Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Deborah P. Labelle

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Rogers Communications Inc.

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Susheel Gupta

Date : Le 29 février 2012

Référence : 2012 TCDP 4

 



[1]               La plainte dont il est question en l’espèce a été déposée le 3 septembre 2009 par la plaignante, Deborah P. Labelle, auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Le 2 mars 2011, la Commission, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte. La plaignante allègue que l’intimée, Rogers Communications Inc., a fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur le sexe, en la traitant d’une manière différente par rapport à d’autres employés masculins et, en fin de compte, en la congédiant, ce qui est contraire à l’article 7 de la LCDP.

[2]               Il s’agit d’une décision portant sur une requête datée du 15 septembre 2011 par laquelle l’intimée a demandé qu’il soit ordonné de rejeter la plainte. Les moyens invoqués à l’appui de la requête sont que la plaignante ne s’est pas conformée à ses obligations de divulgation, qu’elle a omis à maintes reprises de se conformer aux règles et à la procédure du Tribunal et que, en raison de sa conduite délibérée, tant le Tribunal que l’intimée ont été contrecarrés dans leurs efforts pour faire avancer le dossier. L’intimée allègue qu’il y aura abus de procédure si la plainte n’est pas rejetée.

[3]               Pour les motifs qui suivent, je fais droit à la requête de l’intimée et je rejette la plainte.

I.                   Le contexte factuel

A.                L’historique de la correspondance et des communications

[4]               Le 8 avril 2011, la Commission a informé le Tribunal et les parties qu’elle ne participerait pas à l’audience relative au fond de la plainte. Cependant, dans sa lettre, elle a mentionné le nom et les coordonnées du conseiller juridique de la Commission qui était affecté au dossier, au cas où la plaignante aurait des questions à poser.

[5]               Conformément à ce qu’il fait dans le cas de toutes les plaintes, le Tribunal a donné aux parties la possibilité de participer volontairement à une séance de médiation organisée par lui, et, à cet égard, le 12 avril 2011 il a fait parvenir un « questionnaire de médiation » aux parties (la lettre no 1), en leur demandant d’y répondre avant le 26 avril 2011.

[6]               Le 19 avril 2011, la Commission a écrit au Tribunal pour indiquer qu’elle était disposée à participer à la médiation. Le 20 avril 2011, l’avocat de l’intimée a écrit au Tribunal pour indiquer que sa cliente ne souhaitait pas y participer. Le Tribunal n’a rien reçu de la plaignante.

[7]               D’après l’historique de suivi du service de messagerie, ce dernier a tenté de livrer la lettre à la plaignante le 14 avril 2011. Le 19 avril 2011, le service de messagerie a fait une nouvelle tentative et a laissé à l’adresse de la plaignante une carte de [traduction] « dernier avis » dans laquelle il l’informait que [traduction] « l’article sera renvoyé à l’expéditeur si personne ne vient le chercher dans les 10 jours qui suivent ». La lettre a finalement été retournée au Tribunal.

[8]               Il convient de signaler que le Tribunal recourt habituellement à un service de messagerie et au courrier recommandé quand il est nécessaire d’obtenir la signature du destinataire nommé ou d’une autre personne pour le compte de ce dernier. Cela lui permet ainsi d’avoir une preuve que ses communications transmises par la poste ont bien été reçues.

[9]               Le service de médiation du Tribunal est un régime volontaire; toutes les parties doivent donner leur consentement pour qu’une « médiation » ait lieu. À cause de la décision de l’intimée de procéder à une audience, sans médiation, l’absence de réponse de la plaignante est devenue théorique. Le Tribunal est donc passé à l’étape suivante, qui consiste à fixer les dates relatives à la divulgation et à la production des documents de toutes les parties en prévision d’une audition de la plainte.

[10]           Le 28 avril 2011, par service de messagerie, le Tribunal a écrit aux parties pour leur faire part du calendrier de production de leur exposé des précisions et de divulgation de leurs documents respectifs (lettre no 2), conformément à l’article 6 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles de procédure). C’était la première fois que ce dernier fixait un calendrier ou un échéancier. Cette lettre est une lettre-type qui explique en détail ce qu’il est nécessaire de divulguer à la partie adverse, soit : les éléments que doit contenir l’exposé des précisions, les redressements proposés, les listes des preuves documentaires ou des pièces, les listes des témoins et des déclarations de témoins, y compris les experts et un calcul détaillé de la perte de salaire.

[11]           Les dates fixées à chacune des parties pour cette communication étaient les suivantes :

                 i.                        la Commission canadienne des droits de la personne : le 10 mai 2011

               ii.                        la plaignante, Mme Labelle : le 24 mai 2011

             iii.                        l’intimée, Rogers Communications Inc. : le 14 juin 2011

             iv.                        la réplique de la plaignante :  le 21 juin 2011

[12]           La lettre indiquait que les parties qui avaient besoin d’aide pouvaient communiquer avec l’agent du greffe du Tribunal; elle comprenait aussi le nom et les coordonnées de l’agent du greffe affecté au dossier.

[13]           La lettre no 2 adressée à la plaignante a été retournée au Tribunal, avec la mention [traduction] « Retour à l’expéditeur ». Le dossier ne précise pas à quelle date exacte le Tribunal a reçu la lettre ni l’historique de suivi de cette dernière, mais il indique toutefois que l’agent du greffe s’est entretenu avec la plaignante après la date à laquelle la lettre a été retournée au Tribunal; à ce moment, la plaignante a dit avoir reçu de Postes Canada une carte d’avis lui indiquant d’aller chercher une lettre. Elle a de plus déclaré qu’elle n’avait pas eu le temps de le faire et que Postes Canada avait probablement retourné la lettre en question au Tribunal.

[14]           Le 17 mai 2011, le Tribunal a tenté une deuxième fois de faire parvenir la lettre à la plaignante. D’après le dossier du Tribunal, le service de messagerie a fait une première tentative de livraison le 19 mai 2011. Une carte d’avis a été laissée à l’adresse de la plaignante pour lui indiquer qu’il y avait une lettre qui l’attendait au bureau de poste. Le 25 mai 2011, le service de messagerie a laissé une carte de dernier avis indiquant qu’elle pouvait passer la prendre au bureau de poste et que, si cela n’était pas fait dans les dix jours suivants, elle serait retournée à l’expéditeur. Selon l’historique de suivi, Mme Labelle est allée chercher la lettre et en a accusé réception le 2 juin 2011.

