Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

William Charles Bailie, Richard Galashan, Robert G. Williams, Robert Harrison, Alvin Gerrard, Sheldon K. Cullen, Garth Vickery, Arthur Randolph Gouge, Warren Young, Gary Nedelec, Jorg Bertram, Lloyd Fraser, Colin Jordan, Mervyn Andrew, Alexander Samanek, Michael S. Sheppard, Robert Harrold Mitchell, Francis J.R. Jeffs, Douglas Goldie, Stephen Ritchie St. Pierre, James Stanley Caldwell, Brian Scott Hope, Trevor Alexander Nicol, James Dow, David R. Lance, Gary Bedbrook, Marcel Duschesne, John Burridge, Chirs Evans, John Bell, Tim Ockenden, Kent Jeffrey Benson, David R. England, Pierre Garneau, Jacques Couture, Dave Lineker, William C. Nickerson, Larry James Laidman, John Stephen Gibbs, Robert Bruce Macdonald, Gordon A.F. Lehman, Michael Dell, Dennis Smith, James F. Dietrich, Ralph Tweten, Eric William Rogers, John D. Hargreaves, Peter J.G. Stirling, David Malcom Macdonald, Robert William James, Camil Geoffroy, Brian Campbell, Trevor David Allison, Robert Ferguson, Kenneth David Douglas, Benoit Gauthier, Bruce Lyn Fanning, Marc Carpentier, Mark Irving Davis, Allan Brian Cary, Richard Dale Purvis, Raymond Calvin Scott Jackson, John Bart Anderson, James Shawn Cornell, Raymond D. Hall, Michael Stanley Bellinger, Donald Clifford Eddie, Peter Douglas Keefe, Robin Patrick Mclean Barr, David Leonard Mehain, Jacques Robillard, Errold Dale Smith, Glenn Donald Torrie, David Alexander Findlay, Warren Stanley Davey, Raymond Robert Cook, Keith Wylie Hannan, Michael Edward Ronan, Gilles Desrochers, William Lance Frank Dann, Robert Francis Walsh, Alban Ernest Maclellan

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Air Canada et

l’Association des pilotes d’Air Canada

les intimées

Décision sur requête

Membre : Matthew D. Garfield

Date : Le 14 octobre 2011

Référence : 2011 TCDP 17


Introduction

[1]               Voici mes motifs de décision visant les deux requêtes présentées par tous les plaignants représentés par Me Hall (qui se sont désignés comme la « coalition de plaignants ») au moment où l’avis de requête a été déposé, concernant l’exposé des précisions des deux intimées – Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada (l’Association).

L’instance principale

[2]               L’instance principale porte sur les plaintes de pilotes retraités d’Air Canada qui soutiennent qu’Air Canada a agi de façon discriminatoire et a appliqué une politique discriminatoire en les obligeant à prendre leur retraite à l’âge de 60 ans. Cette obligation était conforme à la convention collective négociée entre Air Canada et l’agent des négociations, soit l’Association, et conforme au régime de pension des pilotes. Par conséquent, ces pilotes retraités ont déposé des plaintes conjointes contre l’Association, plaintes qui ont été regroupées en une seule audience devant le Tribunal. Les pilotes soutiennent que l’obligation de prendre leur retraite à l’âge de 60 ans contrevient aux articles 7, 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, modifiée (la LCDP).

[3]               Lors de la première conférence de gestion d’instance, sur consentement des parties, j’ai disjoint l’instance en deux étapes, l’une de responsabilité et l’autre de réparation. En date des présents motifs, d’autres plaintes de pilotes retraités d’Air Canada portant sur les mêmes questions ont été renvoyées par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) au Tribunal. La présidente du Tribunal m’a nommé comme membre instructeur pour ces plaintes. Il y a maintenant un total de 164 plaintes (82 plaignants) dans le groupe de plaintes portant l’intitulé « Bailie et al. ». Les plaignants sont tous représentés par l’avocat Raymond D. Hall (qui est aussi un plaignant), sauf pour un plaignant qui se représente lui-même, Eric Rogers.

