Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Saskatchewan Government and General Employees’ Union,

plaignant,

et

Cowessess First Nation #73,

intimée.

Dossiers du Conseil : 30493-C et 30715-C

Référence neutre : 2015 CCRI 762

Le 25 février 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil ou le CCRI) était composé de MGraham J. Clarke, Vice‑président, ainsi que de M. Daniel Charbonneau et Me Robert Monette, Membres.

Procureurs inscrits aux dossiers

Me Greg D. Fingas, pour le Saskatchewan Government and General Employees’ Union;

Me Mervin C. Phillips, pour Cowessess First Nation #73.

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour rendre la présente décision partielle sans tenir d’audience.

I. Nature de la plainte

[1] Le Conseil est saisi de deux plaintes de pratique déloyale de travail déposées par le Saskatchewan Government and General Employees’ Union (le SGEU), qui allègue, entre autres choses, que l’employeur, Cowessess First Nation #73 (Cowessess), a enfreint le paragraphe 94(3) du Code en prenant des mesures de représailles contre des employés parce qu’ils ont participé à sa campagne de syndicalisation.

[2] Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 94(3), le paragraphe 98(4) du Code inverse le fardeau de la preuve; en l’espèce, Cowessess est donc tenue de prouver que ses actions n’étaient pas motivées par un sentiment antisyndical :

98. (4) Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur ou une personne agissant pour son compte, du paragraphe 94(3), la présentation même d’une plainte écrite constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[3] Conformément à la pratique habituelle du Conseil dans des affaires nécessitant l’application du paragraphe 98(4), Cowessess présentera sa preuve en premier à l’audience du Conseil : voir, par exemple, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CCRI 501.

[4] Le 23 février 2015, le SGEU a présenté une requête dans laquelle il alléguait que Cowessess n’avait pas fourni de sommaires conformes des témoignages anticipés de ses témoins (sommaires) concernant les questions que le SGEU avait soulevées dans ses plaintes. Le Conseil a donné à Cowessess 24 heures pour répondre à la requête, étant donné que l’audience doit débuter le 3 mars 2015 à Regina.

[5] Le 24 février 2015, Cowessess a répondu et a fait valoir que ses sommaires étaient conformes, à condition qu’ils soient examinés conjointement avec la réponse qu’elle a présentée pour chacune des plaintes.

[6] Il est écrit dans les sommaires de Cowessess que ses témoins « démentiraient les allégations contenues dans la plainte » (traduction) et démentiraient les renseignements exposés dans les sommaires détaillés du SGEU. Le Conseil conclut que les sommaires de Cowessess étaient essentiellement inutiles.

[7] Le Conseil ordonne à Cowessess de fournir au SGEU des sommaires complets et justes des témoignages envisagés de chacun de ses témoins. Si Cowessess contrevient une fois encore au Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), le Conseil examinera les demandes de redressement du SGEU, pouvant aller jusqu’à l’application des conséquences énoncées au paragraphe 27(4) du Règlement.

[8] Voici les motifs de la décision du Conseil.

II. Importance de la communication de documents dans le cadre des instances du CCRI

[9] Les instances du CCRI se situent à mi-chemin entre le caractère informel de l’arbitrage des conflits de travail et le lourd processus suivi dans le cadre de procès civils. Dans un arbitrage des conflits de travail typique, il est possible qu’au premier jour de l’audience, l’arbitre ne sache rien de l’affaire qu’il aura à trancher.

[10] Par contre, dans le cadre de procès civils ne faisant pas l’objet d’une procédure sommaire, les parties procèdent à la présentation d’observations écrites complètes, à la production complète de documents au moyen d’un affidavit, à l’interrogatoire préalable, aux demandes d’aveux et plusieurs autres étapes procédurales conçues pour veiller à ce que l’affaire soit traitée intégralement pendant le procès.

