Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

 

Entre :

Chris Hughes

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Transport Canada

l'intimé

Décision sur requêtes en production de documents de Chris Hughes, plaignant,
et de la Commission canadienne des droits de la personne

 

 

 

 

 

Membre : Robert Malo

Date : Le 25 octobre 2012

Référence : 2012 TCDP 26

 



I.                   Mise en situation

[1]               Le plaignant, Chris Hughes, a déposé contre l’intimé, Transports Canada, une plainte pour discrimination en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne alléguant que l’intimé aurait refusé de l’embaucher à cause d’une invalidité qu’il aurait révélée à l’intimé.  Cette plainte a trait à différentes candidatures qu’il a déposées auprès de l’intimé, soit une application pour un poste d’analyste de la sûreté maritime (PM-04) à l’automne 2005 et également, il a déposé trois candidatures pour des emplois à titre d’inspecteur régional, sûreté et préparatifs d’urgence, en septembre 2005, puis en juillet 2006, il a déposé une seconde candidature à titre d’inspecteur régional, sûreté des transports et préparatifs d’urgence et finalement, il a déposé une troisième candidature au mois de mars 2007 à titre d’inspecteur, sûreté des transports.

[2]               Dans tous ces cas, les applications ont été rejetées sans aucune excuse réelle et raisonnable de l’intimé selon lui.

[3]               Pour les besoins d’une meilleure compréhension du présent dossier, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) mentionne les dispositions de l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R. 1985), ch. H-6 (la LCDP), lequel se lit comme suit:

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

(a)                de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

(b)               de le défavoriser en cours d’emploi.

[4]               Également, dans son argumentation, le plaignant maintient que l’intimé aurait fait preuve de discrimination à son endroit et cela en vertu des dispositions de l’article 14.1 de la LCDP, lequel se lit comme suit:

14.1 Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

[5]               À cet égard, le plaignant avait l’ambition de développer une carrière au sein du gouvernement fédéral à travers les différentes offres d’emploi dont il est fait référence au paragraphe 1 ci-dessus.

[6]               Relativement à la procédure intentée par le plaignant, un appel conférence en vue de la préparation de l’audition de la plainte du plaignant a été tenu le 28 mai 2012 entre le Tribunal et les parties.

[7]               À ce moment, après discussions entre les parties, il a été convenu que les parties plaideraient par écrit au regard de deux requêtes qui ont été présentées dans le dossier du plaignant Chris Hughes, soit une requête du plaignant daté du 11 mai 2012 afin d’obtenir de l’intimé, Transports Canada, certains documents devant lui permettre d’établir que le plaignant aurait été discriminé par l’intimé Transports Canada et également, une deuxième requête datée du 15 mai 2012, requête présentée par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), cette dernière requête devant également permettre d’obtenir, de la part de l’intimé, Transports Canada, une série de documents devant permettre à la Commission d’établir également si l’intimé a agi de manière discriminatoire et cela, en contravention des articles 7 et 14.1 de la LCDP.

II.                Les Requêtes

A.                Requête du plaignant Chris Hughes

[8]               Dans sa requête, datée du 11 mai 2012, le plaignant demande au Tribunal d’ordonner à l’intimé de produire les documents suivants :

(a)                Les guides de cotation du comité de sélection dûment remplis pour chaque personne inscrite sur la liste des candidats qualifiés pour le poste de niveau PM‑04 d’analyste de la sûreté maritime (processus de sélection 05 MOT‑OC‑VAN‑005187; numéro de référence 90932RF73), y compris, entre autres choses, les notes d’entrevue et les vérifications des références à l’appui de l’évaluation effectuée par le comité de sélection à l’égard de chaque candidat dans le domaine des « qualités personnelles »;

(b)               Les dossiers de candidature de chaque personne inscrite sur la liste des candidats qualifiés dans le contexte du concours pour l’obtention du poste de niveau PM‑04 d’analyste de la sûreté maritime (processus de sélection 05‑MOT‑OC‑VAN-005187; numéro de référence 90932RF73);

(c)                Le curriculum vitæ des candidats retenus pour le poste de niveau TI‑06 d’inspecteur régional, sûreté et urgences (processus de sélection 05‑MOT-OC-VAN-005467; numéro de référence MOT91286RF73);

(d)               Le curriculum vitæ des candidats retenus pour le poste de niveau TI‑06 d’inspecteur régional, sûreté des transports et préparatifs d’urgence (processus de sélection 06‑MOT-OC-VAN-008455; numéro de référence MOT06J‑007605‑000099);

(e)                Le curriculum vitæ des candidats retenus pour le poste de niveau TI‑06 d’inspecteur, sûreté des transports (processus de selection 07‑MOT‑EA‑VAN‑60712; numéro de référence MOT07J‑007605‑000202) ainsi que tous les documents à l’appui des notes obtenues par les candidats, y compris les notes d’entrevue et les vérifications des références.

[9]               Dans sa requête, le plaignant indique que les documents requis seraient pertinents afin de lui permettre d’établir que l’intimé a refusé de l’employer contrairement aux dispositions de l’article 7 de la LCDP et ce, à cause d’une invalidité que le plaignant aurait divulguée à l’intimé dans le processus de ses candidatures qu’il a déposées. Le demandeur allègue qu’il aurait souffert de dépression et d’anxiété antérieurement, suite à du harcèlement et de la discrimination de son employeur antérieur, soit l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) au mois de janvier 2005 et contre l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) au mois de février 2005, et cela à son endroit. En conséquence, l’intimé aurait refusé de l’engager suite au dévoilement de ses invalidités, contrairement aux dispositions de la LCDP.

