Code canadien du travail, Parties I, II et III

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Motifs de décision

Banque Canadienne Impériale de Commerce,

requérante,

et

Jordan Rooley,

intimé,

et

Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes (Syndicat des Métallos),

intimé.

Dossier du Conseil : 30352-C

Jordan Rooley,

requérant,

et

Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes (Syndicat des Métallos),

intimé,

et

Banque Canadienne Impériale de Commerce,

employeur.

Dossier du Conseil : 30358-C

Référence neutre : 2015 CCRI 759

Le 29 janvier 2015

Le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil ou le CCRI) était composé de Me Graham J. Clarke, Me Judith MacPherson, c.r., et M. Patric F. Whyte, Vice‑présidents.

L’article 16.1 du Code canadien du travail (Partie I – Relations du travail) (le Code) prévoit que le Conseil peut trancher toute affaire ou question dont il est saisi sans tenir d’audience. Ayant pris connaissance de tous les documents au dossier, le Conseil est convaincu que la documentation dont il dispose lui suffit pour trancher ces deux demandes de réexamen sans tenir d’audience.

Procureurs inscrits au dossier

Me Kenneth M. Dolinsky, pour M. Jordan Rooley;

Me Simon Mortimer, pour la Banque Canadienne Impériale de Commerce;

Me Robert Champagne, pour le Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes (Syndicat des Métallos).

Les présents motifs de décision ont été rédigés par Me Graham J. Clarke, Vice-président.

I. Introduction[1] [2]

[1] Deux demandes de réexamen ont obligé le Conseil à se pencher sur certaines questions de principe ayant trait à la « volonté des employés », notamment : i) l’importance de la date de la présentation d’une demande et ii) l’obligation, s’il en est, qui incombe aux employés d’informer un requérant à l’origine d’une demande de révocation d’un changement à leur appui exprimé initialement (que l’on désignera ci‑après comme la « volonté des employés »).

[2] Pour examiner ces questions, le Conseil a résumé certaines de ses politiques de longue date, y compris celle qui a trait au processus automatique et confidentiel qu’il utilise pour évaluer la preuve de la volonté des employés.

II. Les demandes de réexamen

[3] Le Conseil a reçu deux demandes de réexamen visant à contester la décision qu’il a rendue dans Rooley, 2014 CCRI 712 (Rooley 712). M. Jordan Rooley travaillait pour la Banque Canadienne Impériale de Commerce (BCIC) et était membre d’une unité de négociation représentée par le Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes (Syndicat des Métallos) (les Métallos).

[4] Dans Rooley 712, le Conseil a établi que M. Rooley n’avait pas l’appui de la majorité lorsqu’il a présenté sa demande de révocation le 18 décembre 2013. Dans Rooley 712, l’appui de la majorité a été évalué à l’aide de formulaires imprimés sur du papier à correspondance officielle des Métallos que certains membres de l’unité de négociation avaient signés. Les Métallos ont joint ces formulaires à leur réponse écrite datée du 2 janvier 2014.

[5] Selon la date figurant sur les formulaires, ils ont été signés avant le 18 décembre 2013, date à laquelle M. Rooley a présenté sa demande de révocation.

[6] Dans la demande de réexamen qu’il a présentée le 7 mars 2014 (dossier du Conseil no 30358‑C), M. Rooley a soulevé plusieurs questions. Il a soutenu que le Conseil avait commis une erreur fondamentale en se fondant sur de l’information reçue après la présentation de sa demande de révocation le 18 décembre 2013.

[7] En outre, M. Rooley a laissé entendre qu’un employé qui souhaitait retirer son appui à la demande de révocation avait l’obligation juridique de l’en informer en sa qualité d’agent, à défaut de quoi tout présumé retrait devait être annulé.

[8] M. Rooley a aussi laissé entendre que les motifs exposés par le Conseil dans Rooley 712 suscitaient une crainte raisonnable de partialité.

[9] Quelques jours plus tôt, le 5 mars 2014, la BCIC avait aussi présenté une demande de réexamen (dossier du Conseil no 30352‑C). Dans cette demande, la BCIC avançait que le Conseil n’avait pas respecté les principes d’équité procédurale et de justice naturelle dans la façon dont il avait traité et examiné les éléments de preuve présentés par les Métallos concernant la volonté des employés.

[10] Les Métallos ont fait valoir que des formulaires signés avant la date de la présentation de la demande le 18 décembre 2013 pouvaient être utilisés pour mesurer l’appui à cette date, même si le Conseil ne les a reçus que 15 jours plus tard. Ils ont aussi fait valoir qu’un employé qui souhaitait changer d’avis à propos de son appui pouvait en informer le Conseil sans d’abord en avoir informé M. Rooley.

[11] Au moins une question soulevée en l’espèce est inédite. Le Conseil n’avait jamais analysé, puis tranché, une affaire dans laquelle la preuve d’adhésion portait une date antérieure à la date de la demande, mais avait été présentée à une date ultérieure à celle-ci. Dans Rooley 712, le Conseil n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le Code pour choisir une autre date qu’il estime indiquée pour établir la volonté des employés.

[12] Le banc de révision a conclu que le Conseil n’avait pas respecté le libellé du Code et sa politique de longue date en acceptant une preuve de la volonté des employés ayant été produite après la date de la présentation de la demande, même si la date de cette preuve était antérieure à la date de la demande.

[13] Le banc de révision est d’accord avec le banc initial, mais pour des raisons différentes, sur le fait que les employés qui souhaitent retirer leur appui à une demande de révocation ne sont pas tenus par la loi d’en informer le requérant. Dans le contexte d’une demande de révocation, les employés peuvent toujours écrire au Conseil directement et de manière confidentielle pour l’aviser qu’ils souhaitent retirer leur appui, pour autant que cette communication survienne avant la date de la présentation de la demande.

[14] Si le Conseil obligeait un employé à informer l’auteur d’une demande de révocation du fait qu’il a changé d’avis, cela porterait atteinte à la politique qui sous‑tend l’article 35 du Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement), qui garantit que la volonté des employés demeure confidentielle. Il n’y a pas lieu en l’espèce d’établir si différents facteurs pourraient s’appliquer dans le contexte des demandes d’accréditation.

[15] Avant d’examiner les questions soulevées en l’espèce, le Conseil formulera d’abord des observations sur son processus de réexamen, sur ses politiques relatives à la volonté des employés et sur l’importance de la date de la présentation de la demande dans les affaires touchant les droits de négociation.

III. Le processus de réexamen

[16] Dans Buckmire, 2013 CCRI 700 (Buckmire 700), le Conseil a résumé les principes de longue date qui s’appliquent à son processus de réexamen, en partie en raison de l’abrogation de l’article 44 du Règlement le 18 décembre 2012 : voir Buckmire 700, précitée, aux paragraphes 32 à 35. L’ancien article 44 du Règlement précisait les principaux motifs qui pouvaient être invoqués à l’appui d’une demande de réexamen d’une décision du Conseil.

[17] Dans Buckmire 700, le Conseil a fait valoir que les principaux motifs justifiant un réexamen n’ont pas changé depuis l’abrogation de l’article 44 du Règlement :

[36] Les principaux motifs de réexamen, ainsi que les obligations du requérant concernant la présentation d’une demande de réexamen, demeurent les mêmes que ceux décrits ci-dessous. De même, les décisions rendues par le greffier aux termes de l’article 3 du Règlement peuvent toujours faire l’objet d’un réexamen.

1. Faits nouveaux

[37] Ce motif porte sur des faits nouveaux que le requérant n’a pas portés à la connaissance du Conseil quand il a initialement présenté sa cause. Il ne s’agit pas, pour le requérant, d’une occasion d’ajouter des faits qu’il avait négligé de faire valoir.

[38] Comme le résume la décision Kies 413, précitée, une demande de réexamen doit comporter, à tout le moins, les renseignements suivants au sujet des faits nouveaux qui sont allégués :

1. les faits nouveaux en question;

2. la raison pour laquelle le requérant n’a pu les présenter au banc initial;

3. en quoi ces faits nouveaux auraient amené le Conseil à une conclusion       différente, eu égard à la décision faisant l’objet du réexamen.

[39] En règle générale, le banc initial examinera les demandes fondées sur ce motif, étant donné sa situation avantageuse pour ce qui est d’établir s’il y a bel et bien des « faits nouveaux » et de décider de leur incidence, le cas échéant, sur sa décision initiale.

2. Erreur de droit ou de principe

[40] Une présumée erreur de droit ou de principe doit véritablement remettre en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil. Le critère applicable comporte donc deux volets. Une simple divergence d’opinions sur l’interprétation d’une question de droit ou de principe ne justifie pas un réexamen.

[41] La question de droit ou le principe en cause doit également avoir été soulevé devant le banc initial.

[42] Si une erreur de droit ou de principe est alléguée, les éléments exigés pour la présentation du dossier demeurent les mêmes que ceux énumérés dans Kies 413, précitée :

1. une description du droit ou du principe en cause;

2. l’erreur exacte que le banc initial a commise dans l’application de ce droit ou principe;

3. la manière dont la présumée erreur remet véritablement en question l’interprétation donnée au Code par le banc initial.

3. Justice naturelle et équité procédurale

[43] Une demande de réexamen peut être fondée sur des allégations de non-respect, par le banc initial, des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[44] Conformément à la description donnée dans Kies 413, précitée, une demande présentée par une partie doit dans ce cas contenir au moins ce qui suit :

1. l’identification du principe exact de justice naturelle ou d’équité procédurale;

2. une description de la manière dont le banc initial n’a prétendument pas respecté ce principe.

E. Résumé des motifs principaux de réexamen


 

[45] On peut donc résumer comme suit les principaux motifs de réexamen :

a) des faits nouveaux que le requérant n’a pas pu porter à la connaissance du banc initial, mais qui auraient vraisemblablement amené le Conseil à tirer une autre conclusion;

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code ou d’un principe;

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale;

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3 du Règlement.

[46] C’est en tenant compte des principes susmentionnés que le Conseil examinera la demande de M. Buckmire.

[18] Les deux demandes de réexamen dont est saisi le Conseil sont fondées sur des allégations d’erreur de droit ou de principe et de non‑respect des principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

IV. Volonté des employés

[19] Dans leurs observations, M. Rooley et la BCIC ont tous les deux avancé que le Conseil, dans Rooley 712, n’avait pas fait enquête sur la preuve de la volonté des employés. Par exemple, à la page 3 de sa demande de réexamen datée du 7 mars 2014, M. Rooley a indiqué ce qui suit :

Le Conseil n’a pas demandé à un de ses agents de faire enquête sur les documents fournis, ni sur les circonstances dans lesquelles ils ont été rédigés et signés, ce qui signifie qu’ils ne sont que de simples renseignements; il ne s’agit pas d’éléments de preuve ayant dûment été présentés au Conseil et pouvant servir de fondement à des conclusions.

(traduction)

[20] À la page 7 de sa demande de réexamen datée du 5 mars 2014, la BCIC a exprimé ses préoccupations à l’égard du fait que le Conseil avait accepté la preuve de la volonté des employés sans se pencher davantage sur la question :

De même, la justice naturelle et l’équité procédurale ressortent de la règle établie dans Browne c. Dunn. Conformément à cette règle, si une personne cherche à mettre en doute la crédibilité d’un témoin en présentant des éléments de preuve contradictoires, ces éléments de preuve doivent être présentés au témoin directement. Le Conseil enfreint cette règle en acceptant que ce qu’il croit être la signature ultérieure d’un employé mette en doute la première signature de celui-ci. Que ce soit en ordonnant la tenue d’un scrutin (ce qui constituerait la « panacée »), en demandant que le document soit étayé par un affidavit ou en utilisant ses propres pouvoirs d’enquête, le Conseil avait les moyens d’assurer la justice.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[21] La BCIC a de nouveau exprimé ses préoccupations à la page 3 de sa réplique datée du 1er mai 2014 :

Le Conseil s’est bien sûr prononcé sur la validité, la crédibilité, l’intention et l’importance relative de ces « formulaires hybrides » qu’il a acceptés aussi bien comme preuve d’appui soutenu envers le syndicat que comme documents invalidant les ententes signées avec l’agence donnant à Jordan Rooley le pouvoir d’agir. Et le Conseil l’a bien sûr fait sans jamais divulguer ou chercher à obtenir les commentaires des parties sur la teneur de ces formulaires et de leur incidence. Il l’a fait sans exercer les pouvoirs dont il dispose pour assurer la véracité de cette preuve aucunement réglementée. Il l’a fait d’une manière qui, aux yeux d’une partie ou d’un observateur, donne l’impression que le Conseil accepte et interprète les documents sans les vérifier, même lorsque ces documents ne sont pas communiqués aux autres parties. Nous faisons respectueusement valoir que le Conseil s’est vu conférer des pouvoirs qu’il peut et doit utiliser pour faire en sorte que justice soit rendue et soit perçue comme telle. Lorsque le Conseil envisage de rendre une décision en se fondant sur des documents « secrets » ou « confidentiels », il devrait exposer clairement et publiquement les étapes qu’il a suivies.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[22] Pour chaque demande mettant en cause la volonté des employés, le Conseil évalue cette preuve en suivant un processus confidentiel, comme il est décrit ci‑après.

A. Les dispositions législatives

[23] L’article 8 du Code garantit aux employés les libertés fondamentales leur permettant d’exprimer leur volonté par écrit :

Libertés fondamentales

(1) L’employé est libre d’adhérer au syndicat de son choix et de participer à ses activités licites.

[24] Un principe fondamental des relations du travail au Canada tient au fait que les commissions des relations de travail protègent la confidentialité de la volonté des employés. Le Code a confié au Conseil la fonction essentielle de faire enquête sur la volonté des employés tout en la gardant confidentielle.

[25] Les alinéas 15m) et 15o) du Code confèrent au Conseil le pouvoir de prendre des règlements concernant la preuve et la confidentialité de la volonté des employés :

15. Le Conseil peut prendre des règlements d’application générale concernant :

...

m) les modalités – forme et délai – de présentation des éléments de preuve concernant :

(i) l’adhésion d’employés à un syndicat,

(ii) l’opposition d’employés à l’accréditation d’un syndicat,

(iii) la volonté d’employés de ne plus être représentés par un syndicat;

o) les circonstances lui permettant de recevoir les éléments visés à l’alinéa m) comme preuve de la volonté d’employés d’être représentés ou non par un syndicat donné à titre d’agent négociateur, ainsi que les cas où il ne peut rendre ces éléments publics.