La requête au sujet de l’exposé des précisions d’Air Canada

[4]               La coalition de plaignants demande au Tribunal de rendre une ordonnance exigeant qu’Air Canada signifie [traduction] « un exposé des précisions plus complet » en ce qui a trait à sa défense portant sur l’exigence professionnelle justifiée, y compris au sujet de [traduction] « l’accommodement jusqu’à contrainte excessive ». Cette requête comprend une [traduction] « description détaillée » de la preuve sur laquelle l’intimée entend se fonder.

[5]               Subsidiairement, si Air Canada est incapable d’établir dans sa réponse à la requête [traduction] « en droit et dans la preuve qu’elle propose de présenter » une défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée, les plaignants me demandent de radier tous les paragraphes de l’exposé des précisions d’Air Canada qui portent sur la défense de l’exigence professionnelle justifiée.

[6]               La coalition de plaignants me demande aussi de rendre une ordonnance radiant 12 autres paragraphes de l’exposé des précisions d’Air Canada, plus précisément les paragraphes 19 et 20, 37 et 38, 40, et 48 à 54. Certains de ces paragraphes portent sur la défense d’Air Canada en matière d’exigence professionnelle justifiée, et sur d’autres faits, qui ne se rapportent pas à cette défense. Les parties requérantes ajoutent en réserve [traduction] « qu’Air Canada puisse rétablir toute défense qu’elle souhaite présenter […] tant que cette défense est présentée de façon suffisamment précise […] ».

Les motifs de la requête

[7]               De nombreux documents portant sur la requête ont été déposés. Je reformulerai et condenserai ci-dessous les motifs et les arguments afin d’en arriver à l’essentiel.

[8]               Les parties requérantes soutiennent qu’Air Canada a dénaturé, dans son exposé des précisions, la question principale dont le Tribunal est saisi. Elle aurait soutenu qu’il s’agissait de l’abolition de la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans pour ses pilotes. [traduction] « La seule question dont le Tribunal est saisi est celle de savoir si la cessation d’emploi de chaque plaignant a constitué une pratique discriminatoire en date de la fin d’emploi de chaque plaignant ». Non seulement l’exposé des précisions d’Air Canada dénature les questions en litige, mais la coalition de plaignants soutient aussi qu’Air Canada tente [traduction] « de soulever dans sa preuve et dans ses arguments des questions qui ne sont absolument pas pertinentes quant aux questions en litige en l’espèce ». Une grande partie de cet argument est fondée sur la qualification de la défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée.

[9]               Quant à la radiation des paragraphes 19 et 20, 37 et 38, 40, et 48 à 54, les parties requérantes soutiennent que l’information qui y paraît n’a aucun lien avec les questions dont le Tribunal est saisi ou que cette information est théorique. De tels arguments ou preuves [traduction] « entraîneraient un gaspillage des ressources limitées et précieuses du Tribunal et constitueraient un abus de procédure ».

La réponse d’Air Canada

[10]           Air Canada soutient que la requête devrait être rejetée. Cependant, si j’étais d’avis que la requête des parties requérantes était fondée, Air Canada soutient que je devrais ordonner la présentation d’un exposé des précisions supplémentaire, plutôt que de prendre des [traduction] « mesures de redressement excessives » comme la radiation de certaines parties de l’exposé des précisions, qui empêcheraient Air Canada de présenter une réponse et une défense complètes aux plaintes.

[11]           Air Canada soutient qu’elle a clairement avisé les autres parties de ses moyens de défense, y compris la nature de la preuve sur laquelle elle souhaite se fonder. Les parties requérantes demandent à tort des détails supplémentaires de la preuve par rapport à ce qui est normalement exigé à cette étape de la procédure. En ce qui a trait à la défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée, Air Canada soutient qu’elle a entièrement satisfait aux exigences en matière d’exposé des précisions, conformément aux règles de procédure du Tribunal.

[12]           Air Canada soutient que les parties requérantes lui demandent à tort [traduction] « de présenter à l’avance, avant l’audience, toute la preuve qui sera produite à ce moment ». La requête des plaignants n’est pas réellement une requête visant à obtenir plus de précisions, [traduction] « mais est plutôt une contestation de la crédibilité des faits mêmes. De telles contestations doivent être abordées lors de l’audience, lorsque les deux parties peuvent mettre à épreuve la preuve de l’autre et présenter des observations quant à la crédibilité de cette preuve ».