[10]           Dans sa requête également, le plaignant fait référence également aux faits que l’intimé aurait refusé d’embaucher le plaignant en établissant que le plaignant n’aurait pas réussi un des critère de qualification, soit : d’être attentif aux détails (souci du détail).  Le plaignant reproche donc à l’intimé de ne pas l’avoir embauché non seulement à cause du manquement indiqué ci-avant, en ce qui attrait aux faits qu’il n’était pas attentif aux détails, qu’il n’avait pas le « souci du détail », mais également à cause de son invalidité qu’il aurait révélé à l’intimé suite aux plaintes que le plaignant a déposées contre l’ASFC et l’ARC, lesquelles furent divulguées à l’intimé.  À cette égard, le Tribunal fait référence aux paragraphes 35 et 36 de la requête en divulgation de preuve déposée par le plaignant et datée du 11 mai 2012.

[11]           En conclusion, le plaignant indique que les documents dont il a fait référence dans sa requête, ont un lien direct avec les plaintes déposées par le requérant.

[12]           Dans sa réponse écrite datée du 15 juin 2012, l’intimé, Transports Canada, fait valoir ce qui suit à l’encontre de la requête du plaignant :

(a)                Les documents requis par le plaignant ne seraient pas requis en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne des droits de la personne particulièrement du sous paragraphe (a) car, selon l’intimé, cet article ne permettrait pas d’établir une analyse comparative en ce qui attrait aux raisons de refuser d’employer un individu lors d’un concours à cet effet. 

(b)               Dans un deuxième temps, l’intimée fait référence aux faits que les informations recherchées par le plaignant seraient protégées par la Loi sur la protection des renseignements personnels, (1985), chapitre P-21 en conséquence, le Tribunal canadien des droits de la personne serait soumis à cette loi.

[13]           Selon l’intimé, les dispositions de l’alinéa 7a) de la LCDP ne permettraient pas d’établir une analyse comparative tel que requis par l’intimé dans sa plainte et que tel n’était pas l’intention du Parlement à cet égard.

[14]           De plus, l’intimé indique dans sa réponse écrite que les informations recherchées par le plaignant sont toutes protégées en vertu de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C., 1985, chapitre P-21, il appuie cette prétention en faisant référence sur l’arrêt Warman c. Lemire, 2008 TCDP 16.

[15]           En réponse à la réponse écrite de l’intimé sur la requête du plaignant, ce dernier réitère au Tribunal sa demande de documents. Le plaignant indique que le texte de l’alinéa 7a) de la LCDP n’interdit pas une analyse comparative de différents candidats qui ont fait partie d’un concours pour l’obtention d’un emploi et à cet égard, il a fait référence à l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (Mowat).

[16]           De plus, le plaignant maintient toujours que les documents recherchés sont pertinents à l’examen des plaintes déposées par le plaignant contre l’intimé.

[17]           Dans un deuxième temps, le plaignant indique que la Loi sur la protection des renseignements personnels n’interdit pas la production de documents requis dans sa requête et plus particulièrement, il fait référence à l’alinéa 8b) de la Loi qui indique que la Loi sur la protection des renseignements personnels n’interdit pas la production de documents lorsqu’ils sont requis en vertu d’une loi du Parlement, soit dans l’instance, la LCDP (Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), chapitre P-21, au paragraphe 8(3)).

[18]           Finalement, dans sa réponse à l’intimé, le plaignant fait référence également que les documents recherchés font référence à des allégations qu’il a déposées dans une plainte en vertu de l’article 14.1 de la LCDP.

[19]           Plus particulièrement, les documents recherchés lui permettraient d’établir une preuve circonstancielle devant lui permettre d’établir que l’intimé aurait commis un acte discriminatoire en usant de représailles à l’encontre du plaignant et ce suivant les dispositions de l’article 14.1 de la LCDP.

Analyse du droit et des faits sur la requête déposée par le plaignant Chris Hughes en production des documents

[20]           Après une lecture exhaustive des différents mémoires fournis par les parties, après avoir pris connaissance des dispositions pertinentes de la LCDP et également des règles de procédure établies par le Tribunal, plus particulièrement les dispositions des alinéas 6(1)b) et e) desdites règles de procédure, le Tribunal considère qu’il y a lieu de faire droit à la requête déposée par le plaignant afin d’obtenir les documents recherchés considérant que lesdits documents recherchés par le plaignant sont pertinents à l’instruction des plaintes que le plaignant a déposées à l’endroit de l’intimé.

[21]           Toutefois, le Tribunal considère qu’il y a lieu d’oblitérer toutes informations (nom, adresse, date de naissance, sexe, etc.) et ce, afin d’en assurer le caractère confidentiel et personnel des informations pouvant être transmises par l’intimé au plaignant.

[22]           Avec déférence pour l’opinion exprimée par l’intimé dans sa réponse écrite du 15 juin dernier, le Tribunal ne considère pas que les dispositions de l’alinéa 7a) de la LCDP interdisent une analyse comparative de la candidature dans le cadre d’un concours d’emploi comme dans le cas sous étude.

[23]           De même, le Tribunal considère que les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels L.R.C., n’interdisent pas la production de documents comme ceux recherchés par le plaignant dans sa requête, en autant que le caractère confidentiel des candidatures soumises soit protégé.