[11] Dans le cadre d’affaires instruites par des commissions des relations de travail, certaines exigences précises relatives aux procès civils peuvent être adoptées et adaptées, surtout lorsqu’il est question d’un tribunal comme le CCRI, qui n’a pas à tenir une audience pour chaque affaire dont il est saisi : article 16.1. Bien qu’il n’y ait pas d’interrogatoire préalable dans les affaires que le CCRI doit trancher, il reste tout de même que certains documents doivent être produits et portés à l’attention du Conseil.

[12] Le Règlement exige également des parties qu’elles fournissent un sommaire des témoignages anticipés de chacun de leurs témoins à propos des questions juridiques découlant des observations. L’objectif général est de veiller à tenir une audience équitable et d’éviter de gaspiller les ressources limitées du Conseil en matière d’audience et de déplacements.

A. Production de documents

[13] Le Règlement prévoit trois situations ayant une incidence sur les obligations de production de documents qui incombent aux parties. Premièrement, les observations présentées au Conseil doivent comprendre des documents déposés à l’appui. Par exemple, dans le cadre d’une plainte de pratique déloyale de travail, l’alinéa 40(1)e) exige que la plainte comprenne une copie des documents déposés à l’appui :

40. (1) La plainte comporte les renseignements suivants :

e) une copie des documents déposés à l’appui de la plainte.

[14] De même, pour une réponse ou une réplique, l’alinéa 12(1)d) du Règlement exige une copie des documents déposés à l’appui :

12. (1) Toute réponse ou réplique comporte les renseignements suivants :

d) une copie des documents déposés à l’appui de la réponse ou de la réplique.

[15] Deuxièmement, si le Conseil décide de tenir une audience, l’alinéa 27(1)a) entre alors en jeu et énonce l’obligation qu’a chaque partie de produire les documents sur lesquels elle entend se fonder à l’audience :

27. (1) La partie qui entend présenter une preuve dépose six exemplaires des documents ci‑après auprès du Conseil ou selon le nombre exigé par celui-ci :

a) tous les documents qu’elle entend produire en preuve, notamment tous les documents déposés avec la demande, la réponse ou la réplique, le cas échéant, reliés dans un ou plusieurs cahiers et séparés par des onglets.

(c’est nous qui soulignons)

[16] Les deux premières situations prévues dans le Règlement énoncent les obligations des parties en ce qui a trait à la production des documents déposés à l’appui de leurs observations initiales et des documents sur lesquels elles entendent se fonder si le Conseil décide de tenir une audience. Le paragraphe 21(1) du Règlement établit une troisième situation dans laquelle une partie peut demander la communication d’autres documents pertinents de la part d’une autre partie :

21. (1) La partie qui veut obtenir la communication de documents pertinents en fait la demande par écrit directement aux autres parties avant de demander au Conseil d’en ordonner la communication.

[17] Les dispositions du Règlement sur la production de documents visent à faire en sorte, comme lors de procès civils – mais sans l’obligation de procéder à un interrogatoire préalable officiel –, que le Conseil dispose de tous les documents pertinents. Non seulement cette façon de faire aide le Conseil, mais elle peut aussi favoriser les règlements lorsque tous les documents, y compris ceux qui pourraient ne pas être favorables à une partie, ont été produits.

[18] Les principes juridiques que le Conseil applique lorsque surviennent des différends concernant la production de documents ont été résumés dans Air Canada, 1999 CCRI 3, au paragraphe 28 :

[28] Il découle de ces décisions les principes suivants que l’on peut appliquer à bon escient en l’espèce.

1. Il n’est pas acquiescé systématiquement à une demande de production de documents, chaque demande devant être évaluée au mérite.

2. On doit pouvoir soutenir la pertinence des renseignements demandés à la question à trancher.

3. La demande doit être suffisamment précise pour que la personne à qui elle s’adresse puisse facilement déterminer la nature de celle-ci, les documents demandés, le délai pertinent et le contenu.

