Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Roger William Andrews

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Affaires autochtones et Développement du Nord Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Date : Le 8 décembre 2011

Référence : 2011 TCDP 22



I.                   La requête

[1]               Le 26 septembre 2011, l’intimé, le procureur général du Canada représentant le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC), a déposé une requête en jonction de la plainte de Roger William Andrews (dossier du Tribunal T1686/4111) et de la plainte de Roger William Andrews présentée au nom de sa fille Michelle Dominique Andrews (dossier du Tribunal T1725/8011). La réponse finale de l’intimé au sujet de cette requête a été reçue le 12 octobre 2011. Le plaignant dans les deux dossiers, M. Roger William Andrews, se représente lui-même et s’oppose à la jonction des deux plaintes.

II.                Le contexte

[2]               Le plaignant a déposé deux plaintes à la Commission. Dans la première plainte, déposée le 20 octobre 2008, le plaignant soutient que le MAINC a agi de façon discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la LCDP), en raison de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de la situation de famille et de l’âge. Selon le plaignant, le MAINC a rejeté la demande de statut d’Indien inscrit de sa fille parce qu’elle est née après le 17 avril 1985. En conséquence de ce refus de lui accorder un statut, elle s’est vu refuser les services offerts par le MAINC et s’est aussi vu refuser l’accès complet à sa culture.

[3]               Dans la deuxième plainte, déposée au nom de sa fille le 1er février 2010, le plaignant soutient que le MAINC a agi de façon discriminatoire au sens de l’article 5 de la LCDP, en raison de la race, de l’origine nationale ou ethnique et de la situation de famille. Selon M. Andrews, en raison de l’émancipation de son père, il a obtenu le statut d’Indien inscrit au sens du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, plutôt qu’au sens du paragraphe 6(1) de la même loi. En raison de son statut accordé en vertu du paragraphe 6(2), il n’a pas reçu de services, tels que les soins de santé et le financement pour les études, avant 1985. De plus, en raison de son statut au sens du paragraphe 6(2), ses filles n’ont pas pu obtenir le statut d’Indien


 

 inscrit au sens de la Loi sur les Indiens et n’ont pas pu obtenir les avantages qui en découlent, elles ne sont pas considérées comme faisant partie de la collectivité et de la culture des Premières Nations et elles sont victimes de discrimination.

[4]               En application de l’alinéa 44(3)a) de la LCDP, la Commission a renvoyé la plainte de 2008 au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) pour instruction le 4 avril 2011. La plainte de 2010 a été renvoyée au Tribunal pour instruction le 11 août 2011. La Commission a mentionné qu’elle participerait aux audiences des deux plaintes.

[5]               Le 14 septembre 2011, M me Shirish P. Chotalia, c.r., la présidente du Tribunal, a décidé que la requête serait tranchée sur présentation d’observations écrites. J’ai été désignée par la présidente pour statuer sur la présente requête.

III.             Les dispositions des parties

[6]               J’ai examiné attentivement touts les documents présentés par les parties à l’appui de leur position au sujet de la requête en l’espèce. Voici un résumé des positions des parties.

[7]               Selon l’intimé, le Tribunal peut ordonner l’instruction commune de plusieurs plaintes lorsqu’elles comportent pour l’essentiel les mêmes questions de fait et de droit. En l’espèce, les plaintes comportent des questions de fait et de droit communes : les deux plaintes portent sur le droit à l’inscription à titre d’Indien de M. Andrews et de sa fille. Le lien entre ces deux plaintes est clairement indiqué dans le libellé de la plainte de 2010 de M. Andrews : [traduction] « la discrimination dont mon père a d’abord été victime s’est transmise à moi et à mes filles. » Comme le droit à l’inscription à titre d’Indien est déterminé selon la généalogie, le droit de Michelle Andrews découle et dépend de celui de son père, M. Andrews. Toutes les questions de fait et de droit qui étayent l’admissibilité de M. Andrew étayent nécessairement celle de sa fille Michelle.