[24]           Dans son analyse, le Tribunal a fait référence à une décision récente sur le sujet, soit l’arrêt Leslie Palm c. International Longshore and Warehouse Union, section locale 500, Richard Wilkinson et Cliff Willicome, 2012 TCDP 11 (CanLII).

[25]           Dans la décision qu’il a rendue, le membre Susheel Gupta a fait une analyse exhaustive de la jurisprudence applicable en matière de production de documents et je retiens donc les mêmes principes dans la présente affaire, et je cite :

[9]        Le droit à une audition équitable exige que « […] l’intéressé soit informé des allégations formulées contre lui et ait la possibilité d’y répondre » (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, au paragraphe 53). À cet égard, les parties doivent avoir la possibilité de prendre connaissance de la preuve de la partie adverse afin de pouvoir répondre à tout élément préjudiciable à leur cause (voir Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, au paragraphe 40). Pour donner à une partie la possibilité de le faire, il faut que les renseignements pertinents qui sont en la possession ou sous le contrôle de la partie adverse lui soient communiqués de façon pleine et entière.

[10]      Pour décider s’il convient de communiquer des documents ou non, le Tribunal a établi un processus en trois étapes : 1) déterminer si les renseignements sont d’une « pertinence possible », c’est-à-dire que la partie qui demande la production des renseignements ou des documents doit démontrer qu’il existe un lien entre les renseignements ou les documents demandés et les questions en litige; 2) sans examiner les documents, déterminer s’il existe une raison impérieuse de préserver le caractère confidentiel de ces derniers; 3) si le Tribunal n’est pas en mesure de régler la question sans examiner les documents, il doit dans ce cas les examiner et décider s’il y a lieu de les produire (voir Day c. Canada (Ministère de la Défense nationale), (6 décembre 2002), T627/1501 et T628/1601, décision sur requête no 3, au paragraphe 7 (TCDP); et Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34, au paragraphe 44 [Guay]).

[11]      Le Tribunal a reconnu qu’un plaignant a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses dossiers médicaux (voir Beaudry c. Canada (Procureur général), (24 juillet 2002), T694/8201, décision sur requête no 1, au paragraphe 7 (TCDP) [Beaudry]; McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., (3 janvier 2001), T558/1600, décision sur requête no 3, au paragraphe 3 (TCDP) [McAvinn]). Toutefois, ce droit peut cesser d’exister quand cette personne invoque son état de santé (voir McAvinn, au paragraphe 4 (TCDP), Guay, au paragraphe 45, et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et Femmes-Action c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux paragraphes 9 à 11). Dans les cas où il a ordonné que l’on communique des dossiers médicaux, le Tribunal a eu recours aux procédures qui suivent pour protéger le respect de la vie privée et la confidentialité des renseignements :

Étudier en détail les documents afin de déterminer lesquels d’entre eux sont bel et bien liés aux troubles médicaux en question (voir Guay, McAvinn et Beaudry);

Imposer des conditions à propos de ceux qui peuvent voir les documents et les copier (voir Shiv Chopra c. Santé Canada, 2007 TCDP 10, Micheline Montreuil c. Forces canadiennes, 2005 TCDP 45, et Beaudry).

[26]           De même, dans une autre décision du Tribunal, Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 5 (Bushey), datée du 11 février 2003, l’ancien membre Athanasios D. Hadjis a fait référence au critère de la pertinence en ce qui a trait au principe directeur qui s’applique en matière de divulgation :

L’intimé a contesté le fait qu’on ne lui ait communiqué aucune copie du compte rendu du règlement conclu avec les syndicats. Bien que l’intimé ne soit pas représenté par avocat et agisse en son propre nom, je crois comprendre qu’il soutient avoir droit à ce que ce document lui soit communiqué, conformément au paragraphe 6(3) des Règles de procédure provisoires du Tribunal. Ce paragraphe, s’il est lu de concert avec l’alinéa 6(1)d), oblige une partie à fournir aux autres parties une copie de tous les documents en sa possession qui sont pertinents à toute question en cause et pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué. Le critère qui s’applique à cet égard consiste en fait à déterminer si les documents en question sont “potentiellement pertinents” à l’égard de l’audience.

(Bushey, au paragraphe 4, notes de bas de page omises.)

[27]           Le membre Edward P. Lustig a également cité la décision Bushey dans la décision qu’il a rendue relativement à une question de divulgation dans l’affaire Elizabeth Cannon, Rhoda Godin et Carol Knowles c. Ressources humaines et Développement social Canada, 2011 CHRT 7.

[28]           De façon générale, un lien rationnel doit exister entre les documents demandés et les questions contenues dans une requête, de telle sorte, que l’on puisse prétendre à la pertinence probable de l’information recherchée également, que cette divulgation soit utile, appropriée et susceptible de faire progresser le débat et repose sur un objectif acceptable dans un dossier. La recherche de document doit donc se rapporter au litige. (Smith & Nephew Inc. c. Glegg, 2005CSC31, voir paragraphe 23 de la décision).

[29]           Dans son analyse, le Tribunal note que la requête du plaignant recherche la production de différents documents qui auraient servi à un comité de sélection et ce afin de vérifier la présence ou non d’éléments discriminatoires et ce en contravention avec l’article 7 sous paragraphe (a) de même que l’article 14.1 de la Loi canadienne des droits de la personne.

