d’une telle plainte si elle est présentée au nom d’autres membres de l’unité par un employé qui n’allègue pas avoir lui-même été lésé?

2.   Est-ce qu’un plaignant a l’intérêt juridique pour inclure, dans une telle plainte, l’allégation qu’il y avait des erreurs dans la liste intégrée d’ancienneté concernant la date d’embauche s’il n’était pas lui-même victime d’une telle erreur?

 

3.   Dans l’affirmative, est-ce que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste envers les plaignants ou les anciens employés de G4S :

 

-     en concluant l’entente du 20 juin 2014?

-     par la façon dont il a traité la demande de dépôt d’un grief collectif?

-     par des gestes ou actes arbitraires ou empreints de mauvaise foi?

V. Une seule décision pour les deux plaintes

[47] L’article 20 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles prévoit que le Conseil peut ordonner que deux ou plusieurs instances soient réunies et instruites ensemble ou consécutivement.

[48] Étant donné que les plaintes susmentionnées soulèvent des préoccupations et questions similaires qui ont surgi de la même série d’événements à la suite de la fusion des unités de négociation au Québec chez l’employeur, le Conseil a décidé de réunir ces deux instances et de les traiter dans une même décision.

VI. Décision du Conseil prise sans audience

[49] Dans l’ensemble, les plaignants et le syndicat ont bien pourvu le Conseil d’un portrait réaliste et assez typique des défis et questions qui se posent à la suite de fusions d’entreprises suivies d’une fusion des unités de négociation et du choix de l’agent négociateur. En fait, les faits saillants ne sont pas contestés, bien que les optiques et caractérisations respectives des plaignants et du syndicat au sujet de certains gestes, démarches, décisions et circonstances expriment, bien sûr, leur appréciation de ceux-ci.

[50] L’article 16.1 du Code prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. En l’espèce, le Conseil est d’avis que la documentation produite et les observations écrites des parties lui suffisent pour ce faire.

VII. Analyse et décision

[51] Les deux plaignants allèguent un manquement au DRJ par le syndicat. Puisque ce sont eux qui l’affirment, il leur incombe donc de prouver le prétendu manquement.

[52] Le fardeau des plaignants est de présenter au Conseil des éléments de preuve suffisants pour démontrer que le syndicat a manqué au DRJ auquel il est tenu par l’article 37 du Code, qui est ainsi libellé :

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

[53] Les plaignants sont en désaccord avec l’interprétation et la mise en oeuvre de la sentence de l’arbitre Lussier par le syndicat, et avec son interprétation de la convention collective.

[54] Ils sont également en désaccord avec le processus suivi par le syndicat en vue de conclure l’entente du 20 juin 2014, sans l’avoir soumise à un vote en assemblée générale. De plus, ils sont en désaccord avec le contenu et les effets de l’entente.

[55] Le Conseil est fréquemment appelé à évaluer comment un syndicat a procédé lorsqu’il y a un désaccord ou un conflit au sujet de l’ancienneté parmi les employés qu’il représente. L’ancienneté est un attribut gagné et reconnu par le travail d’un employé, qui sert souvent à établir certains droits d’un employé relativement aux droits analogues de ses compagnons de travail.

[56] Toute incertitude, contestation, revendication ou erreur en matière d’ancienneté donne nécessairement ouverture à un conflit potentiel. En l’occurrence, les parties ont eu recours à l’arbitrage pour faire trancher ces questions. Il est rare qu’une décision qui tranche les conflits en matière d’ancienneté fasse le bonheur de tous ceux concernés, et le syndicat doit toujours tenir compte des intérêts de tous les membres de l’unité et procéder attentivement, objectivement et de bonne foi.

[57] L’affaire Mallette, 2012 CCRI 645, avait trait à un désaccord quant au rang du plaignant sur la liste d’ancienneté. Le Conseil a reconnu qu’en principe, il revient à l’agent négociateur de déterminer sa propre interprétation de la convention collective :

[14] La décision Crispo 527, par coïncidence, a aussi décrit les obligations d’un syndicat envers les membres de l’unité de négociation. Parfois, les intérêts de certains membres ne sont pas conformes à ceux de l’ensemble des membres, surtout pour des questions concernant leur rang sur la liste d’ancienneté. Ce genre de litige est difficile à régler pour un syndicat, qui doit représenter tous les membres de l’unité :

[16] Le devoir de représentation juste prévu à l’article 37 du Code, précité, oblige le Conseil à examiner le processus suivi par un syndicat pour s’assurer que ce dernier n’a pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des droits reconnus aux membres de l’unité de négociation par la convention collective.