[8]               L’intimé soutient qu’une seule instruction éviterait la possibilité que des décisions incohérentes soient rendues, serait plus efficace et entraînerait des économies pour l’intimé, pour la Commission et pour le Tribunal par rapport à la tenue de deux audiences. L’intimé prévoit contester la compétence du Tribunal quant à l’article 5 de la LCDP dans les deux dossiers et utilisera des preuves semblables à l’appui de sa défense pour chaque dossier. Les deux dossiers sont à des étapes semblables de la procédure et le fait que la plainte de 2010 a été présentée par le plaignant au nom de sa fille n’a aucune conséquence sur l’instruction commune. Il n’y a rien dans l’instruction commune qui affecterait la capacité de M. Andrews de présenter les preuves et les arguments qu’il souhaite présenter dans ces deux plaintes, et le préjudice qui pourrait être causé par le délai est mineur et est supplanté par les avantages de l’instruction commune. L’intimé soutient d’autre part que le fait d’instruire les plaintes séparément entraînerait la duplication de matériel possiblement volumineux, le témoignage en double de certains témoins et, en général, des dépenses importantes pour l’intimé. Comme l’objectif sous-jacent de l’instruction commune est d’éviter la multiplicité des instances et de promouvoir le règlement des plaintes dans les meilleurs délais, de façon cohérente et économique, l’intimé soutient qu’il a été satisfait à ces facteurs en l’espèce

[9]               La Commission appuie la requête en jonction des deux plaintes parce que cela améliorerait l’efficacité générale de l’instance. Les parties pour les deux plaintes sont les mêmes et il n’existe aucun risque que la jonction des dossiers cause un préjudice au plaignant en l’obligeant à entendre des témoignages et des observations qui sont uniques à un seul des dossiers. Chaque partie aura un intérêt direct dans tous les aspects des instances communes. La Commission prévoit que l’instruction des deux plaintes exigera du Tribunal qu’il tienne compte, entre autres :

         de l’histoire de la famille Andrews;

         de l’historique et de l’application actuelle des dispositions sur le statut d’Indien inscrit de la Loi sur les Indiens;

         de la question de savoir si l’attribution du statut d’Indien inscrit au sens de la Loi sur les Indiens est un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP;

         de la question de savoir si les dispositions contestées sur l’inscription sont discriminatoires à première vue en raison de l’émancipation passée du père du plaignant;

         de la question de savoir si l’intimé peut fournir des motifs justifiables au sens de l’article 15 de la LCDP;

         de la question de savoir quelles mesures de redressement doivent être accordées si le Tribunal conclue que les aspects contestés de l’inscription sont discriminatoires et qu’il n’existe aucun motif justifiable.

[10]           La Commission reconnaît que la plainte de 2008 soulève une question qui n’est pas expressément soulevée dans la plainte de 2010, c’est-à-dire les répercussions de la règle d’inadmissibilité de la seconde génération. Cependant, la jonction des plaintes ne requiert par qu’elles soient tout à fait identiques. Le fait de joindre les deux plaintes n’empêchera pas le plaignant de soulever tous les arguments qu’il souhaite soulever en lien avec la plainte déposée au nom de sa fille.

[11]           Le plaignant s’oppose à la jonction des deux plaintes. Selon lui, les deux plaintes sont très différentes et des lois différentes sont mises en cause. Le seul chevauchement porte sur l’émancipation. Le plaignant craint que la question de l’émancipation éclipse la question importante de la contestation de la « règle d’inadmissibilité de la seconde génération » du régime d’inscription. Selon le plaignant, l’exposé des précisions de la Commission montre déjà qu’elle a l’intention de faire de la question de l’émancipation une question principale. Le plaignant soutient qu’il serait injuste envers les membres des Premières Nations de mettre de côté la question de la « règle d’inadmissibilité de la seconde génération » du régime d’inscription. Les peuples des Premières Nations ont droit à une décision claire au sujet des deux questions et ne devraient pas se retrouver avec une décision hybride qui causerait probablement une certaine confusion. La moindre chance qu’il puisse y avoir confusion devrait être suffisante pour qu’il ait deux instructions, une pour chaque plainte. Selon le plaignant, la jonction des plaintes n’économiserait pas de temps ni d’argent, parce qu’une autre personne pourrait contester la partie de la Loi sur les Indiens portant sur l’inscription si cette question n’est pas tranchée maintenant. À ce sujet, le traitement d’une nouvelle plainte constituerait une dépense de temps et d’argent supplémentaire pour la Commission.

