Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Ray Davidson

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Santé Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Edward P. Lustig

Date : Le 16 janvier 2012

Référence : 2012 TCDP 1

 


[1]               Il s’agit d’une décision concernant une requête présentée par l’intimé pour que le Tribunal se prononce sur la pertinence des documents relatifs à l’évaluation des candidats ayant participé à son processus de sélection 05‑NHW‑CE‑CCID‑047 (le processus de sélection) à l’égard de la présente plainte et sur la question de savoir si le Tribunal devrait être saisi des éléments de preuve concernant la façon dont le plaignant a été évalué dans le cadre du processus de sélection.

[2]               Dans sa plainte, le plaignant allègue que l’intimé a fait preuve de discrimination à son endroit du fait de sa race, de son sexe et de sa couleur en refusant de l’embaucher, ce qui est contraire à l’alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Le plaignant allègue que pendant un concours relatif à un emploi offert par l’intimé il a été noté d’une manière déraisonnablement sévère par rapport aux autres candidats participant au processus de sélection, en ce sens qu’il a été classé au cinquième rang sur cinq candidats admissibles, que les quatre autres candidats ont été embauchés mais que lui ne l’a pas été malgré la preuve que l’on avait besoin de ses services et qu’il était qualifié pour l’emploi, et que l’intimé continue de chercher d’autres candidats.

[3]               Dans la liste des documents inclus dans son exposé des précisions, le plaignant a mentionné qu’il a l’intention de se fonder sur des documents concernant des questions, des réponses et des outils d’évaluation qui ont été utilisés dans le cadre du processus de sélection en vue de montrer qu’il a été noté d’une manière déraisonnablement sévère.

[4]               Le processus de sélection a fait l’objet de deux appels de la part du plaignant auprès du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le CACFP), appels pour lesquels des décisions ont été rendues le 17 août 2006 et le 27 mars 2007 et dans le cadre desquels la question de savoir si le plaignant a été noté d’une manière déraisonnablement sévère a été examinée.

[5]               La position qu’adopte l’intimé dans sa demande concernant la présente décision est exposée dans la lettre datée du 23 novembre 2011 qu’il a envoyée au Tribunal :

[traduction] La question de savoir si le plaignant a été évalué correctement lors du processus de sélection a déjà été examinée à deux reprises par le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique (le Comité d’appel de la CFP). Après le second appel du plaignant auprès de la CFP, le Comité d’appel a clairement conclu que les candidats avaient été évalués de manière raisonnable et que le plaignant n’avait pas été noté d’une manière déraisonnablement sévère par rapport aux autres candidats. Il est donc inutile que le Tribunal réexamine une fois de plus les évaluations du plaignant. Par ailleurs, comme le Comité d’appel de la CFP est un comité d’appel spécialisé chargé de réexaminer les processus de sélection afin d’en garantir l’équité, il serait opportun que le Tribunal se fonde sur les conclusions du Comité d’appel de la CFP.

[6]               Le 17 août 2006, le CACFP a rendu sa première décision concernant l’appel du plaignant contre les nominations effectuées à la suite du processus de sélection. Dans cette décision, le CACFP examine l’allégation du plaignant en ces termes : [traduction] « Allégation no 1 - La notation de l’entrevue a été déraisonnablement sévère, ce qui a entraîné une perte de points dans le cas de certaines questions ». Plus précisément, le plaignant contestait la notation des questions d’entrevue nos 1, 6, 7, 8 et 9. Le CACFP a conclu que le jury de sélection de l’intimé n’avait pas agi de manière déraisonnable dans son évaluation des réponses données par le plaignant aux questions nos 1, 6 et 9. En ce qui concerne la question no 7, le CACFP a conclu que l’avis du jury de sélection était déraisonnable, étant donné que ce dernier avait utilisé arbitrairement pour cette question un système de notation défavorable. Quant à la question no 8, le CACFP a conclu que l’intimé n’avait pas fourni de preuve montrant que les réponses attendues correspondaient à la question posée et que les réponses attendues mesuraient bel et bien les facteurs secondaires qu’elles étaient censées mesurer. Par suite de cette décision, le CACFP a ordonné à l’intimé de mettre en œuvre des mesures correctives en vue de régler les problèmes relevés lors de l’appel, dont les mesures suivantes : réévaluer tous les candidats, veiller à ce que le défaut relevé dans le cas des questions nos 7 et 8 ne se répète pas et que les candidats déjà nommés à ces postes ne bénéficient pas d’un avantage indu et, s’il était nécessaire d’apporter des changements à la liste d’admissibilité par suite de cette réévaluation, diffuser une liste modifiée comportant les droits d’appel appropriés.