4. L’objet de la demande ne doit pas équivaloir à une recherche à l’aveuglette, autrement dit, les pièces à produire doivent aider le plaignant à découvrir quelque chose servant à étayer sa cause.

5. Le requérant doit démontrer un lien probant entre ses positions en litige et les pièces demandées.

6. Le fait de produire les éléments de preuve ne doit pas comporter un aspect préjudiciable qui l’emporte sur la valeur probante de cette preuve, quelle que soit la nature « confidentielle » possible du document.

B. Sommaire de la preuve que chaque témoin est censé fournir

[19] Dans le cadre de procès civils, les procureurs acceptent habituellement pendant le processus d’interrogatoire préalable de s’échanger le sommaire du témoignage anticipé de leurs témoins respectifs, ce qui permet d’éliminer en partie les surprises.

[20] À l’article 27 du Règlement, ce type de production d’éléments de preuve est adapté de manière à voir à ce que chaque partie comprenne bien les éléments de preuve que l’autre produira. Cette façon de faire est essentielle dans une procédure relative aux relations du travail où l’interrogatoire préalable n’est pas utilisé en raison des coûts et des retards que cela implique.

[21] L’alinéa 27(1)b) énonce les obligations des parties de fournir une liste des témoins ainsi qu’un « sommaire de l’information que chacun d’eux est censé fournir sur les questions soulevées par la demande, la réponse ou la réplique » :

27. (1) La partie qui entend présenter une preuve dépose six exemplaires des documents ci‑après auprès du Conseil ou selon le nombre exigé par celui-ci :

b) la liste des témoins cités – noms et professions – accompagnée d’un sommaire de l’information que chacun d’eux est censé fournir sur les questions soulevées par la demande, la réponse ou la réplique.

(c’est nous qui soulignons)

[22] Le Conseil a pour habitude de joindre des formulaires à ses lettres d’audience afin d’aider les parties à se conformer aux exigences de l’alinéa 27(1)b). Il faut inscrire dans ces formulaires le nom du témoin et un sommaire de son témoignage.

[23] Pour souligner l’importance de la production d’éléments de preuve et de documents, précisons que le manquement à cette obligation peut entraîner des conséquences importantes :

27. (4) Le Conseil peut refuser de considérer tout document ou témoignage invoqué par la partie qui a négligé de se conformer aux paragraphes (1), (2) ou (3).

[24] De toute évidence, une partie peut subir un préjudice si elle prépare des sommaires conformes alors que la partie opposée ne lui fournit aucun sommaire étoffé du témoignage de ses témoins.

[25] En règle générale, le Conseil laisse aux procureurs le soin de veiller à la conformité aux exigences en matière de sommaires, car ils connaissent le fondement factuel mieux que le Conseil. Mais le Conseil interviendra si un manquement à ces exigences est susceptible de causer un préjudice à l’une des parties, et ainsi nuire au bon déroulement de l’audience.

[26] Le Conseil s’est prononcé sur la nécessité de produire des éléments de preuve dans Plante, 2011 CCRI 582 :

[53] Le Conseil a adopté une politique explicite qui exige la production de documents et d’éléments de preuve avant l’audience. Cette pratique encourage les parties à jouer cartes sur table et à chercher des façons de régler l’affaire. Elle permet aussi au Conseil de bien se préparer pour les audiences.

[54] En relations du travail, il existe une pratique, unique au Québec, qui permet à la partie à laquelle incombe le fardeau de la preuve d’appeler le plaignant ou l’auteur du grief comme premier témoin. Contrairement aux provinces qui appliquent les principes de common law, au Québec, la partie qui a le fardeau de la preuve n’est pas liée par le témoignage du plaignant. Néanmoins, cette pratique constitue une forme de communication des faits de la partie opposée.