(c’est nous qui soulignons)

[26] Le Conseil a exercé son pouvoir de prendre des règlements dans ces domaines, comme en témoigne l’article 35 du Règlement :

[3]

[27] L’article 35 ne s’applique pas uniquement à la volonté des employés dans le contexte des demandes d’accréditation, bien que celles‑ci soient plus nombreuses que les demandes de révocation et visant à déloger un syndicat en place (maraudage). L’article 35 s’applique plutôt à toutes les demandes prévues au Code dans le contexte desquelles les employés sont appelés à exprimer leur volonté librement.

B. Raisons de la confidentialité

[28] Selon les pratiques déloyales de travail décrites aux articles 94 et 95 du Code et une myriade de décisions du Conseil, il arrive que les employés aient des préoccupations légitimes quant au risque que le libre exercice de leurs libertés fondamentales en vertu du Code entraîne des représailles illégales.

[29] Par exemple, dans Transpro Freight Systems ltée, 2008 CCRI 422 (Transpro 422), le Conseil a rendu une ordonnance provisoire lorsque les représentants d’un employeur ont indiqué que celui‑ci congédierait les organisateurs syndicaux et fermerait ses portes advenant la réussite de la campagne du syndicat :

[50] Dans la présente affaire, les Teamsters ont convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire.

[51] Même si la portée et la mesure des commentaires de Transpro et des gestes posés devront être déterminées dans le cadre de l’audience sur le bien-fondé de la plainte de pratique déloyale de travail, Transpro ne nie pas que ses propriétaires ont exprimé à des organisateurs syndicaux clés et à des représentants des Teamsters des opinions qui amèneraient une personne raisonnable à croire que son emploi était en péril et que l’entreprise fermerait ses portes si l’effort de syndicalisation se poursuivait.

[52] Bien que Transpro paraisse avoir tiré profit des conseils d’un avocat chevronné en droit du travail et qu’elle ait pris certaines mesures pour modifier les gestes qu’elle avait posés, le mal était fait. Même si M. Mohammed n’a pas été congédié de droit après que l’on eut consulté un conseiller juridique, le fait est que les propriétaires de l’entreprise lui ont dit qu’il était congédié. La lettre du 15 août 2008 aux employés sur leurs droits est bien plus qu’un simple résumé des droits des employés en vertu du Code. Cela ne signifie pas cependant que le Conseil en est arrivé à la conclusion que cette lettre a violé le Code.

[53] Une ordonnance provisoire a pour but d’assurer la « réalisation des objectifs » de la partie I du Code. Les Teamsters ont convaincu le Conseil qu’il y a lieu de rendre une ordonnance provisoire faisant en sorte que les employés de Transpro connaissent les libertés que leur garantit le Code et qu’ils puissent examiner ces libertés fondamentales sans craindre d’être victimes de représailles.

[30] La concurrence entre les syndicats peut aussi donner lieu à des représailles si les employés appuient un syndicat rival dans le contexte d’une demande visant à déloger un syndicat en place (maraudage). Dans Section locale 847 de la Fraternité internationale des Teamsters, 2011 CCRI 605, le Conseil a conclu qu’il y a eu violation du Code lorsqu’un syndicat a porté des accusations contre trois de ses membres et leur a imposé des mesures disciplinaires parce qu’ils avaient appuyé la demande d’accréditation d’un syndicat rival :

[23] L’application des principes juridiques pertinents aux faits en cause – faits qui ne sont pas en litige – révèle que les trois employés ont fait l’objet d’accusations et de mesures disciplinaires internes parce qu’ils avaient exercé leur droit fondamental prévu par le Code de changer de syndicat. Aucun de ces trois membres n’occupait de poste au sein de la Guilde. Toutes les parties reconnaissent que ces employés ont appuyé les Teamsters et fait campagne en leur faveur pendant la période qui a précédé le scrutin de représentation. Les trois employés avaient le droit fondamental de participer à une procédure prévue par le Code, à savoir une demande de maraudage (délogement). La Guilde ne peut pas punir ces employés parce qu’ils ont exercé la liberté d’association prévue à l’article 8 du Code. Manifestement, les accusations déposées contre les trois membres constituaient des représailles visant à les punir par suite des activités par lesquelles ils ont soutenu les Teamsters. Le Conseil conclut que les accusations constituent une violation évidente du sous-alinéa 95i)(i) du Code. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que le Conseil décide si la Guilde a aussi enfreint les alinéas 95f) ou 95g) ou encore l’article 96 du Code.

(c’est nous qui soulignons)

[31] Dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Fraternité internationale des Teamsters, Section locale 847, 2012 CAF 210, la Cour d’appel fédérale a accepté le raisonnement du Conseil et les décisions similaires antérieures connexes sur lesquelles il s’est fondé :

[16] Le sous-alinéa 95i)(i) du Code interdit à tout syndicat d’imposer « une sanction pécuniaire ou autre [à une personne] pour [avoir] participé […] à une procédure prévue » par la partie I du Code. Compte tenu que la Guilde a reconnu à l’audience tenue devant notre Cour que la demande d’accréditation des Teamsters constituait une procédure prévue par le Code, et que les trois individus visés se sont vus infliger une amende ou ont été suspendus par la Guilde pour avoir participé à cette procédure, je n’arrive pas à comprendre comment le Conseil aurait mal interprété ou mal appliqué le sous-alinéa 95i)(i). Le fait pour le Conseil d’avoir appliqué le raisonnement qu’il avait tenu dans Paul Horsley et autres, ci-dessus, et Nathalie Beaudet-Fortin, ci-dessus, ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle puisque ce raisonnement est parfaitement compatible avec le sous-alinéa 95i)(i). Ces décisions reconnaissent le droit fondamental des individus d’adhérer au syndicat de leur choix, le droit des membres d’un syndicat de changer d’agent négociateur de la manière prévue par le Code et en conformité avec les délais qu’il prévoit, ainsi que le droit de ces individus de ne pas subir de sanctions disciplinaires ou d’être autrement pénalisés pour avoir exercé ces droits.

(c’est nous qui soulignons)

[32] Les affaires ci‑dessus ne sont que des exemples récents illustrant pourquoi les employés sont susceptibles de craindre d’exercer les droits qui leur sont reconnus par le Code. Aussi bien les employeurs que les syndicats ont les moyens d’exercer des représailles contre eux lorsque leurs droits acquis sont en jeu.

[33] Le libre exercice par un employé des droits qui lui sont reconnus par le Code est directement touché par la capacité du Conseil de garder sa volonté confidentielle. Le Conseil ne s’intéresse pas à la façon dont les employés exercent les droits qui leur sont reconnus par le Code; sa seule préoccupation est de veiller à ce que cet exercice se fasse librement.

[34] Pendant des décennies, les cours ont accepté ce principe essentiel en matière des relations du travail et ont soutenu la pratique du Conseil, même si celui‑ci mène un processus de droit administratif accusatoire d’une autre nature.

[35] Dans Maritime-Ontario Freight Lines Ltd. c. Section locale 938 des Teamsters, 2001 CAF 252, la Cour d’appel fédérale a analysé les raisons d’intérêt public qui expliquent l’obligation de protéger la confidentialité et a confirmé l’opposition du Conseil à la production d’une preuve d’adhésion confidentielle aux fins d’un contrôle judiciaire :

[9] L’office fédéral s’est opposé à la demande de communication de documents présentée par la demanderesse en vertu de la règle 318 (2) et il a motivé son objection.

[10] L’office fédéral s’est appuyé sur l’article 25 du Règlement de 1992 du Conseil canadien des relations industrielles, DORS/91-622 (le Règlement), qui est rédigé dans les termes suivants :

25. Le Conseil ne peut divulguer à qui que ce soit des éléments de preuve qui, à son avis, pourraient révéler l’adhésion à un syndicat, l’opposition à l’accréditation d’un syndicat ou la volonté de tout employé d’être ou de ne pas être représenté par un syndicat, à moins qu’il n’estime qu’une telle divulgation contribuerait à la réalisation des objectifs de la Loi.

[11] L’office fédéral a également déclaré qu’en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), L-2 (le Code), et conformément aux principes et politiques bien établis en matière de relations du travail, ces documents sont à l’usage exclusif du Conseil qui s’en sert pour déterminer si, dans un cas donné, le syndicat demandeur représente une majorité des employés d’une unité de négociation que le Conseil estime appropriée pour les fins de la négociation collective.

[12] La demande de la demanderesse fondée sur la règle 317 doit être examinée au regard de la portée de la clause privative de l’office fédéral et de la politique publique concernant la confidentialité des renseignements relatifs à l’adhésion en matière de relations du travail.

[13] Dans son ouvrage Canadian Labour Law, 2e éd. (Aurora : Canada Law Book, 1993), au par. 5.380, George Adams note ce qui suit :

[TRADUCTION] Il est admis depuis longtemps que la confidentialité de la preuve relative à l’adhésion est une garantie essentielle que les conseils des relations du travail doivent assurer s’ils souhaitent encourager les travailleurs à se prévaloir de leur procédure d’accréditation.

[14]     Dans l’arrêt Canada (Conseil des relations du travail) c. Transair Ltd., 1976 CanLII 170 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 722, aux pages 741 et 742 (Transair), la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de se prononcer sur l’opportunité de communiquer des renseignements protégés par une disposition semblable du Règlement. Le juge en chef Laskin a déclaré ce qui suit :

Le Conseil pouvait agir en se fondant sur le rapport sans le rendre public à cet égard, vu les dispositions de l’art. 29(4) du Règlement, une fois assuré que l’enquête requise avait été tenue. Cela ne faisait aucun doute en l’espèce [...]

À mon avis, la Cour fédérale s’est trompée en déclarant que le Conseil était tenu d’autoriser le contre-interrogatoire sur les chiffres et encore plus de permettre toutes autres questions ne pouvant aboutir qu’à identifier les membres de l’unité. L’article 29(4) du Règlement, portant que le Conseil doit traiter comme confidentielles les preuves qui lui sont présentées relativement à l’adhésion syndicale des membres, vient renforcer l’économie de la Loi en ce qui concerne les pouvoirs du Conseil en matière de détermination de l’adhésion syndicale.

Bien que le contexte factuel de l’arrêt Transair diffère légèrement de celui de l’espèce, il est clair que les renseignements confidentiels recherchés dans les deux cas ne doivent pas être transmis à l’employeur, sauf en de très rares circonstances.

[36] Compte tenu de l’importance de protéger la confidentialité de la volonté des employés, le Conseil a mis en place un processus permettant à la fois de protéger et d’analyser la preuve de la volonté des employés.

C. L’enquête du Conseil concernant la volonté des employés

[37] Le Conseil a l’importante responsabilité d’enquêter sur la volonté des employés tout en la gardant confidentielle. De toute évidence, les obligations juridiques d’un employeur sont susceptibles d’être touchées par ce processus confidentiel, tout comme, d’ailleurs, les droits légaux que possède un syndicat dans les affaires concernant des demandes de révocation ou visant à déloger un syndicat en place (maraudage). De façon similaire, les droits des employés sont en cause, puisque la demande examinée risque d’avoir une incidence sur le fait que le Code s’appliquera ou qu’il continuera de s’appliquer à leur emploi.

[38] Le Conseil doit constamment se rappeler l’incidence de son rôle d’intérêt public sur les parties et les employés, puisque l’examen de la volonté des employés est une exception au processus accusatoire par ailleurs ordinaire.

[39] L’enquête du Conseil suit différentes étapes.

[40] Premièrement, dans les affaires mettant en cause la volonté des employés, un agent des relations industrielles (ARI) du Conseil fournit au Conseil un rapport confidentiel.

[41] Deuxièmement, le banc saisi de l’affaire a l’obligation additionnelle et ultime de s’assurer qu’il est satisfait du rapport de l’ARI. Un banc peut demander à un ARI de prendre d’autres mesures jusqu’à ce qu’il soit convaincu que la preuve de la volonté des employés lui permet d’exercer les pouvoirs que lui confère le Code.

[42] Le Conseil a résumé sa pratique dans TD Canada Trust du Grand Sudbury (Ontario), 2006 CCRI 363 (TD 363), confirmée par la Cour d’appel fédérale dans TD Canada Trust c. Syndicat international des travailleurs unis de la métallurgie, du papier et de la foresterie, du caoutchouc, de la fabrication, de l’énergie, des services et industries connexes, 2007 CAF 285 :

[89] Il est courant que l’agent du Conseil enquête sur des allégations particulières, lorsque des questions sont soulevées au sujet de la validité d’une preuve d’adhésion syndicale ou de la manière dont cette preuve est obtenue. L’agent peut aussi communiquer avec d’autres employés choisis au hasard pour évaluer le caractère volontaire du reste de la preuve d’adhésion syndicale. Cette enquête est effectuée de manière confidentielle, habituellement en interrogeant les employés individuellement, et ses résultats sont transmis au Conseil dans un rapport confidentiel, conformément au Règlement du Conseil (voir IMS Marine Surveyors Ltd., précitée).

[90] Le niveau ou la portée de l’enquête menée par l’agent enquêteur est de nature discrétionnaire et peut varier selon les circonstances. Il dépendra de différents facteurs, tels que la nature et l’étendue des allégations, la taille de l’unité de négociation proposée et la disponibilité des employés et le fait qu’ils acceptent de se faire interroger. En définitive, il incombe au banc qui est saisi de l’affaire d’établir si une enquête plus poussée s’impose et, s’il est convaincu de la validité de la preuve d’adhésion syndicale, cette preuve peut être utilisée pour déterminer la volonté réelle des employés.

[43] Dans Genesee & Wyoming inc., exploitée sous la raison sociale Huron Central Railway HCRY, 2007 CCRI 388 (Genesee 388), le Conseil a décrit l’enquête menée par un ARI après que des préoccupations eurent été soulevées à propos des cartes d’adhésion :

[4] Le certificat d’exactitude signé a permis de confirmer également « que les cotisations syndicales ou les droits d’adhésion inscrits comme ayant été reçus ont de fait été versés par les employés intéressés, en leur propre nom et aux dates indiquées ».

[5] La requérante a reconnu également, en signant le certificat d’exactitude, « que l’agent enquêteur détient le pouvoir d’étudier et de vérifier tous les documents et déclarations présentés par les parties à la présente demande ».