[13]           De plus, l’intimée soutient qu’il s’agit de la troisième formation du Tribunal à traiter de la politique de retraite obligatoire des pilotes d’Air Canada. En effet, deux formations ont récemment rendu des décisions : Vilven/Kelly, 2011 TCDP 10, et Thwaites, 2011 TCDP 11 (un contrôle judiciaire des deux décisions est en cours). Des décisions précédentes ont aussi fait l’objet de contrôles judiciaires devant la Cour fédérale. Il existe présentement des demandes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et une demande de pourvoi devant la Cour d’appel fédérale. Air Canada souligne aussi que la coalition de plaignants est représentée par le même avocat que les plaignants dans les autres instances portant sur la retraite obligatoire de pilotes d’Air Canada devant le Tribunal (et devant la Cour fédérale et la Cour d’appel). Il n’y a aucune surprise dans l’exposé des précisions d’Air Canada.

Analyse

Fournir de meilleures précisions : Objectif et portée de l’exposé des précisions

[14]           L’article 6 des Règles de procédure du Tribunal (les Règles) porte sur l’exposé des précisions, la divulgation et la production. Il établit que l’exposé des précisions de chaque partie doit comprendre :

(1)               les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause;

(2)               sa position au sujet des questions de droit que soulève la cause;

(3)               le redressement recherché;

(4)               les divers documents qu’elle a en sa possession, pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué ou non;  

(5)               les noms des divers témoins – autres que les témoins experts – qu’elle a l’intention de citer ainsi qu’un résumé du témoignage prévu de chacun d’eux (ou « résumé du témoignage anticipé »).

Le paragraphe 6(4) des Règles exige que les parties produisent une copie des documents et la signifient à l’autre partie, mais elles n’ont pas à les déposer au Tribunal. Le paragraphe 6(5) impose une obligation continue de divulgation et de production aux parties.

[15]           Quel est l’objet de ce qui précède? Cette règle vise à permettre à chacune des parties de présenter avec efficacité ses dossiers respectifs et à aider le Tribunal à gérer de façon efficace l’instance jusqu’à une audience juste et efficace, annulant le besoin d’effectuer des ajournements en raison de « surprises ». L’exposé des précisions est plus complet que le plaidoyer dans une instance civile devant la Cour. L’exposé doit contenir plus que ce qu’on retrouverait dans une demande introductive d’instance et dans une défense dans une instance civile, mais doit aussi comprendre une liste des documents (semblable à un affidavit de documents), une liste des témoins et un résumé du témoignage anticipé. L’exposé des précisions nécessite une assertion de faits, et ne nécessite pas le fait de plaider des éléments de preuve. L’exposé de précisions n’a pas à être un mémoire. En effet, les résumés des témoignages anticipés n’ont pas à contenir un compte rendu exhaustif du témoignage proposé d’un témoin, mais plutôt, les principales questions que le témoin abordera, afin que l’autre partie puisse préparer son contre-interrogatoire et son dossier en général.

Qu’est CE qui a été divulgué ou produit à ce jour?

[16]           Il y a eu une divulgation et une production exhaustive à ce jour. Premièrement, les parties ont déposé leurs exposés des précisions. Je crois comprendre qu’il y a certains problèmes quant à la divulgation de certains documents qui n’ont pas encore été divulgués ni produits. La Commission a signifié et déposé son [traduction] « ensemble de documents » exhaustifs de 45 pages comportant les [traduction] « fruits de son enquête ». Les listes des témoins ont été fournies à divers degrés et les résumés du témoignage anticipé doivent être produits. Bien entendu, le Tribunal ne reçoit aucune copie des documents produits. Toute question pendante quant à la divulgation et à la production sera traitée lors de la conférence de gestion d’instance à venir à Ottawa.

[17]           La présente requête doit être prise dans le contexte plus large des dossiers précédents de retraite obligatoire des pilotes d’Air Canada dont le Tribunal a été saisi et des demandes passées et présentes de contrôle judiciaire et de pourvoi portant sur ces dossiers devant les Cours. Une partie de la divulgation et de la production en l’espèce comprend les productions volumineuses qui ont été faites avant l’audience et la preuve de vive voix et la preuve documentaire, ainsi que les arguments, qui ont été présentées lors des audiences dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites devant le Tribunal. De plus, il y a aussi les documents qui ont été déposés dans les deux demandes de contrôle judiciaire résolues devant la Cour fédérale, y compris le jugement de la Cour fédérale, ainsi que les demandes de contrôle judiciaire et de pourvoi en cours devant la Cour fédérale et devant la Cour d’appel fédérale.