[17] Le Conseil ne siège toutefois pas en appel des décisions d’un syndicat et ne décide pas si le syndicat a tiré les « bonnes » conclusions.

[18] Un syndicat doit souvent prendre des décisions difficiles qui sont bénéfiques pour certains membres de l’unité de négociation et néfastes dans la même mesure pour d’autres. Par exemple, lorsqu’elle porte sur des questions litigieuses en matière d’ancienneté, la décision du syndicat ne plaira pas à tous les membres. Tant que le syndicat n’a pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi, le Conseil n’intervient pas.

 

 

(c’est nous qui soulignons)

 

[23] Comme il est mentionné dans l’extrait de la décision Crispo 527 cité ci-dessus, le Conseil accepte que c’est l’agent négociateur qui a l’ultime responsabilité de déterminer sa propre interprétation de la convention collective. Cette responsabilité inclut la discrétion de corriger son opinion au sujet de l’interprétation d’une disposition quelconque.

[24] Dans sa plainte, M. Mallette a contesté l’interprétation de la convention collective. Il n’y avait aucune preuve que le TCA a pris sa position en s’appuyant sur des facteurs arbitraires, discriminatoires ou de mauvaise foi. Les faits invoqués indiquent que le TCA avait à trancher une question relative à l’ancienneté impliquant plusieurs membres de l’unité.

[58] Bien qu’ils soient en désaccord avec le syndicat, les plaignants n’ont pas réussi à démontrer que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste.

[59] Par conséquent, et pour les motifs qui suivent, le Conseil est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir de la façon demandée, parce qu’il n’est pas en mesure de conclure qu’il y a eu violation de l’article 37 du Code.

1. Plainte présentée au nom d’autres employés

[60] Le Conseil rejette le moyen préliminaire du syndicat selon lequel M. Soucy a déposé une plainte sans droit parce que, n’ayant pas été lui-même victime d’une quelconque erreur d’ancienneté, il n’a ni l’intérêt juridique personnel pour ce faire ni mandat ou procuration pour le faire au nom d’autres personnes.

[61] L’article 37 du Code, dont le texte figure ci-dessus, interdit aux syndicats et à leurs représentants d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la convention collective.

[62] Cette disposition codifie les principes établis par la jurisprudence antérieure et qui constituent les éléments du devoir de représentation juste d’un syndicat prévus par le Code.

[63] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, nous enseigne, entre autres choses, que :

Le devoir de représentation trouve sa source dans le pouvoir exclusif qui est reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation.

(page 526)

[64] Dans ce même arrêt, la Cour a fait observer que ce pouvoir exclusif du syndicat :

1. … comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

(page 527)

[65] De plus, la Cour y a précisé que le DRJ exige aussi que :

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

(page 527)

[66] À l’article 37 du Code, le DRJ auquel le syndicat est tenu prévoit qu’il y est tenu à l’égard d’une catégorie ou d’une classe de personnes décrite comme étant « des employés de l’unité de négociation ».

[67] D’ailleurs, le DRJ s’applique « dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective », qui n’est pas une formulation restreinte aux droits particuliers d’un d’entre eux qui présente ou pourrait présenter une plainte au Conseil, ou qui se trouve personnellement lésé dans l’exercice de ses droits.

[68] Le libellé de l’article 37 du Code ne limite pas le DRJ au cas d’un employé personnellement lésé dans un cas particulier. Il s’agit plutôt d’un devoir au sens large qui englobe tous les membres de l’unité de négociation.

[69] Lorsque nous examinons l’aspect de la question qui traite précisément de qui a qualité pour présenter au Conseil une plainte de manquement au DRJ, c’est le Code qui nous guide en premier lieu.

[70] L’alinéa 97(1)a) du Code prévoit que toute personne peut adresser au Conseil une plainte reprochant à un syndicat d’avoir manqué ou contrevenu à l’article 37 :

97. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), toute personne ou organisation peut adresser au Conseil, par écrit, une plainte reprochant :

a) soit à un employeur, à quiconque agit pour le compte de celui-ci, à un syndicat, à quiconque agit pour le compte de celui-ci ou à un employé d’avoir manqué ou contrevenu aux paragraphes 24(4) ou 34(6), aux articles 37, 47.3, 50, 69, 87.5 ou 87.6, au paragraphe 87.7(2) ou aux articles 94 ou 95;

[71] Dans la mesure où une telle plainte fait état d’une prétendue violation des droits d’un particulier protégés par le Code, toute personne peut la présenter au Conseil (voir Galarneau, 2003 CCRI 239; et VIA Rail Canada inc., 2001 CCRI 127).