[6] Au cours de l’enquête menée par le Conseil, l’agent enquêteur s’est demandé si certains des employés dont le nom figure sur les cartes d’adhésion soumises avaient effectivement signé ces cartes et payé les droits requis de 5 $.

[7] Dans une lettre datée du 18 avril 2007, la requérante, par l’intermédiaire de son conseiller juridique, a indiqué qu’elle souhaitait retirer trois des cartes qu’elle avait jointes au départ à sa demande d’accréditation.

[8] Dans une lettre datée du 2 mai 2007, l’agent enquêteur a demandé à la requérante, en lui laissant plusieurs messages, de lui fournir les coordonnées des personnes qui étaient chargées de recueillir les cartes pour la requérante, dont leurs nom et prénom, leur adresse et leurs numéros de téléphone résidentiels.

[9] Cette demande de l’agent enquêteur est restée sans réponse.

[10] Dans une autre lettre, datée du 18 mai 2007, l’agent enquêteur a demandé à la requérante de répondre à sa lettre du 2 mai 2007 concernant les coordonnées des personnes qui étaient chargées de recueillir les cartes d’adhésion et de lui fournir une explication sur les trois cartes d’adhésion qu’elle avait demandé au Conseil de retirer.

[11] L’agent enquêteur a mentionné à la requérante que son enquête confidentielle indiquait que les signatures figurant sur les cartes ne correspondaient pas à celles qu’il avait obtenues. En outre, les personnes en cause paraissaient ne pas avoir payé les droits requis de 5 $.

[12] La requérante n’a pas répondu à la seconde demande de renseignements de l’agent enquêteur.

[44] Dans Genesee 388, le Conseil a commenté le privilège que crée le Code dans un régime d’accréditation fondé sur les cartes d’adhésion et des responsabilités qui se rattachent à ce privilège :

[14] Le processus d’accréditation prévu au Code confère certains privilèges importants aux requérants. Non seulement le Conseil se prononcera-t-il habituellement sur l’appui dont jouit l’agent négociateur à la date de la présentation de la demande d’accréditation, mais il ordonnera à titre exceptionnel seulement la tenue d’un scrutin de représentation si un requérant a déposé une majorité de cartes d’adhésion signées en sa faveur.

[15] Ces privilèges imposent à tout requérant et au Conseil l’obligation d’assurer l’exactitude de la preuve d’adhésion qui est soumise.

[16] Le Conseil, par l’entremise de ses agents des relations du travail, effectue un examen confidentiel de la preuve d’adhésion du requérant pour s’assurer que celle-ci est exacte et qu’elle exprime clairement la volonté des membres de l’unité de négociation proposée. Le Conseil ne peut accorder les avantages importants qu’offre le Code qu’à ceux qui satisfont aux exigences législatives claires.

[17] La preuve d’adhésion est à la fois confidentielle et extrêmement délicate. L’agent enquêteur rédige, à l’intention du Conseil seulement, un rapport confidentiel concernant l’exactitude de cette preuve. Les tribunaux ont toujours protégé cette fonction du Conseil, qui ressortit à l’intérêt public, et la nécessité de ne pas divulguer le contenu du rapport aux parties (voir Maritime-Ontario Freight Lines Limited c. Teamsters Local Union 938 (2001), 278 N.R. 142 (C.A.F., dossier no A-574-00)).

[18] Dans la présente affaire, l’enquête menée par l’agent enquêteur a permis de constater que certaines des cartes d’adhésion n’avaient pas été signées par les personnes dont le nom figurait sur la carte. Le Conseil est convaincu que cette conclusion est juste.

[45] Compte tenu des irrégularités importantes observées au regard de la preuve d’adhésion dans Genesee 388, le Conseil a rejeté la demande :

[27] Dans la présente affaire, le Conseil est d’avis lui aussi que le dépôt d’une preuve d’adhésion irrégulière par la requérante doit entraîner le rejet de la demande d’accréditation. Ainsi que le prévoit l’article 38 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, la requérante devra, en raison de ce rejet, attendre six mois avant de présenter une nouvelle demande d’accréditation.

D. Seule la volonté des employés est traitée de manière confidentielle

[46] Le Conseil a aussi formulé des commentaires sur l’information qui est visée par son processus confidentiel et sur celle qui ne l’est pas. La distinction est cruciale.

[47] Les ARI et le Conseil doivent s’assurer que ce processus confidentiel s’applique uniquement à la volonté des employés. L’article 35 ne permet pas aux employés de présenter ce qui constitue essentiellement des observations portant sur des questions de fond et de demander que celles-ci demeurent secrètes au titre du processus confidentiel du Conseil.

[48] Dans TD 363, un banc de révision du Conseil a réglé une situation dans laquelle un banc avait par erreur appliqué le processus confidentiel à une demande d’intervention, comme il l’aurait appliqué à la volonté des employés. Le Conseil a décrit ses préoccupations d’ordre procédural de la façon suivante :

[14] Selon la TD, le principe audi alteram partem, communément appelé le droit en vertu duquel l’autre partie doit être entendue, oblige le Conseil à transmettre aux parties toute l’information pertinente ayant servi à rendre une décision relativement à une demande, afin d’offrir aux parties la possibilité de bien tenir compte de l’ensemble des questions et de présenter leurs observations en conséquence, avant qu’une décision ne soit rendue. La TD estime que le banc initial a violé ce principe de justice naturelle en omettant d’aviser toutes les parties que des employés avaient présenté des interventions et que l’ensemble des employés d’au moins une succursale visée, la succursale Lively, s’opposaient à la demande du syndicat. La TD prétend que le banc initial n’a pas tenu compte à juste titre des interventions des employés de la succursale Lively.

(c’est nous qui soulignons)

[49] Le banc de révision a fait une distinction entre la volonté des employés et leurs observations, et a ensuite éliminé l’erreur de procédure de la décision initiale :

[73] Comme les interventions soumises font état de la volonté des employés, le Conseil n’a pas communiqué, conformément à l’article 35 du Règlement, les lettres des employés au syndicat ou à l’employeur. La confidentialité entourant la volonté des employés ou leur adhésion à un syndicat vise essentiellement à empêcher le harcèlement ou les représailles. Il y a aussi d’autres motifs bien établis sur le plan des relations du travail de ne pas révéler une telle information. Par exemple, le fait de savoir qu’une faible majorité des employés appuient le syndicat pourrait nuire aux négociations collectives, tout particulièrement pour la négociation d’une première convention collective. Par conséquent, le Conseil a toujours rejeté les demandes concernant la divulgation de la preuve d’adhésion syndicale (voir Maritime-Ontario Freight Lines Limited c. Teamsters Local Union 938, no A-574-00, le 2 novembre 2001 (C.A.F.); Réseau de Télévision Quatre Saisons Inc. (1990), 79 di 195; et 90 CLLC 16,047 (CCRT no 779); et K.D. Marine Transport Ltd. (1982), 51 di 130; et 83 CLLC 16,009 (CCRT no 400)).

[76] Dans TD Canada Trust in the City of Greater Sudbury, Ontario (LD 1282), précitée, le Conseil a reconnu la question présentement soulevée et a accordé aux employés de la succursale Lively la qualité d’intervenant dans la demande de réexamen présentée par l’employeur. Il a permis aux intervenants de soumettre de nouvelles observations, et a accordé au syndicat et à l’employeur l’occasion de répondre :

Pour ce qui est de la demande de statut d’intervenant, le banc de révision constate que les employés de la succursale Lively, malgré leur prétention au contraire, n’avaient pas obtenu de statut d’intervenant dans le dossier du Conseil no 24751-C. Le banc de révision conclut aussi toutefois que bien que les observations initiales des employés de la succursale Lively étaient en partie des expressions de leur volonté d’être ou de ne pas être représentés par le syndicat, elles comprenaient aussi un volet important qui concernait les questions en litige. Tandis que l’expression de la volonté des employés est considérée comme confidentielle et n’est pas communiquée aux parties, les observations portant sur les questions de fond à l’étude doivent être transmises aux parties et il faut leur donner l’occasion de répondre aux arguments invoqués. Toutefois, comme cette possibilité n’a pas été accordée aux parties dans le dossier no 24751-C, le Conseil juge pertinent d’accorder le statut d’intervenant aux employés de la succursale Lively dans le cadre de la demande de réexamen présentée par l’employeur. Par conséquent, si les employés de la succursale Lively souhaitent soumettre de nouvelles observations au Conseil au sujet de la demande de réexamen, ils doivent le faire au plus tard le 5 juillet 2005. L’employeur et le syndicat ont jusqu’au 12 juillet 2005 pour déposer leurs réponses.

(pages 2-3; traduction)

[77] Les employés de la succursale Lively ont obtenu la qualité d’intervenant dans la présente demande et toutes les parties ont eu la possibilité de soumettre de nouvelles observations dans le cadre de la présente demande de réexamen. Selon le banc de révision, cela dissipe toute inquiétude relativement au défaut du banc initial de communiquer de l’information pertinente. Toutes les parties ont maintenant eu la possibilité de soumettre des observations que le banc de révision a examinées.

(c’est nous qui soulignons)

[50] Le problème examiné dans TD 363 ne s’est pas présenté en l’espèce. Quoi qu’il en soit, les ARI et les bancs du Conseil doivent veiller à ce que le processus confidentiel s’applique uniquement à la volonté des employés, y compris aux allégations concernant leur bonne foi, comme celles qui ont été soulevées dans Genesee 388. Pour des raisons évidentes, les observations d’employés qui, par exemple, portent sur le bien‑fondé de l’affaire à l’étude ou qui comprennent des allégations désobligeantes à propos d’une partie ne pourraient être traitées de manière confidentielle.

[51] Mais même avant d’amorcer son processus confidentiel, le Conseil doit d’abord déterminer la date limite qu’il estime indiquée pour la réception de la preuve de la volonté des employés. Cette date limite sert à déterminer la volonté qui sera prise en compte et, surtout, celle qui ne le sera pas. Aussi bien le Code que les politiques de longue date du Conseil mettent l’accent sur l’importance capitale de la date de la présentation de la demande.

V. L’importance de la date de la présentation de la demande

[52] Le Code établit clairement que l’appui accordé à une demande mettant en cause la volonté des employés est évalué à la date de la présentation de la demande, à moins que le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire de choisir une autre date qu’il estime indiquée. L’article 17 du Code s’applique aux demandes de révocation et à d’autres types de demandes, tandis que l’alinéa 28c) s’applique aux demandes d’accréditation :

Article 17

S’il lui faut déterminer la volonté de la majorité des employés d’une unité dans le cadre d’une demande prévue à la présente partie, le Conseil doit la déterminer à la date du dépôt de la demande ou à toute autre date qu’il estime indiquée.

Article 28[4]

Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a) il a été saisi par le syndicat d’une demande d’accréditation;

b) il a défini l’unité de négociation habile à négocier collectivement;

c) il est convaincu qu’à la date du dépôt de la demande, ou à celle qu’il estime indiquée, la majorité des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

(c’est nous qui soulignons)

[53] Le Code et la politique de longue date du Conseil privilégient la date de la présentation de la demande comme date limite pour la réception de la preuve de la volonté des employés. Il faudra des circonstances exceptionnelles pour que le Conseil exerce son pouvoir discrétionnaire de choisir une autre date qu’il estime indiquée.

[54] Bien qu’il y ait eu une brève période dans les années 1970 où, à la suite d’une décision de la Cour d’appel fédérale, le Conseil a été obligé d’examiner l’appui des employés à la date de sa décision proprement dite, une modification apportée ultérieurement au Code a rétabli la politique antérieure et a confirmé l’importance de la date de la présentation de la demande.

[55] Dans Coastal Shipping Limited, 2005 CCRI 309, le Conseil a examiné l’importance qu’il accorde à la date de la présentation de la demande :

[31] La dernière condition établie par l’article 28 concerne le caractère représentatif du syndicat requérant. Le Conseil s’emploie généralement à établir la volonté des employés à la date du dépôt de la demande. Le Conseil a expliqué la raison d’être de cette règle dans la décision source rendue par le CCRT dans Swan River - The Pas Transfer Ltd. (1974), 4 di 10; [1974] 1 Can LRBR 254; et 74 CLLC 16,105 (CCRT no 8) :

... Le Conseil est, par conséquent, d’avis que le législateur a établi une distinction très nette entre le cas où, à la date de présentation de la demande, le syndicat a l’appui de la majorité et celui où, à la même date, il ne l’a pas.

Dans le premier cas, le Conseil doit accréditer le syndicat et, dans le deuxième, il doit ordonner la tenue d’un scrutin. Dans les deux cas, le Conseil doit être convaincu du désir des employés : dans le premier cas, sans scrutin et dans le deuxième, par la tenue d’un scrutin. Telle est la règle générale. Le législateur a toutefois laissé à la discrétion du Conseil quelques cas exceptionnels, par exemple, celui où, même si le syndicat compte la majorité des employés comme membres à la date de présentation de la demande, le Conseil peut avoir de graves raisons d’ordonner la tenue d’un scrutin afin de s’assurer que le désir exprimé par les employés à la date de présentation de la demande a été formulé librement, de façon régulière et sans contrainte. S’il y a preuve du contraire, le Conseil peut ordonner la tenue d’un scrutin.

(pages 21; 266; et 887; c’est nous qui soulignons)

[32] Le Conseil a cessé d’appliquer cette règle pendant un court laps de temps après la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire CKOY Limited c. Guilde des Journalistes d’Ottawa, section locale 205, [1977] 2 C.F. 412. Dans cette décision, la Cour a conclu que, aux fins de l’interprétation de la loi, la date à utiliser pour déterminer la volonté des employés était celle de la décision du Conseil. Par la suite, le législateur a apporté des modifications au Code et annulé ainsi les effets de cette décision. Depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 1978, de nouvelles dispositions du Code, en l’occurrence l’alinéa 28c) et l’article 17 actuels, c’est dorénavant la date du dépôt de la demande qui est utilisée en premier lieu pour établir la volonté des employés; le Conseil dispose néanmoins de la marge d’appréciation nécessaire pour retenir une autre date, au besoin. À la suite de ces changements, le Conseil a repris l’habitude de déterminer la volonté des employés à la date du dépôt de la demande, en conformité avec les principes énoncés et expliqués dans Swan River - The Pas Transfer Ltd., précitée, dans le but de favoriser la paix industrielle. Le Conseil exerce sa prérogative de choisir une date différente pour établir la volonté des employés seulement dans des circonstances exceptionnelles (Rogers Cablesystems Limited, [1999] CCRI no 32; et 2000 CLLC 220-017; et Canadian National Railway Company (2004), décision du CCRI no 282, non encore rapportée).