[15]           Ce qui demeure vague dans le dossier du Tribunal, c’est la lettre exacte que la plaignante a reçue; est-ce la lettre no 1 du Tribunal ou la lettre no 2 qui a été envoyée de nouveau à la plaignante?

[16]           Le 24 mai 2011, par service de messagerie, le Tribunal a envoyé une troisième lettre (la lettre no 3) à chacune des parties pour leur faire part d’un nouveau calendrier de divulgation. Comme le disait cette lettre, cette mesure avait été prise pour la raison suivante : [traduction] « […] à cause d’une erreur, les parties n’ont pas toutes reçu la lettre initiale datée du 28 avril 2011. Par souci d’équité envers toutes les parties, de nouvelles dates de divulgation sont fixées dans la présente ».

[17]           Les nouvelles dates fixées pour la divulgation et la production des documents de chaque partie étaient les suivantes :

                 i.                        la Commission canadienne des droits de la personne : le 3 juin 2011

               ii.                        la plaignante, Mme Labelle : le 17 juin 2011

             iii.                        l’intimée, Rogers Communications Inc. : le 8 juillet 2011

             iv.                        la réplique de la plaignante :  le 15 juillet 2011

[18]           La Commission a produit ses documents le 31 mai 2011.

[19]           La lettre no 3 adressée à la plaignante a été retournée de nouveau au Tribunal par le service de messagerie utilisé, soit le 3 juillet 2011, parce que personne n’était allé la chercher, et le Tribunal l’a finalement reçue le 7 juillet 2011.

[20]           Le 27 juin 2011, dix jours après l’échéance fixée pour les obligations de divulgation de la plaignante, l’intimée a écrit au Tribunal pour indiquer que cette dernière ne s’était pas conformée à ses obligations en matière de divulgation et demander que le Tribunal rejette la plainte.

[21]           Le greffe du Tribunal a tenté de joindre la plaignante au cours des semaines du 27 juin et du 4 juillet 2011, mais sans succès. L’agent du greffe a laissé des messages aux numéros de téléphone cellulaire et résidentiel de la plaignante pour demander que celle-ci communique avec le greffe du Tribunal au sujet de son dossier.

[22]           Le 6 juillet 2011, le Tribunal a envoyé une autre lettre (la lettre no 4) à la plaignante, par service de messagerie; il y faisait référence à la lettre no 3 et indiquait ne pas avoir reçu les [traduction] « précisions écrites » qui étaient demandées pour le 17 juin 2011. Une fois de plus, le Tribunal a fixé une nouvelle date pour la plaignante, soit le 12 juillet 2011, de façon à ce que cette dernière puisse se conformer à ses obligations de divulgation et à ses obligations documentaires connexes.

[23]           Le 7 juillet, le greffe du Tribunal a appelé la plaignante, Mme Labelle, et s’est entretenu avec elle; il l’a informée qu’il avait reçu la lettre no 3 portant la mention [traduction] « Retour à l’expéditeur ». La plaignante a expliqué que c’était parce qu’elle n’était pas chez elle durant la journée et qu’elle ne pouvait donc pas accuser réception d’une lettre livrée par service de messagerie. Elle a demandé que toutes les communications ultérieures soient envoyées par le courrier ordinaire et laissées dans sa boîte aux lettres, ce que le greffe du Tribunal a accepté de faire.

[24]           De plus, lors de cette conversation, la plaignante a été informée de la requête en rejet que l’intimée avait déposée parce qu’elle avait omis de produire son exposé des précisions et de se conformer aux exigences en matière de divulgation que prévoient les Règles de procédure; en réponse, la plaignante a mis fin à la conversion téléphonique.

[25]           Le 12 juillet 2011, le Tribunal n’avait toujours pas reçu les documents requis. L’agent du greffe du Tribunal a reçu un message vocal dans lequel la plaignante a mentionné qu’elle avait reçu la lettre no 4 lui demandant de communiquer les documents requis et se disait [traduction] « très contrariée par cette lettre, [que] toute cette affaire était une farce et qu’elle [voulait] parler au superviseur de l’agent du greffe afin de lui faire part de son dégoût à l’égard des droits de la personne ».

[26]           Le 12 juillet 2011 ou vers cette date[1], l’avocat de l’intimée a téléphoné au greffe du Tribunal pour dire qu’il était mécontent du fait que la plaignante avait obtenu une prorogation de délai additionnelle (accordée dans la lettre no 4), mais pas l’intimée. L’agent a expliqué que les lettres que le Tribunal avait antérieurement envoyées à la plaignante lui avaient toutes été retournées avec la mention [traduction] « Retour à l’expéditeur », ce qui signifiait qu’elle ne les avait pas reçues. De plus, l’agent du greffe a mentionné que l’on pouvait mettre de côté la lettre no 4 et qu’une nouvelle lettre, comportant de nouvelles dates pour toutes les parties, leur serait envoyée.

[27]           Le 12 juillet 2011, compte tenu de la nouvelle information selon laquelle la lettre no 3 que le Tribunal avait envoyée à la plaignante lui avait été retournée, une nouvelle lettre (datée du 11 juillet 2011 (la lettre no 5)), contenant une nouvelle série de dates de divulgation, a été envoyée à toutes les parties. Il y était indiqué que [traduction] « à cause de récents problèmes d’envoi par la poste et du fait que la plaignante n’a pas reçu les lettres précédentes du Tribunal, ce dernier modifie tous les délais de production et proroge une fois de plus les délais fixés pour toutes les parties ». C’était la troisième fois que le Tribunal fixait un échéancier, et cela représentait un retard d’environ deux mois au cours de la présente instance.


 

[28]           Les nouvelles dates qui ont été fixées pour chacune des parties étaient les suivantes :

                 i.                        la Commission canadienne des droits de la personne : le 3 juin 2011

               ii.                        la plaignante, Mme Labelle : le 26 juillet 2011

             iii.                        l’intimée, Rogers Communications Inc. : le 16 août 2011

             iv.                        la réplique de la plaignante :  le 23 août 2011

[29]           Le 26 ou le 27 juillet 2011[2], l’intimée a téléphoné à l’agent du greffe du Tribunal pour lui faire savoir qu’elle n’avait toujours pas reçu l’exposé des précisions de la plaignante et qu’elle était mécontente des prorogations répétées que le Tribunal avait accordées.