[55] Dans le passé, le Conseil a respecté cette pratique québécoise de longue date. En l’espèce, le plaignant n’a pas été le premier témoin appelé. Cependant, même s’il avait été le premier témoin, ce processus n’aurait pas remplacé l’obligation de se conformer aux dispositions du Règlement qui exigent la présentation d’un résumé des témoignages anticipés de chaque témoin.

[56] Le Règlement a été conçu de façon à éviter que les parties soient surprises par les éléments de preuve présentés. Cette règle n’assure pas seulement des audiences équitables, elle permet aussi au Conseil de mener ses audiences efficacement et d’éviter des ajournements qui entraînent une perte de temps.

[27] Dans Rogers Radio (CJMX-FM), 2003 CCRI 246, le Conseil a examiné la façon dont il doit appliquer le Règlement lorsqu’il y a manquement à l’obligation de fournir des sommaires :

[22] Ce qui précède ne veut pas dire que, dans son examen de ce dont il est saisi, le banc de révision soit d’avis que l’application rigoureuse du Règlement de 2001 dans toutes les circonstances était contraire aux règles de justice naturelle. Toutefois, il tient, par principe, à ce qu’on interprète largement les facteurs pertinents lorsqu’il est question d’exclure une preuve apparemment pertinente, en raison de l’importance primordiale de prendre grand soin d’assurer l’intégrité des procédures d’audience du Conseil.

III. Analyse et décision

[28] Le 19 février 2015, le SGEU a fourni à Cowessess des sommaires contenant les renseignements précis requis, conformément à l’avis d’audience du Conseil. Ces sommaires ont permis à Cowessess de prendre connaissance des éléments de preuve que le SGEU entendait présenter par l’entremise de ses témoins, si cela s’avérait nécessaire, après la présentation de la preuve de Cowessess, qui ferait comparaître ses témoins en premier.

[29] Le 20 février 2015, Cowessess a déposé ses sommaires. Comme l’exige l’article 27 du Règlement, ces sommaires donnaient clairement le nom des témoins de Cowessess, à l’exception d’un témoin expert dont le nom n’a pas été précisé.

[30] Cependant, contrairement aux sommaires fournis par le SGEU, tous les sommaires de Cowessess contenaient la mention suivante, bien inutile : « Nous démentirons les allégations contenues dans les plaintes et les déclarations des témoins suivants : (noms de divers témoins du SGEU) » (traduction). Le Conseil savait déjà que Cowessess refusait les allégations factuelles du SGEU. La suggestion de Cowessess, selon laquelle la réponse qu’elle avait présentée pour chacune des plaintes rendait ses sommaires conformes d’une manière ou d’une autre, ne tient aucun compte ni du libellé du Règlement ni des formulaires que le Conseil lui a envoyés avec son avis d’audience du 26 septembre 2014.

[31] Le Conseil, dans son avis d’audience, a explicitement demandé « pour chaque témoin cité à comparaître, son nom et son titre de poste, et un bref exposé de son témoignage (formulaires ci-joints) ».

[32] Le fardeau de la preuve incombe à Cowessess en ce qui a trait à plusieurs questions qu’a soulevées le SGEU dans ses plaintes. Les sommaires de Cowessess doivent contenir le témoignage de ses témoins sur les questions précises qu’a soulevées le SGEU dans ses plaintes. Le fait que Cowessess présentera sa preuve en premier à l’audience ou qu’elle a répondu aux deux plaintes ne suffit pas.

[33] Aux fins des présentes affaires, le Conseil ordonne à Cowessess de fournir au SGEU des sommaires conformes au plus tard le jeudi 26 février 2015 à 14 h (heure de la Saskatchewan). Le Conseil est convaincu que cette mesure permettra de régler ce problème qui n’a pas lieu d’être.

[34] Le Conseil se réserve le droit de réexaminer la question si la situation le justifie.

[35] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

Traduction

 

____________________

Graham J. Clarke

Vice-président

 

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Daniel Charbonneau

Membre

 

 

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Robert Monette

Membre

 

 

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