[30]           Le Tribunal note également, et cela, sans entrer dans une analyse approfondie de la valeur probante desdits documents recherchés, que les documents permettraient au plaignant d’étoffer sa preuve et ce, pour les éléments de discrimination dont il fait reproche à l’intimé.

[31]           Le Tribunal considère que les éléments recherchés possèdent le caractère de pertinence, et pourraient être utile dans le litige qui oppose le plaignant à l’intimé et ce en vertu de la Loi canadienne des droits de la personne.

[32]           Dans une décision que le Tribunal a également consulté, soit la décision Ray Davidson c. Santé Canada, 2012 TCDP 1 (CanLII) (Ray Davidson), une question similaire à celle sous étude avait alors été étudiée par un autre membre du tribunal.

[33]           En effet, dans cette dernière décision, il y avait également référence à une demande de production de documents en ce qui a trait à l’évaluation de candidats dans un processus de sélection qui avait fait l’objet de deux appels auprès du (CACFP).

[34]           Dans cet arrêt, le Tribunal canadien des droits de la personne avait refusé la permission pour produire de tels documents, considérant que le CACFP représentait un autre Tribunal et en conséquence, il n’y avait pas lieu de procéder à la révision des décisions d’un autre Tribunal et donc de rejuger une deuxième fois ce qui a déjà été décidé par une instance juridictionnelle différente.

[35]           Le Tribunal considère que dans le dossier du plaignant Hughes, un simple comité de sélection ne représente pas une instance juridictionnelle valable au sens de la décision Ray Davidson et de l’arrêt Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52 (voir le paragraphe 9 de l’arrêt Ray Davidson).

[36]           Par conséquent, le Tribunal ordonne la production des documents apparaissant dans la requête du plaignant Hughes avec oblitération de toutes informations personnelles en ce qui a trait aux différents candidats qui ont postulés pour les même postes que le plaignant, incluant le nom, l’adresse, la date de naissance et le sexe, de même que toutes autres informations pouvant permettre d’établir l’identité des autres candidats.

B.                 Requête de la Commission canadienne des droits de la personne

[37]           Dans une deuxième requête déposée par la Commission canadienne des droits de la personne en date du 15 mai 2012, la Commission recherche la production de deux types de documents : le premier type étant des documents de nature non confidentielle alors que le deuxième type de document requis par la Commission auprès de l’intimé a été qualifié de documents privilégiés par l’intimé.

[38]           Le Tribunal examinera donc dans l’ordre chacune des deux séries de documents requis par la Commission.

Documents non privilégiés

[39]           Ainsi, la Commission requiert dans un premier temps la production des documents suivants de l’intimé :

La présente requête vise l’obtention :

1.         d’une ordonnance de production par l’intimé, Transports Canada, de tous les documents possiblement pertinents qui sont en sa possession ou sous son contrôle, notamment :

a)         Tous les documents ou renseignements de quelque nature que ce soit, sous forme numérique ou autre, concernant l’appel téléphonique qui a eu lieu en février 2006 entre M. Lavers et M. Hughes, y compris, entre autres choses, les documents relatifs aux discussions que M. Lavers et les autres membres du comité de sélection ou les employés des ressources humaines ont eues au sujet des références fournies par M. Hughes, des autres plaintes que ce dernier a déposées contre d’autres ministères ou de sa déficience; les notes prises par les membres du comité de sélection, les employés des ressources humaines ou toute autre personne pendant le processus de vérification des références.

b)         Tous les documents ou renseignements de quelque nature que ce soit, sous forme numérique ou autre, concernant les courriels envoyés par M. Hughes le 19 juin 2006 et le 29 novembre 2006.

c)         Tous les documents ou renseignements de quelque nature que ce soit, sous forme numérique ou autre, concernant la conférence téléphonique du 2 mars 2006 qui a réuni les membres du comité de sélection et qui a porté sur la demande d’emploi de M. Hughes et la vérification de ses références.

d)         Tous les documents ou renseignements de quelque nature que ce soit, sous forme numérique ou autre, concernant les plaintes en matière de droits de la personne déposées par M. Hughes contre d’autres ministères.

e)         Tous les documents ou renseignements de quelque nature que ce soit, sous forme numérique ou autre, concernant la conférence téléphonique du 20 février 2006 à laquelle M. Lavers et Sonya Wood ont participé, y compris, entre autres choses, une copie non expurgée d’une note que cette dernière avait portée au dossier et qui concernait sa conversation de février 2006 avec M. Lavers.

[40]           Le Tribunal note que la Commission ne requiert plus le sous paragraphe (f) du paragraphe 1 de sa requête en ce qui a trait à l’enquête de la Commission de la fonction publique de 2007 de la plainte faite par le plaignant. En conséquence, le Tribunal ne se prononcera donc pas sur le sous paragraphe (f) du paragraphe 1 de la requête de la Commission.

[41]           Dans sa réponse datée du 15 juin 2012, l’intimé indique que tous documents en son pouvoir, possession ou contrôle et décrit comme étant ceux apparaissant dans les paragraphes 1 (a) à (e) de la requête de la Commission, ne peuvent être produit car ils n’existeraient pas. L’intimé reconnaît son obligation de produire tous documents pertinents pour lesquels aucun privilège de confidentialité n’est requis et l’intimé indique également qu’elle s’engage à produire tous documents si jamais elle en apprenait l’existence. Toutefois, l’intimé confirme qu’elle n’a aucun autre élément qui aurait pu être porté à l’attention du conseiller de l’intimé.