[30]           Le 27 juillet 2011, après 21 h, le greffe du Tribunal a reçu une télécopie de la plaignante, soit après le délai du 26 juillet 2011 qui avait été imposé à la plaignante pour répondre aux exigences en matière de production et de divulgation. La lettre télécopiée indiquait ceci :

[traduction]

Dossier no 20090592

En réponse à votre message vocal.

En réponse à cette lettre, je souhaite obtenir de Rogers une année de salaire – 42 000 $. J’ai effectivement touché des prestations d’assurance-emploi durant ce temps.

Les documents justificatifs sont les nombreux documents que j’ai plusieurs fois transmis à diverses personnes aux droits de la personne depuis les deux dernières années.

Je travaille jusqu’à 16 h et je ne suis disponible pour aucune conférence téléphonique avant cette heure-là.

Debbie Labelle

[31]           Le 5 août 2011, l’intimée a envoyé un courriel au Tribunal pour confirmer la conversation qu’elle avait eue le 27 juillet 2011 avec l’agent du greffe du Tribunal, soit que la plaignante n’avait pas respecté le délai fixé pour la signification et la production de son exposé des précisions, soit le 26 juillet 2011. L’intimée a écrit de plus que l’agent du greffe du Tribunal l’avait informée qu’elle n’était pas tenue de signifier et de produire son exposé des précisions avant l’échéance du 16 août 2011. De plus, le Tribunal lui donnerait un préavis raisonnable s’il exigeait par la suite qu’elle signifie et produise son exposé des précisions.

[32]           Le même jour, le greffe du Tribunal a réussi à joindre la plaignante par téléphone. Il l’a informée qu’il n’avait en main aucun des documents qu’elle avait peut-être envoyés à la Commission parce que le Tribunal est un organisme différent et que, lorsqu’une plainte lui est renvoyée, le seul document qu’il reçoit de la Commission est le formulaire de plainte. L’agent du greffe a mentionné que la lettre ou l’exposé des précisions de la plaignante était incomplet, car ce document n’était pas conforme aux exigences de divulgation (énoncé des faits, liste de divulgation, témoins, etc.) et que le Tribunal n’avait pas en main les documents que la Commission pouvait avoir parce que ces deux organismes sont distincts.

[33]           La plaignante a mentionné à l’agent du greffe du Tribunal qu’elle ignorait que ces services étaient distincts, qu’elle n’avait pas pris le temps de lire les lettres qui lui avaient été envoyées antérieurement et qu’elle aurait besoin de temps pour réunir ses documents et produire son exposé des précisions. L’agent du greffe du Tribunal a dit à la plaignante que, si elle avait besoin d’aide pour la présentation proprement dite de son exposé des précisions, il serait utile qu’elle consulte l’avocat de la Commission qui était affecté à son dossier. La plaignante a répondu à l’agent qu’elle allait communiquer avec l’avocat aussitôt que possible, et elle s’est excusée du retard.

[34]           Le 8 août 2011, l’intimée a envoyé au Tribunal une lettre demandant que la plainte soit rejetée. Il ne semble pas que cette lettre ait été envoyée à la plaignante ou à la Commission.

[35]           Le 10 août 2011, l’intimée a envoyé au Tribunal une autre lettre demandant le rejet de la plainte. Cette lettre étoffait celle du 8 août 2011, et ne semble pas non plus avoir été envoyée à la plaignante ou à la Commission.

[36]           Le 16 août 2011, l’intimée a écrit une fois de plus au Tribunal à propos des lettres du 8 et du 10 août 2011, ainsi que d’un appel téléphonique qu’elle avait fait à l’agent du greffe du Tribunal quatre jours plus tôt. Étant donné que le 16 août 2011 était le dernier délai fixé pour que l’intimée produise son exposé des précisions et se conforme aux exigences en matière de divulgation de documents et aux autres conditions que prévoient les Règles de procédure, l’intimée a mentionné qu’elle ne produirait pas ses documents avant le 16 août 2011, car elle n’avait reçu aucun document de la plaignante et n’était pas en mesure de [traduction] « répondre » à des informations qu’elle n’avait pas reçues. Elle a de plus mentionné qu’elle attendait une réponse à ses lettres du 8 et du 10 août 2011.

[37]           Le dossier m’a été confié ce jour-là. J’ai ordonné à l’agent du greffe de confirmer auprès de l’intimée que le Tribunal avait reçu ses récentes lettres, et aussi que l’intimée n’était plus tenue de déposer et de signifier son exposé des précisions, comme l’exigeait le calendrier de divulgation indiqué dans la lettre du Tribunal du 11 juillet 2011. De plus, j’ai ordonné que l’on tienne une conférence téléphonique de gestion d’instance (CTGI) afin de discuter des lettres de requête en rejet de l’intimée, de l’historique du dossier et de la manière de procéder.

[38]           L’agent du greffe du Tribunal est parvenu à joindre la plaignante par téléphone le 16 août 2011 pour lui dire que j’avais demandé que l’on tienne une CTGI sur l’affaire d’ici le 25 août 2011.

[39]           De plus, l’agent du greffe a transmis les lettres de requête en rejet de l’intimée à la plaignante et à la Commission, car les deux n’avaient pas reçu ces documents de l’intimée. L’agent du greffe a également écrit par courriel à l’intimée pour l’aviser de faire une copie de toute autre lettre concernant une requête ou une objection à l’intention de la plaignante et de la Commission, en plus de l’envoyer au Tribunal.

[40]           Le 19 août 2011, la CTGI a été fixée avec toutes les parties au 25 août 2011, à 17 h.

B.                 La conférence téléphonique de gestion d’instance du 25 août

[41]           Le 25 août 2011, la CTGI a eu lieu en présence de moi-même, d’un agent du greffe du Tribunal, de la plaignante et d’avocats représentant l’intimée. L’ordre du jour que j’avais fixé pour la conférence téléphonique consistait à parler des points suivants : 1) des éclaircissements sur les lettres antérieures du Tribunal, 2) la requête en rejet de l’intimée, et 3) les prochaines étapes/la procédure à suivre.