[18]           De plus, comme le mentionne Air Canada, l’avocat des parties requérantes, Me Hall, était aussi l’avocat dans les dossiers précédents semblables devant le Tribunal et les cours. Il y a un chevauchement important dans les questions et la preuve : la coalition de plaignants mentionne dans leur exposé des précisions, à la page 18, [traduction] « deux audiences précédentes identiques ». En effet, au paragraphe 13 de leur exposé des précisions, il est écrit : [traduction] « En ce qui a trait à la portion de la responsabilité de l’audience, les plaignants s’attendent à se fonder sur la preuve et l’argument présentés tant dans l’audition de l’affaire Vilven‑Kelly que dans celle de l’affaire Thwaites ».

[19]           Air Canada soutient que Me Hall et le reste des parties requérantes ne peuvent pas soutenir qu’elles ont été victimes de [traduction] « surprises » ou de « pièges ». La position d’Air Canada n’a pas changé. Je suis d’accord. J’ai lu l’exposé des précisions de 15 pages d’Air Canada et sa répétition des précisions dans les documents de réponse à la requête. Je suis convaincu que les parties requérantes ont suffisamment d’information pour préparer leur preuve prima facie et pour répondre à la défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée d’Air Canada. Elles n’ont pas besoin de précisions supplémentaires. Par conséquent, la requête des parties requérantes en obtention de précisions supplémentaires est rejetée. Je n’ai donc pas à trancher leur demande subsidiaire de radiation des parties de l’exposé des précisions d’Air Canada qui portent sur la défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée. Cependant, il me reste encore à trancher leur demande de redressement au paragraphe 3 de leur avis de requête : c’est‑à‑dire la radiation des paragraphes 19 et 20, 37 et 38, 40 et 48 à 54 de l’exposé des précisions d’Air Canada.

Arguments quant à la radiation : Dispositions légales et jurisprudence

[20]           La LCDP et les règles de procédure du Tribunal ne prévoient pas expressément la radiation de notre version d’un plaidoyer – soit l’exposé des précisions. En effet, dans Harkin c. Procureur général, 2009 TCDP 6, le Tribunal a conclu qu’il n’est pas autorisé à ordonner une telle radiation et que la radiation d’un plaidoyer ne relève pas de la catégorie très étroite de rejet avant l’audience expliquée par le juge von Finckenstein dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81 (Cremasco). L’affaire Harkin, précitée, portait sur la requête d’un intimé visant à radier le plaidoyer parce que le plaignant n’aurait pas établi une preuve prima facie de discrimination. Dans la requête en l’espèce, les parties requérantes sont les plaignants et, bien entendu, elles ne souhaitent pas la radiation d’une partie du plaidoyer pour défaut d’établir une preuve prima facie. Dans Harkin, le Tribunal a conclu subsidiairement que les faits de l’affaire ne satisfaisaient même pas au critère du caractère « manifeste et évident » qui existe dans les cours civiles tel qu’établi dans l’arrêt Hunt c. Carey, [1990] 2 R.C.S. 959.

[21]           La présidente du Tribunal dans l’affaire La société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, Assemblée des Premières Nations c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TCDP 4 (contrôle judiciaire en instance), a conclu que la décision Cremasco, précitée, n’établissait pas une liste exhaustive quant au rejet avant l’audience d’une plainte, mais elle a aussi fait une mise en garde au paragraphe 60 en ce qui a trait au critère du caractère « manifeste et évident » de l’arrêt Hunt c. Carey : « J’adhère aux propos de la Couronne, qui avance qu’il n’est pas approprié d’importer dans le régime législatif de la LCDP des critères appliqués par les tribunaux civils, dont les fondations juridiques sont fort différentes. » Je suis du même avis : le Tribunal doit agir avec précaution lorsqu’il examine la possibilité d’importer de tels critères.