[42]           De même, l’intimé fait référence au paragraphe 1(d) de l’avis de requête de la Commission canadienne des droits de la personne en ce qui a trait à des documents pouvant s’originer d’autres agences ou départements et l’intimé indique que si de tels documents existaient ils n’étaient pas en sa possession, pouvoir ou contrôle et en conséquence, ils ne peuvent pas faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal de les produire. À cet égard également, l’intimé fait référence à la Loi sur la protection des renseignements personnels laquelle interdirait un tel ordre.

[43]           Plus loin dans sa réponse également, l’intimé allègue ce qui suit aux paragraphes 11, 12 et 13 de sa réponse :

[Traduction]

11. Les documents qui n’ont pas trait aux questions en litige n’ont pas été produits. En outre, tous les documents qui sont par ailleurs protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou qui ne sont pas pertinents relativement à une plainte introduite en vertu de l’alinéa 7a), ne peuvent pas être produits. L’alinéa 7a) de la LCDP est très précis en ce qui a trait au refus d’employer un individu. Plus précisément, l’alinéa 7a) diffère de l’alinéa 7b) dans le sens où il n’exige pas de procéder à une analyse comparative. Cela signifie que l’examen des qualifications des autres candidats n’est pas pertinent en ce qui a trait à un refus d’employer un individu.

12. Considérant la spécificité de la requête de la Commission, de deux choses l’une : soit le plaignant a déjà les documents demandés en sa possession, soit ces documents n’existent pas. Si le plaignant avait ces documents en sa possession, il aurait dû en faire état dans sa liste de documents.

13. Il va sans dire qu’il est impossible de produire des documents qui n’existent pas. Il n’est pas nécessaire de s’appuyer sur une loi pour l’affirmer.

[44]           Dans sa réponse à la réponse de l’intimé, la Commission fait valoir que les arguments de l’intimé pour refuser de produire les documents apparaissant dans sa requête correspondent ni plus ni moins qu’à une «blanquet response», et en conséquence, la Commission requiert une réponse précise pour chacun des items apparaissant dans sa requête.

[45]           Sans vouloir réitérer de nouveau les motifs de la décision du Tribunal en ce qui a trait aux principes généraux de production de documents tel que le Tribunal l’a énoncé en ce qui a trait à la requête du plaignant pour la production de documents, le Tribunal comprend que la Commission recherche également des informations devant permettre d’étayer sa position en ce qui a trait à une preuve de discrimination que l’intimé aurait commis à l’endroit du plaignant Hughes.

[46]           Le Tribunal considère que les informations recherchées par la Commission dans sa requête pour production de document au sous alinéa 1 (a) à (e) de sa requête peuvent avoir rapport aux plaintes déposées par le plaignant à l’encontre de l’intimé. Toutefois, il est indéniable que l’exigence de la production de tous documents ou matériel de quelque nature que ce soit qui apparaît dans la formulation de chacun des items requis par la Commission ne peuvent pas servir à une expédition de pêche comme l’a mentionné nos tribunaux à plusieurs reprises dans plusieurs décisions, (voir plus particulièrement CTEA c. Bell Canada, [2000] C.H.R.D. No. 6, T503/2098, numéro 2, paragraphes 12 à 14; paragraphes suivants.

[47]           Qu’en est-il dans le présent dossier?

[48]           Le Tribunal fait face à une situation où l’intimé indique qu’elle n’aurait pas les documents en sa possession et/ou n’existeraient pas et cela dans une phraséologie qui apparaît for vague au Tribunal.

[49]           Dans un tel contexte, il appert au Tribunal qu’il serait prudent et aviser de requérir de l’intimé une attestation claire et non équivoque à l’effet qu’elle ne peut produire aucun des documents requis par la Commission dans sa requête en ce qui a trait aux paragraphes 1 (a) à (e).

[50]           Afin d’éclaircir la présente situation, le Tribunal considère qu’il serait donc opportun que l’intimé produise un affidavit à l’effet d’indiquer de façon claire et formelle, pour chacun des documents requis par la Commission, qu’il n’est pas en sa possession des documents requis par la Commission.  Le Tribunal réfère le lecteur sur les raisons de tel affidavit au paragraphe 58 qui suit.

[51]           De plus, à défaut par l’intimé de produire un tel affidavit, et cela dans un délai de quinze (15) jours à compter de présent jugement, le Tribunal considère que de tels documents existent et en conséquence, il est donc ordonné à l’intimé de produire de tels documents sans autre délai subséquent.

Documents pour lequel un privilège de confidentialité est allégué

[52]           Dans la deuxième partie de la requête de la Commission, cette dernière requiert de l’intimé qu’il produise tous documents pour lequel l’intimé a allégué un privilège de confidentialité. Ce privilège de confidentialité apparaît dans une liste de documents apparaissant dans la correspondance échangée entre les parties mais plus particulièrement dans la requête de la Commission datée du 24 avril 2012 et décrits comme suit :

[Traduction]

1.                  Le rapport sur la gestion du rendement des employés avec notes manuscrites, le 26 septembre 2004.

2.                  La page couverture du dossier – Cas de harcèlement n° 67 – 2008/2009, du 19 juin 2006.

3.                  La télécopie envoyée par Pat McCauley à Edie Preugschat le 19 juin 2008.

4.                  La télécopie envoyée par Pat McCauley à Edie Preugschat le 24 juin 2008.

5.                  Le courriel envoyé par Ryan Savelieff à Pat McCauley le 2 juillet 2008, dont l’objet était le suivant : Plainte en matière de droits de la personne n° 2007-1019.