[33] Une multitude de décisions du Conseil expliquent pourquoi la date du dépôt de la demande est la date privilégiée pour établir la volonté des employés en vertu du Code. Tout récemment, le Conseil a examiné en profondeur l’interprétation et l’origine législative de l’alinéa 28c) dans Énergie atomic du Canada Limitée, [2004] CCRI no 269; et 115 CLRBR (2d) 210 (voir, notamment, les paragraphes 24 à 38 inclusivement), où il a conclu ce qui suit :

[38] C’est la date du dépôt de la demande qui, dans tous les cas, sauf exception, demeure la date privilégiée pour déterminer la volonté des employés, que le caractère représentatif du syndicat soit établi au moyen de la preuve d’adhésion ou par un scrutin de représentation. Étant donné la préférence législative pour la date du dépôt de la demande et la jurisprudence volumineuse et consacrée du Conseil découlant de la décision Swan River - The Pas Transfer Ltd., précitée, rendue en 1974, les parties devraient tenir pour acquis que ces principes seront invariablement appliqués par le Conseil (voir Rogers Cablesystems Limited, [1999] CCRI no 32; et 2000 CLLC 220-017) ...

(page 13)

(caractères gras dans l’original; caractères gras et italiques ajoutés)

[56] Dans FedEx Ground Package System, ltée, 2010 CCRI 522 (FedEx 522), le Conseil a commenté l’importance d’évaluer l’appui des membres à la date de la présentation de la demande. Dans FedEx 522, le Conseil n’a pas permis à un syndicat de retirer l’une des deux demandes d’accréditation qu’il avait présentées, dont la deuxième avait pour objet d’ajouter une preuve d’adhésion supplémentaire :

[28] Le Conseil a accordé à des syndicats l’autorisation de retirer leurs demandes dans des situations où l’agent négociateur avait mal jugé la taille ou la portée de l’unité de négociation. Dans Greyhound, précitée, le syndicat maraudeur a justifié sa demande de retrait par le fait qu’il avait été induit en erreur à propos du statut de certaines personnes. Il a avisé le Conseil qu’il voulait obtenir l’appui des employés du groupe, lequel n’avait pas été inclus dans sa demande initiale. Le Conseil a fait choix à la demande de retrait.

[29] Dans la présente affaire, les Teamsters visent, dans leurs deux demandes d’accréditation, à représenter la même unité de négociation. Les Teamsters ont demandé au Conseil de verser la preuve d’adhésion jointe à la première demande dans leur deuxième demande d’accréditation.

[30] Le Conseil a décidé de ne pas autoriser le retrait de la demande dans les circonstances particulières de la présente affaire.

[31] L’alinéa 28c) du Code consacre l’importance de la date de la présentation de la demande pour toute demande d’accréditation :

28. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a) il a été saisi par le syndicat d’une demande d’accréditation;

b) il a défini l’unité de négociation habile à négocier collectivement;

c) il est convaincu qu’à la date du dépôt de la demande, ou celle qu’il estime indiquée, la majorité des employés de l’unité désiraient que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur.

(c’est nous qui soulignons)

[32] Le Conseil a mis beaucoup d’accent sur la date de la présentation de la demande d’accréditation. Le Code a été modifié pour qu’il intègre explicitement la politique du Conseil d’utiliser la date de la demande lorsqu’il évalue la preuve d’adhésion à un syndicat. Si un syndicat recueillait l’appui de plus de 50 % des employés à la date de la demande, le Conseil doit accorder l’accréditation. Si un syndicat recueillait l’appui de plus de 35 %, mais de moins de 50 % des employés, le Conseil doit alors ordonner la tenue d’un scrutin de représentation (paragraphe 29(2)).

[33] Selon un des corollaires de la politique du Conseil relative à l’importance de la date de la demande, le Conseil n’admettra généralement pas de preuve, que ce soit par demande ou par d’autres moyens, présentée par des employés qui tentent de retirer leur appui au syndicat requérant. Une telle preuve doit être reçue avant la date de la demande.

[34] Afin d’éviter une multitude de problèmes de relations du travail qui pourraient survenir après la présentation publique d’une demande d’accréditation, le Conseil se fie fortement sur la date de la présentation de la demande lorsqu’il évalue la preuve d’adhésion.

[35] Selon le Conseil, l’équité exige que l’on n’enlève pas et que l’on n’ajoute pas de preuve d’adhésion après la date de la présentation de la demande. Le Conseil peut, à l’occasion, choisir une autre date pour examiner la preuve d’adhésion. Aucun argument laissant entendre que le Conseil devrait utiliser une autre date pour déterminer l’appui au syndicat n’a été présenté dans la présente affaire.

(c’est nous qui soulignons)

[57] Dans FedEx 522, les parties ont eu l’occasion de formuler des commentaires sur la preuve d’adhésion supplémentaire. L’identité et la volonté des employés sont demeurées confidentielles. Par contre, les parties avaient le droit de commenter la question juridique soulevée par la présentation d’une deuxième demande d’accréditation visant à ajouter une preuve d’adhésion supplémentaire.

[58] Le législateur a utilisé un libellé législatif similaire dans l’article 17 du Code pour privilégier la date de la présentation de la demande, comme il l’a fait pour les demandes d’accréditation (article 28). Le Code privilégie clairement la date de la présentation de la demande pour établir la preuve pertinente de la volonté des employés.

[59] Si le Conseil le juge indiqué, il a le pouvoir discrétionnaire de choisir une autre date pour établir la volonté. Par exemple, dans le cadre d’une demande visant à déloger un syndicat en place (maraudage) mettant en cause des employés saisonniers, le Conseil a choisi une autre date qu’il estimait indiquée : Algoma Central Marine, une division de Algoma Central Corporation, 2009 CCRI 469.

[60] C’est au moyen de la date de la présentation de la demande que le Conseil établit la preuve de la volonté des employés qu’il peut prendre en compte. Lorsque la preuve a été établie, le Conseil peut alors appliquer son processus confidentiel à cet appui.

VI.  Évaluation de l’appui des employés

[61] Si un requérant a l’appui de la majorité pour sa demande d’accréditation, le Conseil l’accrédite presque toujours sans tenir de scrutin. Par contre, dans le cadre d’une demande de révocation ou visant à déloger un syndicat en place (maraudage), l’appui de la majorité entraîne presque toujours la tenue d’un scrutin de représentation.

[62] Bien que cette application de la politique puisse sembler contradictoire à première vue, une analyse du libellé du Code ou des différences entre ces types de demandes, ou les deux, permet de mieux la comprendre. Nous examinerons les trois types de demandes.

A. Demandes d’accréditation

[63] L’alinéa 28c) du Code prévoit explicitement, entre autres choses, que lorsqu’il est convaincu que la majorité des employés de l’unité désirent que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur, « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente partie, le Conseil doit accréditer un syndicat ».

[64] Bien que le Conseil ait toujours le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation aux termes du paragraphe 29(1), l’article 28 privilégie clairement l’accréditation sans scrutin. Il s’agit là de l’élément fondamental d’un régime d’accréditation fondé sur les cartes d’adhésion.

[65] De façon similaire, la nature d’une demande d’accréditation explique pourquoi le Conseil ne tient pas de scrutin de représentation si un requérant a démontré qu’il a l’appui de la majorité. Dans le cadre d’une demande d’accréditation habituelle, une seule entité, le syndicat requérant, cherche à représenter une unité de négociation.

[66] Aucune autre entité concurrente ne prétend qu’elle a, elle aussi, l’appui de la majorité des employés.

[67] La situation est différente lorsqu’il est question de demandes de révocation et visant à déloger un syndicat en place (maraudage). Dans le contexte de ces demandes, il y a un syndicat en place, qui a déjà démontré qu’il avait l’appui de la majorité des employés. Il y a aussi une entité concurrente prétendant avoir la majorité de l’appui des employés, qu’il s’agisse d’un autre syndicat ou d’un groupe d’employés demandant au Conseil de retirer l’accréditation du syndicat en place.

B. Demandes de révocation

[68] Le processus de révocation est établi aux articles 38 et 39 du Code. Contrairement au libellé de l’article 28 du Code, qui traite de situations dans lesquelles un requérant démontre qu’il a l’appui de la majorité, le paragraphe 39(1) mentionne explicitement la tenue d’un scrutin de représentation comme moyen de confirmer la volonté des employés dans le contexte d’une demande de révocation :

39. (1) Si, à l’issue de l’enquête qu’il estime indiquée – tenue sous forme d’un scrutin de représentation ou sous une autre forme –, il est convaincu que la majorité des employés de l’unité de négociation visée par la demande ne désirent plus être représentés par leur agent négociateur, le Conseil doit rendre une ordonnance par laquelle : …

(c’est nous qui soulignons)

[69] Le Conseil a établi deux politiques principales pour l’examen des demandes de révocation. Premièrement, la demande sera rejetée s’il y a preuve d’ingérence de la part de l’employeur : Robinson, 2003 CCRI 209 (Robinson 209).

[70] Deuxièmement, le Conseil ordonnera généralement la tenue d’un scrutin de représentation, même si une majorité des employés semble appuyer la demande de révocation. Cette politique s’inspire du libellé du paragraphe 39(1).

[71] Dans Claude H. Foisy et autres, Canada Labour Relations Board Policies and Procedures, Toronto, Butterworths, 1986 (Foisy), les auteurs ont décrit, à la page 123, l’approche utilisée par le prédécesseur du présent Conseil, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), pour traiter les demandes de révocation :

Une demande fondée sur l’article 137 est un moyen qui permet aux employés de faire révoquer l’accréditation de leur agent négociateur, et la décision rendue à son égard repose sur la preuve qu’une majorité des employés de l’unité de négociation souhaitent ne plus être représentés par l’agent négociateur. La volonté des employés peut être confirmée au moyen d’un scrutin de représentation ou par d’autres moyens. Le Conseil a indiqué que, en général, il privilégiera d’établir la volonté des employés au moyen d’un scrutin de représentation, mais que, lorsque la volonté des employés n’est pas en doute, la tenue d’un scrutin ne sera pas ordonnée. Si l’ingérence de l’employeur fait naître un doute au regard de la volonté des employés, le Conseil peut décider d’annuler une ordonnance précédente exigeant la tenue d’un scrutin de représentation et de trancher la question par d’autres moyens, ou il peut simplement rejeter la demande.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[72] Le CCRI ordonne couramment la tenue de scrutins de représentation dans le cadre de demandes de révocation s’il n’y a pas eu d’ingérence de la part de l’employeur et que la demande bénéficie de l’appui d’une majorité des employés : Bourgeois, 2013 CCRI 695. La tenue d’un scrutin permet au Conseil de régler les cas où des éléments de preuve contradictoires concernant la volonté des employés ont été présentés. Le syndicat en place a reçu au départ un appui suffisant pour que le Conseil l’accrédite. La demande de révocation remet en question l’appui de la majorité.

C. Demandes visant à déloger le syndicat en place (maraudage)

[73] Le Conseil suit la même politique quant au scrutin de représentation lorsqu’il reçoit une demande visant à déloger un syndicat en place (maraudage) d’un syndicat concurrent. Dans l’ouvrage de Foisy, précité, aux pages 103 et 104, les auteurs décrivent de la façon suivante la politique du CCRT :

En règle générale, dans le cas d’une campagne de maraudage, le syndicat maraudeur doit, pour se qualifier, montrer qu’il a l’appui de la majorité au moment de la présentation de la demande. Si le syndicat a l’appui de la majorité au départ, le Conseil a indiqué qu’il a pour politique d’ordonner la tenue d’un scrutin afin de tirer les choses au clair en permettant aux employés de choisir entre le syndicat en place et le syndicat maraudeur. Cependant, si la tenue d’un scrutin risque de s’avérer une perte de temps parce que le syndicat maraudeur a montré qu’il avait l’appui d’une majorité écrasante, le Conseil ne l’ordonnera pas. Dans Les Moulins Maple Leaf Ltée, le Conseil n’a pas ordonné la tenue d’un scrutin puisque tous les employés de l’unité avaient signé des cartes d’adhésion à l’appui du syndicat maraudeur. Dans de nombreux cas non rapportés, le Conseil a accrédité un syndicat maraudeur sans demander la tenue d’un scrutin parce que le syndicat avait l’appui d’une majorité d’environ 75 % ou plus, ou parce que le syndicat en place ne s’était pas opposé à la demande.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[74] Le CCRT a expliqué cette politique dans CJMS Radio Montréal (Québec) Limitée (1978), 33 di 393; et [1980] 1 Can LRBR 270 (CCRT no 151) :

Il est donc clair que le Conseil a le pouvoir d’ordonner la tenue d’un scrutin en tout temps. Le Conseil a également comme politique de toujours ordonner un scrutin permettant aux employés d’une unité d’accréditation d’exprimer leur voeu, lorsqu’un syndicat possédant déjà une majorité au moment de la requête en accréditation, tente de déplacer un autre syndicat. L’exception à cette règle survient lorsqu’une grande majorité des employés de l’unité déjà accréditée a démissionné du syndicat en place et a signé une carte d’adhésion avec le nouveau syndicat (v.g. Maple Leaf Flour Mill, 23 di 114 et Syndicat des employés de production du Québec, et Société Radio-Canada, et Syndicat canadien de la fonction publique, 19 di 166; [1977] 2 Can LRBR 481).

(page 397; c’est nous qui soulignons)

[75] Le CCRI suit la même politique quant au scrutin de représentation, comme il l’a décrit dans Fastfrate Consolidée inc., 2005 CCRI 333, renversée pour des motifs de compétence constitutionnelle dans Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters, A‑483-05, 25 février 2010 (C.A.F.) :

[39] L’employeur a raison d’affirmer que le Conseil ordonne généralement la tenue d’un scrutin de représentation dans un cas de maraudage. Dans Tank Truck Transport Inc. et autres, [1999] CCRI no 27, le Conseil a toutefois indiqué qu’il y a une exception à cette pratique lorsque l’agent négociateur visé par le maraudage ne s’oppose pas à la demande ou encore que l’appui accordé au syndicat est si considérable que l’agent négociateur visé par le maraudage a peu de chances de l’emporter dans le cadre d’un scrutin de représentation.