[22]           Le Tribunal devrait peut-être examiner les critères légaux et les pratiques des autres tribunaux en matière de droits de la personne du Canada avant de se fonder sur ceux des cours. Il existe des raisons politiques solides pour lesquelles les Règles de procédure du Tribunal ne contiennent que dix articles, alors que les Règles des cours fédérales comptent plus de 500 articles. Notamment, il existe aussi un fondement légal, parce que le paragraphe 48.9(1) de la LCDP prévoit que : « l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique ». (Voir aussi l’alinéa 1(1)c) des Règles de procédure.)

[23]           Conformément à l’approche suivie par le Tribunal dans l’affaire Harkin, précitée, j’examinerai maintenant si le critère du caractère « manifeste et évident » a été établi dans la requête en l’espèce en ce qui a trait à la requête en radiation des douze paragraphes de l’exposé des précisions d’Air Canada, tel qu’énoncé au paragraphe 3 de l’avis de requête. Certains de ces paragraphes portent sur la défense fondée sur l’exigence professionnelle justifiée d’Air Canada, d’autres sont des faits qui fournissent un contexte et un historique de la retraite obligatoire des pilotes et des conditions d’emploi des pilotes d’Air Canada. J’ai examiné ces parties précises et je conclus qu’elles satisfont au critère peu élevé requis afin d’être inclus de façon correcte dans un exposé des précisions.

[24]           Quant aux allégations des parties requérantes selon lesquelles ces paragraphes [traduction] « entraîneraient un gaspillage des ressources limitées et précieuses du Tribunal et constitueraient un abus de procédure », cela soulève la question plus large de l’instance au complet. La requête n’est pas le mode approprié pour traiter un argument en matière d’abus de procédure, pièce par pièce, en ce qui a trait aux paragraphes précis de l’exposé des précisions d’Air Canada.

[25]           À tout le moins, compte tenu des commentaires des parties dans leurs exposés des précisions respectifs et dans les documents portant sur la requête, une question sérieuse est soulevée au sujet du fait de juger des questions à nouveau dans l’instance en l’espèce, ce qui invoque les doctrines de la chose jugée, de la préclusion pour même question en litige, de l’abus de procédure, etc. Par exemple, à la page 11 de l’avis de requête des parties requérantes, on peut lire entre autres :

[traduction] 

Les questions en l’espèce sont très semblables, sinon identiques, aux questions que le Tribunal a tranchées dans l’affaire Vilven‑Kelly et dans l’affaire Thwaites. Si ce n’était du fait que la décision du Tribunal dans l’affaire Thwaites n’a pas encore été rendue par le Tribunal [elle a été rendue depuis : 2011 TCDP 11], il serait juste de dire que toutes les questions en l’espèce ont déjà été entendues et tranchées par le Tribunal et que la présente audience pourrait ne pas être nécessaire.

[26]           J’ai demandé aux parties si elles avaient l’intention de présenter une requête en rejet pour abus de procédure. La coalition de plaignants a expliqué qu’elle attendrait la décision en l’espèce avant de se prononcer. La Commission a expliqué qu’elle [traduction] « ne déposerait pas une requête distincte [en abus de procédure], mais qu’elle s’opposerait à toute tentative de présenter des preuves qui pourraient contredire les décisions de la Cour fédérale [dans l’affaire Vilven/Kelly] ». Cette question sera traitée à la conférence de gestion d’instance à venir.

La requête portant sur l’exposé des précisions de l’Association

[27]           La coalition de plaignants demande au Tribunal d’ordonner la radiation de l’alinéa d) de l’exposé des précisions de l’Association, c’est‑à‑dire la section intitulée [traduction] « Les dispositions de la convention collective qui exigent la retraite à l’âge de 60 ans constituent‑elles une exigence professionnelle justifiée? »

Les motifs de la requête

[28]           Les parties requérantes soutiennent qu’une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée au sens de l’alinéa 15(1)a) pour une pratique discriminatoire alléguée ne peut être utilisée que si elle est établie par un employeur. Un agent négociateur ne peut pas en profiter. Par conséquent, l’Association ne peut pas présenter une telle défense et tout argument à ce sujet devrait être radié. De plus, même si un non-employeur pouvait se prévaloir d’une telle défense, les parties requérantes soutiennent que la disposition de la convention collective qui porte sur une telle obligation n’est pas une exigence professionnelle, mais qu’il s’agit simplement d’une exigence d’Air Canada et de l’Association. [traduction] « Transports Canada, l’organe de réglementation qui établit les exigences opérationnelles pertinentes pour les pilotes au Canada ne prévoit aucun âge maximal pour les permis de pilotes. »

