Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Diane Carolyn Emmett

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

L’Agence du revenu du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Réjean Bélanger

Date : Le 8 mai 2013

Référence : 2013 TCDP 12


Table des matières

I............. La plainte et la requête. 1

II........... Les questions en litige. 3

III......... Analyse. 3

A.           Pour quel motif le Tribunal peut-il rejeter une partie d’une plainte avant de tenir une audience complète sur le fond?. 3

B.           Le Tribunal devrait-il radier toutes les allégations portant sur la « sous‑représentation » des femmes dans le groupe Direction et dans d’autres groupes professionnels?. 5

(i)           Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire des plaintes fondées uniquement sur des preuves statistiques?. 6

(ii)          La plaignante a-t-elle modifié de façon inappropriée sa plainte afin d’y ajouter de nouvelles allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe dans d’autres groupes professionnels?. 10

(iii)         La plaignante a-t-elle ciblé une ligne de conduite de l’intimée qui, à son avis, est discriminatoire?. 12

C.           Le Tribunal devrait-il radier toutes les allégations de discrimination fondée sur le motif de distinction illicite de l’âge?. 14

D.           Le Tribunal devrait-il radier la mesure de redressement demandée au paragraphe 27, point no 10, de l’exposé des précisions de la plaignante?. 17

E.           Le Tribunal devrait-il radier toutes les demandes de mesures de redressement postérieures à la période visée par la plainte?. 26

F.            Le Tribunal devrait-il rendre une ordonnance en application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi?  28

IV......... Conclusion. 28

 

 


I.                   La plainte et la requête

[1]               Le 7 juin 2007, Diane Carolyn Emmett (la plaignante) a déposé une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la Loi), contre l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), l’intimée.

[2]               La plaignante soutient essentiellement que l’intimée l’a privée d’occasions d’emploi, qui ont été données à ses collègues masculins plus jeunes, en contravention de l’article 7 de la Loi, et que cela démontre une tendance à la discrimination systémique, en contravention de l’article 10 de la Loi.

[3]               La plaignante a aussi déposé deux autres plaintes, soutenant qu’elle a été victime de représailles de la part de l’intimée parce qu’elle avait déposé sa plainte initiale, en contravention de l’article 14.1 de la Loi. La deuxième plainte a été déposée le 5 mars 2008 et couvrait la période du 10 septembre 2007 à ce jour. La troisième plainte a été déposée le 5 février 2009 et couvrait la période de juillet 2008 à ce jour.

[4]               Le 25 août 2011, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a renvoyé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) la plainte déposée en application des articles 7 et 10 de la Loi pour instruction. La Commission n’a pas demandé l’instruction des deux plaintes supplémentaires de représailles.

[5]               Pendant une téléconférence de gestion d’instance préalable à l’audience, tenue le 10 octobre 2012, l’avocate de l’intimée a avisé les parties de son intention de déposer, au début de l’audition sur le fond de la plainte, une requête en radiation de certaines parties de l’exposé des précisions de la plaignante.

[6]               Les parties se sont entendues pour présenter des observations écrites et pour que chaque partie ait l’occasion de présenter des observations orales à la première journée d’audience.

[7]               Le 21 décembre 2012, l’intimée a présenté sa requête en radiation de certaines allégations de l’exposé des précisions de la plaignante. En particulier, l’intimée demande :

1.      Une ordonnance radiant de l’exposé des précisions de la plaignante :

a.       toutes les allégations portant sur la sous-représentation des femmes dans le groupe Direction et la sous-représentation des femmes dans d’autres groupes professionnels à l’ARC, en particulier celles des paragraphes 46 à 54 et 59 à 64;

b.      toutes les allégations de discrimination fondée sur le motif de distinction illicite de l’âge;

c.       le paragraphe 27, point no 10, qui demande au Tribunal d’accorder une mesure de redressement contraire au paragraphe 54.1(2) de la Loi;

d.      toutes les demandes de redressement qui sont postérieures à la période visée par la plainte.

2.      Une ordonnance en application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi pour que tous les renseignements personnels d’employés actuels et d’anciens employés de l’intimée, qui ne sont pas liés à la plainte, restent confidentiels.

[8]               La requête a été entendue à Toronto les 4 et 5 février 2013. Comme la décision sur requête peut avoir des répercussions sur la portée du reste de l’audition de la plainte, il a été convenu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des parties d’ajourner l’audience jusqu’à ce que le Tribunal rende la présente décision sur requête.

[9]               À la demande de l’intimée, le Tribunal a tenu le 4 mars 2013 une conférence téléphonique de gestion d’instance afin de discuter d’autres questions au sujet de la requête. Je mentionnerai cette téléconférence dans les parties pertinentes de la présente décision sur requête.

II.                Les questions en litige

[10]           La requête de l’intimée soulève beaucoup de questions :

a.       Pour quel motif le Tribunal peut-il rejeter une partie d’une plainte avant de tenir une audience complète sur le fond?

b.      Le Tribunal devrait-il radier toutes les allégations portant sur la « sous-représentation » des femmes dans le groupe Direction et dans d’autres groupes professionnels?

c.       Le Tribunal devrait-il radier toutes les allégations de discrimination fondée sur le motif de distinction illicite de l’âge?

d.      Le Tribunal devrait-il radier la mesure de redressement demandée au paragraphe 27, point no 10, de l’exposé des précisions de la plaignante?

e.       Le Tribunal devrait-il radier toutes les demandes de mesures de redressement postérieures à la période visée par la plainte?

f.       Le Tribunal devrait-il rendre une ordonnance en application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi?

[11]           Les positions des parties au sujet de chacune de ces questions, ainsi que l’analyse du Tribunal à ce sujet, seront abordées à tour de rôle.

III.             Analyse

A.                Pour quel motif le Tribunal peut-il rejeter une partie d’une plainte avant de tenir une audience complète sur le fond?

[12]           Selon l’intimée, le Tribunal peut rejeter une partie de la plainte avant de tenir une audience complète sur le fond. À l’appui de sa position, l’intimée se fonde sur la décision récente de la Cour fédérale Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445 (SSEFPN et al.), et sur la décision récente du Tribunal Murray c. Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 2013 TCDP 2 (Murray).

[13]           La Commission soutient que le Tribunal est maître de sa propre procédure et qu’il peut décider de façon appropriée à chaque cas de l’approche qui permettra de trancher de façon efficace et rapide les plaintes en matière de droits de la personne. Bien qu’elles reconnaissent qu’il est possible pour le Tribunal de rejeter la totalité ou une partie d’une plainte avant d’avoir tenu une audience complète sur le fond, la Commission et la plaignante soulignent que cette compétence devrait être exercée avec précaution et seulement lorsque les parties ont eu la pleine et entière occasion de présenter des preuves et des observations au sujet des questions soulevées dans la plainte.

[14]           Je conviens que le Tribunal peut rejeter la totalité ou une partie d’une plainte avant d’avoir tenu une audience complète sur le fond. Cependant, il est important de se souvenir que dans les décisions rendues dans SSEFPN et al. et Murray, la Cour fédérale et le Tribunal ont clairement exprimé l’avis selon lequel le processus de rejet d’allégations doit être juste, qu’il doit respecter les règles de la justice naturelle et que les parties doivent avoir la pleine et entière occasion de présenter les preuves nécessaires pour que soient tranchées les questions soulevées par la requête. Je reproduis ci‑dessous certains extraits pertinents de la décision de la Cour fédérale dans SSEFPN et al. :

[125]    Cela dit, la Loi prévoit aussi, au paragraphe 50(1), que le membre à qui l’affaire a été assignée donne à toutes les personnes ayant reçu l’avis prévu « la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations ».