(c’est nous qui soulignons)

D. Résumé

[76] Il n’existe pas de véritable contradiction dans la pratique du Conseil en ce qui a trait à la tenue de scrutins de représentation pour établir la volonté des employés.

[77] Dans le contexte d’une demande d’accréditation, le requérant sera presque toujours accrédité s’il démontre qu’il a l’appui de la majorité. Cela respecte la préférence exprimée à l’article 28 du Code. Le Conseil analyse cet appui à la date de la présentation de la demande, à moins qu’il existe des circonstances exceptionnelles.

[78] Dans le contexte d’une demande de révocation ou visant à déloger un syndicat en place (maraudage), cependant, si le requérant semble avoir l’appui de la majorité, le Conseil a comme politique de tenir un scrutin. Comme il a été observé dans Foisy, un scrutin permet de « tirer les choses au clair » (traduction) lorsque deux entités concurrentes prétendent officiellement représenter une majorité des employés de l’unité de négociation.

[79] Il arrive toutefois exceptionnellement que le Conseil aille de l’avant sans tenir de scrutin, si le syndicat en place ne conteste pas la demande de révocation ou si le résultat d’un scrutin éventuel ne fait aucun doute.

VII. Faits

[80] Les faits qui sous‑tendent ces deux demandes de réexamen sont simples :

-     En juillet 2005, le Conseil a accrédité les Métallos à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation en cause.

-     Le matin du 18 décembre 2013, M. Rooley a présenté sa demande de révocation.

-     M. Rooley a fourni une preuve confidentielle qui, selon lui, démontrait qu’une majorité des membres de l’unité de négociation appuyaient sa demande.

-     Plus tard ce jour‑là, les Métallos et la BCIC ont conclu une nouvelle convention collective. Dans la décision Rooley 712, il a été conclu que la demande de M. Rooley, présentée quelques heures plus tôt, avait néanmoins été présentée à l’intérieur du délai prescrit (paragraphe 20). Cette conclusion n’a pas été contestée.

-     Les Métallos ont répondu à la demande de révocation de M. Rooley le 2 janvier 2014.

-     Les Métallos avaient joint à leur réponse des formulaires imprimés sur leur papier à correspondance officielle que certains membres de l’unité de négociation avaient signés pour appuyer les efforts de négociation collective du syndicat et pour « retirer [leur] appui et refuser d’appuyer toute tentative de révoquer l’accréditation de [leur] syndicat, les Métallos » (traduction).

-     La date figurant sur les formulaires signés présentés par les Métallos était antérieure au 18 décembre 2013.

-     Quatre employés qui avaient appuyé la demande de M. Rooley figuraient aussi parmi les signataires des formulaires présentés par les Métallos.

[81] Dans Rooley 712, le banc initial a conclu que M. Rooley n’avait pas l’appui de la majorité pour sa demande de révocation :

[24] Le requérant a sollicité des appuis pour sa demande de révocation du 19 novembre au 17 décembre 2013. Comme il savait que l’unité de négociation comptait 51 employés, il croyait qu’il avait l’appui de la majorité lorsqu’il a présenté sa demande le 18 décembre 2013. Or, du 2 au 10 décembre 2013, un certain nombre d’employés ont signé à son insu des formulaires selon lesquels ils retiraient leur appui à toute tentative de révoquer l’accréditation du syndicat et réaffirmaient leur volonté de continuer à être représentés par les Métallos. Compte tenu du retrait de ces appuis, le requérant n’avait pas réellement l’appui de la majorité lorsqu’il a présenté sa demande de révocation le 18 décembre 2013.

[31] Par conséquent, en tenant compte de la volonté des employés qui ont changé d’avis avant la date à laquelle la demande de révocation a été présentée, le Conseil conclut que le requérant n’avait pas l’appui de la majorité à cette date. La présomption selon laquelle le syndicat continue de bénéficier de l’appui de la majorité des membres de l’unité de négociation n’a donc pas été réfutée.

[82] M. Rooley avait fait valoir que tout employé qui décidait de ne plus appuyer sa demande de révocation avait l’obligation de l’en informer. Le banc initial a rejeté cet argument :

[28] Un employé qui souhaite retirer son appui à une demande d’accréditation syndicale doit en informer le syndicat avant que la demande d’accréditation ne soit présentée pour que sa volonté soit respectée. Être avisé de tout changement relatif à l’appui des employés permet au syndicat de ne pas présenter de demande d’accréditation s’il n’a pas l’appui de la majorité. Étant donné que, lorsqu’une demande d’accréditation est rejetée, une période d’attente de six mois est imposée automatiquement pour la présentation d’une deuxième demande (voir l’article 38 du Règlement), un syndicat doit absolument savoir s’il bénéficie ou non d’un appui suffisant au moment où il présente une demande d’accréditation. Le fait de savoir à l’avance qu’un employé a annulé son adhésion syndicale donne au syndicat le temps nécessaire pour essayer de trouver des appuis auprès d’autres employés ou pour prendre une décision réfléchie sur la question de savoir s’il bénéficie d’un appui suffisant pour même présenter une demande.

[29] En ce qui concerne les demandes de révocation, les circonstances sont un peu différentes. Dans ce genre de situation, rien n’oblige l’employé à verser un montant d’argent au requérant pour prouver son appui, comme c’est le cas pour les demandes d’accréditation. Puisque l’issue de la demande n’est tributaire d’aucune participation financière, il peut arriver que des employés signent un formulaire en faveur de la révocation en raison de la pression exercée par leurs pairs, et les employés sont plus susceptibles de changer d’avis après avoir été informés de tous les faits, comme cela s’est produit en l’espèce. Compte tenu de l’exigence réglementaire relative à la confidentialité et de la possibilité de pressions indues, le Conseil conclut que rien n’oblige les employés à informer un requérant qu’ils n’appuient plus une demande de révocation. L’imposition d’une telle exigence irait à l’encontre de l’avantage dont bénéficient les employés en cause en vertu de la politique qui sous-tend l’article 35 du Règlement.

[83] Dans Rooley 712, après avoir conclu que M. Rooley n’avait pas l’appui de la majorité, le banc initial n’a pas traité les autres allégations soulevées dans les observations initiales, à savoir : i) l’ingérence de la part de la BCIC; ii) l’admissibilité à voter de M. Rooley et d’un de ses collègues; et iii) le statut d’un employé membre de l’unité de négociation en affectation temporaire dans un poste de direction (paragraphes 34 et 35).

VIII. Questions en litige

[84] Les questions suivantes doivent être tranchées :

A.  Le banc initial a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe lorsqu’il a accepté les formulaires signés des Métallos, malgré le fait que ceux‑ci ont été présentés 15 jours après la date de la présentation de la demande?

B.  Le banc initial a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe lorsqu’il a conclu que les employés n’étaient nullement tenus d’informer M. Rooley du fait qu’ils avaient décidé de retirer leur appui à sa demande de révocation?

C.  Est‑ce que la décision Rooley 712 suscite une crainte raisonnable de partialité?

IX. Analyse et décision

A. Le banc initial a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe lorsqu’il a accepté les formulaires signés des Métallos, malgré le fait que ceux‑ci ont été présentés 15 jours après la date de la présentation de la demande?

[85] À la page 8 de leur réponse, les Métallos ont soutenu que le banc initial avait appliqué correctement le Code et la politique du Conseil en ce qui a trait à la date de la présentation de la demande :

35. Le syndicat soutient que, en acceptant la preuve de la volonté des employés du syndicat  volonté exprimée avant la date de la présentation de la demande de révocation, mais présentée au Conseil après cette date seulement  le Conseil a eu raison, dans sa décision, d’établir que la majorité des employés n’appuyait pas la demande de révocation à la date de la présentation de la demande.

36. En l’espèce, le syndicat a présenté au Conseil une preuve de la volonté des employés exprimée avant la présentation de la demande de révocation. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le Conseil doit examiner une preuve de la volonté des employés exprimée après la présentation d’une demande de révocation. En l’espèce, les employés ont exprimé leur volonté avant la présentation de la demande de révocation, et la preuve connexe peut être utilisée pour établir la volonté des employés à la date de la présentation de la demande de révocation. Le syndicat soutient qu’il convient de donner cette interprétation au libellé de l’article 17 et que le Conseil a eu raison d’adopter cette interprétation.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[86] Les Métallos soutiennent que, dans le cadre des demandes d’accréditation, de révocation ou visant à déloger un syndicat en place (maraudage), le Conseil devrait accepter une preuve de la volonté des employés présentée après la date de la présentation de la demande, pour autant que la signature ait eu lieu avant cette date.

[87] Nous ne sommes pas d’accord, et nous avons conclu que le banc initial a commis une erreur de droit et de principe lorsqu’il s’est fondé sur la preuve de la volonté des employés présentée par les Métallos après la date de la présentation de la demande.

1. Le cas Moberg

[88] Dans Moberg, 2008 CCRI LD 2014 (Moberg 2014), une affaire invoquée par toutes les parties, le Vice‑président Sims a fait face à une question similaire, quoique non identique, dans le contexte d’une demande de révocation. Dans Moberg 2014, quatre employés ont retiré leur appui à une demande de révocation. Deux d’entre eux ont avisé le Conseil eux-mêmes avant la date de la présentation de la demande.

[89] Les deux autres employés, par contre, ont signé une lettre de retrait d’appui avant la date de la présentation de la demande, mais ils ne l’ont déposée devant le Conseil qu’après cette date :

L’agent enquêteur du Conseil a déterminé le nombre d’employés compris dans l’unité à la date de présentation de la demande. La majorité de ces employés avaient signé des autorisations à l’appui de la demande de M. Moberg. Deux d’entre eux ont cependant écrit au Conseil pour retirer leur autorisation et leur appui avant la date de présentation de la demande (les lettres de retrait d’appui). Deux autres employés ont signé une lettre de retrait d’appui avant la date de présentation de la demande, mais ils ne l’ont déposée devant le Conseil qu’après cette date.

(pages 2-3)

[90] Le Vice‑président Sims a décrit de la façon suivante la question dont il était saisi :

La question que le Conseil doit trancher est la suivante : dans les cas où un employé signe un document au soutien d’une telle demande, peut-il retirer son appui par la suite et, le cas échéant, quand peut-il le faire et selon quelles modalités? L’appui des quatre employés est important dans la présente affaire. Il semble qu’aucun d’entre eux n’a avisé M. Moberg qu’il avait signé une lettre de retrait d’appui. Les quatre ont signé leur lettre de retrait d’appui avant que M. Moberg présente sa demande devant le Conseil. Deux d’entre eux ont avisé le Conseil qu’ils retiraient leur appui avant la date de présentation de la demande et les deux autres, après cette date.

(page 3; c’est nous qui soulignons)

[91] Le Vice‑président Sims a indiqué que l’appui à une demande de révocation n’était pas irrévocable et a souligné le contraste entre le processus menant à l’adhésion syndicale et l’expression de l’appui à une demande de révocation :

Rien dans le Code ne dit que la décision d’un employé d’appuyer une demande de révocation et d’accorder au requérant le droit de le représenter dans le cadre de cette procédure est irrévocable. En fait, il y a de solides raisons de principe qui font que cette décision doit demeurer à la discrétion de l’employé. À la différence des demandes d’adhésion syndicale, aucun paiement n’est exigé pour souligner l’importance de la décision et les droits de représentation ou de mandataire qui sont accordés au requérant ne comportent aucun aspect contractuel. On ne peut jamais avoir la certitude que les documents ont été signés librement, sans aucune pression réelle ou perçue comme telle.

(page 4; c’est nous qui soulignons)

[92] Nous ferons d’autres commentaires plus loin sur cette affirmation voulant qu’il y ait une distinction à faire à l’égard de la volonté des employés entre les demandes d’accréditation et les demandes de révocation.

[93] Finalement, le Vice‑président Sims n’a pas eu à déterminer comment traiter la lettre de retrait d’appui d’un employé ayant été signée avant la date de la demande, mais n’ayant été présentée qu’après :

Dans ce cas-ci, le Conseil ne voit aucune raison de ne pas utiliser la date de présentation de la demande. Bien qu’il prétende avoir l’appui de la majorité, le requérant ne bénéficie pas, en fait, de cet appui. Si l’on exclut seulement les deux employés qui ont déposé leur lettre de retrait d’appui devant le Conseil avant la date de présentation de la demande, le requérant obtient l’appui de 50 % des employés, ce qui est moins que la majorité. Si l’on exclut ceux qui avaient retiré leur appui à cette date, on arrive bien sûr à moins de 50 %. D’une façon comme de l’autre, le requérant n’obtient pas le degré d’appui nécessaire à la date à laquelle le Conseil juge indiqué de vérifier cet appui. Le Conseil se penchera une autre fois sur la question de savoir si des lettres de retrait signées mais non déposées minent l’appui de la majorité.

(pages 5-6; c’est nous qui soulignons)

[94] La question relative aux « lettres de retrait signées mais non déposées », dont le Vice‑président Sims a pu reporter l’examen à « une autre fois » dans Moberg 2014 compte tenu des faits en cause, doit être analysée et tranchée en l’espèce.

2. La porte de la preuve se ferme à la date de la présentation de la demande

[95] Les articles 17 et 28 précisent tous les deux clairement que l’analyse de l’appui de la majorité par le Conseil a lieu à la date de la présentation de la demande. Le libellé du Code ne met pas l’accent sur le moment où la preuve est signée. Le fait de se fonder sur une preuve reçue après la date de la demande constitue une erreur de droit et de principe.

[96] Par souci de commodité, l’article 17 est reproduit ci-dessous :

17. S’il lui faut déterminer la volonté de la majorité des employés d’une unité dans le cadre d’une demande prévue à la présente partie, le Conseil doit la déterminer à la date du dépôt de la demande ou à toute autre date qu’il estime indiquée.

(c’est nous qui soulignons)

[97] Dans Conseil des Innus de Pessamit, 2010 CCRI 524, le Conseil a décrit le fait qu’il a utilisé la date de la demande, et il a souligné l’importance de la preuve qu’il avait réellement en sa possession à cette date :

[13] En l’espèce, la demande d’accréditation a été présentée le 21 octobre 2008, et le Conseil a seulement tenu compte des éléments de preuve relatifs à la volonté des employés qui étaient au dossier à ce moment-là. Tout comme le Conseil ne tient pas compte de la preuve d’adhésion supplémentaire produite par un syndicat après la date de la présentation de sa demande d’accréditation, il ne tient pas compte des démissions postérieures à cette date. Une approche contraire ouvrirait la porte à l’exercice de pressions indues à l’endroit des employés pour les pousser à adhérer au syndicat ou à retirer leur adhésion. Cela entraînerait une multiplication des plaintes de pratique déloyale de travail qui finirait par empêcher le Conseil d’établir la véritable volonté des employés.