[42]           J’ai mentionné qu’il y avait, au sujet des lettres de « divulgation » antérieures, un certain nombre de problèmes de communication dont il était important, selon moi, de discuter afin de veiller à ce que les parties aient toutes une compréhension commune des faits, car toutes n’avaient pas été mises au courant de la totalité des faits entourant ces lettres. J’ai informé les parties que les deux premières lettres, datées du 28 avril et du 24 mai 2011 – les copies envoyées à la plaignante – avaient été retournées au Tribunal par le service de messagerie avec la mention [traduction] « Retour à l’expéditeur ». J’ai de plus expliqué que, d’après ce que j’avais compris, chaque fois qu’une lettre avait été retournée au Tribunal, une nouvelle lettre contenant de nouvelles dates de divulgation avait alors été envoyée; par exemple, la lettre no 3 avait été envoyée à cause du retour de la lettre no 2 et la lettre no 4 avait été envoyée à cause du retour de la lettre no 3.

[43]           Mme Labelle a mentionné que la Commission[3] lui a envoyé environ quatre lettres qu’elle n’a pas reçues. Elle n’a pas expliqué comment elle savait qu’elle n’avait pas reçu ces lettres. Cependant, elle a de plus mentionné qu’elle avait reçu la lettre no 5. Elle a fait savoir en outre qu’elle n’était pas chez elle durant la journée et qu’il lui était impossible d’accuser réception d’une lettre recommandée. Elle a ajouté que si le Tribunal voulait lui envoyer quoi que ce soit d’autre, il devait le faire par le courrier ordinaire.

[44]           J’ai ensuite expliqué à la plaignante que la Commission n’est pas le Tribunal et que les deux sont des entités distinctes. De plus, tout ce qu’elle avait transmis à la Commission ne se trouvait pas nécessairement entre les mains du Tribunal. La plaignante a répondu qu’elle n’avait pris connaissance de cette distinction que depuis peu, après s’être entretenue avec l’agent du greffe du Tribunal le 5 août 2011.

[45]           J’ai ensuite résumé la conversation qu’il y avait eue entre l’agent du greffe du Tribunal et la plaignante, conversation qui s’était déroulée le 7 juillet 2011 et dans laquelle la plaignante avait été informée que le Tribunal avait reçu la lettre no 3 portant la mention [traduction] « Retour à l’expéditeur ».

[46]           La plaignante a dit avoir ensuite envoyé une télécopie d’une page à la Commission le 25 juillet 2011 et avoir ensuite envoyé la même télécopie d’une page au Tribunal le 27 juillet 2011. Ce document était son exposé des précisions. La plaignante n’en a pas envoyé une copie à l’intimée.

[47]           J’ai ensuite résumé la conversation que la plaignante avait eue avec l’agent du greffe du Tribunal le 5 août 2011 (voir les paragraphes 32 et 33 qui précèdent).

[48]           La plaignante a déclaré lors de la CTGI qu’elle n’avait pas communiqué avec la Commission pour obtenir de l’aide, même si, lors de son appel du 5 août 2011, elle avait dit qu’elle le ferait. La partie de la conversation qui s’est déroulée entre la plaignante et moi-même est la suivante, d’après l’enregistrement de la CTGI :


 

[traduction]

Le membre instructeur :          Le 5 août, notre greffe vous a parlé, Mme Labelle, pour dire que nous n’avions pas reçu les documents que la Loi oblige à divulguer. Il a mentionné aussi que la Commission était une entité distincte. Vous avez dit que vous n’aviez pas reçu les lettres du Tribunal. Vous avez dit aussi que notre agent du greffe vous avait mentionné le 5 que si vous aviez besoin d’aide pour remplir les documents requis, vous pouviez communiquer avec la Commission des droits de la personne. Avez-vous communiqué avec elle?

La plaignante :            Je ne m’en suis pas occupée du tout.

Le membre instructeur :          Y a-t-il une raison à cela?

La plaignante :            Une vie assez chargée, je mène une vie assez chargée. Et je vous ai envoyé le, comme, et en ce qui me concerne, vous avez toutes les informations. Comme j’ai dit, je vous ai envoyé probablement, pas à vous, mais à l’autre entité à laquelle vous avez fait référence, probablement dix documents environ et vous voulez que je le refasse. Je n’en reviens tout simplement pas; toutes les informations que je vous ai envoyées, vous ne les avez pas.

Le membre instructeur :          Nous sommes des organismes gouvernementaux distincts, Mme Labelle. Le comprenez-vous? Le Tribunal est comme une cour distincte de la Commission, qui est un organisme d’enquête.

La plaignante :            Oui, je le sais, c’est l’espèce de farce avec laquelle je suis aux prises depuis deux ans, j’en suis consciente.

[49]           À ce stade de la CTGI, j’ai expliqué à l’intimée que je m’étais rendu compte en examinant le dossier qu’elle n’avait pas été mise au courant du fait que la plaignante n’avait pas reçu toutes les lettres envoyées, ainsi que des motifs pour lesquels le Tribunal avait décidé à plusieurs reprises de fixer de nouvelles dates de divulgation.

[50]           Après cela, la communication avec la plaignante a été coupée lors de la conférence téléphonique; le Tribunal a demandé que l’on fasse une pause pour essayer de joindre la plaignante et de déterminer si cette dernière était en mesure de se joindre de nouveau à la conférence. L’agent du greffe l’a appelée au moyen d’une ligne distincte. Les deux se sont parlés brièvement et la plaignante a mentionné qu’elle n’allait plus participer à la conférence téléphonique. J’ai donc repris la CTGI avec l’intimée et j’ai déclaré que l’agent du greffe du Tribunal était parvenu à joindre la plaignante et que cette dernière avait mis fin volontairement à sa participation à la CTGI.