[…]

[131]    Rien dans la Loi ou dans les Règles de procédure ne restreint le type de requêtes qui peuvent être déposées devant le Tribunal. Il n’existe donc selon moi aucun obstacle législatif ou réglementaire empêchant une partie de demander par requête au Tribunal de se prononcer sur une question de fond avant l’instruction complète de la plainte.

[132]    Ni la Loi ni les Règles du Tribunal n’empêchent non plus le Tribunal de statuer sur une telle requête, dans la mesure où il donne aux parties la « possibilité pleine et entière » de présenter la preuve nécessaire pour trancher la question et de présenter des observations. Le processus suivi par le Tribunal pour l’audition de la requête doit aussi être équitable et le Tribunal doit respecter les règles de justice naturelle.

[…]

[140]    Je comprends cependant que le gouvernement soit d’accord avec l’affirmation, formulée dans Buffet, selon laquelle la compétence du Tribunal pour rejeter une plainte en matière de droits de la personne à une étape préliminaire ne devrait être exercée qu’avec prudence, et seulement dans les cas les plus clairs : précité, au par. 39. Je suis également d’accord avec cette déclaration.

(FNCFCS et al., aux paragraphes 125, 131,132 et 140.)

[15]           À la lumière des principes énoncés ci-dessus, j’examinai si certaines parties de l’exposé des précisions de la plaignante devraient être radiées.

B.                 Le Tribunal devrait-il radier toutes les allégations portant sur la « sous‑représentation » des femmes dans le groupe Direction et dans d’autres groupes professionnels?

[16]           Dans sa réponse aux observations de la plaignante et de la Commission, l’intimée a modifié sa position en ce qui a trait à la question B, de la façon suivante :

[traduction]

L’intimée ne s’oppose plus à la compétence du Tribunal d’instruire les allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe en ce qui a trait à l’effectif de la direction. Cependant, l’intimée demande au Tribunal des directives et demande à la plaignante de cibler précisément les lignes de conduite qu’elle estime être discriminatoires.

L’intimée continue de s’opposer à la compétence du Tribunal d’instruire les allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe en ce qui a trait aux autres groupes professionnels mentionnés dans l’exposé des précisions de la plaignante. Les allégations au sujet de ces autres groupes n’ont jamais fait l’objet d’une enquête de la Commission, sont fondées uniquement sur des preuves statistiques et ne ciblent aucune politique ou pratique précise.

(Observations en réponse de l’intimée, l’Agence du revenu du Canada (requête en radiation de partie de l’exposé des précisions de la plaignante), 1er février 2013, aux paragraphes 2 et 3.)

[17]           L’argument de l’intimée au sujet de cette question comporte trois aspects : (i) le Tribunal n’a pas compétence pour instruire des plaintes fondées uniquement sur des preuves statistiques; (ii) la plaignante a modifié sa plainte de façon inappropriée afin d’y ajouter de nouvelles allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe dans d’autres groupes professionnels; (iii) la plaignante n’a pas ciblé de ligne de conduite précise de l’intimée qui, à son avis, est discriminatoire. Chaque argument sera examiné à tour de rôle.

(i)                 Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire des plaintes fondées uniquement sur des preuves statistiques?

[18]           Le texte du paragraphe 40.1(2) de la Loi est le suivant :

(2) La Commission ne peut se fonder sur l’article 40 pour connaître des plaintes qui, à la fois, sont

a) faites contre un employeur et dénonçant la perpétration d’actes discriminatoires visés à l’article 7 ou à l’alinéa 10a);

b) fondées uniquement sur des données statistiques qui tendent à établir la sous-représentation des membres des groupes désignés dans l’effectif de l’employeur.

[19]           L’intimée soutient que les allégations de la plaignante en ce qui a trait aux autres groupes professionnels sont fondées uniquement sur des preuves statistiques qui établissent la sous‑représentation, ce qui contrevient au paragraphe 40.1(2). L’intimée est d’avis que, lorsque la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44 (la LEE), est entrée en vigueur, des modifications ont aussi été apportées à la Loi afin d’harmoniser les deux lois et d’éviter les chevauchements. En particulier, le paragraphe 40.1(2) a été ajouté à la Loi. Selon l’intimée, dans les situations où une plainte est fondée uniquement sur des preuves statistiques de sous‑représentation, la plainte devrait être instruite en vertu de la LEE et non de la Loi. À l’appui de sa position, l’intimée mentionne le compte rendu des procédures et des témoignages du comité permanent qui a examiné les modifications à la LEE et à la Loi.

[20]           L’intimée soutient que le Tribunal, même s’il n’est pas mentionné dans le paragraphe 40.1(2), a les mêmes obligations que la Commission en ce qui a trait à l’application de ce paragraphe. Selon l’intimée, il n’est pas logique que la Commission ait l’obligation de refuser d’examiner des plaintes fondées uniquement sur des renseignements statistiques, alors que le Tribunal n’aurait pas la même obligation.

[21]           La Commission est d’avis que le libellé du paragraphe 40.1(2) est clair et qu’il s’applique uniquement à la Commission. Le Tribunal n’est pas mentionné au paragraphe 40.1(2). Selon la Commission, le Tribunal est un organisme distinct et indépendant de la Commission. Il n’est pas nécessaire d’avoir recours aux comptes rendus des procédures du comité permanent qui examinait les modifications à la LEE et à la Loi pour comprendre le paragraphe 40.1(2). La Commission soutient que ce paragraphe fait partie des articles 40 à 46 de la Loi, qui expliquent le rôle de la Commission quant à la réception et au traitement des plaintes déposées en vertu de la Loi.

[22]           La plaignante souscrit à la position adoptée par la Commission en ce qui a trait au fait que le paragraphe 40.1(2) ne s’applique pas à l’affaire en l’espèce. Cependant, elle soutient que ses allégations ne sont pas fondées uniquement sur des renseignements statistiques. À l’appui de sa position, elle renvoie au paragraphe 62 de son exposé des précisions :

[traduction]

Un exemple d’obstacle systémique était la pratique de n’avoir aucune procédure fixe ou processus de sélection officielle pour les nominations faites aux postes de directeur par intérim. La nomination presque exclusive de collègues masculins à ces occasions propices à l’avancement de carrière était faite de façon subjective et non transparente plutôt qu’en ayant recours à des concours afin d’évaluer les qualifications et les compétences de toutes les parties intéressées. […] Même lorsque des concours étaient tenus pour des promotions à des postes de direction, les processus de sélection de l’ARC comprenaient des méthodes d’évaluation subjective utilisées lors d’entrevues d’une demi-heure pour lesquelles des notes d’évaluation globales étaient données, plutôt que des techniques d’évaluation plus rigoureuses, impartiales et objectives. Des pratiques de dotation informelle et hautement discrétionnaire sont problématiques parce qu’on donne beaucoup de place à des questions subjectives, des normes différentes et de la partialité. Je soutiens que ces pratiques systémiques discriminatoires ont eu des répercussions défavorables sur l’avancement de carrière des femmes dans la région de l’Ontario (RO) ainsi que sur mon avancement personnel aux postes de direction auxquels j’aspirais.

(Exposé des précisions de la plaignante, 30 avril 2012, au paragraphe 62.)