[7]               Après la mise en œuvre des mesures correctives, une nouvelle liste d’admissibilité a été diffusée et le plaignant y a été ajouté en tant que cinquième candidat retenu. Ce dernier a interjeté appel de la mise en œuvre des mesures correctives auprès du CACFP.

[8]               Le 27 mars 2007, le CACFP a rendu sa seconde décision sur l’appel du plaignant contre les nominations effectuées dans le cadre du processus de sélection. Il a examiné l’allégation du plaignant selon laquelle [traduction] « [c]omparativement aux autres candidats retenus, je crois qu’on m’a noté d’une manière déraisonnablement sévère, ce qui m’a fait perdre des points dans le cas de certaines questions ». Plus précisément, le plaignant a allégué que le jury de sélection avait été déraisonnablement sévère au moment de noter les réponses aux questions nos 1, 3 et 4 de son examen, comparativement aux autres candidats retenus. Le CACFP a dit avoir examiné avec soin l’examen écrit de tous les candidats retenus, y compris celui du plaignant, et n’a vu aucune raison d’intervenir. Il s’est dit convaincu par les explications de l’intimé au sujet de la façon dont les notes avaient été attribuées aux candidats, ainsi que de la raison pour laquelle le plaignant n’avait pas obtenu un résultat aussi bon que celui des autres candidats. Se fondant sur les éléments de preuve produits à l’audience, le CACFP s’est dit persuadé que le jury de sélection s’était acquitté de son obligation de veiller à ce que les questions évaluent ce qu’elles étaient conçues pour évaluer, que les questions et les réponses attendues étaient liées à l’énoncé des critères de mérite établi pour le poste en question et que le jury de sélection pouvait montrer que les candidats avaient été évalués d’une manière juste et équitable.

[9]               En common law, les doctrines de l’autorité de la chose jugée, de l’abus de procédure et de la contestation indirecte « existent essentiellement pour prévenir l’inéquité en empêchant les “recours abusifs” », ainsi qu’il est mentionné dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, au paragraphe 34 [Figliola]. Dans cet arrêt, les principes sous-jacents de ces trois doctrines sont résumés ainsi :

         La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties (Danyluk, par. 18; Boucher, par. 35);

 

         Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi (Toronto (Ville), par. 38 et 51);

 

         La contestation de la validité ou du bien-fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur (Boucher, par. 35; Danyluk, par. 74);

 

         Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative (TeleZone, par. 61; Boucher, par. 35; Garland, par. 72);

 

         En évitant les causes inutiles, on évite le gaspillage de ressources (Toronto (Ville), par. 37 et 51);

 

(Figliola, au paragraphe 34)

Se fondant sur ces principes, la Cour a conclu qu’un tribunal ayant à trancher si le fond d’une plainte a été examiné de façon appropriée doit se demander :

         s’il existe une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne;

 

         si la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont il est saisi;

 

         si le processus antérieur, qu’il ressemble ou non à la procédure que le tribunal préfère ou utilise lui-même, a offert la possibilité aux plaignants ou à leurs ayants droit de connaître les éléments invoqués contre eux et de les réfuter.

 

(Figliola, au paragraphe 37)

[10]           La Cour suprême a également ajouté : « [i]l s’agit, en définitive, de se demander s’il est logique de consacrer des ressources publiques et privées à la remise en cause de ce qui est essentiellement le même litige » (Figliola, au paragraphe 37).

[11]           Suivant l’application des principes énoncés dans l’arrêt Figliola, la Cour d’appel fédérale a récemment infirmé une décision du Tribunal parce que ce dernier n’avait pas « […] [tenu] compte de l’inéquité inhérente au magasinage de forum », dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Office des transports du Canada, 2011 CAF 332, au paragraphe 28.

[12]           Dans l’arrêt Figliola, s’appuyant sur la décision rendue dans l’arrêt Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, la Cour suprême a déclaré qu’« en l’absence d’une disposition expresse à l’effet contraire, tous les tribunaux administratifs ont une compétence concurrente en matière d’application des mesures législatives relatives aux droits de la personne » (Figliola, au paragraphe 45). Les appels du plaignant auprès du CACFP ont été déposés en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, aujourd’hui abrogée, L.R.C. 1985, ch. P‑33 (la LEFP). Suivant l’article 7.4 de cette loi, les comités établis en vue d’entendre un appel en vertu de l’article 21 disposent, relativement à la question dont ils sont saisis, des pouvoirs d’un commissaire nommé au titre de la partie II de la Loi sur les enquêtes, L.R.C 1985, ch. 1‑11. La LEFP et la Loi sur les enquêtes ne comportent aucune disposition expresse qui élimine la compétence concurrente qu’a le CACFP en matière d’application de la Loi. C’est donc dire que, en l’espèce, le CACFP possède la compétence concurrente pour trancher les questions relatives aux droits de la personne.