[51]           Conscient du fait que la plaignante ne participait plus à la CTGI, j’ai orienté la discussion vers la requête en rejet de l’intimée. Celle-ci a mentionné qu’elle voulait compléter les documents transmis antérieurement et présenter le tout en un seul document. Nous avons ensuite discuté d’un échéancier pour la production des documents relatifs à la requête, et les délais suivants ont été fixés :

                 i.                        la requête de l’intimée : le 15 septembre 2011

               ii.                        la réponse de la plaignante : le 6 octobre 2011

             iii.                        la réplique de l’intimée : le 27 octobre 2011

[52]           Un résumé de la CTGI, y compris une note en gras au sujet des dates relatives à la requête, a été envoyé à l’intimée par courriel le lendemain, soit le 26 août 2011, ainsi que par le courrier ordinaire et par courriel à la plaignante.

C.                La correspondance et les communications additionnelles

[53]           Compte tenu des délais fixés pour la requête, j’ai donné instruction à l’agent du greffe du Tribunal de tenter de joindre la plaignante par téléphone afin de vérifier si elle avait reçu la lettre de résumé de la CTGI datée du 26 août 2011. Un message lui a été laissé le 7 septembre 2011. Au 14 septembre 2011, l’agent du greffe n’avait reçu aucun appel de la plaignante. J’ai donc demandé que l’on recoure à un huissier pour garantir que la plaignante recevrait une copie de la lettre de résumé du 26 août 2011. Une copie de la lettre a été transmise à un huissier le 15 septembre 2011, et elle comprenait l’adresse de la plaignante ainsi qu’une demande d’affidavit de signification après l’exécution de la signification ou une tentative de signification. L’affidavit de signification produit sous serment indique que la lettre a été signifiée à personne, c’est-à-dire à la plaignante Mme Deborah Labelle, le 21 septembre 2011, à son lieu de résidence.

[54]           Le 16 septembre 2011, la plaignante a laissé un message vocal à l’agent du greffe du Tribunal. Elle lui a fait part de sa colère face à la requête en rejet de l’intimée qu’elle avait reçue. Plus précisément, elle était en colère contre le Tribunal pour avoir censément transmis tous ses documents à l’intimée. Voici en partie le contenu de son message : [traduction] « Je viens tout juste de recevoir une lettre des avocats de Rogers au sujet de leur requête en rejet, et ce que je vois me préoccupe beaucoup. Il semble que vous ayez remis à la partie adverse la totalité des documents que j’ai transmis à l’avocat des droits de la personne, et j’en suis profondément dégoûtée. Je croyais qu’il s’agissait d’informations exclusives entre moi-même et l’avocat ». La plaignante a ensuite déclaré qu’elle avait été victime d’une violation de son droit à la confidentialité et à la vie privée, elle a demandé à parler au superviseur de l’agent du greffe et elle a demandé, pour la forme, s’il s’agissait là d’un [traduction] « autre plan pour s’assurer qu’elle [l’intimée] aurait gain de cause? ».

[55]           Le même jour, le Tribunal a écrit à la plaignante, avec copie à toutes les parties, pour expliquer qu’il n’avait transmis aucun des renseignements ou des documents qu’elle avait fournis à l’avocat à la Commission. Le seul document que le Tribunal avait transmis à l’intimée était la télécopie du 27 juillet 2011 de la plaignante, qui était censée être son exposé des précisions (voir le paragraphe 30). La lettre indiquait que le Tribunal n’avait en main aucun des documents que la plaignante avait fournis à la Commission. De plus, elle réitérait que le Tribunal et la Commission sont des entités distinctes. Enfin, le Tribunal informait la plaignante que si elle avait des doutes quelconques au sujet de la divulgation des documents qu’elle avait fournis à la Commission, elle devait communiquer avec l’avocat de la Commission qui était affecté à son dossier.

[56]           L’intimée a déposé sa requête en rejet et sa réplique dans le délai qui avait été antérieurement fixé. La plaignante a elle aussi envoyé sa réponse dans le délai antérieurement fixé.


 

II.                Les positions des parties

A.                Les arguments de l’intimée en faveur de la requête

[57]           L’intimée a présenté des observations sur les conclusions de l’enquête de la Commission ainsi que sur le rapport que l’enquêteur de la Commission a produit. Plus précisément, l’enquêteur a recommandé que la Commission rejette la plainte parce que, selon lui, la plaignante ne semblait pas avoir été victime d’une différence de traitement défavorable et le congédiement de cette dernière ne semblait pas être lié à un motif visé par la Loi.

[58]           L’intimée a fait valoir de plus que la plaignante n’avait pas respecté la procédure du Tribunal et qu’elle l’avait contrecarrée. Plus précisément, l’intimée s’est fondée sur les Règles de procédure et sur la Note de pratique no 3 du Tribunal, lesquelles fixent les exigences qui sont imposées à chaque partie en vue de faire valoir leur cas respectif. L’intimée a fait valoir que le fait de ne pas se conformer aux Règles de procédure, et précisément à l’obligation qu’a la partie plaignante de produire un exposé des précisions, rend une plainte injustifiée. À l’appui de cet argument, l’intimée a dressé la liste des lettres et des dates de dépôt que le Tribunal avait fixées et que la plaignante n’a pas respectées.

[59]           L’intimée a fait valoir de plus que [traduction] « le Tribunal a le pouvoir inhérent d’être maître de sa procédure, ce qui inclut le pouvoir de rejeter une plainte ».

[60]           L’intimée soutient également qu’il y a eu préjudice à l’endroit de Rogers, de même qu’un préjudice potentiel à la réputation du régime canadien des droits de la personne. Le préjudice que Rogers a subi est le fait d’avoir supporté des frais juridiques considérables qui ne peuvent pas être recouvrés et le fait qu’il serait injuste de permettre à la plaignante de faire fi des règles et de la procédure du Tribunal tout en obligeant Rogers à s’y conformer.

[61]           En ce qui concerne la réputation du régime canadien des droits de la personne, l’intimée soutient que la plaignante [traduction] « abuse des ressources publiques restreintes dont dispose le régime canadien des droits de la personne pour poursuivre sa vengeance personnelle contre Rogers, ce qui n’est pas le résultat d’un acte de discrimination fondé sur un motif protégé par la Loi. Mme Labelle a déclaré avoir fourni à la Commission la totalité des informations qu’elle possède à l’appui de sa plainte. Comme Mme Labelle n’a pas d’autres éléments de preuve pour justifier sa plainte, le fait d’entendre cette dernière serait un usage inefficace des ressources restreintes du Tribunal ».