(c’est nous qui soulignons)

[98] Bien que le Code confère au Conseil le pouvoir discrétionnaire de choisir une autre date qu’il estime indiquée, l’exercice de ce pouvoir n’est pas en cause dans les demandes dont nous sommes saisis en l’espèce. Le banc initial a agi expressément en se fondant sur la date de la présentation de la demande.

[99] Selon le Code, le Conseil doit se concentrer sur la preuve en sa possession à la date de la présentation de la demande. Comme le Conseil l’a souligné après son examen de la jurisprudence, la preuve de la volonté des employés présentée après la date de la présentation de la demande est couramment exclue. En l’espèce, les Métallos n’ont présenté leur preuve qu’après que M. Rooley eut présenté sa demande de révocation.

3. Le fait de mettre l’accent sur la date de la signature, plutôt que sur la date de la présentation de la demande, constitue aussi une erreur de droit et de principe

[100] En utilisant la date de la présentation de la demande, on peut davantage se fier à la preuve; tout document reçu avant la date de la présentation doit aussi avoir été signé avant cette date.

[101] Le fait de mettre l’accent sur la date de la signature, plutôt que sur la date de la présentation comme le prévoit le Code, créerait une nouvelle politique pour le Conseil. Cela pourrait aussi entraîner des difficultés importantes sur le plan pratique.

[102] Par exemple, s’il est facile de comparer des signatures, il est beaucoup plus difficile de déterminer si un document a réellement été signé à la date indiquée. Par conséquent, si, dans les demandes mettant en cause la volonté des employés, le Conseil se mettait systématiquement à examiner les éléments de preuve ayant été présentés après la date de la présentation de la demande, mais ayant prétendument été signés avant cette date, cela risquerait d’ouvrir la porte à d’importants méfaits.

[103] Depuis des décennies, le Conseil a comme politique d’utiliser la date de la présentation de la demande, ce qui lui permet d’éviter ce genre de problèmes. De plus, cette politique est conforme au libellé explicite du Code.

B. Le banc initial a‑t‑il commis une erreur de droit ou de principe lorsqu’il a conclu que les employés n’étaient nullement tenus d’informer M. Rooley du fait qu’ils avaient décidé de retirer leur appui à sa demande de révocation?

[104] Nous souscrivons à la conclusion du banc initial selon laquelle les employés n’étaient pas tenus d’informer M. Rooley du fait qu’ils retiraient leur appui, mais pour les raisons suivantes uniquement.

1. La volonté des employés est confidentielle

[105] Comme il a été expliqué plus tôt, le Code permet au Conseil de prendre des règlements afin de protéger la confidentialité de la volonté des employés. Cette protection est essentielle pour garantir que les employés exercent librement les libertés fondamentales dont ils jouissent en vertu du Code.

[106] Comme il a été souligné plus tôt, l’article 35 du Règlement protège cette confidentialité dans les diverses instances du Conseil; il ne vise clairement pas les demandes d’accréditation uniquement.

2. Demandes de révocation

[107] Dans Bowman, Rowberry, Schmeltz, 2007 CCRI 380 (Bowman 380), le Conseil a confirmé que la même protection de la confidentialité s’applique aussi bien aux demandes d’accréditation qu’aux demandes de révocation. Dans Bowman 380, le Conseil s’est dit préoccupé du fait que le requérant avait divulgué à répétition les noms des employés qui appuyaient la demande de révocation. Le Conseil a fait valoir que les employés ont le droit « [d’]exprimer leur volonté sans risque d’ingérence ou d’influence » :

[61] La dernière irrégularité qu’il convient de mentionner concerne la confidentialité des noms des signataires de la pétition. Quand il est question de la volonté des employés, le Conseil se préoccupe toujours de la nécessité de protéger la confidentialité de l’information relative à l’adhésion syndicale. C’est pourquoi la preuve relative à l’adhésion syndicale n’est pas communiquée à l’employeur, sauf en de très rares occasions (voir Maritime-Ontario Freight Lines Ltd. v. Teamsters Union, Local 938 (2001), 278 N.R. 142 (C.A.F.)), comme en témoigne l’article 35 du Règlement :

[citation omise]

[62] L’objectif visé est d’empêcher les employeurs de se livrer à des pratiques déloyales et, dans le cas d’une demande de révocation, de faire en sorte que les employés puissent exprimer leur volonté sans risque d’ingérence ou d’influence. S’ajoute à cela le fait que la preuve d’un appui minimal ou réduit pour l’agent négociateur pourrait avoir une incidence sur les négociations collectives (voir K.D. Marine Transport Ltd. (1982), 51 di 130; et 83 CLLC 16,009 (CCRT no 400)).

[63] Or, il se trouve que les règles de confidentialité du Conseil n’ont pas été respectées ici, et cela, à deux occasions au moins. Comme il est indiqué dans le rapport confidentiel de l’agent enquêteur, le procureur du requérant a fait parvenir une copie complète de la demande de révocation à l’employeur et au syndicat au moment de la présentation de la demande. L’agent enquêteur a alors communiqué avec le procureur pour le mettre au courant des règles de confidentialité du Conseil. Néanmoins, le procureur a de nouveau violé la confidentialité de la volonté des employés quand, en réponse à une demande de renseignements du Conseil au sujet du statut d’emploi de certains employés à la date de présentation de la demande, il a envoyé au syndicat et à l’employeur copie de sa lettre du 5 décembre 2006, qui contenait les noms des employés en question.

[64] À la lumière de ce qui s’est produit, le Conseil ne peut évidemment défaire ce qui a été fait, mais il rappelle aux parties que de tels incidents compliquent la tâche du Conseil d’exercer une surveillance sur les droits et obligations de chaque partie et de voir à leur application dans des dossiers futurs où la confidentialité de l’adhésion syndicale ou de la volonté des employés pourrait entrer en ligne de compte.

(c’est nous qui soulignons)

[108] Les employés peuvent faire part de leur volonté au Conseil par écrit, pour autant que leurs lettres arrivent avant la date de la présentation de la demande. Dans Moberg 2014, le requérant n’a pas démontré qu’il avait l’appui de la majorité, ce qui est directement attribuable aux lettres personnelles que le Conseil a reçues de deux employés.

[109] Si le Conseil insistait pour que les employés informent un requérant du retrait de leur appui, quel avantage ces employés continueraient‑ils de retirer de l’article 35 du Règlement? Cette orientation du Conseil forcerait les employés à renoncer à la confidentialité que l’article 35 vise justement à protéger. Une telle politique serait plus susceptible de restreindre les employés dans le libre exercice des libertés fondamentales dont ils jouissent en vertu du Code.

[110] Les employés ne perdent pas leur droit à la confidentialité simplement parce qu’ils ont au départ accepté d’appuyer la demande de révocation d’un requérant, puis changé d’avis.

3. Demandes d’accréditation

[111] M. Rooley a contesté l’affirmation exposée aux paragraphes 28 et 29 de la décision Rooley 712 selon laquelle un employé qui souhaite retirer son appui à une demande d’accréditation syndicale est tenu d’en informer le syndicat, mais qu’il n’a pas d’obligation comparable dans le cas d’une demande de révocation.

[112] M. Rooley a apparemment présumé que le Conseil traite de façon très distincte la volonté des employés dans les affaires d’accréditation et de révocation. Nous n’avons trouvé aucun dossier d’accréditation dans le cadre duquel cette question a été analysée, bien que les remarques incidentes dans Moberg 2014 puissent être à l’origine de l’argument de M. Rooley.

[113] La décision Rooley 712 portait sur une demande de révocation et une preuve relative à un changement d’avis. Le Conseil n’a pas à déterminer si des obligations différentes existent relativement à la preuve se rapportant à un changement d’avis dans le contexte d’une demande d’accréditation. Il fera une analyse complète de cette question dans le cadre d’un dossier d’accréditation où il sera indiqué de le faire.

[114] Dans Moberg 2014, le Conseil a brièvement abordé la question de l’adhésion syndicale et a souligné le fait qu’un paiement a été exigé, créant ainsi une relation contractuelle. Mais il ne s’est pas penché sur la question de savoir si ces distinctions devraient l’amener à créer une exception à la politique de confidentialité sous‑jacente exposée clairement à l’article 35 du Règlement. Il n’était pas nécessaire de trancher cette question dans le contexte d’une affaire portant sur une demande de révocation comme Moberg 2014.

[115] Au départ, M. Rooley a invoqué la décision du Conseil dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2004 CCRI 282 (CN 282) pour appuyer l’argument selon lequel un employé qui souhaite changer d’avis à propos de son adhésion dans le contexte d’une demande d’accréditation est tenu d’en informer le requérant :

[12] Cette politique a pour but principal d’empêcher l’employeur de s’ingérer dans le choix d’un agent négociateur. L’application de la date de dépôt de la demande comme la norme permet au Conseil de rendre des décisions définitives dans tous les cas, sauf dans les cas les plus inhabituels, et donc d’instaurer la politique d’examen des demandes de révocation. Dans l’affaire Banque provinciale du Canada, Roberval (1978), 34 di 633 (CCRT no 171), le Conseil a soutenu que les désirs des employés, y compris les demandes de révocation, sont évalués à compter de la date du dépôt de la demande d’accréditation.

[13] Aucun des syndicats en cause n’a soutenu que cette politique ne devrait pas être appliquée aux circonstances de l’affaire en instance. En conséquence, lorsque des employés qui ont signé des cartes d’adhésion décident d’annuler leur adhésion avant la date du dépôt de la demande d’accréditation, l’appui au syndicat s’en trouve diminué. Quant aux annulations d’adhésion qui ont lieu après la date du dépôt de la demande d’accréditation, elles n’ont aucune incidence sur l’appui à un syndicat. Voilà les critères sur lesquels il faut s’appuyer pour compter les cartes.

(c’est nous qui soulignons)

[116] La mention de « cette politique » au paragraphe 13 de la décision CN 282 a trait à l’importance de la date de la présentation d’une demande. À cet égard, CN 282 renvoyait à une décision antérieure rendue par le CCRT dans Banque Provinciale du Canada, Roberval (1978), 34 di 633 (CCRT no 171) (Banque Provinciale).

[117] La décision rendue dans Banque Provinciale ne disait rien à propos d’une exigence obligeant les employés à informer un requérant du retrait de leur appui à une demande d’accréditation. La décision rendue dans Banque Provinciale analysait plutôt l’importance de la date de la présentation de la demande.

[118] Il s’agit là de la seule « politique » dont il est fait mention au paragraphe 13 de CN 282.

[119] Cependant, dans Banque Provinciale, la CCRT a résumé les faits qui lui avaient été présentés. Il faisait notamment mention de la décision de certains employés d’écrire au syndicat requérant, de même qu’au Conseil, pour retirer leur appui à une demande d’accréditation déjà présentée. Le Conseil a reproduit leurs lettres et a décidé de ne pas en tenir compte parce qu’elles étaient arrivées après la date de la présentation de la demande.

[120] Dans Banque Provinciale, le Conseil n’a pas laissé entendre que les employés étaient tenus d’informer le syndicat requérant à l’origine d’une demande d’accréditation du fait qu’ils avaient changé d’avis.

[121] Néanmoins, ce concept n’a rien d’exceptionnel dans le monde des relations du travail.

[122] Dans quelques décisions rendues par d’autres instances, il a été question de l’incidence du changement d’avis de la part d’un employé dans le cadre d’une demande d’accréditation. Les commentaires formulés témoignent des différents régimes législatifs en vigueur, notamment ceux qui reposent sur l’utilisation d’une « date limite ». Ces commentaires témoignent aussi d’une distinction législative entre la preuve d’adhésion et la preuve par pétition.

[123] Lorsque l’Ontario suivait un régime fondé sur une « date limite » avant 1995, la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a fait la distinction entre la preuve d’adhésion et la preuve par pétition. À cette époque, lorsqu’une demande d’accréditation était présentée, la CRTO établissait une « date limite ». Les employés pouvaient présenter une « déclaration de souhait » (traduction) avant la date limite pour s’opposer à la demande d’accréditation.