[23]           Je reconnais que l’alinéa 40.1(2)b) de la Loi empêche la Commission de traiter des plaintes qui seraient « […] fondées uniquement sur des données statistiques qui tendent à établir la sous-représentation des membres des groupes désignés dans l’effectif de l’employeur » (voir l’alinéa 40.1(2)b) de la Loi). Cependant, le Tribunal n’est pas mentionné à cet alinéa. En fait, les articles 40 à 46 portent exclusivement sur le rôle de la Commission dans le traitement des plaintes et le paragraphe 40.1(2) fait partie de ces articles.

[24]           Les rôles de la Commission et du Tribunal sont clairement définis dans la Loi. En ce qui a trait aux plaintes, le rôle du Tribunal est de les instruire, lorsque la Commission conclue qu’une telle instruction est justifiée (voir les articles 49 et 50 de la Loi). Bien que je suppose que la Commission a examiné la plainte conformément aux exigences du paragraphe 40.1(2) de la Loi,  il ne revient pas, de toute façon, au Tribunal de procéder à l’appel de la décision de la Commission ou à son contrôle. C’est le rôle de la Cour fédérale en contrôle judiciaire (voir Murray, au paragraphe 37; Deborah P. Labelle c. Rogers Communications Inc., 2012 TCDP 4, au paragraphe 71; International Longshore & Warehouse Union (Maritime Section), section locale 400 c. Oster, [2002] 2 CF 430, aux paragraphes 29 et 30; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162, aux paragraphes 55 à 57; et Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 23, 27 et 33).

[25]           Comme le paragraphe 40.1(2) de la Loi porte exclusivement sur la Commission, je suis d’avis qu’il n’affecte pas la capacité de Tribunal d’examiner les allégations de la plaignante. Cela dit, les plaintes présentées en application des articles 7 et 10 de la Loi visent des actes discriminatoires qui sont décrits dans la plainte, et non une sous-représentation en soi. Par conséquent, la question de savoir si les allégations de la plaignante sont fondées uniquement sur des renseignements statistiques de sous-représentation sera examinée après l’audition de toute la preuve de la plaignante. À l’étape actuelle, avant d’avoir reçu la preuve sur le fond des allégations de la plaignante, je ne peux pas établir si ces allégations sont fondées seulement sur des renseignements statistiques de sous-représentation. Le Tribunal a récemment adopté une approche semblable dans Murray :

[48] Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que l’alinéa 40.1(2)b) de la Loi restreint maintenant la capacité qu’a le Tribunal d’examiner la plainte dont il est question en l’espèce. Comme il a été dit plus tôt, l’article 40,1 de la Loi s’applique strictement à la Commission et, une fois qu’une instruction est demandée, il incombe au Tribunal d’instruire la plainte. À mon avis, une fois qu’une plainte est renvoyée au Tribunal, la question de savoir si la plainte est fondée uniquement sur des preuves statistiques doit être examinée au moment de décider si la plaignante a établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. À ce stade de l’instance, avant d’avoir reçu une preuve quelconque quant au bien-fondé de la plainte, rien ne permet au Tribunal de décider si la plainte repose uniquement sur des preuves statistiques et, de ce fait, si elle a permis d’établir l’existence d’une preuve prima facie.

[49] C’est donc dire que l’alinéa 40.1(2)b) de la Loi ne restreint pas la capacité qu’a le Tribunal d’examiner la plainte.

(Murray, aux paragraphes 48 à 49.)

[26]           Dans un même ordre d’idées, je conclus que le paragraphe 40.1(2) de la Loi n’empêche pas le Tribunal d’instruire les allégations de la plaignante.


 

(ii)               La plaignante a-t-elle modifié de façon inappropriée sa plainte afin d’y ajouter de nouvelles allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe dans d’autres groupes professionnels?

[27]           Selon l’intimée, des allégations au sujet de la sous-représentation des femmes dans des groupes professionnels autres que le groupe de Direction ne sont apparues que dans l’exposé des précisions de la plaignante. L’intimée n’a pas eu l’avantage d’un examen par la Commission de cette allégations ni l’occasion d’y répondre devant l’enquêteur de la Commission. À son avis, l’allégation portant sur la sous-représentation des femmes dans d’autres groupes professionnels est une nouvelle plainte et l’intimée subirait un préjudice si cette allégation était ajoutée à l’instruction de la plainte en l’espèce. L’intimée ajoute qu’il n’existe aucun lien entre cette nouvelle allégation et la plainte originale.

[28]           Quant à elle, la plaignante soutient qu’elle n’a pas modifié sa plainte et que l’intimée était au courant de la nature systémique de sa plainte en ce qui a trait aux femmes dans d’autres groupes professionnels depuis le dépôt initial de la plainte et au cours de l’enquête de la Commission. Pendant l’audition de la présente requête, la plaignante a précisé que le fait d’examiner la sous-représentation des femmes tant dans le groupe Direction que dans les autres groupes professionnels appuierait son allégation de problèmes systémiques selon laquelle des attitudes enracinées défavorables envers l’avancement des femmes se sont manifestées dans des comportements qui ont entraîné des décisions de dotation discriminatoires prises lors de processus de dotation informels et subjectifs. À ce sujet, la plaignante soutient que les statistiques de sous-représentation peuvent servir de preuves circonstancielles à partir desquelles on peut conclure qu’il y a eu discrimination.

[29]           Je ne suis pas d’avis que la plaignante a modifié sa plainte afin d’y ajouter de nouvelles allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe. Les allégations qui constituent le fondement d’une plainte doivent être distinguées de la preuve présentée à l’appui de cette plainte. Dans son exposé des précisions, au paragraphe 63, la plaignante fait la distinction entre les deux :

[traduction]

Je suis aussi d’avis que j’ai été confrontée à des attitudes enracinées et des obstacles culturels qui ont établi le stéréotype négatif selon lequel les femmes dans le domaine de la vérification (mon domaine) ne sont pas aussi fortes et capables que les hommes dans des rôles de leadership. La preuve montre clairement que les vérificatrices ont toujours été sous-représentées à l’ARC. Elles ont aussi toujours été exclues des plus hauts niveaux de l’organisation, en particulier du niveau de direction, où elles étaient pratiquement inexistantes pendant la période couverte par ma plainte. Je suis d’avis que des pratiques discriminatoires systémiques ont empêché les femmes du domaine de la vérification d’avancer à des postes de direction importants dans l’organisation de l’ARC. Je soutiens que ces pratiques ont aussi été un facteur qui a entravé mon avancement à un poste de direction dans la RO.

(Exposé des précisions de la plaignante, 30 avril 2012, au paragraphe 63.)

[30]           Comme cette déclaration le montre, la sous-représentation des femmes à l’ARC n’est pas le fondement des allégations de discrimination systémique de la plaignante. Il s’agit plutôt des « […] attitudes enracinées et des obstacles culturels qui ont établi le stéréotype négatif [qui a] empêché les femmes du domaine de la vérification d’avancer à des postes de direction importants dans l’organisation de l’ARC » qui servent de fondement aux allégations de discrimination systémique de la plaignante. La plaignante utilise les renseignements statistiques au sujet du fait que les vérificatrices ont toujours été sous représentées à l’ARC, que ce soit dans le groupe Direction ou dans d’autres groupes professionnels, comme preuve à l’appui de ses allégations de discrimination systémique. La question de savoir si cette preuve appuie les allégations de la plaignante ou établit une preuve prima facie de discrimination sera tranchée après l’audition de la plainte.