[13]           En l’espèce, le plaignant allègue qu’il était qualifié et qu’il n’a pas été embauché à la suite du processus de sélection parce que [traduction] « l’intimé a noté le plaignant à la baisse afin de s’assurer qu’il n’y aurait pas de changement aux candidats déjà nommés ». Les détails de cette allégation sont liés à l’évaluation des candidats qui a été menée à la suite des mesures correctives que l’intimé a mises en œuvre après la décision du CACFP datée du 17 août 2006. Le plaignant prétend également que la décision du 27 mars 2007 du CACFP, qui a porté sur l’évaluation des candidats à la suite des mesures correctives que l’intimé avait mises en œuvre, a été influencée par des commentaires défavorables de l’intimé à propos du plaignant. Les autres allégations sont liées au fait que, peu après l’expiration de la liste d’admissibilité applicable au processus de sélection de l’intimé, ce dernier a continué de chercher des candidats ayant les qualifications du plaignant.

[14]           Dans le contexte de l’emploi, il a été décrit que, dans les cas où un plaignant allègue qu’on lui a refusé un emploi pour un motif de discrimination illicite, il faut établir une preuve prima facie des éléments suivants :

[Traduction]

(a)                le plaignant avait les compétences voulues pour l’emploi concerné;

(b)               le plaignant n’a pas été engagé;

(c)                une personne qui n’était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique qui constitue le fondement de la plainte concernant les droits de la personne (c.-à-d. la race, la couleur de la peau, etc.) a par la suite obtenu le poste.

(voir Shakes c. Rex Pak Limited (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, à la page D/1002 [Shakes])

[15]           Si l’on applique l’analyse exposée dans la décision Shakes aux allégations du plaignant à propos du processus de sélection, on ne semble pas contester le fait que le plaignant avait les compétences voulues mais qu’il n’a pas été embauché, pour l’emploi concerné. Cependant, le plaignant doit également prouver qu’une personne qui n’était pas mieux qualifiée que lui mais qui ne possédait pas la caractéristique distinctive de la race, de la couleur et du sexe a par la suite obtenu le poste. La preuve du plaignant à cet égard est qu’il a été [traduction] « noté à la baisse » de façon à ce qu’il n’y ait pas de changement aux candidats déjà nommés. Il a fait essentiellement la même allégation que dans le cas de son second appel auprès du CACFP, à savoir qu’on l’a noté d’une manière déraisonnablement sévère, ce qui a occasionné une perte de points dans le cas de certaines questions. Dans sa décision du 27 mars 2007, le CACFP a passé en revue les examens écrits de tous les candidats retenus, y compris celui du plaignant, et il s’est dit convaincu que leur évaluation avait été faite de manière juste et équitable. Le plaignant n’a pas allégué devant le CACFP qu’il avait été victime de discrimination, mais s’il fallait que le Tribunal examine les allégations du plaignant au sujet de l’évaluation des candidats lors du processus de sélection, il lui faudrait procéder essentiellement à la même analyse que celle que le CACFP a faite dans sa décision du 27 mars 2007, c’est‑à‑dire comparer les examens de tous les candidats retenus à celui du plaignant afin de décider si l’évaluation a été faite de manière juste et équitable. Le plaignant soutient maintenant que la décision du 27 mars 2007 du CACFP a été influencée par des commentaires défavorables que l’intimé a faits à son sujet, mais le rôle du Tribunal n’est pas de procéder « […] au “contrôle judiciaire” de la décision d’un autre tribunal ou au réexamen d’une question dûment tranchée pour voir si un résultat différent pourrait en émerger » (Figliola, au paragraphe 38). Devant le CACFP, le plaignant a eu l’occasion de présenter ses arguments au sujet de l’évaluation des candidats lors du processus de sélection. Il n’est donc pas logique de dépenser des ressources publiques et privées pour la remise en cause de ce qui constitue essentiellement la même allégation.

[16]           Par conséquent, je fais droit par la présente à la requête de l’intimé, à savoir que les documents relatifs à l’évaluation des candidats ayant participé au processus de sélection ne sont pas pertinents à l’égard de la présente plainte et que le Tribunal ne sera pas saisi d’éléments de preuve se rapportant à la manière dont le plaignant a été évalué dans le cadre de ce processus. En bref, je n’entendrai pas ou ne recevrai pas d’éléments de preuve portant sur la question de savoir si le plaignant a été noté plus sévèrement que les autres candidats ayant pris part au processus de sélection.

 

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 16 janvier 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1495/4110

Intitulé de la cause : Ray Davidson c. Santé Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 16 janvier 2012

Comparutions :

Ray Davidson, pour lui même

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Marie-Josée Montreuil et Abigail Martinez, pour l'intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.