[72] Bien que « toute personne ou organisation » puisse présenter une telle plainte, un plaignant doit avoir un intérêt réel ou véritable dans l’affaire pour déposer une plainte auprès du Conseil. Ce n’est pas simplement toute personne, qu’elle soit ou non touchée par l’issue du débat, qui peut présenter une plainte de manquement au DRJ d’un syndicat.

[73] Pour éviter les procédures inutiles et aussi pour assurer l’utilisation efficace de ses ressources, le Conseil veille à faire respecter les objectifs du Code en tenant compte de l’intérêt juridique des plaignants avant de déclencher ses procédures habituelles. Le Conseil joue ainsi le rôle qui lui est propre, soit celui de favoriser de saines relations entre travailleurs, syndicats et employeurs.

[74] Pour tenir compte des droits et privilèges d’un agent négociateur ainsi que de l’étendue, des paramètres et de la portée de son DRJ, des restrictions s’imposent en matière de qualité pour agir afin de s’assurer que les plaintes abusives ou redondantes ne sont pas présentées par des personnes étrangères à l’accréditation ou par des trouble-fête relativement aux circonstances remises en question.

[75] En l’espèce, M. Soucy est un employé membre de l’unité de négociation qui pourrait nécessairement être touché par l’interprétation des dispositions de la convention collective concernant l’ancienneté. Certains employés lui ont posé des questions à ce sujet, peut-être à cause de son expérience et de son rôle antérieur comme délégué syndical d’un autre syndicat. Il a présenté sa plainte comme membre de l’unité pour soulever certaines questions pertinentes et pour contester les décisions du syndicat.

[76] Le Conseil estime que l’intérêt personnel de M. Soucy est assez évident et qu’il est suffisant pour l’investir de la qualité pour agir comme plaignant au nom de certains autres employés de l’unité. Il ne s’agit pas d’une personne étrangère à l’unité de négociation, sans liens ou rapports avec les questions soulevées et leur issue.

2. Intérêt juridique d’un plaignant non touché par l’erreur reprochée

[77] Il en va de même pour ce qui est de l’objection du syndicat quant au droit du plaignant, M. Guay, de soulever la question des erreurs dans la liste d’ancienneté.

[78] Il n’est pas nécessaire que le plaignant lui-même soit victime d’une erreur pour être en mesure de soulever la question et d’alléguer un manquement au DRJ, et ainsi revendiquer les intérêts des autres membres de l’unité.

[79] Ceci répond aux deux premières questions à trancher.

3. Bien-fondé des deux plaintes

[80] Le Conseil procédera maintenant à son appréciation de la preuve concernant la question principale, à savoir si le syndicat a manqué à son DRJ en signant l’entente et en rejetant la demande de dépôt d’un grief collectif, ou autrement.

[81] Il convient de souligner que, dans une plainte de manquement au DRJ, le rôle du Conseil est d’évaluer la conduite du syndicat et de déterminer si celui-ci a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

[82] Par contre, le Conseil n’a pas à évaluer si les décisions du syndicat sont correctes, ou à substituer sa propre opinion à celle du syndicat. Le Conseil n’examine pas en appel le bien-fondé de la décision du syndicat de renvoyer ou non un grief à l’arbitrage.

[83] Le devoir du Conseil quand il est saisi d’une plainte de prétendu manquement au DRJ est de s’assurer qu’il s’agit d’une question de droits des employés aux termes de l’article 37, et d’évaluer le processus, les agissements et le comportement du syndicat lorsqu’il a pris ses décisions, pour vérifier s’il s’est acquitté de son DRJ sans agir de l’une ou l’autre des trois manières interdites par le Code, c’est-à-dire de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi (voir McRaeJackson, 2004 CCRI 290; Presseault, 2001 CCRI 138; et Coulombe, 1999 CCRI 25).

[84] Pour ce faire, le Conseil tient toujours compte du contexte des événements en question et examine en détail les faits portés à son attention, pour apprécier leur implication et leur incidence sur les relations du travail.