[31]           L’intimée a eu l’occasion de répondre aux arguments de la plaignante en présentant son propre exposé des précisions. L’intimée aura aussi la pleine et entière occasion de présenter ses propres éléments de preuve et observations en réponse à la plaignante à l’audition de la plainte. À mon avis, l’intimée ne subit aucun préjudice du fait que la plaignante présente des renseignements statistiques au sujet de la sous-représentation des femmes dans d’autres groupes professionnels à l’ARC à l’appui de ses allégations de discrimination systémique.

(iii)             La plaignante a-t-elle ciblé une ligne de conduite de l’intimée qui, à son avis, est discriminatoire?

[32]           Selon l’intimée, la plaignante n’a pas ciblé une ligne de conduite précise de la part de l’intimée qui, à son avis, serait discriminatoire. Plutôt, en se fondant uniquement sur des renseignements statistiques, la plaignante établit sa plainte de discrimination systémique en utilisant des allégations vagues et imprécises de « culture organisationnelle », d’« obstacles comportementaux » et de « club réservé aux hommes ». L’intimée soutient que la plainte ne porte pas sur des pratiques de dotation informelles discernables, mais plutôt sur la perception de la plaignante de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la gestion, qui aurait, selon elle, été influencé par des obstacles comportementaux et culturels.

[33]           Dans sa réponse à l’exposé des précisions de l’intimée, la plaignante a écrit :

[traduction]

12. [...] Je présenterai aussi des preuves démontrant que la pratique d’accorder des occasions d’intérim durant la période couverte par ma plainte a créé des obstacles systémiques à l’avancement des femmes dans le groupe Direction de la région de l’Ontario. La nature informelle et subjective de ces pratiques a permis à la partialité et au préjudice de guider les décisions de l’ARC, que ce soit de façon intentionnelle ou non, ce qui a eu des répercussions négatives sur les carrières de femmes dans le domaine de la direction, y compris sur ma propre carrière. Par exemple, aucune affectation intérimaire n’était annoncée; aucune lettre d’appel n’était distribuée afin de demander aux personnes intéressées de présenter leur candidature, une pratique qui a créé des obstacles et qui a entravé l’accès juste aux directeurs qualifiés; toutes les nominations intérimaires étaient faites de façon informelle, sans qu’un concours n’ait été tenu; les directeurs nommés étaient choisis en fonction des opinions personnelles du sous-commissaire et du comité de planification de la relève qui était formé uniquement d’hommes; les qualifications pour les postes intérimaires n’étaient pas déterminées à l’avance et les compétences n’étaient pas évaluées afin de garantir que le candidat choisi était qualifié et était le bon directeur pour le poste, alors que l’ARC mentionne au paragraphe 56 que c’était son objectif; le seul raisonnement documenté de la décision de sélection de l’ARC était un bref avis de nomination citant des raisons génériques telles qu’assurer la continuité en matière de gestion; une grande partie des candidats choisis ont pu rester dans leurs postes intérimaires pendant de longues périodes, c’est-à-dire de six mois à plus de 15 mois, sans avoir à participer à un concours ou sans que leurs qualifications ne soit évaluées; et dans les cas où le directeur intérimaire souhaitait occuper le poste officiellement, il était par la suite nommé de façon permanente à l’issue d’un concours vicié.

[…]

19. Au paragraphe 55, l’ARC soutient que je n’ai pas été traitée de façon injuste ou arbitraire au cours du processus de sélection de 2006, parce que M. Baker a tiré cette conclusion, en réponse à un appel en matière de dotation que j’ai présenté et qui a été qualifié de « révision de la décision ». Je ne suis pas d’accord avec l’ARC. À mon avis, la décision de M. Baker était gravement erronée, partiale et il a simplement approuvé automatiquement les résultats du comité de sélection. Par exemple, on m’a refusé l’accès à mes documents d’évaluation de la source, ce qui m’a empêché de préparer un appel fondé sur les faits pertinents. On ne m’a jamais donné de motif justifiant le rejet de mon appel. On n’a jamais abordé en discussion avec moi les anomalies du processus de sélection que j’avais soulevées dans mon appel et on ne m’a jamais donné l’occasion de présenter des observations quant à la réponse de l’ARC à mon document d’appel. L’ARC a catégoriquement manqué à la justice naturelle envers moi dans le cadre du recours que j’avais exercé. En plus de tout ça, M. Baker, qui devait réviser la décision faisant l’objet de mon appel, était la personne qui avait approuvé la nomination des candidats retenus dans le processus de sélection au sujet duquel je portais appel, ce qui soulève de graves questions de conflit d’intérêts. De plus, M. Baker était aussi le patron de M. Hillier, le responsable du processus de sélection. La procédure de recours dans le cadre d’un concours pour un poste de direction à l’ARC est unique à la fonction publique fédérale, parce que les candidats non retenus qui souhaitent exercer un recours dans le cadre d’un concours n’ont pas le droit à une audience d’appel devant un tiers indépendant. Ce qui existe à l’ARC est un processus injuste de révision interne sur dossier où des cadres supérieurs  enquêtent sur d’autres cadres supérieurs, ce qui à mon avis permet une importante partialité dans la décision.

(Réponse de la plaignante à l’exposé des précisions de l’intimée, 19 juin 2012, aux paragraphes 12 et 19.)

[34]           Pour ce motif, je suis convaincu que la plaignante a ciblé de façon satisfaisante les lignes de conduite qui, à son avis, étaient discriminatoires en contravention de l’article 10 de la Loi. Les observations de la plaignante sont suffisantes pour aviser l’intimée de la question en litige en l’espèce. De plus, comme je l’ai déjà précisé, l’intimée a et aura la pleine et entière occasion de répondre aux allégations de la plaignante.

[35]           Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, je rejette les arguments de l’intimée selon lesquels : (i) le Tribunal n’a pas compétence pour instruire des plaintes fondées uniquement sur des preuves statistiques; (ii) la plaignante a modifié de façon inappropriée sa plainte afin d’y ajouter de nouvelles allégations de discrimination systémique fondée sur le sexe dans d’autres groupes professionnels; (iii) la plaignante n’a pas ciblé de ligne de conduite précise de la part de l’intimée qu’elle juge discriminatoire. Par conséquent, je rejette la demande de radiation de l’intimée de toutes les allégations dans l’exposé des précisions de la plaignante portant sur la « sous-représentation » des femmes dans d’autres groupes professionnels à l’ARC.

C.                Le Tribunal devrait-il radier toutes les allégations de discrimination fondée sur le motif de distinction illicite de l’âge?

[36]           L’intimée soutient que, dans sa décision de renvoyer la plainte au Tribunal, la Commission a clairement fait référence aux allégations de discrimination fondée sur le sexe de la plaignante, mais n’a pas mentionné les allégations de discrimination individuelle ou systémique fondée sur l’âge. D’après l’intimée, le silence de la Commission sur la question devrait signifier que la Commission n’a pas renvoyé les allégations de discrimination fondée sur l’âge au Tribunal. Bien que l’intimée reconnaisse que la discrimination individuelle et systémique fondée sur l’âge est mentionnée dans le formulaire de plainte, l’enquêteur de la Commission a recommandé le rejet des deux allégations. L’intimée a supposé que la Commission avait adopté les recommandations de l’enquêteur et, par conséquent, qu’elle avait décidé de ne pas renvoyer ces allégations au Tribunal.