6.                  Le courriel envoyé par Pat McCauley à Ryan Savelieff le 25 juillet 2008, dont l’objet était le suivant : Plainte en matière de droits de la personne n° 2007-1019.

7.                  Le courriel envoyé par Ryan Savelieff à Pat McCauley le 13 août 2008, dont l’objet était le suivant : Plainte de la Commission canadienne des droits de la personne, formulaire de plainte de la Commission.

8.                  La lettre envoyée à Deborah M. Olver Templates le 14 août 2008 (ébauche).

9.                  Le courriel envoyé par Pat McCauley à Ryan Savelieff le 14 août 2008, dont l’objet était le suivant : Plainte de la Commission avec pièces jointes.

10.              La télécopie envoyée par Ryan Savelieff à Pat McCauley le 15 août 2008.

11.              Le courriel envoyé par Filomena Dicamillo à la Gestion de l’information le 27 janvier 2009.

12.              Le courriel envoyé par Ryan Savelieff à Pat McCauley le 26 février 2009, dont l’objet était le suivant : Le point sur la plainte de la Commission n° 2007‑1019.

13.              La série de courriels échangés par Ryan Savelieff et Pat McCauley, dont l’objet était le suivant : Plainte de la Commission, le 7 août 2009.

14.              Le courriel envoyé par Michael Fu à Parmi Gill le 20 janvier 2010, avec notes manuscrites.

15.              La convocation à la téléconférence avec notes manuscrites, le 26 avril 2010.

16.              La Commission ne demande pas la production des documents qui se trouvent sous cet onglet.

17.              La réponse aux allégations avec note manuscrite, non datée.

18.              La plainte en matière de droits de la personne n° 2007-1019 – La réponse aux allégations avec notes manuscrites, non datée.

19.              Le papillon adhésif concernant la vérification des références, non datée.

20.              Le papillon adhésif concernant la vérification des références et les notes attribuées, non datée.

21.              Les notes manuscrites, non datées.

[53]           Le Tribunal note que l’intimé oppose une fin de non-recevoir à la requête de la Commission en ce qui a trait à cette deuxième partie des documents de la requête de la Commission au motif que ces documents seraient privilégiés (liste des documents privilégiés).

[54]           Dans un premier temps, le Tribunal note que la requête de la Commission pour la production de tous les documents apparaissant dans la liste de documents privilégiés, à l’exception du document portant le numéro 16 pour lequel la Commission ne requiert pas de production, apparaissent comme étant non clairement identifié afin de les relier au dossier du plaignant.

[55]           En d’autres termes, l’exigence de la production de ces documents, tel que rédigé, ne fait pas référence directement à une information qui s’avèrerait utile ou nécessaire pour les fins du dossier du plaignant, mais ce point n’apparait pas comme étant fatal au stade de la requête pour production de documents de la Commission.  La pertinence de tels documents sera appréciée plus profondément par le membre instructeur lors de l’audition au fond du présent dossier.

[56]           Dans un deuxième temps, le Tribunal note que l’intimé fait référence à un privilège de confidentialité et de façon corrélative, il n’indique pas d’aucune façon, pour chacun des items requis, en quoi le privilège de confidentialité devrait s’appliquer en l’instance.

[57]           En d’autres termes, quelle est la nature du privilège de confidentialité qui devrait s’appliquer pour chacun des items apparaissant dans la liste des documents qui sont requis par la Commission?

[58]           Dans la jurisprudence applicable à une telle question de confidentialité et à l’invocation du secret professionnel, le Tribunal a consulté plusieurs décisions dont les plus pertinentes apparaissent ci-après.

[59]           D’abord dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministre du personnel du gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest), 2000 CanLII 20412 (TCDP), le Tribunal avait alors fait référence à l’arrêt Walsh-Canadian Construction Co. Ltd. c. Churchill Falls (Labrador) Corporation Ltd. (No.1) (1979) 9 C.P.C. 229. Dans cette décision du Tribunal, les membres du Tribunal avaient alors fait mention de ce qui suit :

Toutefois, on ne peut pas vraiment dissocier la question de la description de celle de la contestation, et il n’y a pas de raison d’examiner les documents qui, de toute évidence, sont privilégiés. Dans beaucoup de cas, par exemple, le simple fait qu’un document ait été établi par un conseiller juridique est suffisant pour prouver qu’il est assorti du privilège du secret professionnel de l’avocat. Ce serait un abus de droit que de tenter de déterminer dans quelles circonstances il a été établi. En l’espèce, il s’agit de déterminer si la description des documents est suffisante pour permettre à l’autre partie de décider si elle désire contester l’allégation de privilège de l’intimé. Il semble au départ qu’au moins deux exigences minimales doivent être respectées. La première est qu’il doit y avoir une description suffisante des documents physiques; la deuxième est que la description d’un document devrait expliquer pourquoi il est assorti d’un privilège particulier.

[60]           De même, le Tribunal s’était exprimé comme suit également un peu plus loin dans la décision :

Par conséquent, la seule question à examiner à ce moment-ci est celle de l’identification. Essentiellement, il s’agit de se demander si les inscriptions décrivant chaque document, ainsi que l’allégation de privilège, sont suffisantes pour informer les autres parties des raisons pour lesquelles il n’existe pas d’obligation de divulguer le document. À cet égard, il est évident que l’intimé est obligé d’indiquer, sans compromettre le privilège, le lien entre sa revendication générale de privilège et le document en question. Il s’ensuit normalement que ce dernier ne devrait pas être déposé à l’audience. Pour certains autres documents, il faut se demander, en outre, si le fait qu’une partie les ait divulgués à l’autre partie l’empêche d’invoquer le privilège à l’audience même.