[124] Dans Baltimore Aircoil Interamerican Corporation, [1982] OLRB Rep. Oct. 1387, la CRTO a décrit pourquoi une preuve par pétition ne pouvait à elle seule annuler la preuve d’adhésion présentée à l’appui d’une demande d’accréditation. Par contre, ce type de preuve était susceptible de convaincre la Commission de tenir un scrutin de représentation, plutôt que de rendre une ordonnance d’accréditation en se fondant uniquement sur les cartes d’adhésion, comme la CRTO pouvait le faire à l’époque :

36 Après avoir pris connaissance de la preuve d’adhésion initiale présentée par le requérant, nous sommes convaincus que plus de 55 % des employés de l’unité de négociation étaient membres du syndicat requérant en date du 23 octobre 1980, date fixée par la Commission aux termes de l’alinéa 103(2)j) pour établir la preuve d’adhésion à un syndicat. Cependant, même si la Commission est convaincue que plus de 55 % des employés de l’unité de négociation sont membres d’un syndicat requérant, elle peut ordonner la tenue d’un scrutin de représentation en vertu du paragraphe 7(2). C’est dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire que la Commission examine « la preuve de l’opposition des employés à l’accréditation d’un syndicat ou la preuve de l’expression de la volonté de ces employés de ne plus être représentés par un syndicat », présentée à la Commission conformément à la règle 73 des Règles de procédure de la Commission. Autrement dit, la preuve de l’opposition des employés à l’accréditation ou la preuve de l’expression de la volonté de ces employés de ne plus être représentés par un syndicat n’est pas, compte tenu de l’esprit de la Loi, une preuve liée à l’adhésion syndicale aux fins d’une demande d’accréditation, et c’est pour cette raison qu’une déclaration de souhait, quelle qu’en soit la teneur, ne permet pas d’annuler ou de révoquer la preuve d’adhésion présentée par un syndicat requérant sous la forme prescrite au paragraphe 1 (1)(1) de la Loi sur les relations de travail. Voir Caldwell Linen Mills Limited, [1967] OLRB Rep. March 948, au paragraphe 10; Diebold Company of Canada Limited, [1976] OLRB Rep. May 237, au paragraphe 10; et Re Royal Canadian Yacht Club and Hotel, Restaurant and Cafeteria Employees’ Union, Local 75 et al., (1981), 129 D.L.R. (3d), de 554 à 558. Plus exactement, si des éléments pertinents « se recoupent » dans la preuve de l’opposition des employés à l’accréditation d’un syndicat ou dans la preuve de l’expression de la volonté de ces employés de ne plus être représentés par un syndicat, pour autant que cette preuve ait été présentée au plus tard à la date limite fixée pour la demande et que la Commission l’accepte comme une expression volontaire de la volonté des employés signataires, cela mettra généralement en doute la preuve d’adhésion présentée par un requérant (pour reprendre les mots utilisés dans la note explicative du formulaire 6), menant ainsi la Commission à exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 7(2) et à ordonner la tenue d’un scrutin de représentation. Il serait en quelque sorte anormal si la preuve d’adhésion, qui doit satisfaire aux exigences établies dans la Loi de même qu’aux règles et formules qui s’y rattachent, pouvait être « annulée » par un processus beaucoup moins officiel et essentiellement non réglementé qui suit généralement de près l’adhésion syndicale d’un employé. En faisant du scrutin de représentation l’incidence maximale d’une pétition présentée en guise d’opposition, la loi tient compte de la fonction de retrait de la preuve par pétition et reconnaît que les campagnes de syndicalisation du syndicat exigent souvent un investissement de temps et d’argent considérable. Lorsqu’un employé a signé un formulaire de demande d’adhésion et qu’il a versé le montant de précaution de 1 $, un syndicat a le droit de se fonder sur cet engagement aux fins d’une demande d’accréditation, dans la mesure où il est convaincu que sa demande ne sera pas rejetée au motif qu’il n’a pas un appui suffisant des membres (c.‑à‑d., 45 %) simplement parce que des expressions de « doute » ont été présentées avant la date limite. Si cela n’était pas l’approche suivie, un syndicat ne saurait jamais à quel moment mettre fin à sa campagne de syndicalisation. C’est cette relation entre la preuve d’adhésion et la preuve par pétition qui constitue la politique permettant à la Commission d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation même lorsque le syndicat présente une preuve d’adhésion au nom de plus de 55 % de l’unité de négociation. C’est aussi la raison pour laquelle la loi fait une distinction entre la date de la demande et la date limite.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[125] En Alberta, la loi applicable semble faire la distinction entre la preuve d’adhésion et la preuve par pétition présentée à l’appui d’une demande d’accréditation. La tenue d’un scrutin de représentation est obligatoire pour toute demande d’accréditation, quel que soit le type de preuve utilisé.

[126] Dans la décision Waste Services (CA) Inc., [2009] Alta. L.R.B.R. 486 (Waste Services), une affaire liée à une campagne de maraudage, les Teamsters ont présenté une demande d’accréditation en vue de représenter une unité de négociation déjà représentée par le TCA. La Commission des relations de travail de l’Alberta (CRTA) a explicitement mentionné qu’un employé qui souhaitait changer d’avis à propos de son appui à la demande était tenu d’en informer le requérant, c.‑à‑d. les Teamsters, même si la volonté confidentielle de l’employé était ainsi révélée.

[127] La CRTA a statué qu’un employé ne pouvait se contenter de signer une déclaration d’opposition afin d’annuler son adhésion aux Teamsters, compte tenu de la nature contractuelle de celle‑ci.

[128] La CRTA s’est penchée sur les arguments contradictoires des Teamsters et du TCA concernant l’obligation d’un employé de faire part du retrait de son appui à la demande présentée par les Teamsters dans le cadre d’un maraudage :

36 La Commission a déjà rendu une décision selon laquelle une contre‑pétition ne peut à elle seule ébranler la preuve présentée à l’appui aux termes de l’alinéa 33a). Dans la décision Certain Employees of Select Foods Ltd. v. United Food and Commercial Workers Union, Local 401, [1990] Alta. L.R.B.R. 342, la Commission a examiné l’incidence d’une contre‑pétition présentée dans le but de retirer l’appui précédemment exprimé à l’égard d’une demande de révocation. La Commission a affirmé ce qui suit (à la page 346) :

Nous convenons du fait que la dernière déclaration volontaire faite par un employé avant la date de la demande est celle qui doit être prise en compte afin d’établir si le requérant a l’appui nécessaire de 40 % à la date de la demande. La Commission a entendu le témoignage de M. Lanneville à propos du processus et de la discussion qu’il a eue avec les huit personnes qu’il a vues signer volontairement la contre‑pétition. En outre, rien n’indique que l’un ou l’autre de ces employés a été forcé d’une quelconque façon à signer les lettres ou la contre‑pétition.

Nous concluons que, à la date de la présentation de la demande visant à faire révoquer l’accréditation du syndicat, le nombre d’employés de l’unité qui appuyaient la demande comptait pour une proportion inférieure à la proportion requise de 40 %. La demande de révocation a été rejetée.

Pour arriver à cette décision, nous avons examiné des pétitions et des contre‑pétitions. Nous n’avions pas à examiner des adhésions syndicales ou des demandes d’adhésion suivies d’une pétition. Une pétition présentée en opposition à une demande d’accréditation du syndicat ne peut, en soi, annuler la preuve fondée sur l’adhésion syndicale ou sur les demandes d’adhésion présentée aux termes de l’alinéa 31a) du Code.

[souligné dans l’original]

37 Nous souscrivons à ces commentaires. En clair, nous n’avançons pas qu’un membre du syndicat ou un employé qui souhaite adhérer à un syndicat ne peut rien faire pour exprimer son opposition à la demande d’accréditation d’un syndicat. Il peut voter contre le syndicat requérant dans le cadre d’un scrutin de représentation dont la tenue est susceptible d’être ordonnée. En outre, un employé qui a présenté une demande d’adhésion syndicale et qui ne souhaite pas que le syndicat utilise son nom pour appuyer une demande d’accréditation peut envoyer au syndicat (de même qu’à la Commission) une déclaration demandant l’annulation de sa demande d’adhésion. Un membre peut annuler son adhésion syndicale s’il le souhaite et envoyer à la Commission les documents pertinents. Par contre, l’annulation de l’adhésion ou le retrait d’une demande d’adhésion doit avoir lieu avant que le syndicat présente sa demande d’accréditation auprès de la Commission. Nous reconnaissons que cette procédure supposerait la divulgation au syndicat requérant du retrait de l’appui de la personne. Cependant, la divulgation au syndicat requérant du retrait de l’appui d’une personne ne soulève pas les mêmes considérations de principe qui pourraient découler de la divulgation de l’appui ou de l’absence d’appui dans d’autres cas.

38 Dans l’affaire dont nous sommes saisis, le TCA a présenté à la Commission des déclarations censées montrer que certaines personnes voulaient retirer ou annuler leur adhésion aux Teamsters, laquelle était susceptible d’être utilisée pour appuyer une demande d’accréditation. Nous considérons qu’il s’agit de déclarations formulées en opposition à la demande d’accréditation des Teamsters. Par contre, pour les raisons énoncées ci‑dessus, ce genre de déclarations ne peuvent à elles seules ébranler la preuve présentée aux termes de l’alinéa 33a). Les demandes d’adhésion doivent être dûment annulées avant la date de présentation de la demande d’accréditation auprès de la Commission. En l’espèce, aucune annulation n’a été dûment effectuée au moment opportun. Les Teamsters n’ont pas été informés de l’annulation des demandes d’adhésion avant de présenter leur demande d’accréditation auprès de la Commission. Nous n’acceptons pas l’argument du TCA selon lequel l’approche contractuelle avancée par les Teamsters est une façon trop technique de traiter l’annulation des demandes d’adhésion syndicale. À notre avis, cette approche découle de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Berry c. Pulley, précité. Par conséquent, nous ne tiendrons pas compte des déclarations présentées par le TCA.

(traduction; c’est nous qui soulignons)

[129] La CRTA a établi une distinction entre la preuve d’adhésion présentée dans le contexte d’une demande d’accréditation, y compris dans le cadre d’un maraudage, et la volonté des employés exprimée dans le contexte d’une demande de révocation. Dans Waste Services, la CRTA a souligné que les employés qui décidaient de retirer leur appui pouvaient simplement voter contre les Teamsters lors d’un scrutin de représentation obligatoire tenu ultérieurement, plutôt que de révéler publiquement qu’ils ont changé d’avis.

[130] Par contre, s’ils souhaitaient annuler leur adhésion syndicale, que les Teamsters ont utilisée pour appuyer leur demande dans le cadre d’un maraudage, ils devaient alors en informer les Teamsters, même si cela supposait la divulgation du fait qu’ils avaient changé d’avis.

[131] Le Conseil ne s’est pas encore penché sur les obligations qui incombent aux employés qui souhaitent changer d’avis à propos de leur appui à une demande d’accréditation. Il est préférable d’attendre une affaire qui s’y prêtera mieux. Par contre, même si le Conseil avait eu une telle politique ou pratique, comme l’a avancé M. Rooley, il ne s’agirait certainement pas d’un concept nouveau dans le domaine des relations du travail.

[132] Il est possible que le Conseil doive un jour établir, aux termes du libellé du Code et du Règlement du Conseil à ce moment‑là, s’il existe, dans les affaires d’accréditation, une exception à la politique qui sous‑tend l’article 35 du Règlement. Il n’était toutefois pas nécessaire de trancher cette question pour statuer sur la demande de révocation de M. Rooley.

[133] Dans Rooley 712, le Conseil a conclu que les employés n’étaient pas tenus d’informer M. Rooley du fait qu’ils avaient changé d’avis. Une telle exigence minerait la politique de confidentialité prévue à l’article 35 du Règlement. Le Conseil est convaincu que cette conclusion tirée dans Rooley 712 ne constitue pas une erreur de droit, pour les motifs explicites exposés ci-dessus.

C. Est‑ce que la décision Rooley 712 suscite une crainte raisonnable de partialité?

[134] La Cour suprême du Canada a décrit le test applicable à la crainte raisonnable de partialité dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 :

31 Le test applicable à la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 R.C.S. 369. Bien qu’il ait été dissident, le test qu’il a formulé a été adopté par la majorité et a été constamment repris par notre Cour au cours des deux décennies subséquentes : voir par exemple Valente c. La Reine, 1985 CanLII 25 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Lippé, 1990 CanLII 18 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 114; Ruffo c. Conseil de la magistrature, 1995 CanLII 49 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 267. Le juge de Grandpré a déclaré, aux pp. 394 et 395 :

... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

(page 502; c’est nous qui soulignons)

[135] Dans la décision Marchand v. The Public General Hospital Society of Chatham, 2000 CanLII 16946 (CA ON), la Cour d’appel de l’Ontario a formulé d’autres observations sur certains des principes applicables :

[131] Avant d’examiner ce motif d’appel, nous nous pencherons brièvement sur les principes qui s’appliquent à une allégation de partialité judiciaire. Ces principes, qui sont maintenant bien établis, ont été récemment résumés par la Cour suprême du Canada dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, 118 C.C.C. (3d) 353. Ces principes sont les suivants :

1. Tous les tribunaux administratifs sont tenus de faire preuve d’équité envers les parties qui comparaissent devant eux. La portée de cette obligation et la rigueur avec laquelle elle s’applique varieront suivant la nature du tribunal en question. Les cours devraient toutefois faire l’objet de normes plus rigoureuses en matière d’impartialité.

2. L’impartialité témoigne de l’état d’esprit du juge désintéressé eu égard aux résultats et susceptible d’être persuadé par la preuve et les arguments soumis. Par contraste, la partialité dénote un état d’esprit prédisposé à un certain résultat ou fermé sur certaines questions.

3. « L’équité et l’impartialité doivent être à la fois subjectivement présentes et objectivement démontrées dans l’esprit de l’observateur renseigné et raisonnable. Si les paroles ou les actes du juge qui préside suscitent, chez l’observateur renseigné et raisonnable, une crainte raisonnable de partialité, cela rend le procès inéquitable. » (à la page 524 du R.C.S.)

5. C’est à la partie qui allègue la partialité qu’il incombe d’en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités.

6. Une opinion préconçue sur le bien‑fondé, une opinion préconçue sur la crédibilité, des interventions excessives et unilatérales avec l’avocat ou durant l’interrogatoire des témoins et dans les motifs proprement dits peuvent être un signe de partialité. La cour doit établir si l’examen de tous les facteurs pertinents amène une crainte raisonnable de partialité.

7. Le critère permettant d’établir l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte de partialité est exigeant. Les cours présument que les juges respectent leur serment professionnel. Par conséquent, pour formuler une allégation de partialité judiciaire, il faut présenter une preuve convaincante. Les soupçons ne suffisent pas. Le critère est exigeant, car une conclusion de partialité touche non seulement l’intégrité personnelle du juge responsable, mais aussi celle de toute l’administration de la justice.

8. Cependant, si les paroles ou les actes du juge suscitent une crainte raisonnable de partialité, c’est l’ensemble du procès qui est vicié, et la décision subséquente, aussi bien fondée soit‑elle, ne peut y remédier. Par conséquent, en appel, une conclusion de partialité réelle ou de crainte de partialité entraînera généralement la tenue d’un nouveau procès.

(traduction)

[136] En l’espèce, il n’est pas question de la conduite d’un tribunal puisque le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir d’audience (article 16.1 du Code). M. Rooley fonde ses allégations sur les motifs proprement dits du Conseil pour appuyer une conclusion de crainte raisonnable de partialité.

[137] Dans sa demande, M. Rooley décrit pourquoi il a l’impression que la décision Rooley 712 suscite une crainte raisonnable de partialité :

L’extrait du paragraphe 29 de la décision ci‑dessous permet de croire que la décision d’un employé d’appuyer la révocation découlerait probablement de la pression qu’il subit et que, après avoir été informé des « faits », l’employé choisirait de retirer son appui.

Puisque l’issue de la demande n’est tributaire d’aucune participation financière, il peut arriver que des employés signent un formulaire en faveur de la révocation en raison de la pression exercée par leurs pairs, et les employés sont plus susceptibles de changer d’avis après avoir été informés de tous les faits, comme cela s’est produit en l’espèce.