[37]           La Commission ne souscrit pas à la position de l’intimée. La Commission soutient que les allégations de discrimination fondée sur l’âge sont inscrites dans le formulaire de plainte et que la plainte en entier, sans exclusion, a été renvoyée au Tribunal pour instruction. En particulier, la Commission mentionne la lettre du 25 août 2011 envoyée par le vice-président de la Commission à la présidente du Tribunal, dans laquelle il demandait : [traduction] « […] que vous instruisiez la plainte puisque la Commission est convaincue que, compte tenu de toutes les circonstances, une instruction est justifiée […] Une copie du formulaire de plainte est inclus. »

[38]           Selon la Commission, l’expression [traduction] « compte tenu de toutes les circonstances » signifiait que cette décision avait été prise après un examen de tous les renseignements et de tous les documents au dossier, y compris le formulaire de plainte, le rapport de l’enquêteur et l’échange de communications écrites entre les parties. De plus, le fait que le formulaire de plainte a été inclus signifie que la Commission n’avait pas renvoyé qu’une partie de la plainte, mais avait plutôt renvoyé la plainte en entier. Pour cette raison, la Commission soutient qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’elle n’a renvoyé qu’une partie de la plainte au Tribunal.

[39]           La position de la plaignante au sujet de la question C est la suivante :

[traduction]

16.       […] La Commission a renvoyé ma plainte de discrimination individuelle et systémique fondée sur le sexe et l’âge au sens des articles 7 et 10 de la LCDP. La décision de la Commission ne précisait pas que son renvoi excluait la discrimination fondée sur l’âge. Le Tribunal est par conséquent saisi de ma plainte complète, qui comprend la discrimination fondée sur l’âge […] De plus, la Commission précise dans sa décision du 10 août 2011 qu’elle a examiné ma plainte, le rapport d’enquête et les observations des parties et que, compte tenu de toutes les circonstances, elle renvoie ma plainte au Tribunal pour instruction. Les documents que la Commission a examinés font état du fait que ma plainte est fondée sur les motifs de discrimination du sexe et de l’âge, au sens des articles 7 et 10 de la LCDP. Mes arguments à l’appui de la discrimination fondée sur l’âge ont été précisés dans le rapport d’enquête, que la Commission a examiné et dont elle a tenu compte lorsqu’elle a rendu sa décision. La preuve montre clairement que la Commission a renvoyé mes allégations de discrimination fondée sur l’âge au Tribunal, donnant ainsi compétence au Tribunal pour les instruire.

(Observations de la plaignante en réponse à la requête de l’intimée datée du 21 décembre 2012, 25 janvier 2013, au paragraphe 16.)

[40]           Compte tenu du formulaire de plainte qui a été transmis au Tribunal, il me semble que la plaignante a clairement précisé que sa plainte portait sur la discrimination individuelle et systémique fondée sur le sexe et sur l’âge. Si la Commission avait décidé de rejeter les allégations fondées sur l’âge, elle aurait rendu une décision précise à ce sujet, aurait fourni des motifs pour ce rejet et, par la suite, aurait précisé que cette partie de la plainte était rejetée dans sa lettre de renvoi au Tribunal. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[41]           Une question semblable a été soulevée dans Côté c. Canada (Procureur général), 2003 TCDP 32 [Côté]. Je trouve les commentaires de l’ancien membre Hadjis instructifs en l’espèce :

À mon avis, il est évident à la lecture de la lettre de la présidente de la Commission à la présidente du Tribunal que tous les aspects de la plainte, tels que formulés dans le formulaire de plainte signé par la plaignante en 1996, ont été renvoyés au Tribunal par la Commission. Je ne vois rien dans la lettre de la présidente de la Commission qui permette de conclure qu’une partie seulement de la plainte a été renvoyée au Tribunal pour enquête. En outre, il ne faut pas perdre de vue le fait que, même si la Commission est habilitée à décider si une plainte doit être renvoyée au Tribunal (par. 44(3) et art. 49 de la Loi), la plainte demeure celle de la plaignante et non celle de la Commission. La plaignante en l’espèce n’a jamais modifié sa plainte.

(Côté, au paragraphe 12.)

[42]           En comparaison à la décision Côté, je trouve la décision du membre Hadjis dans Kowalski c. Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22 [Kowalski], aussi instructive. Dans Kowalski, le plaignant avait présenté quatre allégations de discrimination. La Commission a rejeté deux de ces allégations. Elle a avisé les parties de sa décision. Cependant, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal sans mentionner sa décision précédente. La question qui a alors été soulevée devant le Tribunal était la suivante : la Commission a-t-elle renvoyé seulement une partie ou la totalité des allégations au Tribunal. Le membre Hadjis a conclu :

En l’espèce, la Commission a précisément décidé de ne pas traiter deux des quatre allégations dans la plainte et a fait parvenir aux parties des décisions écrites à ce sujet, qui portaient toutes les deux le titre [traduction] « Décision de la Commission ». Par conséquent, il est clair que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 41, de ne pas traiter ces allégations. Compte tenu des décisions explicites de la Commission à ce sujet, je suis convaincu que la Commission n’a pas renvoyé ces parties de la plainte au Tribunal.

(Kowalski, au paragraphe 10.)

[43]           Je trouve important de mentionner que la requête en l’espèce a été présentée par l’intimée. Par conséquent, il revient à l’intimée de convaincre le Tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter certaines parties de la plainte, un pouvoir que le Tribunal exerce avec prudence et seulement dans les cas les plus clairs (FNCFCS et al., au paragraphe 140). Compte tenu de cette mise en garde et du libellé clair du formulaire de plainte et de la lettre de renvoi au Tribunal, je ne suis pas convaincu que la Commission a renvoyé seulement une partie de la plainte au Tribunal pour instruction. Pour ces motifs, je rejette la requête de l’intimée en radiation de toutes les allégations de discrimination fondée sur le motif illicite de l’âge de l’exposé des précisions de la plaignante.

D.                Le Tribunal devrait-il radier la mesure de redressement demandée au paragraphe 27, point no 10, de l’exposé des précisions de la plaignante?

[44]           La mesure de redressement en question est la suivante :

[traduction]

10. La preuve d’une stratégie de dotation agressive visant à combler, et garder comblées, les lacunes existantes dans toutes les catégories professionnelles de l’équité en matière d’emploi à l’ARC.

(Exposé des précisions de la plaignante, 30 avril 2012.)

[45]           Selon l’intimée, la mesure de redressement demandée par la plaignante contrevient au paragraphe 54.1(2) de la Loi. L’article 54.1 prévoit :

54.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« employeur » Toute personne ou organisation chargée de l’exécution des obligations de l’employeur prévues par la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

 « groupes désignés » S’entend au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

(2) Le tribunal qui juge fondée une plainte contre un employeur ne peut lui ordonner, malgré le sous-alinéa 53(2)a)(i), d’adopter un programme, plan ou arrangement comportant des règles et usages positifs destinés à corriger la sous‑représentation des membres des groupes désignés dans son effectif ou des objectifs et calendriers à cet effet.

(3) Il est entendu que le paragraphe (2) n’a pas pour effet de restreindre le pouvoir conféré au tribunal par l’alinéa 53(2)a) d’ordonner à un employeur de mettre fin à un acte discriminatoire ou d’y remédier de toute autre manière.