[85] Dans tous les cas, le Conseil tranche la question de déterminer si le syndicat a manqué à son DRJ par l’examen, dans le contexte qui s’applique, des moyens employés et des démarches suivies par le syndicat. Le Conseil n’a pas non plus à examiner les divergences d’opinions quant à l’interprétation d’une sentence arbitrale.

[86] La discrimination n’est pas alléguée en l’espèce, et le Conseil n’en a pas constaté dans la preuve présentée.

a. L’entente de transition

[87] Les parties avaient reconnu que la convention collective du syndicat choisi allait s’appliquer à la nouvelle unité, avec les ajustements nécessaires. La convention collective liant le SCFP et l’employeur est en vigueur entre le 19 décembre 2013 et le 30 septembre 2018.

[88] Dans son ordonnance no 10562-U en date du 22 mai 2014, le Conseil a donné aux parties la possibilité de s’entendre et de l’aviser, au plus tard le 23 juin 2014, de toute entente sur les ajustements et le règlement des questions liées à la fusion, conformément à l’alinéa 18.1(2)a) du Code.

[89] À titre transitoire, le Conseil a ordonné que les conventions collectives alors en vigueur continueraient de s’appliquer jusqu’à la détermination des ajustements nécessaires.

[90] Vu l’importance pour les plaignants de la question de l’entente qui a été signée par le syndicat et l’employeur le 20 juin 2014, il est nécessaire et instructif de comprendre dans son ensemble l’effet sur la présente situation de l’article 18.1 du Code, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

18.1 (1) Sur demande de l’employeur ou d’un agent négociateur, le Conseil peut réviser la structure des unités de négociation s’il est convaincu que les unités ne sont plus habiles à négocier collectivement.

(2) Dans le cas où, en vertu du paragraphe (1) ou des articles 35 ou 45, le Conseil révise la structure des unités de négociation :

a) il donne aux parties la possibilité de s’entendre, dans le délai qu’il juge raisonnable, sur la détermination des unités de négociation et le règlement des questions liées à la révision;

b) il peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées pour mettre en oeuvre l’entente.

(3) Si le Conseil est d’avis que l’entente conclue par les parties ne permet pas d’établir des unités habiles à négocier collectivement ou si certaines questions ne sont pas réglées avant l’expiration du délai qu’il juge raisonnable, il lui appartient de trancher toute question en suspens et de rendre les ordonnances qu’il estime indiquées dans les circonstances.

(4) Pour l’application du paragraphe (3), le Conseil peut :

 

 

d) apporter les modifications qu’il estime nécessaires aux dispositions de la convention collective qui portent sur la date d’expiration ou les droits d’ancienneté ou à toute autre disposition de même nature;

 

 

f) autoriser l’une des parties à une convention collective à donner à l’autre partie un avis de négociation collective.

[91] En l’espèce, les parties ont réussi à s’entendre sur les ajustements nécessaires, les modalités d’application des ajustements et les questions liées à la fusion. Le Conseil a pris acte de l’entente intervenue et signée le 20 juin 2014 et l’a entérinée dans son ordonnance no 732‑NB en date du 26 juin 2014, le tout en vertu des dispositions du Code.

[92] Il n’y avait ni besoin ni lieu, dans ces circonstances, d’autoriser une partie à une convention collective à donner à l’autre partie un avis de négociation collective. Le Code ne l’exige pas, et les plaignants n’ont pas soutenu que ceci était le cas.

[93] M. Guay soutient dans sa plainte que le syndicat aurait dû soumettre l’entente à un vote en assemblée générale, sans invoquer une disposition du Code ou d’une convention collective pour étayer sa prétention.

[94] Dans la mesure où la demande pour un vote s’est présentée en fonction des attentes ou expectatives des plaignants, possiblement inspirées par une règle ou une pratique syndicale, celles-ci n’ont pas été identifiées aux dossiers. Selon la preuve aux dossiers, le Conseil n’est pas à même d’y voir une question de l’exercice des droits reconnus aux employés par une convention collective, aux termes de l’article 37 du Code.

[95] Le Conseil est d’avis que, dans les circonstances décrites en l’espèce, la tenue d’un vote de ratification de l’entente n’était pas obligatoire en vertu de la loi y afférente.