B.                 Les contre-arguments de la plaignante

[62]           La plaignante soutient qu’elle n’a jamais reçu les quatre premières lettres du Tribunal et qu’elle n’a donc jamais été mise au courant des délais fixés pour se conformer aux obligations de divulgation ainsi qu’aux obligations de préparation et de production de documents que lui imposent les Règles de procédure.

[63]           La plaignante soutient également qu’après avoir finalement reçu une lettre du Tribunal lui faisant part de ses obligations elle s’y est conformée, mais qu’elle a plus tard appris que ses documents étaient incomplets. Elle a déclaré qu’elle tenait pour acquis que tous ses documents antérieurs[4] se trouvaient déjà entre les mains du Tribunal. Elle soutient que ce n’est qu’en août 2011 qu’elle a été informée que le Tribunal n’avait aucun des documents qu’elle avait fournis antérieurement à la Commission.

[64]           La plaignante soutient de plus qu’on l’a informée qu’elle pouvait communiquer avec la Commission pour obtenir de l’aide, mais qu’elle ne rentre pas chez elle avant 16 h 30 ou 17 h et que son expérience lui a montré que le personnel de la Commission quitte le bureau entre 16 h et 16 h 30.

[65]           La plaignante soutient qu’elle vit avec deux adolescentes, qui vérifient à plusieurs reprises les messages reçus avant que la plaignante rentre chez elle, et qu’elle n’est donc jamais mise au courant des messages qu’on lui laisse. Elle ajoute que si elle ne reçoit pas les lettres ou les messages, cela veut dire qu’elle ne peut pas savoir que l’on exige quelque chose d’elle.

[66]           En ce qui concerne la CTGI du 25 août 2011, la plaignante soutient que [traduction] « mon cellulaire a coupé l’appel. Compte tenu de la façon dont M. Nixon [l’avocat de l’intimée] se comportait lors de la conférence, j’ai refusé de me joindre de nouveau à l’appel pour l’entendre poursuivre le même harcèlement qu’il nous faisait subir ».

[67]           La plaignante soutient avoir fourni des preuves irréfutables à l’appui de sa demande. En outre, l’intimée a fait des déclarations trompeuses.

[68]           La plaignante allègue que la dernière communication qu’elle a reçue du Tribunal avait trait à la conférence téléphonique et qu’elle n’a reçu aucune autre demande du Tribunal au sujet de la présentation d’autres observations.

[69]           La plaignante soutient ce qui suit au sujet de sa connaissance de la procédure : [traduction] « [e]t j’aimerais aussi souligner qu’à titre de profane, l’expression “exposé des précisions” ne me dit pas grand-chose. Nous, les profanes, faisons du mieux que nous pouvons lorsqu’une demande est présentée. S’il fallait encore produire d’autres renseignements, j’aurais dû en être informée par le Tribunal, au lieu de l’apprendre de Rogers ».

[70]           Enfin, la plaignante fait valoir et conclut ce qui suit au sujet de sa réponse à la requête : [traduction] « [e]t, comme je l’ai dit plus tôt, ce document ne va qu’à la Commission. Je n’enverrai aucun renseignement à Rogers ».

III.             Analyse

[71]           Le rôle de la Commission consiste à faire enquête sur une plainte et à décider, à sa discrétion, s’il y a lieu de la renvoyer au Tribunal afin qu’il l’instruise. Une partie ne peut soumettre une décision de la Commission à un contrôle judiciaire qu’auprès de la Cour fédérale du Canada. Dans le cas présent, l’intimée avait une occasion de solliciter le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais elle a décidé de ne pas le faire. Le Tribunal n’est pas un organe d’appel auprès duquel une partie peut interjeter appel d’une décision de la Commission, pas plus que le Tribunal n’a compétence pour examiner une décision de la Commission (Alliance de la fonction publique du Canada (Section locale 70396) c. Musée canadien des civilisations, 2006 TCDP 1, au paragraphe 27; International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), Local 400 c. Oster, [2001] ACF no 1533, 2001 CFPI 1115, au paragraphe 29; Tweten c. RTL Robinson Enterprises Ltd., [2004] DCDP no 14, 2004 TCDP 8, au paragraphe 17) (paragraphe 27).

[72]           Cela étant, je n’accorde aucun poids à cet aspect des arguments de l’intimée

[73]           Le paragraphe 1(5) des Règles de procédure indique ce qui suit : « [à] moins que le membre instructeur n’accorde une prorogation ou un ajournement, tous les délais établis pour l’observation des présentes règles et toutes les dates fixées relativement à des audiences, à des requêtes ou à des conférences préparatoires sont impératifs ».

[74]           À aucun moment au cours de l’instance la plaignante a-t-elle demandé un ajournement ou une prorogation de délai pour pouvoir s’acquitter de ses obligations en matière de production et de divulgation. Tout en reconnaissant qu’il y avait eu quelques lettres envoyées par la poste qui fixaient les [traduction] « dates d’échéance » avant lesquelles la plaignante était tenue de fournir ses documents, et que cette dernière n’avait pas reçues, il existe aussi une preuve que la plaignante a été mise au courant de ses responsabilités par des messages vocaux laissés à son attention ainsi que par des conversations téléphoniques tenues avec le greffe du Tribunal les 7 juillet et 5 août 2011. De plus, la plaignante a dit avoir reçu la lettre no 5 du Tribunal, laquelle comportait aussi des dates à respecter pour la production de ses documents. Elle a omis de respecter ces dates et n’a pas demandé une prorogation de délai.

[75]           La plaignante a été mise au courant, par la Commission et par le Tribunal, que son dossier avait été transmis au Tribunal. Elle a été mise au courant que des lettres lui avaient été envoyées, par service de messagerie, et qu’elle n’était jamais allée les chercher. La plaignante a dit qu’elle travaillait à l’extérieur de chez elle durant la journée et qu’elle ne pouvait donc pas se trouver chez elle pour accuser réception de lettres recommandées; elle avait pu toutefois le faire le 2 juin 2011. La décision qu’a prise la plaignante de ne pas aller chercher les autres lettres recommandées qu’on lui avait envoyées a contrecarré les efforts faits par le Tribunal pour faire avancer sa plainte et constitue une répudiation des procédures du Tribunal.