[46]           La position de l’intimée au sujet de la question D est la suivante :

[traduction]

63. Lorsqu’il conclut qu’une plainte est fondée, le Tribunal peut accorder au plaignant une mesure de redressement appropriée comme le prévoit l’article 53 de la LCDP. Selon cette disposition, le Tribunal peut, conformément au sous‑alinéa 53(2)a)(i), ordonner qu’une personne adopte un programme, un plan ou un arrangement spéciaux destinés à diminuer ou à supprimer les désavantages subis pour des motifs fondés, directement ou indirectement, sur un motif de distinction illicite.

64. Cependant, la compétence du Tribunal d’accorder une mesure de redressement en vertu de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP est nuancée par l’article 54.1. En vertu de cette disposition, le Tribunal « ne peut […] ordonner, malgré le sous‑alinéa 53(2)a)(i) » à un employeur qui est assujetti aux dispositions de la LEE d’adopter notamment des règles et usages positifs destinés à augmenter la représentation des groupes désignés. Le paragraphe 54.1(3) précise que le Tribunal a compétence pour ordonner des mesures de redressement exigeant d’un employeur qu’il mette fin à un acte discriminatoire ou qu’il y remédie. Cependant, la plaignante n’a pas précisé d’acte discriminatoire dans ses allégations.

65. En l’espèce, la plaignante demande une mesure de redressement visée au sous-alinéa 53(2)a)(i), c’est-à-dire [traduction] « La preuve d’une stratégie de dotation agressive visant à combler, et garder comblées, les lacunes existantes dans toutes les catégories professionnelles de l’équité en matière d’emploi  [chez l’intimée] ». Une stratégie de dotation agressive visant à réduire ou à supprimer les désavantages présumés envers les femmes est précisément le type de règles et usages positifs visés au sous-alinéa 53(2)a)(i) qui est interdit par l’article 54.1 parce qu’il touche un employeur assujetti à la LEE. Comme l’intimée est un employeur au sens de l’alinéa 4c) de la LEE, le Tribunal n’a pas compétence pour accorder la mesure de redressement demandée par la plaignante, en application du paragraphe 54.1 de la LCDP. Pour ce motif, cette partie de la demande de redressement de la plaignante devrait être radiée.

(Observations écrites de l’intimée (Requête en radiation de parties de l’exposé des précisions de la plaignante), 21 décembre 2012, aux paragraphes 63 à 65.)

[47]           Selon la Commission, il apparaît clairement à la lecture de l’article 54.1 que le Tribunal a le pouvoir de redressement nécessaire pour prévenir les actes discriminatoires et y remédier. Le paragraphe 54.1(2) ne limite pas le pouvoir du Tribunal d’ordonner à un employeur de mettre fin a`un acte discriminatoire ou d’y remédier de toute autre manière. En fait, la Commission soutient que la Loi autorise expressément le Tribunal à utiliser ses pouvoirs de redressement afin de remédier à la discrimination systémique comme celle alléguée par la plaignante.

[48]           En réponse aux arguments de l’intimée au sujet de la question D, la plaignante a décidé de modifier sa demande de redressement de la façon suivante : [traduction] « que l’ARC mette fin à ses pratiques informelles et subjectives de dotation que j’ai ciblées comme étant discriminatoires dans ma plainte ou qu’elle y remédie » (Observations de la plaignante en réponse à la requête de l’intimée datée du 21 décembre 2012, 25 janvier 2013, au paragraphe 17). Selon la plaignante, en application du paragraphe 54.1(3) de la Loi, le Tribunal a compétence pour ordonner la mesure de redressement modifiée.

[49]           Pendant la deuxième journée de l’audition de la requête, bien que la Commission ne fût pas présente, la plaignante et l’intimée ont conclu une entente au sujet de la modification proposée à la mesure de redressement de la plaignante. L’extrait suivant est une transcription de l’échange qui a eu lieu pendant l’audience :

[traduction]

À 14 h 46 min 50 s sur la transcription enregistrée le 5 février 2013

Gillian Patterson (GP) : Donc, ce qu’on demande, il me semble que toutes les parties sont d’accord, nous demandons officiellement, si vous pouvez l’ordonner dans votre décision, que Mme Emmett, sur consentement de toutes les parties, je suppose, modifie son exposé des précisions, pour accorder… une mesure de redressement qui est conforme à la loi.

Membre Bélanger (MB) : Non, je pense que vous devriez être plus précise. Nous devrions dire que, nous devrions dire que nous remplaçons ce qu’elle a dit au premier paragraphe par ce qui est dit ici.

GP : D’accord.

MB : D’accord, donc, je me demande seulement comment le faire. Je suppose que je pourrais…

Diane Emmett (DE) : Est-ce que je ne pourrais pas simplement envoyer un courriel à toutes les parties disant que, par les présentes, je modifie, ou quelque chose du genre, est-ce que ça… ?

MB : ... Oui, je suppose, tant que le contenu est le même que ce qui est écrit ici.

GP : Bien, le seul problème c’est que, si nous attendons une décision de votre part… Oh, je suppose que nous pourrions le faire de cette façon.

MB : En fait, tant que nous nous entendons aujourd’hui et que la seule chose à faire est de le mettre par écrit et qu’elle le signe, non pas qu’elle le signe, qu’elle l’envoie par courriel à toutes les parties… Laissez-moi l’écrire.

DE : Donc, rien de compliqué, juste une page. Je ne veux pas envoyer un document complet.

MB : Oh non, c’est très court…

(Transcription partielle de l’audience tenue le 5 février 2013, pièce « B » de l’affidavit de Lisa Minarovich, 4 mars 2013.)

[50]           Ce qui ressort de cet échange, même si les termes utilisés auraient pu être plus clairs et plus élégants, c’est que la plaignante et l’intimée étaient d’avis qu’une entente avait été conclue en ce qui a trait au contenu de la modification demandée par la plaignante. La plaignante devait écrire la modification et l’envoyer au Tribunal et à l’intimée par courriel dans les jours suivant l’audience.

[51]           Le 11 février 2013, par courriel, la plaignante a présenté, comme requis, sa mesure de redressement modifiée :

[traduction]

Que l’ARC mette fin à ses pratiques de dotation que j’ai ciblées comme étant discriminatoires ou y remédie de toute autre manière.

[52]           Dans un courriel en réponse daté du 12 février 2013, l’intimée a affirmé :

[traduction]

Cependant, dans sa réponse à la requête, au paragraphe 17, Mme Emmet a accepté de modifier son exposé des précisions de la façon suivante : « que l’ARC mette fin à ses pratiques informelles et subjectives de dotation que j’ai ciblées comme étant discriminatoires dans ma plainte ou qu’elle y remédie ».

Compte tenu de ce qui précède, l’intimée s’oppose à la modification proposée dans le courriel de Mme Emmett envoyé hier. Nous demandons qu’elle modifie son exposé des précisions de la façon convenue entre les parties à l’audience et en fonction de ce qu’elle a écrit dans ses observations écrites au Tribunal.

[53]           Dans un courriel en réponse daté du 14 février 2013, la plaignante a déclaré :

[traduction]

Je soutiens respectueusement que l’objection de Mme Patterson à ma mesure de redressement modifiée, c’est‑à‑dire « Que l’ARC mette fin à ses pratiques de dotation que j’ai ciblées comme étant discriminatoires ou y remédie de toute autre manière » accorde une importance exagérée à la forme et est inappropriée.

J’ai accepté de modifier ma mesure de redressement afin qu’elle soit conforme au paragraphe 54.1(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui prévoit que le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner à l’ARC de mettre fin à un acte  discriminatoire ou d’y remédier en application de l’alinéa 53(2)a).

Ma mesure de redressement modifiée est conforme au paragraphe 54.1(3) et, par conséquent, est appropriée.