Les affirmations formulées dans la décision témoignent d’une préférence pour la représentation du syndicat, puisqu’elles laissent entendre que les employés continueraient d’appuyer un syndicat plutôt que d’appuyer une demande de révocation s’ils connaissaient « tous les faits ». Les « faits » ne sont pas exposés clairement dans la décision, mais l’interprétation qui s’impose pour cet extrait veut qu’il soit objectivement préférable pour les employés d’être représentés par un agent négociateur plutôt que d’appuyer une demande de révocation. Le libellé de la décision et son contexte dénotent un intérêt à l’égard du résultat, suscitant une crainte raisonnable de partialité.

La possibilité qu’ont les employés de choisir d’être ou de ne pas être représentés par un syndicat est un principe fondamental du Code. Lorsque le Conseil semble avoir un intérêt à l’égard de ce choix, la crainte devient considérablement et raisonnablement fondée.

Compte tenu des circonstances, il conviendrait que le banc ayant rendu la décision initiale décide de se récuser, et qu’un autre banc du Conseil tranche la demande de réexamen.

(pages 26 et 27; traduction)

[138] Compte tenu de la conclusion mentionnée ci-dessus, selon laquelle le Conseil n’aurait pas dû accepter la preuve présentée par les Métallos concernant la volonté des employés, la question relative à la partialité peut sembler théorique à première vue. Cependant, comme le dossier initial contient des questions que le banc initial n’a pas encore traitées, il est nécessaire de se pencher sur les préoccupations de M. Rooley selon lesquelles la décision Rooley 712 suscite une crainte raisonnable de partialité.

[139] M. Rooley a d’abord prétendu que les paragraphes 28 et 29 de la décision Rooley 712 suscitaient une crainte raisonnable de partialité. Il a par la suite indiqué dans sa réplique qu’il ressortait de « l’ensemble du contexte » (traduction) de la décision que le banc initial ne trancherait pas l’affaire de façon équitable.

[140] Nous allons examiner ces arguments dans l’ordre inverse.

1. Est‑ce que « l’ensemble du contexte » de Rooley 712 crée une apparence de partialité?

[141] Il arrive parfois que le Conseil commette des erreurs de droit ou de principe. Le processus de réexamen existe depuis des décennies et constitue une mesure de protection exceptionnelle contre ce genre d’erreur.

[142] Ces erreurs diffèrent de la partialité, plus particulièrement dans des domaines qui sont nouveaux ou qui n’ont jamais été examinés.

[143] Dans Rooley 712, le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a tenu compte de la preuve contestée des Métallos. Dans cette décision, il n’a pas analysé, malgré son importance évidente, la question de droit inédite concernant la présentation d’une preuve de la volonté des employés ayant été signée avant la date de la présentation de la demande, mais n’ayant été envoyée au Conseil que 15 jours après cette date.

[144] Le banc de révision a aussi établi (voir ci‑dessus) que le Conseil, dans la décision Rooley 712, a correctement conclu que les employés qui souhaitaient retirer leur appui n’étaient pas tenus d’informer M. Rooley. Les employés peuvent écrire au Conseil pour l’informer du fait qu’ils ont changé d’avis. Le Conseil traite ces éléments de preuve de manière confidentielle, conformément à la politique qui sous‑tend l’article 35 du Règlement.

[145] M. Rooley ne nous a pas convaincus que « l’ensemble du contexte » de la décision Rooley 712 convaincrait une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, qui, à notre avis, est une personne connaissant bien les relations du travail, que le banc initial ne rendrait pas une décision juste dans son affaire.

2. Paragraphe 28 de la décision Rooley 712

[146] M. Rooley a particulièrement trouvé à redire aux paragraphes 28 et 29 de la décision Rooley 712. Le paragraphe 28 est libellé comme suit :

[28] Un employé qui souhaite retirer son appui à une demande d’accréditation syndicale doit en informer le syndicat avant que la demande d’accréditation ne soit présentée pour que sa volonté soit respectée. Être avisé de tout changement relatif à l’appui des employés permet au syndicat de ne pas présenter de demande d’accréditation s’il n’a pas l’appui de la majorité. Étant donné que, lorsqu’une demande d’accréditation est rejetée, une période d’attente de six mois est imposée automatiquement pour la présentation d’une deuxième demande (voir l’article 38 du Règlement), un syndicat doit absolument savoir s’il bénéficie ou non d’un appui suffisant au moment où il présente une demande d’accréditation. Le fait de savoir à l’avance qu’un employé a annulé son adhésion syndicale donne au syndicat le temps nécessaire pour essayer de trouver des appuis auprès d’autres employés ou pour prendre une décision réfléchie sur la question de savoir s’il bénéficie d’un appui suffisant pour même présenter une demande.

[147] M. Rooley avait prétendu, entre autres choses, que les employés qui avaient au départ appuyé sa demande de révocation étaient tenus de l’informer s’ils changeaient d’avis. Cet argument était en partie fondé sur l’obligation similaire présumée dans le cadre des demandes d’accréditation présentées au Conseil.

[148] Comme il a été souligné précédemment, la CRTA, compte tenu de son propre régime de droit du travail, a commenté la situation dans laquelle un employé souhaite changer d’avis à propos de son appui après avoir terminé le processus d’adhésion à un syndicat. L’affirmation selon laquelle le changement d’avis pourrait être traité différemment dans le cadre d’une demande d’accréditation n’a rien d’exceptionnel, bien que le Conseil n’en ait jamais fait l’analyse de manière approfondie.

[149] Un banc peut mentionner de manière incidente la possibilité que différents facteurs liés à la preuve relative à un changement d’avis s’appliquent à une demande d’accréditation, d’autant plus que dans ses observations, M. Rooley faisait état de cette distinction présumée. Cependant, la seule question pertinente à trancher dans la décision Rooley 712 était de savoir si les employés qui souhaitaient changer d’avis à propos de leur appui à la demande de révocation de M. Rooley étaient tenus d’en informer ce dernier. Nous ne voyons pas comment le fait de conclure qu’ils avaient une telle obligation, du point de vue d’une personne connaissant bien les relations du travail, pourrait susciter une crainte raisonnable de partialité.

3. Paragraphe 29 de la décision Rooley 712

[150] Le paragraphe 29 est libellé comme suit :

[29] En ce qui concerne les demandes de révocation, les circonstances sont un peu différentes. Dans ce genre de situation, rien n’oblige l’employé à verser un montant d’argent au requérant pour prouver son appui, comme c’est le cas pour les demandes d’accréditation. Puisque l’issue de la demande n’est tributaire d’aucune participation financière, il peut arriver que des employés signent un formulaire en faveur de la révocation en raison de la pression exercée par leurs pairs, et les employés sont plus susceptibles de changer d’avis après avoir été informés de tous les faits, comme cela s’est produit en l’espèce. Compte tenu de l’exigence réglementaire relative à la confidentialité et de la possibilité de pressions indues, le Conseil conclut que rien n’oblige les employés à informer un requérant qu’ils n’appuient plus une demande de révocation. L’imposition d’une telle exigence irait à l’encontre de l’avantage dont bénéficient les employés en cause en vertu de la politique qui sous-tend l’article 35 du Règlement.

[151] Dans la décision Rooley 712, de même que dans la présente décision, le Conseil dit craindre que, si l’on oblige un employé qui souhaite changer d’avis à propos de son appui à une demande de révocation à en informer le requérant, on rendrait presque illusoire la protection ultérieure de la confidentialité prévue à l’article 35 du Règlement. En toute déférence, nous ne voyons pas comment une référence à la politique qui sous‑tend l’article 35 peut susciter une crainte de partialité.

[152] Rooley 712 portait aussi sur le paiement de 5 $ effectué dans le cadre des demandes d’accréditation. L’importance du paiement de 5 $, un montant exigé par le Règlement du Conseil et demeuré inchangé depuis les années 1970, a été soulignée dans certains dossiers d’accréditation. Le Conseil n’a pas adopté d’exigence de paiement similaire pour les demandes de révocation, étant donné sans doute qu’un scrutin de représentation est habituellement tenu.

[153] Les observations formulées au paragraphe 29 de la décision Rooley 712 ont trait à cette différence présumée dans la façon de traiter la volonté des employés dans le contexte d’une demande d’accréditation et dans celui d’une demande de révocation, une situation abordée plus tôt dans les présents motifs.

[154] M. Rooley a surtout trouvé à redire à cette phrase du paragraphe 29 de la décision Rooley 712 : « Puisque l’issue de la demande n’est tributaire d’aucune participation financière, il peut arriver que des employés signent un formulaire en faveur de la révocation en raison de la pression exercée par leurs pairs, et les employés sont plus susceptibles de changer d’avis après avoir été informés de tous les faits, comme cela s’est produit en l’espèce ».

[155] Les commentaires concernant la pression exercée par les pairs et le changement d’avis illustrent le type de préoccupation dont le Conseil doit tenir compte dans n’importe quelle affaire portant sur une demande de révocation. Le Conseil doit être convaincu que les employés ont exercé leurs droits librement en vertu du Code. Le Conseil rejette toute demande de révocation s’il conclut qu’il y a eu ingérence de la part de l’employeur, comme il a été expliqué plus tôt.

[156] Quelqu’un peut changer d’avis après qu’on lui a demandé de signer un document. La décision d’un employé de changer d’avis à propos de son appui lui est personnelle; il n’y a aucune présomption selon laquelle un tel changement va se produire. Un employé qui souhaite changer d’avis à propos de son appui peut le faire en écrivant personnellement et confidentiellement au Conseil, pour autant que cet avis de changement arrive avant la date de la présentation de la demande de révocation. Les observations soumises seront alors examinées au moyen du processus confidentiel du Conseil.

[157] M. Rooley croit peut‑être que le Conseil a tort de tirer cette conclusion concernant l’obligation qui incombe à un employé qui décide de changer d’avis à propos de son appui. Mais son argument n’a pas convaincu le banc de révision du fait qu’une commission des relations de travail qui arrive à cette conclusion inciterait une personne bien renseignée du domaine des relations du travail à conclure qu’il existait une crainte raisonnable de partialité.

[158] Dans sa demande, la BCIC avait soutenu que le Conseil n’a pas respecté les principes de justice naturelle en négligeant d’analyser la preuve de la volonté des employés présentée par les Métallos. Vu l’analyse juridique menée aux fins de la présente décision, y compris la conclusion du Conseil selon laquelle la preuve présentée par les Métallos n’aurait pas dû être prise en compte dans Rooley 712, le Conseil n’a pas à examiner plus à fond cet argument.

X. Mesure de redressement

[159] Le Conseil a conclu que la décision Rooley 712 contenait des erreurs de droits et de principes qui, selon le critère exigeant établi, justifiaient l’intervention d’un banc de révision. Le Conseil doit donc se prononcer sur le redressement à accorder.

[160] Lorsque M. Rooley a présenté sa demande le 18 décembre 2013, il avait peut‑être l’appui de la majorité. Des questions sont demeurées non réglées dans le dossier initial. Il n’appartient pas à un banc de révision de se mettre à trancher les questions non réglées provenant de l’affaire initiale.

[161] Dans la décision Rooley 712, le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a examiné la preuve de la volonté des employés qui accompagnait la réponse des Métallos datée du 2 janvier 2014. Ce n’est pas parce que les formulaires ont été signés par certains membres de l’unité de négociation avant la date de la présentation de la demande que cette preuve figurait au dossier du Conseil à la date limite du 18 décembre 2013.

[162] Cette exigence du Conseil relativement à la présentation de la preuve de la volonté des employés, qui est bien connue, existe depuis des décennies.

[163] Les employés qui souhaitent retirer leur appui à une demande de révocation peuvent eux‑mêmes présenter au Conseil une lettre personnelle et confidentielle pour l’en informer : Moberg 2014. Le Conseil a toujours permis aux employés de le faire à titre personnel en leur assurant la confidentialité. La question de savoir s’il y a une distinction à faire lorsque cette preuve est présentée par un syndicat pourra être examinée dans une affaire qui s’y prêtera mieux.

[164] Une personne qui, comme M. Rooley, présente une demande de révocation doit être consciente de la possibilité que l’appui dont il bénéficie change et doit élaborer une stratégie en conséquence. En l’espèce, le Conseil n’a pas à trancher la question de savoir si des facteurs différents pourraient s’appliquer relativement à la preuve se rapportant à un changement d’avis dans le cadre d’une affaire d’accréditation.

[165] M. Rooley n’a pas convaincu le Conseil que la décision Rooley 712 suscitait une crainte de partialité. Bien que des erreurs se produisent, surtout lorsqu’une nouvelle question juridique est en cause, il existe une différence fondamentale entre les erreurs et la partialité.

[166] Le banc initial s’est explicitement abstenu de trancher certaines questions dont il était saisi, parce que les conclusions qu’il avait tirées concernant l’appui de la majorité semblaient avoir rendu ces questions théoriques. La mesure de redressement qu’il convient donc d’ordonner est de renvoyer la présente affaire au banc initial pour qu’il tranche la demande de M. Rooley, conformément au raisonnement exposé dans la présente décision.

[167] Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.



[1] Certains changements législatifs ont eu lieu pendant la rédaction de la présente décision. La Loi sur le service canadien d’appui aux tribunaux administratifs, L.C. 2014, ch. 20, art. 376 est entrée en vigueur le 1er novembre 2014, créant le Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs (SCDATA). Comme le personnel du SCDATA est maintenant constitué des anciens employés du Conseil, certains changements ont été apportés au Code et au Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles (le Règlement). Par exemple, l’article 35 du Règlement, qui porte sur la confidentialité de la volonté des employés, a été mis à jour compte tenu du fait que les employés du SCDATA ont aussi des obligations en matière de confidentialité. La présente décision a tenu compte des dispositions telles qu’elles existaient au moment où les parties ont présenté leurs observations puisque le libellé modifié est sans conséquence.

[2] La Loi sur le droit de vote des employés, 2e sess., 41e législature, 2013 (Projet de loi C-525) a reçu la sanction royale le 16 décembre 2014. Le projet de loi C‑525 obligera le Conseil à tenir des scrutins de représentation obligatoires à compter du 16 juin 2015. En date de la présente décision, le Conseil pouvait encore accréditer les agents négociateurs en se fondant sur les cartes d’adhésion qu’ils ont présentées. Après le 16 juin 2015, il faudra lire la présente décision en tenant compte de ces changements législatifs.

[3] L’article 35 a été modifié en date du 1er novembre 2014 et est ainsi libellé :

[4] Le passage « à la date du dépôt de la demande » demeurera dans l’alinéa 28c) modifié lorsque le projet de loi C‑525 entrera en vigueur le 16 juin 2015.

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