[96] Plus précisément, le Conseil est d’avis que le fait en soi qu’un vote en assemblée générale sur l’entente du 20 juin 2014 n’a pas eu lieu, même en tenant compte de l’ensemble de la preuve aux dossiers, ne démontre pas de conduite de mauvaise foi qui permettrait d’en tirer la conclusion qu’il y a eu manquement au DRJ auquel le syndicat est tenu envers les employés par l’article 37 du Code.

b. La demande pour le dépôt d’un grief collectif

[97] En l’espèce, le Conseil est tenu d’évaluer la façon dont le syndicat a traité la demande pour le dépôt d’un grief collectif. Il doit se prononcer sur le processus décisionnel du syndicat et non sur le bien-fondé du grief.

[98] La preuve aux dossiers démontre que les parties ont choisi de régler la question de l’intégration des listes d’ancienneté à l’arbitrage, et que le syndicat a veillé par la suite à ce que la sentence arbitrale de Me Lussier soit appliquée conformément à son interprétation de la convention collective. Ce faisant, le syndicat a pris ses responsabilités au sérieux et a expliqué par la suite ce qu’il a fait de façon objective et raisonnable.

[99] Le fait que les plaignants soient insatisfaits de l’interprétation donnée par le syndicat à la sentence arbitrale, ou soient en désaccord avec lui quant à l’interprétation de la convention collective, ne constitue pas un fondement suffisant pour justifier le dépôt d’une plainte de manquement au DRJ.

[100] Le Conseil estime que le syndicat, en demandant au responsable provincial de s’assurer du respect de la sentence arbitrale et en discutant de la demande de dépôt d’un grief et du dossier avec son comité exécutif et avec la conseillère syndicale, qui a ensuite vérifié sa position auprès du procureur du syndicat, n’a pas fait preuve d’une approche superficielle ni de mauvaise foi dans son traitement de la question d’ancienneté.

[101] Au contraire, la preuve démontre que le syndicat a examiné le problème attentivement et objectivement et a pris une décision réfléchie et éclairée quant à la suite des événements, après avoir examiné les divers éléments pertinents et parfois contradictoires.

[102] À cet égard, il importe aussi de noter que le syndicat avait examiné en détail la demande de dépôt d’un grief collectif, et même publié une semaine plus tard le texte de cette demande, accompagné d’une explication de sa position et de sa décision de ne pas y donner suite.

[103] Par conséquent, le Conseil ne dispose d’aucun élément de preuve attestant qu’il y aurait eu de la négligence, de la mauvaise foi ou une conduite arbitraire de la part du syndicat. D’ailleurs, les dossiers ne révèlent pas, par exemple, que les décisions du syndicat relativement à toute question d’ancienneté étaient complètement déraisonnables dans le sens d’être inacceptables quant aux exigences du Code et à son objectif de promouvoir de saines relations du travail.

[104] Dans ces circonstances, le Conseil n’a pas l’intention de remettre en question la position prise par le syndicat, qui avait été validée par le comité exécutif du syndicat et la conseillère syndicale, ni de remettre en question l’interprétation juridique du procureur du syndicat.

[105] Il convient aussi de faire observer que chaque décision d’un syndicat ne peut pas toujours plaire à tous ses membres, et surtout pas à tous les membres qui font partie d’une unité de négociation nouvellement formée par la fusion de plusieurs unités. Les intérêts des anciens employés de G4S étaient antérieurement représentés par un autre syndicat, les Teamsters, et leurs modalités de travail étaient établies dans une autre convention collective.

c. L’ensemble des autres allégations

[106] Les fusions des entreprises et des unités de négociation ont changé la donne de façon importante pour tous ceux touchés dans les présentes affaires. La transition vers une nouvelle donne syndicale a présenté un défi d’envergure pour le syndicat.

[107] La question du refus de nommer des délégués syndicaux parmi les anciens employés de G4S est soulevée pour étayer la prétention que le syndicat a fait preuve d’une hostilité envers ceux-ci et, par conséquent, qu’il a fait preuve de mauvaise foi et manqué au DRJ auquel il est tenu par l’article 37 du Code.

[108] Le Conseil a pris bonne note de cette réalité. Le Conseil a également noté que, malgré l’exigence établie à l’article 11.16 des statuts et règlements du syndicat voulant qu’un employé doive être membre depuis un an pour se porter candidat, les membres du comité exécutif du syndicat avaient entamé des discussions au mois de juin 2014 avec trois anciens employés de G4S qui avaient été nommés par leurs pairs ou qui avaient soumis leur candidature.

[109] Relativement à cette question, aucune disposition d’une convention collective n’est mentionnée pour établir un droit des employés en ce sens ou un lien avec l’article 37 du Code. Dans les circonstances, le Conseil estime qu’il s’agit plutôt d’une question interne du syndicat beaucoup plus qu’une entrave à l’exercice d’un droit reconnu par une convention collective. Il conclut donc qu’il s’agit d’un lien trop indirect et d’une preuve insuffisante pour établir un manquement au DRJ.