La réponse de l’Association

[29]           L’Association répond que les parties requérantes l’empêchent à tort de préparer une défense aux allégations de discrimination qui ont été présentées contre l’Association. Quant à la question de savoir si une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée ne s’offre qu’à un employeur, l’Association répond que [traduction] « la proposition ne respecte pas les dispositions de la Loi et les obligations d’accommodement que la Loi impose aux organisations d’employés ». L’Association cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970. L’Association soutient aussi que cette question a été récemment tranchée en sa faveur par le Tribunal dans la décision Thwaites, précitée, aux paragraphes 336 à 340.

[30]           En ce qui a trait à la question de ce que constitue une « exigence professionnelle », l’Association soutient que les arguments des plaignants sont [traduction] « sans fondement » parce que, selon la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt BC Public Service Employee Relations Comm. c. B.C.G.S.E.U., [1993] 3 R.C.S 3 (Meiorin), [traduction] « la « norme », « règle » ou « exigence professionnelle  » en est une qui a été adoptée par un employeur et qui n’est pas imposée par une loi […] La « règle ou norme » qui est en question dans les affaires dont le Tribunal est saisi en est une qui prévoit la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans. Cela est clairement défini dans l’exposé des précisions […] ». L’Association soutient que cela a aussi été déterminé récemment par deux formations différentes du Tribunal dans l’affaire Vilven/Kelly, précitée, et l’affaire Thwaites, précitée, respectivement.

Analyse

[31]           Je souscris aux observations de l’Association. En ce qui a trait aux deux questions à savoir si la défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée peut être utilisée par un employeur (en l’espèce, l’Association) et celle de savoir s’il existe une exigence professionnelle  au sens de la défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée, les positions des deux parties requérantes et de l’Association sont défendables. Par conséquent, elles devront être débattues à l’audience après la présentation de la preuve. La défense plausible de l’Association ne devrait pas être radiée à l’étape des arguments, à supposer que le Tribunal a même le pouvoir légal de radier cette défense.

[32]           De plus, le critère du caractère « manifeste et évident » n’a pas été établi parce que l’assertion des parties requérantes selon laquelle une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée n’est ouverte qu’à un employeur a été présentée auparavant et que le Tribunal l’a rejetée dans l’affaire Thwaites, précitée, aux paragraphes 336 à 340. Quant à l’autre question, dans les deux décisions récentes du Tribunal dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites, précitées, chacune des deux formations respectives, bien qu’elles ne se soient pas entendues à savoir si une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée avait été établie, se sont néanmoins entendues à savoir que la disposition de la retraite obligatoire à 60 ans était une norme de travail et qu’elle était donc une « exigence professionnelle  ». Une fois de plus, cela soulève la question plus large de la remise en cause de questions qui ont déjà été tranchées par le Tribunal.

Conclusion

[33]           Compte tenu des motifs qui précèdent, les deux requêtes sont rejetées.

 

 

Signée par

Matthew D. Garfield

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 14 octobre 2011

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1338/6409

T1516/6210 à T1607/5310;

T1630/17610 à T1645/17610;

T1646/0111 à T1649/0411

T1664/01911 à T1681/03611;

T1707/6211 à T1722/7711;

T1723/7811 et T1724/7911

Intitulé de la cause : Mehain et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Bailie et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Hargreaves et autres c. Air Canada et

l’Association des pilotes d’Air Canada

Douglas and Ferguson c. Air Canada et

l’Association des pilotes d’Air Canada

Gauthier et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Findlay et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Alban Ernest MacLellan c. Air Canada et

l’Association des pilotes d’Air Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 14 octobre 2011

(dernières soumissions reçues le 9 septembre 2011)

Comparutions :

Raymond D. Hall, pour les plaignants (sauf M. Rogers)

Aucune soumission n’a été déposée, Eric William Rogers

Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Fred Headon, pour Air Canada

Bruce Laughton, c.r., pour l’Association des pilotes d’Air Canada

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