[54]           Dans le même courriel du 14 février 2013, la plaignante a aussi présenté les deux modifications supplémentaires suivantes :

[traduction]

Je modifie aussi la mesure de redressement au point 2 de la page 26 de mon exposé des précisions du 30 avril 2012 afin d’y inclure la perte de salaire découlant des possibilités d’affectations intérimaires au niveau EX3 qu’on m’a refusées en raison de la conduite discriminatoire alléguée de l’ARC.

En plus de ce qui précède, je me réserve le droit de modifier mes mesures de redressement plus tard en fonction de la preuve qui sera présentée à l’audience du Tribunal.

[55]           Après avoir reçu le courriel du 14 février 2013 de la plaignante, l’intimée a demandé au Tribunal de prévoir une téléconférence de gestion d’instance afin de redresser la situation avant qu’une décision soit rendue sur la présente requête. Par conséquent, une téléconférence de gestion d’instance a été tenue le 4 mars 2013.

[56]           Avant la téléconférence, dans un message daté du 4 mars 2013, l’intimée a exposé sa position au sujet de la modification proposée par la plaignante :

[traduction]

De plus, depuis l’audition de la requête, la plaignante a cherché à apporter deux modifications supplémentaires à sa plainte. Ces nouvelles modifications ne faisaient pas l’objet de la requête et elles n’ont pas été traitées officiellement par écrit. Le 14 février 2013, la plaignante a tenté de modifier une fois de plus le paragraphe 27 de son exposé des précisions afin d’y ajouter une demande pour perte de salaire. La plaignante a aussi déclaré : « je me réserve le droit de modifier mes mesures de redressement plus tard en fonction de la preuve qui sera présentée à l’audience du Tribunal ».

Le consentement de l’intimée à la modification de la plaignante dépendait des observations de cette dernière, tant écrites qu’orales. Cependant, la plaignante cherche maintenant à modifier son exposé des précisions d’une façon qui ne correspond pas aux observations qu’elle a présentées au Tribunal. De plus, les modifications qu’elle souhaite apporter sont vagues et manquent de précisions, ce qui cause un important préjudice à l’intimée. Dans les circonstances, et compte tenu du fait que la plaignante a déclaré qu’elle pourrait encore modifier sa plainte en fonction de la preuve qui sera présentée, l’intimée est d’avis que toute modification à l’exposé des précisions de la plaignante devrait être présentée par voie de requête officielle, conformément à l’article 3 des Règles de procédure du Tribunal.

[57]           Pendant la téléconférence de gestion d’instance du 4 mars 2013, la plaignante et l’intimée ont réitéré leurs positions respectives. Selon l’intimée, la plaignante avait accepté de modifier sa mesure de redressement afin qu’elle soit conforme à la Loi. Selon la plaignante, la mesure de redressement modifiée respecte le libellé de la Loi et, par conséquent, elle est conforme avec ce que les parties ont convenu lors de l’audience. Elle a ajouté que la mesure de redressement est une question qui devrait être examinée après la présentation de la preuve à l’audience.

[58]           La Commission a aussi participé à la téléconférence du 4 mars 2013. Elle a soutenu que les mesures de redressement doivent être examinées de façon globale et qu’elles n’ont pas à être précises. Selon la Commission, la plaignante peut modifier ses mesures de redressement tant que l’intimée n’est pas prise par surprise

[59]           La requête de l’intimée au point D était d’abord une opposition fondée sur le paragraphe 54.1(2) de la Loi. La question comprend maintenant une préoccupation au sujet de la modification de l’exposé des précisions de la plaignante. J’examinerai chaque question à tour de rôle.

[60]           En ce qui a trait au paragraphe 54.1(2) de la Loi, le libellé est clair. Des règles et usages positifs destinés à corriger la sous-représentation des membres des groupes désignés dans l’effectif, y compris des objectifs ou des calendriers visant l’augmentation des taux de représentation, relèvent de la LEE. Dans la décision Murray, le Tribunal a tiré une conclusion semblable :

Par opposition à l’article 40.1, qui vise uniquement la Commission, l’article 54,1 de la Loi s’applique bel et bien au Tribunal. Là encore, ce dernier ne conteste pas que l’ajout de cette disposition avait pour but d’éviter le dédoublement des mécanismes d’exécution de la LEE et de la Loi. C’est ce qui ressort clairement quand on examine l’article 10 de la LEE, qui oblige les employeurs à régler les questions mentionnées au paragraphe 54.1(2) de la Loi dans le cadre de leurs plans d’équité en matière d’emploi respectifs. Comme il a été mentionné plus tôt, le législateur a opté pour une approche coopérative et concertée à l’égard de l’exécution des questions mentionnées au paragraphe 54.1(2) de la Loi par la voie d’un : « […] règlement négocié en vue de l’obtention d’un engagement […] » entre la Commission et les employeurs sous le régime de la LEE (voir les paragraphes 22(1) et 22(2) de la LEE). Je conviens donc avec l’intimée que le Tribunal ne peut pas rendre une ordonnance obligeant un intimé à mettre en œuvre des règles et des usages positifs conçus pour garantir que les membres de groupes désignés soient davantage représentés dans l’effectif de l’employeur. Le Tribunal ne peut pas non plus rendre une ordonnance qui fixe des buts et des calendriers en vue d’atteindre cette représentation supérieure.

(Murray, au paragraphe 54.)

[61]           Cependant, le libellé du paragraphe 54.1(3) de la Loi est aussi clair. Malgré les limites du paragraphe 54.1(2), le Tribunal peut toujours « […] ordonner à un employeur de mettre fin à un acte discriminatoire ou d’y remédier de toute autre manière » (voir le paragraphe 54.1(3) de la Loi). Une fois de plus, le raisonnement du Tribunal dans la décision Murray est instructif :

Cela dit, je ne suis pas d’accord pour dire que les limites précisées au paragraphe 54.1(2) de la Loi restreignent la capacité qu’a le Tribunal d’ordonner en l’espèce une mesure de redressement concrète. Le paragraphe 54.1(3) prévoit expressément que le paragraphe 54.1(2) ne restreint pas le pouvoir qu’a le Tribunal d’ordonner à un employeur de mettre fin à un acte discriminatoire ou d’y remédier de toute autre manière aux termes de l’alinéa 53(2)a) de la Loi. Plus précisément, je signale que, malgré les limites que comporte le paragraphe 54.1(2) de la Loi, le sous-alinéa 53(2)a)(i) autorise tout de même le Tribunal à ordonner à un employeur d’adopter un programme, un plan ou un arrangement spéciaux destinés à supprimer, diminuer ou prévenir les désavantages que subit un groupe d’individus. De plus, le paragraphe 54.1(2) de la Loi ne limite pas par ailleurs le pouvoir qu’a le Tribunal d’ordonner la prise de l’une quelconque des autres mesures de redressement qui figurent aux alinéas 53(2)b) à 53(2)e) ou aux paragraphes 53(3) et 53(4) de la Loi.

(Murray, au paragraphe 55.)