Nous avons reconnu que tous les facteurs mentionnés par l’intimé devraient être pris en compte pour déterminer si un document est décrit convenablement aux fins de la divulgation. Cependant, aucun de ces facteurs n’est déterminant en soi, et la question à savoir si un document est suffisamment identifié est en fin de compte une affaire de jugement. D’autre part, les règles ordinaires de pratique précisent clairement qu’il n’est pas suffisant d’indiquer qu’un document existe et d’alléguer qu’il est privilégié. Il faut aller plus loin et informer les autres parties de l’objet de ce document et expliquer les raisons pour lesquelles le privilège pertinent s’applique.

D’autre part, ce serait une erreur que de définir une formule indiquant les exigences à satisfaire dans chaque cas. Il s’agit d’une question pragmatique qui exige de la latitude et du jugement, et il n’est pas nécessaire de fournir une description détaillée des documents. Dans beaucoup de cas, il peut être suffisant de fournir une description extrêmement brève ou de préciser les circonstances qui expliquent la conclusion évidente quant au privilège revendiqué. Le seul fait qu’un conseiller juridique ait préparé un document particulier est habituellement suffisant pour alléguer le privilège du secret professionnel de l’avocat. Dans d’autres cas, l’indication qu’il s’agit de notes manuscrites ou d’autres documents privés est suffisante pour attester le caractère privé des documents et expliquer pourquoi le privilège a été revendiqué. Dans le cas des négociations collectives, la mention « proposition de l’employeur » accompagnée de la date correspondante peut être suffisante pour attester la nature du document.

[61]           Ces mêmes principes réapparaissent dans l’arrêt Poitras c. Twinn, 2001 CFPI 456 (CanLII), où on retrouve le passage qui suit pour la même question :

[5]        Cela nous amène à la deuxième partie de la requête, soit la revendication d’un privilège dans l’affidavit de documents de la Couronne, Sur ce point, je suis d’accord avec la Bande pour dire que cette revendication de privilège est trop englobante et trop vague. Vingt-deux documents ou liasses de documents ne sont désignés que par un numéro de classement. Un autre dossier est identifié par une description seulement, soit comme le dossier d’instance des avocats. Aucune indication n’est fournie relativement à ces documents ou liasses quant au nombre de documents qu’elles contiennent, le cas échéant et quant à leur date; l’auteur et le destinataire de chaque document ne sont indiqués qu’en termes très généraux. Cela ne suffit manifestement pas. Je reconnais que la description d’un document à l’égard duquel un privilège est revendiqué ne doit pas être de nature à faire échec à la revendication de privilège, mais la simple indication de la date et du nom, du titre ou des initiales de son auteur et de son destinataire ne font habituellement pas échec à la revendication de privilège, sauf lorsqu’il existe des circonstances exceptionnelles, ce qui n’a pas été plaidé en l’espèce.

[6]        Par conséquent, j’ordonnerai que la requête soit accueillie en partie et la Couronne devra produire d’ici 30 jours un affidavit de documents additionnels relativement à sa revendication de privilège.

[62]           De même, dans l’arrêt 1185740 Ontario Ltd. c. Canada (Ministère du revenu national), 1999 CanLII 9151 (CF), en faisant référence à l’arrêt Lumonics Research Ltd. c. Gordon Gould, Refac International Limited, and Patlex Corporation, [1983] 2C.F. 360, on retrouve ce qui suit :

[6]        Dans Lumonics Research Ltd. c. Gordon Gould, Refac International Limited, and Patlex Corporation, [1983] 2C.F. 360, la Cour d’appel fédérale a clairement établi qu’il incombait à la partie qui s’oppose à la production de documents en raison du caractère privilégié de la communication d’en établir les faits pertinents. À mon avis, les défendeurs dans la présente affaire ne se sont pas déchargés du fardeau de la preuve qui reposait sur eux. L’avocat de la demanderesse a soulevé comme argument qu’il incombait aux défendeurs d’établir les faits qui ont donné lieu à la protection du secret qu’ils invoquaient et que les défendeurs n’avaient fourni aucune preuve à cet égard. Je souscris entièrement à la prétention de l’avocat. L’avocat a prétendu, à juste titre selon moi, que Mme Castle, avocate des défendeurs, ne pouvait pas, aux fins de l’argumentation, déposer en preuve des faits sur lesquels les défendeurs se basaient pour invoquer le caractère secret des communications entre avocat et client. De toute évidence, cette allégation ne peut être contestée. L’avocat de la demanderesse m’a renvoyé à la décision du juge Rothstein (maintenant juge de la Cour d’appel) dans Evans (K.F.) Ltd. C. Canada (ministre des Affaires étrangères) reflex, [1996] 106F.T.R. 210. Dans Evans, le juge Rothstein devait décider si le secret professionnel de l’avocat s’appliquait à certains types de documents. À l’appui de sa prétention selon laquelle les documents ne devaient pas être produits parce qu’ils tombaient sous le coup du secret professionnel de l’avocat, le ministre défendeur avait déposé en preuve l’affidavit de Me Beverly Anne Chomyn, l’avocate dont l’opinion juridique était en cause.