[76]           Les faits dont il est question en l’espèce s’apparentent à ceux dont il est question dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2009 TCDP 31 (CanLII), où il est mentionné, au paragraphe 20 :

Une partie qui demande l’autorisation du Tribunal de présenter des documents après que le délai prescrit est écoulé doit au moins être en mesure de démontrer qu’il y avait une justification valide pour ce dépôt tardif.La raison invoquée par la plaignante pour ne pas avoir présenté ses documents dans le délai prescrit est qu’elle n’a jamais reçu la correspondance du Tribunal. Elle a mentionné de plus qu’elle avait transmis des documents à la Commission et qu’elle estimait que c’était suffisant. Il ne s’agit pas là d’une justification valide, compte tenu surtout de la preuve que représentent les appels téléphoniques qu’elle a eus avec le greffe du Tribunal et dans lesquels il a été question des délais de production qu’elle n’avait pas respectés et d’une clarification des distinctions entre la Commission et le Tribunal. Par ailleurs, la décision délibérée de la plaignante de ne pas aller chercher le courrier recommandé n’est pas une justification valide.

[77]           Dans la décision Johnston c. Forces armées canadiennes, 2007 TCDP 42 (CanLII), le Tribunal a reconnu les deux approches qui ont été établies en ce qui concerne les rejets pour cause de retard et qui ont été soulignées plus tôt dans la décision Seitz c. Canada, 2002 CFPI 456.

[78]           La première approche, à laquelle on donne parfois le nom de critère « classique », a été formulée dans la décision Nichols c. Canada, [1990] A.C.F. no 567 (C.F. 1re inst.)(Q.L.). Il s’agit d’un critère à trois volets qui consiste, premièrement, à déterminer s’il y a eu un retard excessif, deuxièmement, si le retard est inexcusable et, troisièmement, si les défendeurs sont susceptibles de subir un préjudice grave en raison de ce retard (Seitz, au paragraphe 10).


 

[79]           La seconde approche est celle qui s’applique dans les circonstances où les plaideurs « ne tien[nent] absolument aucun compte » des délais prévus dans les règles de la Cour (Seitz, aux paragraphes 16 à 18). C’est de cette façon que la plaignante, selon moi, s’est comportée en l’espèce.

[80]           Comme il est résumé dans la décision Johnston :

Il est souligné dans Seitz que ce défaut doit être jugé non seulement à la lumière du préjudice causé à une partie, mais aussi du préjudice causé à la justice. Lorsqu’une action est laissée trop longtemps dormante, cela constitue un abus de la justice, ce qui est distinct du préjudice causé par un retard excessif et inexcusable, des éléments qui doivent être pris en considération dans le cadre du critère « classique ». Il est noté dans Seitz que ce défaut donne lieu à un abus de procédure et constitue un motif de rejeter la demande.Voir également les décisions Grovit and Others c. Doctor and Others, [1997] 1 W.L.R. 640 et Trusthouse Forte California Inc. c. Gateway Soap and Chemical Co., 1998 CanLII 8897 (CF), 1998 CanLII 8897.

[81]           Je suis d’avis que l’on peut prendre en considération la seconde approche exposée dans la décision Seitz au vu des faits qui m’ont été soumis en l’espèce. Il m’apparaît clairement que la plaignante ne s’est pas conformée aux délais fixés par le Tribunal en vue de faire avancer sa plainte. Le Tribunal a fait de nombreux efforts pour faire part des délais à la plaignante, et il lui a accordé de nombreuses prorogations. La CTGI du 25 août 2011 est une autre occasion que le Tribunal a accordée pour permettre à la plaignante d’expliquer si le Tribunal avait une adresse postale inexacte ou si la plaignante avait une adresse courriel ou un numéro de télécopieur qu’il était possible d’utiliser pour lui envoyer du courrier, et elle a également eu l’occasion d’expliquer au Tribunal les faits qu’elle considérait comme pertinents quant à la raison pour laquelle elle n’avait pas reçu les lettres du Tribunal ni communiqué avec ce dernier en vue de faire avancer son dossier.

[82]           En fin de compte, il incombe au Tribunal de veiller à ce que toutes les parties bénéficient des principes de justice naturelle et d’équité procédurale. En l’espèce, le Tribunal a pris les mesures suivantes pour s’assurer que l’on traitait équitablement la plaignante :

                     il lui a accordé plusieurs prorogations de délai pour qu’elle puisse se conformer à ses obligations en matière de divulgation et de production;

                     il a communiqué avec elle à plusieurs occasions par téléphone et lui a fait part de ses obligations;

                     il a communiqué avec elle et lui a expliqué qu’elle pouvait obtenir de l’aide de la Commission pour pouvoir s’acquitter de ses obligations en matière de production et de divulgation;

                     il lui a donné une occasion d’expliquer pourquoi elle n’était pas allée chercher ou n’avait pas reçu les lettres qui lui avaient été envoyées par la poste;

                     il lui a donné une occasion d’expliquer pourquoi elle n’avait pas fait avancer son dossier et comment elle entendait le faire.

[83]           Il est loisible au Tribunal de protéger l’intégrité de sa procédure contre tout abus causé par le fait qu’une partie ne respecte pas les délais fixés et ne se conforme pas aux Règles de procédure. Il incombe à la plaignante de faire valoir sa plainte et de se conformer aux délais fixés. Les mesures suivantes que la plaignante a prises en l’espèce montrent que cette dernière a décidé de ne pas faire avancer son dossier, et il s’agit donc de manquements selon le second critère énoncé dans la décision Seitz :

                     le fait qu’elle ne se soit conformée à aucun des délais fixés par le Tribunal, même quand ce dernier les avait prorogés;

                     le fait et sa décision de ne pas être allé chercher le courrier que le Tribunal lui avait envoyé par service de messagerie;

                     le fait et sa décision de ne pas avoir demandé l’aide de la Commission pour préparer et présenter les documents qu’elle était tenue de produire auprès du Tribunal et de divulguer à l’intimée;

                     le fait de ne pas avoir demandé au Tribunal des prorogations de délai en apprenant que des délais étaient expirés;

                     le fait de ne pas avoir participé pleinement à la conférence téléphonique de gestion de l’instance le 25 août 2011;

                     le fait de ne pas s’être conformée aux Règles de procédure ni s’être assurée que les documents qu’elle déposait seraient également signifiés à l’intimée, car elle a mentionné qu’elle ne le ferait pas dans sa réponse à la requête.