[62]           De plus, le pouvoir du Tribunal en matière de redressement prévu par la Loi découle du paragraphe 53(2), qui précise : « À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner […] »; en anglais : « If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order […] ». [Non souligné dans l’original.] Le libellé du paragraphe 53(2) de la Loi s’accorde également avec les mots clés du paragraphe 54.1(3) : « Le tribunal qui juge fondée une plainte contre un employeur […] »; en anglais : « Where a Tribunal finds that a complaint against an employer is substantiated […] ». [Non souligné dans l’original.] À mon avis, les termes soulignés laissent entendre que le pouvoir du Tribunal en matière de redressement n’est invoqué qu’à la conclusion d’une instruction, lorsque la plainte a été jugée fondée. Par conséquent, j’examinerai si la mesure de redressement demandée par la plaignante contrevient au paragraphe 54.1(2) de la Loi à la fin de l’instruction, en tenant compte de tous les arguments et de tous les éléments de preuve présentés par les parties pendant l’audience, seulement si la plainte est jugée fondée.

[63]           Par conséquent, comme elle est fondée sur le paragraphe 54.1(2) de la Loi, le Tribunal rejette la requête de l’intimée en radiation de la mesure de redressement inscrite au paragraphe 27, point no 10, de l’exposé des précisions de la plaignante.

[64]           En ce qui a trait aux modifications proposées aux mesures de redressement de la plaignante, compte tenu du différend entre les parties et des préoccupations de l’intimée en ce qui a trait au préjudice, je crois que la façon la plus juste de procéder est la suivante : la plaignante doit présenter un avis de requête, conformément à l’article 3 des Règles de procédure (03‑05‑04) du Tribunal, afin de modifier sa plainte. Dans sa requête, la plaignante peut établir le fondement des modifications qu’elle propose et l’intimée aura ensuite l’occasion d’y répondre et d’expliquer les raisons pour lesquelles les modifications proposées la préoccupent. En se fondant sur des observations détaillées des parties, le Tribunal aura alors tous les renseignements nécessaires pour décider s’il accepte les modifications.

E.                 Le Tribunal devrait-il radier toutes les demandes de mesures de redressement postérieures à la période visée par la plainte?

[65]           L’intimée soutient que, pour établir la période visée par la plainte, il est nécessaire de tenir compte des trois plaintes déposées par la plaignante, y compris les deux plaintes de représailles qui ont été rejetées par la Commission et qui n’ont pas été renvoyées au Tribunal pour instruction. Selon l’intimée, la plaignante ne peut pas demander de mesures de redressement pour des périodes qui ne sont pas visées par la période couverte par sa plainte initiale (du 22 février 1999 au 6 septembre 2006) et qui relèvent des périodes couvertes par les plaintes de représailles (du 10 septembre 2007 à ce jour). En particulier, l’intimée soutient :

[traduction]

En demandant ces mesures de redressement, la plaignante cherche, de façon inappropriée, à ajouter à l’affaire en l’espèce des mesures de redressement qu’elle avait demandées dans d’autres plaintes qui n’ont pas été renvoyées au Tribunal pour instruction. Il s’agit d’une façon inacceptable de contourner le rôle de la Commission de gardienne de l’accès au Tribunal et cela ne devrait pas être permis. De plus, la demande de mesures de redressement pour des périodes qui ont déjà été examinées et écartées par la Commission est redondante et il s’agit d’un abus de procédure. Pour ces motifs, les demandes de mesures de redressement postérieures à la période visée par la plainte devraient être radiées.

(Observations écrites de l’intimée (Requête en radiation de parties de l’exposé des précisions de la plaignante, 21 décembre 2012, au paragraphe 68.)

[66]           La plaignante est d’avis qu’elle ne devrait pas être restreinte par la période couverte par les allégations de sa plainte. Elle a décrit les allégations de sa plainte comme étant une [traduction] « préoccupation continue » et, par conséquent, les mesures de redressement qu’elle demande ne devraient pas être restreintes par la période précise au cours de laquelle les événements sur lesquels la plainte est fondée ont eu lieu.

[67]           La Commission a adopté une position semblable à celle de la plaignante et ne souscrit pas à la position de l’intimée.

[68]           Comme je l’ai déjà mentionné, le pouvoir du Tribunal en matière de mesures de redressement n’est invoqué qu’à la conclusion d’une instruction, lorsque la plainte a été jugée fondée (voir le paragraphe 53(2) de la Loi). De plus, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire de redressement en obéissant à des principes, en tenant compte du lien qui existe entre l’acte discriminatoire commis et la perte alléguée (voir l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 37). Autrement dit, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de redressement de manière raisonnable, eu égard aux circonstances particulières de l’affaire ainsi qu’aux éléments de preuve présentés (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, au paragraphe 50).

[69]           À cette étape de la procédure, avant d’avoir reçu les éléments de preuve au sujet du bien‑fondé des allégations de la plaignante, je ne vois aucun motif pour lequel je pourrais rejeter les demandes de mesures de redressement de la plaignante qui sont postérieures à la période visée par sa plainte. On ne m’a d’ailleurs présenté aucun fondement légal, que ce soit la Loi ou une autre source, qui restreint la période pour laquelle un plaignant peut demander une mesure de redressement. Le fait que les plaintes de représailles de la plaignante ont été rejetées par la Commission n’est pas un argument convaincant. Enfin, la plaignante doit encore établir un lien entre les actes discriminatoires allégués et sa perte alléguée. S’il n’y a aucun lien, et que les mesures de redressement demandées ne sont liées qu’aux plaintes de représailles, aucun redressement ne sera accordé. L’intimée aura la possibilité pleine et entière de présenter ses observations à ce sujet lors de l’audience.

[70]           Par conséquent, le Tribunal rejette la requête de l’intimée en radiation de toutes les demandes de mesures de redressement postérieures à la période visée par la plainte dans l’exposé des précisions de la plaignante.

F.                 Le Tribunal devrait-il rendre une ordonnance en application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi?

[71]           L’intimée demande une ordonnance conformément à l’alinéa 52(1)c) de la Loi afin de protéger l’identité des personnes qui ne sont pas liées à la plainte. Selon l’intimée, la divulgation de renseignements personnels au public pourrait causer des difficultés indues aux personnes qui ne sont pas liées à la plainte, dont la seule implication a été qu’ils ont présenté leur candidature pour les mêmes postes que ceux convoités par la plaignante.

[72]           Pendant l’audition de la requête, la plaignante et la Commission ont déclaré qu’elles ne s’opposaient pas à la requête de l’intimée.

[73]           Comme les parties s’entendent sur la question, conformément à l’alinéa 52(1)c) de la Loi, j’ordonne :

Les parties et leurs représentants doivent assurer la confidentialité de tous les renseignements au sujet de l’identité des employés actuels et des anciens employés de l’intimée qui n’ont aucun lien avec la plainte.

[74]           Pour garantir encore plus la confidentialité, j’ai assuré les parties que, même si les noms des personnes liées à la plainte pouvaient être mentionnés pendant l’audience, ils n’apparaîtraient pas dans la décision du Tribunal, dans la mesure du possible.

IV.             Conclusion

[75]           Pour les motifs qui précèdent, la requête de l’intimée en radiation de parties de l’exposé des précisions de la plaignante est rejetée.


 

[76]           La requête de l’intimée visant une ordonnance en application de l’alinéa 52(1)c) de la Loi est accueillie, conformément aux conditions énoncées au paragraphe 73 ci-dessus.

 

Signée par

Réjean Bélanger

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 8 mai 2013

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1727/8211

Intitulé de la cause : Diane Carolyn Emmet c. L’Agence du revenu du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 8 mai 2013

Date et lieu de l’audience : Les 4 au 5 février 2013

Toronto, Ontario

Comparutions :

Diane Carolyn Emmett, pour elle même

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Gillian Patterson et Andrew Law, pour l'intimée

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