[7]        Le juge Rothstein en est venu à conclure que le défendeur avait renoncé à la protection de la communication parce qu’une partie en avait été révélée. Je n’ai pas à me prononcer sur la question de la renonciation étant donné que j’ai conclu que les défendeurs ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau. Il est clair, à la lecture de la décision du juge Rothstein dans Evans et de l’arrêt de la Cour d’appel dans Lumonics, qu’il importe d’établir les circonstances pertinentes au moyen d’un affidavit pour pouvoir invoquer la protection du secret des communications entre un avocat et son client. Dans l’affaire qui nous occupe, étant donné que les défendeurs n’ont pas déposé d’affidavit établissant les faits pertinents, je me trouve dans l’incapacité de déterminer si le caractère secret des communications entre avocat et client s’applique aux passages occultés des notes de service. Comme il incombait aux défendeurs de s’acquitter du fardeau de la preuve, la requête de la demanderesse est accueillie et les défendeurs devront déposer les passages occultés dans les dix jours de la présente ordonnance.

[63]           À partir des principes invoqués ci-dessus, le Tribunal considère que l’invocation d’un privilège de confidentialité ou de secret professionnel ne peut être valablement invoqué à moins que ne soit produit un document dans lequel se trouve les informations décrivant d’une part le document visé et d’autre part, expliquant les raisons de l’invocation du privilège de confidentialité, ce document pouvant prendre la forme d’un affidavit circonstancié de préférence. Le tribunal mentionne que l’exigence d’un affidavit n’apparaît pas dans les règles de preuve du TCDP qui sont différentes de celles de la Cour fédérale du Canada, mais le recours à un affidavit est certes approprié et répond mieux à la nécessité d’une réponse plus formaliste comme dans le cas sous étude.

[64]           Or, le Tribunal n’est saisi d’aucun affidavit en l’instance de la part de l’intimé, si ce n’est qu’une simple invocation du privilège de confidentialité de la part de l’intimé.

[65]           La simple invocation d’un privilège de confidentialité n’est pas acceptable en l’absence de motivation appropriée tel qu’en a décidé nos tribunaux et dont le Tribunal a fait référence ci-avant.

[66]           Bien sûr, il n’est pas dans les pouvoirs du Tribunal de débattre la question de fond en ce qui a trait à l’existence de privilège de confidentialité en raison d’une relation client/avocat. À cet égard, le Tribunal n’a aucune juridiction pour ce faire tel qu’en a décidé la jurisprudence plus particulièrement dans l’arrêt Commissaire à la protection de la vie privée du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada c. Blood Tribe Department of Health et Procureur général du Canada et al., [2008] 2 R.C.S. 574, 2008 CSC 44.

[67]           Toutefois, la simple invocation d’un privilège de confidentialité, sans explication valable ne compromettant pas ledit privilège, ne peut être accepté par le Tribunal.

[68]           Conséquemment, si l’intimé veut invoquer valablement un privilège de confidentialité au regard des items apparaissant dans la liste de la requête de la Commission, il lui est suggéré de fournir un affidavit suffisant pour chacun des items apparaissant dans ladite liste en indiquant ce en quoi lesdits documents ne peuvent être produits soit en raison de leur caractère confidentiel, soit à cause d’une relation client/avocat et/ou établi en vue de la préparation d’un litige, et cela dans un délai de quinze (15) jours à compter du présent jugement.

[69]           À défaut par l’intimé de produire un tel affidavit dans le délai précité, il est donc ordonné à l’intimé de produire les documents apparaissant dans la requête de la Commission et ce, sans autre délai.

III.             Décisions

Par ces motifs, le Tribunal ordonne ce qui suit :

Sur la requête du plaignant Chris Hughes :

(a)                Il est ordonné à l’intimé de produire les documents apparaissant dans la requête du plaignant datée du 11 mai 2012, en oblitérant toutes informations devant permettre d’identifier chacune des personnes en référence à chacun des documents qui doivent être produit par l’intimé;

Sur la requête de la Commission canadienne des droits de la personne :

(b)               Il est ordonné à l’intimé de produire tous les documents non privilégiés qui sont requis par la Commission canadienne des droits de la personne, à moins que l’intimé ne produise un affidavit circonstancié indiquant ce en quoi l’intimé ne peut produire lesdits documents valablement, ledit affidavit devant être produit dans un délai de quinze (15) jours à compter de la présente décision, à défaut d’un tel affidavit, l’intimé devra fournir tous les documents non privilégiés apparaissant dans la requête de la Commission canadienne des droits de la personne;

(c)                Il est ordonné à l’intimé de produire tous les documents apparaissant dans la requête de la Commission en ce qui a trait à des documents privilégiés à l’exception du document numéro 16, à moins que l’intimé ne produise un affidavit circonstancié indiquant pour chacun des items une raison valable devant permettre à l’intimé d’invoquer un privilège de confidentialité, ledit affidavit devant être produit dans un délai de quinze (15) jours à compter de la présente décision, à défaut d’un tel affidavit, l’intimé devra fournir tous les documents apparaissant dans la requête de la Commission canadienne des droits de la personne, au paragraphe (d) de sa requête, à l’exception du paragraphe 16.

 

Signée par

Robert Malo

Membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)

Le 25 octobre 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1656/01111

Intitulé de la cause : Chris Hughes c. Transports Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 25 octobre 2012

Comparutions :

Andrew Raven, Michael Fisher, pour le plaignant

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kevin Staska, Sid Restall, Malcolm Palmer, pour l'intimé

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