IV.             Le droit et analyse

[12]           Conformément au paragraphe 40(4) de la LCDP, c’est la Commission qui a le pouvoir de déterminer si des plaintes devraient être entendues ensemble lors d’une instruction commune du Tribunal. Cependant, la question de savoir si une seule audience ou plusieurs audiences sont nécessaires est une question de procédure (voir Lattey c. Chemin de fer du Pacifique, (25 février 2002), décision no 1 (TCDP), au paragraphe 12 (Lattey)). En ce qui a trait à la procédure, le paragraphe 48.9(2) de la LCDP prévoit que le président du Tribunal peut établir des règles de pratique. De plus, le paragraphe 48.9(1) prévoit que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. Ensemble, ces deux paragraphes précisent que, tant que les règles de pratique sont justes, le Tribunal est maître de sa propre procédure. Par conséquent, le Tribunal peut déterminer si une seule audience ou plusieurs audiences doivent être tenues dans le cas des deux plaintes en l’espèce.

[13]           Dans Lattey, pour déterminer si les plaintes dans cette affaire devaient être jointes, le Tribunal a conclu qu’il devait tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris :

(1)              L’intérêt public qu’il y a à éviter la multiplicité des procédures, y compris la réduction des coûts, des délais, des inconvénients pour les témoins, du besoin de répéter la preuve et du risque de parvenir à des résultats contradictoires;

(2)              Le préjudice que pourrait causer aux intimés [en l’espèce, au plaignant, qui s’oppose à la jonction] une instruction commune, notamment en raison du prolongement de la durée de l’audience pour chaque intimé, étant donné la nécessité d’examiner des questions propres à l’autre intimé, ainsi que du risque de confusion que pourrait engendrer la présentation d’éléments de preuve n’ayant peut-être pas rapport aux allégations mettant en cause particulièrement l’un ou l’autre intimé;

(3)              L’existence de questions de fait ou de droit communes.

(voir Lattey, au paragraphe 13)

[14]           Compte tenu des circonstances dans les deux plaintes, je conclus que l’instruction commune des deux plaintes de discrimination accélérerait la procédure et que cela est dans l’intérêt du public. Bien qu’il puisse exister différentes questions de droit dans les deux plaintes, j’accepte que ces questions sont entremêlées et que la preuve à ce sujet se chevauchera nécessairement. De plus, les deux plaintes ont un fondement factuel semblable. Par conséquent, l’instruction commune des deux plaintes donnerait au Tribunal un contexte historique et factuel clair des plaintes, qui formerait le fondement de la décision du Tribunal au sujet de chacune des questions de droit et de fait. Un contexte historique et factuel clair des plaintes réduira également le risque d’incohérence dans l’analyse des deux plaintes. Aussi, comme les parties aux deux plaintes sont les mêmes, il n’y aura aucune confusion dans la présentation de preuves portant sur une seule des plaintes, au sens du deuxième facteur dans la décision Lattey. En fait, les deux plaintes sont à des étapes semblables de l’instruction et tout retard découlant de la jonction des audiences peut être réduit grâce à une gestion d’instance active.

[15]           Je ne suis pas d’avis que l’instruction commune des deux plaintes causera de la confusion pour les peuples des Premières Nations en ce qui a trait aux questions soulevées dans chaque plainte. Chaque partie aura l’occasion de présenter son dossier quant aux deux plaintes. Bien que


 

l’instruction des plaintes sera commune, le Tribunal examinera les questions soulevées dans chaque plainte de façon séparée et fournira des motifs pour sa décision au sujet de chacune des plaintes en fonction de la preuve présentée par les parties.

[16]           Pour tous les motifs qui précèdent, la requête en jonction des deux plaintes pour qu’il n’y ait qu’une seule instruction est accueillie.

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 8 décembre 2011

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1725/8011

Intitulé de la cause : Roger William Andrews c. Affaires autochtones et Développement du Nord Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 8 décembre 2011

Comparutions :

Roger William Andrews, pour le plaignant

Brian Smith, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sean Stynes and Brett C. Marleau, pour l'intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.