[110] Parmi les autres allégations formulées, le syndicat a expliqué, par exemple, que l’employé qui s’est vu accorder sa date d’embauche pour servir de date d’ancienneté bénéficiait de cet avantage par suite d’une fusion antérieure des unités. Cet employé était parmi ceux en provenance du Mouvement Desjardins qui, à l’époque, bénéficiaient de cette protection-là, qui était reconnue dans les conventions collectives signées depuis cette fusion d’unités. L’autre superviseur n’avait simplement pas communiqué avec le syndicat afin de faire corriger sa date d’embauche.

[111] Concernant le recours aux tirages au sort pour établir avec l’employeur le rang sur la nouvelle liste d’ancienneté de quelques employés qui se sont retrouvés avec la même date d’embauche, le syndicat a ainsi procédé selon sa compréhension de l’article pertinent de la convention collective. Le syndicat soutient aussi avoir accepté toutes les demandes de correction des erreurs initiales que plusieurs employés avaient transmises avec preuve à l’appui.

[112] Lorsqu’il s’agit d’un désaccord quant à l’interprétation d’une convention collective entre le syndicat signataire et un employé protégé par celle-ci, le Conseil n’a pas à remettre en question ou à corriger la position du syndicat sans une preuve, qui n’est pas présente en l’espèce, que le syndicat a agi de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

[113] En fin de compte, c’est au syndicat que revient la responsabilité d’interpréter la convention collective, mais toujours en faisant preuve de sérieux dans l’exercice de ses responsabilités envers tous les employés qu’il représente comme agent négociateur, et en tenant compte des questions légitimes soulevées par ces employés. Pourvu que le syndicat examine attentivement une demande de dépôt d’un grief, fasse l’enquête indiquée dans les circonstances, prenne une décision éclairée et motivée et en informe l’employé, ce n’est pas obligatoire dans tous les cas qu’il accepte de donner suite à une demande d’un employé de présenter un grief ou de le renvoyer à l’arbitrage.

[114] Ayant examiné attentivement toute la preuve en l’espèce, le Conseil n’y relève aucun élément qui lui permettrait de conclure que le syndicat a manqué à son devoir de représentation juste énoncé à l’article 37 du Code.

VIII. Remarques et dispositif

[115] Bien que ces constatations soient définitives, le Conseil est d’avis qu’il est opportun d’ajouter les commentaires qui suivent.

[116] Le Conseil est conscient des défis et difficultés qui peuvent parfois se présenter dans le milieu des relations du travail tant pour les employés que pour les syndicats et les employeurs. Le volume de documents présentés au Conseil a su traduire les expériences des parties et la particularité d’un processus de transition qui s’est avéré assez difficile pour ceux qui en ont été touchés.

[117] Le syndicat a dû accomplir la tâche difficile de prendre en considération les intérêts de tous les membres de la nouvelle unité de négociation, de faire une analyse responsable des demandes et solutions possibles et, en autant que faire se peut, de s’acquitter de ces impératifs tout en prenant des décisions raisonnables et réfléchies.

[118] Le rôle du Conseil saisi de plaintes de manquement au DRJ est de veiller à ce que le syndicat respecte les exigences de l’article 37 du Code. Tant que le syndicat n’enfreint pas le Code, il n’appartient pas au Conseil de chercher à changer ou à améliorer les démarches et les décisions du syndicat qui, lui, dispose d’une certaine latitude décisionnelle dans de telles circonstances.

[119] Le désaccord entre les plaignants et le syndicat découle en premier lieu d’une divergence d’opinions à l’égard de l’interprétation donnée à la sentence de l’arbitre Lussier.

[120] Le fait que les plaignants n’étaient pas satisfaits des décisions du syndicat et ont formulé certaines critiques sur sa façon de faire n’est peut-être pas complètement inattendu dans de telles circonstances. Toutefois, aussi compréhensibles que soient les inquiétudes et soucis des plaignants, la preuve n’a pas démontré le bien-fondé de leurs plaintes.

[121] Le Conseil ne relève aucun élément de preuve démontrant que le syndicat a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des plaignants en violation du Code.

[122] Par conséquent, pour les motifs énoncés ci-dessus, les présentes plaintes sont rejetées.

[123] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

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