[84]           Lors de la CTGI du 25 août 2011, la plaignante a mentionné qu’elle savait que le Tribunal avait tenté de lui renvoyer ses lettres par service de messagerie, mais elle n’a pu donner aucune raison raisonnable ou excusable pour ne pas avoir fait l’effort d’aller les chercher. La plaignante admet également dans sa réponse à la requête qu’elle a décidé de mettre fin à sa participation à la CTGI. Je conclus que ces mesures, y compris celles qui sont énumérées ci-dessus, constituent une répudiation, de la part de la plaignante, de la procédure du Tribunal.

[85]           Je dois mentionner que si le Tribunal devait fixer une date d’audience pour la tenue d’une audience sur la plainte dont il est question en l’espèce, l’intimée se trouverait dans une situation dans laquelle la plaignante n’a pas divulgué un seul document, n’a pas déposé des documents suffisants et satisfaisants auprès du Tribunal, et n’a pas divulgué la liste de ses témoins ou l’exposé des précisions exposant sa plainte. L’intimée ne saurait pas quels arguments ou quels faits elle aurait à réfuter, quels témoins elle aurait à appeler pour réfuter les faits de la plaignante et quels autres éléments de preuve elle aurait à avancer en vue de préparer sa cause de manière efficace.

[86]           Dans la décision Kuhlmann c. Westcan Bulk Transport Ltd., 2007 TCDP 50 (CanLII), la plaignante s’est présentée à l’audience sans s’être conformée aux obligations de divulgation que lui imposaient les règles du Tribunal. L’extrait suivant décrit la situation dans laquelle se trouverait l’intimée, selon moi, si elle était obligée de comparaître à une telle audience :

[18] Mme Kuhlmann arrive aujourd’hui à l’audience sans avoir divulgué le moindre document et sans s’être conformée à aucune de ses obligations de divulgation. Existe-t-il des « circonstances exceptionnelles » en l’espèce qui justifieraient de lui permettre de présenter sa cause sans s’être acquittée de ses obligations de divulgation? Je n’en vois aucune. Au contraire, comme le souligne l’intimé, ce dernier se trouve dans [traduction] « une situation tout à fait indéfendable ». Il doit retenir les services d’experts et dépenser du temps et de l’argent pour bien se préparer à l’audience, sans savoir ce qu’il doit réfuter. En fait, il n’a pas pu se préparer pour l’audience débutant aujourd’hui. En outre, rien ne prouve que l’intimé a omis de s’acquitter de ses obligations dans le cadre de la présente procédure. Par exemple, compte tenu de l’omission de la plaignante de divulguer sa preuve, l’intimé a demandé au Tribunal l’autorisation d’être exempté de divulguer sa preuve à la date où il était prévu qu’il le fasse.

[19] La seule explication que Mme Kuhlmann semble apporter pour justifier son omission de s’acquitter de ses obligations de divulgation est son incapacité à obtenir une réponse satisfaisante de la Commission relativement aux questions qu’elle lui a posées. Il ne s’agit pas d’un facteur pertinent en l’espèce. Mme Kuhlmann sait au moins depuis avril 2007 que la Commission ne comparaîtra pas. Si elle voulait quand même faire entendre sa plainte, il lui incombait de concentrer ses efforts sur la procédure devant le Tribunal. Elle ne l’a pas fait. Par conséquent, je ne vois aucune raison de la décharger se ses obligations de divulgation. En vertu du paragraphe 9(3) des Règles, et compte tenu de son omission totale de divulguer sa preuve, il est interdit à Mme Kuhlmann de produire des preuves à l’appui de sa plainte, de soulever des questions de droit qui en découle, d’assigner des témoins à comparaître ou de demander tout redressement.

[20] Je ne vois pas non plus de raison d’ajourner la présente affaire pour permettre à Mme Kuhlmann de se conformer à ses obligations de divulgation. Elle a eu amplement l’occasion de s’y conformer au cours des deux derniers mois. Il lui a été rappelé à de nombreuses reprises qu’elle devait satisfaire à ces exigences et elle a choisi de ne pas le faire. Les Règles de procédure ont été mises en place pour assurer une exécution juste et diligente de la procédure applicable aux audiences devant le Tribunal. On ne peut les négliger ni les mettre cavalièrement de côté simplement parce qu’une partie a choisi de ne pas s’y conformer. Toutes les parties sont tenues de respecter les Règles et les directives du Tribunal, qu’elles soient la partie intimée ou plaignante.

[87]           Je suis d’avis que cet ensemble de circonstances serait inéquitable pour l’intimée et que le fait d’être obligée de se préparer à une telle audience lui causerait préjudice.

[88]           Pour tous les motifs qui précèdent, je fais donc droit à la requête de l’intimée; la plainte est rejetée.

Signée par

Susheel Gupta

Vice-président du tribunal

OTTAWA (Ontario)

Le 29 février 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal: T1655/01011

Intitulé de la cause: Deborah P. Labelle c. Rogers Communications Inc.

Date de la décision sur requête du tribunal: Le 29 février 2012

Comparutions:

Deborah P. Labelle, pour elle même

François Lumbu, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Richard J. Nixon, pour l'intimée



[1] Aucune date n’est indiquée dans le dossier quand au moment où l’intimée a communiqué avec l’agent du greffe du Tribunal et s’est entretenue avec lui. Je puis seulement présumer que cette conversation a eu lieu avant que la lettre du 12 juillet 2011, contenant de nouvelles dates de divulgation, soit envoyée à toutes les parties, ou bien que la conversation a eu lieu avant que l’avocat de l’intimée ait lu la lettre.

[2] Selon le dossier du Tribunal, cette conversation a eu lieu le 26 juillet 2011, tandis que d’après un courriel de l’intimée l’appel a eu lieu le 27 juillet 2011.

[3] Si je me fie à la présumée confusion dont a fait état la plaignante entre la « Commission » et le « Tribunal », j’en déduis qu’elle faisait référence aux lettres du Tribunal.

[4] C’est-à-dire les documents que la plaignante avait présentés à la Commission

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